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1 Sommaire I. INTRODUCTION ________________________________________________________ 3 II. CADRE D'ANALYSE_____________________________________________________ 6 A. Cadre conceptuel _______________________________________________________ 7 B. Comment conduire un marché ____________________________________________ 10 C. Quelques limites _______________________________________________________ 17 III. ORGANISATION ACTUELLE DU MARCHE ______________________________ 19 A. L'évolution des supports : du vinyle au CD __________________________________ 19 B. Le marché mondial aujourd'hui____________________________________________ 21 C. La production _________________________________________________________ 22 D. Les major compagnies __________________________________________________ 28 E. Labels et producteurs indépendants________________________________________ 31 F. Les contrats du disque __________________________________________________ 35 G. Les circuits de distribution_______________________________________________ 37 H. Les médias ___________________________________________________________ 43 I. Marketing et promotion__________________________________________________ 45 J. Les trois goulots d'étranglement___________________________________________ 50 K. La consommation ______________________________________________________ 51 L. Le cadre légal _________________________________________________________ 56 IV. Le numérique révolutionnera-t-il l'industrie musicale ?________________________ 71 A. Les supports préenregistrés et enregistrables _______________________________ 72 B. La radio numérique et les bouquets thématiques______________________________ 74 C. Internet ______________________________________________________________ 76 D. Les industries culturelles et le multimédia : vers une uniformisation ? ____________ 90 E. Le concept du disque menacé par les médias _________________________________ 98 F. Les nouvelles technologies et l'adaptation des droits liés à l'œuvre ______________ 103 G. La question de l'adoption par les consommateurs ____________________________ 113 V. Discussion et conclusion_________________________________________________ 120 A. De nouvelles opportunités indéniables_____________________________________ 120 B. Désintermédiation de la distribution_______________________________________ 121 C. De la reproduction à la diffusion__________________________________________ 123 D. Un avenir encore incertain ______________________________________________ 126

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Sommaire

I. INTRODUCTION ________________________________________________________ 3

II. CADRE D'ANALYSE_____________________________________________________ 6

A. Cadre conceptuel _______________________________________________________ 7

B. Comment conduire un marché ____________________________________________ 10

C. Quelques limites _______________________________________________________ 17

III. ORGANISATION ACTUELLE DU MARCHE ______________________________ 19

A. L'évolution des supports : du vinyle au CD __________________________________ 19

B. Le marché mondial aujourd'hui____________________________________________ 21

C. La production _________________________________________________________ 22

D. Les major compagnies __________________________________________________ 28

E. Labels et producteurs indépendants ________________________________________ 31

F. Les contrats du disque __________________________________________________ 35

G. Les circuits de distribution_______________________________________________ 37

H. Les médias ___________________________________________________________ 43

I. Marketing et promotion__________________________________________________ 45

J. Les trois goulots d'étranglement___________________________________________ 50

K. La consommation ______________________________________________________ 51

L. Le cadre légal _________________________________________________________ 56

IV. Le numérique révolutionnera-t-il l'industrie musicale ?________________________ 71

A. Les supports préenregistrés et enregistrables _______________________________ 72

B. La radio numérique et les bouquets thématiques______________________________ 74

C. Internet ______________________________________________________________ 76

D. Les industries culturelles et le multimédia : vers une uniformisation ? ____________ 90

E. Le concept du disque menacé par les médias _________________________________ 98

F. Les nouvelles technologies et l'adaptation des droits liés à l'œuvre ______________ 103

G. La question de l'adoption par les consommateurs ____________________________ 113

V. Discussion et conclusion_________________________________________________ 120

A. De nouvelles opportunités indéniables_____________________________________ 120

B. Désintermédiation de la distribution_______________________________________ 121

C. De la reproduction à la diffusion __________________________________________ 123

D. Un avenir encore incertain ______________________________________________ 126

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I. INTRODUCTION

Depuis l'invention de la "machine parlante" par Thomas Edison en 1877, l'histoire mondiale de

l'industrie de la musique a connu bon nombre de bouleversements dus à l'apparition de facteurs

nouveaux, notamment techniques. Du gramophone au CD, en passant par le 78 tours et le

microsillon, l'histoire du support enregistré et de sa commercialisation est ponctuée de multiples

événements : acquisitions, créations de filiales, appropriations de brevets, restructurations, fusions,

alliances stratégiques et associations de répertoires entre concurrents.

Le développement des nouvelles technologies numériques, Internet en tête, marque de toute

évidence le début d'une nouvelle ère pour l'industrie musicale, comme cela a été le cas à chaque

apparition d'un nouveau support. Selon Simon. Frith : "Les principales forces de rupture dans la

musique pendant ce siècle ont été des procédés nouveaux, des inventions techniques

développées par des industriels de l'électronique"1. Les récentes polémiques autour du format

MP3 ou encore la fusion d'AOL et de Time Warner puis de Warner Music et EMI dix jours plus

tard (24 janvier 2000), montrent, s'il en était encore besoin, qu'une nouvelle révolution est en marche

dans l'industrie musicale. Celle-ci pourrait bien être encore plus importante que les précédentes, car

elle ne se limite pas à l'apparition d'un nouveau support mais engendre de nouveaux modes de

consommation de musique, susceptibles d'instaurer un nouveau modèle économique sur ce marché.

Pour Jean-Michel Billaut2, les start-up sont en effet "soucieuses de mettre à sac les vieux

modèles" et "menacent les "empereurs", voués à la chute", au rang desquels il classe les majors

du disque.

L'objet de ce mémoire est d'analyser les possibilités offertes par les nouvelles technologies

numériques, les événements survenus récemment dans l'industrie musicale, les grandes polémiques et

les problèmes de droits, et d'en tirer quelques perspectives d'avenir. La question principale est de

savoir si les nouvelles technologies n'offriront que de nouveaux formats et canaux de distribution et

de diffusion de la musique, ou si elles engendreront une véritable reconfiguration de l'industrie. Dans

le marché actuel, le pouvoir est détenu par les majors du disque, notamment grâce à leur contrôle de

1 Simon FRITH, "Souvenirs, souvenirs...", Rock, de l'histoire au mythe, Anthropos, 1991, p 261

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la distribution; nous chercherons donc également à savoir si celles-ci seront en mesure de garder leur

position dominante, et dans le cas contraire qui pourrait détenir le pouvoir après reconfiguration du

secteur, et de quelle façon s'exercera ce pouvoir.

Nous débuterons cette étude en traçant un cadre d'analyse qui nous permettra par la suite de mieux

comprendre et interpréter les événements dont nous ferons état. Ce cadre est basé sur l'article de

Jaworski, Kohli et Sahay3, qui montre que la structure d'un marché et les comportements de ses

acteurs ne sont pas toujours donnés, et qu'une entreprise peut chercher à les façonner, dans le but de

conduire son marché. C'est là tout l'enjeu des nouvelles technologies, notamment dans le domaine

musical, chacun cherchant à dominer un marché non encore normalisé.

Nous ferons ensuite un point complet sur l'organisation actuelle du marché de la musique, car il est

difficile de comprendre toute l'ampleur des questions qui agitent cette industrie si l'on n'en connaît

pas précisément le fonctionnement. De la création à la consommation, en passant par la distribution

et la médiatisation, nous éclaircirons le rôle des différents acteurs et les pratiques en vigueur sur le

marché français, sans oublier l'incontournable aspect juridique, qui est au cœur de nombreuses

problématiques.

Enfin, nous passerons en revue les récentes innovations technologiques au service de la musique, qui,

pour certaines, apparaissent comme des éléments perturbateurs, susceptibles de modifier

profondément, à plus ou moins long terme, l'industrie du disque. L'objectif ici n'est pas de trancher

clairement, d'avancer avec certitude l'avenir de l'industrie musicale, car nul ne peut prétendre le

savoir aujourd'hui. Le flou juridique et technique dans lequel progresse actuellement la filière

musicale, la rapidité d'évolution des nouvelles technologies et l'incertitude quant à leur adoption par

les professionnels et les consommateurs, rendent incongrue toute certitude. Tous les analystes

semblent être au moins d'accord sur ce point, qu'un chargé de recherche et développement a bien

2 Jean-Michel Billaut, créateur de l'atelier de veille technologique et marketing de Paribas, cité par Véronique Mortaigne, "L'industrie du disque réagit face à la consommation en ligne sur Internet", Le Monde, 14 octobre 1999 3 Bernard Jaworski, Ajay K. Kohli, Arvind Sahay, "Market-driven versus driving markets", Academy of Marketing Science Journal, Hiver 2000

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résumé en ces termes : "Actuellement, l'industrie jette beaucoup de choses contre le mur... ce qui va

coller n'est pas clair"4. Nous nous contenterons donc ici d'émettre quelques hypothèses.

4 Cité par Robert Burnett, "The global jukebox, the international music industry", Routledge, 1996, p. 144

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II. CADRE D'ANALYSE

Nous allons ci-après aborder différentes orientations stratégiques pouvant être prises, suivant

l'orientation adoptée par les entreprises vis-à-vis de leurs marchés. Nous reprendrons à cette fin une

partie de la réflexion de Jaworski, Kohli et Sahay (2000) en tentant de l'adapter au mieux à l'industrie

de la musique, qui nous concerne ici.

Contrairement à ce que l'on pourrait penser, et même si c'est le cas le plus fréquent, les entreprises

n'évoluent pas toujours dans un marché établi, avec une structure et des comportements donnés,

auxquels elles doivent se soumettre. Il arrive parfois, sur des marchés émergeants ou en

restructuration, que les entreprises aient la possibilité de façonner la structure et/ou le comportement

des acteurs de son marché, afin de tenter de le conduire, plutôt que de se laisser conduire. C'est ce

qui se passe actuellement dans l'industrie de la musique, où chacun profite du terrain quasiment

vierge des nouvelles technologies pour tenter de façonner les structures et les comportements à son

avantage, espérant ainsi pouvoir conduire tout ou partie du marché.

L'objectif de l'étude de Jaworski, Kohli et Sahay5 est d'aborder ces deux manières d'appréhender le

marché, une approche "piloté par le marché" (market-driven) et une approche "piloter le marché"

(driving-market). L'approche dans laquelle l'entreprise se laisse conduire par le marché fait référence

à une orientation basée sur la compréhension et la réaction aux préférences et aux comportements

des acteurs dans une structure de marché donnée. L'approche dans laquelle l'entreprise cherche à

conduire le marché suppose d'influencer la structure du marché et/ou le comportement des acteurs

du marché dans une direction qui améliore la position concurrentielle de l'entreprise. Il y a, selon les

auteurs, trois grandes manières de changer la structure d'un marché :

1. Eliminer des acteurs du marché (approche de déconstruction)

2. Construire un ensemble nouveau ou modifié d'acteurs (approche de construction)

3. Changer les fonctions remplies par les acteurs (approche de modification fonctionnelle)

5 Bernard Jaworski, Ajay K. Kohli, Arvind Sahay, "Market-driven versus driving markets", Academy of Marketing Science Journal, Hiver 2000

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Le comportement du marché peut être modifié directement, ou indirectement en modifiant la

mentalité des acteurs.

A. Cadre conceptuel

Le cadre de l'étude de Jaworski, Kohli et Sahay est composé de deux dimensions : la structure du

marché et les comportements du marché. La structure du marché (ou de l'industrie) renvoie à un

ensemble d'acteurs et aux rôles joués par chacun, dans ce que Porter (1985) appelle "la chaîne de

valeur". Par exemple, dans l'industrie du disque, cela inclurait les maisons de disques, les artistes, les

distributeurs, les revendeurs, les promoteurs de concert et les stations de radio. Accepter le marché

comme une "donnée" signifie que l'entreprise considérée n'élimine pas et/ou ne modifie pas les rôles

des acteurs existant de l'industrie. Par opposition, diriger la structure du marché renvoie à une

entreprise modifiant de façon proactive la composition des acteurs, par exemple, en les rachetant ou

en faisant entrer de nouveaux acteurs dans l'industrie (ex : de nouveaux distributeurs). Une entreprise

peut aussi changer la structure du marché en changeant fondamentalement les rôles remplis par un ou

plusieurs acteurs (ex: amener un distributeur à assembler ou fabriquer des ordinateurs en plus de les

vendre).

Le comportement du marché, lui, renvoie au comportement de tous les acteurs dans la chaîne de

valeur de l'industrie : consommateurs, concurrents, fournisseurs, distributeurs et complémentaires.

Accepter le comportement comme une "donnée" signifie que la firme focale accepte le

comportement actuel des acteurs dans le marché (ex : comment, quand, pourquoi les clients achètent

une certaine offre). La concurrence consiste alors souvent à faire changer la perception qu'ont les

client de l'offre de la firme focale, par rapport aux offres des concurrents, sur des attributs considérés

importants par les clients. A l'opposé, façonner le comportement du marché impose d'amener les

clients à se concentrer sur des attributs qu'ils ne prenaient pas en considération auparavant ou en

proposant des offres entièrement nouvelles.

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L'approche qui nous intéresse plus particulièrement, dans le cadre de ce mémoire, est celle où les

entreprises tentent de conduire le marché, car, comme nous l'avons dit précédemment, c'est ce qui

se passe actuellement avec les nouvelles technologies et en particulier dans leurs applications

musicales.

Selon Jaworski, Kohli et Sahay, l'approche "piloter le marché" est une fonction multiplicative de deux

dimensions clés : (1) le nombre de changements effectués dans un marché et (2) la magnitude de ces

changements. Ainsi, une entreprise qui change considérablement la composition d'un marché ainsi

que les comportements de la plupart des acteurs serait classée comme ayant conduit le marché de

manière plus générale qu'une autre entreprise qui n'a occasionné qu'un petit changement dans le

comportement d'un seul acteur du marché. Ainsi, l'orientation cherchant à piloter le marché est une

question de degré et n'est pas une variable dichotomique.

En outre, les auteurs insistent sur le fait qu'une organisation donnée peut à la fois conduire les

marchés et être conduite par le marché. Ainsi, ces approches sont des approches complémentaires

et non substituables. C'est notamment le cas quand une organisation tente à la fois de protéger une

ancienne technologie génératrice de cash et de construire une entreprise pour le futur avec une

nouvelle technologie. Abell (1993) qualifia ce challenge de "stratégie duale", car les organisations

doivent souvent faire face à l'équilibrage entre le besoin de gérer les opportunités présentes et la

planification concomitante du futur.

On pourrait citer comme exemple la Fnac, qui poursuit simultanément les deux approches. En effet,

la Fnac gère actuellement sa distribution de livres, disques, logiciels, matériels (...) à travers la

structure conventionnelle des industries concernées. Dans ce cas, elle accepte comme donnés, à la

fois la structure des marchés et le comportement des acteurs, comme les autres concurrents et les

consommateurs. Cependant, la Fnac vend également depuis plusieurs années à travers son site

Internet, récemment rebaptisé Fnac.com. Elle poursuit donc simultanément une stratégie web qui,

compte tenu du poids et de la forte image de l'enseigne, a le potentiel de changer à la fois le

comportement des acteurs et la chaîne de valeur de l'industrie (ex : éliminer les magasins, les

grossistes). Si l'on considère tout d'abord le changement de structure du marché, il est évident qu'il y

aura un déplacement du magasin physique ou magasin virtuel. Cela va supprimer le besoin de points

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de vente dans la chaîne de valeur. Le comportement du marché changera aussi à partir du moment

où le consommateur va se concentrer sur l'achat par Internet plutôt qu'a travers des points de vente

physiques.

Même si la Fnac n'est pas la première entreprise à proposer des livres et des disques sur le web, elle

a cependant la possibilité de conduire le marché. En effet, les auteurs stipulent clairement que c'est

l'envergure avec laquelle une entreprise change la composition et/ou le comportement du marché qui

compte et non pas qu'elle soit ou non la première a avoir une idée. Ainsi, si un "retardataire"

(latercomer) change efficacement le comportement d'un grand nombre de consommateurs, il aura

conduit le marché dans une proportion plus grande que le pionnier (first mover) qui n'aura modelé le

comportement que de quelques consommateurs.

Un autre point, sur lequel les auteurs insistent, est que les marchés peuvent être conduits par une

seule organisation ou conjointement par plusieurs. Par exemple, plusieurs organisations peuvent

coordonner les changements qu'elles engendrent dans un marché donné, chacune visant un aspect

différent du marché. En effet, compte tenu des compétences et des ressources nécessaires pour

conduire un marché, il apparaît que mettre en commun et coordonner ces compétences et ces

ressources entre organisations peut être une manière plus efficace de conduire un marché que si une

seule organisation tentait de le faire elle-même.Le cadre conceptuel de cette étude peut être illustré

par la matrice suivante :

Structure

Modelé

L'entreprise cherche à

conduire le marché

L'entreprise cherche à

conduire le marché

du marché

Donné

L'entreprise se laisse

conduire par le

marché

L'entreprise cherche à

conduire le marché

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Donné Modelé

Comportement du marché

B. Comment conduire un marché

Chercher à conduire le marché implique donc, comme nous l'avons vu, de façonner la structure du

marché et/ou le comportement des acteurs dans le marché.

1. Façonner la structure du marché

Jaworski, Kohli et Sahay introduisent trois approches générales pour modeler la structure du marché

: (1) éliminer les acteurs dans un marché (approche de déconstruction), (2) établir un ensemble

nouveau ou modifié d'acteurs et, par conséquent, une nouvelle structure de marché (approche de

construction), et (3) changer les fonctions remplies par les acteurs (approche de modification

fonctionnelle). Chacune de ces approches se concentrent sur le changement de la composition des

acteurs dans le marché et/ou des fonctions qu'ils remplissent. L'intérêt n'est pas le changement de la

structure du marché en soi, mais le fait qu'un changement dans la structure du marché peut améliorer

la valeur du consommateur et/ou la performance de la firme focale.

L'approche de déconstruction exige de réorganiser la chaîne de valeur de l'industrie, souvent en

éliminant les acteurs à faible valeur ajoutée du point de vue du consommateur. L'approche

constructioniste implique le développement d'un ensemble différent d'acteurs pour fournir et satisfaire

des besoins du consommateur. Enfin, l'approche de modification fonctionnelle entraîne l'intégration

en amont ou en aval de la firme qui tente de modeler la structure du marché.

a) Déconstruction

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La déconstruction d'un marché implique l'élimination d'acteurs dans la chaîne de valeur de l'industrie.

Ces acteurs peuvent être des grossistes, des distributeurs, des complémentaires...

Le canal

Plusieurs entreprises ont construit leur propre modèle économique en éliminant des acteurs dans le

canal de distribution. L'exemple le plus connu est certainement celui de Dell, qui a réussi à construire

un modèle économique en éliminant le canal de vente. Il faut noter qu'ici, Dell n'a, à proprement

parler, éliminé directement aucun revendeur sur le marché. L'entreprise a seulement changé le

comportement des consommateurs, en les conduisant à acheter directement, plutôt que par

l'intermédiaire d'un revendeur. Cependant, cela a certainement conduit à diminuer les affaires de

certains revendeurs et éventuellement à leur élimination.

L'industrie du disque pourrait également tirer profit d'une approche déconstructioniste consistant à

supprimer les distributeurs. Il est en effet possible d'inclure une connexion directe entre la fabrication

et le consommateur final, supprimant le canal entier, c'est-à-dire les distributeurs et les revendeurs,

dont la marge peut être alors redistribuée. On aurait alors un modèle de "club de disque" où les

consommateurs achèteraient directement à une compagnie comme Columbia House Records.

Columbia House vend directement aux consommateurs finaux à travers de la publicité télé ou

magazine, ou par courrier. L'entreprise n'utilise pas les traditionnels distributeurs ou points de vente

mais expédie directement les CD du fabriquant aux consommateurs finaux.

Les concurrents

La déconstruction des concurrents se rapporte à l'élimination des concurrents dans le marché de la

firme focale. Cela peut être accompli par joint ventures, prise de participation hostile, partenariat,

fusion, acquisition et autres démarches stratégiques. Une alliance entre deux sociétés permet à la fois

d'éliminer la compétition directe entre les deux et de pousser d'autres concurrents à quitter le marché

ou à s'associer dans une consolidation industrielle supplémentaire.

Selon Arndt (1979), les firmes peuvent choisir de domestiquer leurs marchés en réalisant des

démarches stratégiques clé. En effet, selon lui, les marchés qui sont apprivoisés (ou domestiqués)

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offrent des retours plus importants pour l'entreprise que les marchés dans lesquels la concurrence est

intense.

Les fournisseurs

Les firmes peuvent aussi choisir de concurrencer directement leurs fournisseurs pour réduire les

coûts ou améliorer la fonctionnalité.

b) Construction

L'approche constructioniste implique l'addition d'acteurs dans la chaîne de valeur de l'industrie. Cela

peut être une révision globale des acteurs de l'industrie ou une addition relativement réduite de

complémentaires. L'approche de révision globale fut poursuivie par Apple au milieu des années 80

en construisant un ensemble complètement différent d'acteurs (un ensemble très limité) pour

concurrencer Wintel. Une approche constructioniste peut aussi prendre la forme d'un plus modeste

changement dans la structure de l'industrie, en ajoutant de nouveaux fournisseurs de service.

Construire un nouveau réseau d'acteurs

Jaworski, Kohli et Sahay fournissent dans leur article un schéma, illustrant un exemple de la manière

dont un nouveau réseau d'acteurs peut fonctionner dans l'industrie du disque.

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Magazine Technologies Réseau de

Multimédia Appropriées Diffusion

Labels Artistes

En ligne

Revendeurs Sites musicaux

En ligne Multimédia

Site Web Promoteurs

Musical de concerts

Net Distributeur

Radio De tickets

Consommateur

Alors que Geffen, Sony et BMI préfèrent garder intacte la structure actuelle de l'industrie, du moins à

court terme, de nouveaux acteurs comme Artist Direct, CD Now et les acteurs d'audio-on-demand

donnent le signal d'une nouvelle approche de la distribution de musique. Dans cette approche de

distribution basée sur le web, certains acteurs de la chaîne de valeur traditionnelle peuvent être

éliminés (les fabriquants de CD, les distributeurs et les détaillants). Dans ce nouveau modèle, les

artistes ont la possibilités d'aller directement au consommateur final sans avoir besoin des labels, des

fabricants de CD, des distributeurs et des canaux de revente.

Ajouter des complémentaires

Plutôt que de construire un ensemble entièrement nouveau d'acteurs, il est possible pour certaines

entreprises d'ajouter des acteurs complémentaires au réseau de valeur. Quand de nouveaux

complémentaires rejoignent le réseau, la valeur globale du réseau de consommateurs augmente.

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c) Modification fonctionnelle

Une troisième stratégie pour modeler la structure du marché est de changer les fonctions remplies

par les acteurs dans un marché. Une intégration à grande échelle, en amont et en aval, par une seule

firme ou groupe de firmes concurrentes est un exemple, mais d'autres possibilités existent. Par

exemple, l'approche prise par Virgin Records pour intégrer en aval le canal de vente, en créant les

Virgin Megastores. Un autre exemple de modification fonctionnelle serait le cas où plusieurs

concurrents "dé-intégreraient" leurs processus de fabrication et rempliraient chacun des fonctions

spécialisées pour chacun des autres, afin de réduire les coûts.

2. Façonner le comportement du marché

Comme nous l'avons vu au départ, le comportement du marché renvoie au comportement de tous les

acteurs dans la chaîne de valeur de l'industrie. Façonner le comportement du marché implique de

changer de manière proactive la façon dont les acteurs agissent. Dans ce cas, par exemple, sans

l'intervention de la firme focale, les concurrents auraient développé des stratégies différentes et les

consommateurs se seraient comportés différemment.

Les auteurs soulignent que les marchés peuvent être façonnés quand les besoins sont soit manifestes

soit latents. Les besoins manifestes font référence aux besoins du consommateurs qui sont bien

connus et largement compris par les concurrents dans le marché. La concurrence dans ce cas se

concentre sur une meilleure satisfaction des besoins manifestes. Les besoins latents, eux, ne sont pas

apparents pour les concurrents (voire même pour les consommateurs) mais existent néanmoins et

sont insatisfaits dans le marché. Ces besoins sont présents mais pas évidents pour les concurrents.

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Les auteurs avancent qu'il serait bénéfique pour l'entreprise de découvrir en premier lieux les besoins

insatisfaits dans des segments nouveaux ou existants du marché, et donc d'acquérir une

compréhension approfondie de l'environnement du consommateur.

Les auteurs présentent deux méthodes pour façonner le comportement des intervenants du marché :

influencer directement le comportement sans égard pour la structure cognitive des acteurs ou affecter

indirectement le comportement à travers un changement cognitif.

a) Façonner directement le comportement du marché

Etablir des contraintes pour le consommateur

Le comportement du marché peut être modelé directement en instaurant des contraintes réelles ou

imaginaires dans l'expérience d'achat du consommateur. L'exemple type à cet égard est celui

d'IKEA, qui force les consommateurs à magasiner selon un chemin particulier, clairement marqué au

sol. IKEA ne considère donc pas comme donné le traditionnel comportement du consommateur face

à l'équipement de la maison. Plus précisément, il conditionne les attentes des consommateurs,

encourage les achats liés et fournit un temps suffisant en magasin pour encourager l'achat.

Supprimer des contraintes consommateur

Supprimer des contraintes dans le processus d'achat est la deuxième manière selon laquelle les

entreprises peuvent influencer directement le comportement du consommateur. L'émergence de la

vente par Internet a conduit les consommateurs à se comporter différemment, sous l'effet de services

facilement comparables.

Instaurer des contraintes pour les concurrents

Comme pour l'environnement du consommateur, il est également possible d'instaurer des contraintes

pour les concurrents ou autres parties prenantes. Des entreprises dans une position proche du

monopole ont souvent la possibilité de modeler le comportement des acteurs existants du marché.

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Supprimer les contraintes pour les concurrents

Les contraintes du marché peuvent être réduites, par exemple, par la régulation initiée par les

concurrents, le gouvernement, ou autres parties prenantes. Le retrait de contraintes peut, par

exemple permettre à de nouveaux concurrents de pénétrer un marché.

b) Façonner indirectement le comportement du marché

Créer de nouvelles préférences du consommateur

Plutôt que de modeler directement le comportement du consommateur, il est possible de modeler la

perception des offres du marché avant d'avoir un effet sur le comportement. Cela peut survenir dans

des offres complètement nouvelles. Dans ce cas, il n'y a pas de concurrence directe, mais il convient

de faire un effort de communication pour faire connaître et comprendre le produit aux

consommateurs.

Il est également possible de présenter des avantages consommateur complètement nouveaux pour

des produits existants, des avantages que les consommateurs n'avaient pas reconnus auparavant.

L'objectif est ici de changer la manière dont les consommateurs évaluent les fonctionnalités

caractéristiques des produits. Cela ne consiste pas simplement à fournir une meilleure qualité sur un

avantage bien connu, mais plutôt de présenter un nouvel avantage dans le mix.

Inverser les préférences existantes de consommateurs

Une troisième option pour modeler le comportement du marché est de changer les préférences

existantes des consommateurs (et autres parties prenantes), d'une évaluation positive à une évaluation

négative et inversement. Des exemples de produits qui furent auparavant négatifs mais sont

maintenant positifs sont fréquemment observés dans l'industrie de la mode et des accessoires :

pantalons à pattes d'éléphant, chaussures à pointe carrée, ou encore la marque Adidas. Les produits

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d'expression corporelle comme les tatouages et le piercing sont aussi sujet à des retournements de

préférence.

Créer de nouvelles préférences pour les concurrents

La firme focale peut aussi affecter indirectement le comportement concurrentiel en affectant la

mentalité ou la structure cognitive des concurrents sur leurs marchés. Un leader de marché peut

modeler le comportement des concurrents dans le marché par ses décisions d'entrer ou de sortir des

marchés d'un produit particulier. Une entreprise peut aussi utiliser les effets d'annonce pour modifier

le comportement d'un concurrent. Par exemple, l'entreprise peut publiquement faire état de son

intention de dominer un marché en déclin et de cette façon encourager ses concurrents à envisager

leur retrait du marché. De la même façon, une entreprise pourrait signaler son engagement dans un

standard technologique, encourageant ainsi de nouveaux entrants à considérer l'adoption du même

standard.

Inverser les préférences existantes des concurrents

Les actions stratégiques de la firme focale peuvent aussi changer fondamentalement (voire inverser)

les préférences des concurrents. La décision de Proctor & Gamble de poursuivre une stratégie de

"everyday low pricing" (EDLP) a forcé les concurrents à repenser leur stratégie de points de vente et

de passer d'une stratégie de "high/low pricing" à une stratégie de EDLP.

C. Quelques limites

Selon les auteurs, la question de savoir quand fonctionne une approche consistant à conduire les

marchés reste en suspend. Il n'est pas évident du tout que mener un marché soit une tâche facile,

bien au contraire, et beaucoup des tentatives dans ce domaine ont échoué. On peut par exemple

avancer que les grandes entreprises installées, avec beaucoup de moyens et une marque forte, sont

dans la meilleure position pour diriger les marchés. Cependant on peut également soutenir que les

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start-up, sans contrainte industrielle, sont mieux positionnées pour diriger un marché, dans la mesure

où elles n'ont pas de notions préconçues de ce qui marche dans un marché donné. De plus, elles

n'ont pas le fardeau d'un investissement existant dans une technologie particulière.

La question se pose également de savoir dans quelle mesure le comportement du marché peut-être

façonner. La réponse varie sensiblement selon l'industrie considérée. Dans le marché de la mode par

exemple, il semble souvent qu'il n'y ait pas de limite à ce que les consommateurs peuvent endurer

pour être à la mode. A l'opposé, des marchés business to business plus traditionnels peuvent être

moins sujets à changer leurs comportements.

Les auteurs soulèvent également la question de la stratégie duale, et pensent que les entreprises très

puissantes sont capables à la fois de suivre et de conduire les marchés . Quoi qu'il en soit, comme l'a

remarqué Abell (1993), les structures, les mentalités, les procédures et les processus nécessaires à

maximiser le présent et le futur sont différents. Ainsi, les auteurs prédisent qu'il sera difficile de suivre

et de diriger les marchés en même temps. La capacité à faire les deux est probablement fortement

liée aux modèles mentaux ou à la conception des managers de la nature de l'environnement dans

lequel ils évoluent. Les auteurs prévoient que, pour avoir du succès, les entreprises ont besoin de

gérer à la fois le changement de structure et de comportement. Ceux-ci semblent d'ailleurs souvent se

mouvoir ensemble dans la pratique. En résumé, les auteurs établissent que les entreprises

exceptionnelles sont capables de gérer le présent à travers des actions de court terme conduites par

le marché et de considérer simultanément comment remodeler les marchés en les dirigeant vers de

nouveaux espaces compétitifs.

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III. ORGANISATION ACTUELLE DU MARCHE

A. L'évolution des supports : du vinyle au CD

Pour comprendre les enjeux et les stratégies mises en place lors de l'apparition d'un nouveau

support, il peut être intéressant de regarder en arrière dans l'histoire de l'industrie du disque. Sans

remonter jusqu'aux origines de la musique enregistrée, ce qui serait trop fastidieux et hors de propos,

nous allons nous pencher brièvement sur la dernière mutation en date : le passage du disque vinyle au

Compact Disc. Ceci nous permettra de mieux comprendre comment s'est formé le marché actuel, et

de prendre quelques repères qui nous seront utiles par la suite pour analyser les bouleversements en

cours.

Le microsillon vinyle, apparu en 1948, a connu pendant 30 ans une croissance régulière et

conséquente, avant d'entamer un déclin irréversible. De 942 millions d'unités en 1978, année record

des ventes, celles-ci sont passées à 800 millions d'unités en 1983 (34% des phonogrammes vendus),

450 millions en 1989 (15 %), 115 millions en 1992 (4%) et 42 millions en 1994 (1,15 %). Le vinyle

a aujourd'hui quasiment disparu de la plupart des marchés majeurs, enregistrant en 1998 un score

marginal (0,4 % du volume de phonogrammes) et en recul de 10 % par rapport à 1997, avec 16

millions d'unités vendues6.

Parallèlement, la cassette lancée par Philips à la fin de années soixante s'imposa peu à peu,

supplantant le disque vinyle au début des années quatre-vingt et résistant même au disque compact.

En 1993 elle était encore (de peu) le format dominant, car si la technologie numérique s'est imposée

relativement rapidement dans les territoires les plus avancés (Etats-Unis, Japon, Europe), sa

pénétration fut plus lente dans d'autres pays. Aujourd'hui, bien que globalement supplantée par le

CD, elle domine encore dans certains territoires d'Asie, du Moyen Orient, d'Afrique et d'Europe de

l'Est. En 1998, la cassette réalisait 31 % du marché du disque mondial, avec 1,2 milliard d'unités,

soit une nouvelle régression de 11 %.

6 Source : statistiques annuelles de l'IFPI

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La crise du vinyle a entraîné une nette récession de l'industrie, l'augmentation des prix ne parvenant

pas à compenser la chute régulière des marges nettes de la plupart des compagnies tout au long des

années soixante-dix. L'enjeu du disque audionumérique ou compact disc, lancé par Philips et Sony

au début des années quatre-vingt, était donc considérable. Son succès, bien au delà des prévisions, a

accéléré la chute des ventes de 33 tours et entraîné une restructuration importante en modifiant de

façon conséquente les parts de marché des compagnies.

De 5 millions en 1983, les ventes de CD sont passées à 260 millions d'unités en 1987, pour dépasser

le milliard en 1992 (entraînant une progression jamais vue du chiffre d'affaires de l'industrie : + 300

% sur la même période), puis les 2 milliards quatre ans plus tard. Depuis 1994, le CD est le support

le plus vendu au monde, et comptait en 1998 pour plus de 58 % des ventes d'albums, avec 2,36

milliards d'unités vendues et une progression de 6,3 %. Après quelques années d'euphorie, le CD

s'est banalisé et sa progression s'est ralentie. Devant la perte de vitesse de la cassette, les géants de

l'équipement audio ont lancé deux nouveaux supports : la cassette audionumérique DCC par Philips

en 1991, le MiniDisc par Sony en 1993. Leurs ventes sont à ce jour restées marginales (deux

millions de francs de ventes, soit 0,03 % du total du chiffre d'affaires pour les deux supports en 1993

et 1,27 millions de francs en 1994) et toute prospective sur leur évolution reste hasardeuse. Le

MiniDisc semble cependant prendre un avantage définitif et devrait s'imposer comme le support de

substitution à la cassette analogique.

Quant aux disques de format court, qui étaient le support privilégié des "tubes" du hit-parade et des

nouveaux artistes, après la disparition du 45 tours vinyle, ils retrouvèrent un peu de vigueur à partir

de 1991. Mais en 1998, le format court a, pour la première fois depuis 1994, régressé de 9,5 %,

repassant sous la barre des 500 millions atteinte l'année précédente. Le single compte aujourd'hui

pour 11 % des ventes de disques, avec 455 millions d'unités. Ce marché est concentré sur 5

territoires (Etats-Unis, Japon, Allemagne, Grande-Bretagne et France) qui totalisent 89 % des

ventes de singles.

Enfin, les vidéos musicales, qui ont vu leurs ventes croître à un rythme élevé jusqu'en 1992, se sont

depuis affaissées.

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Pour terminer, il est important de noter que la mort du disque vinyle ne fut pas, contrairement aux

apparences, complètement naturelle. En effet, même avec l'arrivée du CD, certains artistes

populaires se vendaient encore beaucoup en vinyle, car ils s'adressaient à une clientèle plus

conservatrice et de province, tandis que la consommation de masse et la démocratisation de l'accès

aux produits culturels toucha en premier lieu les 15-22 ans, plus friands de technologie. Aussi, en

décidant de stopper les chaînes de fabrication de vinyle, les majors ont étouffé un peu plus les

indépendants. Compte tenu des taux d'équipement des ménages en CD, le disque noir, bien que

condamné, avait encore quelques années devant lui. Les plus avantagés par cet enterrement

prématuré étaient bien entendu Philips/Polygram et Sony. La disparition du vinyle incitait évidemment

les acheteurs de disque à se reporter sur le CD, dont les deux majors se partagent le brevet, et à

s'équiper au préalable de lecteurs lasers, vendus également par Philips et Sony. Nous constatons ici

que chaque événement survenant au niveau d'un maillon a des répercussions, en amont ou en aval,

sur l'ensemble de la filière musicale. C'est là toute la problématique des nouvelles technologies, qui

risquent de bouleverser l'industrie du disque de manière encore bien plus large que ne l'a fait le

passage du vinyle eu CD, mais nous y reviendrons plus tard.

B. Le marché mondial aujourd'hui

L'industrie musicale peut peser dans certains pays jusqu'à 3 ou 4 % du produit national. Selon les

données de la Fédération Internationale de l'Industrie Phonographique (IFPI)7, les ventes de disques

dans le monde se sont élevées à 38,7 milliards de dollars en 1998 (en retail value ou prix de vente

détail), soit plus de 230 milliards de francs. Soit une hausse de 2 %, similaire à celle de l'année

précédente mais bien inférieure à la hausse de 9,9 % enregistrée entre 1994 et 1995. Le marché

mondial est cependant en constante progression depuis vingt ans (excepté un léger recul entre 1982

et 1985, le temps que le CD s'installe et se substitue au disque vinyle).

7 Statistiques annuelles 1998

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En revanche, en terme de volume, le marché mondial accuse un léger recul en 1998 (-1,8%) puisque

quelque 4,1 milliards de phonogrammes ont été vendus dans l'année, contre 4,2 milliards en 1997.

La répartition géographique des ventes est très inégale. Les 5 principaux marchés comptent pour 71

% des ventes mondiales. Ce sont les Etats-Unis, le Japon, la Grande-Bretagne, l'Allemagne et la

France. Les dix premiers pays totalisent 81 % du marché planétaire.

La situation française présente des particularités uniques en Europe : la taille du marché français qui

en fait le cinquième au monde, l'absence de grand groupe de dimension internationale d'origine

française, enfin l'existence de sociétés dites indépendantes qui produisent une grande partie de la

variété nationale, encore vigoureuse, et dont la plus importante d'entre elles réalise un chiffre

d'affaires à peine supérieur à 200 millions de francs.

Avec moins de 7 milliards de francs en 1995, ce qui le met bien en deçà du secteur du livre qui

totalisait un chiffre d'affaires de 14;6 milliards de francs en 1994, "le poids économique du secteur

phonographique en France est sans commune mesure avec son poids symbolique et les enjeux

qu'il représente en tant qu'industrie créant et fournissant des programmes musicaux pour les

médias, et, dans un avenir qui se rapproche, les utilisations multimédias" 8.

C. La production

1. La création

a) L'auteur

Le terme désigne les créateurs d'une manière générale, mais il recouvre en fait deux fonctions :

l'auteur de la musique ou "compositeur" et l'auteur des textes ou "parolier". Cependant il peut s'agir

d'une seule et même personne, comme il est également possible que plusieurs musiciens collaborent

pour composer ensemble. Leur activité est quantifiable économiquement par les droits collectés par

8 Mario d'Angelo, "Socio-économie de la musique en France", La documentation Française, 1997

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la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM) et, dans une moindre mesure

par la Société de auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), auprès des organismes de

spectacles , des producteurs de phonographes et des opérateurs audiovisuels.

L'auteur est à origine de l'œuvre, mais la communication artistique de cette œuvre nécessitera souvent

l'intervention d'un interprète, et sa communication commerciale celle d'un éditeur. Certains créateurs

se dispensent d'un éditeur lorsqu'ils sont eux-mêmes interprètes, qu'ils sont en début de parcours

professionnel et concentrent leur activité sur la scène. Mais comme toute exploitation de musique

génère des droits il est de leur intérêt de déposer leurs oeuvres à la SACEM. Ils pourront ainsi

bénéficier d'une réelle protection de leurs oeuvres et toucher leurs droits d'auteur.

b) Le manager ou agent impresario

Au sens anglo-saxon du terme, l'impresario est celui qui est chargé des intérêts de l'artiste (créateur

ou interprète) et de la gestion de sa carrière. Il a une vision globale de l'ensemble des relations

qu'entretient celui-ci avec les différents partenaires (organisateurs de spectacles, médias et maisons

de disques) et ce, afin de négocier et défendre au mieux les intérêts, tant artistiques que financiers de

l'artiste.

En France, son travail est limité par son statut. N'étant légalement reconnu que comme agent

artistique habilité à n'intervenir que dans la sphère du spectacle, mandaté par l'artiste pour lui trouver

des engagements auprès des organisateurs de spectacles. La loi de 31 décembre 1992 a donné à

l'impresario-manager la possibilité d'exercer le métier d'entrepreneur de spectacles avec et pour les

artistes, y compris ceux dont il n'est pas l'agent.

c) L'éditeur (graphique)

Il ne faut pas confondre l'éditeur "graphique" (ainsi dénommé parce que sa première fonction fut

d'imprimer les partitions de musique) de l'éditeur "phonographique" qui commercialise le disque (cf 4.

La production ou édition phonographique - p26). Celui dont nous parlons ici est l'éditeur graphique,

dit "musical", c'est-à-dire celui qui, en relation avec l'auteur, a en charge l'exploitation de l'oeuvre.

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L'éditeur graphique, terme que les anglo-saxons désignent par publisher ou publishing, se situe en

amont de la filière. Il est le premier à investir sur la création. En contrepartie, l'auteur lui cède une

partie de ses droits patrimoniaux, appelée la part éditoriale. Il peut ainsi gérer un catalogue de

plusieurs milliers de références (et bien plus dans le cas des multinationales) et accompagne les

artistes dans leur développement. L'activité des éditeurs recouvre trois composantes : l'activité

graphique proprement dite (impression et vente des partitions), la gestion des droits éditoriaux, et

des activités gérées en direct (adaptation audiovisuelles, recueils, song-books...). L'essentiel de sa

rémunération repose sur le travail fourni en aval de l'édition phonographique et des médias

audiovisuels. L'éditeur est amené à intervenir de plus en plus fréquemment auprès des artistes, il peut

financer des répétitions et des maquettes, intervient souvent dans la recherche d'une maison de

disques et d'un producteur de spectacle, peut être sollicité dans le financement d'un clip, mais peut

aussi placer une musique pour accompagner une publicité...

Au total, en 1994, 3270 éditeurs perçoivent des droits via la SACEM. Sur les cinquante premières

maisons d'édition de variétés, vingt sont liées au disque et représentent plus de 60 % des droits

répartis entre éditeurs, dix-huit sont indépendantes (24 %), neuf sont liées à des auteurs-

compositeurs-interprètes (9 %), deux à des radios (4 %) et une à la télévision (3 %).

Remarque : la coédition

La coédition avec les diffuseurs est une pratique souvent dénoncée par les auteurs et les éditeurs eux

mêmes. Elle permet par exemple à une radio coéditrice de récupérer une part des droits qu'elle

reverse à la Sacem (de 10 à 18 %), d'où un favoritisme dans sa programmation. Une étude de la

société des auteurs9 faisait état en 1986 de 80 à 120 coéditions seulement, sur les 7 500 à 10 000

titres diffusés par semestre sur les ondes hexagonales, mais les titres édités ou coédités étaient

programmés de trois à neuf fois plus que la moyenne.

9 Rapport Sacem sur "Les Variétés à la Télévision", 1989

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2. L'interprétation

a) L'artiste

Il travaille soit sur des oeuvres déjà écrites et qu'on lui propose (c'est l'un des rôles de l'éditeur), soit

directement avec des paroliers et compositeurs qui lui créent des oeuvres sur mesure. Il peut aussi

être autonome s'il est lui-même auteur de ses chansons ou de sa musique. Alors que les auteurs sont

dans l'ombre, les artistes sont sous le feu des projecteurs. Par la qualité de leur interprétation ou leur

notoriété, ils conditionnent le succès de l'oeuvre Ils jouent donc un rôle non seulement dans le

processus créatif mais surtout dans le processus économique qui en découle car l'interprète est pour

le consommateur la seule partie visible de l'iceberg.

b) Le musicien

Les artistes-musiciens accompagnent un chanteur ou instrumentiste soliste sur scène, mais aussi lors

des séances d'enregistrement studio (on parle alors de "requins"). Ils sont à distinguer des artistes-

interprètes ou des groupes, car leurs noms ne figurent pas sur l'étiquette des phonogrammes. On les

appelle également artistes "collectifs", de complément ou "d'accompagnement". Leur part dans le

processus créatif peut être déterminante, selon leur degré d'implication dans les orchestrations, mais

ils sont peu médiatisés et payés.

3. La scène ou "spectacle vivant"

La scène n'a pas de liaison formelle et directe avec le disque, mais ces deux activités ne sont pas

pour autant indépendantes. Les tournées d'artistes connus sont souvent organisées pour

accompagner la promotion de la sortie de leur album. Dans ce cas, le producteur du spectacle peut

recevoir une aide de la maison de disques appelée "tour support".

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Les concerts ramènent des rétributions salariales aux artistes et à leurs musiciens (les cachets), et des

droits d'auteur (droit d'exécution publique) perçus par la Sacem au bénéfice des auteurs et de leurs

éditeurs.

4. La production ou édition phonographique

Le champ de la production recouvre trois étapes:

• la production artistique : en amont, elle recouvre toutes les étapes qui conduisent à la réalisation

du master (enregistrement et mixage).

• la production industrielle : en aval, elle recouvre la fabrication des disques à partir de la bande

master et leur commercialisation.

• entre les deux, tout le travail réalisé par une maison de disques, qu'il s'agisse d'une major ou d'un

label indépendant : promotion, marketing...

Le producteur est celui qui finance et détient la propriété de la bande master. Il ne faut donc pas le

confondre avec le producteur "artistique" (producer dans les pays anglo-saxons) qui est celui qui

réalise ou supervise l'enregistrement (on parle alors de réalisateur artistique). La confusion est

d'autant plus fréquente qu'une maison de disques (producteur financier) qui est à l'initiative d'un

enregistrement réalisé par un producteur artistique peut aussi désigner un intermédiaire pour gérer le

budget d'enregistrement, organiser et suivre le travail en studio. Celui-ci porte alors le titre de

"producteur délégué" ou "producteur exécutif".

Si le producteur ne dispose pas de sa propre force de vente, il négocie alors un contrat de

distribution avec un distributeur, auquel il livre le produit fini (disques fabriqués et cellophanés). Mais

il peut également limiter son travail à la production du master et négocier alors un contrat de licence

avec une maison de disques (major ou label indépendant), à qui il confie l'exploitation du master dont

il est propriétaire. Nous y reviendrons plus en détail par la suite (cf. F Les contrats du disque - p.

35)

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D. Les major compagnies

1. Qui sont-elles ?

Jusqu'en 1998, l'industrie phonographique était trustée par six grandes multinationales qui se

partageaient 80% d'un marché mondial de 40 milliards de dollars. Dans chaque pays européens, ces

majors représentaient de 65 à 90 % des ventes de disques, selon l'Ifpi. Ce sont les groupes

néerlandais Polygram (filiale de Philips jusqu'à son rachat en mai 1998 par le canadien Seagram),

britannique EMI (qui possède également Virgin depuis début 92), américains Time-Warner et

Universal (détenu par Seagram), japonais Sony et allemand Bertelsmann (BMG).

Ces six multinationales ou "major companies" ont pour point commun d'être intégrées verticalement,

de posséder plusieurs labels ou entités de production, une branche éditoriale, des usines de

fabrication et des réseaux de distribution implantés partout dans le monde. Le disque n'est qu'une

branche de leurs activités et leurs développements respectifs tendent de plus en plus vers un concept

de "global entertainment company", avec des intérêts diversifiés dans la vidéo, le cinéma, les jeux

vidéo, le multimédia et plus généralement dans les industries du loisir. Elles développent

internationalement, à travers leurs filiales, un catalogue phonographique majoritairement anglo-saxon

et se livrent à une concurrence acharnée pour le leadership, à coups d'acquisition, de restructurations,

de diversifications, de conquête de part de marché, et en rachetant un à un tous les grands labels

indépendants.

Devant le gigantisme des structures, la place de l'artiste devient parfois secondaire. "Produit parmi

d'autres produits, il se résume alors à une valeur marchande ou stratégique, réelle ou

potentielle, face aux enjeux de diversification d'un groupe multinational"10. Les compagnies en

sont conscientes et tentent d'y remédier en créant des sous-labels, en "splittant" les catalogues et les

équipes, pour donner une taille plus humaine à l'encadrement des artistes. Pour ces raisons, certains

d'artistes optent pour les labels indépendants, privilégiant les relations humaines et de proximité plutôt

que les moyens financiers.

10 Gildas LEFEUVRE, "Le producteur de disques", Dixit, 1998, p.70

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2. Parts de marché et chiffres d'affaires en 199911

Part de marché Chiffre d'affaires

Universal 34,32 % 2 557,97 MF

Sony Music 30,49 % 2 272,76 MF

Virgin 10,85 % 808,96 MF

Warner 7,72 % 575,76 MF

EMI 6,75 % 503,18 MF

BMG 6,26 % 466,42 MF

Autres12 3,60 % 268,16 MF

Il faut noter que ce découpage mondial ne reflète pas la réalité de chaque marché national. Les

chiffres varient sensiblement d'un pays à l'autre, pour de multiples raisons : habitudes culturelles

locales, pratiques de consommation, origine et implantation des compagnies, stratégies déployées,

proportion du répertorie local dans les ventes de disques, dynamisme des indépendants, organisation

de la filiale mais aussi contextes économiques, sociaux, fiscaux et politiques de chaque territoire.

3. Fonctionnement d'une major

"Les majors du disque sont aujourd'hui des entreprises filiales intégrées dans des groupes

multidivisionnels et diversifiés dont elles sont des divisions parmi d'autres" 13. Au sommet du

groupe, une direction générale centrale ou division mondiale du groupe, appelée corporate par les

anglais, couvre l'ensemble des divisions. La Division disques est chargée des opérations nécessaires à

11 Source : Snep. Les chiffres des distributeurs comprennent les chiffres d'affaires réalisés pour le compte des distribués. 12 Hors majors, les autres distributeurs pris en compte dans l'échantillon statistique du Snep sont Auvidis, Harmonia Mundi et Média 7. 13 Mario d'Angelo, "La renaissance du disque", Notes et Etudes documentaires, La Documentation française, Paris, 1989, p. 21

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l'exploitation d'un ensemble de produits ou de services : fabriquer et vendre de la musique

enregistrée sur divers supports et rendre compte de cette activité au corporate.

Les divisions disques se présentent elles-mêmes comme des conglomérats de sociétés internationales

et nationales. La multinationale est juridiquement et économiquement organisée sur une base

territoriale, avec une direction mondiale (maison-mère) et des filiales territoriales, et parfois une

fonction intermédiaire entre les deux niveaux, la vice-Présidence pour un groupe de filiales. La

collaboration entre ces différents niveaux relève du "canal hiérarchique"14. D'autre part, pour pouvoir

fonctionner autour de chaque domaine spécifique (le produit "musique de variétés", le produit

"musique classique", la fabrication, la recherche et le développement technologique, les finances...), il

s'instaure une étroite collaboration entre les services spécialisés des filiales et les services spécialisés

internationaux. Ce sont les "canaux fonctionnels"15. Au sein de l'entreprise multinationale, l'articulation

entre maison-mère et filiales pose le problème des marges de manoeuvre réelles de ces filiales. Si les

filiales des majors sont avant tout des relais pour la diffusion des catalogues internationaux signés par

leurs maisons-mères, elles se doivent néanmoins de développer un catalogue domestique. "Pour

être fort sur son marché, il faut être fort dans la production locale, d'autant que les artistes

nationaux, s'ils nécessitent des investissement importants à l'échelle de la filiale, leur génèrent

des marges autrement plus substantielles" 16.

Grâce à des divisions commerciales performantes et des réseaux de distribution à grande échelle, les

majors développent également des artistes et des catalogues en licences, c'est-à-dire qu'elles

assurent la mise en place de produits finis émanant de compagnies de moindre envergure et de petits

labels. Ces multinationales assurent la mercatique, la promotion et la distribution des leurs produits et

de ceux pour lesquels elles ont acquis la licence d'exploitation. Les filiales françaises de majors

assurent cette fonction mais exclusivement sur le territoire français. Pour être promu et distribué

mondialement, le produit doit être le plus souvent "marketé" à partir de la division internationale (aux

Etats-Unis ou à Londres). (Des échanges directs entre des filiales en Europe ont toutefois repris

depuis quelques années, mais ce phénomène reste très limité.) C'est un système à plusieurs vitesses

où les productions sont "travaillées", promotionnées et mises en place par les filiales selon un principe

14 Pour reprendre le terme utilisé par Mario d'Angelo, op. cit., p26 15 Pour reprendre le terme utilisé par Mario d'Angelo, op. cit., p26 16 Gildas LEFEUVRE, op. cit., p. 95

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de "priorités" : d'abord les "top objectifs" (artistes confirmés, signés par les maisons-mères et vendus

en masse internationalement), puis les priorités locales, les nouveaux talents et les licences, et enfin

les produits distribués. Chaque filiale à des objectifs en terme de chiffre d'affaires, de marges, de

parts de marché, dont l'atteinte conditionne son classement au sein du groupe et donc son pouvoir

décisionnaire et le budget qui lui est alloué par la maison-mère.

E. Labels et producteurs indépendants

Le secteur indépendant recouvre des structures très différentes de par leurs tailles, leurs secteurs

d'activités, leurs moyens, l'importance de leur catalogue, le succès de certains de leurs artistes...

Ainsi, certains producteurs ou labels indépendants ont un poids significatif dans la filière, d'autre une

position plus marginale.

Le terme "indépendant" reste relatif car, hormis quelques structures possédant une distribution

autonome, la majeur partie des labels et producteurs sont tributaires de leurs distributeurs. La

distribution peut être assurée par une major, ce qui assure une diffusion maximale, mais pose le

problème des priorités des équipes de ventes (vu précédemment) qui se concentrent sur les produits

maisons. L'alternative est la distribution par un indépendant, qui offre un accès au marché plus

restreint, mais un service plus personnalisé, et de meilleurs résultats que les majors sur les niches du

marché. Dans les deux cas, il s'agit d'un intermédiaire indispensable mais qui diminue les marges du

producteur. Le choix relève d'un compromis qui peut être d'ordre pratique, idéologique ou

économique. La notion d'indépendant s'entend donc avant tout en terme de capital et de politique de

production et d'une façon générale, le terme s'applique à toute structure non détenue par une major.

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1. Les différents types d'indépendants

Il y a, selon M. d'Angelo et P. Vespérini, cinq types d'indépendants, présentant des différences de

structures, de stratégie et d'enjeux17 :

Le type 1, "le grand indépendant stable", est une société anonyme, réalisant un chiffre d'affaires

de plus de 45 millions de francs,. disposant d'une distribution autonome et bénéficiant d'une

diversification. Ses forces reposent sur une stratégie de croissance par niche rentable combinée à

cette diversification (d'abord de métiers puis de produits, enfin géographique), lui permettant une

approche mercatique particulière. Auvidis, Harmonia Mundi et Musidisc en sont de bons exemples.

Leurs faiblesses résident dans le risque d'une surexploitation des fonds de catalogues au détriment

des produits nouveaux, la difficulté de racheter des entreprises à haut potentiel créatif, à cause de la

surenchère des majors, et enfin une taille insuffisante pour pouvoir effectuer des économies d'échelle

dans la distribution.

Le type 2, "le grand indépendant menacé", est une société anonyme, exceptionnellement une

SARL, réalisant plus de 45 millions de francs de chiffre d'affaires, sans distribution autonome, sans

diversification poussée de ses produits, mais avec des artistes qui ont acquis une notoriété importante

et lui assurent des ressources confortables. Il constitue donc un concurrent pour les majors, en

matière de part de marché (Tréma, Erato et Vogue en sont de bons exemples). Cependant,

l'absence de distribution autonome provoque une dépendance à l'égard des majors, seules capables

d'assurer leur distribution compte tenu des volumes de ventes. Cette situation rend aussi le risque

artistique plus crucial et peut donc remettre en cause la survie de l'entreprise lorsque les

investissements artistiques (le développement de l'artiste, les vidéomusiques, etc.) doivent être

soutenus pour faire face à la concurrence.

Le type 3, "le distributeur fragile", est une SÀRL, plus rarement une société anonyme, réalisant

de 10 à 45 millions de francs de chiffre d'affaires autour d'une activité plutôt monoproduit sur des

créneaux spécifiques, avec des volumes de vente moins élevés que les types 1 et 2 mais disposant de

sa propre distribution, qui lui assure un "matelas de protection" constitué à la fois par une importante

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marge nette sur les ventes des productions internes et par des ressources provenant des labels

distribués. Mais les effets de taille jouent aussi et rendent la diversification difficile, en raison du

niveau élevé des coûts qu'elle nécessite, qu'il s'agisse de la diversification géographique ou de

catalogues. L'exemple type est Mélodie.

Le type 4 , "l'artisan capitalisateur", est une entreprise en nom personnel ou une SARL, réalisant

de 10 à 45 millions de francs de chiffre d'affaires et opérant dans les variétés. Elle reste sujette à des

variations importantes de chiffre d'affaires, mais a une rentabilité nette élevée dans les variétés. Elle

n'a pas de grande diversification des catalogues (monoproduit variétés avec des tubes), ni de

distribution autonome, mais bénéficie d'une vedette qui fait temporairement l'essentiel du chiffre

d'affaires. Ses faiblesses tiennent surtout au manque de fonds de roulement, qui sont nécessaires

pour suivre ses artistes, et sans lesquels l'entreprise court le risque de les voir partir un jour vers

d'autres maisons de disques disposant de plus de moyens.

Le type 5, "l'artisan", est toujours une entreprise en nom personnel ou une SARL, réalisant de 1 à

10 millions de francs de chiffre d'affaires, avec des variations assez importantes d'une année sur

l'autre. Elle est monoproduit, sans distribution autonome et opère dans les genres moins populaires

que le type 4 (classique, chanson à thème, jazz, folklore...). Sa force principale est d'être innovante

sur un créneau unique avec des coûts de production qui restent maîtrisés et des artistes partenaires.

Ses faiblesses sont liées d'une part à l'accroissement du risque artistique consécutif à l'éventuelle

augmentation de la notoriété de ses artistes et donc à la croissance des besoins en fond de roulement,

et d'autre part à un management reposant sur une ou deux personnes.

2. Le poids des indépendants

Il sont en France plus de 900 à se partager les 10 à 20 % du marché laissés par les majors. La

concentration dans le secteur est bien réelle puisqu'en 1996 douze entreprises de moins de 49

salariés totalisaient 571 millions de francs de chiffres d'affaires et que les six plus grandes entreprises

17 M. d'Angelo et P. Vespérini, Avenir et devenir des indépendants français du disque, Coll. "Innovations & Développement", volumes 1 et 2, IDEE Europe, Paris, 1993

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réalisaient un chiffre d'affaires de l'ordre de six milliards de francs. Cependant, les indépendants

distribués peuvent contribuer significativement au chiffre d'affaires réalisé par leur distributeur et leur

apport en terme d'artistes est d'importance dans l'activité de ce dernier. Outre une approche

différente du métier, souvent qualifiée caricaturalement d'artisanale pour les uns et d'industrielle pour

les autres, ce sont surtout l'inégalité des moyens qui tranchent le plus entre les indépendants et les

majors. Ces dernières réalisent des investissements massifs en terme de développement d'artistes, de

publicité et de mises en place. Elles possèdent des fonds de catalogue, sans commune mesure avec

ceux des indépendants, qui constituent une source de revenus capital et une garantie de chiffre

d'affaires.

L'autorisation de la publicité sur le disque à la télévision en 1989 est souvent accusée d'avoir creusé

les écarts. Selon Mario d'Angelo, "les majors "trustent" les écrans, achètent l'espace

publicitaire à l'année, négocient avec radios et télés des remises conséquentes et peuvent se

permettre - sur le volume annuel - de manquer une campagne sur cinq"18. L'indépendant, lui, ne

peut bénéficier de telles remises et ne peut se permettre de rater une seule campagne sans mettre en

péril la survie de son entreprise. Aussi, face à certaines pratiques, certains qualifient la concurrence

de "déloyale" : campagne au "rendement" (espace publicitaires payés en fonction des ventes du

disque), co-édition, partenariat massif (pour des grosses opérations du type Lambada), prise de

participation dans les médias (MCM, NRJ, Ouï FM...), etc. Quant à la promotion, la pression

qu'elle exerce sur les médias n'est évidemment pas la même selon le poids des structures. Les

indépendants doivent alors rivaliser d'ingéniosité pour survivre sur un marché de plus en plus

compétitif, voire saturé, compensant le manque de moyen par une approche plus affinée.

"L'efficacité des hommes et des produits est chez eux plus déterminante que la taille des

structures et des effectifs" .

Face à l'omniprésence des multinationales, de nombreux producteurs se sont tournés vers des niches

de marchés plus spécifiques, délaissées par les majors (jazz, blues, country, musiques traditionnelles,

metal...). Ces micro-marchés ont leurs publics, leurs circuits et leurs économies propres. Pour

chaque disque, l'espérance de vente est plus limitée, mais les budgets de production sont aussi plus

adaptés et les seuils de rentabilité sont très différents de ceux d'une major. Cette spécificité est l'atout

18 Mario d'Angelo, "Socio-économie de la musique en France", La documentation Française, 1997

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des indépendants, certains y ont acquis un savoir faire inégalé. Les indépendants jouent un rôle de

défricheurs, et les marchés et les artistes qu'ils développent suscitent des convoitises dès qu'ils

deviennent significatifs. Il est fréquent qu'ils soient alors repris par des majors, quand les moyens ne

sont plus à la hauteur du succès. Il arrive en effet fréquemment que , parvenus à un certain stade, des

producteurs ou des labels se retrouvent dans l'impossibilité matérielle (moyens financiers comme

logistiques et humains) de poursuivre l'accompagnement de la carrière de leurs artistes et de passer à

l'étape supérieure. L'artiste est alors "revendu" à une major. Chacun y trouve ainsi son compte, c'est

pour les indépendants tantôt un moyen de survie, tantôt la possibilité d'investir sur d'autres projets.

Plus que les "rachats" d'artistes, ce sont les acquisitions de structures qui sont les plus inquiétantes.

La fragilité économique des indépendants en fait des proies rêvées pour les majors qui, en les

rachetant, augmentent leurs parts de marché tout en régénérant leurs catalogues. La perspective de la

disparition à terme des structures indépendantes inquiète les producteurs, même si les présidents de

majors s'accordent à dire qu'il y aura toujours des indépendants.

Ainsi, s'ils peuvent s'opposer dans bien des domaines, majors et indépendants sont cependant plus

complémentaires qu'antinomiques. Les indépendants ont une vitalité et une réactivité, dues à la

souplesse d'une petite structure, qui dynamisent le marché. Les majors, elles, compte tenu de leur

taille et du cloisonnement de leurs structures, sont plus statiques, mais compensent par l'importance

de leurs moyens.

F. Les contrats du disque

Ils définissent les relations professionnelles ou commerciales du producteur et sont de trois types,

dont voici les grandes lignes.

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1. Le contrat d'artiste

C'est un contrat, d'exclusivité le plus souvent, qui lie l'artiste au producteur pour lequel il s'engage à

enregistrer un ou plusieurs disques dans des conditions définies. Il porte sur la durée et le nombre

d'enregistrements. Ce contrat a en principe la nature d'un contrat de travail, sauf si l'artiste est inscrit

au registre du commerce (il s'agit alors d'un contrat de coproduction). L'artiste perçoit un "salaire"

pour les séances d'enregistrement, puis une redevance proportionnelle aux ventes de disques et

autres exploitations éventuelles du ou des enregistrements. Ces redevances sont communément

appelées royalties ou royautés.

Le contrat d'artiste porte donc sur des enregistrement qui ne sont pas encore réalisés. Si le

producteur est une maison de disque, celle-ci prend en charge le coût de réalisation (studio,

musiciens, mixage...) et la fabrication des disques et assure la promotion et le marketing nécessaires.

Si elle dispose de sa propre logistique commerciale (force de vente), elle assure elle-même la

distribution du disque et veille à sa mise en place. C'est le cas des majors et de quelques

producteurs/distributeurs indépendants. L'artiste et son disque sont ainsi pris en charge de A à Z. Si

le producteur ne dispose pas de la logistique ou des moyens nécessaires pour aller au delà de la

production (enregistrement et mixage), il signe alors un contrat de licence.

2. Le contrat de licence

C'est un contrat par lequel le producteur autorise une maison de disque à exploiter le master dont il

est propriétaire, à charge pour celle-ci d'assurer la fabrication, la promotion, le marketing et la

distribution du disque. Ce contrat porte sur une durée et sur un ou plusieurs territoires déterminés. En

échange de cette autorisation, le producteur reçoit un pourcentage sur les recettes provenant de

l'exploitation du disque. Le contrat de licence est généralement conclu disque par disque mais peut

l'être pour tout le catalogue du producteur, on parle alors de label deal. Les disques sont alors

publiés par la maison de disque sous la marque distincte du producteur, ce qui n'est pas toujours le

cas dans les contrats de licence disque par disque.

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3. Le contrat de distribution

C'est le troisième cas de figure, où le producteur du master assure la fabrication, la promotion et le

marketing mais ne disposer pas d'une logistique commerciale (ce qui est le cas de bon nombre de

labels importants). Il confie alors la distribution du disque à une société qui dispose d'une force de

vente : major ou distributeur indépendant (qui n'est pas nécessairement producteur lui-même). Ce

contrat porte sur un produit fini, le producteur livre les disques au distributeur, à charge pour celui-ci

d'en inscrire la référence à son catalogue et d'en assurer une exploitation conforme aux usages. Il doit

gérer les stocks, assurer la présence des disques chez les revendeurs (mise en place et

réapprovisionnement) et en faire remonter les recettes au producteur. Le distributeur, qui ne peut

prétendre à aucun droit sur le master, perçoit cependant en retour un pourcentage sur les ventes.

G. Les circuits de distribution

Les points de vente constituent le dernier rouage de la filière musicale. Leur importance est d'autant

plus capitale qu'ils incarnent le contact direct avec le consommateur. L'environnement du magasin,

son agencement, son confort, sa signalisation, la diversité de son offre, la qualité de ses mises en

place, son animation et les compétences artistiques des vendeurs sont autant de paramètres qui

peuvent être déterminants dans l'acte d'achat.

Aujourd'hui, la distribution du disque en France est assurée par deux ensembles hétérogènes : d'une

part les spécialistes, et d'autre part les généralistes, pour lesquels le disque ne représente qu'une

faible part du chiffre d'affaires. Mais la concentration de la production est allée de pair avec la

concentration de la distribution, qui se caractérise par la prédominance des grandes surfaces dites

"multispécialistes" et "non spécialistes" et la raréfaction des points de vente de proximité. Le nombre

de points de vente dans l'Hexagone était estimé à environ 2500 en 1998, sachant que 2 % des

magasins réalisaient alors 30 % des ventes.

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1. Les spécialistes

a) Les disquaires indépendants traditionnels

Ce sont les plus mal en point. Le développement de la grande distribution et des chaînes spécialisées

leur a été fatal. Alors qu'ils comptaient pour 35 % des ventes de disques en France en 1972, ils n'en

représentaient plus que 22 % dix ans plus tard et 11 % en 199119. La baisse de la TVA fin 87

(passant alors de 33,33 % à 18,6 %) n'a même pas freiné leur constant déclin depuis vingt ans. Ils

passaient en 1993 sous la barre des 10 % et ne comptaient plus en 1998 que pour 5% des ventes.

De 3000 disquaires recensés en 1972,. il n'en resterait plus que 250 à 400 selon la définition du

disquaire prise en compte pour l'estimation. Tout on conservant leur indépendance, une quarantaine

d'entre eux se sont regroupés de façon informelle à travers le réseau Starter (2 % des ventes de

disques en France).

b) Les chaînes spécialisées

Les chaînes de disquaires ont depuis de nombreuses années connu une progression constante : 5,3%

des ventes en 1972, 12,5% en 1983 puis 24,8 % en 1988. En 1996,. elles réalisaient 30% de la

distribution de disques dans l'Hexagone. Mais on distinguera dans cette catégorie les

"multispécialistes" des chaînes de disquaires. Ces dernières, de moindre envergure, sont en plein

développement en France (où elles comptent pour environ 5% des ventes de disques) comme à

l'étranger. Petites ou moyennes structures, détenues en propre ou en franchise, elles disposent d'une

gestion centralisée. On citera principalement les enseignes Madison/Nuggets (85 magasins au total),

Harmonia Mundi (29 magasins), Hypernédia (12 magasins) et Extrapole (la plus récente, avec 4

magasins). Ces deux dernières s'apparentent cependant davantage - mais toutes proportions gardées

- à des "multispécialistes" : Extrapole axe son développement sur un concept multi-culturel et

Hypermédia, proche de l'univers des hypermarchés, centre son activité sur l'audiovisuel et

l'électronique.

19 Source : Snep

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c) Les multispécialistes

Poids lourds de la distribution de disque, les "multispécialistes" ont des surfaces commerciales

pouvant atteindre 2000 m² (voire plus), une offre moyenne de 120 000 références et une

infrastructure imposante. Ils ont aussi en commun le développement d'activités connexes au disque :

billetterie de spectacles, showcases, dédicaces d'artistes, animation des magasins, etc. Après avoir

connu une progression constante, les multispécialistes semblent cependant subir aujourd'hui la

concurrence des hypers. Ils réalisaient 27 % du marché en 1995 contre 29% deux ans plus tôt, mais

semblent progresser à nouveau puisque le Snep leur accorde la réalisation d'1/3 du marché en 1998.

Dans cette catégorie, on citera tout d'abord la Fnac, la plus forte enseigne française de disques, avec

une soixantaine de magasins et une part de marché de 25 % (contre 8 % en 1981). Le disque ne

génère toutefois que 25 % de son chiffre d'affaires. De son côté, Virgin réalisait 5 % du marché en

1997 avec son concept de "megastores", dont le chiffre d'affaires était alors généré à 60 % par le

disque à travers cinq magasins : Bordeaux, Marseille, Toulon et deux à Paris, celui des Champs-

Elysées (premier ouvert de l'enseigne, il compte à lui seul pour 15 % des ventes totale de disques de

Paris et région parisienne avec une surface de 2500 m²) et celui du Louvre.

d) Les grossistes

On les appelle grossistes en France, ou rackjobbers ailleurs. Ils approvisionnent les deux catégories

(spécialistes et généralistes) et compteraient actuellement pour 19 % du marché, mais leur part est

différente selon les circuits considérés. La plus grande partie des 2500 points de vente (1572 en

1995, contre 1611 en 1993) sont livrés directement par les éditeurs phonographiques. Les grossistes

livrent la quasi totalité des supermarchés, la moitié du parc des hypers (les moins vastes), l'ensemble

des magasins populaires et une petite partie des disquaires indépendants (10 à 15 %). Parmi eux, on

distinguera DCG (qui possède la chaîne Madison), SDO et la puissante Cogedep, créée par les

éditeurs phonographiques.

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2. Les généralistes

Les magasins non spécialistes représentent une part de plus en plus importante de la distribution en

France, bien que le disque n'assure que 0,5 à 21% de leurs chiffres d'affaires. Ces grandes surfaces

sont de plusieurs types.

a) Les grands magasins populaires

Peu puissants en France au contraire de nombreux pays européens comme l'Allemagne, l'Angleterre

ou l'Espagne, ils représentent aujourd'hui 3 % du marché contre 10% jusqu'en 1983. Ce sont

essentiellement Monoprix (225 magasins) et Prisunic (122 magasins) qui appartiennent au même

groupe.

b) Les grandes surfaces alimentaires

La grande distribution (distribution alimentaire) a profondément modifié le schéma de la vente des

disques en France, influant même jusqu'aux politiques de production. Les supermarchés sont au

nombre de 7400 (mais seulement la moitié d'entre eux ont un rayon disques) et les hypermarchés

sont estimés à 1050. Le disque représente au maximum 1 % du chiffre d'affaires de ces derniers et

une offre de seulement quelques milliers de références. La France est le seul pays au monde où les

hypermarchés ont un tel poids dans le disque : ils comptent pour 52 % de l'ensemble des ventes de

supports à l'échelon national (60 % selon d'autres estimations), et de 75 à 80 % des ventes de

formats courts. Les enseignes principales sont notamment Carrefour (18 % des ventes nationales),

Auchan (18 %) et Leclerc (10 à 12 %). Leclerc se distingue cependant de ses concurrents avec une

politique active sur le disque et les produits culturels : les "Espaces Culturels Leclerc" développés par

l'enseigne.

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3. La VPC

Très développée dans les pays anglo-saxons, la vente par correspondance ou VPC a vu sa part de

plus en plus réduite en France. De 10% au début des années quatre-vingt, elle a ensuite chuté vers

1985 pour ne plus représenter que 5% en 1998. On citera le club Dial (appartenant à Polygram), le

club Hachette, Reader's Digest et France. Loisirs. Ce dernier est par ailleurs le plus grand club de

livres au monde, il appartient au groupe Bertelsmann (BMG) et compte 195 magasins en France.

Par ailleurs, la Fnac a lancé il y a peu son propre service de VPC, baptisé "Fnac Direct". On peut

donc parier sur une nouvelle progression de ce type de distribution. notamment avec Internet et le

développement du commerce électronique, nous y reviendrons plus en détail par la suite.

4. Mutations et étouffement

Depuis une vingtaine d'années, le paysage s'est donc profondément transformé avec une baisse

régulière et impitoyable du nombre de disquaires traditionnels. Très peu ont pu survivre dans un

marché dominé à 80 % par deux types de magasins à marges réduites : les hypers et les

multispécialistes. Si le développement des seconds a permis d'accroître l'offre, les premiers ont une

offre limitée mais des prix attractifs et continuent de peser lourd en terme de concurrence.

Le principal facteur de cette restructuration des circuits est certainement l'arrivée du disque compact.

De par sa taille et sa facilite de manipulation, il a favorisé le développement des rayons disques des

grandes surfaces, qui ont pu sur une même surface linéaire augmenter le nombre de références

disponibles. La valeur du disque dans les hypers n'est pas marchande (1 % du CA) mais stratégique,

c'est un produit d'appel et sa présence permet notamment d'augmenter le temps moyen passé par les

consommateurs dans le magasin. L'emplacement des rayons n'est d'ailleurs pas fait au hasard.

Le CD a ainsi redynamisé l'industrie du disque mais a aussi favorisé la consommation de masse avec

le développement parallèle du marketing à grande échelle et notamment la surenchère des campagnes

TV, lesquelles vantent principalement les compilations et les albums d'artistes confirmés, plus faciles à

vendre au client lambda qu'un nouveau talent qui doit d'abord trouver son public. Mais une

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rationalisation de la gestion des stocks avec des produits à forte rotation, , une focalisation pour ces

produits de la promotion radio sur les grands réseaux, etc. Les producteurs-distributeurs, majors

principalement, ont ainsi changé en quelques années toute leur stratégie.

Mais les producteurs s'inquiètent aujourd'hui de la disparition des disquaires, "véritable massacre

organisé" selon les producteurs indépendants, qui ont vu leurs marges se réduire peu à peu. N'ayant

pas les mêmes moyens financiers que les majors (clips, campagne TV, marketing, forces de vente),

ils n'ont pas eu le même accès à ce marché de masse et furent dans le même temps pénalisés

également par le déclin du microsillon. Gildas Lefeuvre estime qu'en laissant disparaître les disquaires

de proximité et en privilégiant le quantitatif au qualitatif, certaines catégories d'acheteurs ont été

négligés, notamment les "hyper-consommateurs", population réduite mais à gros budget. "Certes, le

nombre global d'acheteurs de disques a considérablement augmenté mais sont-ils pour autant

fidélisés ? La "masse" des consommateurs devient impalpable et son profil flou. D'où

l'utilisation de panels, sondages et autres palliatifs au discernement"20.

Après avoir largement profité de la situation, "on s'aperçoit aujourd'hui qu'on est allé trop loin"

déclare un directeur commercial. Les petits disquaires indépendants ne représentent plus que 5 %

des ventes de disques et sont aujourd'hui absents des moyennes. Le relais commercial assuré par

des magasins de toutes tailles n'est plus préservé, d'où une répartition inégale des ventes en terme

géographique. La grande distribution est aujourd'hui au centre de la polémique mais ne veut pas être

le bouc émissaire, elle accuse la propre politique commerciale des éditeurs. Ils ont en effet fait le jeu

de la situation qu'ils dénoncent, en pratiquant des politiques de sur-remises, ils ont favorisé son

développement et se faisant, étouffé davantage les petits disquaires au lieu de leur accorder des

remises supplémentaires leur permettant d'exister. Pour Bernard de Bosson, président délégué de

l'Upfi, "la grande distribution est ce que les multinationales ont voulu qu'elle soit".

Pour y palier et rétablir un équilibre, plusieurs solutions ont été préconisées :

• rétablir une capillarité de disquaires,

• obtenir une baisse de la TVA sur le disque (à 5,5% comme pour le livre),

20 Gildas LEFEUVRE, "Le producteur de disques", Dixit, 1998, p. 129

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• instaurer un prix plancher du disque pour éviter la vente à perte, un moment pratiquée par

certaines enseignes de la grande distribution (type CD à 5 F). Cette pratique est désormais

sanctionnée par les nouvelles dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1996 relative à la

liberté des prix et de la concurrence, qui interdit "les prix abusivement bas",

• instituer le prix unique du disque. Le ministère de la Culture s'y montre favorable. Les

indépendants le réclament, avançant une argumentation déflationniste, mais les majors sont

divisées sur le sujet.

H. Les médias

En amont des détaillants; les médias conditionnent leurs commandes et les mises en place de disques,

tout en influant sur le consommateur (découvertes d'artistes, valorisation des sorties, information,

publicité). Si ce maillon n'est pas impliqué dans le processus économique direct, il en constitue

néanmoins un filtre incontournable. Les médias permettent de faire connaître l'offre musicale au

public et influent considérablement sur les comportements d'achat. C'est pourquoi chaque maison de

disques possède une équipe de promotion, dont l'objectif est d'obtenir la plus large médiatisation

possible du disque: radio, presse, télé. La promotion peut aussi s'accompagner d'investissements

publicitaires, relevant non pas de la promotion mais du marketing. Nous aborderons la question du

marketing et de la promotion dans le point suivant (cf. I Marketing et promotion - p. 45), pour

l'heure nous allons passer en revue les deux grands médias impliqués dans la diffusion de

programmes musicaux : la radio et la télévision.

1. La radio

Par l'importance de ses auditoires, la radio reste le principal vecteur musical. L'ancienne TSF

(télégraphie sans fil) est venue bouleverser dès sa création, dans les années vingt, le champ de la

musique qu'elle a cherché à diffuser. Le très grand succès qu'elle remporta aussitôt auprès des

auditeurs concurrença fortement le spectacle vivant et le disque. Les organismes radiophoniques se

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sont donc dotés d'orchestres, que ce soit pour les musiques dites sérieuses ou les musiques

populaires. De nombreuses émissions avaient alors une production musicale en direct. C'est après la

seconde guerre mondiale, et surtout dans les années soixante que la transmission par modulation de

fréquence et la stéréophonie se sont développées. Parallèlement, c'est aussi la miniaturisation, avec le

transistor, qui fait de la radio le support idéal pour les jeunes qui veulent écouter la nouvelle vague de

variétés ou encore pour la "ménagère" qui souhaite un fond sonore l'accompagnant dans ses tâches.

Très vite, chaque foyer va posséder plusieurs récepteurs.

Pendant près de cinquante ans, dans un cadre monopolistique prévoyant cependant quelques

dérogations (les radios dites périphériques), le service publique a développé une certaine conception

de la radio. L'année 1981 marque un tournant dans le paysage médiatique français, avec la loi du

9 novembre permettant la "libération des ondes", c'est l'explosion des radios privées associatives.

Les nouveaux venus prennent des parts de marché au détriment de la radio publique et des postes

périphériques (RTL, Europe 1, Sud Radio et Radio Monte-Carlo), mais ils contribuent aussi à

développer le marché de l'écoute radiophonique en multipliant des offres plus ciblées, par

l'introduction de nouveaux concepts permettant de capter des auditoires plus segmentés. Pour les

jeunes, par exemple, les nouvelles radios visent ceux qui désirent soit écouter de la musique

introuvable sur les ondes traditionnelles, soit dialoguer sur des thèmes de leur génération.

En 1993, le paysage radiophonique apparaît plus stabilisé, le nombre de stations ayant fortement

diminué par rapport à la période euphorique du milieu des années quatre-vingt. C'est durant cette

décennie, sous l'influence notamment de la loi, que se sont développées les structures associatives. Si

celles-ci représentaient encore en nombre 45 % de l'ensemble des radios privées en 1993 (mais

beaucoup moins en chiffre d'affaires), la grande majorité de l'offre est à présent assurée par des

radios commerciales locales, qu'elles soient indépendantes ou affiliées à un réseau national.

L'écoute radio n'a cessé de croître depuis 1973, avec une très forte croissance à partir de 1981. Les

plus grands réseaux FM ont construit leur concept de radio musicale d'une part sur la diffusion de

musique en continu, et d'autre part sur des cibles bien identifiées, parmi lesquelles les auditeurs

jeunes (moins de 35 ans) constitueraient les groupes prépondérants.

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2. La télévision musicale

La télévision musicale a longtemps été considérée comme une menace pour la musique française,

notamment suite au développement rapide de la filiale européenne de la chaîne américaine Music

Television (MTV). La réussite de Musique Plus au Québec laissait quant à elle quelques espoirs pour

la création d'une grande chaîne musicale francophone diffusée également sur le réseau hertzien. Mais

les dernières chaînes arrivées dans le paysage audiovisuel français ne comblèrent pas ce vide : La

Cinq avec une vocation généraliste, M6 orientée vars les jeunes publics avec une programmation de

vidéomusiques ; puis après l'échec de La Cinq, Arte, chaîne culturelle, avec une part musicale non

négligeable dans sa grille de programme mais destinée à des publics d'initiés. Le concept de M6,

ciblant un publique jeune et laissant une place importante à la musique, a évolué depuis, pour se

réorienter vers moins de musique et plus de séries. C'est dans ces conditions qu'a été créée en 1989

MCM (Euromusic S.A.), véritable chaîne thématique musicale, diffusée en continu exclusivement

sur le câble et Canalsatellite. Les principaux actionnaires en sont la Générale d'Image, Canal Plus,

NRJ, Communication développement, Lyonnaise Communication, Polygram et Sony. La cible des

téléspectateurs est constituée par la tranche d'âge 15-49 ans et le cœur de cible sont les 15-25 ans

qui composent environ les deux-tiers de l'auditoire. Malgré une audience supérieure à celle de MTV,

la chaîne reste fragile car diffusée uniquement dans l'hexagone et donc à un marché potentiel restreint

en raison de la faible pénétration du câble et du satellite.

I. Marketing et promotion

1. Le marketing en question

Le marketing a véritablement fait son apparition dans l'industrie phonographique avec l'avènement du

CD. "Découvrant les potentialités d'un marché de masse, les maisons de disques en ont usé et

abusé, pour "pousser" un produit, pour le distinguer du nombre toujours croissant de

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référence, pour pallier des faiblesses ou un manque de qualité, ou encore pour exploiter et

réexploiter un catalogue endormi. Certes le marketing est utile au disque, voire même

indispensable, mais il convient de l'utiliser à bon escient et avec discernement"21. Le marketing

et la promotion sont inévitablement liés car elles ont le même but : faire découvrir un artiste ou un

disque et inciter les consommateurs à l'acheter. De plus, la promotion dépend du marketing en terme

de budgets et d'objectifs. Dans les deux cas il s'agit de communication, mais l'une est directe et

l'autre indirecte (tout comme les investissements).

Si le marketing fait peur (car il semble éloigner de l'artistique) il n'en demeure pas moins omniprésent.

Du choix de la jaquette à celui des titres pour une maquette ou un single, chaque détail a son

importance. Pour Gildas Lefeuvre22, l'anti-marketing est lui-même une forme de marketing. Le

mouvement alternatif a ainsi crée un marché basé non pas sur l'absence de marketing, mais sur un

"marketing alternatif". On peut cependant distinguer deux grands types de marketing, l'un réalisé de

façon artisanale et intuitive (plutôt celui des indépendants) et l'autre à plus grande échelle, plus

technique et parfois plus spectaculaire. Ainsi, les majors n'hésitent pas à recourir aux panels pour

mieux cerner les goûts et les attentes du public, et à en tenir compte dans leur politique de production

et de signature.

La question n'est donc pas de savoir s'il faut ou non utiliser le marketing, mais comment l'utiliser. En

effet, celui-ci profite généralement aux artistes confirmés, aux fonds de catalogues et aux

compilations, et rarement aux nouveaux talents qui en ont le plus besoin, mais pour lesquels le retour

sur investissement serait trop aléatoire. De plus, l'autorisation de la pub TV sur le disque en 1988 n'a

fait qu'accentuer le problème. Elle a été, et est toujours, très décriée (surtout par les indépendants),

et certains souhaiteraient la voir à nouveau interdite.

21 op. cit. p. 236 22 Ibid., p237

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2. Les investissements publicitaires

Les investissement publicitaires de l'industrie phonographique se chiffraient à près de 2,3 milliards de

francs en 199723, un chiffre équivalent à celui de 1996, mais qui a doublé en quatre ans. Le support

favori est de loin la télévision, qui concentre 75 % des investissements, suivie de la radio (22 %) et

de la presse (2,7%). Quant au cinéma et à l'affichage, ils restent marginaux. L'industrie

phonographique consacre ainsi un tiers de son chiffre d'affaires à la publicité et se classe en tête des

plus gros annonceurs télé. Les spots de publicité offrent un accès direct au public et s'inscrivent dans

un plan marketing, pour accompagner un lancement d'album, un concert, une tournée.

L'investissement publicitaire, surtout en télévision, n'a néanmoins de sens que lorsque l'artiste est déjà

connu du public, sauf s'il s'agit d'albums de compilations sur des thèmes ou un genre de musique

précis.

3. Visuel, forme et présentation

Si l'aspect artistique des pochettes tente de se maintenir, il répond néanmoins de plus en plus à des

règles marketing. "On ne fait plus du beau mais de l'efficace, dans le but de sortir de

l'enlisement des bacs" . Tous les moyens sont bons : avantage aux couleurs et à la lisibilité, ajout de

stickers agressifs, utilisation de matériaux, de formes et de reliefs originaux... La mise à disposition de

PLV pour les distributeurs a également son rôle à jouer dans la différenciation, et permet, de l'avis de

certains points de vente, d'augmenter les ventes jusqu'à 10 %. Enfin, le placement d'un disque en tête

de gondole est un atout majeur qui, renforcé par une signalétique appropriée, peut faire des miracles.

4. La promotion

La promotion est un maillon capital de la diffusion d'un disque. C'est le seul qui s'articule sur une

confrontation quotidienne avec de multiples interlocuteurs qui n'ont pas les mêmes intérêts et qu'il faut

convaincre en tenant compte de leurs spécificités. Ainsi, la plupart des départements promotion des

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grandes entités sont découpés en cellules spécialisées sur un secteur média défini : radio FM,

périphériques, grande presse, presse spécialisée, télé... Les objectifs et les budgets sont définis par le

service marketing. Pour chaque album, une concertation avec l'artiste permet de dégrossir le travail

promotionnel, de connaître ses disponibilités et de bloquer des jours promo. A charge ensuite à

chaque attaché(e) de presse de "booker" un maximum d'interviews, tournages TV et séances photos

dans cet espace de temps. L'artiste se doit donc d'être disponible. Tout ce travail a un coût : des

envois de disques aux invitations de concerts, des voyages de presse aux documents imprimés, sans

parler des "plus" qui vont distinguer le disque de ceux des concurrents et retenir l'attention du

journaliste ou du programmateur.

a) La promo radio

L'objectif est d'obtenir un maximum de diffusion du titre à l'antenne. La radio est considérée comme

"starter" et c'est donc par elle qu'on démarre qu'on démarre généralement une promo. Elle reçoit les

disques avant les autres médias, essentiellement des singles extraits d'un album à paraître (ce qui

permet à la maison de disques de "tester" un artiste). Les réactions, l'entrée en play-list (liste des

titres joués à l'antenne) et l'intensité de cette diffusion (l'airplay) conditionnent souvent la date de

commercialisation d'un album et en général sa mise en place.

b) La promo presse

L'objectif est d'obtenir des articles, des chroniques de disques, de proposer des interviews

d'artistes... La promotion presse mise sur l'information ; elle plus facile dans la mesure où ce média

n'est pas soumis à des impératifs aussi sanctionnants que l'audimat ou la mesure Médiamétrie et qu'il

ne "diffuse" pas un titre comme les médias audiovisuels. Elle est aussi plus difficile en raison du

nombre de titres. Quels que soient le ton ou la cible du magazine, les choix sont le plus souvent

fonction des goûts personnels des journalistes. Ils ont un pouvoir de critiques, positives ou négatives,

23 Source : Secodip

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que n'ont pas la radio ou la télé. La presse a surtout un rôle informatif et c'est donc le but de la

promotion presse, qui porte essentiellement sur les albums, et non sur les singles.

c) La promo TV

L'objectif est d'obtenir le passage de l'artiste dans les émissions (musicales ou talk-shows non

spécialisés) et la diffusion du clip. Les interlocuteurs sont beaucoup moins nombreux que dans la

radio et la presse. Les émissions musicales, toutes chaînes confondues, ne sont pas légion et les

possibilités qu'elles offrent sont réduites. Les plus convoitées sont évidemment les prime-time, en

raison de leurs scores d'audience. Paradoxalement, leur public n'est pas celui des acheteurs de

disques que l'on vise mais l'impact de notoriété est important et stimule les points de vente pour les

précommandes et la mise en place. Les programmateurs, très sollicités, se fient avant tout à l'airplay

radio de l'artiste.

d) Les autres médias

Outre la trilogie presse-radio-TV, d'autres médias ne sont pas à négliger. Citons notamment les

discothèques ou clubs, qui constituent même un marché spécifique, celui de la dance music. Non

seulement les titres diffusés génèrent des droits mais ils peuvent aussi déclencher des ventes sur des

engouements ponctuels. Ce médias permet aussi de "tester" les produits. La scène peut aussi être

considérée comme un média dans une stratégie de développement d'artiste, mais elle constitue en

elle-même un secteur économique à part entière et non accessoire à celui du disque. Enfin, le point de

vente lui-même doit être pris en considération. C'est peut-être le média le plus déterminant, celui de

la confrontation directe avec l'acheteur. Pour preuve, le nombre croissant d'animations des magasins

(surtout Fnac et Virgin) avec par exemple des séances de dédicaces ou des showcases.

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J. Les trois goulots d'étranglement

Les difficultés pour développer de nouveaux talents ont pris des proportions jugées inquiétantes par

certains professionnels. Nombreux sont ceux qui souhaitent vivre de la musique, mais bien peu y

parviennent car la sélection est impitoyable. Elle s'exerce en trois points précis de la filière musicale,

trois goulots d'étranglements24 qui sont aujourd'hui plus que jamais resserrés.

1. Premier goulot : la signature

Les multinationales reçoivent chaque année plus de 5000 cassettes ; en y ajoutant ce que reçoivent

les labels indépendants, et sachant que la cassette n'est pas le seul moyen de rentrer en contact avec

une maison de disques, on peut imaginer que le volume de sollicitations est conséquent, face à une

capacité de signatures limitée (100 à 200 par an, toutes structures confondues). Le rapport entre

l'offre et la demande est estimé à 1 pour 1000 (2 pour 1000 dans l'industrie du livre). Une alternative

réside cependant dans l'autoproduction, mais elle ne peut donner satisfaction à tous les artistes

postulants.

2. Deuxième goulot : les médias

Une fois passé le cap de la signature, reste à franchir celui des médias, principalement

radiophoniques. En effet, seulement 2 à 5 nouveautés par semaine font leur apparition sur la bande

FM. De plus il ne s'agit là que de singles dont le succès n'entraînera pas automatiquement le succès

de l'album dont ils sont extraits. Ainsi, on estime que moins de 10 % des albums lancés sur le marché

dépassent les 10 000 exemplaires, tandis que la moitié des ventes est réalisée par une trentaine

d'albums (dont certains ne sont que compilations et best of !).

24 Gildas LEFEUVRE, "Le producteur de disques", Dixit, 1998, p. 59-61

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3. Troisième goulot : la mise en place

Une fois franchis les deux premiers goulots, la mise en place reste extrêmement sélective. D'un côté

les hypermarchés ne référencent que des produits à "forte rotation" (titres les plus vendus ou les plus

diffusés en radio), de l'autre les magasins de type Fnac ou Virgin peuvent compter jusqu'à 120.000

références. Certains albums seront ainsi indisponibles dans le premier cas, et noyés dans la masse

dans le second, ce qui réduira d'emblée leur chance de succès.

Ainsi, peu nombreux sont ceux qui franchissent les trois étapes, d'où la réticence des producteurs

car, s'ils permettent à un artiste, en le signant, de franchir le premier goulot, ils prennent alors le risque

de le voir se heurter à celui des médias, de la distribution ou encore au rejet des consommateurs.

C'est pourquoi les producteurs déclarent rechercher plus volontiers un "potentiel" qu'un "talent" (les

deux termes n'étant malheureusement pas toujours synonymes). Le développement d'un nouvel

artiste (en 3 albums sur 3 à 5 ans) coûte en effet aujourd'hui de 2 à 3 millions de francs, avec une

mise de départ de 800 000 à 1,5 MF pour le premier album, répartie pour moitié entre la production

(disque, clip) et les dépenses de promotion et de marketing.

K. La consommation

Le consommateur apporte la grande majorité des revenus de la filière musicale. De plus, ses actes

d'achat ne se limitent pas aux disques, il doit aussi s'équiper du matériel de lecture nécessaire. Estimé

à 10 milliards de francs, le marché de l'équipement audio représente un chiffre d'affaires équivalent à

celui du disque. Certaines majors sont d'ailleurs impliquées dans les deux marchés, notamment Sony

et Philips, avant qu'il ne revende Polygram à Universal. De plus, si les ventes de disques s'élèvent à

12 milliards de francs (valeur détail TTC), le poids global de la filière musicale peut être estimé à

environ 20 milliards de francs si l'on y ajoute les flux financiers générés par les spectacles, les droits

et les achats d'instruments, et beaucoup plus si l'on y le chiffre d'affaires de tous les intermédiaires,

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prestataires de services et multiples sociétés dont l'activité est liée à la musique (studios

d'enregistrement, sociétés de sonorisation et d'éclairage de spectacle...).

1. Les Français et la musique

Les études du ministère de la culture sur les pratiques culturelles des français25 ont montré que la

musique occupait une part de plus en plus importante dans leur vie : toutes les pratiques musicales

depuis 1973 sont à la hausse. Le rock, restant le genre préféré des 15-19 ans, est devenu aussi, chez

les moins jeunes, un genre reconnu parmi les autres formes musicales. Les concerts sont les sorties

culturelles qui ont connu la plus forte progression entre 1973 et 1992. L'écoute de musique à

domicile s'est développée grâce à l'augmentation du taux d'équipement des Français en chaîne hi-fi

(73 % en 1996 contre 8 % en 1973). Le baladeur s'est également développé avec une rapidité

étonnante (un tiers des Français, et 67 % des 15-19 ans, en étaient équipés en 1988). Globalement,

en 1981, les trois quarts de la population écoutait de la musique enregistrée, soit 10 % de plus qu'en

1973. L'écoute musicale augmente dans toutes les catégories de la population, sans exception, le

phénomène étant toutefois particulièrement marqué chez les jeunes âgés de 15 à 19 ans qui écoutent

quotidiennement des phonogrammes.

Quant à la radio, en 1973, elle était surtout écoutée pour les informations, alors qu'en 1988 les

Français l'écoutent "essentiellement pour la musique" et qu'en 1996 celle-ci reste la motivation

première dans l'écoute de la radio pour 73 % des personnes interrogées, ce taux passant à 90 %

auprès des 15-24 ans26. La progression de la télévision est également perceptible : en 1988, un

Français sur deux regarde le petit écran tous les jours et cela dans toutes les catégories sociales.

Seulement 30 % des personnes interrogées estiment qu'aujourd'hui la musique occupe une part

importante à la télévision, alors qu'ils sont 80 % à souhaiter que cette place soit plus importante à

l'avenir27, et toutes les générations s'accordent sur ce point (même si toutes n'attendent pas les

mêmes styles musicaux ni les mêmes formes de programmes).

25 La Documentation Française, Paris, 1990 26 Selon un sondage SNEP/Louis Harris, mai 1996

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2. Combien dépensent les acheteurs ?

Les Français achètent en moyenne 1,5 CD ou cassette par acte d'achat28. L'essentiel de la

population acheteuse se contentent d'un seul disque (à 71%), tandis que 20 % achètent en moyenne

deux CD par acte d'achat, et 9% vont jusqu'à 3 disques et plus. L'achat de disques décroît avec

l'âge, comme en témoigne le tableau ci-dessous (valeurs exprimées en pourcentages).

Nb de disques

achetés

Aucun de 1à 4 de 5 à 9 10 et plus

Ensemble 13 35 24 28

15-24 ans 6 37 24 33

25-34 ans 6 36 28 30

35-49 ans 10 35 25 30

50-64 ans 23 35 20 22

65 ans et + 29 31 20 20

La population acheteuse dépense en moyenne 682 F par individu et par an, soit environ 5 à 6

albums. Quant au budget moyen annuel consacré à l'achat de disques29 :

n 10 % des acheteurs dépensent de 0 à 149 F par an

n 17 % des acheteurs dépensent de 150 à 299 F

n 20 % des acheteurs dépensent de 300 à 499 F

n 29 % des acheteurs dépensent de 500 à 999 F

n 24 % des acheteurs dépensent 1000 F et plus

Si l'on divise le montant des ventes en valeurs (source Ifpi) par la population (sources ONU et

OMS), le Français arrive au 12ème rang des plus dépensiers en supports enregistrés avec 233 F par

27 Selon un sondage SNEP/Louis Harris, mai 1996 28 Selon des statistiques Snep/Sofres 29 Selon des statistiques Snep/Sofres

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individu et par an, après le Japonais (313 F), l'Américain (274 F), l'Anglais (270 F), le Belge (257

F)... Trois pays du Nord composent le tiercé gagnant en la matière : la Norvège (358 F), l'Islande

(357 F) et le Danemark (342 F). D'autres territoires de par leur forte population, le prix des disques

qu'ils pratiquent et la priorité "culturelle" qu'ils y consacrent, dépensent nettement moins en disques.

Ainsi l'Europe du Sud (Espagne, Italie, Portugal, Grèce) y consacre annuellement moins de 100 F en

moyenne par habitant, de même que l'Europe de l'Est (Pologne, Hongrie, Russie...).

Cependant, le nombre de disques achetés par an et par foyer30 donne des résultat assez différents,

du fait de la disparité des prix et des supports achetés. Les Etats-Unis restent le pays le plus

consommateur d'albums (9,7 par foyer), devant la Grande-Bretagne et la Suisse, la France arrive

10ème de ce classement avec 5,5 albums achetés par foyer en 1996. En revanche c'est le Japon qui

reste le plus gros consommateur de formats courts (3,9 singles par foyer et par an), suivi de la

Grande-Bretagne (3,2), de l'Allemagne (1,6) et de la France (1,4).

3. Les motivations d'achat

La radio est le principal "motivateur" des achats de disques pour 42 % des Français. Les conseils

(dont le bouche-à-oreille) viennent ensuite, évoqués par 19 % de l'ensemble des acheteurs, et par 28

% des 15-19 ans. 13 % déclarent que leur achat a été motivé par la pub TV et 7 % par la presse. Il

est à noter que, parmi les motivations d'achat, l'interprète n'est évoqué que par 13 % des acheteurs.

Ce taux passe cependant à 16 % chez les 25-29 ans qui y sont manifestement plus sensibles31.

a) Les motivations d'achat selon les tranches d'âge

Radio Presse Pub TV Interprète Conseils Autres nsp

30 Source : Ifpi, 1996 31 Source : Snep/Guide économique

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Ensemble 42 % 7 12 13 19 8 2

15-29 ans 43 1 11 15 28 3 2

20-24 ans 45 5 13 12 20 5 2

25-29 ans 40 4 10 16 24 8 2

30-34 ans 43 10 9 14 15 13 2

35-44 ans 44 10 13 9 15 12 1

45 ans et

+

38 15 14 11 6 14 3

Source Snep/Ipsos

b) Le motivations selon le budget annuel consacré aux disques

Acheteurs Radio Presse Pub TV Interprète Conseil Autres nsp

moins de

1000 F

48 % 4 19 11 16 5 2

1000 à

2000 F

44 6 11 12 19 9 1

plus de

2000 F

31 14 6 16 23 10 3

Source Snep/Ipsos

c) Les motivations quant au choix du magasin

Selon un sondage Snep/Sofrès, la proximité du domicile est l'argument généralement avancé par les

acheteurs de disques, quels que soient le type de magasins qu'ils fréquentent. Pour les disquaires

traditionnels, les motivations avancées sont d'abord le choix (pour 64 % des interrogés32), et

32 Les répondants ayant pu fournir plusieurs réponses, le total des pourcentages dépasse 100

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évidemment la proximité (pour 48 %), puis les services proposés : la possibilité d'avoir le conseil

d'un vendeur (42 %), d'écouter avant d'acheter (35 %) et de pouvoir commander un album (28 %).

Les acheteurs préfèrent la Fnac pour le choix proposé (93 %), puis les prix (33 %). Idem pour

Virgin (92 % évoquent l'offre), l'enseigne pour laquelle les consommateurs mettent ensuite en avant la

possibilité d'écoute (45 %) et les horaires pratiques (35 %). Choix, proximité, conseil des vendeurs

(et le prix, dans une moindre mesure) sont les motivations les plus déterminantes chez ceux qui

optent pour les chaînes spécialisées. Quant aux généralistes, c'est le prix qui reste leur principal atout

(à 68 % pour les hypers/supers et à 61 % pour les grands magasins populaires), devant la proximité,

mais le choix - pourtant plus limité - vient ensuite dans les motivations évoquées (à 49 % pour les

hypers et 39 % pour les grands magasins). Si 82 % des consommateurs savent exactement ce qu'ils

veulent acheter, 59 % reconnaissent qu'il leur arrive de rentrer dans un magasin sans idée préconçue.

Enfin, 28 % seulement sont prêts à parcourir une distance importante pour trouver le disque qu'ils

recherchent.

Ces tendances sont confirmées par un autre sondage BVA/Extrapole33, selon lequel le premier

facteur d'incitation à l'achat est l'impulsion sur le point de vente (donné à 36 %), le bouche à oreille

(23 %), les émissions à la radio ou la télévision (19 %), la publicité (18 %), la presse ne vient

qu'ensuite (avec 7 %), devant le conseil sur le point de vente (5%).

L. Le cadre légal

1. Le droit d'auteur

La reconnaissance de la propriété de l'auteur sur son œuvre a plus de deux siècles d'existence, elle se

fit sous la révolution française. Beaumarchais créa la Société des auteurs et compositeurs

dramatiques (SACD) en 1777 et la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique

(Sacem) fut fondée en 1851.

33 Sondage BVA/Extrapole, réalisé en avril 1996.

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"Le droit d'auteur français s'organise aujourd'hui autour de la personne de l'auteur et le

caractère protégeable de l'œuvre réside dans le critère de l'originalité, celle-ci etendue

classiquement comme l'empreinte de la personnalité de l'auteur" 34. Les sources principales de

ce droit sont :

• le Code de la propriété intellectuelle (CPI), art. L 111-1 et suivants et R 111-1 et suivants

• la Convention de Berne du 9 septembre 1986

• la Convention de Genève du 6 septembre 1952, dite Convention universelle.

"L'auteur d'une œuvre de l'esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de

propriété incorporelle exclusif et opposable à tous" 35. L'œuvre est protégée dès sa naissance,

même si elle n'est pas achevée36. En droit français, la protection est accordée sans nécessité d'une

quelconque formalité (procédure de dépôt ou validation). L'auteur ou son ayant droit peut cependant

rencontrer des difficultés pratiques pour exercer son droit et a donc souvent recours à diverses

formalités qui lui permettront d'en établir la réalité : dépôt auprès de notaires ou de sociétés de

gestion collective (cf. 3. Les sociétés civiles, p. 63).

Cette notion n'est pas partagée par certains pays et s'oppose à la conception anglo-saxonne du droit

d'auteur, qui repose sur le principe du copyright, selon lequel l'œuvre doit faire l'objet d'un dépôt pour

être protégée. Le régime anglo-saxon permet à l'auteur d'aliéner tout ou partie de son œuvre et de

consentir à l'abandon de ses droits au profit du producteur ou de l'éditeur. Il s'agit d'une différence

fondamentale et philosophique. "Le droit français protège l'auteur et son œuvre, le système du

copyright est un droit économiste et libéral avantageant la rentabilité de l'exploitation de

l'œuvre, au même titre que n'importe quel autre "produit". Par ce principe, l'auteur se voit

dépossédé de ses droits au bénéfice de son "employeur""37. La Convention Universelle de

Genève de 1952 (révisée par l'Acte de Paris du 24 juillet 1971, art. III-1) substitue aux exigences

nationales éparses l'apparition du symbole , accompagné du nom du titulaire des droits d'auteur et

de l'année de la première publication, ces trois éléments devant figurer clairement sur chaque

34 "Les créations immatérielles et le droit", sous la direction de Michel Vivant, Ellipses, 1997, p 34-35 35 art. L111-1 CPI et art. 5-2 de la Convention de Berne 36 art. L111-2 CPI 37 Mario d'Angelo, "Socio-économie de la musique en France", op. cit.

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exemplaire de l'œuvre. De plus, "au plan interne, une telle mention permet d'établir une

présomption simple de titularité des droits et une présomption "quasi" irréfragable de

mauvaise foi (si nécessaire) en cas de reproduction illicite"38.

Le droit d'auteur se décompose en deux types de droits distincts : le droit moral ou intellectuel et les

droits patrimoniaux.

a) Le droit moral

Art. L 121-1 CPI : "L'auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son

œuvre..."

Art. L 121-2 CPI : "L'auteur a seul le droit de divulguer son œuvre... Il détermine le procédé

de divulgation et fixe les conditions de celle-ci."

Art. L 121-4 CPI : "Nonobstant la cession de son droit d'exploitation, l'auteur, même

postérieurement à la publication de son œuvre, jouit du droit de repentir ou de retrait vis-à-vis

du cessionnaire."

La propriété incorporelle est donc indépendante de la propriété de l'objet matériel. Le droit moral

comprend le droit pour l'auteur de se faire connaître ou reconnaître comme le créateur (droit de

paternité) et le droit d'exiger l'intégrité de l'œuvre (l'auteur peut s'opposer à la déformation et à la

mutilation de son oeuvre) et de seul pouvoir la modifier (droit au respect de l'œuvre), voire de la

"récupérer" (droit de retrait et de repentir). Le droit moral comprend aussi, et surtout, le droit pour

l'auteur d'autoriser ou d'interdire la présentation de son œuvre au public (droit de divulgation) et de

garder un certain contrôle sur son œuvre.

Le droit moral est "perpétuel, inaliénable et imprescriptible". En effet, étant attaché à la personne

de l'auteur, c'est un droit extra-patrimonial, il ne peut donc pas être cédé ou perdu pour non usage.

Par ailleurs il survit à la fois au décès de l'auteur et à la chute de l'œuvre dans le domaine public.

38 "Les créations immatérielles et le droit", sous la direction de Michel Vivant, Ellipses, 1997, p 40

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b) Les droits patrimoniaux

Art. L 122-1 CPI : "Le droit d'exploitation appartenant à l'auteur comprend le droit de

représentation et le droit de reproduction."

Art. L 122-2 CPI : "La représentation consiste dans la communication de l'œuvre au public

par un procédé quelconque."

Art. L 122-3 CPI : "La reproduction consiste dans la fixation matérielle de l'œuvre par tous

procédés qui permettent de la communiquer au public d'une manière indirecte."

Les droits patrimoniaux, fondamentaux dans la filière musicale, se décomposent donc en deux droits

distincts :

• Le droit de représentation, c'est à dire la communication de l'œuvre au public par un procédé

direct (spectacle vivant, diffusion publique, télédiffusion...)

• Le droit de reproduction, celle-ci se définissant comme "la fixation matérielle de l'œuvre par

tous procédés permettant de la communiquer au public de manière indirecte" (de

l'enregistrement sur support à la reproduction sur partitions).

Ces droits ont une durée limitée à cinquante ans après la mort de l'auteur (au bénéfice de ses

héritiers) sauf pour les oeuvres musicales (avec ou sans paroles) qui sont protégées en France

pendant soixante ans. Ils permettent à l'auteur de tirer profit de l'exploitation de son œuvre et ce,

proportionnellement aux recettes qu'elle génère (sauf impossibilité pratique).

La cession des droits de représentation et de reproduction peut se faire en totalité ou en partie,

conjointement ou séparément l'un de l'autre, à titre gratuit ou onéreux. La loi oblige qu'elle soit

constatée par écrit, sachant que la "cession globale des oeuvres futures" est nulle. Tout au plus, est

admis un "droit de préférence limité".

Toute représentation ou reproduction, même partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de

ses ayants droit est illicite. Il en est de même pour la traduction, l'adaptation et l'arrangement de

l'œuvre. Ainsi, tous ceux qui diffusent ou reproduisent de la musique (radio, télévisions, organisateur

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de spectacles, discothèques, lieux sonorisés, producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes)

rémunèrent la création musicale en payant des droits qui constituent en quelque sorte le "salaire" de

l'auteur.

Il y a cependant quelques exceptions. Par exemple, les représentations privées et gratuites de l'œuvre

à l'intérieur d'un cercle de famille sont libres39. Dans la même logique, mais concernant le droit de

reproduction, sont possibles les copies privées, c'est à dire les "copies ou reproductions

strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective"40. Le

contentieux auquel a donné lieu cette question s'est accru ces dernières années avec le phénomène

de la photocopie. Qui doit être considéré comme copiste : celui qui détient et exploite le matériel de

photocopie ou celui qui réalise les photocopies ? C'est en faveur de cette dernière conception que

s'est prononcée la loi du 3 juillet 198541 à propos des phonogrammes et des vidéogrammes42.

A noter cependant que l'article L 111-3 pose le principe de l'indépendance entre l'œuvre et son

support. Ainsi, le droit de reproduire l'œuvre, prérogative de l'auteur ou de ses ayants droit, n'est pas

reconnu au propriétaire du support de la création, lors de la vente de l'objet. Ce dernier n'acquiert

pas l'œuvre intellectuelle mais uniquement le support matériel de celle-ci43.

2. Les droits voisins

Si la France est depuis deux siècles un pays phare en matière de droit d'auteur et notamment depuis

l'adoption de la loi du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique, il n'en est pas de même

pour les droits des artistes et des producteurs. Dans ce domaine, des pays comme la Scandinavie,

par exemple, se sont dotés depuis longtemps de législations appropriées. En l'absence

d'encadrement national et de jurisprudence favorables, artistes et producteurs cohabitaient tant bien

39 Art. L 122-5 1° CPI 40 Art. L 122-5 2° CPI 41 Art. L 211-3 CPI 42 "Les créations immatérielles et le droit", sous la direction de Michel Vivant, Ellipses, 1997, p 43 43 "Les créations immatérielles et le droit", sous la direction de Michel Vivant, Ellipses, 1997, p 36

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que mal et s'appuyaient sur les dispositions internationales (comme la convention de Rome que la

France n'a cependant ratifiée qu'en 1987).

Il aura fallu attendre la loi du 3 juillet 1985 pour que la France reconnaisse un statut spécifique aux

artistes et aux producteurs, redéfinisse leurs relations et institue de nouveaux droits, regroupés sous

le terme générique de "droits voisins" (car voisins du droit d'auteur)44. La loi sur les droits voisins

s'articule autour de trois principes : le droit d'autoriser et d'interdire, le droit moral (réservés jusque là

aux seuls auteurs), et des rémunérations légales (la rémunération pour copie privée sonore et

audiovisuelle). Ces droits ne portent pas atteinte aux droits des auteurs.

a) Droit d'autoriser et d'interdire

L'artiste-interprète a le droit d'autoriser ou d'interdire la fixation, la reproduction et la communication

au public de sa prestation. La signature d'un contrat conclu entre un artiste-interprète et un

producteur, pour la réalisation d'une œuvre audiovisuelle, vaut autorisation de fixer, reproduire et

communiquer au public sa prestation. Ce contrat fixe une rémunération distinct pour chaque mode

d'exploitation. Le droit d'autoriser de l'artiste est d'une durée de cinquante ans à compter du 1er

janvier de l'année civile suivant celle de la première communication au public de la prestation.

Le producteur de phonogrammes (c'est à dire la personne, physique ou morale, qui a l'initiative de la

première fixation d'une séquence de son) a lui aussi le droit d'autoriser ou d'interdire la reproduction,

la mise à disposition du public (par la vente, l'échange ou le louage) et la communication au public de

ses enregistrements. Il en est de même pour le producteur de vidéogrammes.

Cependant, l'artiste-interprète et le producteur de phonogramme ne peuvent s'opposer ni à sa

communication directe dans un lieu public (dès lors qu'il n'est pas utilisé dans un spectacle) ni à sa

radiodiffusion.

44 Les deux lois évoquées (de 1957 et 1985) ont été reprises dans le nouveau code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992 qui constitue désormais le cadre juridique de référence.

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b) Droit moral

L'artiste-interprète a le droit inaliénable et imprescriptible au respect de son nom, de sa qualité et de

sa personne. En vertu de ce droit, le producteur se doit de citer le nom de l'artiste, sur l'étiquette, sur

la pochette du disque ou au générique du vidéogramme.

c) Rémunération équitable

Conformément à la loi, certaines utilisations de phonogrammes liées à la communication au public*

font l'objet d'une exception au droit d'autoriser ou d'interdire du producteur de phonogrammes.

L'autorisation de l'artiste et du producteur n'étant pas sollicitée, on parle alors de "licence légale"

(selon la SCPP), de "licence obligatoire" (selon la SPPF) ou de "licence non volontaire" (selon

l'Adami).

(*) Communication directe dans un lieu public, radiodiffusion et distribution par câble

simultanée et intégrale de cette radiodiffusion. En ce qui concerne la diffusion directe du

phonogramme dans un lieu public, il faut l'entendre comme effectuée à partie d'un simple

appareil de lecture. Toute diffusion par câble, fil ou ondes (sauf si elle est simultanée à la

radiodiffusion) fait renaître le droit d'autoriser et d'interdire.

Ces utilisations de phonogrammes, quel que soit leur lieu de fixation, ouvrent droit à rémunération au

profit des artistes-interprètes et des producteurs, entre lesquels elle est répartie sur la base de 50/50.

Ce droit est appelé "rémunération équitable". Elle est versée à la Spré par les utilisateurs des

phonogrammes (radios, télévisions, discothèques, lieux sonorisés) selon des barèmes fixés dans le

cadre des décisions réglementaires du 9 septembre 1987 et du 22 décembre 1993.

Les auteurs (disposant déjà du droit d'autoriser et d'interdire dans les mêmes domaines d'application)

sont exclus du champ de la rémunération équitable. Il en est de même pour les producteurs de

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vidéogrammes dont le droit voisin est plus complet que celui des producteurs de phonogrammes

puisqu'il ne reconnaît aucune exception.

d) Rémunération pour copie privée

Elle est destinée à pallier au manque à gagner que représente l'extension de la copie privée (copie

d'un phonogramme sur un support enregistrable par un particulier à titre personnel). Cette

rémunération est perçue par la Sorecop auprès des fabricants, importateurs ou acquéreurs intra-

communautaires de supports enregistrables, lors de leur mise en circulation. Son montant est fonction

du type de support (audio et vidéo) et de la durée d'enregistrement qu'il permet. Son taux actuel est

de 1,50 F par heure de cassette vierge audio (copie privée sonore) et de 2,25 F par heure de

cassette vidéo (copie privée audiovisuelle). Cette rémunération est répartie entre les ayants droits

selon les clés de répartition suivantes : la moitié aux auteurs, un quart aux artistes interprètes et un

quart aux producteurs en ce qui concerne la copie privée sonore, tandis que la rémunération sur la

copie privée audiovisuelle est répartie à parts égales entre les trois collèges.

La rémunération au titre de la copie privée est un enjeu important quand on sait que, selon une étude

Sofrès de 1991, 95 % des cassettes vierges audio sont utilisées pour copier des oeuvres musicales.

Le marché des cassettes est cependant en recul constant depuis 1993, en raison de la désaffection

du public pour la cassette analogique au profit du CD, entraînant une baisse de la rémunération au

titre de la copie privée. Cela ne veut pas dire pour autant que la copie privée soit en recul, bien au

contraire, puisque le développement de nouveaux supports enregistrables (CD-R, Minidisc...) lui a

donné un nouvel élan. Les professionnels réclament donc que ces derniers soient soumis au même

régime que les cassettes analogiques, ce qui n'est pas encore le cas.

3. Les sociétés civiles

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Si la Sacem existe depuis plus d'un siècle, l'instauration des droits voisins en 1985 a donné naissance

à des organismes de gestion collective chargés de percevoir et de répartir les sommes ainsi générées.

En amont, trois sociétés "intermédiaires" sont chargées de la perception des droits voisins :

• La Spré pour la rémunération équitable,

• La Sorecop et Copie France pour la copie privée sonore et la copie privée audiovisuelle.

Elles reversent ensuite les sommes perçues aux sociétés civiles qui représentent chaque collège

d'ayants-droits.

• L'Adami et la Spedidam qui gèrent les droits respectifs des artistes-interprètes et des musiciens.

• La SCPP et la SPPF qui gèrent les droits des producteurs de phonogrammes et vidogrammes.

L'importance des sociétés de gestion collective dans la mise en œuvre du droit d'auteur et des droits

voisins est capitale. L'originalité française réside dans le fait que ce sont les ayants droit eux-mêmes

qui constituent les associés des sociétés civiles chargées de la perception et de la répartition des

droits.

a) La SCPP

La Société Civile des Producteurs de Phonogrammes gère et protège les droits des producteurs

membres, notamment :

• perçoit et répartit les rémunérations dues au titre des droits voisins, surveille l'utilisation des

phonogrammes et vidéomusiques de ses membres,

• négocie avec les utilisateurs les conditions de diffusion des vidéomusiques, moyennant

rémunération,

• intente des actions en justice pour faire respecter les droits des producteurs phonographiques,

• attribue, conformément à l'article L 321 du Code de la propriété intellectuelle de 1992 (équivalent

à l'article 38 de la loi de 1985), des aides à la création phonographique, formation d'artistes et

diffusion du spectacle vivant.

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b) La SPPF

La Société des Producteurs de Phonogrammes en France a pour objet :

• l'exercice des droits exclusifs des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes,

• la négociation, avec les utilisateurs, des conditions de reproduction et de communication des

phonogrammes et vidéogrammes,

• la perception d et la répartition des rémunérations dues à ces producteurs pour l'utilisation et la

diffusion de leurs phonogrammes et vidéogrammes,

• la constitution d'un répertoire social,

• et plus généralement, la défense des intérêts matériels et moraux des producteurs.

Remarque : Bien que les deux structures jouent le même rôle, travaillent côte à côte, gèrent les

mêmes droits et ont a priori un intérêt commun, celui de la défense des droits du producteur, elles

présentent une différence fondamentale. La SCPP compte 419 membres avec une forte

concentration en terme de poids économique puisque toutes les majors, les sociétés détenues par les

majors et les quelques grosses sociétés indépendantes de production-distribution sont à la SCPP. De

son côté la SPPF compte 500 membres, mais aucune major, uniquement des producteurs

indépendants. Cette différence idéologique fondamentale entraîne de grandes disparités dans la

politique des deux sociétés. Il s'en dégage deux familles de pensée, les vingt grosses compagnies

SCPP étant au Snep tandis que les producteurs SPPF sont quasiment tous à l'Upfi. On choisit donc

son camp en fonction d'un choix politique et idéologique, soit de considérations plus pragmatiques

comme le taux de gestion.

c) L'ADAMI

La société civile pour l'Administration des Droits des Artistes et Musiciens Interprètes perçoit les

mêmes types de droits que les producteurs : rémunération équitable, copie privée sonore et

audiovisuelle. Par ailleurs, elle perçoit et répartit certaines rémunérations dues au titre des

conventions collectives pour l'utilisation secondaire d'émissions de télévision (rediffusions, ventes à

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l'étranger) par certains diffuseurs et certains producteurs audiovisuels. Elle gère les droits des

artistes-interprètes, des artistes dramatiques, danseurs, musiciens solistes et chefs d'orchestre. Le

seul critère est que leur nom soit inscrit sur l'étiquette des oeuvres sonores ou au générique des

oeuvres audiovisuelles.

d) La SPEDIDAM

La Société de perception et de distribution des droits des artistes-interprètes de la musique et de la

danse gère les droits des artistes-interprètes dits "collectifs" (musiciens d'orchestre, choristes et corps

de ballet), c'est à dire ceux dont le nom n'est pas cité sur l'étiquette du phonogramme ou au

générique du vidéogramme.

e) La SACEM/SDRM

La Société des Auteurs Compositeurs et Editeurs de Musique défend les droits matériels et moraux

de ces trois acteurs. Elle perçoit les redevances dues à l'occasion de toute diffusion publique des

oeuvres, d'une part au titre du droit de représentation (spectacle vivant) et d'autres part au titre du

droit de reproduction mécanique (diffusion publique d'un enregistrement). La Sacem s'est faite le plus

farouche défenseur du droit d'auteur au monde, s'opposant à la notion anglo-saxonne de copyright.

La Société pour l'administration du Droit de Reproduction Mécanique, elle, délivre aux producteurs

les autorisations de reproductions nécessaires pour la fabrication et la commercialisation des

phonogrammes et vidéogrammes et en gère les droits correspondants. La SDRM dépend de la

Sacem.

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f) La SACD

La Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques gère les droits liés à l'adaptation et à la

représentation dramatique, à la communication au public et à la reproduction des oeuvres

dramatiques et audiovisuelles concernant la création dramatique, audiovisuelle, lyrique,

chorégraphique. Outre la perception et la répartition des droits d'auteurs du répertoire qu'elle a en

gestion, la SACD gère également un système de protection sociale et développe une action

culturelle.

g) La SPRE

La Société pour la Perception de la Rémunération Equitable a été créée aux termes de la loi de 1985

comme organisme unique ayant pour mission de collecter au profit des sociétés civiles d'ayants droit,

artistes-interprètes et producteurs de phonogrammes. La radiodiffusion sonore et audiovisuelle des

phonogrammes publics à des fins de commerce, ainsi que leur communication directe dans les lieux

publics (discothèques, magasins, etc.) est réglementée par un régime légal particulier qui exclut la

nécessité d'un droit d'autorisation des artistes-interprètes et des producteurs et instaure des

modalités uniformes de fixation des rémunérations45. Ces rémunérations ont été définies par une

décision de la commission interprofessionnelle du 9 septembre 198746.

h) Les SORECOP

La Société pour le recouvrement de la copie privée audiovisuelle et la Société pour le recouvrement

de la copie privée sonore sont les deux organismes crées pour percevoir , directement des fabricants

et importateurs de cassettes vierges, la redevance due au titre de la copie privée audiovisuelle et

sonore.

45 Art 214-1 du Code de la propriété intellectuelle 46 Journal officiel du 18 décembre 1987

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4. La relation commerciale

Selon Mario d'Angelo47, l'œuvre musicale qui donne lieu à un versement de droits peut être utilisée

soit comme élément central (par exemple, une œuvre jouée en concert), soit comme un élément

complémentaire, néanmoins indispensable (par exemple, la musique utilisée dans une émission de

télévision), soit encore comme un agrément, l'objet central de la production demeurant tout autre

(par exemple, une musique de fond dans un supermarché). La segmentation du marché des droits qui

en résulte, se définit en fonction de l'activité principale des utilisateurs et de leur mode de

consommation de la musique. On distingue de cette manière six segments :

• les chaînes de radio et de télévisions publiques ou privées généralistes à diffusion nationale,

• les chaînes de radios et de télévisions thématiques de musique (MCM, NRJ, Fun Radio...),

• les médias à diffusion locale (radios associatives par exemple),

• les lieux spécialisés de diffusion par reproduction mécanique (salles de cinéma, discothèques-

dancing...),

• les spectacles (concerts, music-hall, festivals...)

• les lieux sonorisés (grandes surfaces, cafés, hôtels, restaurants...)

Toujours selon Mario d'Angelo, l'usage qui est fait d'une œuvre ne donne plus lieu à une négociation

de gré à gré (un produit vendu avec sa contrepartie monétaire). La relation entre la société

représentant ses ayants droit et les usagers des oeuvres musicales s'organise sur un mode

administratif avec des critères, barèmes, abattements... Si l'on compare l'usage privé et public fait

d'un phonogramme, dans le premier cas, il y a acte d'achat initial réalisé par un consommateur et le

prix payé inclut les rémunération des artistes, du producteur, de l'éditeur et du distributeur. Dans le

second cas, on est en présence d'un versement à des ayants droit d'une rémunération calculée en

fonction de critères impersonnels, sans qu'apparaisse une véritable relation commerciale.

Si la relation commerciale directe diminue en importance par rapport au volume des consommations

culturelles, nous dit l'auteur, c'est en raison du profond changement qui affecte la consommation des

oeuvres et qui est lié au développement des médias et des technologies qui les accompagnent. Le

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consommateur final se trouve au bout de la chaîne. Celui-ci, soit ne paie pas les médias (financés par

la publicité), soit paie un abonnement, dont le prix est infime et déconnecté de sa consommation

individuelle. Les médias, quant à eux, rémunèrent la création et la production selon des barèmes

forfaitaires, donc également déconnectés de la consommation directe des oeuvres. Cette disparition

de la relation commerciale contractuelle autour d'un produit favorise le développement d'une certaine

dépersonnalisation, du fait de l'application d'une règle impersonnelle dans la relation entre les

créateurs-producteurs et les utilisateurs-consommateurs.

5. La piraterie

C'est le terme générique désignant l'enregistrement, la reproduction, la vente, l'importation et

l'exportation d'enregistrements sonores illicites (c'est à dire effectués sans l'autorisation du producteur

d'origine), la piraterie désigne trois activités distinctes :

• Le bootleg, c'est à dire l'enregistrement clandestin, sans autorisation de l'artiste et du producteur, à

l'occasion d'un concert live ou d'une retransmission radio ou télévisuelle.

• La contrefaçon partielle (reproduction non autorisée) de phonogrammes. Sa présentation

(emballage, graphisme...) est différente de celle du support légalement commercialisé.

• La contrefaçon totale, à savoir la reproduction non autorisée portant non seulement sur les

phonogrammes mais également sur les supports, sur l'illustration originale de la pochette, le label,

la marque et l'emballage. L'enregistrement contrefait est ainsi identique à l'original mais de qualité

généralement inférieure.

En France, la piraterie fait l'objet de dispositions pénales claires : articles 425 à 429-5 du Code pénal

repris dans la loi du 3 juillet 1985 puis dans le code de la propriété intellectuelle (CPI). Celles-ci

permettent une constatation rapide de l'infraction et l'utilisation de procédures appropriées afin

d'assurer une répression efficace. L'article L 335-4 du CPI dispose que l'infraction est : la fixation, la

reproduction, la communication ou la mise à disposition du public (à titre onéreux ou gratuit), la

télédiffusion (d'une prestation, d'un phonogramme, d'un vidéogramme ou d'un programme),

47 op. cit.

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l'importation ou l'exportation (de phonogrammes ou de vidéogrammes) réalisés sans l'autorisation du

producteur et/ou de l'artiste-interprète lorsqu'elle est exigée.

Toute personne se livrant aux activités illicites ainsi énoncées s'expose à des peines alourdies depuis

la loi du 5 février 1994, pouvant aller jusqu'à deux ans d'emprisonnement et un million de francs

d'amende. En outre, le tribunal peut ordonner : temporairement ou définitivement la fermeture de

l'établissement exploité par le condamné, la confiscation de tout ou partie des recettes procurées par

l'infraction, la confiscation du matériel utilisé pour la réalisation du délit, l'affichage du jugement

prononçant la condamnation et sa publication dans des journaux. Afin de faciliter la lutte contre la

piraterie, la loi du 5 février 1994 permet, pendant un certain délai, la retenue en douanes des

exemplaires pirates.

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IV. Le numérique révolutionnera-t-il l'industrie musicale ?

Il semble aujourd'hui évident que les nouvelles technologies multimédias s'intégreront d'une manière

ou d'une autre dans la vie quotidienne de demain, mais il est encore difficile de savoir dans quelle

proportion, et donc d'avancer avec certitude qu'une révolution numérique est en marche. "Pendant

quatre-vingt-cinq ans, ça a été le vinyle, puis pendant quinze ans le CD, et maintenant cela

change tous les six mois. La technologie va plus vite que nous" , reconnaît Anne Bérard,

responsable du développement Internet chez Virgin France48. Bousculées dans leurs habitudes, les

maisons de disques n'ont plus le choix et doivent repenser le mode de distribution classique de la

musique, mais aussi son mode de diffusion, qui ont pris un coup de vieux sous l'impulsion des

nouvelles technologies et notamment d'Internet. Les industriels de la musique ont en effet à présent à

leur disposition un large choix de nouvelles possibilités offertes par les technologies numériques,

certaines spécifiques à la musique, d'autres concernent plus globalement les entreprises. Il s'agit pour

l'essentiel de l'apparition de nouveaux médias de diffusion des oeuvres et de nouvelles possibilités de

communication et de commerce.

L'objet de ce quatrième et dernier chapitre est de passer en revue ces nouvelles technologies,

disponibles aujourd'hui ou dans un avenir proche, et qui sont autant d'éléments potentiellement

perturbateurs de l'organisation actuelle du marché étudiée précédemment. Ce tour d'horizon

technologique nous permettra, à l'aide notamment de notre cadre théorique (abordé dans le chapitre

II), de soulever les grandes problématiques, de tenter de comprendre les stratégies actuelles des

professionnels vis-à-vis du multimédia et d'anticiper les éventuels changements que ces

positionnement pourraient entraîner dans le fonctionnement structurel du marché. L'objectif est ici

d'envisager les modifications potentielles des différents métiers de l'industrie de la musique et

quelques scénarios de reconfiguration possibles du marché, dans l'état actuel des connaissances mais

en aucun cas d'avancer avec certitude l'avenir de l'industrie musicale, car, comme nous l'avons déjà

souligné en introduction, nul ne peut prétendre le savoir aujourd'hui.

48 Dans une interview accordée au magazineYahoo ! Internet Life, Janvier-Février 2000

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A. Les supports préenregistrés et enregistrables

Sur la base du support CD se sont développés de nombreux autres supports reprenant la technique

numérique et les nombreuses possibilités que celle-ci offre : le CD-ROM, le CDI, le DVD... Il y a au

moins quatorze normes différentes de disques optonumériques, autrement dit de CD. Leur apport

essentiel, illustré par les jeux vidéo, est bien l'interactivité, possibilité pour l'utilisateur de modifier non

seulement l'œuvre mais aussi le contenu de ce qui lui est proposé. Mais, même si quelques artistes

célèbres se sont lancés dans le CD interactif, la musique reste le parent pauvre des catalogues

diffusés à l'heure actuelle : 1 % seulement des titres proposés en 1994. Cette faiblesse s'explique par

le prix du matériel nécessaire, les difficultés liées à l'exploitation des droits et un très fort coût de

production avec un retour sur investissement très faible. En outre, pour l'industrie musicale, le

développement du son comme moteur de ces supports se heurte à un certain nombre de freins liés au

comportements humains : la nécessaire présence en continu devant l'écran remplace une écoute

passive de la musique qui accompagne généralement une activité (conduite automobile, commerce,

travail...). De plus, l'usage du CD audio est simplifié à l'extrême alors que le CD-ROM nécessitent

l'utilisation d'une souris, autrement dit, requiert un auditeur actif.

Pour l'instant, la majorité des professionnels du disque considèrent donc les produits édités

multimédias (CD-Rom, CDI...) tout au mieux comme un support de promotion, mais rarement

comme une réelle activité de production, et beaucoup ne croient d'ailleurs pas au développement à

grande échelle du CD-Rom à caractère musical. Les produits édités ne semblent donc pas, pour

l'instant, offrir de réelles débouchés pour la musique, ni être susceptibles de bouleverser

l'organisation de l'industrie et les stratégies mises en place, ils sont donc hors de notre propos et nous

ne nous y attarderons pas davantage.

La cassette audionumérique (DCC) et le mini-disc , supports lancés en 1992, n'ont pas encore

connu un démarrage de leurs ventes : le parc actuel des cassettes analogiques est tel que les

consommateurs hésitent à renouveler leur matériel et que les prix restent de ce fait assez élevés. Ces

supports semblent donc condamnés et ne présentent alors ni opportunités, ni réelles menaces pour la

filière disque.

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La véritable menace vient pour le moment du CD-R, identique au CD et au CD-ROM à la différence

près qu'il est enregistrable et permet donc de copier des données informatiques mais aussi de la

musique et de la vidéo. La technologie n'est pas vraiment nouvelle, mais elle avait été volontairement

"bloquée" par les industries concernées, et notamment l'industrie du disque. Mais l'évolution

technologique est inéluctable et la commercialisation des supports enregistrables et des graveurs a

finalement eu lieu et connaît une croissance exponentielle. En 1998, selon le SNSE, quelque 36

millions de supports numériques enregistrables ont été vendus en France, dont 640 000 CD-R audio

(trois fois plus qu'en 1997) et 35,4 millions de CD-R et CD-RW (+250 %). Le nombre de graveurs

écoulés au cours de la même période est évalué à 300 000, dont 40 000 graveurs de salons. Selon

une étude réalisée par la Sorecop en avril 1998, 50 % des CD-R étaient destinés à la sauvegarde de

données, 23 % à copier de la musique, 25 % à copier des jeux vidéo et 2 % à d'autres fins. Ainsi, 8

millions de CD-R ont été utilisés pour la musique, soit 5 % du marché du disque français, un chiffre

estimé par le Snep à 10 millions en 1999, soit plus de 8 % des 120 millions de CD vendus sur la

même période. Et ce n'est qu'un début puisque l'on attend plus de 150 millions de CD-R vendus en

France en 2000 et 2,9 milliards à l'échelle mondiale, selon une estimation de Kodak et Panasonic.

Résultat, ou "coïncidence troublante" note le Snep, les ventes de disques marquent un coup d'arrêt.

L'Ifpi estime déjà le manque à gagner dû à la copie privée numérique et au téléchargement pirate (que

nous aborderons par la suite) à 10 % du marché planétaire, soit 4 milliards de dollars. Sur le seul

marché français, la SCPP évalue le manque à gagner à 1,5 milliard de francs en 1999. "On se

souvient que l'arrivée de la cassette avait, en son temps, suscité les mêmes inquiétudes. En

vain, puisque l'effondrement des ventes de disques annoncé ne s'est pas produit et que le

nouveau support a même relancé le marché" note Gildas Lefeuvre49, de La Lettre du disque.

Cependant, selon Pascal Nègre, président de Universal France et de la SCPP, "On ne peut

comparer les deux. Nous ne sommes plus dans une logique de copie, mais dans une logique de

clonage". En effet, contrairement à la cassette analogique, le CD-R est indégradable, quelque soit la

génération de la copie. Bien entendu, cette pratique est illégale et réprimée par la loi. Celle-ci

n'admet que la copie dite privée, c'est-à-dire réservée uniquement à l'usage du copiste, et à la

condition de posséder l'original. Toute reproduction destinée à autrui, en dehors du cercle restreint

49 Gildas Lefeuvre, "Quand le CD-R devient le cauchemar d'une industrie...", L'année du disque 99, MBC, 2000

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de la famille, est une contrefaçon (même si cédée gratuitement) et, à ce titre, passible d'une amende

de 1 million de francs et d'une peine pouvant aller jusqu'à deux ans d'emprisonnement.

Outre le renforcement législatif, l'industrie planche sur des parades techniques pour mettre en place

un système de protection des oeuvres musicales ou encore une système de "traçabilité", permettant

de contrôler l'utilisation des oeuvres et leur reproduction. Mais la filière musicale réclame surtout la

garantie de ses droits et l'instauration d'une taxe sur les supports numériques, comme c'est déjà le cas

sur les supports analogiques depuis la loi de 1985 instaurant les "droits voisins" (1,5 F par heure

d'enregistrement possible, incluse dans le prix de vente des cassettes). Quoi qu'il en soit, le

phénomène CD-R est désormais irréversible. Il tire à la baisse les revenus des producteurs et, pour

certains, remet en cause la survie de l'industrie du disque, c'est donc bien une innovation

technologique perturbatrice et, à ce titre, elle rentre dans le cadre de ce quatrième chapitre.

Cependant, le CD-R, aussi perturbant et dangereux qu'il soit pour la filière musicale, n'a pas de réelle

incidence sur son organisation ou sur les stratégies mises en place.

Nous allons à présent entrer dans le vif du sujet avec le câble, le satellite et surtout Internet, qui sont

autant d'innovations techniques qui engendrent véritablement de nouveaux modes de consommation

de la musique, et donc de potentielles reconfigurations de l'industrie du disque, que nous

développerons au fur et à mesure.

B. La radio numérique et les bouquets thématiques

Les années quatre-vingt-dix ont vu se développer la technologie numérique appliquée à la radio.

"Elle consiste à remplacer les signaux électriques du système analogique traditionnel, sources

d'interférences, par des suites binaires de 1 et de 0 qui, reçues par un décodeur restituent le

message sonore sans altération. Ainsi, sachant que l'oreille humaine ne perçoit qu'une partie

de ce qui est émis, on supprime les valeurs inutiles, soit 85 % de l'information codée. Liée à la

numérisation, la compression offre une possibilité d'augmenter le nombre de signaux

transmis" . L'utilisation des ces technologies a permis l'apparition de la radio numérique sur les

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réseaux câblés, produisant un son équivalent à celui d'un disque compact. Ainsi, sur le modèle

américain (DCR, DMX, Music Choice), plusieurs bouquets à programmes thématiques, sans

publicité ni animateur, financés par un système de péage, ne fournissant pas de listes des

programmes à l'avance, ont été lancés dès 1994. En France, Multiradio diffuse depuis 1995 six

programmes sur certains réseaux câblés pour vingt-cinq francs par mois dans le cadre de Visiopass,

puis est passée à vingt-quatre programmes en 1996. Le satellite offre les mêmes possibilités que le

câble, mais dans les deux cas la réception est fixe. A l'inverse, la DAB (Digital Audio Broadcasting),

utilise une technologie similaire mais via le réseau hertzien, et si les capacités de fréquences

demeurent limitées, la réception est parfaite dans un véhicule en mouvement. Cependant, les coûts

encore très élevés et le retard pris par la DAB repoussent sont lancement, prévu à l'origine en 1995.

La numérisation du son et des images et la multiplication des canaux de diffusion (réception par câble

et par satellite, chaînes à carte...), risquent de bouleverser l'industrie musicale et de modifier les

conditions de production, d'exploitation et de diffusion de la musique. Face au défi que présentent

ces nouvelles technologies, dans une activité encore très largement dominée par la vente des

supports enregistrés, les professionnels de la musique prennent conscience de l'importance d'une

protection, la plus élevée possible, et donc de la nécessaire adaptation du droit que celle-ci suppose

(nous y reviendrons plus loin, cf. F. Les nouvelles technologies et l'adaptation des droits liés à l'œuvre

- p. 103). D'autant plus qu'il résulte de ces nouveaux canaux de diffusion de nouvelles concurrences

et des offres de programmes "délocalisées", qui ne sont pas nécessairement tenues de respecter les

réglementations en vigueur dans un pays et notamment celle des quotas, en ce qui concerne la

France.

Ainsi, par exemple le SNEP se livre au calcul suivant. Alors qu'un éditeur phonographique de grande

taille peut disposer des droits d'environ dix mille disques, un service radio par câble, avec trente-

deux chaînes, pourra passer 768 disques en une journée. En moins de six mois, c'est l'ensemble du

catalogue de l'éditeur qui aura été diffusé au moins une fois ! Face à cette menace, le système devra

essayer d'assurer aux producteurs, aux auteurs et aux artistes, une rémunération suffisante leur

permettant de poursuivre leurs activités. Il devra également se déterminer pour autoriser ou interdire

de telles exploitations. Tous les intervenants du secteur semblent donc s'accorder pour parvenir à une

protection maximale mais se divisent sur le mode de gestion à mettre en place : les artistes et auteurs

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tiennent à la gestion collective que les producteurs refusent au nom de l'efficacité économique, lui

préférant une cession de droits pure et simple.

Quoi qu'il en soit, les radios et télévisions "multiprogrammes" à caractère musical diffusées par câble

ou satellite sont amenées à se multiplier, et la "guerre" dans le développement de bouquets

numériques donne lieu à un besoin de programmes important. Il s'agit donc pour les producteurs et

éditeurs de nouveaux débouchés pour leurs oeuvres (chansons ou clips vidéo). Une aubaine pour

une industrie toujours à la recherche de nouvelles possibilités de diffusion, en raison de coûts de

production croissants. La question reste de savoir si ces nouveaux programmes favoriseront la

diversité et les nouveaux talents, ou s'ils préféreront la diffusion d'oeuvres grand public. Nous

reviendrons plus en détail par la suite sur la question principale que soulèvent ces nouveaux médias, à

savoir le passage potentiel d'une économie basée sur la vente de supports à une économie basée sur

la diffusion (cf. E. Le concept du disque menacé par les médias - p. 98).

C. Internet

C'est de loin les nouvelles technologies de l'information et de la communication, Internet en tête, qui

offrent le plus de nouvelles possibilités de consommation de musique et qui sont donc les plus

susceptibles de remettre en cause le système actuel. Tous les acteurs de la filière, ou presque, sont

concernés, certains risquent de disparaître purement et simplement, d'autres de voir leur pouvoir

revu à la baisse ou au contraire se décupler, dans tous les cas les métiers sont amenés à changer.

1. Le MP3

Depuis 1999, on n'entend plus parler que de lui, le MP3 fait couler beaucoup d'encre et on ne parle

plus de musique aujourd'hui sans parler du MP3, qui n'est, faut-il le rappeler, qu'un simple format de

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fichier. Voilà pourquoi nous commençons par là, mais nous verrons très vite que, s'il est au centre de

tous les débats sur l'avenir de la musique, le MP3 est loin d'en être le seul enjeu.

Créé conjointement par Thomson Multimédia et l'institut de recherche privé allemand Fraunhofer

Institute, le MP3 est un format de compression des sons supprimant les fréquences inaudibles pour

l'oreille humaine, afin de réduire la taille des fichiers, sans perte de qualité. Ce régime permet le

transfert par Internet et, une fois copiées sur le disque dur de l'ordinateur, les chansons peuvent être

écoutées grâce à un logiciel de décodage. Ces logiciels peuvent également transformer les fichiers

MP3 en fichiers Wav, permettant alors de les graver sur CD, et ainsi de les lire sur n'importe quelle

chaîne stéréo. De nombreux constructeurs proposent, par ailleurs, des baladeurs MP3 qui stockent

les fichiers sur des cartes mémoire. Si ce format inquiète les maisons de disques c'est parce que les

fichiers sont copiables à l'infini, sans perte de qualité, et que rien ne permet de distinguer une chanson

"légale" d'un fichier pirate.

Selon des chiffres rendus publics par Microsoft lors de la conférence Webnoise en Novembre 1999,

trente millions d'Américains auraient déjà téléchargé des chansons, et certaines estimations chiffraient

alors à trois millions le nombre de fichiers pirates présents sur Internet50. "MP3" est devenu le

premier thème de recherche sur Internet, reléguant le mot "sex" à la deuxième place51. On comprend

alors mieux l'ampleur du problème pour les acteurs du secteur.

Cependant, même si le MP3 occupe le devant de la scène, a catalysé l'attention des médias et

semble, pour les consommateurs, résumer à lui seul l'Internet musical, le problème est beaucoup plus

vaste. Les maisons de disques traversent une période agitée et certains annoncent même leur

disparition pure et simple, au profit de liens directs entre les musiciens et leur public. Une chose est

certaine, comme le dit Marc Thonon, gérant du label Atmosphériques, l'industrie du disque est

"dans une période floue, où chacun teste les limites de l'autre et cherche à redistribuer les

rôles" 52. En effets, les médias, comme TF1 ou NRJ, ouvrent des sites où l'on peut acheter de la

musique; les maisons de disques se préparent à vendre leur catalogue sur le Net; les distributeurs,

comme la Fnac, soutiennent des autoproduits et flirtent avec la production artistique... Les catégories

50 Bruno Mathé, "Juke-box planétaire", Yahoo ! Internet Life, Janvier-Février 2000 51 Kipp Cheng, "Note from the underground", Adweek, 6 septembre 1999 52 Dans une interview accordée au magazine EPOK, avril 2000

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éclatent. "Il n'y a plus de partenaires mais des concurrents" , déclare Marc Thonon. L'objectif est

bien entendu de dominer le business de la musique en ligne, estimé à 25 milliards de francs en 2005

par l'Ifpi et à 26 milliards en 2004 selon le Snep. A titre de comparaison, toujours selon le Snep, il

s'est vendu 4,1 milliards de disques dans le monde en 1998, pour un chiffre d'affaires de 250

milliards de francs.

2. Une exposition des oeuvres élargie

Le développement des autoroutes de l'information devrait, comme les multiprogrammes, être une

source importante de transmission des oeuvres musicales, d'autant plus que ce type de diffusion ne

dépend pas des choix des câblo-opérateurs. On trouve ainsi sur Internet d'une part des serveurs très

importants du type médias ou magasins de disques, mais aussi, grâce à des coûts pour l'instant assez

réduits, des petites sociétés, ce qui devrait favoriser, du moins au départ, la diversité musicale. Pour

accompagner la sortie d'un album, ou tout simplement pour faire connaître son catalogue, un label

peut par exemple proposer à titre promotionnel une chanson en écoute, voire même l'album complet,

mais aussi des clips (bien que la qualité ne soit pas encore vraiment satisfaisante). Cette transmission

peut aussi s'accompagner de tous les renseignements utiles sur le groupe ou sur le label (biographies,

dates de tournées, photos...)

Aujourd'hui, les sites de maisons de disques comme de radios FM sont déjà très nombreux sur le

Net. Le téléchargement n'est en effet pas une fin en soi. "Ce n'est qu'une étape. Je crois surtout

au streaming, qui va devenir beaucoup plus qualitatif, analyse Anne Bérard53. Grâce à Internet,

la musique va devenir plus proche des gens. On peut imaginer non plus d'acheter un disque,

mais d'en posséder la jouissance pendant quelques mois." En quelque sorte de la musique en

location, l'auditeur irait alors piocher dans un gigantesque juke-box. Le problème de la radio en ligne

c'est qu'elle ne génère pas de droits d'auteur pour l'instant, et si jusqu'ici les maisons de disques ont

laissé faire, elles commencent à réagir face à l'ampleur du phénomène, tout comme la Sacem. Il existe

deux conceptions différentes de Net-radio : la diffusion en continu d'un programme original ou

préexistant sur la bande FM, ou le juke-box en ligne, c'est à dire une diffusion à la demande. Dans ce

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dernier cas, la limite avec la distribution est étroite : quelle différence entre la diffusion d'un titre en

temps réel et à la demande par une radio ou par un magasin de disque virtuel, si ce n'est qu'elle est

traditionnellement gratuite dans un cas et payante dans l'autre ? Cela pose également la question des

droits d'auteur et du droit d'autoriser ou d'interdire. Mais cette question n'empêche pas, pour

l'instant, les radios de se multiplier sur Internet, car il faut bien reconnaître qu'elles présentent

beaucoup d'avantages. En effet, la diffusion à l'échelle mondiale permet de spécialiser les net-radios à

l'extrême, et selon Cross et Neal54, cela permet aux annonceurs de cibler au mieux leurs campagnes

et d'en mesurer les retours grâce au taux de clicks. Les annonceurs peuvent aussi participer à des

campagnes de e-mailing, utilisant le fichier de la radio, ou encore de co-branding...

Internet permet donc une médiatisation plus importante et mondiale, jusque là difficilement accessible

notamment pour les indépendants. Cependant, devant la multiplication actuelle du nombre de

serveurs, il va devenir de plus en plus difficile pour les utilisateurs de s'y retrouver. Il faudra donc

faire des efforts de communication et/ou de publicité de plus en plus importants, et certains parlent

même de la mise en place de services en ligne accessibles par abonnement, supposés plus "lisibles".

On voit donc se profiler des barrières économiques croissantes qui pourraient à nouveau nuire aux

"petits".

3. De nouvelles méthodes de travail

Les autoroutes de l'information sont avant tout un moyen de communication professionnelle, et de

nombreuses applications pourraient modifier considérablement les méthodes de travail, voire

engendrer des mutations profondes dans le fonctionnement des entreprises, et dans le secteur de la

musique en particulier.

En premier lieu, le travail à l'international devrait s'en trouver facilité, et c'est une chance notamment

pour l'industrie du disque française, peu performante en la matière. Il est en effet beaucoup plus facile

et rapide pour une maison de disques de toucher des labels ou des distributeurs de n'importe quel

53 Op. Cit. 54 Richard Cross, Mollie Neal, "The futur is dot-coming to radio", Direct Marketing, Janvier 2000

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pays en leur transmettant toute les informations nécessaires : chansons, clips, dates de tournée,

photos, articles de presse, chiffres de vente, en même temps que les propositions de contrats. Les

réponses sont également beaucoup plus rapides, et il est possible de dialoguer, et donc de négocier

plus ou moins en temps réel. Les relations entre les distributeurs et les détaillants pourraient être

également sérieusement modifiées, certains prévoyant même la disparition des représentants. En fait,

ce sont les relations entre tous les intervenants de la filière musicale qui pourraient s'en trouver

modifiées : du producteur au consommateur, en passant par le distributeur ou le détaillant,

l'information devrait circuler de manière beaucoup plus fluide et moins hiérarchisée, brouillant alors

les habitudes actuelles. La diffusion par réseau, Internet ou Extranet, devrait généraliser la pratique

du mailing entre professionnels. Que ce soit pour l'obtention de contrats de production ou de

distribution, ou tout simplement pour la promotion d'un album, le "cybermailing" permet d'envoyer

chansons, biographie, et autres informations aux quatre coins du monde et à moindre prix.

Globalement, ce sont toutes les relations, aux niveaux internes et externes de l'entreprise, qui

devraient être optimisées.

4. La VPC

Les autoroutes de l'information forment également une porte ouverte à la vente par correspondance.

En effet, un serveur réunit toutes les possibilités offertes au vépéciste traditionnel (catalogue avec

description des articles...), cumulées à des avantages permettant un confort très supérieur :

interactivité, possibilité d'écoute avant achat, possibilité d'actualisation au jour le jour (le coût

d'actualisation du catalogue imprimé étant une des faiblesses de la VPC), etc. Lorsque le principe du

téléchargement sera applicable à grande échelle, c'est-à-dire lorsque les problèmes de débit, de

mémoire et de sécurisation de la transmission seront réglés, l'importance de la vente de musique par

correspondance pourrait s'en trouver grandie. La vente d'oeuvres musicales directement par le

réseau permet la vente d'un morceaux unique, ou d'un album entier à des prix plus bas que les prix

des disques physiques, en raison de l'immatérialité du produit qui allège considérablement la

fabrication et la distribution, ce dernier poste étant estimé à 20 % du prix d'un disque55., sans parler

du transport, devenu inexistant. Au final, le disque coûte moins cher à l'auditeur et rapporte plus à

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l'artiste. Sur ce principe, les maisons de disques pourraient, à condition de jouer le jeu, sortir des

disques sur Internet en se souciant moins de leur rentabilité. Compte tenu des frais engagés, on

estime qu'en France le point mort financier d'un disque est de 70 000 exemplaires. Or, selon le

Snep, "une vente de 30 000 exemplaires est déjà une bonne performance". Ainsi, nombreux

sont les disques qui perdent de l'argent, et la tendance est au rétrécissement des catalogues pour ne

garder que les artistes en vogue. Les vendre en téléchargement permettrait de créer une nouvelle

équation dans laquelle les artistes au public restreint trouveraient leur place.

Face à ce phénomène du téléchargement, et surtout en raison du potentiel qu'il représente, même les

distributeurs de disques traditionnels cèdent du terrain et vendent parfois de la musique en

téléchargement, à l'instar de la Fnac, dont le site Internet abrite depuis le 19 mars 1999 une rubrique

MP3 (qui offre entre autres une tribune aux autoproduits). Mais ils utilisent pour cela un format de

fichier sécurisé. Inutile dès lors de se déplacer dans un point de vente pour acheter un disque : il suffit

de payer avec son numéro de carte bancaire puis de télécharger le fichier correspondant. Les

intermédiaires habituels entre l'artiste et le public (maison de disques, distributeurs) voient

évidemment d'un mauvais œil leur rôle revu à la baisse. Dans le cas de la Fnac se pose également le

problème de la concurrence entre magasins physiques et virtuels. Selon Thierry Hidoux, directeur

produit disques et vidéo de la Fnac56, celle-ci distribue avant tout de la musique et pas du support.

Ainsi, à partir du moment où les transactions sont sécurisées, Internet est un mode de distribution

comme un autre que la Fnac se doit d'explorer. Pour lui, s'il doit y avoir concurrence entre la vente

de musique en ligne et les magasins traditionnels, il vaut mieux que la Fnac se fasse sa propre

concurrence, plutôt que de laisser ses clients aller ailleurs. "Mais il ne faut pas toujours opposer

vente en magasin et téléchargement. Je crois que ces deux voies sont parfaitement

complémentaires. Le téléchargement concerne davantage certaines populations (les jeunes) et

certains types de musique comme la musique électronique. La vente en ligne permet

également de proposer des centaines de milliers de références, en particulier des disques

difficiles à obtenir en magasin."

55 Source : Snep 56 Dans une interview accordée au magazine EPOK, décembre 1999-janvier 2000

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Le téléchargement présente aussi un avantage énorme dans la mesure où la notion de quantités à

produire et à stocker disparaît. En effet, le caractère aléatoire du succès d'une œuvre pose problème

aux fabriquants, qui doivent augmenter ou diminuer leur production en fonction des ventes et dont le

temps de réaction engendre parfois des quantités d'invendus, et aux magasins de disques qui doivent

toujours tenter de viser au plus juste dans la constitution de leurs stocks, avec le risque d'en stocker

trop ou trop peu, avec dans les deux cas des pertes financières à la clé. Avec le virtuel, plus de

problème de fabrication, ni d'acheminement, et les cyberdisquaires n'auront plus à se soucier des

variations de ventes, ils devront seulement choisir les titres qu'ils référencent mais plus les quantités

qu'ils stockent.

Outre les disquaires traditionnels convertis au web et les cyberdisquaires présents exclusivement sur

la toile (type Cdnow, Amazon...), Internet a fait naître un tout nouveau concept de distribution

musicale. Ils s'appellent Epitonic, Vitaminic ou encore Musictoyou ou FranceMP3, et leur créneau

est de proposer aux artistes, connus ou débutants, un espace pour placer leur musique en vente au

format MP3, et de se rémunérer dessus. "Notre concept, c'est de faire la promotion d'artistes et

de labels indépendants, et de vendre leur musique au format MP3", résume Ulrich Robin57,

responsable éditorial de Vitaminic. Pour vivre, Vitaminic compte sur les téléchargements payants, le

site ponctionnant 50 % du prix. "Cela peut paraître beaucoup, plaide Ulrich Robin, mais en

réalité les artistes n'ont jamais été autant payés pour leur musique". Aux Etats-Unis, Epitonic,

qui a déjà conclu des accords de distribution avec une centaine de labels indépendants, revendique

un million de téléchargements mensuels (la plupart gratuits). En octobre 1999, mp3.com a dépassé

les 35 000 artistes référencés, pour plus de 200 000 chansons. Outre le téléchargement au format

MP3 de titres d'artistes autoproduits ou engagés avec un label indépendant, mp3.com offre

également aux artistes qui ne sont pas sous contrat avec une maison de disques un service de "label

en ligne", baptisé DAM (Digital Automatic Music). Le site presse un CD avec les titres envoyés par

l'artiste, sous forme de fichiers MP3 ou de pistes de CD standard. Il envoie ensuite le CD, avec sa

propre jaquette imprimée, par correspondance.

La ruée des artistes sur ces sites n'a rien d'étonnant car la réduction des intermédiaires et les

structures légères de ces nouveaux distributeurs ont aussi du bon pour eux. Sur un CD audio,

57 Dans une interview accordée au magazineYahoo ! Internet Life, Janvier-Février 2000

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compositeurs et interprètes ne se partagent en effet que 25 % du prix final dans le meilleur des cas,

contre 50 % par l'intermédiaire de ces acteurs de la "mouvance MP3 légale". Pour les artistes

méconnus, c'est surtout une chance inespérée d'être entendu. Cependant il convient de relativiser.

Pour citer Anne Bérard58 : "Il ne faut pas se faire d'illusions. Le consommateur a déjà du mal à

s'y retrouver dans la qualité et la quantité qui sont disponibles" . En effet, si Internet offre à tout

artiste une vitrine prétendument mondiale, il dilue aussi l'intérêt des auditeurs, perdus face à ce

foisonnement de nouveaux talents. Le risque étant alors de retrouver le même modèle que chez les

distributeurs actuels : quelques artistes vendeurs sur-représentés dans les bacs des disquaires ou sur

les ondes radio, et écrasant de tout leurs poids le reste de la production.

5. Le cas de l'autoproduction

Il faut noter que les vrais précurseur de l'offre de téléchargement sur Internet, que nous venons

d'aborder, sont en fait les artistes autoproduits. En effet, en France comme ailleurs, de nombreux

artistes et de nombreuses petites associations se chargent eux-mêmes de produire des albums, face à

la très grande difficulté de s'insérer dans l'industrie du disque. La démocratisation des "home studios"

et la possibilité de graver soi-même ses CD avec des machines d'un prix abordable ne peuvent

d'ailleurs que renforcer le phénomène. Jusqu'ici, ces productions se limitaient souvent à un impact

local, mais grâce aux possibilités d'Internet, qui permet une médiatisation et une distribution

mondiales pour un coût réduit, on assiste au développement de ce type d'initiative, avec des

répercussions plus larges.

On observe déjà depuis plusieurs années l'apparition de très nombreuses autoproductions sur la toile,

notamment aux Etats-Unis, et un certain nombre d'entre elles se vendent très bien. Certains artistes,

pourtant signés, profitent également de l'occasion pour s'affranchir de leurs maisons de disques et

vendre directement sur Internet. Ainsi, même des artistes confirmés vendent des titres individuels ou

des albums entiers, parfois même avant la sortie du CD, soit sur leur propre site, soit en passant par

des sites spécialisés (le cas s'est également présenté dans le domaine littéraire avec Stephen King par

exemple).

58 Op. Cit.

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Il paraît cependant peu probable que les artistes puissent se passer un jour des maisons de disques

car Internet ne permet pas pour l'instant de passer un certain stade de développement pour un

particulier. De plus, les maisons de disques ne laisseront certainement pas les artistes se passer si

facilement d'elles, d'ailleurs, les producteurs phonographiques ont déjà entamé une contre-offensive

et tentent de verrouiller "contractuellement" l'exploitation des sites pouvant être créés au nom des

artistes59. L'autoproduction, et son "autodistribution" sur Internet, présentent néanmoins une solution

alternative, permettant à chacun de mettre le pied à l'étriller, et pourquoi pas de se faire ensuite signer

par un label.

6. Les majors

Comme nous l'avons vu, les majors appartiennent à des groupes aux activités multiples, qui mènent

une politique de marché mondial. Ces groupes sont à la recherche d'une synergie entre leurs diverses

activités et le multimédia pourrait les y aider. Les possibilités de travail à distance et de transmission

de musique, textes et images sont très favorables à des campagnes "multi-médias, multi-pays" chères

aux majors. Quant à une utilisation du numérique directement vers le public, l'époque actuelle

d'effervescence technologique les a entraînées à s'associer avec des partenaires de poids. Sony et

Microsoft se sont par exemple associés pour lancer des CD-ROM d'artistes Sony Music,

Bertelsmann a réalisé une joint-venture avec européenne avec AOL...

Mais l'arrivée de nouvelles technologies comme le MP3 a rapidement inquiété les majors qui se sont

tout d'abord laissées déborder par la déferlante Internet et ont adopté une attitude répressive, avec

plus ou moins de résultats. La RIAA (Recording Industry Association of America) a perdu, en 1999,

un procès contre Diamond, le créateur du premier baladeur MP3, mais a réussi à faire fermer

plusieurs centaines de sites illégaux, en faisant pression sur les hébergeurs. En France c'est la SCPP

(Société civile pour l'exercice des droits des producteurs phonographiques) qui s'en charge. Le but,

selon Anne Bérard60 : "Il ne faut surtout pas que les gens pensent qu'il est anormal de payer de

59 Stéphane Davet, "Ces musiciens qui court-circuitent leur label", Le Monde, 15 octobre 1999 60 Op. Cit.

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la musique". En effet, selon Kipp Cheng61, le plus grand obstacle pour les labels et les revendeurs

online est probablement la perception que le contenu du web est et doit être gratuit. Pour lui,

convaincre les consommateurs de payer pour un téléchargement de musique qu'ils auraient

probablement pu trouver gratuitement sur un site pirate pourrait être le plus gros challenge de

l'industrie. Pour en finir cet obstacle, lié notamment à l'imperfection du format MP3, la RIAA a lancé

le projet SDMI (Secure Digital Music Initiative), afin de promouvoir des formats limitant les copies

et contenant des informations sur les droits d'auteurs.

Dans ce combat, les maisons de disques ont des alliés : tous les intervenants de l'industrie musicale

qui jouent leur survie, au premier rang desquels figurent les distributeurs, mais également les éditeurs,

qui rechignent à placer des chansons sur leurs sites ou ceux des artistes. Du moins pas en qualité CD,

ou seulement en streaming de 30 secondes (c'est-à-dire une écoute en continue d'un fichier qui ne

peut être enregistré sur l'ordinateur). La musique sera donc certes en ligne, mais payante et sur les

sites des distributeurs. "Il faut utiliser les points d'entrée qui sont à notre disposition. Le réseau

existant a une grande expérience de la vente, cela serait suicidaire de s'en passer" , explique

Anne Bérard62. C'est ainsi que des revendeurs comme la Fnac se lancent timidement. La vente de

fichier MP3 pourrait d'ailleurs résoudre en partie le problème de retour sur investissement des

singles, dans leur grande partie déficitaires mais considérés comme des produits d'appel pour la

vente d'albums.

Les majors ont maintenant pris la mesure de la révolution numérique, et des accords et rachats ne

cessent d'être annoncés, en voici quelques exemples :

• Universal a lancé le Jimmy & Doug's Farm Club, un site pour éditer les groupes amateurs, et a

investi dans un portail de musique latine, Eritmo.

• Universal et BMG ont ouvert un site de commerce électronique commun, Getmusic.com, et prévu

de lancer une plate-forme de téléchargement sécurisée, développée en partenariat avec IBM et

Intertrust.

• Sony et Warner ont racheté ensemble le premier disquaire en ligne, Cdnow, et Sony Music a

investi dans un portail baptisé Yupi.

61 Kipp Cheng, "Note from the underground", Adweek, 6 septembre 1999 62 Ibid.

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• EMI a déjà pris des parts dans la start-up Liquid Audio, qui a développé le format de

téléchargement sécurisé du même nom, et dans Musicmaker, un service de vente en ligne de

compilations personnalisées. Elle a également annoncé la possibilité d'acheter des chansons par

téléchargement, sur des kiosques installés dans des magasins (2 dollars le morceau, soit environ

13 francs).

• Quant à l'éditeur Virgin Music, il a carrément sauté le pas en proposant aux Américains, en

octobre 1999, l'intégralité du nouvel album de David Bowie en téléchargement payant, quinze

jours avant sa sortie dans les bacs. Il a également annoncé l'ouverture de Virgin James Cast,

dédié à la musique.

Nous allons sans doute assister encore longtemps à ce type de positionnement, dont l'objectif est de

prendre pied, voire de s'imposer sur ces nouveaux marchés. Les majors ont par ailleurs toutes

aujourd'hui leur propre site web, présentant les artistes "maisons". Ainsi, si les réseaux en ligne

facilitent la coordination entre les filiales locales d'une major, ils leurs permettent également de faire

entendre leurs productions à un auditoire beaucoup plus large que leur marché national. Les majors

se contentaient jusqu'ici de serveurs "vitrines", ayant pour vocation de renforcer l'image de la société

et de faire connaître leurs productions à l'étranger, mais elles s'orientent à présent vers des services

beaucoup plus innovants, avec en particulier la distribution virtuelle. Elles sont pour l'instant retenues

par les problèmes techniques et juridiques.

7. Une chance pour les indépendants

Les indépendants ont traditionnellement un temps de réaction plus court que les majors et peuvent

pour l'instant tirer profit des hésitations de celles-ci. Les réseaux en ligne forment donc une

perspective intéressante pour les indépendants, d'une part ils devraient leur permettre de pallier les

difficultés qu'ils rencontrent en raison de la structure du marché, et d'autre part, les réseaux en ligne

forment un terrain quasiment vierge, sur lequel les majors et les indépendants vont pouvoir lutter à

armes presque égales, au moins pendant un court laps de temps.

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En effet, comme nous l'avons vu précédemment, les indépendants, et particulièrement les

indépendants français, se trouvent actuellement dans une situation difficile. Principale difficulté : la

distribution, qui les rend totalement dépendants des majors. Les nouvelles technologies pourraient

cependant leur offrir de nouvelles voies de développement, notamment en facilitant l'export et la

vente par correspondance.

Jusqu'ici, les indépendants français se sont de fait peu intéressés à l'export, ce qui explique en partie

leur faiblesse par rapport à leurs homologues étrangers, souvent meilleurs sur ce terrain. Mais les

choses changent et de plus en plus de petits labels très spécialisés se tournent vers l'international et y

réalisent une part importante de leur chiffre d'affaires. Pour cela deux possibilités s'offrent à eux, soit

établir un contrat de distribution ou de licence avec des partenaires étrangers, soit passer par un

exportateur. Dans les deux cas, l'export ne coûte rien en investissements financiers, et les

indépendants ont donc tout à y gagner. De plus comme nous l'avons vu précédemment, les nouvelles

technologies facilitent considérablement les relations internationales, qu'il s'agisse de signature de

contrats ou de travail de promotion, qui nécessitent désormais moins de temps et moins d'argent. Les

indépendants, et particulièrement les indépendants français, ont donc leur carte à jouer dans la

période actuelle, qui leur permet d'accentuer leur succès à l'export.

La VPC constitue la deuxième voie de développement pour les indépendants. Si elle est très

développée dans les pays anglo-saxons, la part de marché de la vente par correspondance de

disques en France est passée de 10 % en 1980 à 2 % en 1993. Aujourd'hui, la VPC se développe à

nouveau, et oscille entre la macro et la micro distribution : on trouve d'un côté deux leaders installés

sur ce créneau depuis plusieurs années, Dial (appartenant à Polygram), et France Loisirs

(appartenant à Bertelsmann), et de l'autre de nombreuses petites sociétés, qui tentent de remédier

aux difficultés qu'éprouve certains mélomanes à trouver ce qu'ils recherchent. La VPC est revenue au

centre des préoccupations du marché du disque français comme le prouve par exemple la stratégie

vépéciste de la Fnac que nous avons abordée précédemment. Mais les indépendants y ont un rôle

particulier à jouer, en cherchant à exploiter non pas un marché de masse mais des segments

spécifiques, des "niches" abandonnées par la distribution traditionnelle pour lesquelles la VPC

constitue presque le seul moyen de se procurer un disque. De plus, comme l'export, la VPC

nécessite peu d'investissements financiers, surtout si l'on vend par Internet et elle permet surtout de

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mieux connaître sa clientèle et donc de mieux cibler son action. Ainsi, Internet permet non seulement

de réactualiser le catalogue au jour le jour mais aussi d'adapter la gamme de produits au profil du

consommateur. Il est en effet possible de connaître exactement quelles pages et quels produits le

client a consultés, pendant combien de temps, etc. Tous les mouvements de souris, et par

conséquent une grande partie du comportement d'achat en ligne peuvent être connus, et grâce aux

"cookies" par exemple, le consommateur est automatiquement reconnu à son arrivée sur le site, et les

produits qui lui sont proposés sont alors adaptés à ses préférences et le seront de plus en plus

finement au fur et à mesure de ses visites.

La musique en ligne est donc une aubaine pour les labels indépendants qui cherchent à se faire

connaître. Ils sont d'ailleurs de plus en plus nombreux à ouvrir des sites dédiés à leurs artistes, et à y

proposer des téléchargements de morceaux. Moins frileux que les majors, qui limitent les fichiers son

à des extraits de 30 secondes, les indépendants n'hésitent pas à offrir une chanson pour convaincre

l'internaute d'acheter le disque. Si ce n'est déjà fait, les indépendants doivent donc impérativement

prendre pied sur Internet, avant qu'il ne soit trop tard. En effet, les nouvelles technologies semblent

aptes à assurer un renouveau indépendant, comme cela a souvent été le cas dans l'histoire du disque,

où les principales mutations du marché sont liées à l'apparition d'innovations techniques. Cependant,

Internet est un réseau mondial, et les labels indépendants français, par exemple, sont peu connus à

l'étranger en raison d'une politique d'export longtemps inexistante, et risquent donc d'avoir peu

d'impact, perdu dans l'immensité du réseau. Ainsi, on assiste à l'ouverture de serveurs communs,

moins coûteux et plus visibles, pour la plupart "vitrines" mais de plus en plus proposent un service de

VPC classique, voire de téléchargement.

8. Comme les radios libres ?

Nombreux sont les commentateurs qui comparent le phénomène actuel de la musique sur Internet à

celui vécu dans les années 80 avec les radios libres, à l'instar de Rémy Bouton, directeur de la

communication chez Naïve, qui déclare : "Quand déboule un nouveau format, les nerfs se

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tendent, il y a des moments de cafouillage [...]. Toute cette effervescence me rappelle ma

jeunesse et le début des années 80, quand je faisait de la radio pirate à Bastille. A l'époque on

parlait de la fin des radios, d'une révolution des ondes qui allait tout chambouler. En quelques

mois tout est rentré dans l'ordre"63. En effet, à l'avènement des premières radios libres, chacun

pouvait disposer d'un émetteur et produire ses propres émissions, avec des moyens réduits. Puis les

auditeurs se sont lassés, tandis que les gros mangeaient les petits. Aujourd'hui, les émetteurs sont

moins nombreux et plus puissantes, et le marché subit à nouveau la loi de la publicité.

Pour Laurence Beauvais, il est probable que "le MP3 aura seulement servi à secouer le cocotier

et à bousculer les positions un peu trop établies, avant que les majors ne reconquièrent leurs

positions dominantes dans la nouvelle configuration"64. Pour Tewfik Hakem, la révolution n'est

pas non plus à l'ordre du jour. Selon lui, les turbulences actuelles ne cachent en fait "qu'une course

contre la montre entre des stratégies encore opaques. Chacun à l'air de penser qu'il peut se

passer de l'autre. Lorsque l'agitation retombera et que les rapports de force s'équilibreront, on

redistribuera les rôles" 65.

En attendant, pour les labels indépendants et les artistes autoproduits, qui ont par ailleurs très peu de

débouchés, le modèle MP3 reste le seul circuit de promotion et de distribution alternatif et accessible

à tous. Et pour survivre, il est indispensable, selon Laurence Beauvais, que "ces labels en ligne

n'aient pas peur d'assumer un minimum de direction artistique face à la puissance financière

et au savoir-faire créatif des majors" .

63 Dans une interview accordée au magazine EPOK, Avril 2000 64 Laurence Beauvais, "MP3 : envoyez la musique", EPOK, Décembre 1999-Janvier 2000 65 Tewfik Hakem, "Maisons de disques au bord de la crise de Net", EPOK, Avril 2000

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D. Les industries culturelles et le multimédia : vers une uniformisation ?

Le multimédia est un concept difficile à cerner car il est au confluent de plusieurs domaines : d'une

part, les grands secteurs que sont les télécommunications, l'informatique, l'électronique ou les

industries culturelles ; d'autre part les industries de matériel et les industries de programmes ; enfin les

entreprises culturelles entre elles. Ces mondes auparavant plus ou moins séparés s'interpénètrent de

plus en plus, ce qui donne naissance à des craintes, notamment d'une mainmise des puissances

financières sur tous ces domaines et d'une concentration excessive et potentiellement réductrice.

Aymeric Pichevin66 a mis en avant quatre principaux types d'uniformisations potentielles, une

classification de laquelle nous allons repartir pour organiser cette réflexion.

1. Uniformisation 1 : "Sur-concentration"

De nouveaux acteurs de tous bords s'engouffrent actuellement sur le marché des nouvelles

technologies numériques. Le monde du multimédia est aujourd'hui en ébullition, et les accords,

fusions, acquisitions et autres repositionnements sont légions. C'est évidemment aux Etats-Unis

qu'ont eu lieu les plus importantes transactions et le gigantisme des sommes engagées montrent bien

que les nouvelles technologies sont prises extrêmement au sérieux, même si nul ne peut en délimiter

les futurs contours. La téléphonie est en tête des plus importants investissements mais les stratégies

internationales se sont portées depuis longtemps sur tous les terrains, notamment celui de la télévision

numérique, de l'informatique, où des jeux d'alliances tentent d'imposer des standards de matériels ou

de logiciels, ou encore de la banque pour imposer une monnaie électronique.

Si l'avenir est pour le moment imprévisible, beaucoup s'accordent à dire que la bataille laissera un

grand nombre d'acteurs sur le carreau et que les technologies numériques devraient globalement

renforcer le niveau de concentration dans les économies des pays industrialisés. Les lois antitrust sont

censées veiller à ce qu'il n'y ait pas d'abus dans le domaine, une situation de monopole n'étant

généralement pas souhaitable, mais leur efficacité est souvent remise en question.

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Comparativement aux secteurs de la télécommunication ou encore de l'informatique, l'industrie de la

musique représente un marché microscopique, dont on dit souvent que le poids symbolique est bien

supérieur à son poids économique. Selon Aymeric Pichevin67, "on peut se demander si, à terme,

l'industrie de la musique ne deviendra pas une simple branche de l'industrie du multimédia".

Cependant, les majors se sont elles-mêmes, depuis longtemps, lancées dans des stratégies de

diversification, dans le multimédia notamment, et les groupes auxquels elles appartiennent sont d'une

tout autre envergure économique et sont fortement impliqués dans les mouvements actuels. Pourtant,

toujours d'après Aymeric Pichevin, "devant le poids de certains acteurs qui semblent

aujourd'hui s'intéresser au secteur, peut-être certaines majors vont-elle subir le sort qu'elles

ont "infligé" à nombre d'indépendants du disque, c'est-à-dire être rachetées" .

Etant donné le foisonnement des prises de position des grandes firmes actuelles et le besoin de

programmes lié au développement des nouveaux médias, on pourrait effectivement assister à des

restructurations très importantes concernant l'industrie musicale. Le danger est alors que le secteur,

déjà très concentré, se concentre encore un peu plus. Or, un secteur trop concentré présente des

risques comme la perte de créativité ou une désaffection du public par exemple, et ceci est encore

plus vrai dans le domaine culturel pour lequel "la concentration n'a pas de fonction vertueuse sur

le marché"68. Les lois antitrust américaines sont d'ailleurs déjà intervenues dans l'histoire de

l'industrie du disque, notamment pour empêcher le rapprochement de Philips et Warner en 1984.

Pourtant, en janvier 2000, Time Warner a retenté l'expérience avec EMI et avec succès cette fois ci,

d'où le scepticisme de certains (dont nous parlions un peu plus haut) vis-à-vis de ces lois.

Il y a concentration d'un secteur lorsqu'il y a des possibilités de réaliser des économies d'échelle et

qu'il y a donc une barrière économique à l'entrée du secteur. L'activité de création est donc peu

concernée et il est très improbable que l'on parvienne à industrialiser la création musicale. En

revanche, les petits producteurs pourraient être mis en danger si les majors ou tout autre grand

groupe décidaient d'éliminer les petites entreprises d'enregistrement ou de fabrication de disques.

66 Aymeric PICHEVIN, "Le disque à l’heure d’Internet", L'Harmattan, 1997, p. 213-228 67 Ibid. , p. 215 68 Patrick Zelnik, président de l'Upfi, cité par François Sergent, "EMI et Warner chantent à l'unisson", Libération, 25 janvier 2000

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Personne n'y a pour l'instant intérêt, justement parce que la création n'est pas rationnalisable, et que

le secteur a besoin de petits producteurs pour découvrir de nouveaux talents. En revanche, la

distribution est une activité de l'industrie musicale qui a un potentiel "concentrationniste" beaucoup

plus élevé (malgré son niveau actuel de concentration). Toutefois, les modes de distribution de la

musique risquent de tellement changer à l'avenir que la question sera plutôt de savoir qui contrôlera

les "tuyaux" (si quelqu'un les contrôle).

Cependant, quel que soit le niveau de concentration du secteur, il y aura toujours des niches de

marché laissées vacantes parce qu'insuffisamment rentables et ces niches pourront être occupées par

des petites entreprises dont la tâche sera sans doute facilitée par les réseaux électroniques. C'est en

effet à partir des niches laissées vacantes par les majors que les indépendants américains ont pu

prendre leur essor dans les années 50.

Après les rachats des principaux indépendants et une exploitation démesurée des fonds de

catalogue, la concurrence féroce que se livrent les majors commence donc à se porter sur les

nouvelles technologies, comme le prouve l'actualité, riche en événements politico-économiques dans

l'industrie de la musique depuis plus d'un an. Mais sur ce terrain, elles se retrouvent en concurrence

avec d'autres acteurs, souvent plus puissants qu'elles, et c'est là qu'intervient l'importance du groupe

de rattachement. L'industrie de la musique risque donc fort de voir l'arrivée de nouveaux acteurs et

peut-être le départ d'anciens.

2. Uniformisation 2 : "Contenant/contenu"

Par le passé, les innovations technologiques audiovisuelles qui ont pu s'imposer se sont souvent

appuyées sur l'industrie des programmes. Les liens entre l'industrie du matériel et celle des

programmes sont fluctuants mais très serrés. La question du rôle de l'industrie des programmes dans

la commercialisation d'une nouvelle technique est hautement d'actualité, tant pour imposer des

innovations matérielles comme le DVD-Rom que pour supporter les réseaux. A l'inverse, ces

innovations dynamisent l'industrie des programmes qui devraient donc profiter de l'effervescence

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actuelle. L'apparition du CD est un bel exemple de l'impact que peut avoir une nouvelle technologie

sur l'industrie des programmes.

L'utilisation des contenus pour imposer des innovations matérielles a été essentielle dans les succès

respectifs de Philips et Sony. Ainsi, Philips a pu aisément imposer son standard de cassette audio

dans les années soixante car il était alors le seul groupe industriel de hardware à disposer d'une

division disques majeure sur le marché. Géant du hardware, il est présent sur tous les marchés de

l'électronique, qu'elle soit industrielle, militaire ou domestique. Mais dans ce dernier domaine, il subit

la concurrence de Sony aux débouchés plus importants et mieux répartis géographiquement,

notamment en Asie, zone économique la plus dynamique des années quatre-vingt, alors que les

ventes de Philips sont fortement concentrées en Europe. Par ailleurs, les intérêts du groupe

néerlandais dans le domaine des programmes et du cinéma n'étaient pas fortuits, la possession d'un

catalogue majeur de films constituant un enjeu important pour les ventes de vidéocassettes et de

compact discs vidéo (CDV).

Sony a bien compris ces enjeux, après avoir cher payé dans le passé de ne pas avoir de création

artistique dans son giron. En lançant le DAT, support numérique enregistrable, les Japonais se sont

heurtés au refus des éditeurs phonographiques américains et européens face aux risques d'extension

prévisible de la copie privée. Perdant son principal atout, le DAT a dû se cantonner à l'usage

professionnel. Si Sony avait alors disposé de l'important catalogue de CBS, le résultat aurait été tout

autre. Dans le domaine de la vidéo, il n'aurait peut-être pas perdu la bataille Betamax contre VHS s'il

avait possédé les studios Columbia (2 700 films, rachetés en 1989). D'où l'intérêt pour Sony de se

doter d'un département phonographique "afin de couvrir l'ensemble de la filière musicale,

stratégie qui avait fait le succès de Philips pour imposer ses standards de matériel

hardware"69.

Mais les nouvelles technologies ont porté le débat contenant/contenu bien au delà du hardware. Elles

offrent en effet de tels espaces de diffusion qu'il faut songer à les "remplir", d'où les tractations

actuelles pour le contrôle des catalogues, qu'il s'agisse de cinéma, de musique ou encore d'oeuvres

69 Etude Renaudon, 1989

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d'art. Pour le groupe présidé par T. Miléo70, la rentabilisation de l'industrie du multimédia ne pourra

se faire que globalement, à la fois sur les contenus et les contenants. Mais la frontière entre contenant

et contenu est floue et les services en ligne ne pourront d'ailleurs être conçus qu'en fonction des

performances potentielles des terminaux et du réseau, ces derniers devant eux-mêmes répondre au

mieux aux besoins des utilisateurs. Il en va de même pour le CD-Rom, moins pour les télévisions

câblées, où le contenu est pour l'instant généralement indépendant du réseau. Compte tenu des

progrès techniques incessants, l'industrie des programmes a de bonnes perspectives devant elle.

L'industrie de la musique a évidemment conscience des opportunités que représentent ces nouveaux

médias, et chacun cherche à se positionner par divers partenariats, avec des chaînes numériques, des

galeries commerciales sur le web, etc. Les majors ont depuis longtemps d'ailleurs des stratégies de

positionnement sur les médias de diffusion : Time-Warner a initié, nous l'avons vu, des chaînes

musicales comme MTV, Sony et Bertelsmann détenaient à eux deux 15 % du capital initial de

MCM. De la télévision au multiprogramme, il n'y a qu'un pas, mais un pas qui pose notamment un

problème de droit de diffusion, comme nous le verrons par la suite (cf. F. Les nouvelles technologies

et l'adaptation des droits liés à l'œuvre - p. 103).

Le rapprochement de l'industrie des programmes et des matériels et le positionnement des majors

sur les nouveaux médias posent également la question de la diversité. Selon Aymeric Pichevin, deux

stratégies de programmation s'affrontent pour commercialiser une innovation : on cherche à imposer

un nouveau concept avec une programmation grand public et une qualité supérieure, ou par une

programmation originale. La diversité actuelle des acteurs qui veulent s'imposer sur le marché et

l'espace que celui-ci propose encore laissent penser que les deux stratégies seront utilisées, et donc

que la diversité musicale pourrait en sortir grandie. Cependant, une probable concentration des

acteurs à plus long terme risque de faire réapparaître une programmation grand public.

Il reste à noter que, selon certains observateurs, l'éventuelle prise de contrôle des programmes par

les diffuseurs ou les constructeurs de matériel n'aura sans doute qu'un temps, celui de lancer les

nouvelles technologies. Comme l'a montré Patrice Flichy71, qui se réfère à l'audiovisuel, les phases

70 Groupe présidé par Thierry Mileo, "Les réseaux de la société de l'information", ESKA, Paris, 1996, p. 94 71 Patrice Flichy, "Les industries de l'imaginaire", PUG, 1991, p. 195

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d'intégration matériel-programmes cèdent la place à une phase de désinvestissement de l'industrie du

hardware une fois le développement des innovations terminé. Cependant, dans le cas présent, la

phase de développement risque d'être longue, même si on a déjà vu Philips se délester de Polygram,

maintenant que le standard CD est imposé, afin de pouvoir lancer ses graveurs de CD-R sans avoir à

gérer des conflits d'intérêts à l'intérieur de son propre groupe.

3. Uniformisation 3 : "Musique/Multimédia"

Les liens entre les différentes industries de la communication ne datent pas d'hier, le domaine de la

radio-télévision, selon Patrice Flichy72, a longtemps été largement contrôlé par les autres médias,

essentiellement la presse. Dans le domaine des marchandises culturelles, le lien le plus important

concerne le disque et le cinéma. Le multi-médias est quant à lui en vogue depuis longtemps, avec les

sorties simultanées de livres, disques, films... Ces stratégies visaient généralement à obtenir une

synergie entre les différentes activités et visent aujourd'hui la recherche du contrôle de la filière,

jusque dans les nouveaux médias. L'industrie du disque s'est donc mêlée dans les années 80 aux

stratégies multi-médias de manière importante et un certain nombre de stratégies de diversification

ont d'ailleurs été accomplies avec succès, comme l'arrivée du groupe de communication Bertelsmann

dans le disque au début des années 80 et qui a réussi une implantation rapide sur le marché américain

en rachetant RCA, ou celle de Sony par le rachat de CBS. En s'alliant avec Time en 1989, Warner a

également conforté sa position prédominante dans la communication : édition, vidéo, TV, câble.

Dans ce cas précis, comme le montrait André Lange73, les possibilités de synergie entre les

différentes activités d'un groupe sont bien réelles : possibilité pour les chaînes de télévision d'utiliser

plus de programmes Warner, renforcement des activités audiovisuelles, rationalisation et possibilités

de ventes simultanées aux annonceurs d'espaces dans les magazines et les chaînes câblées, activité

concertée hors des Etats-Unis, utilisation de la maîtrise de Time pour la division disque de Warner...

Cependant, il semble difficile de mener une activité multi-médias sur le long terme et, bien souvent,

les groupes concernés ont dû finalement céder certaines de leurs activités. Ainsi Warner a dû

72 Op. Cit. 73 André Lange, "Le nouveau tempo de l'industrie de la musique", Les malheurs d'Orphée, 1990, p. 203

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revendre ses chaînes musicales MTV et VH-1 à Viacom en 1985 pour résister à une OPA lancée

par Robert Murdoch. Thorn-EMI, pourtant pionnier dès 1984 dans le domaine de la télévision

thématique pan-européeenne (Music Box, Children Channel), a dû par la suite se recentrer sur ses

activités traditionnelles. Thorn-EMI dispersait en effet ses forces sur un grand nombre d'activités et

concentrait ses ventes sur les seuls pays anglo-saxons. Pour surmonter ce triple handicap, le groupe

britannique s'est retiré de plusieurs secteurs et a recentré ses activités, en particulier sur la musique

avec quelques acquisitions notoires : SBK, Chrysalis, et surtout Virgin qui lui assure désormais une

place de choix sur le plan international. A l'inverse, un certain nombre d'entreprises ont choisi de

céder leur division disques pour se recentrer sur leur activité de base : RCA (1986), CBS Inc.

(1988), ou encore Robert Maxwell (1988).

Selon Patrice Flichy, la logique des groupes multimédias serait en fait financière, la diversification

permettant de diminuer le poids du risque de chaque opération, sans qu'il y ait pour autant

centralisation des décisions. S'il est donc probable que les activités multi-médias soient appelées à

être économiquement contrôlées par un nombre restreint de firmes, ces activités resteront séparées.

En résumé, Bernard Guillou74 a distingué trois types de stratégies multimédia dans les industries

culturelles :

• Des stratégies de redéploiement : les entreprises qui exercent des activités dont le potentiel de

croissance est faible ou nul et qui n'occupent pas une position de leader dans leur activité initial

s'orientent vers les secteurs des nouveaux médias pour y saisir des opportunités de

développement.

• Des stratégies de confortement : l'objectif est ici de renforcer les activités existantes en

cherchant à développer des activités nouvelles qui sont en synergie avec les anciennes.

• Des stratégies de placement : elles sont le fait d'entreprises qui, en vertu d'une position de

leader sur un marché à forte croissance, dégagent des bénéfices importants qui peuvent être

affectés à des investissements dans de nouvelles activités susceptibles de produire elles-mêmes

des gains importants.

74 Bernard Guillou, "Les stratégies multimédia des groupes de communication", Notes et Etudes documentaires, La Documentation française, Paris, 1984

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On retrouve bien entendu ces stratégies dans l'industrie du disque. Le choix dépend des époques,

des problèmes et des entreprises, et plusieurs stratégies peuvent également être poursuivies

conjointement. Ainsi, le rachat de la Division disques de CBS par Sony en 1987, que nous avons

déjà abordé un peu plus haut, illustre bien ces propos. Le groupe japonais est avant tout connu pour

être un constructeur de matériel et l'extension de ses activités vers l'industrie complémentaire des

programmes paraît logique. Sony avait d'ailleurs déjà commencé en constituant une société conjointe

avec CBS afin de développer des unités communes de fabrication de disques compacts au Japon et

en Autriche. Il s'agit donc d'une stratégie de confortement. Mais la solidité de la Division disques de

CBS et ses bonnes performances donnent aussi à ce rachat la dimension d'un placement.

4. Uniformisation 4 : "Culture mondiale"

Les nouvelles technologies sont incontestablement liées à un mouvement de mondialisation des

communications et du commerce, et beaucoup craignent la naissance d'une culture mondiale qui

écraserait toutes les autres.

Les Etats-Unis sont au centre des appréhensions face à une mondialisation culturelle, leur position de

force sur les réseaux peut en effet laisser craindre le déferlement des produits américains. Le

véritable problème vient en fait de la surabondance d'information, qui risque de noyer le

consommateur et de le pousser à se diriger vers les "boulevards grands publics ouverts par les

multinationales" . Il semble cependant que, quel que soit le niveau de concentration atteint dans les

nouveaux médias, les grandes puissances devront tout de même composer avec les cultures locales.

Ainsi, même si les majors favorisent largement la diffusion du répertoire anglo-saxon dans la plupart

des pays, dont elles contrôlent la distribution, chaque filiale de ces majors a néanmoins une

production locale. En revanche, la généralisation des réseaux met à portée de main du consommateur

un marché mondial permettant de comparer rapidement les prix. Or, tout problème de TVA mis à

part, les productions nationales doivent se rentabiliser sur un marché beaucoup plus restreint que les

productions anglo-saxonnes par exemple. Il leur est donc impossible de proposer des prix

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compétitifs et les productions anglo-saxonnes pourraient dominer les réseaux encore plus quelles ne

dominent actuellement le marché traditionnel.

E. Le concept du disque menacé par les médias

1. La consommation n'implique pas nécessairement l'achat

Le disque est devenu peu à peu au cours du 20e siècle, le symbole, le point central de l'industrie

musicale, voire l'industrie musicale elle-même. On peut cependant s'interroger sur les menaces qui

pèsent sur le concept de bien culturel phonographique. Elles viennent de la radio, de la télévision et

plus récemment d'Internet et des nouvelles technologies en général, et prennent une ampleur

particulière aujourd'hui. En effet, selon Lacher et Mizerski75, la consommation musicale est l'acte

d'écouter un morceau de musique. Les auditeurs ont donc aujourd'hui deux modes de consommation

de la musique : assister à une performance en direct ou écouter de la musique enregistrée, qui peut

prendre la forme de supports personnels enregistrés ou transiter par un autre média tel que la radio.

Selon ces auteurs, la musique peut donc être consommée sans l'achat d'un enregistrement musical,

sauf dans le cas où le consommateur souhaite avoir une maîtrise temporel de son expérience (ou ré-

expérience) musicale).

Ainsi, dans la rencontre entre la production et la consommation, ce sont moins les circuits de

distribution que les medias qui constituent des intermédiaires puissants. En diffusant des programmes

musicaux produits par l'industrie phonographique, et destinés à des consommateurs finaux, ils sont

non seulement des vecteurs de promotion mais aussi des consommateurs intermédiaires qui

rémunèrent trop faiblement leurs fournisseurs.

Dès l'apparition de la radio dans les années 1920, les industries phonographiques vont alimenter les

programmes radiophoniques. Mais la question de la "satellisation" du disque par rapport à la radio ne

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tardera pas à se poser, la concurrence entre les deux modes de diffusion, par réseau ou par support

individualisé, se faisant à l'avantage du premier. L'attraction de la technologie du microsillon gommera

provisoirement cette fragilisation du phonogramme. Elle se posera à nouveau trente ans plus tard,

puis sera à nouveau gommée par l'apparition et la démocratisation rapide du CD. La mise en danger

par les médias de la musique enregistrée revient aujourd'hui au cœur du débat, et elle est d'autant plus

importante que ces médias et les technologies de transmissions qui les supportent sont de plus en

plus nombreux.

2. La renégociation de l'utilisation des produits musicaux

La télévision et la radio ont longtemps été considérées comme des moyens peu coûteux de

promotion des productions musicales phonographiques. Mais les multiprogrammes offerts par le

câble et le satellite, ainsi que les radios, télévisions et autres juke-boxes en ligne offerts par Internet

se présentent de plus en plus comme des moyens de consommation de musique au détriment du

disque, et de moins en moins comme un simple outils de promotion. Devant l'ampleur que prennent

ces nouveaux canaux de diffusion musicale et les possibilités de copie privée sous-jacentes, la

question du financement de la diffusion par les nouveaux canaux, se retrouve en tête de toutes celles

qui agitent actuellement l'industrie musicale, et on assiste maintenant à une renégociation de l'utilisation

des produits musicaux enregistrés par les médias. En effet, une diffusion libre de type radiophonique

n'a pas les mêmes conséquences qu'une autre relevant directement du droit du producteur

"d'autoriser ou d'interdire". Il peut être intéressant de faire un parallèle avec l'apparition du vidéo-clip

et des chaînes musicales au début des années 80.

D'abord à usage promotionnel, les vidéo-clips sont devenus des produits à part entière que l'industrie

des programmes musicaux cherche alors à se faire rémunérer au mieux. La question du financement

des clips s'est donc rapidement posée et le besoin d'aller chercher de l'argent à l'extérieur s'est fait

ressentir : coproduction ou accord avec les chaînes de télévision, sponsoring, parrainage... En

France, devant le refus de paiement des passages sur les chaînes télévisées, les industriels du disque

75 Kathleen T. Lacher, Richard Mizerski, "Une étude exploratoire des réactions et des relations associées à l'évaluation et l'intention d'achat de la musique rock", Recherche et Applications en Marketing, vol X, n°4/95

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décident d'un boycott en 1985. Après négociation, le prix est fixé à 1250 F par passage et une

période gratuite d'un mois. Un second boycott a lieu en 1986, les éditeurs demandant un droit de

passage de 3000 F et l'abrogation de la clause de gratuité. "Peu à peu, le disque ne passe plus par

les médias pour être vendu au public mais il vend son public aux médias ou aux entreprises

privées" 76, et les recettes issues des droits de diffusion prennent de plus en plus d'importance par

rapport à celles issues de la vente directe au public. La multiplication des accords avec des diffuseurs

permettait de s'assurer des recettes non aléatoires avant même de produire le disque ou le clip, par

opposition à la vente au public qui est imprévisible.

3. Une industrie fournisseur de programmes musicaux

Le disque apparaît ainsi comme un concept affecté par le changement des modes de consommation

et des canaux de diffusion de la musique, lié au développement des réseaux. Si la concurrence de la

radio est maintenant ancienne, c'est l'importance accrue des télévisions et surtout d'Internet qui

menace le support traditionnel du phonogramme, dans son concept, mais aussi indirectement dans

les budgets de loisirs des consommateurs, sous l'effet de la diversité des sous-produits :

magnétoscopes, chaînes cryptées, câble...

Les réseaux présentent des atouts certains sur la consommation par phonogrammes. D'une part ils ne

sont pas des consommateurs finaux mais des diffuseurs et assurent de ce fait un risque artistique

moindre. D'autre part, ils touchent des publics à domicile bien plus facilement que les circuits de

distribution de phonogrammes, lesquels souffrent de la diminution des points de ventes, de l'utilisation

du disque comme produit d'appel par les grandes surfaces et du rétrécissement de leurs linéaires de

présentation. Or, l'essentiel des ressources de l'industrie du disque reste la vente d'une famille de

supports pour les particuliers, alors que ce mode de consommation de musique semble être déjà

devenu minoritaire. La multiplication des canaux de télévision et de radio numériques engendre un

besoin de programmes musicaux que les maisons de disques vont pouvoir satisfaire. La question est

alors de savoir si la vente au public va rester la principale source de financement des maisons de

disques. Cette source reste pour l'instant la plus rentable, mais elle est très aléatoire, alors que

76 Aymeric Pichevin, op; cit., p. 241

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l'augmentation des ressources extérieures comme celles provenant des nouveaux médias permet de

stabiliser le système. A supposer que le paysage médiatique soit suffisamment large pour laisser

s'exprimer tous les styles musicaux, même les "titres spécialisés", c'est toute l'industrie de la musique

qui se stabiliserait mais qui perdrait un peu d'autonomie face aux médias. Il faut, dans cette

perspective, garder à l'esprit l'exemple de la libéralisation de la bande FM du début des années 80,

qui n'a pas permis longtemps l'expression de la diversité musicale.

Deux options paraissent ainsi possibles : soit que l'industrie du disque reste un champ clos et limité à

un concept et à une démarche, celle du collectionneur de phonogrammes, qui acquiert un bien

culturel dans un besoin de distinction sociale, soit qu'elle s'affirme davantage comme l'industrie des

programmes musicaux, fournissant l'ensemble des supports et canaux de diffusion. Cette dernière

suppose cependant de prendre un virage qui n'est pas aisé parce que certains métiers risquent de

s'en trouver profondément changés et que, comme nous l'avons vu précédemment, cela nécessite un

nouveau mode de rémunération et donc une renégociation avec les médias.

4. La remise en cause des métiers

La question de la nature d'une diffusion par les nouveaux médias, qui relève du droit de

représentation ou du droit du producteur d'autoriser ou d'interdire, remet en effet en cause le

fondement même de certains métiers. Elle brouille notamment la frontière entre l'édition et la

production : le producteur se charge de l'œuvre matérielle, tandis que l'éditeur s'occupe de l'œuvre

immatérielle, mais une œuvre diffusée par réseau est-elle ou non matérielle ? On parle de

dématérialisation des supports, donc d'un support (qui ramène au producteur), mais immatériel (qui

ramène à l'éditeur). Selon Aymeric Pichevin77, on peut considérer que la diffusion par réseau est du

domaine de l'édition, au même titre que la diffusion par le biais du cinéma, mais le cinéma ne vend

pas directement l'œuvre musicale, tandis que le réseau le permet. Dans ce cas, et si la

dématérialisation des supports se généralisait, toutes les formes de commercialisation de l'œuvre serait

de la compétence de l'éditeur. Pourtant, même si le support physique disparaissait, l'enregistrement,

lui, existerait toujours, or le producteur est "celui qui possède la bande master". Comment pourra-t-il

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se rémunérer ? En vendant les droits d'exploitation de l'œuvre aux différents diffuseurs, et dans ce cas

il n'interviendrait plus dans l'accès direct du consommateur à l'œuvre, et le métier serait totalement

changé. En prélevant un pourcentage sur la diffusion, mais le métier ressemblerait alors beaucoup à

celui d'éditeur. Les deux métiers se recoupent déjà aujourd'hui sur certains aspects puisque tous deux

s'attachent à promouvoir une même œuvre. Il est probable qu'ils se rapprochent de plus en plus,

jusqu'à se fondre dans une activité unique, qui serait plus proche de la fonction actuelle d'édition. En

effet, l'œuvre est quoi qu'il arrive amenée à exister et à être diffusée, et l'éditeur est chargé de gérer

cette œuvre, sa fonction ne peut donc pas disparaître. On constate d'ailleurs que les producteurs

cherchent de plus en plus aujourd'hui à obtenir les droits d'édition des artistes qu'ils signent en

production.

En parallèle se pose la question de la distinction entre un disquaire et une radio sur Internet. A

supposer que la consultation soit payante (au morceau, au forfait ou par abonnement) et que le

serveur permette un accès interactif aux programmes diffusés, quel différence peut-on faire avec un

magasin de disque en ligne. Si la consultation est gratuite et que le producteur ne peut s'opposer à la

diffusion de ses oeuvres par ce biais, le commerce musical serait alors en péril.

De toute évidence ces questions devraient se régler dans un avenir proche par les usages en vigueur

dans la profession et par le droit, mais l'organisation de la filière musicale devrait s'en trouver

changée. Il faut noter qu'en 1989, Mario d'Angelo parlait déjà de cette satellisation du disque par

rapport à la radio et à la télévision et envisageait un modèle économique basé sur la diffusion.

Pourtant, plus de dix ans après, les ventes de disques n'ont pas réellement chutées (on note une

stagnation due a priori à la copie privée), la radio est en bonne santé mais joue toujours son rôle de

promotion, et quant à la télévision musicale, M6 a sensiblement diminué la quantité de musique

diffusée au profit de séries, et le retard pris par le câble et le satellite a minimisé considérablement

l'audience et donc l'impact de MTV et MCM (pour ne citer que les plus connues en France). Ainsi,

si cette perspective de mutation du marché revient au centre du débat avec le développement

fulgurant d'Internet et le boom des bouquets satellite et autres technologies numériques, il convient de

rester prudent sur les hypothèses émises.

77 op. cit., p. 250

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F. Les nouvelles technologies et l'adaptation des droits liés à l'œuvre

La question des droits liés à la création est centrale dans la perspective de l'utilisation des nouveaux

modes de diffusion par le secteur culturel. Simon Frith notait dès 1988 que la technologie numérique

menaçait les fondements mêmes de l'industrie de la musique par le biais de ces droits78. Selon

Aymeric Pichevin79, on peut scinder les problèmes de droits d'auteur liés au numérique en trois

grandes parties, qui sont autant de questions qui amènent un véritable débat sur le droit de la

propriété intellectuelle :

1. Une œuvre multimédia est généralement conçue, directement ou indirectement, par plusieurs

personnes ; comment définir alors quelles sont ces personnes, comment les reconnaître et les

rémunérer ?

2. La diffusion généralisée d'une œuvre à travers les réseaux de télécommunications remet en cause la

distinction qui est faite aujourd'hui entre droits de reproduction et droits de représentation, et

pose la question du contrôle des ayants droit sur l'utilisation de leurs oeuvres.

3. La diffusion numérique cause l'inquiétude de nombreux professionnels du disque en raison de la

possibilité pour l'utilisateur d'obtenir et de diffuser facilement une copie rigoureusement identique

de l'œuvre initiale. Par ailleurs, une harmonisation des législations nationales semble indispensable

pour accompagner l'internationalisation des inforoutes.

1. Le problème de la création

Le multimédia fait appel à l'action conjointe d'acteurs qui jusque là avaient souvent l'habitude de

travailler seuls : textes, musiques, images sont imbriqués pour former une œuvre globale. Selon

l'interprétation que l'on a du droit actuel, on peut qualifier l'œuvre multimédia d'œuvre audiovisuelle,

78 Simon Frith, "Music for pleausre", Polity Press, Cambridge, 1988, p. 6 79 op.cit., p. 136

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d'œuvre collective, de logiciel ou d'œuvre sui generis. En fait, le problème est de connaître son statut :

l'œuvre multimédia est-elle "œuvre de collaboration" ou "œuvre collective" ?

• L'œuvre de collaboration est légalement définie comme "l'œuvre à la création de laquelle ont

concouru plusieurs personnes physiques" 80. On applique alors les règles communes de

l'indivision81 à des personnes physiques qui, "ayant chacune participé au processus créatif

dans une communauté d'inspiration, disposent à part entière, bien que volontairement

partagée, de la qualité d'auteur de l'œuvre"82.

• La notion d'œuvre collective83 permet que cette œuvre soit la propriété de la personne morale ou

physique sous le nom de laquelle elle est divulguée. Celle-ci est titulaire des droits patrimoniaux et

moraux sur l'œuvre, même si chaque contributeur demeure titulaire des droits existant sur sa

contribution.

La différence est d'importance puisque l'œuvre de collaboration garantit le statut des auteurs, tandis

que l'œuvre collective permet aux éditeurs de disposer des droits. Actuellement par exemple, un

éditeur de CD-ROM qui a créé son produit en demandant toutes les autorisations nécessaires "n'est

pas en mesure d'en céder les droits, pour tout ou partie sur un autre support, qu'il s'agisse d'un

autre CD-ROM, d'un service en ligne ou d'un support papier" 84. Cette situation protège les

ayants droits mais rend l'exploitation commerciale des oeuvres multimédias difficiles.

On parle aussi d'œuvre composite c'est à dire une "œuvre nouvelle à laquelle est incorporée une

œuvre préexistante sans la collaboration de l'auteur de cette dernière"85, mais celle-ci pose

moins de difficultés quant à son régime, si ce n'est que sa conception comme son exploitation

requièrent l'autorisation de l'auteur de l'œuvre à laquelle elle emprunte des éléments originaux.

Quel que soit le statut retenu pour l'œuvre, une autre difficulté est de définir qui a participé à sa

création, et qui a fait quoi. Par ailleurs, des textes nationaux (article L 111-4 CPI...) et des

conventions internationales (conventions de Berne, de Genève...) s'attachent, pour déterminer le

80 Art. L 113-2 al. 1 CPI 81 Art. L 113-3 al. 2 CPI 82 "Les créations immatérielles et le droit", sous la direction de Michel Vivant, Ellipses, 1997, p 39 83 Art. L 113-2 al. 3 CPI 84 Groupe présidé par Thierry Mileo, "Les réseaux de la société de l'information", ESKA, Paris, 1996, p. 97 85 Art. L 113-2 al. 2 CPI

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régime des créations, au lieu de la première publication de l'œuvre ou à son pays d'origine. Où situer

ce lieu si la création et la diffusion se font simultanément, en réseau ? La complexité de ces

problèmes est renforcée par le fait que la technique numérique généralise la possibilité de travailler à

partir d'oeuvres déjà existantes. On peut prendre l'exemple de l'échantillonnage en musique

(sampling), qui pose déjà des difficultés juridiques. A partir de quel moment doit-on considérer la

modification et l'assemblage d'oeuvres préexistantes comme une création ?

Ce sujet concerne également les sites web, et surtout les sites marchands. En effet, selon Brigitte

Misse, un magasin électronique est constitué par une véritable mosaïque d'oeuvres diverses et

variées (images, sons, musiques...), et donc d'oeuvres susceptibles de faire l'objet de droits de

propriété, notamment intellectuelle. "Dès lors, la mise en place d'un magasin électronique nécessite

auparavant de s'être assuré auprès de chacun des créateurs de ces oeuvres de la possibilité de les

reproduire, de les diffuser, voire de les modifier..."86

En supposant ces problèmes juridiques réglés, il faudra encore résoudre d'autres difficultés :

• identifier facilement les ayants droit des oeuvres (souvent très nombreuses) que l'on veut les

incorporer à la création multimédia,

• recueillir leur consentement,

• convenir d'un mode de rémunération qui, tout en préservant les ayants droit, ne menace pas

l'économie du projet numérique.

En effet, il ne faut pas que la création d'un produit multimédia soit un véritable "parcours du

combattant", comme c'est parfois le cas pour la création audiovisuelle. Afin de faire respecter les

droits des oeuvres protégées, il faut avant tout en faciliter l'accès. La solution la plus couramment

envisagée aujourd'hui est de tatouer les oeuvres : sur chaque support numérique serait enregistré un

code permettant d'identifier les ayants droit de l'œuvre concernée. Plusieurs projets ont été étudiés

par l'OMPI (Office Mondial de Propriété Intellectuelle), dont trois avec une attention particulière : le

projet Cited (Copyright in transmitted electronic documents), développé par la commission des

communautés européennes ; le système de codification ISRC (International Standard Recording

Code), développé par l'Ifpi et appliqué aux enregistrements musicaux numériques ; le code APP

86 Brigitte Misse, "Du point de vente au magasin électronique", Décisions Marketing, n°8 Mai-Août 1996

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(Agence pour la Protection des Programmes), développé par l'agence du même nom. Ce dernier,

opérationnel en France depuis le 1er janvier 1995, permet à la fois d'identifier l'œuvre en détails, de

déceler immédiatement les manipulations illicites, et d'informer précisément l'utilisateur ou le créateur

d'oeuvres dérivées : identification des droits et utilisation dans les limites autorisées par les ayants

droit.

Ces systèmes de marquage ont cependant leurs limites : outre leur caractère peu évolutif, ils

présentent le désavantage de ne concerner que des titres déjà numérisés. C'est pourquoi il faut les

compléter d'un fichier recensant les oeuvres protégées, un système comparable à celui existant en

matière de protection industrielle. L'APP préconise "un réseau national des organismes de dépôt

locaux", tandis que le Cisac87 veut "passer d'une situation locale par territoire à une

administration mondiale des droits d'auteur, par un système international de codification des

œuvres" . En France, en 1997, à été mis en place le Sesam, nouveau guichet multimédia fondé

notamment par la Sacem et le SACD, et qui cherche à s'élargir au plus grand nombre de répertoire

(photographes, éditeurs en librairie...) ; le Sesam devrait permettre d'obtenir une autorisation unique

moyennant une rémunération unique pour la création d'oeuvres multimédia. Si la gestion d'un "grand

fichier" ne semble pas soulever trop d'objections, la gestion collective des droits par un organisme

unique rencontre des oppositions en France, les ayants droit craignant de ne plus garder le contrôle

de leurs oeuvres, et les producteurs d'être à la merci du bon vouloir d'un organisme en situation de

monopole.

Dernier point : pour permettre la rentabilité des projets multimédias, il faut revoir le système de

rémunération, car une fois passé le stade des autorisations, il faut déterminer un barème de

rémunération. La question est alors de déterminer l'apport de chaque œuvre par rapport au tout.

2. Flous juridiques : reproduction ou représentation ?

87 Confédération internationale des sociétés d'auteurs compositeurs, ONG officiellement accréditée auprès de l'Unesco, de l'OMPI et de la CEE, qui compte parmi ses membres 156 sociétés d'auteurs issues de 86 pays.

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La numérisation devrait permettre de multiplier les occasions de diffusion d'une œuvre, sous forme

d'exemplaires édités ou en réseau. Cette diffusion, en particulier la diffusion en ligne, pose des

difficultés dans l'analyse juridique traditionnelle. Le droit français repose en effet, comme nous

l'avons vu précédemment, sur la distinction entre le droit de reproduction et le droit de

représentation. Ce souci de distinction suivant le mode d'exploitation s'explique en partie par le fait

que la reproduction fait courir à l'œuvre le risque d'exploitation concurrente du fait de la circulation du

support dans lequel est fixée l'œuvre. Si ces droits n'ont jamais été exercés de manière totalement

séparée (la diffusion publique, qui fait partie de la représentation, fait appel à un processus préalable

de reproduction de l'œuvre), le phénomène est accentué par la numérisation. Comme l'indique le

professeur André Lucas88, "la dématérialisation liée aux nouvelles techniques de la

communication brouille la frontière entre le vecteur qui porte l'œuvre (donnant lieu à l'exercice

du droit de représentation) et le support qui la fixe (donnant lieu à l'exercice du droit de

reproduction)".

La fixation sur support numérique est indiscutablement une reproduction. Mais la visualisation ou

l'écoute de données sur un écran d'ordinateur en est-elle une ? Le fait que les données apparaissent

sur l'écran est-il préalable à l'acte de reproduction, c'est à dire l'enregistrement pour la musique ?

Selon la commission présidée par Pierre Sirinelli, en ce qui concerne les oeuvres musicales ou

audiovisuelles diffusées en ligne, "il y aurait mise en œuvre du droit de représentation parce qu'il

y a transmission au travers d'un réseau de communication (article L 122-2 CPI)" 89. Cette

position est contestée, d'autant que la transmission en ligne peut s'accompagner d'un téléchargement,

c'est à dire d'une reproduction de l'œuvre. Ce débat pourrait remettre en cause un certain nombre de

concepts anciens : si l'affichage sur un écran peut être considéré comme une fixation matérielle de

l'œuvre (comme cela semble être la tendance en matière de littérature par exemple), alors la diffusion

par tout ce qui peut supporter une œuvre, même de manière fugitive (ondes, courant électrique),

pourrait également faire appel au droit de reproduction et non plus uniquement au droit de

représentation.

88 Cité par la commission présidée par Pierre Sirinelli, "Industries culturelles et nouvelles techniques", La Documentation Française, Paris, 1994, p. 85 89 Ibid.

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Cette question en appelle une autre, qui, elle, touche directement le droit exclusif du producteur

d'autoriser ou d'interdire, c'est à dire de contrôler l'utilisation qui est faite de l'œuvre. Nous avons vu

que ce droit subit deux exceptions , dont le champ d'application fait aujourd'hui débat. L'exemple de

la polémique apparue au moment de la création de multiradio (service de diffusion de radio

numérique sur le réseau parisien) illustre ce problème. En effet, les sociétés de gestion collective des

droits contestaient à la fois le mode de rémunération des ayants droit et la liberté de diffusion des

oeuvres elle-même. A la suite d'une action en référé de la SCPP pour faire interdire la diffusion, le

juge a conclu à l'application de la licence légale de l'article L 214-1 du CPI dite "rémunération

équitable". Cette disposition accorde un droit à rémunération aux artistes-interprètes et aux

producteurs de phonogrammes dans certaines hypothèses d'utilisation des phonogrammes. La

diffusion effectuée par Multiradio doit donc, selon cette décision, être libre mais payante. Selon les

sociétés de gestion collectives, la diffusion par câble relève du droit exclusif de communication au

public des interprétations et des phonogrammes, dont bénéficient respectivement les artistes-

interprètes et les producteurs de phonogrammes (article L 213-1 du CPI). L'article L 214-1 du CPI

dispose quant à lui que "lorsqu'un phonogramme a été publié à des fins de commerce, l'artiste-

interprète et le producteur ne peuvent s'opposer à sa diffusion, non plus qu'à la distribution

par câble simultanée et intégrale de cette radiodiffusion", ces hypothèses d'utilisation de

phonogrammes ouvrant droit à rémunération au profit des artistes-interprètes et producteurs. Dans le

cas de Multiradio, aucune de ces deux conditions n'était satisfaite, mais le juge a malgré tout décidé

de l'application de cet article.

Selon Claude Colombet90, l'article L 122-2, qui concerne la distribution par câbles, par l'utilisation

de la notion générique de télédiffusion, doit être complété par l'article 132-20 qui dispose : "sauf

stipulation contraire, l'autorisation de télédiffuser une œuvre par voie hertzienne ne comprend

pas la distribution par câble de cette télédiffusion, à moins qu'elle ne soit faite en simultané et

intégralement par l'organisme bénéficiaire de cette autorisation et sans extension de la zone

géographique contractuellement prévue". L'organisme bénéficiaire d'une autorisation de

télédiffusion hertzienne peut opérer une distribution par câble si celle-ci est effectuée par lui-même,

qu'elle couvre le même public, est simultanée et intégrale et que l'auteur aura pu négocier un contrat

90 Claude Colombet, "Propriété littéraire et artistique et droits voisins", 8e édition, Dalloz,1997, p. 153-154

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prévoyant les deux modes d'exploitation. Si le câblo-distributeur est un tiers, l'autorisation de

télédiffuser ne comprend pas la distribution par câble.

Les émissions vers les satellites suivent à peu près la même logique. Selon l'article 132-20, "sauf

stipulation contraire, l'autorisation de diffuser l'œuvre par voie hertzienne ne comprend pas

son émission vers un satellite permettant la réception de cette œuvre par l'intermédiaire

d'organismes tiers, à moins que les auteurs ou leurs ayants droit aient contractuellement

autorisés ces organismes à communiquer l'œuvre au public ; dans ce cas, l'organisme

d'émission est exonéré du paiement de toute rémunération". Claude Colombet91 explique qu'il

en découlent deux situations : soit l'œuvre transmise par satellite parvient directement au public et c'est

alors à l'organisme diffuseur d'obtenir l'autorisation des auteurs et de les rémunérer. Soit l'œuvre est

transmise à un public par l'intermédiaire d'un organisme tiers sur le territoire de diffusion ; dans ce

cas, ou bien les auteurs ou leurs ayants droit ont passé un contrat avec les organismes tiers, et ce

sont eux qui devront payer la rémunération ; ou bien il n'y aura pas eu de contrat , et c'est alors

l'organisme d'émission qui sera redevable du paiement

Dans l'affaire Multiradio, en envisageant la seule hypothèse de la radiodiffusion, le législateur semble

avoir voulu exclure du champ d'application de la licence légale tout autre mode de transmission de

phonogrammes. Cette disposition est aujourd'hui sujette à discussion, et les autres modes de diffusion

comme les réseaux en ligne devraient eux aussi apporter leur lot de polémiques. Suivant le règlement

de ces questions, la forme de la présence de la musique sur les autoroutes de l'information pourra

prendre des orientations très différentes. Une jurisprudence qui n'avantage pas les producteurs ne les

incitera pas à y investir, comme le soulignait en 1996 Patrick Zelnik, alors PDG de Virgin France et

Président du Snep : "[...] les intérêts divergent ; Internet ne constitue pas de la radiodiffusion.

Il s'agit également d'un service de distribution. Si les producteurs ont intérêt à vendre par des

moyens innovants, dont le télé-achat, ils doivent également conserver le droit d'autoriser ou

d'interdire la diffusion d'oeuvres protégées" 92. Les producteurs ont obtenu une très importante

satisfaction en décembre 1996 avec l'adoption du traité de l'OMPI, qui élargit la protection aux

réseaux numériques.

91 op.cit., p. 154-155 92 Cité par Eric Ouzounian, "Internet peut-il ignorer le droit d'auteur ?", Netsurf, n°6, juillet-août 1996, p. 62

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L'ancien article 27 de la loi de 1957 disposait que : "la représentation consiste dans la

communication directe de l'œuvre au public notamment par la voie de...". Il a été modifié par

l'article 9 de la loi de 1985 (L 122-2) qui a supprimé le mot "directe". En effet, comme l'explique

Bernard Edelman93, la loi a inclus dans le droit de représentation des oeuvres comme les oeuvres

radiodiffusées et télédiffusées, qui sont communiquées au public de manière indirecte. Dès lors, le

mot "directe" ne convenait plus et induisait en erreur. Pour lui, cette modification appelle une double

observation. D'un côté, la notion de représentation n'est plus définie comme un genre

(communication directe d'une œuvre au public), mais comme un mode (communication de l'œuvre au

public par un procédé quelconque). Cette notion n'a dès lors plus grand sens, car, si l'on définit la

représentation comme une communication au public par un "procédé quelconque", on ne voit plus

très bien ce qui la distingue de la reproduction, définie comme "la fixation matérielle de l'œuvre

par tous procédés qui permettent de la communiquer au public d'un manière indirecte" (art. L.

122-3). Ainsi, pour Bernard Edelman : "[...] rien ne permet plus d'opposer rigoureusement la

représentation et la reproduction". Il ajoute par ailleurs que la suppression du mot "directe" dans

le nouvel article 27 (L. 122-2), alors que l'article 28 (L. 122-3) a conservé l'expression "d'une

manière indirecte", rend les choses plus confuses encore. Car pour lui, il est évident que cette

dernière expression n'avait de sens qu'au regard de son opposition au mot "directe". Il conclut en ces

termes : "En réalité, il apparaît que les vieilles notions de représentation et de reproduction

sont devenues caduques. [...] Le législateur a probablement manqué l'occasion de redéfinir

des concepts qui correspondraient mieux aux nouvelles formes artistiques" .

3. Faut-il légiférer ?

Dans la réflexion sur l'adaptation des droits aux nouvelles technologies revient un débat fondamental,

résumé en ces termes par la commission présidée par Pierre Sirinelli : "Est-il nécessaire, c'est la

première approche, que par un acte volontaire, les autorités en charge du droit d'auteur

transforment la législation actuelle pour tenir compte des avancée techniques ? La demande

est très forte, elle n'est pas toujours désintéressée. Une telle intervention est-elle bien

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souhaitable ou réalisable ? Doit-on au contraire, et c'est la deuxième voie possible, laisser le

droit s'adapter tout seul aux progrès, par un mouvement naturel . Mais est-ce vraiment

possible ?"94. dans un rapport ultérieur, le groupe présidé par Thierry Miléo prenait fermement

position en ces termes : "[...] il est difficile d'imaginer que la notion de droit d'auteur, conçue

dans un univers traditionnel de la rareté de l'objet matériel et du caractère unique et aisément

identifiable de l'œuvre originale, puisse demeurer inchangée dans le monde de la création

numérique, où la reproduction d'une œuvre numérique pourra se faire à l'infini et sans

possibilité réelle de distinguer "l'original virtuel" de ses copies" 95. A une époque où la

reproduction est facile et presque gratuite, il semble anormal de risquer de priver la collectivité des

richesses culturelles par un droit de propriété intellectuelle fondé sur le principe de la rareté de

l'œuvre. Dans cette optique, il serait temps de revoir totalement les droits de la propriété intellectuelle,

qui "ne doivent pas simplement maximiser les retours financiers de quelques privilégiés sans

que soit pris en compte l'intérêt général" 96.

Ces réflexions touchent la philosophie du droit d'auteur, et par conséquent sont loin de faire

l'unanimité. De nombreux professionnels croient fermement en la viabilité du système juridique actuel

; certains vont même jusqu'à dénoncer ceux qui chercheraient à profiter d'un flottement juridique,

comme Olivier Carmet, au commande de la SACD depuis 1996 : "[...] Aucun vide juridique,

donc, contrairement à ce qu'on voulu faire croire ceux qui cherchent à s'affranchir de

l'obligation de rémunérer les auteurs ou qui essaient de promouvoir une législation plus

laxiste. Seul se manifeste un problème de police : comment, dans ce contexte foisonnant,

contrôler le respect du droit ?"97. Il est certain que les moyens de contrôle de l'utilisation des

oeuvres vont devoir s'adapter à ces nouveaux modes de diffusion, par le biais de procédés

techniques, voire humains. En 1996, plus des trois quarts des sites à dominante musicale présents sur

Internet n'auraient reçu aucune autorisation préalable de la part des ayants droit98.

93 Bernard Edelman, "Droits d'auteur - Droits voisins (Droits d'auteurs et marché)", Dalloz, 1993, p. 76-77 94 op. cit., p. 56 95 op. cit., p. 98 96 Philippe Queau, Qui contrôlera la cyberéconomie ?", Le Monde diplomatique, hors série "Internet. L'extase et l'effroi", octobre 1996, p. 62 97 Interviewé par A.D. Bouzet, "Congrès des sociétés d'auteurs", Libération, 16/09/96, p.35 98 Denis Fortier, "Le marché des programmes musicaux interactifs ne tient pas ses promesses", Le Monde, 25/01/97, p.26

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Un autre facteur pourrait toutefois pousser, sinon à une nouvelle législation, du moins à une adaptation

de celle en vigueur : la nécessité d'harmoniser les législations au niveau international. Puisque les

autoroutes de l'information n'ont pas de frontières, il serait plus simple de disposer d'une législation

transfrontalière. La Commission Européenne s'y attachait dès 1988, en présentant un Livre vert sur

le droit d'auteur et les défis technologiques, qui explorait les possibilités de rapprochement des

législations européennes sur le droit d'auteur (en particulier sur des points comme la copie privée ou

la lutte contre la piraterie). L'Ifpi avait regretté son manque d'audace, remarquant par exemple

l'absence de proposition sur la durée de protection des enregistrements et sur les droits d'exécution.

La Commission a continué, notamment avec le projet de directive sur les "bases de données", à

rechercher une harmonisation des législations nationales, tout en s'attachant au principe de la libre

circulation et à la reconnaissance de nouveaux droits (sui generis) aux investisseurs pour leur

permettre de s'opposer à d'éventuelles spoliations.

D'un point de vue plus large encore, le débat actuel pourrait même, d'après Aymeric Pichevin99, être

l'occasion de rapprocher les deux grands concepts de droit d'auteur qui existent aujourd'hui (et que

nous avons abordés précédemment) : le droit d'auteur latin, qui privilégie plus le droit civil et la

protection de l'auteur, et le copyright anglo-saxon, approche essentiellement économique de la

protection de l'œuvre avec laquelle la personne ayant acheté les droits est prioritaire. La distinction

entre ces deux conceptions n'est pas uniquement philosophique et, selon lui, un certain nombre de

professionnels français considèrent que, si le droit latin est le plus louable "sur le papier", il constitue

dans les faits un frein à l'économie du disque car trop de protections et de lourdeurs administratives

tuent le marché.

Dans son rapport préliminaire remis au vice-président américain Albert Gore, la "Information

Infrastructure Task Force", présidée par R. H. Brown, insistait sur la nécessité d'une harmonisation

des législations nationales et s'en prenait nommément à la loi française sur le droit d'auteur du 3 juillet

1985. En droit américain, il n'y a pas de droits voisins. Le reproche majeur fait à la loi française est

que l'on ne peut jamais désintéresser complètement l'auteur. Pour une création multimédia cela pose

de sérieux problèmes, comme nous l'avons vu un peu plus haut. Dans cette optique , rapporte

Aymeric Pichevin, l'Institut japonais sur la propriété intellectuelle (Ijpi) recommande de restreindre le

99 Aymeric Pichevin, "Le disque à l’heure d’Internet", L'Harmattan, 1997, p. 144-145

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droit moral prévu par la convention de Berne lorsqu'il s'agit de transactions sur les inforoutes. Dans

le but d'inciter les producteurs de contenus à investir en France, le groupe présidé par T. Miléo

proposait de créer un statut spécifique de créateur multimédia et d'introduire l'achat forfaitaire des

droits numériques de l'œuvre multimédia collective, ce qui imposerait une adaptation de la législation

sur le droit moral100.

Malgré toutes les pistes de réflexions ouvertes, il reste difficile de légiférer car l'évolution

technologique est constante et il ne cesse d'en découler de nouveaux usages dont il est difficile de

prévoir l'ampleur. Le problème réside alors dans le fait que, en attendant une adaptation ou une

révision des lois actuelles, de nombreux acteurs de l'industrie de la musique craignent d'investir dans

ces nouveaux moyens de diffusion.

G. La question de l'adoption par les consommateurs

1. Approche sociologique des innovations

Outre les aspects technologiques, stratégiques ou encore juridiques, il reste une question capitale

pour l'avenir du numérique, celle de l'adoption de ces nouvelles technologies par les consommateurs.

En effet, il ne suffit pas qu'une innovation technologique soit réalisable techniquement pour qu'elle

puisse s'imposer, et à cet égard les exemples ne manquent pas. Beaucoup d'autres facteurs rentrent

en jeu, au premier rang desquels le facteur sociologique. Les progrès technologiques observés

depuis plusieurs années concernent le secteur de la communication au sens large du terme, et donc

un grand nombre de branches et d'activités, contrairement aux innovations qui ont précédemment

marqué l'histoire de l'industrie de la musique. La problématique sociologique est donc très vaste, et

elle est déterminante dans le développement et les formes futures des technologies numériques. Les

innovations technologiques du passé montrent en effet qu'il est très difficile de déterminer à l'avance

100 Groupe présidé par Thierry Mileo, "Les réseaux de la société de l'information", ESKA, Paris, 1996, p. 45

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quels usages découleront d'une nouvelle technique. Ainsi, en 1878, Edison envisageait la musique en

quatrième position des utilisations potentielles de son phonographe, après l'écriture des lettres,

l'éducation et la lecture. L'avenir ne lui a pas donné raison, et comme le dit Simon Frith, "personne

au sein de l'industrie ne sait jamais à l'avance qui utilisera quel système dans quel but"101.

Le problème de la commercialisation des innovations techniques est que développer une nouvelle

technologie demande des investissements énormes, qu'il faut pouvoir rentabiliser rapidement. Ainsi,

un produit destiné au grand public peut difficilement se restreindre indéfiniment à un marché

confidentiel, en attendant que son usage se répande. D'autant plus qu'une production en petites séries

implique un prix de vente élevé et donc des perspectives de ventes réduites. Or les nouveaux usages

sont lents à se former et les nouveaux produits doivent pouvoir survivre à cette période de formation

du marché. Concernant Internet, cette survie est d'autant plus difficile que la concurrence est

actuellement très vive et que ce marché est encore embryonnaire et non normalisé, et qu'il risque de

ne pas y avoir de place pour tout le monde.

Pour certains analystes, le développement d'une nouvelle technologie doit généralement remplir deux

critères : se fonder sur des usages préexistants, afin de s'ouvrir dès le départ à un marché potentiel

large, et apporter une plus-value par rapport aux techniques précédentes. Le succès du CD est une

bonne illustration de cette approche. D'autre analystes pensent au contraire que c'est la technologie

disponible qui crée le besoin. Ainsi, André Huet et ses collègues, s'appuyant notamment sur

l'exemple du microsillon, affirment que "la conquête d'un marché ne s'identifie pas à un processus

de connaissance des besoins, d'adaptation, d'adéquation à la demande. Elle consiste

essentiellement à forger ces besoins, cette demande, par la production, par le produit"102. Il

n'en reste pas moins que la composante sociale est extrêmement forte et difficile à anticiper, et que

son influence sur les nouveaux produits est incontournable.

Le succès de la musique par les technologies multimédias est d'autant plus complexe et imprévisible

qu'il ne dépend pas uniquement de l'industrie de la musique, mais est conditionné en amont par

l'adoption du multimédia par le grand public sans laquelle il ne peut y avoir d'adoption des

101 op. cit., p. 3 102 André Huet, Jacques Hion, Alain Lefebvre, Bernard Miege, René Peron, "Capitalisme et industries culturelles", PUG, Grenoble, 1978

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applications musicales par ce biais. Or, si l'informatique se démocratise, il reste encore

financièrement et/ou techniquement inaccessible à un grand nombre de consommateurs, et est encore

au cœur d'une véritable guerre des standards qui rend son avenir plus qu'imprévisible.

La disparition potentielle des supports physiques, consécutive au développement des réseaux en

ligne, du câble et du satellite, pourrait bien poser également problème. Pour de nombreux

spécialistes, cette dématérialisation devrait longtemps rencontrer une opposition des consommateurs,

car l'homme aime posséder, et se constituer par exemple sa propre discothèque. Il faut également

tenir compte du fait que les habitudes de consommation ne sont pas les mêmes selon le type de

produit culturel considéré : livres, disques, cassettes vidéo... Ainsi, le phonogramme a constitué dès

son apparition une nouvelle manière de concevoir la production et la consommation de musique. Le

disque est venu concurrencer le spectacle vivant, même si les deux vecteurs sont complémentaires et

que de nombreux consommateurs achètent un disque et vont au concert. L'œuvre est devenue

disponible à tout moment chez soi, et "l'amateur de musique, celui qui aime la musique, au sens

étymologique du terme, se complète d'un collectionneur de phonogrammes" 103.

2. Le collectionneur de phonogrammes

Pour Evan Eisenberg, les disques sont des produits de consommation qui ont permis "l'acquisition de

la musique". A ses yeux, collectionner des objets culturels (le phonogramme en est un), répond

essentiellement à quatre motivations104 :

• Le besoin de jouir de la beauté en permanence qui s'exprime par la recherche d'une

appropriation des images ou des sons qui nous émeuvent, de crainte de ne plus les retrouver.

103 Mario d'Angelo, "La renaissance du disque", Notes et Etudes documentaires, La Documentation française, Paris, 1989, p. 76 104 Evan Eisenberg, "Phonographies", Aubier, Paris, 1988

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• Le besoin de comprendre la beauté parce qu'elle a un aspect intellectuel, d'autant plus exaltant

qu'il est mieux compris. Posséder un livre ou un disque permet à son propriétaire d'étudier l'œuvre

aussi souvent qu'il le désire.

• Le besoin de distinction : l'amateur de phonogrammes aime se montrer généreux et partager sa

collection : il prête, il donne ses disques mais n'en vend jamais aucun. Il aime également parler de

sa collection, raconter comment il a acquis tel disque ou tel autographe. Chaque pièce de sa

collection est un trophée.

• Le besoin de se trouver une identité qui, selon l'auteur, pourrait être interprété, sur un plan

émotionnel, comme de la nostalgie : les objets culturels sont des remèdes possibles, socialement

acceptables, à la nostalgie que l'on peut ressentir pour une époque passée ou que l'on aurait aimé

vivre. Chaque objet lie son propriétaire à deux époques définies : celle de sa création et celle de

son acquisition.

Ainsi, si les deux premiers besoins semblent parfaitement transposables aux œuvres dématérialisées,

cela apparaît moins évident pour les deux suivants, dans la mesure où ils impliquent un fort rapport à

l'objet lui-même, en plus de l'œuvre dont il est le support. Ainsi, selon Dominic Pride105, il faut

déterminer si et combien les consommateurs sont prêts à payer pour la musique sur le web, avant de

créer un modèle économique. Il cite à ce propos une étude commandée par MP3.com et Music

Dish, selon laquelle 47 % des répondants seraient prêts à payer pour télécharger des singles, 58 %

pour télécharger des albums, mais 33 % déclarent qu'ils arrêteraient de télécharger s'ils étaient

obligés de payer et 29 % sont indécis.

Cependant, on ne peut pas pour autant préjuger d'un échec de la musique par les technologies

multimédias. Si ces dernières n'apportent pas une meilleure qualité de son (qui avait de toute façon

été présentée comme quasi parfaite pour le CD), elles offrent néanmoins de réelles fonctionnalités

supplémentaires. Les capacités de contrôle supplémentaires de l'utilisateur sur sa musique que ces

technologies engendrent (comme l'accès à un répertoire plus vaste, à des informations extra-

musicales détaillées selon son désir...) leur confèrent un potentiel de réussite important, à l'instar des

innovations qui ont précédemment marqué l'histoire de la musique populaire.

105 Dominic Pride, "Online music : Is the public willing to buy it ?", Billboard, 11 décembre 1999

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3. Une consommation de masse et un produit banalisé

Il peut être intéressant de faire un parallèle avec les innovations précédentes qui, bien que

révolutionnaires, ne se sont pas pour autant imposées du jour au lendemain. Augustin Girard106

estime que, depuis les années 50, on a assistée à une "démocratisation culturelle, grâce à une

impressionnante multiplication des contacts entre les oeuvres et le public, elle même due aux

produits culturels industriels" . Pour Mario d'Angelo107, les disques ont pleinement participé à cette

démocratisation et à cette massification de la diffusion musicale. Il distingue quatre phases de

consommation du produit dans les pays industrialisés :

• Une première phase de consommation d'élite jusqu'à la première guerre mondiale. En effet,

lorsqu'en 1906 les disques Red Seal de Victor sont lancés au prix de sept dollars l'unité, cela

représentait le prix d'une garde-robe complète !

• Une seconde phase correspondant à une diffusion dans de nouvelles couches de la

population, d'abord avec les juke-boxes à partir des années vingt, puis l'apparition des disques à

bas prix lancés pour endiguer la concurrence radiophonique dans la consommation privée des

classes moyennes. On assiste alors aux premiers forts tirages dans les musiques dites légères.

• La troisième phase fait du phonogramme un produit populaire, de consommation courante,

dont l'archétype sera le microsillon 45 Tours. L'équipement des ménages en électrophone va se

réaliser progressivement au cours des années 50 et 60. Les variétés prennent de plus en plus

d'ampleur dans les catalogues. La tendance des prix est à la baisse continue, rendant le produit

accessible aux jeunes.

• La quatrième phase se caractérise par la poursuite des tendances précédentes. En France, par

exemple, selon le BIPE, alors que les prix moyens à la consommation passaient de l'indice 100 en

1960 à l'indice 460 en 1982, les prix moyens de 33 tours passaient eux, sur la même période, de

100 à 210.

106 Cité par Mario d'Angelo : Augustin Girard, "Les industries culturelles", Ministère de la culture, Paris, 1982 107 op. cit., p. 78-81

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Ainsi donc, la démocratisation de la musique enregistrée a pris près d'un siècle. Cependant, on peut

constater que chaque nouveau support s'est imposé de plus en plus rapidement. Les microsillons 33

tours et 45 tours, apparus en 1948, ont réellement contribué à la banalisation du produit, et ont

atteint leur point culminant en trente ans, pendant lesquels le capital de phonogrammes des ménages

s'est progressivement constitué. Le CD, apparu en 1983, s'est quant à lui imposé en une dizaine

d'années, notamment poussé par un phénomène de renouvellement du parc important de vinyle

constitué, en raison de l'amélioration notable du son apportée par le CD. Le développement du

disque compact, "inusable", a cependant rapidement posé la question de la saturation du marché et

de la substitution du processus de renouvellement par un processus d'évolution.

Une nouvelle technologie met donc toujours plusieurs années à s'imposer, par conséquent, la

dématérialisation totale de la musique ne peut pas être adoptée du jour au lendemain par les

consommateurs. Cependant, la comparaison du développement du disque vinyle avec celui du

compact disc montre que l'acceptation de nouveaux standards se fait de plus en plus rapidement, et

on peut supposer que la musique sans support s'imposera encore plus vite que le CD. Il convient

malgré tout de rester prudent sur ce point car, comme nous l'avons vu précédemment, le succès de

la musique par les technologies multimédias, contrairement aux innovations précédentes, ne dépend

pas uniquement de l'industrie de la musique, mais est conditionné en amont par l'adoption de

l'informatique multimédia par le grand public. De plus, les nouvelles technologies de l'information et

de la communication ne concernent pas uniquement la musique, loin de là, mais entraînent le

changement d'un grand nombre d'usages sociaux, d'où la nécessité d'une adoption globale plus lente.

Le CD a donc encore probablement de belles années devant lui, d'autant plus que la musique en

ligne a encore des progrès techniques à attendre pour que son écoute soit aussi facile que celle d'un

CD. Celle-ci devrait donc progressivement se développer en parallèle du CD, surtout grâce aux

jeunes générations.

Enfin, notons que, contrairement au passage du vinyle au CD, les NTIC impliquent pour la musique

bien plus qu'un simple changement de support. En 1989, déjà, Mario d'Angelo s'interrogeait : "[...]

ce concept sur lequel repose le produit est-il aujourd'hui en sursis devant les autres possibilités

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offertes de consommer de la musique ?"108. Une question qui, malgré ses dix ans d'âge, est plus

que jamais d'actualité. En effet, les technologies de type MP3 pourraient n'être qu'une transition

d'une économie basée sur la reproduction à une économie basée sur la diffusion.

108 Mario d'Angelo, "La renaissance du disque", Notes et Etudes documentaires, La Documentation française, Paris, 1989, p. 75

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V. Discussion et conclusion

A. De nouvelles opportunités indéniables

Il semble aujourd'hui évident que les nouvelles technologies multimédias s'intégreront d'une manière

ou d'une autre dans la vie quotidienne de demain, mais il est encore difficile de savoir dans quelle

proportion, et donc d'avancer avec certitude qu'une révolution numérique est en marche. Cependant,

dans le cas de la musique, les industriels ont à présent à leur disposition un large choix de nouvelles

possibilités offertes par les technologies numériques, certaines spécifiques à la musique, d'autres

concernent plus globalement les entreprises, nous les avons pour la plupart développées. Il s'agit

pour l'essentiel de l'apparition de nouveaux médias de diffusion des oeuvres et de nouvelles

possibilités de communication et de commerce.

De prime abord, la majorité de ces nouvelles opportunités semblent nous ramener à des

problématiques de distribution ou de médiatisation classiques dans le disque. Les multiprogrammes

par exemple forment, pour l'instant, plus une nouvelle possibilité d'exposition pour les oeuvres qu'une

technique qui modifie les stratégies des professionnels du disque. De même, la question des magasins

de disques virtuels ne modifie pas fondamentalement les stratégies en cours, puisqu'elle ramène au

domaine de la distribution actuelle. Cependant, les choses sont en train de changer, et s'il est

probable que le modèle économique actuel ait encore de belles années devant lui, les fusions,

acquisitions et autres prises de participations s'accélèrent et traduisent la prise de conscience des

professionnels et la volonté de chacun de tenter de se positionner au mieux sur le futur marché. A cet

égard, la fusion entre le britannique EMI et la branche musique de l'américain Time Warner, le 24

janvier 2000, est considérée par certains analystes comme marquant le véritable commencement de

cette révolution, d'une longue mue du marché de la musique au terme de laquelle celle-ci sera

principalement diffusée par Internet109.

109 Selon François Sergent, "EMI et Warner chantent à l'unisson", Libération, 25 janvier 2000

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Les nouvelles technologies, et particulièrement Internet, ne représentent encore que des marchés

embryonnaires et non normalisés, c'est pourquoi la plupart des acteurs actuels ont la capacité de

façonner à leur avantage la structure et/ou les comportements du marché, ce qui leur permettrait de

conduire leur futur marché, comme nous l'avons vu dans le cadre de l'étude de Jaworski, Kohli et

Sahay110. Ainsi, la position future des acteurs actuels dépend, selon les auteurs, du nombre de

changements effectués dans le marché et de la magnitude de ces changements. Les stratégies mises

en œuvre aujourd'hui sont d'autant plus capitales pour les entreprises de "l'ancienne économie", parmi

lesquelles les majors, qu'elles y jouent leur survie, mais d'autant plus difficiles que le modèle actuel de

l'industrie du disque ne va pas disparaître du jour au lendemain et qu'elles doivent donc tenter à la

fois de protéger une ancienne technologie encore lucrative et de construire une entreprise pour le

futur, avec une nouvelle technologie. Abell (1993), nous l'avons vu, qualifia ce challenge de "stratégie

duale", car les organisations doivent alors faire face à l'équilibrage entre le besoin de gérer les

opportunités présentes et la planification concomitante du futur.

Nous avons abordé, au cours du quatrième chapitre de ce mémoire, la plupart des nouvelles

possibilités offertes par les technologies numériques, qui sont susceptibles de modifier les modes de

consommation de musique et donc l'organisation du marché, mais avec une amplitude et un degré de

certitude très inégaux. En envisageant plus globalement ces récentes évolutions, il semble pour

l'instant se dégager deux grands scénarios de reconfiguration possible de l'industrie musicale, sur

lesquels nous allons à présent revenir brièvement pour conclure : la désintermédiation de la

distribution et le passage d'une économie de reproduction à une économie de diffusion.

B. Désintermédiation de la distribution

Nous l'avons dit, la vente de CD sur Internet est une évolution du marché, elle présente bon nombre

d'avantages, mais elle ne constitue pas une révolution au sens où elle fonctionne sur le schéma

actuelle de distribution (producteur, distributeur, détaillant) à ceci près que l'on passe d'un détaillant

110 Bernard Jaworski, Ajay K. Kohli, Arvind Sahay, "Market-driven versus driving markets", Academy of Marketing Science Journal, Hiver 2000

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traditionnel, c'est à dire "physique", à un cyberdisquaire. Nous sommes là dans le cas d'une

réintermédiation. Les choses commencent à se compliquer avec la dématérialisation des supports

puisque, outre les problèmes de piratage et de droits d'auteurs qui devraient se régler par les

évolutions techniques et juridiques à venir, celle-ci engendre la disparition des fabriquants de CD, des

distributeurs et donc des représentants, ainsi que des grossistes, tous devenus inutiles, les

cyberdisquaires se fournissant alors directement auprès des maisons de disques. Il s'agit là d'une

première étape de désintermédiation dans le canal de distribution de la musique, encore appelée

déconstruction par Jaworski et al., c'est-à-dire la réorganisation de la chaîne de valeur de l'industrie,

par l'élimination d'acteurs à faible valeur ajoutée du point de vue du consommateur.

Un niveau supérieur de déconstruction pourrait également être atteint si les labels, majors comme

indépendants, vendaient directement leurs productions, sur support CD ou en téléchargement, via

leur site Internet. L'établissement d'une connexion directe entre la fabrication et le consommateur

final supprimerait le canal entier, c'est-à-dire les distributeurs, comme dans le cas précédent, mais

aussi, cette fois, les revendeurs. Bien sûr, il est déjà possible d'acheter de la musique en VPC ou en

téléchargement sur les sites Internet de nombreux labels, mais il ne s'agit pour l'instant que de tests, et

les quantités distribuées par ce biais restent marginales et ne font pas encore d'ombre aux

revendeurs, mais pour combien de temps encore ? Une fois l'accès au réseau réellement

démocratisée, le débit optimisé et les problèmes de sécurité réglés, ce mode de distribution pourrait

devenir significatif. Reste cependant la question du comportement du consommateur : sera-t-il prêt et

capable d'acheter directement auprès des maisons de disques ? En effet, retrouver un album ou un

artiste précis dans un magasin de disque traditionnel et généraliste n'est déjà pas toujours évident

pour un acheteur occasionnel, alors cela risque fort de devenir plus difficile encore s'il faut en plus

connaître le label et trouver son site.

C'est là qu'intervient la deuxième dimension posée par Jaworski et al. pour pouvoir conduire un

marché : façonner le comportement du marché, c'est-à-dire le comportement des acteurs de ce

marché et donc entre autres celui des consommateurs. Concernant ces derniers, il peut s'agir par

exemple d'amener les clients à se concentrer sur des attributs qu'ils ne prenaient pas en considération

auparavant. Ainsi, si les maisons de disques souhaitent pouvoir vendre directement leurs productions

aux consommateurs, elles doivent tenter de modifier leur comportement, notamment en les amenant à

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considérer non plus uniquement un artiste ou un groupe mais aussi un label. Cela passe notamment

par la communication, qui doit se faire à la fois sur l'artiste et sur son label ou sa maison de disque,

comme le fait déjà Universal, par exemple.

Bien entendu, le stade ultime de la désintermédiation réside dans l'autoproduction et

l'autodistribution. Il s'agit du cas, nous l'avons vu, où les artistes enregistrent eux-mêmes leurs

morceaux et les vendent directement par l'intermédiaire de leur propre site web. La formule n'est pas

nouvelle mais Internet l'a rendue encore plus attractive, à tel point que même certains artistes

confirmés tentent de court-circuiter leur maison de disques. Cependant, de l'avis de nombreux

professionnels, nous l'avons dit, l'autoproduction offrent des perspectives de développement de

carrière très limitées, en raison d'une qualité de production minimisée et d'une visibilité réduite de

l'artiste. Elle représente donc une opportunité non négligeable pour les jeunes talents cherchant à se

faire signer, mais ne constitue pas, pour l'instant du moins, une réelle menace pour l'équilibre du

secteur.

Dans tous les cas, outre l'élimination d'un ou plusieurs intermédiaires dans la chaîne de valeur du

disque, ces nouvelles organisations potentielles du canal de distribution remettent également en cause

la toute puissance des majors. En effet, contrairement aux indépendants, l'essentiel du travail des

majors ne réside pas dans la production mais dans la distribution, qu'elle contrôle en grande partie.

Ainsi, elles tirent un revenu substantiel de la distribution des labels en licence ou distribués, tout en

donnant la priorité à leurs propres productions. Grâce au développement de la VPC et du

téléchargement, les indépendants pourraient enfin assumer eux-mêmes leur distribution et ainsi

s'émanciper définitivement des majors, ce qui leur permettrait de recouvrer des marges plus

importantes et de ne plus subir les systèmes de priorités imposés aux représentants des majors

distributrices. C'est une des raisons qui permet de croire à un renouveau indépendant et donc à un

rééquilibrage des forces en présence sur le marché de la musique, mais une fois de plus il convient

d'être prudent, car rien n'est encore joué.

C. De la reproduction à la diffusion

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La désintermédiation du canal de distribution de la musique, due notamment à la dématérialisation

des supports, n'est pas la seule grande révolution qui pourrait affecter l'industrie musicale. En effet,

nous l'avons vu, le téléchargement n'est pas une fin en soi, de l'avis de certains professionnels pour

qui il ne s'agit que d'une étape avant la généralisation du streaming (écoute en continu sans fixation

sur un support, même un disque dur) qui va devenir selon eux beaucoup plus qualitatif.

Les majors ont en effet mis sur pied le modèle économique actuel, basé sur les revenus issus de la

vente de disques. Dans ce contexte, par exemple, l'exploitation des disques pour les passages en

radio est soumise au principe de la licence légale, c'est-à-dire que les radios acquittent une somme

forfaitaire calculée sur le chiffre d'affaires et jouissent d'une autorisation globale de diffuser. Pour

beaucoup, ce système rémunère trop faiblement la création musicale, mais les producteurs s'en sont

jusque là contenté car la radio est considérée avant tout comme un moyen de promotion pour le

disque et non comme un vecteur de consommation de musique à part entière. Cependant, les choses

seraient susceptibles de changer radicalement. Les nouvelles technologies numériques, qu'il s'agisse

des bouquets de radios par câble et satellite, de Net-radios ou encore des services d'audio-on-

demand et de pay-per-listen, pourraient en effet engendrer un nouveau modèle économique, basé

non plus sur la vente de disques mais sur les revenus tirés de la diffusion elle-même. Nous avons vu

que le cas s'est déjà présenté, au milieu des années quatre-vingt, pour les vidéo-clips, pour lesquels

l'industrie des programmes musicaux a cherché à se faire rémunérer au mieux, ceux-ci étant devenus

des produits à part entière, et non plus uniquement des outils de promotion.

La première source de revenus envisageable, pour la diffusion de musique, serait la publicité. On

passerait alors d'un système où le disque passe par les médias pour être vendu au public à un

système où il vendrait son public aux médias ou aux entreprises privées. En effet, par exemple, grâce

à Internet, les radios sont devenues mondiales, elles bénéficient ainsi d'un auditoire considérablement

élargi mais aussi d'une abondante concurrence. Aussi, pour se différencier, les net-radios vont devoir

se spécialiser vers une cible de plus en plus restreinte, et vont pouvoir ainsi proposer des espaces

publicitaires très qualitatifs donc plus chers, ainsi que des partenariats avec des sites marchands leur

permettant de percevoir un certain pourcentage des ventes par exemple. Les radios devront alors

rémunérer la production musicale de façon plus conséquente, selon un barème qui reste encore à

définir. Mais les producteurs et les artistes craignent "que la musique ne soit plus qu'un produit

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d'appel servant à attirer le chaland", selon Pascal Nègre, PDG d'Universal Group111, ou d'assister

"à la réduction de l'art à une consommation au kilomètre", selon Emmanuel de Buretel,

président de Virgin Continental Europe112. Il ne s'agit là que de l'avis des majors qui, bien entendu, ne

voit pas d'un bon œil l'explosion d'un système qui a fait leur succès.

On peut également envisager un système basé non pas sur la publicité, mais sur le paiement de la

musique directement par le consommateur. C'est déjà le cas pour les radios multiprogrammes sur

câble et satellite, qui se rémunèrent non pas sur la publicité, qui y est inexistante, mais sur les

abonnements aux bouquets de chaînes. Cependant, ces radios ne rémunèrent pas plus les

producteurs que les autres puisqu'elles sont, pour l'instant, soumises tout comme elles à la seule

licence légale. Mais nous avons vu qu'un grand nombre de questions d'ordre juridique tournent

autour de ces nouveaux médias et que leur statut devrait être amené à changer rapidement. Par

ailleurs, des systèmes d'audio-on-demand ou pay-per-listen commencent à faire leur apparition. Ils

permettent aux auditeurs d'aller "piocher" dans une grande base de données musicale, telle un juke-

box virtuel au choix sans comparaison avec son ancêtre analogique, et d'écouter un titre ou un album

entier en payant soit pour une écoute, soit pour un nombre d'écoutes ou une durée de jouissance

déterminés. Le premier cas, basé sur le streaming, ne pose pas de problème technique majeur, mais

le deuxième, équivalant à de la location de musique, nécessiterait le téléchargement d'un fichier

capable de s'auto-détruire après un certain nombre d'écoutes ou une certaine durée "d'utilisation",

tout en rendant impossible la copie sur CD-R par exemple.

Les labels, et principalement les majors, pourraient également, comme dans le cas de la distribution

que nous venons d'aborder, assurer eux-mêmes la diffusion de leurs productions, par câble, satellite

ou via les réseaux. On peut par exemple imaginer que les majors mettent à disposition des

consommateurs l'intégralité de leur catalogue en écoute, moyennant un abonnement ou grâce aux

revenus publicitaires. Mais ce type de système risque, chez les majors, de favoriser encore plus

l'exploitation d'un catalogue, plutôt qu'une exploitation par produit, ce qui réduira d'autant la création

et la découverte de nouveaux talents. De plus, dans le cas d'un accès sur abonnement à un catalogue,

les consommateurs risquent, selon le prix, de devoir se limiter à un ou deux catalogues, ce qui

111 Cité par Véronique Mortaigne, "L'industrie du disque réagit face à la consommation en ligne sur Internet", Le Monde, 14 octobre 1999 112 Ibid.

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occultera tout un pan de l'offre disponible et notamment celle des indépendants qui ne peuvent

rivaliser (quantitativement) avec les catalogues titanesques des majors.

Notons que, comme dans le cas de la distribution abordé précédemment, ce nouveau modèle basé

sur la diffusion est conditionné à un développement conséquent de l'accès des consommateurs à ces

nouveaux médias, aux débits et aux coûts d'utilisation. En effet, compte tenu du prix encore élevé de

l'accès à Internet, en Europe notamment, il n'est pas encore envisageable pour la plupart des

consommateurs d'écouter de la musique en ligne dans les mêmes proportions qu'ils le font sur une

chaîne hi-fi. Mais ce problème devrait être résolu à court terme avec le développement de l'Internet à

haut débit et de l'accès forfaitaire illimité. De plus, là encore, se pose la question du comportement du

consommateur et de l'adoption de ces nouveaux usages par le plus grand nombre. Les

consommateurs seront-ils prêts à payer pour écouter de la musique qu'ils auront certes choisie, mais

dont ils ne posséderont au final ni la propriété matérielle, ni la jouissance définitive. Ce sera donc aux

professionnels de les y "pousser", en tentant de façonner leurs comportements, directement ou

indirectement, comme nous l'avons vu dans l'approche de Jaworski, Kohli et Sahay, s'ils souhaitent

imposer cette nouvelle économie de la musique et y occuper une place de choix.

D. Un avenir encore incertain

Le développement des nouvelles technologies numériques, Internet en tête, marque donc, de toute

évidence, le début d'une nouvelle ère pour l'industrie musicale, comme cela a été le cas à chaque

apparition d'un nouveau support, mais cette fois ci, les changements devraient être plus nombreux et

plus radicaux. Le numérique offre en effet, comme nous l'avons vu, une myriade de nouvelles

applications, qui sont autant de nouvelles façons de concevoir, d'écouter ou d'acheter de la musique.

Nous avons parlé du retour en force de la VPC, et de son pendant numérique, le téléchargement,

d'un développement de l'autoproduction, du renouveau indépendant tant attendu, et a contrario d'un

renforcement des majors et d'une consommation de masse et mondialisée... Il est encore difficile de

savoir ce qui marchera vraiment, qui en bénéficiera, qui en pâtira, et dans quelle mesure l'organisation

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de l'industrie musicale s'en trouvera modifiée. La musique par Internet restera-t-elle un complément

marginal des ventes de supports enregistrés en magasin ? Assistera-t-on à un déplacement complet

du marché sur les réseaux, mais suivant le même modèle que celui que connaît le disque aujourd'hui

? Ou verra-t-on naître un modèle économique complètement nouveau ? Il est encore trop tôt pour le

dire.

Les deux scénarios de reconfiguration dont nous avons fait état ci-dessus sont pour l'instant les deux

bouleversements les plus conséquents envisageables aujourd'hui, dans l'état actuel des

connaissances. Ils n'en restent pas moins deux hypothèses hautes, et leur réalisation est conditionnée

à tant de paramètres qu'elle est pour le moins incertaine. L'évolution permanente de la technologies,

l'apparition de nouveaux procédés et de nouvelles entreprises, les manoeuvres stratégiques

permanentes, les nécessaires adaptations du droit et la question de l'adoption par les consommateurs

des nouveaux usages sociaux, redent prématurées toutes certitudes quant au futur modèle de

fonctionnement de l'industrie musicale.