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10 NOVEMBRE 2007 LE MONDE 2 61 SOMMAIRE Les Verts sortent du bois René Dumont : « Pourquoi je me présente » Des précurseurs Quatre décennies de luttes Les écolos prennent racine Brice Lalonde, l’insubmersible A la conquête de l’Europe Des babas cool jusqu’au Parlement européen les archives R eprise aujourd’hui par toutes les forces politiques, l’écologie a longtemps été l’apanage de groupuscules. C’est autour des événements de Mai 68 qu’apparaissent les premiers mouvements structurés. Et c’est en 1974 qu’elle s’immisce dans le champ traditionnel de la politique avec le premier candidat écologiste à l’élection présidentielle, l’ingénieur agronome René Dumont. De la naissance aux succès électoraux, retour sur la préhistoire du mouvement écologiste, faite de succès, d’échecs et de luttes intestines, des Amis de la Terre aux Verts, sans oublier le Mouvement écologiste indépendant d’Antoine Waechter et Génération Ecologie de Brice Lalonde. ÉCOLOGIE POLITIQUE La révolution verte DOSSIER COORDONNÉ PAR MICHEL LEFEBVRE COUP D’ÉCLAT Le 4 juillet 2007, des militants de Greenpeace manifestent à Berlin, devant la chancellerie fédérale, contre les centrales au charbon et l’énergie thermonucléaire. HANS CHRISTIAN PLAMBECK / LAIF-REA

ÉCOLOGIE POLITIQUE La révolution verte - Le Monde.frmedias.lemonde.fr/mmpub/edt/doc/20080428/1039219_lm2_ecologie... · Civel, rédacteur en chef de Systèmes solaires. Préparé

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10 NOVEMBRE 2007 LE MONDE 2 61

SOMMAIRE • Les Verts sortent du bois • René Dumont: « Pourquoi je me présente » • Des précurseurs • Quatre décennies de luttes •• Les écolos prennent racine • Brice Lalonde, l’insubmersible • A la conquête de l’Europe • Des babas cool jusqu’au Parlement européen •

les archives

Reprise aujourd’hui par toutes les forcespolitiques, l’écologie a longtemps étél’apanage de groupuscules. C’est autourdes événements de Mai68 qu’apparaissent

les premiers mouvements structurés. Et c’est en 1974qu’elle s’immisce dans le champ traditionnel de la politique avec le premier candidat écologiste

à l’élection présidentielle, l’ingénieur agronomeRené Dumont. De la naissance aux succès électoraux,retour sur la préhistoire du mouvement écologiste,faite de succès, d’échecs et de luttes intestines,des Amis de la Terre aux Verts, sans oublier le Mouvement écologiste indépendant d’AntoineWaechter et Génération Ecologie de Brice Lalonde.

ÉCOLOGIE POLITIQUELa révolution verte

DOSSIER COORDONNÉ PAR MICHEL LEFEBVRE

COUP D’ÉCLATLe 4 juillet 2007, des militants de Greenpeacemanifestent à Berlin,devant la chancelleriefédérale, contre les centrales aucharbon et l’énergiethermonucléaire.

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la nature que les libertaires et révolutionnaires de tous bords. « Lesmilitants gauchistes ont apporté leurs techniques aux hygiénistes de droitequi prêchaient le bio », se rappelle Brice Lalonde.

De cette étrange alchimie naîtront bien des vocations à l’écolo-gie politique, à commencer par les étudiants en lutte contre les« mandarins », qu’il s’agisse de Daniel Cohn-Bendit à Nanterre, deBrice Lalonde à la Sorbonne, d’Yves Cochet à Rennes ou de PierreRadanne dans sa pension religieuse de Rouen. Ce groupe originelde soixante-huitards, à l’exception de Cohn-Bendit chassé deFrance, se réunira autour d’Alain Hervé en 1970 pour créer Les Amisde la Terre, la branche française de Friends of the Earth, l’interna-tionale écologique née aux Etats-Unis. Ces Amis de la Terre, bien-tôt pris en main par Brice Lalonde, récusent l’engagement poli-tique traditionnel et privilégient les « campagnes » et l’« action ».Mais ils deviendront néanmoins l’un des creusets les plus richesde l’écologie politique première manière, avant la candidature deRené Dumont à l’élection présidentielle de 1974.

QUAND LE NUCLÉAIRE FAIT TILTA ce premier cercle très politique vont s’adjoindre des gens venus

d’horizons très divers. Les amateurs de nature adoptent certainespratiques « gauchistes » pour imposer leur point de vue. C’est ainsique le journaliste Jean Carlier, adepte tranquille de la randonnéeéquestre, se lance en 1969 dans une campagne tonitruante pourdéfendre le parc national de la Vanoise, avec l’aide de la toute nou-

velle Fédération des associations de protec-tion de la nature. Les protecteurs de mar-mottes et les ornithologues amateurs sevoient contraints de pétitionner et de défi-ler sous des banderoles. Antoine Waechter,qui piégeait le castor du Gardon pour le réin-troduire au bord du Rhin, se retrouveraquinze ans plus tard à la tête des Verts. Jean-Pierre Raffin, l’ornithologue de Jussieu éluprésident des associations de protection dela nature, saute le pas en 1989 et devientdéputé des Verts au Parlement européen.

Le second vivier où s’approvisionne l’écologie politique est lecombat antinucléaire. Dès l’annonce de la construction de la cen-trale de Fessenheim (Haut-Rhin) en 1971, les manifestations se mul-tiplient autour du site, entraînant dans le sillage des écologistesdes gens sans aucun passé protestataire. « Je n’adhérais à rien, se sou-vient Michel Prieur, alors assistant de droit à l’université de Stras-bourg. Le nucléaire, ça a fait tilt. » Ce combat l’a conduit à créer laSociété française de droit de l’environnement dès 1974. PhilippeLebreton a découvert la nature sur le tard alors qu’il était déjà ingé-nieur chimiste chez Ugine-Kuhlman. Mais ce sont les manifesta-tions contre la centrale nucléaire du Bugey,en 1971-1972,qui le déter-minent à s’engager dans le combat écologique. « Le nucléaire focalisaittout ce qu’on haïssait, dit-il. C’était le béton, les technocrates, la patrie,

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LES GERMES C’est dans le sillage de Mai 68 que se développent les premières velléités écologistes. Antinucléaires, babas cool, libertaires, tiers-mondistes et antimilitaristes se regroupent pour lutter ensemble.

ROGER CANS, « LE MONDE » DU 10 JUIN 1992

L’écologie politique, en France, est née à la faveur des évé-nements de Mai68. Avant, point de militants politiques.On trouve certes des protecteurs de la nature, des scien-tifiques inquiets pour la survie de certaines espèces… et

des hauts fonctionnaires soucieux de soustraire des parcelles deterritoire à la fièvre des « trente glorieuses ». Beaucoup d’initia-tives, à commencer par la création des parcs nationaux et le lance-ment des agences financières de bassin pour la dépollution descours d’eau, remontent aux années 1960. La seule trace ancienned’une tentative d’écologie politique en France date des années1930, à Bordeaux. Un professeur agrégé d’histoire et de géographie,Bernard Charbonneau, et un juriste épris d’histoire, Jacques Ellul,se rencontrent grâce au mouvement personnaliste [philosophie quifait de la personne la valeur essentielle] et à sa revue Esprit, dirigée parEmmanuel Mounier. Ces intellectuels chrétiens considèrent quece qu’on appelle le progrès écrase parfois l’homme et ne répondpas à ses besoins essentiels. Bernard Charbonneau publie en 1937un manifeste intitulé Le Sentiment de la nature, force révolutionnaireoù il explique que protéger la nature, c’est protéger l’homme.

Mais il faut attendre Mai68 pour voir exploser soudain l’écolo-gie politique. Les barricades du Quartier latin permettent en effetcette fusion entre les gauchistes de toutes obédiences et les babascool, contestataires du progrès technique et de la société deconsommation. « Sous les pavés, la plage » est le premier cri à conno-tation écologique. Il rassemble aussi bien les tenants du retour à

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«Il avait une barbenoire, un chapeaunoir, un pardessusnoir, des chaussuresnoires, et étaitcapable de traversertout Paris pouracheter des produitsbio. Il nous aproposé de trèsbeaux dessins mais pas assezagressifs.» Cavanna,responsable deHara-Kiri, raconteainsi sa premièrerencontre avecPierre Fournier, alorssalarié de la Caissedes dépôts. Enavril 1969, le barbuchevelu raconte sesaventures sur unepleine page deHara-Kiri. Textes etdessins dénoncentdangers dunucléaire et méfaitsde la pollution. Pour rassembler les écolos, PierreFournier ira plus loinen créant ennovembre 1972La Gueule ouverte.Le journal quiannonce la fin dumonde. Troisnuméros après, ilmeurt brutalement. Il avait 35 ans.SERGE BOLLOCH,

« LE MONDE »

DU 5 AVRIL 2003

FOURNIEROUVRESA GUEULE

Les Verts sortent du bois

ALARMISTEPremier journalécologiste français,La Gueule ouvertecommence à paraître ennovembre 1972. A la surprisegénérale, il se vendà quelque 70000exemplaires.

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CONTRE L’ARMÉEManifestation le 26 août 1973 enprotestation contrel’extension du campmilitaire du plateaudu Larzac, décidéeen 1971 par legouvernement.Le 13 janvier 1972(affiche ci-dessus),les paysansaveyronnais« montent » à Parischercher du soutienauprès des citadins.Le projet d’extensionest finalementabandonné en 1981avec l’arrivée de lagauche au pouvoir.

l’indépendance nationale. » Il a donc manifesté contre Creys-Malvilleen 1976-1977 et collaboré à La Gueule ouverte sous le pseudonymede Mollo-Mollo. Ce fut aussi le cas de Denis Dangaix, journaliste auGénéraliste: il découvre le combat politique avec Fessenheim et Creys-Malville, adhère aux Amis de la Terre avant de se présenter auxmunicipales de 1977 sous l’étiquette Paris-Ecologie.

LA PIEUVRE EDFDéputée des Verts au Parlement européen, Renée Conan a tou-

jours aimé se battre en militante de base. Professeure d’histoire etde géographie à Lorient, elle milite contre la guerre d’Algérie etadhère pendant deux ans au Parti communiste. Elle découvreensuite les dégâts du remembrement en Bretagne et les méfaits desveaux aux hormones, ce qui la fait basculer vers l’agriculture bio-logique. Mais c’est l’influence de Pierre Fournier et le combat contrela centrale du Bugey, puis de Plogoff, qui lui font connaître la lutteantinucléaire et sa vocation de « Verte ». Nombre des pionniers del’écologie ont réellement « viré leur cuti » avec le nucléaire. Pourle polytechnicien Pierre Samuel comme pour le volcanologueHaroun Tazieff, l’énergie nucléaire apparaît comme une aberrationéconomique. « Il fallait un ennemi, explique Brice Lalonde. On a hésitéentre la bagnole et le nucléaire. On a finalement choisi le nucléaire parce quec’était la pieuvre EDF et l’armée. »

L’armée ! On ne compte plus les insoumis, réfractaires, paci-fistes et objecteurs de conscience qui ont basculé dans l’écologiepolitique par refus de la chose militaire. « Le service militaire me révol-

tait. Je suis donc devenu objecteur de conscience », explique Yves-BrunoCivel, rédacteur en chef de Systèmes solaires. Préparé à la rébellionpar un aumônier gauchiste et un prof de philo trotskiste, il vaapprendre le journalisme à Combat non violent puis à La Gueuleouverte, avec Arthur Montant, Isabelle Cabut, Cédric Philibert etd’autres. L’autre branche du pacifisme s’alimente au tiers-mon-disme, illustré en France par René Dumont. Lorsque Solange Fer-nex rentre d’Afrique, en 1965, elle fonde la section Haut-Rhin deTerre des hommes puis, en 1973, Ecologie et survie avec AntoineWaechter. Tiers-mondistes et antimilitaristes feront leur jonctionau Larzac, où l’on se bat en même temps contre les militaires fran-çais et pour la Kanaky.

Enfin apparaissent des égarés. Jean-Claude Delarue, professeurd’anglais parisien, se lance dans l’arène pour des motifs qui sem-blent relever de l’opportunisme. Il se contente finalement de jouerles Ralph Nader [célèbre par ses campagnes en faveur des droits desconsommateurs aux Etats-Unis]. L’homme d’affaires Guy Aznar arejoint Les Amis de la Terre par son goût de l’innovation sociale.Pour lui, la vraie révolution viendra par la « gestion écologique dutemps », c’est-à-dire par les horaires variables et même un rythmede vie binaire. L’avocat Christian Huglo a rencontré l’écologie à tra-vers le droit, en plaidant d’abord le dossier des boues rouges deCorse, puis celui de l’Amoco-Cadiz. Le journaliste Dominique Simon-net a reçu le baptême écologique avec la candidature de RenéDumont en 1974, sur fond de formation scientifique. La maisonverte est vaste et son accès très ouvert… •

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nable de l’air et des eaux, des rivières aux littoraux marins ; enfin,par une altération des climats, due notamment à l’accumulationdu gaz carbonique ou à l’attaque par les avions supersoniques dela précieuse couche d’ozone…

Si nous ne pouvons déjà chiffrer avec précision l’ampleur detoutes ces menaces, ceux qui continuent à parler de croissance etd’expansion sans limites, les responsables des dégradations, sonttout aussi incapables de les préciser. Or la décision de construiredes centrales nucléaires est prise sans que soit trouvée une solu-tion satisfaisante pour empêcher de se former une masse tou-jours croissante de déchets radioactifs. (…)

Je vais pouvoir souligner aux Français des menaces qu’on leurdissimule, esquisser des solutions que les autres ne leur donne-ront pas. Nous allons donc traiter nos compatriotes en êtres

majeurs. (…) Il nous faut réorienter tout l’appareiléconomique, toute la structure de production. (…)

Nous devrons vite mettre l’accent sur les formesd’énergie non dangereuses, non polluantes : le vent,qui souffle pour tous, la géothermie, les marées, lespetites chutes d’eau ; et surtout, l’énergie solaire.Nous ne proposerons, au cours de ces débats, queles grandes orientations, car nous estimons quetoutes ces mesures ne pourront être précisées qu’aumoment de leur réalisation effective, après consul-tation du plus grand nombre possible de Français.Ce qui nous oriente vers les comités de quartier oude village, les groupes d’entreprise, toutes lesformes d’auto-organisation et d’autogestion, departicipation aux décisions.

DES INÉGALITÉS SANS CESSE ACCRUESUne fois la nourriture et le logement assurés,

aucun problème n’est plus important pour l’avenirde la France que l’environnement. Sa protection exigeune autre conception de la croissance. L’actuelleaccroît d’abord les gaspillages – par le pillage du tiers-monde, auquel on sous-payait terriblement, récem-ment encore, les matières premières – et les inégali-tés. Inégalités sans cesse accrues entre les nations,et même à l’intérieur des nations. (…)

Il nous faut donc arrêter le pillage du tiers-mondeen revalorisant et garantissant le cours de sesmatières premières et de ses produits fabriqués. Lasociété de demain que nous recherchons, plus enaccord avec la nature, permettrait à chacun de s’épa-nouir dans le dévouement à la collectivité. Un telschéma exigera la collaboration effective du plusgrand nombre. Nous y convions les Français et plusencore les Françaises, la majorité opprimée, que leprésident Mao appelle « la moitié du ciel ». •

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LE PREMIERIngénieur agronomeet spécialiste des économies du tiers-monde,René Dumont (ici en 1971) commencesa carrière enIndochine en 1929. Il se révolte contre le colonialisme etrevient en France à l’Institut nationalagronomique. Il est le premier àemployer les termesde développementdurable.

PIONNIER C’est en 1974, à l’occasion de l’élection présidentielle, que se présente le premier candidat écologiste. Dans « Le Monde », l’ingénieuragronome René Dumont explique les raisons de son acte politique.

RENÉ DUMONT, « LE MONDE » DATÉ 21-22 AVRIL 1974 (EXTRAITS)

Retour d’Algérie samedi 6 avril, je fus contacté par ungroupe d’« écologistes en colère ». A chaque élection, ilsvont trouver les candidats des divers partis politiqueset présentent leurs craintes, leurs propositions, leurs

idées. Ils sont reçus avec… une certaine condescendance. Enjuin 1972, le ministre des finances organise un colloque sur lesconclusions fort alarmantes du Club de Rome. En avril 1974, lecandidat Giscard d’Estaing ne leur accorde plus la moindre consi-dération, ne parle que de « croissance » ! (…) Si nous maintenons letaux d’expansion actuelle de la population et de la productionindustrielle jusqu’au siècle prochain, ce dernier ne se terminera passans l’effondrement total de notre civilisation.

Par épuisement des réserves minérales et pétrolières ; par ladégradation poussée des sols ; par la pollution devenue insoute-

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Quatre décennies de luttesFigures | Des précurseurs

JUILLET 1970Fondation de la sectionfrançaise des Friends ofthe Earth américains,Les Amis de la Terre, àl’initiative du journalisteAlain Hervé, puisdirigée par BriceLalonde.

2 JANVIER 1971Création du ministèrede l’environnement.Robert Poujade devientministre déléguéauprès du premierministre chargé de laprotection de la natureet de l’environnement.

FÉVRIER 1971 Projetd’extension d’un campmilitaire sur le plateaudu Larzac. Début du mouvementcontestataire.

5 AU 16 JUIN 1972Première conférencemondiale surl’environnementorganisée par l’ONUà Stockholm.

NOVEMBRE 1972Pierre Fournier lanceLa Gueule ouverte,sous-titré Le journalqui annonce la fin du monde.

20 FÉVRIER 1973A Biederthal (Alsace),Solange Fernex etAntoine Waechtercréent le premiermouvement politiqueécologiste français :Ecologie et survie.

AVRIL 1973 Le NouvelObservateur crée Le Sauvage, journalécologiste sous ladirection d’Alain Hervé.

5 MAI 1974 Au premiertour de l’électionprésidentielle, sousl’étiquette « candidatécologiste », RenéDumont obtient 1,32 %des suffrages exprimés.

1975 EDF décided’implanter unecentrale nucléaire àPlogoff, à la pointe duRaz. Des milliers deBretons se mobilisentjusqu’en 1981, lorsquele projet est abandonné.

26 AVRIL 1981Au premier tour del’élection présidentielleBrice Lalonde, candidatd’Aujourd’huil’écologie, obtient3,88 % des suffrages(1 126 000 voix).

29 JANVIER 1984Création du partipolitique Les Verts.

26 AVRIL 1986Explosion d’un réacteurde la centrale nucléairede Tchernobyl.

24 AVRIL 1988A l’électionprésidentielle, le candidat des VertsAntoine Waechterobtient 3,78 % dessuffrages.

MAI 1988 MichelRocard nomme BriceLalonde secrétaired’Etat, puis ministre de l’environnement.

JUIN 1989 Le groupeVert au Parlementeuropéen se composede 28 députés.

DÉCEMBRE 1990Création de GénérationEcologie, à Paris.

3 AU 14 JUIN 1992 Ladeuxième conférencedes Nations unies surl’environnement et ledéveloppement, diteSommet de la Terre, setient à Rio de Janeiro.

21 ET 28 MARS 1993Elections législatives :Génération Ecologie etLes Verts présententdes candidatscommuns et obtiennent11 % des suffrages.

12 JUIN 1994Lors des électionseuropéennes, la listeUnion des écologistespour l’Europe recueille2,95 % des voix. De son côté, GénérationEcologie de BriceLalonde obtient 2 %des suffrages.

23 AVRIL 1995Dominique Voynet,candidate unique du mouvementécologiste à l’électionprésidentielle, obtient

1 011 488 voix, soit3,32 %.

DÉCEMBRE 1997Issu du sommet de Rio, le protocole de Kyoto prévoit la réduction desémissions de six gaz à effet deserre à hauteur de5,2 % entre 2008et 2012, parrapport auxniveaux de 1990.

21 AVRIL 2002Noël Mamère,candidat desVerts atteint5,25 %, soit1 495 901 voix :c’est le meilleurrésultat d’uncandidat

écologiste à l’électionprésidentielle.

4 SEPTEMBRE 2002Le sommet pour ledéveloppement durableà Johannesburg(Afrique du Sud) adopteun plan de mise enœuvre de dispositions à prendre afin d’aboutirà un développement qui tienne compte du respect del’environnement.

22 AVRIL 2007Dominique Voynet,candidate des Verts àl’élection présidentielle,obtient 1,57 % dessuffrages.

»

BERTRAND DE JOUVENEL(1903-1987) a été correspondantdiplomatique puis envoyé spécial de divers journaux jusqu’en 1939.Economiste et professeur dansplusieurs universités (Cambridge,Berkeley, Oxford…), il a dirigé la Sedeis (Société d’étudeséconomiques). Fondateur en 1960du club de réflexion des Futuribles,il fut membre du Club de Rome et l’un des premiers à employerl’expression d’écologie politique. Il a publié plusieurs ouvrages dont Du pouvoir (Hachette, 1945).

JEAN ROSTAND (1894-1977),écrivain et biologiste, participe en1936 à la création de la section debiologie au Palais de la découverte,et fonde à Ville-d’Avray (Hauts-de-Seine) son proprelaboratoire, où il se consacre àl’étude des amphibiens. Il constateles effets tératogènes de certainesmanipulations en laboratoire, àcommencer par l’exposition auxrayonnements ionisants. Il s’opposeau nucléaire au nom de la santé etde la protection de l’environnement,et crée le Mouvement contrel’armement atomique.

PHILIPPE SAINT MARC, né en1927, magistrat honoraire à la Courdes comptes, appartenait à l’ailegauche du MRP. Président duComité de sauvegarde de la hautevallée de Chevreuse qu’il a fondé en 1964, il milite pour que lepatrimoine naturel soit géré commeun bien collectif. En mars 1967, il résume son action et sa réflexiondans un article publié par la revueEtudes intitulé « Socialisation oudestruction de la nature ». Il a publiéplusieurs ouvrages, dont Progrès ou déclin de l’homme ? (1978) etL’Economie barbare (1994).

ANDRÉ GORZ (1923-2007), de son vrai nom Gérard Horst,philosophe, fonde avec Jean Danielen 1964 l’hebdomadaire Le NouvelObservateur, où il fut rédacteur en chef sous le nom de MichelBosquet. Il est considéré comme le premier penseur de l’écologiepolitique. Il publie en 1975 Ecologieet politique, et Ecologie et libertéen 1977. Dans cet ouvrage, AndréGorz développe la notion d’écologiepolitique et démontre la surchauffeconsommatrice du capitalisme, tout en critiquant parallèlement lapensée de Karl Marx.

CULTE BD publiée dès 1970, puis film

réalisé en 1973, L’An 01 est diffusé

dans une seule salle du Quartier latin

à Paris et vu par 120 000 personnes.

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TROUBLE-FÊTE A l’occasion des élections municipales de 1977, les listesécologistes perturbent le jeu politique traditionnel. Bon nombre de candidats« Verts » déclarent qu’ils se maintiendront au second tour s’ils le peuvent.

PIERRE VIANSSON-PONTÉ, « LE MONDE » DATÉ 6-7 MARS 1977 (EXTRAITS)

En quelques jours, sous nos yeux, une force nouvelle vientde naître. Qu’on ne s’y trompe pas : même si elle doitconnaître des hauts et des bas, sa carrière ne fait que com-mencer et il faudra désormais compter avec elle. Encore

incrédules, mais déjà perplexes, les partis et les élus, du présidentde la République au maire de village, regardent avec étonnementce nouveau venu mal embouché qui prétend s’asseoir – sans yavoir été convié – au banquet électoral. Ainsi l’écologie, en trou-blant le jeu, interpelle-t-elle les formations et les hommes de lapolitique politicienne qui n’avaient pas prévu cette agression-là.

Oh ! ce n’est pas la révolution, pas encore. Parmi toutes ces listesécologistes qui prolifèrent à Paris, à Lyon, à Lille, à Strasbourg, deNice à Dunkerque, de Grenoble à Cahors, et dans dix autres villes,dans cinquante banlieues, dans cent communes petites ou grandes,très peu franchiront la barre du premier tour de scrutin, moinsencore – aucune peut-être – n’auront d’élus. Mais dans un payscoupé en deux, où la dernière grande décision électorale a étéacquise par une marge de 0,8 % des suffrages exprimés, les petitesescouades de francs-tireurs, qui détournent ou neutralisent 3, 4,5 % des voix, comptent autant ou presque que les gros bataillons.Or, dans un certain nombre de localités, on est loin, si l’on en croitles sondages, du 1,32 % de M. René Dumont à l’élection présiden-tielle de mai 1974. Cette fois, c’est plus sérieux.

Surtout, en deux ans, le mouvement écologiste s’est radicalisé.Bon nombre de ses candidats déclarent qu’ils se maintiendronts’ils sont admis à participer au second tour et que, en tout état decause, ils ne donneront pas de consignes de vote. Pour eux, le bétonde droite et la bagnole de gauche, tel grand pollueur du secteur

Les écolos prennent racine

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OCTOBRE 1976Affiche duMouvementécologiste contre le projet deconstruction d’unecentrale nucléaire àNogent-sur-Seine(Aube).

Georges Pompidou, lucideLe 28 février 1970, le président Pompidou, dans un discoursprononcé à Chicago, manifeste un souci précurseur sur la questionenvironnementale. Ce texte est publié dans le livre Des cancres àl’Elysée, de Marc Ambroise-Rendu (Editions Jacob-Duvernet, 2007),ancien journaliste au Monde. Extraits.« L’emprise de l’homme sur la nature est devenue telle qu’ellecomporte le risque de destruction de la nature elle-même. Il estfrappant de constater qu’au moment où s’accumulent et se diffusentde plus en plus les biens dits de consommation, ce sont les biensélémentaires les plus nécessaires à la vie, comme l’air et l’eau, quicommencent à faire défaut. (…) Au moment où les savantsremportent leurs victoires les plus spectaculaires et les plusexaltantes pour l’esprit, apparaissent les premiers éléments d’unprocès de la science. Plus que la science fondamentale dont rien nepeut arrêter le développement, c’est de la technologie qui en procèdequ’il est possible d’orienter les applications et de mieux les adapter à l’homme et à son besoin de bonheur. Il faut créer et répandre une sorte de “morale de l’environnement” imposant à l’Etat, auxcollectivités, aux individus, le respect de quelques règlesélémentaires faute desquelles le monde deviendrait irrespirable. »

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privé et telle entreprise nationalisée, les avocats des centrales etde la bombe, que l’on trouve aussi bien dans la majorité que dansl’opposition, sont à mettre dans le même sac. Leur « apolitisme »affiché est en fait un refus des règles du jeu, une sorte d’anarchismequi les place hors des institutions et au besoin contre elles. Ils nese contentent plus de réclamer qu’on arrête l’invasion du béton etqu’on organise la circulation automobile, ils veulent qu’on détruiseles tours et qu’on stoppe les voitures. (…)

Comment en est-on arrivé là ? Aux yeux de la classe politique,rien n’était pourtant moins menaçant que les écologistes. De douxrêveurs qu’on pouvait feindre de flatter sans péril : mais oui, la pol-lution, c’est mauvais ; l’environnement, c’est important ; la nature,c’est beau ; l’alimentation, c’est délicat ; la qualité de la vie, qui nevoudrait l’améliorer ? On le sait, on s’en occupe. La preuve : il y ades ministères pour cela, et des lois, et des fonctionnaires, et mêmequelques menus crédits. L’industrie de l’antipollution industrielles’annonce juteuse, la défense de la nature va déboucher sur d’excel-lentes affaires, l’agriculture et l’alimentation macrobiotiquesouvrent des rayons jusque dans les supermarchés.

L’ERREUR DU POUVOIRIl y avait bien, de temps en temps, quelques incidents de par-

cours. On voyait se réunir de curieuses foules de jeunes pour mani-fester aux abords des sites nucléaires, des cortèges défilaient pourprotester contre l’empoisonnement des rivières, la pollution desvilles, et il flottait sur ces rassemblements une odeur de soufre, deLip et de Larzac. Grâce à Dieu, leurs démonstrations étaient presquetoujours non violentes et, pour le reste, l’écologie c’était plutôt lafête avec orchestres, chansons et vélos. (…)

Il serait injuste de prétendre qu’on n’a rien fait. Les plus subtilsdes hommes politiques, à commencer par M. Giscard d’Estaing,avaient senti dès 1974 que tout cela n’était pas si futile. Les loisvotées en deux ans ne sont pas négligeables. Et de la Communautéeuropéenne, qui a adopté en décembre dernier un « plan quinquen-nal de la protection de l’environnement », à maintes commissionsou groupes d’études, en passant par d’innombrables colloques,séminaires et congrès, l’écologie a reçu bel et bien droit de cité. (…)

Aujourd’hui l’écologie commence à faire passer son message.L’air et l’eau pollués, la nature saccagée, la nourriture malsaine, lavie même menacée, qui ne le comprend, ne le sent, ne le voit ? Maiscela va loin : « II faut choisir entre une pénurie dramatique d’énergie dansdix, dans vingt ans, et les centrales nucléaires », affirment scientifiques,économistes et politiques. Le choix est fait, réplique René Dumont :arrêter la croissance énergétique française.

En voulant faire l’économie d’un débat national sur le nucléaire,en traitant les écologistes comme de doux maniaques et les Fran-çais comme des enfants, les pouvoirs, tant scientifiques qu’éco-nomiques ou politiques, ont fait une erreur. Ils risquent de le payercher, et nous avec eux, car les voilà pris maintenant, si l’on peutdire, entre l’arbre et l’écorce. •

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JEAN-LOUIS SAUX, « LE MONDE » DU 3 JANVIER 2002 (EXTRAITS)

L’ancien ministre de l’environnement dugouvernement Rocard et nouvel ambas-sadeur chargé des négociations sur lechangement climatique de Sarkozy s’estprésenté en 1981 à l’élection présiden-tielle. En 2002, il a réessayé, sans succès.

Clin d’œil à la brève et déjà longue his-toire de l’écologie politique en France : mardi18 décembre 2001, Brice Lalonde livre l’es-quisse de son programme pour l’électionprésidentielle de 2002 à bord d’une pénicheamarrée à Paris, sur la rive gauche de la

Seine. En 1974, René Dumont, le premiercandidat écologiste à une élection présiden-tielle, avait également lancé sa campagnesur une péniche. Les écolos de l’époquemanifestaient, à vélo, sur les rives de laSeine, pour protester contre la constructiondes voies sur berges, sous le slogan : « Desgoujons, pas de goudron ! » M. Lalonde étaiten tête du peloton. Il allait devenir le direc-teur de campagne du candidat.

Un quart de siècle plus tard, il se veut tou-jours aussi flamboyant. Il a été candidat à

la présidentielle de 1981, ministre de l’envi-ronnement dans le gouvernement de MichelRocard. Avec les moyens que lui donnaitson ralliement à François Mitterrand, il afondé, en 1990, Génération Ecologie, le seulmouvement écologiste qui aurait pu prendrele pas sur les Verts. Avec une écologierepeinte en bleu, M. Lalonde est désormaisheureux d’avoir noué d’étroites relationsavec le président de Démocratie libérale,Alain Madelin, et de pouvoir répondre à l’oc-casion aux invitations lancées par le RPR.A ceux qui lui reprochent d’avoir changé decamp, il répond : « J’ai beaucoup travailléavec Michel Rocard. J’ai beaucoup regrettéque son courant ait disparu et qu’il n’y aitplus de gauche libérale. Je regrette aujour-d’hui que la droite peine à être entraînante,enthousiasmante. »

« L’ART DE VIVRE À LA FRANÇAISE »A bord de la péniche, il se déclare « heu-

reux d’avoir formé deux candidats – CorinneLepage et Noël Mamère –, qui ont étémembres de Génération Ecologie, mêmes’ils n’ont pas eu la ténacité nécessaire pourrester indépendants ». M. Lalonde se veutdésormais le défenseur de l’« art de vivre àla française ». (…)

Son ancien rival Antoine Waechter, can-didat des Verts en 1988, est lui aussi à lapeine. A la mi-décembre, il revendiquait252 promesses de parrainage : « Ça va mieuxdepuis dix jours. On a mis en place uneéquipe de cinq permanents », indiquait-il auMonde, au lendemain des fêtes, en accu-sant de « bluff » la troisième des « petits »candidats écologistes, Corinne Lepage, quiaffirme avoir recueilli plus de 520 promesses.Pourtant, les dirigeants du mouvement gaul-liste ne cachent pas, en privé, que leur pré-férence va plutôt à Mme Lepage, qui futministre de l’environnement d’Alain Juppéde 1995 à 1997.

Mme Lepage, qui compte effectuer unetrentaine de déplacements avant le premiertour, regrette l’absence de tout débat entreles candidats écologistes. « Ma candidaturen’a pas été prise au sérieux par la pressepolitique », dit-elle, déplorant l’attitude desinstituts de sondage, qui ne la mentionnentparmi les candidats à l’élection présiden-tielle qu’« environ une fois sur trois ».

En fait, à la différence des précédentsscrutins, les Verts ont creusé l’écart dansles enquêtes sur les intentions de vote, etles « petits » candidats se réclamant à la foisde l’écologie et de l’opposition ne sont pasparvenus à s’entendre. •

Portrait | Brice Lalonde, l’indéfectible

Le congrès fondateurdes Verts a eu lieu les28 et 29 janvier 1984à Clichy. Fusion entre Les Verts -Confédérationécologiste et Les Verts - Partiécologiste, lanouvelle organisationne prévoit pas deprésident ni desecrétaire général,mais quatre porte-parole, un conseilnational interrégionalet un collègeexécutif. Les Verts ne veulent pas sepositionner dans le champ politique.Cette stratégie de« ni droite-ni gauche »ne permet pas dedépasser le côtémonothématique etdonc protestataire du parti. C’est en1993 que les Vertsrompent avec cepositionnement pours’inscrire résolumentdans le camp de la transformationsociale.En décembre 1990,Brice Lalonde,ministre délégué àl’environnement sousla présidence deMitterrand, fondeofficiellement unnouveau mouvementpolitique : GénérationEcologie. Ce dernierse dote de statuts,d’un conseil nationalet d’un président.Les principauxmembres fondateurssont Brice Lalonde,Haroun Tazieff, Jean-Louis Borloo, NoëlMamère, YvesPietrasanta. Ce partifut financé en grandepartie par l’Elysée.

DES VERTS ÀGÉNÉRATIONÉCOLOGIE

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Quand on évoque les Verts, dans l’Europe des Douze, onpense inévitablement aux Grünen allemands, cemélange explosif de militants pacifistes,antinucléaires,écologistes, féministes et alternatifs. Ils ne sont nés

comme tels qu’en 1980.Tout,en fait,a commencé avec la lutte contreles missiles américains stationnés en Allemagne de l’Ouest. Quidit « écologiste », alors, désigne des militants pacifistes qui se bat-tent contre l’armement nucléaire américain. Aux Etats-Unis, auCanada, dans l’Europe du Nord, ces militants se disent écologistes.Les mêmes, dans l’Europe du Sud – y compris en France –, militentdans les rangs des partis communistes. (…)

Dans les années 1970, l’énergie des premiers militants écolo-gistes s’était concentrée contre le lancement de vastes programmesde production d’électricité nucléaire, tant en France qu’en Alle-magne. L’atome représente le mal absolu. Les antinucléaires se

les archives | É C O L O G I E P O L I T I Q U E

SUCCÈS Scellée dans le combat antinucléaire franco-allemand, le mouvementécologiste commence à s’organiser au niveau européen dans les années 1980.Grâce à eux, la politique de l’Europe intègre la protection de l’environnement.

ROGER CANS, « LE MONDE » DU 1ER JUIN 1989 (EXTRAITS)

A la conquête de l’Europe

BERLINAu pied de la portede Brandebourg, le13 novembre 1999,des écologistesmanifestent contrela politiqueénergétiquefavorisantl’expansion dunucléaire en Europe.

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comptent d’abord autour de la centrale de Wyhl, dans le Bade-Wur-tenberg. En Italie ils concentrent leurs attaques sur le site de Mon-talto di Castro, en Toscane, où se prépare la première centralenucléaire de grande puissance. L’attention se porte ensuite versBrokdorf, dans l’extrême nord de la RFA, où les écolos allemandsse déclarent bien décidés à tuer dans l’œuf « la plus puissante usineatomique d’Europe ».

Encouragés par leurs succès – les autorités du Schleswig-Hol-stein ont suspendu les travaux à Brokdorf –, les alternatifs alle-mands se déchaînent tout au long de l’année 1977. Ils multiplientmanifestations et cortèges à Grohnde (Basse-Saxe), Kalkar (Rhé-nanie-du-Nord-Westphalie) et Creys-Malville (France). Cette der-nière manifestation, dirigée contre un projet de surgénérateursoupçonné de fabriquer du plutonium pour les militaires, marquel’apogée de la bataille « écologiste » en France. Une bataille rangée

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qui fera de nombreux blessés parmi les policiers et les manifes-tants, dont l’un, Vital Michalon, trouvera la mort.

Cette bataille antinucléaire franco-allemande va mettre unterme au premier âge de la contestation écologique en Europe. Ilmanque encore aux écolos un relais politique pour se faireentendre dans les instances de décision. Ce relais, les Allemandsvont le trouver en fondant le parti Vert en 1980. Désormais, l’éco-logie ne sera plus seulement une « folie douce », telle qu’elle futincarnée en France par René Dumont, ni une aventure solitaire,comme l’élection en 1979 du Suisse Daniel Brélaz, premier écolo-giste à pénétrer dans une enceinte parlementaire. Les Allemandssont suivis par les Belges, puis l’année d’après par les Irlandais dela Green Alliance (Alliance verte) et les Portugais de l’organisationOs Verdes. (…)

DE LA CONTESTATION À LA GESTION L’année 1982 marque le creux absolu de la vague écologique

en France. En revanche, en RFA la mobilisation contre le déploie-ment des missiles américains bat son plein. Dans la foulée, DieGrünen font pour la première fois leur entrée au Bundestag avecvingt-huit sièges lors des élections de mars 1983. Le mouvementcommence à essaimer dans toute l’Europe. Il se crée, en 1983, despartis Verts au Danemark, en Espagne (Alternativa Verda, en Cata-logne), au Luxembourg (Greng Alternativ), aux Pays-Bas. L’an1984 voit naître Los Verdes en Espagne et Les Verts en France. EnGrande-Bretagne, le Green Party apparaît officiellement en 1985,et la Fédération italienne des listes vertes en 1986. (…)

Si la lutte antinucléaire demeure le « fonds de commerce » desVerts, d’autres thèmes porteurs sont apparus au fil des ans. EnAllemagne, la revendication d’une plus grande moralisation dela vie politique (scandale Flick) et l’alerte au Waldsterben (dépéris-sement des forêts) prennent le relais de la lutte contre les missilesaméricains. Aux Pays-Bas, les Verts peuvent toujours comptersur la pollution du Rhin, « grand égout collecteur d’Europe », pours’attirer les sympathies de l’opinion. (…) En Italie, les écolos sontpartis en guerre contre les chasseurs. En Espagne, les dernierscombats se sont déroulés contre la création d’un camp d’entraî-nement militaire dans la province de Ciudad Real, dans le sud dela Castille (le Larzac dix ans après) et contre le TAV (Tren de altavelocidad), prolongement du TGV français. (…) En Grèce, le gou-vernement a dû renoncer à laisser s’installer une usine d’alumineà portée de fumée du site de Delphes. Même dans la verte Irlandesurviennent parfois des révoltes écologistes. (…)

Les écolos européens ont marqué cette dernière décennie. Plusaucun gouvernant, plus aucun industriel ni chef d’entreprise,plus aucun élu même, ne songe aujourd’hui à lancer quelqueprojet que ce soit sans se préoccuper de leur réaction. Si l’Acteunique intègre la protection de l’environnement dans la construc-tion européenne, c’est à eux qu’on le doit. Si l’on respire mieuxun jour dans les rues de nos villes, on le devra aussi à ces empê-cheurs de polluer en rond qui gesticulaient maladroitement.Seront-ils plus efficaces lorsque leur internationale verte seraconstituée en partis solides et disciplinés ? C’est en tout cas leurrêve : après la contestation, ils aspirent à la gestion. •

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PROCHAIN DOSSIER

« Spécial nouvellestechnologies »

L’INVENTIOND’INTERNETLe Monde 2du 17 novembre 2007

ROGER CANS a étérédacteur à la rubrique« éducation » du Mondede 1976 à 1982, avantd’être chargé des pages« environnement » jusqu’en1996.

PIERRE VIANSSON-PONTÉ (1920-1979) étaitjournaliste. Après avoircommencé sa carrière àl’AFP en 1945, il a étérédacteur en chef àL’Express de 1953 à 1958,date de son entrée auMonde à la tête du servicePolitique. Il est nommérédacteur en chef adjointen 1969, puis conseiller de la direction en 1972.Il est l’auteur d’un articlefameux publié quinze moisavant Mai 68, « La Frances’ennuie… » et d’uneHistoire de la Républiquegaullienne (Fayard, 1971).

RENÉ DUMONT(1904-2001), universitaire et agronome, fut le premiercandidat écologiste à une élection présidentielleen France en 1974. Cet « agronome de lafaim » a parcouru le mondetout au long de sa vie. Il a publié de nombreuxouvrages, dont L’Afriquenoire est mal partie en1962 et L’Utopie ou la Morten 1973.

SOURCES• Petite histoire dumouvement écolo enFrance, de Roger Cans.Ed. Delachaux et Niestlé, 2006, 318 p., 19 €.• Des cancres à l’Elysée,de Marc Ambroise-Rendu.Ed. Jacob-Duvernet, 2007, 358 p., 21 €.• Histoire de la révolutionécologiste, d’Yves Frémion.Ed. Hoëbeke, 2007, 395 p., 19 €.• Ecologica, d’André Gorz.Ed. Galilée, à paraître.

CONTRIBUTEURS & SOURCES

OLIVIER BIFFAUD ET PATRICK JARREAU, « LE MONDE » DU 20 NOVEMBRE 1989 (EXTRAITS)

Avec près de deux millions de voix auxélections européennes de juin 1989, lesVerts français se trouvent en quatrièmeposition sur l’échiquier politique. Phé-nomène conjoncturel ou naissanced’une nouvelle force politique ?

L’écologisme – ou écologie politique – avu le jour au sortir de Mai 68, dont il pro-longeait la tendance baba cool adepte duslogan libertaire « Elections, piège à cons ».(…) Dès 1973 pourtant, les premiers can-didats écologistes apparaissent en Alsace,conduits par Solange Fernex sous l’éti-quette Ecologie et survie. La synthèse entrela Fédération française des sociétés de pro-tection de la nature (FFSPN) et la tendancecontestataire alimentera d’incessantes rup-tures au sein du mouvement écologiste.L’élection présidentielle de 1974 permetcependant de réunir les militants autour deRené Dumont (quelque 300 000 voix, soit1,32 % des suffrages). (…)

Les années qui suivent sont dominéespar le combat antinucléaire. Les électionsmunicipales de mars 1977 ont permis auxécologistes de faire quelques percées.Cette aubaine va aiguiser les appétits. LeRéseau des Amis de la Terre (RAT), animépar Brice Lalonde, qui a rompu avec le PSU,

apparaît plus expérimenté. Plus éclaté, leMouvement écologique, qui deviendra leMouvement d’écologie politique (MEP),sous la direction de Jean-Claude Delarueen 1978, s’inspire davantage de la défensedu consommateur. Une troisième compo-sante regroupe des militants anarchistes,régionalistes ou antimilitaristes.

UNE IDÉOLOGIE PEU STRUCTURÉETandis que Michel Bosquet, dit aussi

André Gorz [Gérard Horst], propose une troi-sième voie contre les doctrines socialiste etlibérale, d’autres comme René Dumont met-tent l’accent sur un nouveau partage desrichesses avec le tiers-monde. (…) Aprèsl’échec des législatives de mars 1978, leseuropéennes de juin 1979 permettent auxécologistes, sous la direction du MEP, d’at-teindre 4,38 % des voix. Le coup suivant– l’élection présidentielle de 1981 – est jouépar le RAT et par Brice Lalonde qui réunit3,87 % des suffrages. Avec le scrutin euro-péen de juin 1984, la liste écologiste conduitepar Didier Anger obtient 3,37 % des voix.

Entre 1981 et 1984, les Verts sont enfinnés ! Des Amis de la Terre « déçus » par lefonctionnement « familialiste » du Réseau,des écolos du MEP et de la troisième com-

posante se sont réunis à Couiza (Aude) endécembre pour fonder une Confédérationécologiste. En octobre, une assembléegénérale commune à la Confédération etau parti (l’ancien MEP) programme la fusionpour janvier 1984. Dans la confusion géné-rale, à Clichy (Hauts-de-Seine), une « AG »accouche des Verts. Brice Lalonde ne selance pas dans l’aventure. (…)

A peine éclos, les Verts attirent trotskistes,maoïstes revenus du Grand Timonier, fidèlesdu PSU, adeptes du désarmementnucléaire. Mais la greffe ne va pas prendre.Les élections législatives et régionales demars 1986 sont un échec. Les Verts n’ontque trois élus régionaux. « L’écologie n’estpas à marier » : c’est avec ce messagequ’Antoine Waechter prend les commandesdu mouvement en novembre 1986. Candi-dat à la présidentielle de 1988, il devancePierre Juquin (3,78 % contre 2,01 %),minant l’espoir « rouge et vert » de l’ancienporte-parole du PCF. Après le succès rela-tif des municipales de mars 1989 (1 400 éluscontre 300 sortants), Antoine Waechterapporte enfin aux Verts une victoire francheen juin en doublant le cap des 10 % quiouvre les portes du Parlement européen auxneuf premiers de la liste écologiste. •

Trajectoire | Des babas cool jusqu’au Parlement européen

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