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F ORU M 50 MÉDIALOG N°42 — JANVIER 2002 D’un côté les logiciels propriétaires : copyright et position quasi monopolistique. De l’autre les logiciels libres : information partagée et mutualisation des compétences. Deux conceptions de la société informationnelle, deux modèles économiques. L’approche originale des logiciels libres ne manque pas d’intriguer et amène à s’interroger sur leur modèle économique et sa viabilité. L’INDUSTRIE DU LOGICIEL À LA CROISÉE DES CHEMINS ? L’ÉCONOMIE du LIBRE actualité de ces derniers mois ne désemplit pas d’informations sur des sujets dont le dénominateur commun est l’économie et la propriété intellectuelle des biens infor- mationnels : droit d’auteur revisité ou brevet pour les logiciels, accès à la connaissance et libre diffusion à tous, marchandisation de certaines activités éducatives…, logiciel libre. La prise de conscience de l’importance majeure de ces questions a désormais eu lieu, largement au-delà du cercle restreint des initiés. On fait volontiers gré à la mouvance du logiciel libre d’avoir alerté les uns et les autres sur des enjeux de société essentiels et de très sérieux sujets de réflexion. Et l’on est bien obligé de faire le constat que, si sérieux il y a, c’est aussi que, dans l’actualité, il arrive que le pire côtoie l’inquiétant, et que le meilleur, loin de toute spontanéité, doit batailler ferme pour se faire entendre. Mais, l’approche originale des logiciels libres ne manquant pas d’intriguer, on continue çà et là à s’interroger sur la viabilité de leur modèle économique. Rien que de très légitime. L’

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D’un côté les logiciels propriétaires : copyright et position quasi monopolistique. De l’autre les logiciels libres : information partagée et mutualisation des compétences.

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50 MÉDIALOG N°42 — JANVIER 2002

D’un côté les logiciels propriétaires :

copyright et position quasi monopolistique.

De l’autre les logiciels libres : information

partagée et mutualisation des compétences.

Deux conceptions de la société

informationnelle, deux modèles économiques.

L’approche originale des logiciels libres

ne manque pas d’intriguer et amène

à s’interroger sur leur modèle économique

et sa viabilité.

L’INDUSTRIE DU LOGICIEL À LA CROISÉE DES CHEMINS ?

L’ÉCONOMIEdu LIBRE

actualité de ces derniers mois nedésemplit pas d’informations sur des sujetsdont le dénominateur commun est l’économieet la propriété intellectuelle des biens infor-mationnels : droit d’auteur revisité ou brevetpour les logiciels, accès à la connaissance etlibre diffusion à tous, marchandisation decertaines activités éducatives…, logiciel libre.La prise de conscience de l’importancemajeure de ces questions a désormais eu lieu,largement au-delà du cercle restreint desinitiés. On fait volontiers gré à la mouvancedu logiciel libre d’avoir alerté les uns et lesautres sur des enjeux de société essentiels etde très sérieux sujets de réflexion. Et l’on estbien obligé de faire le constat que, si sérieuxil y a, c’est aussi que, dans l’actualité, ilarrive que le pire côtoie l’inquiétant, et que lemeilleur, loin de toute spontanéité, doitbatailler ferme pour se faire entendre. Mais,l’approche originale des logiciels libres nemanquant pas d’intriguer, on continue çà et làà s’interroger sur la viabilité de leur modèleéconomique. Rien que de très légitime.

L’

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Des laboratoires pharmaceutiques se sontopposés à la fabrication de médicaments géné-riques, quitte, par là même, à condamner à mortdes millions de personnes. Heureusement, laraison et le cœur l’ont emporté, mais l’on peutredouter que le chapitre n’en soit pas clos pourautant. « L’affaire Napster » a, pour une part,contribué à mettre en évidence des situations derentes, plus que joliment confortables, ne rele-vant pas d’une juste rémunération d’un travail etd’un nécessaire retour sur investissement. Enmai 2001, le consortium SDMI (1) a dissuadé,menaces de poursuites judiciaires à l’appui,Edward Felten de présenter, devant un auditoirede l’université de Pittsburgh, les résultats destravaux de son équipe de recherche de Princetonqui avait réussi à déplomber les systèmes deverrouillage des fichiers musicaux du SDMI.Aux États-Unis encore (2), des mécanismes exis-tent sur DVD pour empêcher de passer les publi-cités en avance rapide ; des fabricants et descompagnies de distribution sont de mèche pourque des fonctionnalités, comme le décalage dansle temps d’un programme de télévision ou l’en-registrement de la vidéo sur Internet, bien queconformes à la loi, ne soient pas disponibles surle marché ; des appareils enregistrent du sonnumérique, mais le restituent dans un formatanalogique de médiocre qualité…

Dire qu’il est des ingénus pour croire quela technologie est aussi inventée pour vaincrela pénurie !

RÉACTION AU MONOPOLE

Serait-il iconoclaste de penser que le plusgrand nombre doit bénéficier de richessesdevenant accessibles à des coûts dérisoires etqu’il faut alors développer des compétences,des modèles économiques et des emplois dansdes domaines jusque-là inconnus (3) ?L’éthique plaide en ce sens. Mais les bonssentiments ne suffisent pas, sauf à êtreconfortés par des preuves d’une plus grandeefficacité. Cela vaut aussi pour les logicielslibres. La question de leur viabilité écono-mique est donc incontournable.

Ces dernières années, le logiciel libre s’estdéveloppé, pour une part appréciable, en réac-tion à la situation de quasi monopole quiprévaut dans l’informatique grand public etprofessionnelle. Il y a une tendance objective àl’instauration de monopoles pour les systèmesd’exploitation, les bases de données, lesrouteurs, les logiciels de gestion, voire pour desmarchés de niche comme la gestion des cabinetsdentaires ou la CAO d’architecture (ConceptionAssistée par Ordinateur). Deux causes princi-pales à cela. D’abord, la spécificité de l’indus-

trie du logiciel qui associe investissementsinitiaux importants et quasi nullité des coûtsmarginaux, en raison du phénomène des rende-ments croissants (4). Ensuite, les externalités deréseau qui jouent un rôle prépondérant. Enamont, les producteurs d’applications ou decomposants matériels favorisent les plateformesles plus répandues qui représentent un marchépotentiel plus important, et se répandent ainsiencore davantage. En aval, intervient le confor-misme raisonné des clients autour des produitsdominants. Ils y voient une garantie de péren-nité, confondant souvent pérennité des sociétéset de leurs produits (voir les versions incompa-tibles d’un logiciel qui se succèdent à un rythmesoutenu). Il est, par ailleurs, plus facile detrouver du personnel formé ou de l’assistancetechnique. En outre, un acteur dominant a lemoyen de contrôler juridiquement, par le droitd’auteur, ou techniquement, avec le glissementtemporel des spécifications, les protocoles decommunication, les formats de données, ou lesinterfaces homme-machine qui deviennent desstandards propriétaires de fait, en définitivel’accès au marché de ses concurrents. De plus,en cas de problèmes, un directeur informatiquene se verra pas reproché d’avoir fait le choix deMicrosoft ou d’IBM. Il n’en ira pas de mêmeavec une solution émergente !

FORCES ET FAIBLESSES

La dérive monopolistique des logicielspropriétaires présente des inconvénients biensconnus, tel le coût prohibitif des logiciels quiassure des bénéfices de l’ordre de 40 ou 50%dont n’osent pas rêver les autres secteurs d’acti-vité économique. Mais il y a également :

– la difficulté de sécuriser un système donton ne connaît pas les spécifications internes, etle risque avéré de diffusion de code piégé (5) ;

(1) SDMI (Secure Digital Music Initiative) regroupe une centaine deproducteurs de contenus et d’industriels autour de technologies de protec-tion « inviolables » des œuvres numériques.(2) Voir l’interview de John Gilmore,http://aful.org/publi/articles/gilmore-copy-protection.html.(3) Imaginons qu’en 2030 une machine ait été créée, qui permette dereproduire un bien matériel quelconque, comme on peut le faire d’un CD,et qui soit aussi bon marché que les graveurs actuels. Faudrait-il la mettrehors-la-loi et la marginaliser ? Empêcher, par exemple, les gens d’avoir deslits et des chaises dont la reproduction coûterait presque rien, pour que desfabricants de meubles puissent continuer à fonctionner comme si de rienn’était ?(4) Ce qui permet des économies d’échelle considérables pour les acteursdominants.(5) C’est la raison première pour laquelle la Direction générale de l’arme-ment du ministère de la Défense a choisi Linux. On s’est aperçu, il y aquelques années, grâce aux standards ouverts et l’accès aux codes sourcesque des navigateurs « récupéraient » à leur insu les profils de consultationdes utilisateurs.

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– l’absence de pérennité des logiciels ; celledes standards de fait, soumis au bon vouloir desacteurs dominants, qui a pour conséquence lemanque de pérennité des données archivées ;

– le moindre effort de recherche et d’inno-vation, voire le bridage des recherches effec-tuées par des tiers ;

– le manque de diversité « écologique » dutissu technologique entraînant une plus grandevulnérabilité aux agressions (virus, pirates) ;

– la dépendance des clients pour les prix etla satisfaction de leurs besoins spécifiques ;

– la dépendance pour la stratégie indus-trielle, car il n’y a pas d’alternative en cas deconflit grave avec le fournisseur.

Même dans des situations concurrentielles,la non disponibilité des données nécessaires àl’entretien des logiciels peut s’avérer catastro-phique en cas de disparition du fournisseur, etl’absence de standardisation, elle, pénalisante.L’informatique propriétaire a donc sesfaiblesses. Elles laissent entrevoir en opposi-tion les forces du logiciel libre. Mais ce derniera aussi une crédibilité qui repose sur l’effica-cité éprouvée du modèle économique desconnaissances scientifiques, ressources libre-ment utilisables.

TRAVAIL COOPÉRATIF

Le monde de la recherche scientifique estune structure économique où l’on échange desbiens (connaissance, renommée, attention,biens matériels) et dont le but est l’accroisse-ment du savoir humain. Ses mécanismesmoteurs et régulateurs sont fondés sur la librecirculation et la réutilisation de l’information(le rôle de la libre diffusion étant tellementimportant qu’il constitue un objectif en soi), lejugement par les pairs, la liberté de chacun dereprendre, amender, déformer, reformuler,étendre les contributions existantes. Ce modèlea historiquement parfaitement rempli son rôle,et il continue à le faire. Dès les années 80, il estrepris pour le développement des logiciels. Eneffet, un programme informatique est uneentité de même nature qu’une preuve mathé-matique. Leurs contextes respectifs présententdes similitudes : rôle prépondérant de lamatière grise sur l’investissement, grandecomplexité, nécessité d’une décompositionmodulaire permettant de réutiliser desprogrammes en faisant confiance à leursauteurs, programmes perfectibles par lescontributions et les critiques des pairs, réutili-sation infinie d’un programme sans coûtsupplémentaire… En bref, à la libre diffusiondes connaissances scientifiques correspond lapublication du code source, au jugement par les

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pairs le débogage par les développeurs et lesutilisateurs. Dans les deux cas – recherchescientifique et écriture de programmes – onpeut améliorer les contributions existantes. Toutcela, à n’en point douter, constitue de solidesassurances sur la qualité des produits informa-tiques ainsi réalisés. Et Internet donne unenouvelle ampleur à la démarche.

Le logiciel libre n’est pas si nouveau quecela. Au début de l’informatique, à l’universitéet dans les entreprises, avant la « mini » et la« micro » et l’existence d’un marché du logicielqui se déconnecte du matériel, le code sourceest librement accessible. Le mouvement dulogiciel libre en tant que tel s’organise dans lesannées 80, sous l’impulsion de RichardStallman, chercheur au MIT, qui, en réactionaux systèmes Unix propriétaires, crée la FreeSoftware Foundation. Son projet GNU se déve-loppe lentement par manque de ressources, et le

caractère forcément trèslocalisé des interactionsentre producteurs et utili-sateurs. Et si, au début desannées 90, Linux se diffusele plus largement, c’estsurtout grâce à Internet, etau travail coopératif qu’ilpermet, qui donne à laméthode de développe-ment des logiciels libresune efficacité redoutable.

En effet, Internet faci-lite la coordination, mini-mise grandement les coûtsde transaction liés à lanécessaire mise en relationdes acteurs économiques,permet de s’attaquer à degros projets, largement au-delà des petitsprogrammes, et d’atteindreune masse critique pour la

diffusion et pour la recherche des compé-tences (6). L’originalité du logiciel libre résidedans la décentralisation des activités deproduction et la mutualisation des compétences,dans un développement distribué avec unprojet, un animateur et de nombreux program-meurs, souvent bénévoles, sur Internet. Dans lecas de Linux, l’organisation du travail passe parun chef charismatique, Linus Torvald et un stylede management : distribuer vite et souvent,déléguer tout ce que l’on peut déléguer, être

Le logiciel libre a une

crédibilité quirepose sur l’efficacitééprouvée du modèle

économique des connaissancesscientifiques

““

(6) Inversement, un prêté pour un rendu, Internet est à base de produitslibres comme SendMail et Apache, et de standards ouverts.

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ouvert, savoir reconnaître les bonnes idées desautres, traiter les utilisateurs en co-dévelop-peurs pour privilégier des innovations ancréesdans des besoins réels, proposer la résolution deproblèmes qui intéressent et donnent du plaisirà programmer (quid de la démarche quand cen’est plus le cas ?). En définitive, il s’agit derelier les égoïsmes individuels pour réaliser destâches impossibles à accomplir sans une coopé-ration soutenue. Ainsi, une communauté dedéveloppeurs dispersés, hors d’une structured’entreprise, peut-elle plus que rivaliser avecles milliers d’informaticiens d’un grand éditeurmondial, et mettre au point des produits dequalité supérieure. La viabilité du logiciel libreréside donc, pour une part, dans la qualité deses productions, ses modalités de travail et d’or-ganisation qui ont déjà fait leurs preuves (7).Mais elle se situe aussi dans la réponse qu’ilapporte aux questions de l’innovation et desconditions à réunir pour obtenir la contributiondu plus grand nombre au développement del’informatique, de la réalisation de produitscomplémentaires, ou concurrents, et du travailen commun.

INFORMATION PARTAGÉE

Soit l’éditeur d’un traitement de texte T. Siles fichiers produits par T ne peuvent pas êtrelus par le traitement de texte dominant W, etréciproquement si T ne lit pas les fichiers de W,l’éditeur de T, ainsi que d’autres nouveauxacteurs potentiels, ne pourront que très difficile-ment prendre place sur le marché des traite-ments de texte. Si l’éditeur de W ne donne pasdes éléments sur ses formats, il verrouille lemarché en imposant son standard propriétaire.Le droit à la compatibilité, qui ne signifie pasque T fonctionne dans le même environnement(machine + système d’exploitation) que W, estune condition d’existence des « petits ». Et il nefaudrait pas oublier que, s’il est bien agréable depouvoir récupérer aisément sur Internet desdocuments et de les exploiter, on le peut grâce àdes protocoles de communication (TCP/IP,HTTP), des formats de données (HTML) quireposent sur des standards ouverts que les déve-loppeurs d’applications respectent. Si, du pointde vue du développement et de l’innovation, lesinterfaces utilisateurs, les formats de fichier et

les protocoles de communi-cation recèlent un pouvoirde nuisance certain, ils n’enont fondamentalement pasmoins un caractère « arbi-traire » et ne contiennentque peu d’innovation. Il n’ya pas de justification écono-mique à ce que des éditeursperçoivent, du fait d’uneprotection par copyright,une quelconque rente pourl’aspect arbitraire et non-inventif de l’activité infor-matique. Les spécificationsd’interfaces devraient êtreconsidérées comme desbiens publics. Autre choseest la protection temporairedes innovations effectives. Ilexiste deux voies pourrégler le problème desconnaissances communes :les standards ou les logicielslibres.

La normalisation (les standards) dit ce quedoivent être les arbitraires nécessaires à lacompatibilité. L’arbitraire étant déterminé, pointn’est besoin de contraindre un développeur derévéler ses choix, et ses codes sources.S’appliquant aux interfaces et aux conditions decompatibilité, la normalisation ne s’opposedonc pas à la protection. Également, des stan-dards non propriétaires, fondement de la notionde système ouvert, spécifient comment lescomposantes interagissent à leur interface, sansspécifier le produit lui-même qui peut demeurerpropriétaire.

La deuxième voie est celle du logiciel librequi constitue une approche effective de coordi-nation d’agents décentralisés, dans descontextes plus ou moins marchands. Et l’infor-mation partagée est alors maximale, puisquel’on dispose du code source.

Réponse concrète au travail en commun, lelogiciel libre ne va pas pour autant à l’encontredes impératifs commerciaux d’un éditeur delogiciels donné. En effet, prenons le cas d’unesociété de services qui, ayant mis au point unlogiciel comportant des centaines de milliersd’instructions, le met à disposition sous unelicence libre. Il intéresse une entreprise, pourlaquelle les six mois nécessaires à un ingénieurpour se l’approprier représentent un coût del’ordre de 50 000 euros . Par contre, une forma-tion de trois jours, assurée par la sociétééditrice, réduit considérablement le tempscorrespondant à la maîtrise du produit. Elle est

Le logiciel libre constitueune approche

effective de coordination

d’agents décentralisés,dans des contextes

plus ou moinsmarchands

“(7) L’approche du libre est bien adaptée pour les logiciels d’infrastructurecomme les systèmes d’exploitation, les environnements de développe-ment, les serveurs Web, de par le coût marginal nul et la diffusion univer-selle. Elle l’est tout à fait pour les services sur-mesure rendus autour d’unlogiciel donné Elle l’est a priori moins, ou peu, pour les logiciels métiersou de création, mais la rigidité des éditeurs en matière de droits patrimo-niaux peut la favoriser.

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du code source n’est pas une revendication desecond ordre. La dynamique de l’industrie dulogiciel est fondée sur l’interactivité, l’utilisa-tion systématique et combinatoire de compo-sants logiciels, leur « cumulativité » : tout cloi-sonnement des savoirs et des procéduresconstitue une menace pour l’innovation. Lelogiciel libre est bel et bien un outil de régula-tion et de développement de l’industrie infor-matique. Enfin, d’une manière plus prosaïque,une entreprise peut recourir au logiciel librepour, nous l’avons vu, susciter une activité ; oupromouvoir et préserver un standard (IBM aécrit un compilateur Java pour avoir son mot àdire vis-à-vis de Sun et éviter de possiblesdérives) ; mutualiser les coûts sans être sous ladépendance d’un fournisseur unique (onfabrique et met à disposition un produit dont ona besoin pour bénéficier des contributions et desaméliorations des autres utilisateurs) ; péren-niser un produit qui ne tient pas ses promessescommercialement mais sur lequel des clientssont déjà engagés (Matravision a ainsi mis enlibre des bibliothèques de CFAO) ; promouvoirune image de marque…

Paradigme de la recherche scientifique,préfiguration et ressorts du fonctionnement dessociétés où les biens immatériels occupent uneplace centrale et grandissante dans la créationde la richesse, impact économique et organisa-tionnel d’Internet, contribution à l’innovation,efficacité et qualité, régulation de l’industrieinformatique… En définitive, on peut penserqu’il existe des indices sérieux de viabilité dumodèle économique du logiciel libre. Pour lemoins, de quoi s’interroger

Jean-Pierre ARCHAMBAULTCNDP – Mission Veille technologique

facturée 5 000 euros. Tout le monde y trouveson compte. Ainsi, des sociétés vendent-ellesdu service (installation, paramétrage, écritured’applications spécifiques…) autour d’un logi-ciel qu’elles fournissent gratuitement ou propo-sent pour des sommes modiques, et que l’onpeut ensuite reproduire à volonté. « Donner unproduit et se rémunérer sur des services, ou surd’autres produits, l’accompagnant » : cettedémarche, si elle prend de l’ampleur, peutrevendiquer une certaine ancienneté. Que l’onsonge au minitel distribué gratuitement etengendrant moult appels téléphoniques pourdes communications et des consultations entout genre. Aux appareils photographiquesvendus très bon marché, et aux nombreusespellicules qu’il faut ensuite faire développer.Aux prix relatifs des imprimantes et descartouches d’encre. Et, au début du siècledernier, Rockfeller donnait des lampes àpétrole… Le logiciel libre illustre une tendanceforte sur le long terme. Lorsqu’il y a pléthored’informations, la valeur ne réside pas tant dansle bien informationnel lui-même que dans lacapacité à s’en emparer pour le transformer enconnaissance, à mettre en œuvre des processusqui l’incorporent.

MODÈLE GLOBAL

La collectivité, dans son ensemble, ne peutpas se désintéresser des enjeux liés au « cœurinformatique » de la société informationnelledans laquelle les biens immatériels prennentune part de plus en plus grande dans la créationde la richesse. L’État, acteur volontaire destransformations, doit fixer le cadre, définir lesrègles et les faire respecter. Il y va de l’intérêtgénéral et du bien public. Des prises de positiongouvernementales légitiment le logiciel libre entant que solution alternative et, dans une pers-pective souhaitée de pluralisme technologique,recommandent aux administrations del’adopter, ainsi que ses méthodes, pour leurpropre compte(8). L’industrie informatique entant que telle, est également concernée. Parexemple, la réalisation d’une plateforme aéro-portuaire requiert des produits complexes dequalité, devant durer une trentaine d’années,difficiles à fabriquer avec des composants logi-ciels de plus en plus faits pour le grand publicet d’une durée de vie limitée : pouvoir disposer

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(8) Accord-cadre signé par le ministère de l’Éducation nationale et l’AFUL(Association francophone des utilisateurs de Linux et des logiciels libres) enoctobre 1998 ; Comité interministériel consacré à la société de l’informa-tion le 10 juillet 2000 ; BO spécial d’août 2000 sur « le dispositif desoutien à la production multimédia » ; déclarations du ministre de laFonction publique en janvier 2001.