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Edith Dekyndt Provisory object 03 Une poétique de la matière ou le temps retrouvé D. Moreau - DEA en Art actuel - 2005-2006 Exposition des images projetées - C. Dubois Cinéma expérimental actuel - L. Belloï Art vidéo et image numérique - M.E. Mélon

E d i t h D e k y n d t

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Page 1: E d i t h D e k y n d t

E d i t h D e k y n d tP r o v i s o r y o b j e c t 0 3

U n e p o é t i q u e d e l a m a t i è r e o u l e t e m p s r e t r o u v é

D. Moreau - DEA en Art actuel - 2005-2006

Exposition des images projetées - C. DuboisCinéma expérimental actuel - L. Belloï

Art vidéo et image numérique - M.E. Mélon

Page 2: E d i t h D e k y n d t

Je remercie vivement Edith Dekyndt et Pierre-Henri Leman, son compagnon et ‘camarade de jeu’ dans le programme Universal research of subjectivity, de m’avoir consacré du temps pour un entretien éclairant et chaleureux (d’humanité et de café), d’avoir par la suite répondu avec autant de disponibilité à mes questions complémentaires, d’avoir mis catalogues, articles et extraits de vidéo à ma disposition ainsi que de m’avoir autorisée à reproduire ici photos, CD-Rom présentant l’ensemble du travail de l’artiste (CD-Rom disponible en annexe, ainsi que l’émission radiophoniquede T. Génicot).

Je remercie également Denis Gielen, commissaire de l’exposition Le tableau des éléments présentée au Mac’s au Grand-Hornu d’août à décembre 2005, de s’être également rendu disponible pour un long entretien aux accents poétiquement scientifiques et scientifiquement poétiques.

Merci aussi à Benoit, pour sa traque infatiguable de toutes sortes de fautes : orthographiques, syntaxiques, stylistiques et typographiques.

2

Page 3: E d i t h D e k y n d t

Time present and time pastAre both perhaps present in time future,And time future contained in time past

----------------------------------------What might have been and what has beenPoint to one end, which is always present.

T.S.Eliot - Four Quartets

Le temps présent et le temps passéSont sans doute présents dans le temps futurEt le temps futur contenu dans le temps passé

------------------------------------------Ce qui aurait pu être et ce qui a été

Renvoient à une fin toujours présente.

3

Page 4: E d i t h D e k y n d t

4

Sommaire

1. Expérimentation du provisoire 5 Provisory object 03 5 Provisory object 01 et 02 5 Histoire du processus 6 Projection et réception 7 Choix et motivation 7

2. Edith Dekyndt et le ‘presque rien’ 9

3. Questions de temps 15 Définir le temps 16 Temps mesuré et illusion d’un ralenti 16 Temps historiques 17 Temps physique, illusion et interprétation 18 Temps de l’attention et de la tension 20 Temps de la couleur et du mouvement 22 Temps subjectif de l’abandon 23 Temps symbolique 24 Temps réflexif et temps retrouvé 27

Bibliographie 31

Edith Dekyndt - Travaux 32

Page 5: E d i t h D e k y n d t

1. Expérimentation du provisoire

Provisory object 03

Vidéo couleur1. Durée : 3’31’’. Kinshasa, 2004. Pas de bande sonore.

L’œuvre vidéo se compose d’un seul plan-séquence fixe. Le

champ visuel est occupé par un plan rapproché, filmé en plongée, cadré sur

les deux mains d’une personne de peau noire. La main gauche (sur l’écran)

entoure la droite, semblant la soutenir dans son action. Les pouce et index

de la main située à droite forment un cercle fermé, à l’intérieur duquel

tourbillonne une pellicule d’eau.

Ainsi, la vidéo montre deux actions concomitantes. Celle de

l’énigmatique phénomène physique des turbulences d’une pellicule d’eau

savonneuse capte principalement le regard : le mouvement de l’eau affiche

des vitesses différentes, un rythme changeant ; les couleurs de l’irisation

varient et, partant, la profondeur de champ dans le cercle même de la

pellicule d’eau. L’autre action apparaît comme secondaire ; il s’agit de celle

du mouvement opéré par le corps de la personne, et plus précisément de

ses bras, presque comme un balancement. Peut-être ce mouvement lui

permet-il de garder la concentration de leur force sur le serrement des

doigts. La vidéo se termine sur le desserrement des doigts et leur lâcher

juste après l’éclatement subi et la disparition de la pellicule d’eau.

La verdure aperçue dans la profondeur de champ laisse supposer

que les actions se déroulent dans un environnement naturel, à l’extérieur.

Provisory object 01 et Provisory object 02

Provisory object 03 est la troisième vidéo d’une série intitulée

Provisory object. Les deux premières vidéos - Provisory object 01 et

Provisory object 02 - se composent également d’un seul plan-séquence

fixe et d’un cadrage serré sur un gros plan de deux mains. On y voit

également les turbulences d’une pellicule d’eau savonneuse. Cependant,

dans les deux cas, les mains qui contiennent cette pellicule appartiennent

à une personne de peau blanche - ce sont les mains de l’artiste dont on

soulignera également l’immobilité, elles se joignent pour former ici aussi un

espace de forme approximativement circulaire. La scène est filmée de face,

à l’horizontale.

1 Le lecteur trouvera un long extrait de la vidéo sur le CD-Rom fourni en fin de document. Il pourra également y découvrir de nombreux autres tra-vaux d’Edith Dekyndt.

5

Page 6: E d i t h D e k y n d t

Dans Provisory object 01, les turbulences observées sont moins importantes

que dans Provisory object 03 et la gamme de couleurs s’apparente davantage

au phénomène connu de la décomposition de la lumière dans l’arc-en-ciel.

Dans Provisory object 02, l’irisation est minime et la pellicule, solidifiée, ne

disparaît pas en éclatant mais en s’envolant.

Histoire du processus

Edith Dekyndt raconte1 qu’un jour, en 1997, lui vient l’idée

d’expérimenter le comportement de la lumière sur une bulle de savon.

Filmant la scène, elle essaye d’abord, dans son bac à vaisselle, d’observer

le comportement de la bulle dans différents objets, sans résultat suffisant.

En transportant bac, objets et eau savonneuse sur sa terrasse, à l’air libre,

elle réalise qu’elle peut mieux capturer le phénomène avec la vidéo dans

des conditions atmosphériques particulières : un climat tempéré et un ciel

clair. En plaçant l’eau savonneuse au creux de ses mains, elle observe

enfin que la température du réceptacle peut créer des variables dans le

comportement de l’eau ainsi que dans la durée de vie de la membrane ;

c’est la chaleur humaine qui lui est la plus favorable. Elle cherche alors le

meilleur angle de vision et laisse sa caméra filmer. Provisory object 01 se

termine quand la pellicule d’eau éclate.

En 2000, Edith Dekyndt se trouve dans la Baie d’Hudson, dans

le nord canadien, pour son projet Program for a cold place. Profitant des

conditions climatiques très froides, elle décide de réitérer l’expérience.

Par -12°, la membrane savonneuse de l’eau portée à forte température se

sodifie en gelant au creux de ses mains et s’en détache. Provisory object 02

se termine quand la pellicule s’envole.

C’est à Kinshasa, en décembre 2004, qu’Edith Dekyndt pense

à réaliser Provisory object 03. Sa technique vidéo a évolué mais surtout,

elle croit que les conditions climatiques de plus fortes chaleur et humidité

permettront un résultat différent. Elle désire aussi confier le rôle de

‘contenant’ à une autre personne qu’elle-même, de préférence noire car elle

imagine que la texture, la chaleur et l’humidité d’une peau très différente

devraient aussi apporter des variations dans le phénomène à observer.

Les mains mises en scène dans cette vidéo sont celles d’un étudiant

congolais qui se montre d’abord réticent : pour lui, l’art vidéo n’existe pas,

il est immatériel ; faire tous ces essais ne sert donc à rien... Et pourtant, ces

derniers permettent à Edith Dekyndt de constater que, en plus de tout ce

qu’elle avait pressenti, le resserrement de la pellicule savonneuse dans une

1 Entretien avec l’artiste, Tournai, 26 juin 2005

6

Page 7: E d i t h D e k y n d t

7

seule main amplifie aussi les effets de turbulence. Ces derniers sont

encore accentués par le choix de l’angle de prise de vue radicalement

différent - la scène est filmée dos au personnage - non devant, et

en plongée, ce qui rend la membrane visuellement beaucoup moins

transparente. Cependant, l’artiste n’a pas pu empêcher (ou pas voulu)

le jeune homme de bouger...

Projection et réception

Edith Dekyndt a choisi de montrer1 cette pièce sur un moniteur,

où que ce soit. Ce format de projection vient en effet au service de son

ambiance intimiste puisqu’il focalise davantage l’attention du spectateur

qu’un grand écran.

Juste après sa réalisation, Provisory object 03 est montré

à Kinshasa. Dans ce pays riche en matières premières, la membrane

savonneuse est perçue de manière métaphorique comme un bijou, un

trésor et les mains comme un écrin protecteur. Mais la membrane est

fragile puisqu’elle éclate : les spectateurs y voient une évocation de la

situation périlleuse du pays. Dans le contexte africain actuel, le public ne

s’interroge pas sur les aspects techniques et sur la véracité de ce qu’il voit :

les sensations premières délient plutôt la langue du signifié.

En 2005, la pièce est projetée devant un public américain, à la

Oswego University de New York. Les spectateurs, davantage immergés

- voire noyés - dans le monde de l’image, réagissent par l’incrédulité : pour

eux, ce qu’ils voient là est de l’image de synthèse. Eduqués à la surenchère

médiatique visuelle, ils ne peuvent ni imaginer ni accepter que cette vidéo

ne comporte pas d’insert numérique, qu’elle a filmé du réel en temps réel

et qu’elle est projetée en temps réel. Un homme plus âgé, ayant dépassé

la soixantaine, raconte pour les autres les bulles de savon de son enfance.

Ils n’en ont jamais faites... Dans ce contexte où le virtuel l’emporte souvent

en vérité sur le réel, les mots sont devenus indispensables pour exprimer la

magie du simple, remplaçant les sensations premières qui semblent avoir

disparu.

Choix et motivation

J’ai découvert Provisory object 03 lors de l’exposition Le tableau

des éléments, présentée au Mac’s au Grand-Hornu d’août à décembre

1 Entretien avec l’artiste, op cit.

Page 8: E d i t h D e k y n d t

2005. Si j’ai choisi ici d’analyser cette vidéo, c’est parce que j’ai

littéralement été sous son charme, hypnotisée pour ne pas dire quasiment

envoûtée : je l’ai regardée plusieurs fois d’affilée, non avec un oeil

analyste mais avec mon corps - événement rare et précieux, qui ne m’était

probablement plus arrivé depuis que, jeune adulte, j’avais resquillé au

cinéma en assistant quatre fois de suite à la projection de Shining, film d’un

tout autre registre mais qui avait révélé en moi une semblable intensité de

sensations.

J’ai dès lors été surprise et confortée dans mon choix en

entendant Raymond Balau, dans l’émission Le monde invisible que Thierry

Génicot a consacré à Edith Dekyndt, dire que pour lui Provisory object

- il parle alors des deux premières vidéos de la série - est son travail le

plus représentatif parce qu’il met en exergue l’écart irréductible entre

deux surfaces corporelles : celle de la personne mise en scène et celle

du spectateur, écart indispensable dans la relation d’un corps qui parle au

corps des autres1.

Lorsqu’a lieu l’installation de l’exposition Le tableau des

éléments au Mac’s, l’artiste et le commissaire - Denis Gielen - essayent

plusieurs emplacements pour Provisory object 03. Dans ce parcours

dont l’enchaînement d’oeuvres doit faire sens et ouvrir à la dimension

poétique de la science, l’oeuvre vidéo est finalement montrée sur un

moniteur classique dans l’habituelle petite salle de documentation, située

géographiquement à peu près au centre du Musée. Le commissaire2

considère cette pièce comme pivot de l’exposition, non seulement pour

sa ‘concrétude’ mais aussi parce que sa fluidité et sa ‘chaleur’ offraient

une césure dans les caractéristiques de structure, symétrie, froideur des

oeuvres qui venaient avant et après. C’était une station dédiée à la vie dans

un cheminement qui évoquait beaucoup la mort, quoique sans tomber dans

la mélancolie. Il fallait donc pour cette oeuvre un lieu à son image, un lieu

d’articulation mais qui soit de repli, caché, confiné mais à découvrir.

Son charme et la magie qui s’en dégage semblent avoir séduit le

public. Autour de moi, il n’était pas rare que d’autres personnes regardent

plusieurs fois - ce qu’a également observé Denis Gielen - et je ne crois pas

que la durée de la projection suffise à l’expliquer. J’y vois plutôt la réponse

au besoin de satisfaire un désir bien commun pour nous tous qui vivont

souvent en accéléré : éprouver le plaisir du temps qui passe, fussent-ils tout

deux (plaisir et temps) éphémères. Car le souvenir, lui, reste.

1 in A la rencontre d’Edith Dekyndt - émission radiophonique de la série intitulée Le monde invisible, réalisation Thierry Génicot, production RTBF, décembre 2004 . Le lecteur trouvera une copie de cette émission sur un CD fourni en fin de document.

2 Propos dégagés de mon entretien avec Denis Gielen, Grand-Hornu, 13 juillet 2006

8

Page 9: E d i t h D e k y n d t

2. Edith Dekyndt et le ‘presque-rien’ 1

Edith Dekyndt ne se considère pas comme vidéaste et dit utiliser

la vidéo comme moyen de capturer le fugace, parce qu’elle vit de manière

relativement nomade2, entre Tournai - son point de chute, Strasbourg - son

point de travail comme enseignante, New York, Bruxelles, Winnipeg, Mexico

ou Utrecht - ses points d’errance, d’exposition, d’expérimentation, de

travail comme artiste. Pierre-Olivier Rollin, directeur du BPS22 à Charleroi,

se souvient qu’en découvrant son travail en 1998 à l’Espace L’Escaut à

Bruxelles, il l’avait davantage perçu comme de la sculpture dont les états

physiques de transformation étaient filmés3.

Pourtant, même si l’artiste utilise aussi la photographie,

l’installation et le son comme medium, elle a depuis longtemps fait de la

vidéo son langage. Dès 1985, «elle réalisait des environnements avec le

désir de mettre en avant la lumière et les plans en fonction de l’espace

et du spectateur4» écrit Raymond Balau, architecte et critique d’art. Les

éléments qui feront l’essence de son travail sont alors déjà inscrits : relation

au monde par l’environnement et l’empirisme scientifique, relation à l’autre

qu’elle veut transformer de récepteur en ‘perceveur’5, par humanisme.

Admiratrice de Piero Della Francesca à qui elle consacre une étude, elle

investit la géométrie comme accès à la mise en situation d’objets.

Au début des années 1980, elle s’essaye à la vidéo - encore analogique -

parce que, dit-elle, « j’en avais trouvé une pas chère sur une brocante et

que ça m’amusait6». Naît alors une autre relation, déterminante pour faire

exister et rendre visibles l’impalpable, le ténu, l’invisible, l’éphémère : entre

elle et la vidéo, s’installe la vision moléculaire de l’instant, celui-là même

qu’elle ne se lasse pas de voir chez Vermeer – ‘voir’ au sens d’état et non

d’interprétation, comme le définit Wiggenstein.

Petit à petit, ses préoccupations formelles s’estompent au profit

du processus et de l’expérimentation. Les objets, toujours présents, se

manifestent davantage comme indicateurs d’une «prise de note sur un

quotidien éphémère et dense, qu’il se loge dans ‘l’inframince’ ou ‘l’infra-

ordinaire’, soit entre les choses7». Face à l’obsession contemporaine de la

réalité apparente, Edith Dekyndt oppose une patience active et se retranche

dans les petits-riens : une tenture, une chaussure, une rondelle élastique,

un aquarium, un pull, une brique de lait, une moisissure, une capillarité, une

bulle de savon, deviennent le sujet d’une interrogation. ‘Que se passerait-

il si… ?’, voilà le début de l’hypothèse qui réserve sa part à l’aléatoire et

fonde le paradigme du travail du laboratoire sans frontières dans lequel

officie l’artiste, plutôt que dans un atelier. Dans une économie de moyens,

1 L’expression est empruntée à Vladimir Jankélé-vitch, «Le presque-rien», Premières et dernières pages, Ed. du Seuil, Paris, 1954 [1994]

2 Entretien avec l’artiste, op cit.

3 in A la rencontre d’Edith Dekyndt, op cit.

4 in A la rencontre d’Edith Dekyndt, op cit.

5 in Appréhension des invisibilités, Niel Minuk, in Universal research of subjectivity, plaquette sur la globalité du travail de l’artiste, éditée par le BPS22-Charleroi à l’occasion de l’exposition personnelle d’Edith Dekyndt intitulée Any re-semblance to persons, living and dead, is purely coincidental, 2004

6 Entretien avec l’artiste, op cit.

7 in Substances volatiles, haut pouvoir de disper-sion, Sandra Cattini, avril 2004, édité dans Univer-sal research of subjectivity, op cit.

9

Page 10: E d i t h D e k y n d t

celle-ci se frotte aux techniques des sciences expérimentales, essaye,

recommence encore et encore, considérant que de toute façon une pièce

n’est jamais finie1. « La critique subtile que fait Dekyndt des notions

capitalistes de productivité, de science et de technologie, entretient le débat

autour d’une certaine notion commune à l’art conceptuel, au minimalisme,

à l’Arte Povera et même à Fluxus. La rencontre avec l’immédiat et le

médiatisé, l’emphase sur la perception du spectateur et sur le processus

ainsi que la remise en contexte du quotidien, sont tous combinés de

différentes façons dans son œuvre2».

Son projet est clairement subjectif, ses buts davantage poétiques

qu’objectifs. En investiguant dans le domaine de la perception et dans celui

de l’abstraction, elle développe la vision phénoménologique. Parce qu’elle

est à la recherche de l’expérience esthétique profonde, elle ouvre des

écrans sur des expériences - ancestrales, collectives, naturelles, lentes,

liquides, gazeuses - inscrites dans l’être de chacun de nous par la mémoire,

les sensations, le psychisme, la synesthésie, écrans qui s’ouvrent à leur

tour sur nos expériences individuelles de sujet. Tenter de conjuguer ces

deux formes différentes d’être au monde - l’infime et l’intime - pour montrer

leur complémentarité et leur union dans une approche de l’infini relève de

l’intention métaphysique. En cela, elle propose aux spectateurs un travail

exigeant, qui demande de l’investir bien qu’il soit en apparence simple.

« Edith est apparemment à la recherche des significations fondamentales

universelles3», à la recherche d’une vérité d’avant la langue, une vérité

première dans laquelle l’individu n’a pas besoin de son ‘moi’. On ne

s’étonnera donc pas d’apprendre qu’en 1999, elle fonde un collectif (non

structuré) : Universal research of subjectivity. Explicite quant à la direction

du travail artistique, cette appellation veut aussi dépasser le mythe de la

personnalisation de l’œuvre, qui selon elle n’a plus de sens dans notre

monde de rhizomes et de réseaux, même si le monde de l’art en change

difficilement. C’est sans doute pour cela que l’intuitif Denis Gielen l’imagine

plus tard en «dame âgée à la tête d’une nébuleuse parce qu’elle s’efface de

plus en plus, en tant qu’elle-même4». Quant à moi, je parie que son chemin

de contemplation lui préservera malgré tout ses airs de jeunesse…

Cette discrète femme aujourd’hui quadragénaire s’avère

paradoxalement bavarde : en une quinzaine d’années, elle a réalisé un

nombre impressionnant d’œuvres - parmi lesquelles Worthlessness (1997)

- série de 4 vidéos montrant les circonvolutions aériennes et poétiques d’un

sac plastique dans différents environnements, Star System (2001) - capture

vidéo de la durée de la révélation de l’image d’un polaroïd-photographie

d’un quartier résidentiel hollywoodien, Alone at home (2001) - installation

1 Entretien avec l’artiste,op cit.

2 in Le travail se fait lorsque vous dormez, Rodney Latourelle, in Universal research of subjectivity, op cit.

3 in Appréhension des invisibilités, Niel Minuk, in Universal research of subjectivity, op cit.

4 in A la rencontre d’Edith Dekyndt, op cit.

10

Page 11: E d i t h D e k y n d t

vidéo qui donne à voir de l’extérieur les riches effets lumineux produits

par un téléviseur allumé dans la nuit, ou encore Program for a cold place

(2000) - surprenante saisie vidéo de l’explosion d’une bouteille de lait en

verre par -40°.

Le nombre des expositions auxquelles Edith Dekyndt a participé

ou qui lui ont été consacrées n’en est pas moins édifiant, de même que la

quantité de villes essaimées sur le globe où elles se sont tenues1.

Pourtant, les textes consacrés à son œuvre restent rares2 et la

reconnaissance des institutions encore frileuse. Chez elle, pas d’icônes

médiatiques mais une nécessité de décantation, un investissement pour

transmettre. Ceci explique peut-être cela…

1 et 2 Le lecteur en trouvera une liste relativement complète respectivement en annexe et dans la section bibiographique, p. 31-32

11

Page 12: E d i t h D e k y n d t

Worthlessness, 1997, installation de quatre vidéos, présentée en 2001 à la Biennale de Venise

Slow object, vidéo, 1997

Star System, vidéo, 2001

12

Page 13: E d i t h D e k y n d t

Alone at home, vidéo, 1999

Program for a cold place, vidéo, 2000

Ci-contre et ci-dessus : Any resemblance to persons, living or dead is purely coincidental, sound and video installation, BPS 22/Charleroi, 2004

13

Page 14: E d i t h D e k y n d t

«L’idée est la même, l’idée que nous sommes faits pour l’art, que nous sommes faits pour la mémoire, que nous sommes faits pour la poésie ou que, peut-être, nous sommes faits pour l’oubli.

Mais quelque chose demeure, et ce quelque chose c’est l’histoireou la poésie, qui ne sont pas essentiellement différentes.»

Borges, La Divine Comédie,in Conférences, Ed. Gallimard, 1985, p.16

14

Page 15: E d i t h D e k y n d t

3. Questions de temps Pourquoi s’attacher à la notion du temps plutôt qu’à celle du

réel alors qu’il est ici question de phénomène de perception ? En premier

lieu parce, comme le disait Nam June Paik : «La vidéo, c’est le temps1».

«La technologie vidéo n’est pas une technologie temporelle uniquement

parce qu’elle module la matière-temps. Elle l’est également parce qu’elle

fonctionne toujours sur une durée. Car, à la différence du cinéma, elle

n’existe, à proprement parler, qu’en direct, dans l’événement2». De plus,

il me semble qu’au-delà des apparences, Edith Dekyndt nous parle de

l’existence elle-même et que son sentiment viscéral de relation au vide

et à ce qui n’est plus la conduit à une réflexion concrète sur le temps.

Son travail dit «le temps immémorial, le quotidien fugace et surtout

l’inéluctable transformation du vivant3».

Toute une série d’oxymores peuvent qualifier son travail :

prodondeur du superficiel, intérieur du dehors, extérieur du dedans, visibilité

de l’invisible, proximité de l’éloignement, subjectivité de l’universel, intime

du collectif ou universalité du subjectif. Mais, en accord avec Denis Gielen,

celui qui me paraît le mieux convenir à Provisory object 03 se formule

dans un paradoxe temporel : ‘contemplation active’4. Par la poétique de la

condensation du fluide, cette vidéo ressuscite une substance vivante qui

sous-tend tous les événements (qu’ils soient anodins, comme ici, ou graves).

C’est un moment privilégié qui ouvre sur le déploiement psychique et les

espaces intérieurs qui sont au fondement de la sensation de durée.

Provisory object 03 est une machine à réinventer le temps, qui

le réenchante en l’affranchissant de son ordre. C’est une machine à vivre

intensément, non dans la vitesse mais dans la lenteur, dans un temps à

l’état pur. C’est un fugitif qui ouvre à l’intemporel et qui appartient pourtant

bien à son époque : celle de la vidéo et du numérique. Cette oeuvre est

aussi une adresse à l’autre, une oeuvre ouverte au sens où l’entend

Umberto Ecco. Oeuvre construite, elle engage le spectateur dans un

cheminement qui le conduit - s’il le veut bien - vers une transformation,

par étapes temporelles. S’inscrivant dans la forme sociale de l’art, elle

appartient à l’ ‘art relationnel’5. Elle montre l’essentiel dans l’infra-mince

qui se cache entre l’objectif et le subjectif, ce dernier voguant dans une

multiplicité de temps : passé, présent et futur. Son dynamisme du bougé

met non seulement la matière en mouvement mais aussi l’Autre, inscrivant

ainsi plusieurs trajectoires à travers la dimension du temps et de l’Etre :

celui que nous étions et que nous n’avons jamais cessé d’être, celui que

nous sommes, et celui que nous serons.

3 Ecoulements de Temps, Raymond Balau, in A+, Ed. Ciaud (Centre d’information de l’architecture, de l’urbanisme et du design asbl), Bruxelles, juillet 1997

4 Oxymore emprunté à Denis Gielen, entretien avec lui, Grand-Hornu, 13 juillet 2006

5 Expression empruntée à Nicolas Bourriaud et aujourd’hui admise communément dans le monde de l’art pour qualifier toute démarche artistique qui entend conduire le spectateur à une participation à l’oeuvre et un échange avec elle. Esthétique relationnelle, Ed. Presses du réel, 2001

1 Cité par Maurizio Lazzarato, Paik et Bergson : la vidéo, les flux et le temps réel, in Vidéo topiques/tours et retours de l’art vidéo, catalogue d’exposi-tion, Ed. Les Musées de Strasbourg, 2002, p.27

2 Paik et Bergson : la vidéo, les flux et le temps réel, Maurizio Lazzarrato, in Vidéo topiques/tours et retours de l’art vidéo, catalogue d’exposition, Ed. Les Musées de Strasbourg, 2002, p.30

15

Page 16: E d i t h D e k y n d t

Définir le temps

Héraclite, Aristote, Saint Augustin, Newton, Kant, Niezsche,

Bergson, Einstein, Heidegger, Hegel, Jankelevitch : de tous temps,

philosophes et scientifiques n’ont eu de cesse de tenter de définir le temps,

montrant ainsi combien la tâche est ardue mais surtout qu’elle reste une

question de point de vue.

Combien de temps dure l’instant ? 10-34 secondes, selon la constante

de Planck ? Le temps est-il objectif ou subjectif ? Sommes-nous prisonniers

du temps ? De combien de dimensions le temps est-il fait ? Entre le temps

métaphysique et le temps de l’inconscient, quelles différences ? Y a-t-il un temps

de l’imaginaire ? Que peut-on affirmer du temps, si ce n’est que pour l’humanité,

il passe. La temporalité - au sens du temps de la conscience selon Bergson

- est le mode d’être de l’homme, sa façon d’être-au-monde, son ‘exister’.

Temps mesuré et illusion d’un ralenti

Provisory object 03 est une vidéo dont la durée n’était pas

prédéterminée. Par définition, elle a été tournée en temps réel mais n’a

subi aucune modification de temps :

ni coupure, ni montage, ni inversion,

ni ralenti. Pourtant, a posteriori et

sachant d’évidence - même sans

en connaître le minutage, par

habitude de vivre dans la temporalité

- que son format horaire est court,

certains spectateurs dont moi-même restent

étonnés que ce qu’ils ont vu dure aussi longtemps, voire imaginent que la

scène a été filmée au ralenti.

Essayer d’expliquer ce phénomène fait appel à la notion d’espace.

C’est comme si le temps de vie du contenu - la membrane savonneuse, en

adoptant un autre rythme, se détachait du temps de vie du contenant - la

personne dont la main forme un creux, un vide. L’impression d’illusion est

probablement renforcée par la présence de deux mouvements différents,

deux actions entre lesquelles notre regard doit choisir pour se concentrer :

les turbulences de la membrane d’un côté et de l’autre, le mouvement du

corps. La préférence est accordée à la première, sorte «de topologie du

temps qui s’est rendu accessible1», d’autant plus que le visage qui aurait

permis un processus d’identification, a disparu dans le hors-champ.

«Le commencement de la réflexion philosophique,

pour les hommes d’aujourd’hui comme pour ceux d’antan,

a été l’étonnement.»

Aristote, Métaphysique, Livre 1 Partie 2

1 Y aura-t-il copropriété dans l’espace des données ?, Bill Viola, in Vidéo, Communications n° 48, Paris, 1988, p.72

16

Page 17: E d i t h D e k y n d t

En finalité, c’est la pellicule-écran, imprimée par l’image, qui offre

un cadre temporel. A l’expérimentation d’abord, en lui permettant de passer

du conditionnel (et si...) au présent : c’est la vidéo qui filme et enregistre.

A l’expérience de la vision ensuite, en lui imposant un double temps.

Un temps réel : c’est le DVD et l’écran qui projette l’objet vidéographique

doublé d’un temps distendu : c’est l’écran-pellicule au creux de la main.

A la décantation ensuite, procédé réflexif qui se réfère au souvenir encadré,

qui ne pourrait avoir lieu si le cerveau n’avait imprimé l’image.

En vidéo, le concept de temps réel va plus loin que la

temporalité chronologique. S’opère en effet un dédoublement du temps.

«Les technologies de la vision (...) nous libèrent de la subordination du

temps au mouvement et elles nous donnent un accès à une expérience

directe du temps. Ce mouvement libéré de tout mobile est le temps

non chronologique, le mouvement intensif, temps de l’événement. Ce

mouvement capable de prolonger le passé dans le présent et de l’ouvrir à

l’avenir est un présent qui est (....) la coexistence du passé et du présent

et leur continuel passage, le temps qui fair surgir le mouvement, qui ouvre

(...) des virtualités inédites. L’instant est ici un devenir, qui, au lieu d’être

passivement enchâssé entre le passé et le futur, devient germinatif et

développe des coordonnées ontologiques1».

Temps historiques

En référant aux gestes de l’enfance, Provisory object 03 met en

scène un double temps historique : collectif et subjectif. Avons-nous tous

joué à faire des bulles de savon dans notre jeunesse ou, si nous sommes

restés jeune, plus tard aussi ? On aimerait répondre par l’affirmative mais

l’exemple de la réception américaine de la vidéo2 montre que ce n’est

pas le cas. Cependant, ne fût-ce qu’en évoquant le tableau de Manet3

ou les récits de nos parents et grands-parents, il est possible de dater

historiquement la période durant laquelle la bulle de savon représentait un

des favoris parmi les rares jeux des enfants. D’autre part, pour tous ceux

parmi les spectateurs qui eurent le bonheur de souffler dans une pipe à

bulles, la magie a conservé le souvenir bien prégnant. Aussi, en regardant

cette oeuvre, ils évoquent consciemment (en silence pour eux-mêmes ou

en fanfare !) un moment de leur passé personnel, à l’instar de Proust et

sa madeleine.

3 Les bulles de savon, Edouard Manet, 1867

2 Cfr supra p. 7, paragraphe 3

1 Paik et Bergson : la vidéo, les flux et le temps réel, Maurizio Lazzarrato, in Vidéo topiques/tours et retours de l’art vidéo, catalogue d’exposition, Ed. Les Musées de Strasbourg, 2002, p.32

17

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Cette vidéo ressemble à une peinture, un tableau : écran LCD et

technologie numérique obligent. C’est la texture liquide de notre présent

historique qui donne à voir et dans laquelle notre oeil plonge d’y être

habitué.

Enfin, Provisory object 03 véhicule l’histoire de l’Afrique, et son

présent. Sa réception à Kinshasa1, au Congo, a mis en lumière le passé

de la colonisation qui a exploité les richesses du sol, appauvrissant le

pays rendu à l’esclavage. Elle a aussi mis son présent de l’indépendance

politiquement difficile en évidence : le pays détient encore assez

de matières premières mais, faute de moyens, ne peut s’en enrichir

financièrement. Le minerai et son image se retrouvent dès lors investis

par le peuple congolais et sa mémoire collective, d’un lourde charge

symbolique.

Temps physique, illusion et interprétation

Provisory object 03 présente deux phénomènes physiques

conjoints mais dissociables : d’une part, les turbulences et d’autre part,

l’irisation, par décomposition de la lumière.

La turbulence2 titille les scientifiques depuis longtemps et reste

mystérieuse malgré leurs efforts. Jusqu’à présent, ni la physique classique,

ni la mathématique, ni la mécanique des fluides ni la théorie quantique des

champs ne sont parvenues à expliquer la turbulence au moyen d’une formule

avérée3. Pourtant, l’enjeu est de taille, notamment pour la météorologie et

ses prévisions. Pour preuve, l’annonce en 2000 par la Fondation Clay au

Collège de France de l’octroi d’un de ses sept prix d’un montant d’un million

de dollars à ce défi (qui n’a pu être à ce jour, semble-t-il, relevé).

On trouve des turbulences un peu partout : les volutes de fumée

d’une cigarette, les arabesques de la crème versée dans le café ou encore,

dans l’Univers primitif, les fluctuations de densité qui donnèrent naissance aux

grandes structures de l’Univers actuel, comme les amas de galaxies. Il semble

que ce soit Léonard de Vinci qui, le premier, nomma de l’italien ‘turbolenza’ les

mouvements complexes de l’eau ou de l’air, donnant ainsi au mot une nouvelle

signification qui fit disparaître la précédente : mouvements désordonnés d’une

foule, troubles (du latin ‘Turba’ qui veut dire foule). Fin observateur,

il en dessina les volutes mais aussi les structures, mettant ainsi en exergue

par la représentation leur caractère chaotique4. Précisément, la théorie du

chaos montra plus tard l’aspect non prédictible des turbulences, en tout cas à

2 «La turbulence désigne l’état d’un fluide, liquide ou gaz, dans lequel la vitesse présente en tout point un caractère tourbillonnaire : tourbillons dont la taille, la localisation et l’orientation varient constamment. (...) Elle apparaît lorsque la source d’énergie cinétique qui met le fluide en mouvement est relativement intense devant les forces de visco-sité que le fluide oppose pour se déplacer.»Encyclopédie Wikipédialien url : http://fr.wikipedia.org/wiki/Turbulence

3 Cette partie de l’exposé traitant du phénomène physique de la turbulence s’inspire largement du texte de la 177ème conférence de l’Université de tous les savoirs, donnée le 25 juin 2000 par Uriel Frisch et intitulée La turbulence. Ce texte est consultable en ligne à l’adresse suivante : http://www.obs-nice.fr/etc7/utls/index.htmlMalgré la teneur hautement scientifique de son propos, j’espère n’en avoir trahi ni les informations ni leur sens.

4 Dessin de Léonard de Vinci illustrant des re-circulations à l’aval d’un élargissement brusque, reproduit dans l’article référencé ci-dessus.

1 Cfr supra p. 7, paragraphe 2

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des régimes de turbulence développée. De son côté, la théorie quantique

des champs a mis l’accent plus récemment sur les ruptures observées dans

le mouvement des tourbillons. La mathématique, quant à elle, a démontré

que l’accélération de la turbulence est proportionnelle au carré de la vitesse et

qu’au terme d’un temps non prévisible mais fini, le fluide explose (aujourd’hui,

la mathématique s’efforce de trouver la formule du liquide ‘parfait’, c’est-à-dire

de celui qui n’explose pas ou dont la viscosité empêcherait l’explosion...).

Ce petit détour par la science permet de dégager plusieurs

caractéristiques observables dans les turbulences de la membrane

savonneuse de Provisory object 03 et qui, connues, autorisent à dévoiler et

surtout tenter de saisir son mystère. En effet, c’est bien de mystère dont il

s’agit et nous pouvons constater qu’il reste entier, ce qui motive une attirance

irrésistible chez toute personne, qu’elle soit portée sur le scientifique ou non

- le mystère étant doté d’un pouvoir de séduction peu contestable au vu de

l’engouement du public pour les films narrant des histoires d’inconscient,

occultes, fantastiques ou de science-fiction. Si la pellicule savonneuse de la

vidéo d’Edith Dekyndt connaît des turbulences, c’est parce que l’eau confinée

par les deux fines couches de savon qui la composent s’écoule, suite à un

mouvement imprimé au départ. Retenons également la caractéristique de

la rupture. Le mouvement de l’eau en accuse de nombreuses, marquant

des ruptures de temps et des variations de vitesse. Je crois donc pouvoir

déduire que le chaos issu de la conjugaison de ces dernières et qui imprime

des actions différentes et identifiables au liquide contribue à la sensation

d’un temps distendu, d’une durée plus longue que le temps réel. Enfin, une

observation minutieuse de la vidéo conduit à constater qu’en effet, la vitesse du

mouvement de l’eau s’accélère de plus en plus jusqu’à l’explosion.

L’autre phénomène concerne l’iridescence qui rappelle les couleurs

de l’arc-en-ciel. Cependant, contrairement à Provisory object 01, les

couleurs ici présentes s’en

éloignent progressivement au

rythme de l’accélération des

turbulences, pour se confiner dans

une palette plus tellurique, soit

dans la gamme chaude des bruns

et des rouges, coupée du blanc de l’écume. Plusieurs éléments expliquent

cette différence. D’une part, sachant que le phénomène d’irisation trouve son

origine dans «les interférences entre les rayons se réfléchissant sur la surface

extérieure de la bulle et les rayons se réfléchissant sur la surface intérieure

de la bulle1», il est aisé de déduire que, dans le cas de Provisory object 01,

l’ouverture opérée par la jonction des deux mains jointes crée une surface de

1 in Bulle de savon, article de l’encyclopédie wikipédia, lien url : http://fr.wikipedia.org/wiki/Bulle_de_savon

«Il y a des illusions d’optique dans le temps comme dans l’espace.»

Marcel ProustA la recherche du temps perdu

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réception de la lumière quasi équivalente en bas qu’en haut, donc beaucoup

plus large dans le bas que dans Provisory object 03, où la seule main resserrée

comme un entonnoir - qui plus est, entourée par l’autre main - diminue

considérablement la superficie, soit également le passage des rayons lumineux

et offre à ceux qui y parviennent l’environnement sombre de la peau noire.

En outre, le choix du point de vue pour la capture de la vidéo influence cette

donnée, puisqu’il favorise une moindre incidence de la lumière qui aboutit à un

effet beaucoup moins transparent et brillant de la membrane savonneuse1.

Cette vidéo met le temps en lumière - et ce n’est pas seulement

selon l’expression consacrée mais littéralement - et en matière. Se pose ici

la question de l’instantanéité. Edith Dekyndt admire le travail de Vermeer.

Elle sait que pour ressentir l’impression de l’instant en en regardant un

tableau (un des plus exemplatifs de cette sensation étant sans doute La

Laitière1, avec son filet de lait qu’on voit littéralement couler), il est bon de

se placer à la bonne distance - c’est-à-dire à la même que celle du peintre

lorsqu’il le peignait2, travaillant avec une camera obscura. Sans doute

est-ce pour cette raison qu’elle a tenu, lors de l’exposition Le tableau des

éléments, à projeter sa vidéo sur un moniteur standard alors qu’il était

disposé au fond d’une salle étroite mais profonde.

Vermeer rendait aussi ses scènes ‘réelles’ en mettant la focale sur ses

personnages principaux par un travail sur la lumière et la lenteur de la

contemplation. Le mystère qu’elles contiennent fait écho à la sensualité de

la matière picturale, épaisse et laiteuse. Edith Dekyndt elle aussi joue avec

la lumière : les rayons lumineux viennent de la gauche et créent l’irisation

de la membrane. Ils mettent également en évidence la partie intérieure de

la main resserrée, plus claire par nature et plus réceptive à la lumière, qui

forme ainsi par contraste avec la tonalité plus sombre du reste de la main

un pourtour à la matière savonneuse, comme le sable, par exemple, le

fait autour d’un point d’eau dans le désert. Ainsi, la membrane se détache

visuellement, et bien que naturelle donc réelle, elle passe pour de l’image

de synthèse d’un insert numérique. La trame de la vidéo fait de cette scène

un tableau vivant, sensation renforcée par la sensualité des éléments

naturels et par leur texture : le bouillonnement visqueux de l’écume, le grain

et les sillons de la peau (accentués par son caractère foncé) et le flou des

brindilles d’herbe dans la profondeur de champ.

Temps de l’attention et de la tension

Provisory object 03 est composé de deux gros plans emboîtés :

celui cadré sur les mains contient celui de la pellicule en mouvement. Pour

1 Johannes Vermeer, La Laitière, vers 1658-1660, Rijksmuseum, Amsterdam

2 Johannes Vermeer, L’art de la peinture, vers 1665

Bien que ne représentant pas la camera obscura, ce tableau illustrant le peintre en situation de tra-vail donne une idée de la distance.

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Page 21: E d i t h D e k y n d t

Gilles Deleuze, le gros plan constitue une ‘image-affection’. Dans son livre

L’image-mouvement, il définit le gros plan comme un visage, même s’il

s’agit d’un objet. Il s’appuie sur l’exemple de l’image d’un cadran d’horloge

dont les aiguilles sont animées de micro-mouvements entrant dans une série

intensive qui prépare irrémédiablement un paroxysme, et dont la surface

immobile est réceptive à l’inscription du suspens1. Elle est, dit-il : «unité

réfléchissante et réfléchie. (...)

Et chaque fois que nous

découvrirons en quelque chose

ces deux pôles, surface

réfléchissante et micro-

mouvements intensifs, nous

pourrons dire : cette chose a été traitée comme un visage (...) et à son tour

elle nous dévisage, elle nous regarde2». Même si l’insert n’est pas une

illusion mais est naturel, notre vision choisit de le voir comme tel. C’est

exactement comme devant un tableau de Vermeer, dont on peut avancer

qu’il fût sans doute l’inventeur du ‘voir’.

Selon Jean-Maurice Monnoyer, spécialiste des illusions

perceptives et de la perception de la forme3, notre vision procède

de manière naturelle et biologique à une interprétation de l’image en

s’attachant à un ensemble de structures de représentation. En quelque

sorte, notre attention découpe un phénomène visuel en choisissant ce qui

l’intéresse : c’est la qualité directionnelle qui préside au concept de la forme

dans la Gestalt. Ainsi, une expérience directe de vision nous donne l’illusion

d’avoir un accès direct au monde extérieur mais c’est une méta-illusion,

une illusion de l’illusion elle-même.

En choisissant de porter sa tension vers la pellicule savonneuse, l’attention

ne lit plus une action, mais une situation c’est-à-dire une «situation

purement optique (...) [qui] éveille une fonction de voyance4». C’est

«L’image-temps [qui] permet (...) un au-delà de l’image (...) L’image n’est

plus un duplicata du visible ; elle est en soi un nouveau visible (...) Même

si le mouvement n’est pas absent de l’image-temps, le rapport entre le

mouvement et le temps s’y inverse : le temps ne se subordonne plus au

mouvement, n’en découle plus. [C’est donc alors] l’expérience - au sens de

la durée bergsonienne - de la vie, du mouvement de l’image-temps comme

expérience directe du temps, de la pensée, de la mémoire5».

La forme privilégiée par l’oeil et visagéifiée par le gros plan

deviennent temporalité et c’est comme si la vidéo d’Edith Dekyndt

agissait de manière hypnotique, exerçant une attirance irrésistible sur la

perception extérieure. Le caractère fascinant de cette image-temps captive,

«Il est vrai à la fois que le monde est ce que nous voyons et que, pourtant, il nous faut apprendre à le voir.»

Merleau-Ponty, Le visible et l’invisible,Ed. Gallimard, Paris, 1964, p. 18

1 Propos résumés de ceux de Gilles Deleuze, in Chapitre 6 l’image-affection : visage et gros plan, in L’image-mouvement/cinéma 1, Les Editions de Minuit, Paris, 1983, p. 125

2 Chapitre 6 l’image-affection : visage et gros plan, Gilles Deleuze, in L’image-mouvement/cinéma 1, Les Editions de Minuit, Paris, 1983, p. 126

3 Propos résumés de la conférence de Jean-Marie Monnoyer intitulée Illusions perceptives et perception de la forme, à l’invite de Yves Michaux, à l’Université de tous les savoirs, le 9 juillet 2001. L’enregistrement vidéo est consultable en ligne avec l’url : http://www.canal-u.education.fr/canalu/chainev2/utls/programme/330979_illusions_per-ceptives_et_perception_de_la_forme/

4 L’image-temps/cinéma 2, Gilles Deleuze, Les Editions de Minuit, Paris, 1985, p. 30

5 De l’image-temps chez Duras, Resnais et Robbe-Grillet, Julie Beaulieu, in Cadrage.net, 1ère revue en ligne universaitaire de cinéma, janvier-février 2002, url :http://www.cadrage.net/dossier/imagetemps/imagetemps.html

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Page 22: E d i t h D e k y n d t

capture le spectateur dans une relation à vivre qui demande du temps et

en crée en retour, mettant ainsi en oeuvre la métaphysique de Kant sur

l’idéalité transcendentale du temps comme condition formelle a priori de

tous les phénomènes - l’espace étant la forme pure des phénomènes

extérieurs, le temps celle du sens interne1.

Temps de la couleur et du mouvement

Comme chez Proust la robe rouge d’Oriane à la soirée de

Guermantes est une incarnation érotique, dans Provisory object 03 la

gamme de couleurs foncées et très claires sont l’incarnation de l’univers,

non en tant que «chose, mais possibilité, latence2».

L’iridescence et les turbulences

donnent à l’image de l’insert la

force de l’abstraction mouvante,

qui participe elle aussi au

phénomène hypnotique.

Au départ, comme il le ferait en

suivant le filet de crème dans le café, l’oeil suit les circonvolutions de

l’écume créée par le bouillonnement : elle traduit le mouvement. Elle prend

de plus en plus d’importance et donne ainsi de la profondeur à l’écran

savonneux. Mais lorsque les turbulences s’accélèrent, augmentant encore

la profondeur, c’est comme si la vision s’inversait : l’oeil alors privilégie

le foncé, la part d’ombre, qui pourrait bien être celle de l’âme. La vue est

aspirée par le mouvement et la sensation éprouvée évoque le tombé dans

le vide. Cependant, c’est le moment paroxistique où la temporalité elle aussi

s’inverse : se vit la sensation d’un temps qui s’écoule plus lentement, car

l’angoisse d’être englouti correspond au sentiment de la fin de l’instant,

traduit l’approche de la mort. Au moment de l’explosion s’installe une

courte immobilité du temps, une césure, un passage entre le temps du

mouvement, de l’événement, de l’instant, de la vidéo, et celui du réel,

auquel nous retournons avec un nouveau morceau d’être, impressionnés

d’avoir assisté aux secousses du vide tout en se sentant en plénitude,

tout à coup conscients d’éprouver dans le même temps des émotions si

contraires, tout à coup conscients que ce qui s’en dégade est l’essentiel.

«La couleur révèle le travail de la manifestation, ‘l’animation interne’ du

visible, le creux de l’Etre où le contemplateur peut naître ou se reposer3».

1 Notion empruntée à mon cours de philosophie de première candidature en philologie romane, UCL, 1978-79

«Le noir ramène au fondement, à l’origine.»

Henri Michaux, Emergences, Résurgences,cité par Anne-Marie Duguet, Déjouer l’image/Créations électroniques et numériques, Ed. Jacqueline Chambon, Nîmes, 2002, p. 58

2 Le visible et l’invisible, Merleau-Ponty, Ed. Gallimard, Paris, 1964, p. 180

3 Le visible et l’invisible, op cit. , p. 175L’expression ‘animation interne’ est citée par Merleau-Ponty lui-même dans L’oeil et l’esprit, Ed. Gallimard, Paris, 1964, p. 75

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Page 23: E d i t h D e k y n d t

Temps subjectif de l’abandon

Voici venu le temps de la fuite - si chère à Laborit, le temps

où l’on décide de prendre le temps de s’évader pour s’abandonner à

l’essentiel. C’est un temps subjectif, qui appartient à chacun, qui ressort de

la perception intérieure, un temps suspendu en conscience. Le corps et ses

sensations - l’expérience sensible - en sont la porte d’accès : la fragilité,

l’éphémère, la mort de la vie qui s’agite là devant nous s’immisce jusqu’au

plus profond de nous. Notre vue s’en trouve élargie aux dimensions

incalculables de l’espace premier du temps immémorial, le temps d’avant le

Logos.

Bien que subjectif, cet archaïsme résonne d’inconscient

collectif, celui qui permet

de sentir les effets de la

vibration du monde en soi et ceux

de sa propre vibration dans le

monde. Parce que l’eau constitue

le véhicule de l’émotion première,

tout devient liquide : temps et spectateur. Ce dernier nage dans

un ‘hors-temps’, retourne aux racines de la vie foetale, aux origines de

l’humanité, l’ancestral chaotique du big bang.

La valeur de l’imaginaire est dans le refus du temps qui passe,

refus qui s’incarne dans l’originel, les rêves, le sacré. La contemplation

est une activité de l’esprit qui se déploie dans le détachement. Cette

atemporalité met de la vie en toute chose, laquelle est toujours en devenir.

L’esprit voyage, l’imaginaire est en action, et les fenêtres sur l’intérieur et

l’extérieur que sont les yeux restent rivées à l’écran - le corps immobilisé,

comme en catalepsie. La vidéo est présentée sans bande sonore, invitation

à cette contemplation. Et le silence est partout, comme une enveloppe

autour des spectateurs, où chacun se tait. C’est l’éternité.

L’ambiance a des allures de spiritualité. La vidéo semble mettre

chaque personne dans un moment de coïncidence avec elle-même. Edith

Dekyndt est-elle une guérisseuse de l’âme, nous convie-t-elle à une séance

de spiritisme, à un tour de sorcellerie ? Si l’imaginaire atteint ce degré de

réalité plus important que le réel, il faut l’attribuer à la fonction chamanique

de Provisory object 03 - auquel le spectateur sera peut-être d’autant plus

réceptif s’il imagine que les mains, noires, de la personne qui tient la

pellicule savonneuse appartiennent à un sorcier. Fonction chamanique qui

rejoint ainsi les conceptions de Joseph Beuys sur le pouvoir de l’art.

«Quand les hommes ne parlaient pas, ils ne mouraient pas.»

Proverbe dogon, emprunté à la bande sonore de l’installation Any resemblance to persons, living or dead is purely coïncidental, 2004

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Page 24: E d i t h D e k y n d t

Temps symbolique

Les images de Provisory object 03 ont la force des mythes, au

sens où un mythe raconte des événements qui ont eu lieu in principio,

dans un instant primordial et atemporel, un temps sacré. Dans les sociétés

traditionnelles, les cosmogonies associent le temps, l’eau et le soleil dans

un processus de création/destruction - les trois éléments que la vidéo

met en scène. Le récit du mythe réactualise le temps sacré et le temps

profane s’en trouve aboli, ou plutôt transcendé : le rituel permet la prise de

conscience de la vanité du monde et son dépassement par référence au

‘Grand Temps’, comme le nomme Mircea Eliade1. Ce rituel se déroule dans

le lieu sacré du village, son centre - les musées seraient-ils les nouveaux

lieux de culte ? Les plus anciens mythes mettent en scène la terreur du

temps cyclique, dont le chaos préside à la création d’un monde (un cosmos)

et à sa destruction. La terreur du temps a conduit l’homme à représenter

son cycle sous la forme d’un cercle (d’un rosace, d’une roue) dont «le

centre est considéré comme l’aspect immobile de l’être2». Ces mythes des

sociétés pré-agricoles sont associés au rythme de la lune, particulièrement

ceux ayant trait au déluge. Tout comme les mythes traditionnels, la

métaphysique grecque et la mystique chrétienne associent la sagesse du

détachement au soleil : lui qui incarne le passage du temps reste immobile,

ce qui produit le phénomène de l’illumination. Chez les bouddhistes, le yoga

mène à l’immobilité (c’est la statis, la non-durée des mystiques) : il vise la

suppression des états de conscience, condition absolue pour passer de

l’ignorance’ à l’illumination, à la connaissance.

Les rites d’initiation se déroulent la plupart du temps dans

les endroits sombres et protégés, le plus souvent centraux et précédés

d’une série d’épreuves dites du labyrinthe (c’est le ‘regressus ad

uterum3’ défini par Mircea Eliade) - plus avant, j’ai fait mention de

ce que Denis Gielen, commissaire de l’exposition Le tableau des

éléments, considérait Provisory object 03 comme pivot, central, et

que pour l’atteindre dans sa salle un peu cachée, il fallait un peu

déambuler, chercher. Ces lieux d’initiation sont souvent des cavernes,

des grottes, des cercles de terre à l’ombre des arbres ou des plans

d’eau retirés dans les confins des forêts. Ces lieux incarnant le Centre

sont souvent souterrains mais placés au coeur d’une montagne ou d’un

promontoire, eux-mêmes sombres (on pense aux mains de l’étudiant

congolais qui forment un lieu surélevé) - c’est comme si l’illumination,

la renaissance, ne pouvait provenir que d’un endroit qui incarne la

peur ou le recueillement, en tout cas le sentiment pour l’humain de sa

petitesse face à l’immensité du monde. Pour le côté sombre et

1 Images et symboles, Essais sur le symbolisme magico-religieux, Mircea Eliade, Ed. Gallimard, Paris, 1952, p. 75

2 Dictionnaire des symboles, Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, Ed. Robert Laffont et Jupiter, 1982, p. 938

3 Dictionnaire des symboles, op cit., p. 180

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Page 25: E d i t h D e k y n d t

la profondeur inquiétante de la membrane savonneuse lorsque les

turbulences s’accélèrent, je compare, en tant que lieu symbolique de

révélation, d’illumination et d’initiation, à la caverne - lieu le plus ancestral.

La caverne est l’archétype de la matrice maternelle et cet antre représente

le monde harmonieux mais comme tout archétype, elle présente un aspect

contraire à son aspect positif - c’est l’autre face d’une même médaille :

avec sa profondeur aux limites invisibles, elle peut abriter des monstres,

créatures du dangereux inconscient. La caverne est aussi considérée

comme un gigantesque réceptacle d’énergies telluriques : elle garde le

souvenir de l’eau qui l’a inondée à l’époque glaciaire, époque de naissance

de l’humanité. Pour cette raison,

elle incarne le lieu idéal pour les

opérations magiques.

«En Turquie, il existe une légende

particulièrement frappante, du

XIVème siècle, rapportée par

Rouf : ‘Aux confins de la

Chine, sur la Montagne Noire, les eaux inondent une grotte et y entraînent

de la glaise, qui remplit un fossé de forme humaine. La grotte sert de

moule, et, au bout de neuf mois, sous l’effet de la chaleur solaire, le modèle

acquiert la vie’ : c’est le premier homme nommé Ay-Atam, ce qui veut dire

Mon Père Lune1». J’ai évoqué plus avant l’analogie avec le chamanisme ;

or, une des thèses d’interprétation des peintures rupestres sur les parois

des cavernes, art du paléolithique supérieur - thèse2 qui s’oppose à une

tendance esthétique de représenter le gibier - voudrait qu’elles soient

l’émergence du monde invisible, l’autre monde, paranormal mais bien

réel et qui contient toute l’histoire de l’humanité. C’est le chamane qui les

auraient fixées à l’aide de pigments là où elles sont apparues, suscitées

par les étapes de la transe, comme il arrive à celui qui prend du LSD ou

des substances hallucinogènes. Enfin, la caverne apparaît dans les rêves

des humains d’aujourd’hui comme symbole de l’univers subjectif. dans

l’univers onirique, c’est le lieu de l’identification, c’est-à-dire le processus

d’individuation, d’intériorisation psychologique, qui lui permet de devenir

lui-même et d’accéder à la maturité. Pour cela, il doit assimiler le monde

collectif : l’organisation du moi ne peut exister sans relation au monde

extérieur. Jung nomme les rêves qui contiennent notamment le symbole

de la caverne comme rêves initiaux et hypnagogiques3, soit les rêves

concomitant à la perte lente de la conscience qui conduit au sommeil.

De son côté, l’eau représente la source de vie dans toutes les

civilisations. Infini des possibles, elle est le symbole de fécondité et de

sagesse, l’élément de la purification et de la régénérescence. C’est aussi

1 Dictionnaire des symboles, op cit., p. 182

2 Le chamanisme, dossier, Frère Ephraïm, in Feu et lumière, n° 193, mars 2001, p. 27Les initiateurs de cette thèse sont les ethnologues Jean Clottes et David Lewis-Willians.

«Nous rêvons de voyages à travers l’univers ; l’univers n’est-il donc pas en nous ? Les profondeursde notre esprit nous sont inconnues. Le chemin mystérieux vavers l’intérieur.»

Novalis

3 Psychologie et alchimie, Carl Gustav Jung, Ed. Buchet/Chastel, 1970, p. 69

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le symbole de la vie spirituelle, une force Yin, féminine. L’eau fait partie

de tous les rites initiatiques et la notion d’eaux primordiales, d’océan des

origines, est quasi universelle. De plus, elle guérit. L’eau est encore la

parole des puissances de l’âme. C’est l’élément principal sans lequel

l’homme ne peut vivre. «Origine et véhicule de toute vie : la sève est

eau et, dans certaines allégories tantriques, l’eau figure Prâna, le souffle

vital1». Dans la Bible, le cheminement de chacun des Hébreux durant son

pélerinage terrestre est intimement lié au contact extérieur et intérieur

avec l’eau. «Force vitale fécondante, chez les Dogons et leurs voisins les

Bambara, l’eau est aussi la lumière,

la parole, le verbe générateur,

dont le principal avatar mythique

est la spirale de cuivre rouge2».

Enfin, l’eau comme métaphore

de la femme, de la sensualité,

de la libido a été chantée par

les poètes romantiques

allemands, dont Novalis.

L’eau est encore la parole

des puissances de l’âme ;

originelle, elle est révélatrice,

elle sert de miroir :

rappelons-nous Narcisse

qui se noye dans sa belle image.

Comme la surface de l’eau,

le miroir est utilisé pour interroger

les esprits. «Au Congo, nous apprend Le dictionnaire des symboles, les

devins utilisent ce procédé en saupoudrant le miroir ou la surface d’un bol

d’eau de poudre de kaolin; les dessins de la poudre blanche, émanation

des esprits, leur livrent la réponse3», ce qui n’est pas sans rappeler les

arabesques dessinées par l’écume des turbulences. Le miroir, enfin, lunaire

et féminin comme l’eau, est l’instrument de l’illumination. Il prend en effet le

feu du soleil, sa lumière car celui-ci est le fécondateur, étant source de la vie :

il incarne le masculin alors que c’est l’eau (et la lune) qui incarne le féminin.

Pour terminer avec cette partie intitulée Temps symbolique, je

me permets une interprétation qui prend en compte les trois vidéos de la

série Provisory object. Me référant à l’ensemble des éléments symboliques

repris ci-dessus, j’imagine que les trois vidéos correspondent à trois temps

successifs de la féminité, symbole du devenir de celle-ci et du temps qui

passe. La première, qui montre deux mains féminines, incarnerait l’enfance :

bulle de savon et couleurs de l’arc-en-ciel. La seconde, mettant elle aussi

1 Dictionnaire des symboles, op cit., p. 376

2 Dictionnaire des symboles, op cit., p. 379

«L’eau, cette enfant première, née de la fusion aérienne, ne peut renier son origine voluptueuse et, sur terre,

elle se montre avec une céleste toute-puissance comme l’élément

de l’amour et de l’union.... Ce n’est pas à faux que les sages anciens ont cherché en elle l’origine des choses...

et toutes nos sensations agréables ne sont, à la fin, que diverses

manières découlement en nous des mouvements de cette eau originelle

qui est en nous. Le sommeil lui-même n’est rien autre que le flux

de cette invisible mer universelle, et le réveil le commencement de son reflux. Les poètes seuls devraient

s’occuper des liquides.»

Novalis, Les disciples à Saïs,trad. Armel Guerne, Paris, 1939

3 Dictionnaire des symboles, op cit., p. 379

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en scène ces mains de femme, pourrait représenter la perte de la virginité -

la membrane qui s’envole symbolisant l’hymen et le passage à l’âge adulte.

La troisième, enfin, représenterait l’orgasme. C’est un homme ici qui tient la

pellicule savonneuse et celle-ci peut incarner la féminité mature, soulevée

de remous et finalement explosant - métaphore de la jouissance féminine.

Trois sensations vécues par le corps, trois sensations éphémères mais dont

le souvenir est inaltérable.

Temps réflexif et temps retrouvé

Le temps réflexif est le temps d’après la projection, celui qui

permet au processus de transformation de s’achever. La vision de la vidéo

fonctionne comme une catharsis : elle libère les émotions. Cependant,

l’écran installe une distance propice à la prise de conscience et à la lucidité,

même si le spectateur n’opère une réflexion qu’ensuite. Ce temps arrive-t-il

le lendemain, un mois, deux mois, un an ou encore plus tard ?

Peu importe puisque le souvenir reste, imprimé dans la mémoire sensitive.

Il s’agit ici de subjectivité et de mise à l’épreuve du temps. L’expérience

du hors-temps et de la lenteur proposée par Edith Dekyndt rejoint celle

de Pierre Sansot : «La lenteur ne signifie pas l’incapacité d’adopter une

cadence plus rapide. Elle se reconnaît à la volonté de ne pas brusquer le

temps, de ne pas se laisser bousculer par lui, mais aussi d’augmenter notre

capacité d’acceuillir le monde1».

Puisque le spectateur a vécu le temps éternel - et quelques

minutes suffisent - il se peut qu’en lui une transformation s’opère.

Conscient de la vacuité et de la vanité de bien des préoccupations de la vie

postmoderne, ayant appris de l’éphémère, il se peut que son regard se pose

différemment sur le quotidien et sur les petits événements qui s’y passent.

Ce qui s’énonce là, humblement, c’est la question de savoir comment habiter

le temps : peut-être simplement en regardant à l’envers des apparences,

dans le petit qui peut s’avérer infiniment grand ; et puisqu’il s’écoule

irrévocablement, en plaçant son attention sur ce qui ouvre à la durée. «Panta

rheï» disait Héraclite : tout s’écoule. L’être humain est mortel, il est temporel et

comme de tout événement, «sa façon d’être est d’advenir : ‘advenit’, dit-on de

quelque chose qui n’est jamais chose, et qui pourtant n’est pas rien puisqu’il

advient ou survient2». C’est dans l’infime et dans son expérimentation

qu’il peut avancer au mieux, parce que c’est là qu’il peut défaire et refaire

son rapport au monde, nous apprend Edith Dekyndt, rejoignant ainsi la

philosophie de Bergson. Voilà le cheminement de la création de soi, seule

voie de liberté. Il ne s’agit pas de changement, mais de transformation lente,

1 Du bon usage de la lenteur, Pierre Sansot, Ed. Payot & Rivages, Paris, 2000, p. 12

2 Le presque rien, Vladimir Jankélévitch, op cit. p. 215

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de peaufinement de soi dans la durée où l’acte libre apparaît alors

comme une nouveauté. Dans le dialogue de soi au monde, du monde

à soi et finalement de soi à soi, se libère le moi créateur. «On sent

peut-être mieux maintenant tout ce que porte ce petit mot : voir - nous

dit Merleau-Ponty. La vision n’est pas un certain mode de la pensée ou

présence à soi : c’est le moyen qui m’est donné d’être absent de moi-

même, d’assister du dedans à la fission de l’Etre, au terme de laquelle

je me ferme sur moi1».

La madeleine de Proust ou la membrane savonneuse d’Edith

Dekyndt, ce n’est pas grand chose. Mais voilà que pour eux, et pour

nous si nous le voulons bien, c’est la partie pour le tout, un intime qui

n’est pourtant rien sans l’autre : lecteur ou spectateur. Voici donc le

subjectif lié au collectif

et par extension, à l’universel.

Car les sensations qui sont

liées à la dégustation du

biscuit ou à la fabrication

de la membrane savonneuse,

et celles liées à leur disparition

sont les sensations éprouvées

par l’expérience de la vie.

Et cette expérience, chaque

humain la vit, tous les

humains la vivent : c’est l’expérience de l’éphémère, de la conscience

de la finitude : en finalité, la sienne propre. Reste l’essence des

choses, qui n’apparaît que dans la durée et le temps suspendu.

Quel temps a au juste retrouvé le spectateur ? Il faudrait

dire : quels temps, au pluriel. Car il retrouve non seulement le temps

ancestral qui est l’éternité - dut-elle n’apparaître que de manière

fugace, et il n’y a sans doute rien qui soit plus estimable parce que

ce temps est notre seul moyen de nous sentir relié à l’origine, mais il

retrouve aussi le temps présent, celui qui passe et qui peut pourtant

être plénitude pour chaque seconde d’étonnement. Il trouve aussi

le futur, ou le re-trouve, c’est-à-dire qu’il peut s’en faire une autre

définition, une autre signification : il peut s’appuyer dessus pour

être libre. En conjuguant l’existence - qui finit de toute façon - et

l’imagination, il peut se trouver proche de toute vie, voir l’indicible,

l’invisible et se trouver à distance dans une position ontologique : être

libre parce que relié au monde. Sans doute est-ce là le fondement

de la poétique, et celui de l’art - peu importe son mode d’expression

1 L’oeil et l’esprit, Maurice Merleau-Ponty, Ed. Gallimard, Paris, 1964, p. 81

«Imprimer une forme à la durée, c’est l’exigence de la beauté mais aussi

celle de la mémoire.»

«C’est une autre définition élémentaire bien connue de la

mathématique existentielle : chaque nouvelle possibilité qu’a

l’existence transforme l’existence toute entière.»

Milan Kundera, La lenteur, Ed. Gallimard, Paris, 1995, p. 55

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car il s’agit ici d’un art de vivre. Retrouver le temps revient finalement à

l’habiter en éprouvant sa durée de préférence en écoutant ses sensations.

Car si une minuscule pellicule savonneuse, qui vit et meurt en 211’’ peut

durer aussi longtemps dans toute sa relativité, pourquoi pas nous et tout ce

qui nous entoure ? Laisser le monde entrer en soi en le regardant, laisser

le ‘Grand Temps’ investir les gestes de notre quotidien, c’est décider d’être

avec lui afin qu’il soit le tout pour la partie - c’est-à-dire pour nous.

D’autres vidéastes, et bien avant Edith Dekyndt, ont suscité la

contemplation par la poétique de la matière en ce qu’elle a de quotidien

et d’indicible : l’oeuvre Pierre de lait de Wolfgang Laib, dès 1975, met en

scène une importante superficie de lait versé chaque jour et qui forme au

fil du temps une fine pellicule, un film horizontal qui donne à voir des jeux

de transparence, d’opacité et de reflets de l’environnement. Zen for film, de

Nam June Paik, en 1964, est une projection transparente sur un mur, sur

lequel viennent s’accumuler des poussières. Stan Brakhage se définissait

comme un poète faisant des films - se comparant en cela à Cocteau.

«David James, critique américain, soutient que le cinéma d’avant-garde

des années 50 et du début des années 60 doit être analysé en recourant

aux termes propres de la poésie. Le traitement de l’ambiance par la

couleur, par les longs plans-séquences, (...) tout ceci, affirmait-il, avait sa

source dans la poésie symboliste française», rapporte Michael Rush, dans

Les nouveaux médias dans l’art. Et il ajoute : «On pourrait en dire autant

des installations vidéos de Bill Viola, Mary Lucier ou de Steina et Woody

Vasulka, qui reflètent leur intérêt pour ce qui touche à la mémoire, à la

perte, au mysticisme et à l’esthétique1». Liste à laquelle il faudrait ajouter

Edith Dekyndt...

1 Les nouveaux médias dans l’art, Michael Rush, Editions Thames & Hudson, Paris, 2000 (pour la version française), p. 139

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«Elle est retrouvée.Quoi ? - L’éternité.C’est la mer allée

Avec le soleil.»Arthur Rimbaud, L’éternité, in Oeuvres poétiques,

Ed. Garnier-Flammarion, Paris, 1964

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Bibliographie

Documents relatifs à l’œuvre de l’artiste ● A la rencontre d’Edith Dekyndt - entretiens avec l’artiste,/Christophe Veys/Denis Gielen/Pierre-Olivier Rollin/Olivier Bastin/Raymond Balau, émission radiophonique dont la série est intitulée Le monde invisible, réalisation Thierry Génicot, production RTBF, décembre 2004 ● Dekyndt, Denis Gielen, in Le tableau des éléments, catalogue d’exposition, Mac’s Grand-Hornu, 2005● Universal research of subjectivity, plaquette sur la globalité du travail de l’artiste, éditée par le BPS22-Charleroi à l’occasion de l’exposition personnelle d’Edith Dekyndt intitulée Any resemblance to persons, living and dead, is purely coincidental, 2004 Y figurent les textes suivants :

- Appréhension des invisibilités, Niel Minuk - directeur de Plug IN Institute for Contemporary Art, Winnipeg, Canada, mars 2004

- Substances volatiles, haut pouvoir de dispersion, Sandra Cattini, avril 2004- Le travail se fait lorsque vous dormez, Rodney Latourelle - artiste berlinois, 2000- Le laboratoire, Kitty Scott - critique d’art et commissaire pour l’art contemporain au Musée des Beaux-Arts de Ottawa

au Canada, 1996- Figures de sympathie, Ana Samardzija - philosophe travaillant à Strasbourg et Stuttgart, avril 2004

● Poussières, Nicole Gingras, in Traces, catalogue publié à l’occasion de la double exposition intitulée Tracer, Retracer, présentée en 2005 et 2006 à la Galerie Leonard & Bina Ellen Art Gallery de l’Université Concordia de Montréal ● Edith Dekyndt, Bernard Marcelis, in Art Press n° 304● Ecoulements de Temps, Raymond Balau, in A+, éd. Ciaud (Centre d’information de l’architecture, de l’urbanisme et du design asbl), Bruxelles, juillet 1997● While a Polaroid Picture is Emerging, Olivier van Malderghem, in Malerei ohne Malerei, Herausgegeben von Dirk Luckow und Hans-Werner Schmidt, catalogue d’exposition, Museum der bildeneden Künste, Liepzig, 2002● Edith Dekyndt, Bart De Baere & Henry Bounameaux, in Contemporary Art in Belgium, Fondation pour les Arts – Stichting voor de Kunsten, Bruxelles, 2005● Edith Dekyndt, Pierre-Olivier Rolin, in Brussels South Airport, catalogue d’exposition, dans le cadre de la représentation de la Communauté Wallonie/Bruxelles au Krinzinger Projekte, Vienna, 2005● Appréhender les mouvements lumineux, Claude Lorent, in La Libre Belgique, Bruxelles, édition du 8 juin2004● The Weather/Le temps qu’il fait, Cate Rimmer - commissaire, feuillet de présentation de l’exposition coproduite par la Charles H. Scott Gallery et la Galerie Liane & Danny Taran, Montréal et Vancouver, 2004● La poétique du rien, Anne Hustache, photocopiée d’un article non référencé et non daté prêté par l’artiste● Le plein de l’Un, le vide de l’Autre ou « Hic fuit Edith Dekyndt », Louis Everaert, photocopiée d’un article non référencé et non daté prêté par l’artiste● Site internet de Argos, lien url : http://www.argosart.org

Ouvrages généraux● Le Visible et l’Invisible, Merleau-Ponty, Gallimard, Paris, 1964● L’oeil et l’esprit, Merleau-Ponty, Gallimard, Paris, 1964● L’image-mouvement/cinéma 1, Gilles Deleuze, Les Editions de Minuit, collection « Critique », Paris, 1983● L’image-temps/cinéma 2, Gilles Deleuze, Les Editions de Minuit, collection « Critique », Paris, 1985● Déjouer l’image, Anne-Marie Duguet, Ed. Jacqueline Chambon, Nîmes, 2002● Vidéo topiques/Tours et retours de l’art vidéo, catalogue d’exposition, Musée d’Art moderne de Strasbourg, 2002● Les nouveaux médias dans l’art, Michael Rush, Ed. Thames & Hudson, version française, Paris, 2000● Le mouvement des images, catalogue d’exposition, Ed. Centre Pompidou, 2006● De l’image-temps chez Duras, Resnais et Robbe-Grillet, Julie Beaulieu, in Cadrage.net, 1ère revue en ligne universaitaire de cinéma, janvier-février 2002, url :http://www.cadrage.net/dossier/imagetemps/imagetemps.html● Vidéo, revue Communications, n° 48, Paris, 1988● Esthétique relationnelle, Nicolas Bourriaud, Ed. Les presses du réel, 2001● La perception, Robert Francès, Presses universitaires de France/collection « Que sais-je ? », Paris, 1963● Illusions perceptives et perception de la forme, conférence de Jean-Marie Monnoyer, à l’invite de Yves Michaux, à l’Université de tous les savoirs, le 9 juillet 2001. L’enregistrement vidéo est consultable en ligne avec l’url : http://www.canal-u.education.fr/canalu/chainev2/utls/programme/330979_illusions_perceptives_et_perception_de_la_forme/● L’intuition de l’instant, Gaston Bachelard, Ed. Stock (Le Livre de Poche/collection « Biblio/essai »), Paris, 1931 [1992]● Images et symboles – Essai sur le symbolisme magico-religieux, Mircea Eliade, Ed. Gallimard, Paris, 1952● Psychologie et alchimie, C.G. Jung, Ed. Buchet/Chastel, Paris, 1970● Le chamanisme, dossier in Feu et Lumière - mensuel, n° 193, mars 2001● La turbulence, Uriel Frish, 177ème conférence de l’Université de tous les Savoirs, 25 juin 2000, en ligne lien url : http://www.obs-nice.fr/etc7/utls/index.html● Dictionnaire des symboles, Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, Ed. Rober Laffont/Jupiter, 1982● Rêves éveillés, Catherine Lemaire, Ed. Institut Synthélabo pour le progrès de la connaissance/collection «Les Empêcheurs de penser en rond », Le Plessis-Robinson, 1999 ● Du bon usage de la lenteur, Pierre Sansot, Ed. Payot & Rivages, Paris, 2000● La lenteur, Milan Kundera, Gallimard, Paris, 1995● Encyclopédie wikipedia, en ligne, url : htpp://fr.wikipedia.org

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Edith Dekyndt - Travaux

Current

DISCREET PIECE , installation, Leonard & Bina Ellen Concordia Universaity Galery, Montréal April / May 2006 - A IS HOTTER THAN B, vidéo, Frederic Desimpel, Brussels - DREAMACHINE, videoinstalation, Galery Anspach, Brussels - INSTRUCTION FOR USE, video, ISELP, Brussels - INDICES METEOROLOGIQUES - workshop with the CEC, Belgium May 2005 > May 2006 -- PARALLELEPIPED OF AIR - Photographie, ERASME FONDATION, Brussels June 2005 -- PROBABLE SONG - Installation, Ravenstein Galeries, invitation Porte 11 Gallery -- PROVISORY OBJECT 03 - Centre Wallonie-Bruxelles, Kinshasa -- ANY RESEMBLANCES... - sound and videoinstallation, in LOCATION, Oswego University, New York, US, curator Julieve Jubin, September > October 2005 -- L’EMISSION SPECIALE – Television Channel RTGA, Kinshasa -- A CONVERSATION BOOK WITH AA BRONSON – edition Denis Gielen, with AA Bronson, General Idea, New York, September 2005 -

-

Solo exhibitions >1992

2004 - PROVISORY OBJECT03 - Videoprojections, Detrois Studio Brussels -- SLOW OBJECTS - Photographies et video projections, Porte 11 Gallery Brussels -- ANY RESEMBLANCE TO PERSONS, LIVING OR DEAD IS PURELY COINCIDENTAL - sound and video installations, BPS 22 Charleroi (B), curator Pierre-Olivier Rollin , Production Province de Hainaut -- 2003 - SOLEIL PUBLIC - Installation, Le Comptoir du Nylon, Brussels, curator Frédérique Versaen -- 2002 - BEFORE LIFE (Myodesopsies) - video installation , Chapelle de Boondael, Center for Arts , Brussels -- 3 MINUTES OF DARKNESS - Postcards, radio and television clips (Belgium), MICROPRODUCTION, Brussels, curator Anne Pontégnie -- 1999 - ALONE AT HOME - video installation, Les Témoins Oculistes Gallery, Brussels - PROBABLES PIECES - video installations, Plug In Gallery, Winnipeg, Canada, curator Wayne Baerwalt -- 1998 - DISCREET PIECE - video installation, Or Gallery, Vancouver, Canada, curator Reid Sheir and Kitty Scott - WORTHLESSNESS - video installation, Espace L’Escaut, Brussels, curator Olivier Bastin - 1996 -LABORATORY - work in progress, video and photographies, c/o Christophe Lezaire, Obigies (B) - 1995 - TROIS REPAS LE DIMANCHE - work in progress, round table, videos, Espace L’Escaut, Brussels, Curator Olivier Bastin - 1994 - TO CLEAN A ROOM – video installation and performance, Themistoclès Gallery, Mexico City - 1993 - LEGENDA OREA - installation and performance, c/o Klaus Haas, Leuven (B) - RIEN DE NOUVEAU SOUS LE SOLEIL - installation, Koma Gallery, Mons (B)

Group exhibitions >1992

2006 - DISCREET PIECE & PARALLELEPIPEDE OF AIR in “TRACKING THE TRACES” Leonard & Bina Ellen Concordia University, Montreal, CA, April / May 2006 - A IS HOTTER THAN B in “Suite Fibonacci” Galerie Frederic Desimpel Rue Bosquet 4 1060 Bruxelles, Curated by Christophe Veys, April 21 > May 15, 2006 - DREAMACHINE in “Crossing Anspach” Galeries Anspach, Bruxelles, Curator: Sprezzatura.asbl , April 07 > 22, 2006 - INSTRUCTION FOR USE, ISELP (Institut supérieur pour l’étude du langage plastique), Bruxelles, March / April 2006 - INDICES METEOROLOGIQUES, workshop with the CEC, Belgium May 2005> May 2006 - DERRICK in “en attendant la reprise”, La Venerie, Bruxelles, March 9 > April 8 2006 - ALPHA ZULU in “Satellite of Love”, Witte de With, Rotterdam curator: Edwin Carels January 26 > March 26, 2006 - PROBABLE SONG -- International contest proposed to musicians since May 2006 -- Cera Fondation promotor Luk Lambrecht -- - PROVISORY OBJECT 03 & ANY RESEMBLANCE ... in “Science Fiction”, Galerie Aline Vidal, Paris January 7 > February 11, 2006 -ZAP in “video dictionnary” , The video art fondation, Impact Festival Utrecht, NL 2005 - PROVISORY OBJECT 03 in ‘Le Tableau des Eléments’, Mac’s (Musée des Arts Contemporains) Grand Hornu, Belgium, Denis Gielen, curator, Augustus > December - PROVISORY OBJECT 01 in “FAIRE SIGNE” (Un choix d’oeuvre de la Province de Hainaut) Centre d’Art Contemporain “La Criée” Rennes (F) November, December 2005 - WORTHLESSNESS 01 in “M.T.R.O. Aime tes héros” Ecole Superieure des Beaux-Arts de Valenciennes (F) November, December 2005 A CONVERSATION WITH A.A. BRONSON from GENERAL IDEA, edition Facteur Humain, with AA Bronson, General Idea, New York, September 2005 >ongoing - ANY RESEMBLANCES... - sound and videoinstallation in BRUSSELS AIRPORT, Krinzinger Projekte, Vienna, Austria --SOLEIL PUBLIC - installation, Blackwood Gallery, University of Toronto, curator Cate Rimmer 2004 - ZETETIK 01, video, in Vollevox Sound Festival, Gebouw Vanderborght, Brussels -- THINGS HAPPEN TO THINGS, photographies , in Ch. Veys : Un collectionneur, Porte 11 Gallery, Brussels -- PROVISORY OBJECT 02 , video projection, SOLEIL PUBLIC, installation, in The Weather, Lianne and Danny Taran Gallery, Saydie Bronfman Centre for Arts, Montreal, (Q) -- STATIC LIGHT, STATIC NOISE , sound, video and photographies , A COLOR BOOK, video, in New Works Residency, Banff Center For Arts, (C) -- PROVISORY OBJECT 02 , video projection, SOLEIL PUBLIC, installation , in The Weather , Charles H. Scott Gallery, Vancouver (BC)

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2003 - PROVISORY OBJECT01, video projection, SLOW OBJECT04, video projection, in Appolonia, Art Center Bucharest, (R) -- 3 MINUTES OF DARKNESS, video projection, in Belgian Focus, Argosfestival, Argos, Brussels -- SECOND-HAND EXPERIENCE03, edition of bags, Vos Papiers, Porte 11 Gallery, Brussels -- ZETETIK01 in International Festival of Digital Art, Centro Pablo de la Torriente Brau, La Havana (C) -- BRUTUS, video projection, STAR SYSTEM, video projection, in RotterdamFilmFestival, Rotterdam, (N) 2002 - STAR SYSTEM, video projection, in Act, BBL Gallery, Brussels , curator Philippe Braem -- WORTHLESSNESS, video installation, ALONE AT HOME(extracts of domestic coloration), video installation, in Le colloque des Chiens, Espace 251 Nord, Liège (B), curator Laurent Jacob -- A PORTRAIT OF THINGS, video projection, in The Power Plant, International Art Fair, Toronto, curator Wayne Baerwalt -- BRUTUS, video projection, STAR SYSTEM, videoprojection, in Belgian Focus, Argos Festival, Argos, Brussels -- DEMOGRAPHIC MODEL001, inkjet on canvas, in Diversion, Museum of Garden History, London, (GB), curator Danielle Arnaud Gallery -- STAR SYSTEM, video projection, in Malerei ohne Malerei, Museum der Bildende Künste, Liepzig (G), curator Dirk Luckow 2001 - STAR SYSTEM, video projection, INSTRUCTIONS FOR USE, unlimited video, in Instants Fragiles, Passage de Retz, Paris (F), curators Les Témoins Oculistes -- LIVING, video installation, in Ici et Maintenant, Tour et Taxis, Brussels, curator Laurent Jacob -- ALONE AT HOME, video installation, WORTHLESSNESS, video installation, in La Trahison des Images© , Pallazzo Franchetti, Venise Biennial (I) , curator Laurent Jacob -- INSTRUCTIONS FOR USE, unlimited video, in Things, Les Témoins Oculistes Gallery, Brussels 2000 - SECOND- HAND EXPERIENCE02, video projection, in Belgian Focus, Argos, Brussels -- THE WHOLE SKIN TYPES CATALOGUE, in Exit Congo Museum, Royal Museum of Centrale Africa, Tervueren (B), curator Toma Muteba Lutumbue -- SLOW OBJECT04, video projection, PROVISORY OBJECT01, video projection, in Beyond Seasons, Les Etablissements d’En Face, Brussels, curator Eva Gonzales Sancho -- PROVISORY OBJECT02, video projection, in Histoires d’un Monde Ephémère, Les Témoins Oculistes Gallery, Brussels -- A PORTRAIT OF THINGS, in La Conscience du Monde, Louvain-La-Neuve, curator Philippe Braem – PROGRAMME FOR A COLD PLACE, video expedition, in Les Frontières dans la Tête, CEEAC, Strasbourg (F) -- ALONE AT HOME, video installation , Kunstverein Villa Streccius, Landau, Germany1999 - PROVISORY OBJECT01, videoprojection, in Belgian Focus, Argos, Brussels 1997 - WHITE NOISE, sound object, HUMID PIECES, objects with CaCl2 in Structures Ixelles Museum, Brussels, curators Tapta et Etienne Tilman -- SOMETHING BLUE, object, in Structures, La Machine à Eau, Mons (B) -- NE TOUCHE A RIEN, slides projection, In Structures, MAMAC, Liège (B) --curators Tapta et Etienne Tilman

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