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Dalhousie University is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Dalhousie French Studies. http://www.jstor.org Écrire le deuil : décès maternel et acte d'écriture chez Albert Cohen, Annie Ernaux, Peter Handke et Roger Peyrefitte Author(s): Yan Hamel Source: Dalhousie French Studies, Vol. 53 (Winter 2000), pp. 93-119 Published by: Dalhousie University Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40838239 Accessed: 15-03-2016 17:12 UTC Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at http://www.jstor.org/page/ info/about/policies/terms.jsp JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. This content downloaded from 140.233.2.215 on Tue, 15 Mar 2016 17:12:08 UTC All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Écrire le deuil : décès maternel et acte d'écriture chez Albert Cohen, Annie Ernaux, Peter Handke et Roger Peyrefitte

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Écrire le deuil : décès maternel et acte d'écriture chez Albert Cohen, Annie Ernaux, Peter Handke et Roger Peyrefitte Author(s): Yan Hamel Source: Dalhousie French Studies, Vol. 53 (Winter 2000), pp. 93-119Published by: Dalhousie UniversityStable URL: http://www.jstor.org/stable/40838239Accessed: 15-03-2016 17:12 UTC

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Yan Hamel

Introduction

Joans l'un de ses premiers textes, portant sur l'esthétique en littérature et dans les arts en général, Bakhtine écrit que

[l]a forme esthétiquement signifiante est l'expression d'une relation substantielle au monde de la connaissance et de l'acte. Mais il ne s'agit pas de relation cognitive ou éthique : l'artiste n'est pas concerné par l'événement comme participant direct (car alors il serait connaissant ou agissant selon l'éthique), mais il occupe une position essentielle en dehors de l'événement, en tant que contemplateur désintéressé, mais comprenant le sens axiologique de ce qui s'accomplit ; il ne subit pas l'événement, mais sympathise avec lui et y participe, car sans avoir, dans une certaine mesure, une attitude de participation axiologique, on ne peut contempler un événement en tant qu'événement. (47)

Cette position essentielle en dehors de l'événement, occupée en tant que contemplateur désintéressé, le théoricien russe néglige toutefois de spécifier qu'elle n'est pas donnée d'emblée à l'artiste, mais qu'elle résulte d'un travail de distanciation, souvent long et ardu, effectué, non tant par rapport à l'événement extérieur problématique qui aurait déclenché le besoin d'écrire, que par rapport à la relation intérieure entretenue avec soi-même et avec la forme esthétiquement signifiante donnée à l'œuvre écrite. Déjà, avec l'autobiographie en général, où 1'« auteur se définit comme étant simultanément une personne réelle socialement responsable, et le producteur d'un discours » (Lejeune 23), la nature et le sens de ce travail se montrent de manière certainement plus explicite que dans la plupart des autres genres ; comme l'écrit Lejeune, l'événement décrit, relégué dans un passé plus ou moins révolu, n'importe, au plan littéraire, que dans la mesure où il conduit à la situation d'écriture ultérieure, point de vue éloigné sur le plan temporel, jusqu'à un certain point détaché, et qui, seul, donne à l'œuvre une signification d'ensemble : le « terme ultime de vérité [...] ne peut plus être l'être-en-soi du passé (si tant est qu'une telle chose existe), mais l'être-pour-soi, manifeste dans le présent de renonciation (Lejeune 39). Avec l'écriture du deuil, qui cherche, comme dans les récits d'Albert Cohen, d'Annie Ernaux, de Peter Handke et de Roger Peyrefitte, à traiter esthétiquement d'un événement non encore entièrement désactivé, et qui, plus que tout autre, demande une réorganisation des rapports à soi-même et au monde environnant, c'est tout le travail de détachement et de renoncement exigé par l'écriture, effectué sur le plan de l'art, qui se superpose à celui de la perte d'une personne irremplaçable, la mère, effectué, lui, sur le plan de l'existence concrète et émotionnelle. Par l'intermédiaire de la personne qui les aborde simultanément, cherchant à exorciser l'un par la pratique de l'autre, deuil et écriture s'interpénétrent et s'échangent leurs multiples significations, devenant, tous deux, tant au niveau de l'intériorité que de l'extériorité, absolument polysémiques. Dans son travail constant de recherche du plus haut niveau de lucidité, Annie Ernaux remarquait : « Écrire sur sa mère pose forcément le problème de l'écriture » (1997 : 47).

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Le deuil : définition du concept

Avant d'aller plus loin, il importe de spécifier ce qu'embrasse exactement le concept de deuil. Ce processus de réorganisation de la psyché, étiré sur une période temporelle plus ou moins étendue, est, chez l'individu, déclenché par la perte d'un objet qui, comme le dit Christian David,

suscite, d'un moment à l'autre, un nouveau régime d'élaboration psychique des sollicitations pulsionnelles relatives à cet objet, et à tout ce qui lui est intimement lié ; un régime d'introversion forcée. Je veux dire qu'il y a passage brutal d'un fonctionnement relationnel à deux dimensions - objectale proprement dite et imaginaire - à un fonctionnement relationnel à une seule dimension. Or cette modification massive, irréversible et imposée par le réel représente déjà en tant que telle et par elle seule, un traumatisme, la source d'une certaine déstructuration, plus ou moins accentuée, plus ou moins éphémère et bien compensée, du sujet. (229)

Dans les premiers temps de la crise, lorsque le deuil est mené de manière saine, de façon, selon la théorie freudienne, à ne pas dégénérer en mélancolie, la perte et le manque sont pleinement ressentis par le moi, et la douleur apparaît « comme une des expressions de la blessure narcissique que la perte des objets aimés nous inflige ; nous sommes en danger d'être à notre tour entraînés dans la mort par cette partie de nous-même intimement liée à l'objet » (Hanus 14).

La première phase du deuil : souffrance et déstructuration

Décrit à plusieurs années de distance par Cohen1 :

Je suis malheureux, Maman, et tu ne viens pas. Je t'appelle, Maman, et tu ne réponds pas. Ceci est horrible car elle m'a toujours répondu et elle accourait si vite quand je l'appelais. Maintenant, fini, à jamais silencieuse. Silence entêté, surdité obstinée, terrible insensibilité des morts (87),

ce régime d'introversion forcée, dans les premiers temps de la phase la plus pleinement douloureuse, se situe, pour l'individu, aux antipodes de toute distanciation prise par rapport à l'événement. Il n'est alors en aucune manière question - et ce pour chacun des quatre auteurs étudiés - de rendre compte, par quelque moyen que ce soit, littéraire ou autre, de ce que Handke nomme des « états d'épouvanté si brefs que pour eux le langage arrive toujours trop tard» (1975 : 56). Comme Peyrefitte qui, dans son amour des anciens, se plaît à reprendre (76) le mot de Sénèque : Magni dolores stupent, afin d'expliquer comment, causé par le spectacle du cadavre de sa mère, qui ne lui « paraissait avoir de commune mesure avec rien » (76), son malheur le « laissait sans larmes, parce qu'il dépassait soudain la mesure de tout » (67), Annie Ernaux ne peut donner une description lucide de cette première période d'à peu près totale incapacité intellectuelle et physique qu'ultérieurement, alors que la plus extrême déstructuration appartient à un passé qui, duratif, comme l'indique la conjugaison des verbes à l'imparfait, n'en est pas moins révolu, et dont il est donc possible, puisqu'il n'affecte plus directement la situation d'écriture, de faire usage en tant que matériau du traitement littéraire :

Dans la semaine qui a suivi, il m'arrivait de pleurer n'importe où. En me réveillant, je savais que ma mère était morte. Je sortais de rêves lourds dont

1 . Publié en 1954, soit dix ans après la mort maternelle, Le livre de ma mère est le fruit d'une suite de réécritures d'un texte beaucoup plus court intitulé Chant de mort, composé en Angleterre et publié pendant l'Occupation.

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je ne me rappelais rien, sauf qu'elle y était, et morte. Je ne faisais rien en dehors des tâches nécessaires pour vivre [...]. (1987 : 26)

S'il est vrai que toute « perte actuelle, qu'il s'agisse de la mort d'une personne aimée ou d'une renonciation narcissique, renvoie inéluctablement le sujet à l'ensemble de ses deuils précédents » (Amar et al. 7), la lecture des textes révèle, de manière tout à fait transparente, que, pour chacun des auteurs, le décès maternel déclenche un état de traumatisme qui, sur le plan existentiel, ne saurait souffrir de comparaison avec aucun autre, sinon pour montrer à quel point il les dépasse tous en profondeur et en gravité. Comme Peyrefitte, qui voyait dans la mort de sa mère, ultime barème de ce que peut représenter pour quelqu'un la douleur de la perte, « le deuil qui pouvait le plus profondément [le] toucher» (213), Annie Ernaux écrit : «Toutes les peines vécues n'ont été que des répétitions de celle-là» (1997 : 104). Le caractère exceptionnel de cette douleur découle de celui, tout aussi exceptionnel, de la figure maternelle, qui, j'y reviendrai, parce qu'elle joue un rôle unique et essentiel dans la formation, chez le sujet, du sentiment identitaire, représente, dans les schemes de l'imaginaire, le lieu irremplaçable d'une possible rencontre intersubjective, dont la complétude, réponse la plus achevée aux besoins d'échanges affectifs et intellectuels, marque, une fois perdue, l'entrée, que rien ne pourrait empêcher ou détourner, dans une existence vouée, telle que la décrit alors Cohen, ce « milliardaire de l'amour reçu [...] devenu clochard » (95), à une irrémédiable insécurité solitaire : « Elle m'a porté pendant neuf mois et elle n'est plus là. Je suis un fruit sans arbre, un poussin sans poule, un lionceau tout seul dans le désert, et j'ai froid » (119).

Outre l'abandon à soi-même, césure imposée entre le moi et le monde, la mort de la mère provoque une profonde scission au sein même de la personnalité de l'endeuillé. Bien que, comme l'ont montré, entre autres, maintes œuvres de la littérature dite psychologique, ainsi que de nombreux travaux psychanalytiques, l'unité du sujet cartésien soit, comme l'écrit Régine Robin, « un mythe du passé » (1997a : 16), du point de vu (livresque) de celui qui a subi la perte d'une mère, le deuil représente le moment où le moi passe véritablement, de manière perceptible et concrète, de la cohérence à la fragmentation. Handke exprime comment tout ce qui lui venait de sa mère, l'ensemble des images léguées depuis la petite enfance, fortement constitutif de la représentation que, de tout temps, il se faisait de lui-même, a eu tendance, dans la première phase du deuil, à se démembrer et à lui devenir étranger, s 'éloignant subitement du centre de sa personne, un peu à la manière de la disparue :

[...] j'avais de ces « états » quelquefois : les représentations quotidiennes, qui ne sont après tout que les répétitions indéfiniment rabâchées de représentations originelles vieilles de plusieurs années et de dizaines d'années, se dissociaient soudain, la conscience faisait mal devant le grand vide qui s'y était brusquement installé. (1975 : 14-15)

Brisure dans le continuum de la personnalité, ce deuil provoque le passage d'une faille qui sépare, en les opposant, deux périodes distinctes de la vie. Alors que la première est marquée du sceau positif de l'enfance, symbole de la vitalité, de la naïveté originelle et du rattachement plénier aux sources, véritable âge d'or de la personnalité, la seconde appartient à l'autre versant de l'existence : celui de la décrépitude, de l'isolement, de l'absence de satisfactions et de la recherche d'une compréhension, d'une unité de soi et du monde qui ne se laisse plus saisir. Annie Ernaux, Peyrefitte et Cohen remarquent de manière semblable qu'avec la mère, c'est toute une partie d'eux-mêmes qui s'en est allée pour ne plus revenir :

Je n'entendrai plus sa voix. C'est elle, et ses paroles, ses mains, ses gestes, sa manière de rire et de marcher, qui unissaient la femme queje suis à l'enfant

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que j'ai été. J'ai perdu le dernier lien avec le monde dont je suis issue. (Ernaux 1987 : 106)

Un enfant, je l'étais un peu à mes propres yeux tant que ma mère existait. À partir d'aujourd'hui, je ne suis plus, hélas ! qu'un homme. (Peyrefitte 1 13)

Ton enfant est mort en même temps que toi. Par ta mort, me voici soudain de l'enfance à la vieillesse passé. (Cohen 54)

Comme le remarque explicitement Peyrefitte, mais aussi Ernaux et Cohen, la mort de la mère, c'est la découverte, désormais impossible à ignorer, de l'irrémédiable marche vers sa propre fin : « Je suis seul pour affronter un destin avec lequel je confonds le mien propre » (Peyrefitte 64). Gérer la douleur

Dans pareilles conditions, la signification accordée par l'écrivain à son travail littéraire ne peut qu'être ambiguë. Si l'acte d'écriture, cette forme d'agir constructif et volitif orienté vers la réalisation d'un double objectif : la création d'une œuvre et la sortie d'un état dépressif, tous deux situés dans l'avenir, succède à la toute première phase de la douleur, il n'en est pas moins marque, par son existence même, que la souffrance est toujours bien vive, active, et que le travail de deuil n'est pas encore achevé, mais lui aussi en pleine voie de réalisation, puisque, comme l'écrit Paul- Claude Racamier, le « non-deuil laisse l'envie indéfiniment béante. Et cette envie barre radicalement la route à toute possibilité créative » (46). Écrire apparaît alors, pour Annie Ernaux, comme une obligation, pas un choix :

Je vais continuer d'écrire sur ma mère. [...] Peut-être ferais-je mieux d'attendre que sa maladie et sa mort soient fondues dans le cours passé de ma vie, comme le sont d'autres événements, la mort de mon père et la séparation d'avec mon mari, afin d'avoir la distance qui facilite l'analyse des souvenirs. Mais je ne suis pas capable en ce moment de faire autre chose (1987: 22)

Pour Cohen aussi, seule la pratique du métier d'écrivain, seuls les mots permettent de gérer les rapports de soi à la perte. La manière dont il entrevoit le rôle de son écriture n'est cependant pas univoque. D'une part, en tant que représentation, le texte met en place, dans le monde extérieur, le seul lieu intermédiaire d'un contact plus ou moins satisfaisant avec la présence intérieure, mémorielle, de la morte, ersatz qui, par ailleurs, se donne lui-même pour insuffisant et factice : « C'est le seul faux bonheur qui me reste, d'écrire sur elle [...]» (Cohen 81). Mais, d'autre part, et paradoxalement, cette extériorisation par le travail littéraire est aussi refoulement conscient, rationalisé, d'une part des affects, objectivation d'une barrière opposée à la résurgence d'images psychiques par trop douloureuses : « Sujet interdit dans la nuit. Arrière, image de ma mère vivante lorsque je la vis pour la dernière fois en France, arrière, maternel fantôme » (Cohen 11). Les deux cas, en apparence opposés, participent pourtant d'un même mouvement, dont la signification profonde, par rapport à l'évolution de l'homme dans le temps, est absolument une et cohérente : la plume, alter ego travailleur de l'auteur, opère, dans tous les aspects de sa production, une activité de vie qui cherche - et qui parvient - à contrer, comme toute autre forme prise par le travail de deuil, la morbidité et la stagnation dans le malheur :

Va, plume, redeviens cursive et non hésitante, et sois raisonnable, redeviens ouvrière de clarté, trempe-toi dans la volonté et ne fais pas d'aussi longues virgules, cette inspiration n'est pas bonne. Âme, ô ma plume, sois vaillante et travailleuse, quitte le pays obscur, cesse d'être folle, presque folle et guidée, guindée morbidement. (Cohen 12-13)

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Handke ne diffère pas. Le besoin d'écrire, à lui seul, marque de son point de vue une première sortie, peut-être éphémère, de l'état de passivité délétère dans lequel il baignait auparavant : « Voilà près de sept semaines que ma mère est morte, je voudrais me mettre au travail avant que le besoin d'écrire sur elle, qui était si fort au moment de l'enterrement, ne se transforme à nouveau en ce silence hébété que fut ma réaction à la nouvelle du suicide» (1975: 11). Cependant, l'auteur autrichien spécifie de manière beaucoup plus précise que Cohen avec son « ouvrière de clarté », le rôle que doit prendre la raison dans la mise en forme littéraire. Cette dernière, véritable projection hors de soi par le travail, se doit de transformer en un ordre signifiant la douleur chaotique d'où elle procède ; comme si l'incompréhension était source de souffrance, et la souffrance pôle attractif du désordre et du non signifiant :

Me mettre au travail : car le besoin d'écrire quelque chose sur ma mère, s'il peut survenir parfois avec une grande violence, est en même temps si confus qu'un effort de volonté sera nécessaire pour que, suivant mon premier mouvement, je ne me contente pas de taper sans arrêt la même syllabe sur le papier. À elle seule, une telle thérapie par le geste ne m'avancerait à rien, elle ne me rendrait que plus passif et apathique. (1975 : 11-12)

Dans ces circonstances d'extrême déstabilisation du moi, écrire pose un système de défense, reprise rationnelle du sens et du contrôle de soi, en opposition à la puissance potentielle de la pulsion de mort et des forces traumatiques. Écrire, c'est, pour Handke, moins un effort de s'auto-halluciner afin de se complaire en compagnie de la disparue, comme c'est en partie le cas, j'y reviendrai, pour Cohen, qu'une tentative de fixer, de réifier par la systématisation intellectuelle, la matière émotive qui, auparavant, ne se laissait pas circonscrire. En menant à bien son texte, en lui donnant cohérence, Handke semble parvenir, en quelque sorte, à prendre du recul, à se détacher de lui- même, pour ainsi se maîtriser ; son écriture a été, successivement, prise de distance par rapport à soi et à la réalité informe de la souffrance, puis réduction (ou apaisement) de cette souffrance par le biais d'une représentation médiane, ordonnée, signifiante, et sur laquelle il lui a été possible de mener un travail objectif et concret :

Depuis que j'ai commencé à écrire, ces états [d'épouvanté] me semblent d'ailleurs lointains et révolus, et c'est probablement parce que j'essaie d'en faire une description très précise. En les décrivant je commence déjà à me les rappeler comme je me rappellerais une période close de ma vie, et me les rappeler et les formuler me demande une telle concentration que les brèves rêveries des dernières semaines me sont déjà devenues étrangères. (1975 : 14)

Une faille entre le Moi et le Monde

Le retour sur soi-même, le travail sur la souffrance et sur les mots, de même que toute période de la vie d'un écrivain consacrée au travail, ne peuvent s'effectuer sans une certaine coupure d'avec le monde environnant. Mouvement d'exclusion d'autant plus marqué ici qu'il se superpose à une réaction normale des premiers temps d'un deuil sévère. L'univers et la vie, dans leur ensemble, ne peuvent avoir, pour l'endeuillé, le même sens avant et après la perte subie. Handke remarque que ce n'est qu'à la suite du suicide de sa mère que, « pour la première fois la nature [lui] apparaissait vraiment impitoyable» (1975 : 114). En route vers le chevet de la mourante, Peyrefitte, lui, avant même d'être fixé sur le décès, ne peut accorder la même signification aux paysages qu'il observe du train, selon qu'il imagine sa mère vivante ou morte. Dans le second cas, tout élément visible ne peut que représenter, par contraste, la vacuité créée par la disparition, l'infranchissable fossé creusé entre sa mère et toute forme de réalité encore accessible :

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Combien ce paysage me paraissait différent ce matin ! Il ne m'annonçait plus aussi sûrement la joie qu'aurait à me revoir ma vieille mère, la joie que j'aurais à la revoir : il me faisait craindre que tous ces lieux et tous ces noms n'existassent plus pour elle, puisque renaissaient mes craintes qu'elle n'existât déjà plus. (Peyrefitte 63)

Pour l'endeuillé, comme Handke, lorsqu'il écrit : « [...] tout à nouveau perd brusquement sa raison d'être » (1975 : 13), le monde physique dans son entier n'est plus, puisque dépourvu de mère, que contingence inapte à répondre aux besoins psychoaffectifs essentiels avivés par le choc de la perte. En inadéquation avec le monde qui l'entoure, l'auteur, de même que tout autre en pareille situation, doit occuper une position médiane entre vie et mort, s'il veut, comme Cohen, garder un semblant de contact avec la personne qui, il le croit alors, peut seule donner sens à son existence : « Fini, fini, plus de Maman, jamais. Nous sommes bien seuls tous les deux, toi dans ta terre, moi dans ma chambre. Moi, un peu mort parmi les vivants, toi, un peu vivante parmi les morts » (32). La personne de l'auteur devient le point où se rencontrent les différents éléments d'une irréconciliable antithèse. Pris entre la vie qui continue de toutes parts et la prégnance interne de la mort, l'endeuillé ne peut, à la merci des apports contraires de ses perceptions et de sa vie intérieure, que chercher à joindre en une même unité signifiante les termes opposés, ce qui, dans les premiers temps, ne peut manquer d'échouer et de provoquer, comme dans certains passages du texte d'Annie Ernaux, une douloureuse impression d'absurdité : « Une femme s'est mise à crier, la même depuis des mois. Je ne comprenais pas qu'elle soit encore vivante et que ma mère soit morte » (1987 : 12). Impression qui, cependant, tend à s'estomper avec la fuite du temps :

Je ne comprenais plus la façon habituelle de se comporter des gens, leur attention minutieuse à la boucherie pour choisir tel ou tel morceau de viande me causait de l'horreur.

Cet état disparaît peu à peu. Encore de la satisfaction que le temps soit froid et pluvieux, comme au début du mois, lorsque ma mère était vivante. (1987 : 21)

Des quatre auteurs, seul Peyrefitte ne manifeste explicitement, dans la période immédiatement postérieure à l'annonce du décès, aucun dégoût de la vie et de la société. Seul à placer de véritables dialogues dans son récit, il ne fait, contrairement aux autres, montre d'aucune difficulté quand vient le temps de se couler dans le rôle conventionnel de l'endeuillé. Cependant, si, avant même que la bière ne soit mise en terre, l'ancien diplomate peut aller jusqu'à se permettre une aventure galante en compagnie d'une «jeune personne» qui, comme il l'écrit, «connaissait un endroit écarté, où d'être homme d'honneur j'eus la liberté» (148), il n'évite le conflit moral, face à lui-même et à son lecteur, qu'au prix d'une théorie qui, derrière un certain jésuitisme de surface, laisse elle aussi transparaître, à sa façon, une scission intérieure et sociale du moi, dans laquelle, parce que seules comptent les afflictions de l'esprit, les significations attribuables à l'ensemble de la sphère corporelle de l'existence sont entièrement disqualifiées :

J'avais souvent constaté combien ces actes physiques, dont la littérature et la société affectent également d'exagérer l'importance, ont peu de prise sur le véritable moi. À peine accomplis, ils ne comptent plus. Le corps s'y est livré tout entier, mais l'âme en était absente, et n'est-ce pas l'âme seule qui fait le péché ? [...] [Je] n'avais jamais pu me juger mieux ni mieux juger la valeur de ces actes que ce soir, dans cette escarmouche galante. Ils n'avaient en rien supplanté ni souillé ma douleur : elle était intacte ; le spectacle

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qu'ils lui avaient donné ne pouvait l'atteindre. Si la vie s'était mêlée à la vie et si de nouveau, elle se mêlait à la mort, cela ne voulait nullement dire que le corps eût raison de l'âme. (148-49)

Dans chacun des trois autres textes, il y a, au niveau social, semblable coupure, mais qui se réalise de manière beaucoup plus nette et marquée. Développant la vieille topique de l'adéquation entre solitude intérieure, lucidité, écriture et vérité, Cohen, tel qu'il se représente lui-même, ne participe à la vie collective que par obligation, et d'une manière détachée. Jamais il ne peut, comme Peyrefitte, mener de front deux existences étrangères l'une à l'autre, régies chacune par leurs règles propres ; il ne se reconnaît qu'une seule vérité, qu'une seule préoccupation, toujours la même, dissimulée au sein d'un monde méprisable et faux qui, comme pour tant d'auteurs avant lui, ne vaut guère mieux qu'un théâtre :

Mais un sosie, un bâtard brillant et sans âme, me remplace immédiatement et se fait admirer à mon grand mépris. Et moi, tandis qu'il parle et fait le gai et le charmant, je pense à ma morte. Elle me domine, elle est ma folie, reine des méandres de mon cerveau qui tous conduisent à elle trônant, en un étrange cercueil vertical, au centre de mon cerveau. (131)

Plutôt que de diviser sa personne entre corps et esprit, Cohen choisit, afin de résoudre l'inconfort de sa position, de s'exclure radicalement du monde des vivants, inutile et insignifiant en regard de la fin obligée de toute vie, de toute civilisation, et de la seule valeur humaine, l'amour véritable, qui, avec son unique dispensatrice, la mère, s'est retiré en un au-delà inaltérable, mais inaccessible : « Leurs politiques éphémères ? Ce n'est pas mon affaire et qu'ils se débrouillent. Leurs nations, dans dix siècles disparues ? L'amour de ma mère est immortel » (93). Le monde, en soi, est injustice, comme si en regard des morts, aux côtés desquels se positionne Cohen, le seul fait d'exister, de commettre ce qu'en plusieurs endroits il nomme le « péché de vie » (175), constituait une infraction au bon goût et à la morale : « Ces gens qui passent devant moi sont inutiles et vivants, salement vivants » (87).

Jusqu'à un certain point conditionné par sa judaïté à considérer la haine générale des collectivités à l'endroit des isolés, Cohen, dans cette situation de deuil qui le rend doublement exclu, rejette de manière plus acerbe que tout autre la socialisation la plus élémentaire, étant donné que, selon lui, chaque « homme est seul et tous se fichent de tous et nos douleurs sont une île déserte » (9). Il ne diffère cependant pas tellement de Handke et d'Emaux dans son dédain pour ce rite socialement consacré, et donc fatalement mensonger, pratiqué par tous ceux qui, comme il l'écrit, « de leurs minces lèvres, m'ont dit leurs condoléances, avec ces mêmes yeux faussement chagrinés que j'ai lorsque, moi aussi, je dis des condoléances » (132). Annie Ernaux perçoit, entre elle et l'entourage même le plus proche de sa mère défunte, une faille, un aspect fondamentalement différent et irréconciliable des perceptions : « On me disait, "ça servait à quoi qu'elle vive dans cet état plusieurs années". Pour tous, il était mieux qu'elle soit morte. C'est une phrase, une certitude, que je ne comprends pas » (1987 : 19). Handke refuse aussi toute forme de sympathies ou de condoléances. Celles-ci, croit-il, menacent l'assise du mythe salvateur d'une souffrance unique et incommunicable. Il est toutefois remarquable que l'écrivain, lorsqu'il incorpore cette idée à son récit, emploie, pour se désigner lui-même, le pronom « on », qui renvoie à la foule anonyme, à tous et chacun, comme si, en faisant une généralité de ce qu'il veut, parmi les autres, préserver de tout partage, il cherchait à rejoindre, par la littérature, la masse des lecteurs, c'est-à-dire de ces humains avec qui il ne peut communiquer par le biais d'un langage direct, qu'il soit oral ou gestuel :

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Le pire en cet instant serait la compassion d'un autre, par un regard, ou par un mot. On détourne aussitôt les yeux ou bien on coupe la parole à l'autre ; car on a besoin du sentiment que ce qu'on éprouve est incompréhensible et ne peut se transmettre : seul aspect sous lequel l'épouvante paraît cohérente et réelle. (1975 : 13)

Ce dernier exemple rend peut-être plus compréhensible le fait de vouloir publier un livre dans un monde social rejeté et presque irréductiblement étranger. Cependant, comme toujours en période de deuil, les sentiments sont ambivalents. Dans ces moments les plus noirs, Cohen ne voit dans son propre livre, en regard de la mort, qu'une autre marque de l'absurdité humaine : « [...] les pages que j'écris en ce moment, les nuits que je passe à les écrire, tout cela est si vain, si pour rien. Je mourrai. Plus de je bientôt» (148). Il croit même, opinion que, par ailleurs, il ne soutient pas - tant s'en faut ! - tout au long du texte, que la publication est impuissante à résoudre l'incompréhension et l'indifférence généralisées : « Que je suis ridicule d'expliquer cet humble trésor de tes deux gestes, ô ma vivante, ma royale morte. Je sais bien que ce que je dis de tes deux gestes n'intéresse personne et que tous, certes, se fichent de tous » (86). Qu'elle permette, ou non, une communication satisfaisante, ce qui, après tout, et quoi qu'il en dise, échappe au contrôle de l'auteur, la parution du livre, sa définitive extériorisation, représente, en tant que retour vers le collectif, la fin du travail de deuil et, donc, symboliquement, une seconde mort de la mère, celle-là intérieure et définitive. La libération, la fin du labeur, est à la fois espérée, puisque chaque nouvelle ligne écrite l'amène à se réaliser, mais aussi redoutée par une part du moi qui ne peut encore s'imaginer le détachement d'avec l'image maternelle, pour qui tout fonctionnement sans celle-ci semble impossible. Le livre joue ainsi un double rôle : espérance d'une libération et d'un futur rapprochement avec autrui, il est, dans le présent de sa rédaction, la marque la plus tangible de ce qui plonge l'auteur dans le deuil et le maintient séparé de son entourage, tous ces gens apparemment inconscients, d'après ce qu'en dit Emaux, de ce que signifie, pour un auteur, une publication : « [...] je suis dans le vrai temps où elle ne sera plus jamais. Dans ces conditions, "sortir" un livre n'a pas de signification, sinon celle de la mort définitive de ma mère. Envie d'injurier ceux qui me demandent en souriant, "c'est pour quand votre prochain livre ?" » (Ernaux 1987 : 69). Abandon de soi à l'intériorité

Le chiasme entre situation d'écriture et vie sociale démontre que, particulièrement pour Ernaux et Cohen, le but, sur un plan strictement personnel, du travail littéraire en cours, dans le présent le plus immédiat de sa réalisation, n'est pas seulement, ni même principalement, tel qu'il se donne au lecteur, de mener à une future publication. Il est d'abord un travail effectué sur soi-même, une exploration, dans un moment de crise, des possibilités, pour l'intériorité, de dépasser les limites qui, de toutes parts, lui sont imposées. Refus de l'irrémédiable perte, de la toute-puissance effective de la mort, la création d'un texte est, pour l'artiste, une forme d'abandon de soi au sein (maternel) d'un espace intérieur où l'imaginaire est seul maître de dicter les règles du possible et de l'impossible. Le deuil, en ce sens, s'il les exacerbe, ne provoque aucune tendance qui n'ait existé auparavant, sous une forme ou une autre, dans les structures mentales des écrivains ; déjà enfant, Albert Cohen, comme il le raconte, croyait qu'il disposait, en lui-même, de l'univers entier : « J'étais sûr que dans ma tête, cirque du monde, il y avait la terre vraie avec ses forêts, tous les chevaux de la terre mais si petits, tous les rois en chair et en os, tous les morts, tout le ciel avec ses étoiles et même Dieu extrêmement mignon » (39). Bien qu'en accord avec l'idée de Régine Robin, selon qui, de manière encore plus marquée et perceptible que pour tout autre, 1'« écrivain est toujours habité par un fantasme de toute-puissance» (1997a: 16),

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cet isolement passager en soi-même n'est pas, et particulièrement en période de deuil, le propre des seuls artistes. Au contraire, pareille tentative d'aller trouver, à même les fonds de l'imaginaire, un possible échappatoire aux douleurs du manque et de la frustration va tout à fait dans le sens de la réponse affective et psychique que chacun donne dans les premiers temps d'une situation qui, telle que la décrit Michel Hanus, représente d'abord une agression contre l'intégrité du moi : « Voilà ce que le narcissisme tout-puissant ne saurait tolérer : se voir imposer une limite, un manque qu'il ressent comme une amputation, une perte de son être qui s'attaque à sa nature, à son essence ; n'étant plus tout-puissant, il ne serait plus lui-même » (19). L'écrivain, par rapport à tous et chacun, diffère seulement en ceci qu'il interagit de manière plus serrée avec son fantasme, qu'il éprouve le besoin de concrétiser celui-ci dans une forme. L'écriture, orientée vers la production d'une œuvre qui va perdurer, est cet objet, tentative de satisfaire, en les extériorisant, les besoins libidinaux et pulsionnels. S'il en va de même pour toute œuvre littéraire, le texte du deuil offre cet avantage de laisser voir avec un minimum de réfraction la nature de la situation qui se trouve à la source du besoin d'écrire. Comme le fantasme de toute-puissance exige, à ce moment, et de manière exclusive, l'impossible présence de la mère, l'écriture va permettre de concrétiser divers stratagèmes imaginaires destinés à contrer les effets du manque essentiel. La production du discours, recherche d'une jouissance onaniste obtenue dans le plus complet retrait du monde environnant, prend alors une allure de clandestinité, et ce surtout chez Cohen, qui décrit dans les plus infimes détails comment il se barricade, de nuit, dans une chambre peu éclairée2, afin de se livrer à ce plaisir « doux comme un péché » : l'écriture. Dans les textes de Handke et d'Emaux, où le discours est toujours adressé au tiers lecteur, la présence réactivée de la morte ne prend corps que de manière implicite et réfractée, essentiellement dans le récit biographique de son existence révolue. Emaux ne se trompe cependant pas quant à ce qui, sur le plan de l'imaginaire prévalent, la motive réellement à faire le récit de cette vie passée : « On ne sait pas que j'écris sur elle. Mais je n'écris pas sur elle, j'ai plutôt l'impression de vivre avec elle dans un temps, des lieux, où elle est vivante » (1987 : 68). Cohen aussi écrit pour ressentir auprès de lui cette présence :

Si belle elle est, ma mère morte, que je pourrais écrire pendant des nuits et des nuits pour avoir cette présence auprès de moi, forme auguste de mort, forme allant lentement auprès de moi, royalement allant, protectrice encore qu'indifférente et effrayamment calme, ombre triste, ombre aimante et lointaine, calme plus que triste, étrangère plus que calme. (116)

Si, pour chacun, l'acte d'écrire à lui seul suffit à briser les barrières de la séparation, Ernaux et Cohen n'en diffèrent pas moins sur un point essentiel : alors que la première, comme Handke, se projette, par le moyen de divers documents, de photos et de l'écriture, vers la réalité révolue du temps et du lieu où existait sa mère, le second, lui, fait apparaître sa défunte dans le présent de renonciation. À plusieurs reprises, il fait d'elle l'une des destinataires explicites de son discours. Bien sûr, l'apostrophe est une figure rhétorique des plus utilisées qui n'est pas sans servir à constituer, aux yeux du lecteur potentiel, l'ethos de l'énonciateur. Dans une forme de prière de la révolte, Cohen (auteur sécularisé en constante lutte avec le sentiment religieux qui l'habite) peut exprimer, en semblant s'adresser à Dieu, l'ampleur de son refus de l'ordre du monde (l' auto-attribution d'une position d'égalité en face du Créateur est d'ailleurs,

2. Passage qu'un bon psychanalyste de la littérature ne manquerait pas d'associer au fantasme de retour à l'utérus, particulièrement de mise dans chacun de nos quatre textes !

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depuis l'épisode de l'Eden, la forme pour ainsi dire classique prise, en contexte judéo- chrétien, par le désir de toute-puissance) : « Je veux, si Tu es Dieu, prouve-le, je veux être malade et qu'elle m'apporte des médicaments à elle [...] » (119). Il n'en demeure pas moins vrai, à mon sens, sur un certain plan de l'imaginaire, que lorsque le texte installe une situation communicationnelle dans laquelle la mère joue le rôle de récepteur, c'est, pour une très large part, que l'auteur fantasme d'un pouvoir de restaurer la communication exclusive, qui serait encore opérationnelle, entre lui et la disparue. Que penser, par exemple, de Colette, qui, dans Mes apprentissages, raconte comment, même longtemps après la mort de Sido, elle ne pouvait s'empêcher de continuer à lui envoyer du courrier : « Et pourquoi cesser de lui écrire ? M 'arrêter à un obstacle aussi futile, aussi vainement interrogé que la mort ? » (1054). Cohen agit de manière semblable avec Le livre de ma mère. Bien sûr, ce dernier, contrairement aux cartes postales de Colette, est destiné à la publication, mais n'aurait pas été entrepris sans le fantasme de la présence maternelle, sans le besoin pressant de croire pour un temps, et tout en sachant sur le plan de la raison qu'il s'agit d'une illusion, au pouvoir tout-puissant de l'écriture. Comme Colette, mais peut-être moins exclusivement, Cohen écrit bel et bien pour sa mère, dans le besoin de narguer la mort, de dépasser l'inéluctable ; seul le refus de la séparation peut lui faire écrire : « Chérie, ce livre, c'est ma dernière lettre » (76).

Période de forte fragmentation, le deuil, particulièrement dans les premiers temps, est marqué par une lutte, une tension constante entre les pulsions fantasmatiques et les décrets de la raison, dans laquelle ces derniers, d'abord déboutés, ne peuvent que peu à peu reprendre le dessus. Si la mise en une forme communicationnelle ponctue le dernier mot et la victoire de l'intellect, seul producteur de cohérence rationnelle, de nombreux indices, dans les textes, laissent percevoir la prévalence passée de la sphère inconsciente dans l'articulation et la gestion des rapports du moi conscient aux modes de la représentation psychique. Les textes de Cohen et d'Emaux évoquent de quelle manière l'acte d'écriture ouvre l'accès à un espace de rêverie fantasmatique, dans lequel peut être psychologiquement ressentie la présence maternelle. Il est également notable, et particulièrement significatif à mon propos, que chacune des quatre œuvres accorde une place importante aux récits de rêves proprement dits. Plus que toute autre réaction de la psyché, les songes laissent filtrer, dans la sphère de la conscience rationnelle, les opérations à l'œuvre dans les tréfonds inaccessibles. En faire le récit est une manière de reporter directement dans la forme écrite, de faire participer au récit et au cheminement rationnel, ce qui, autrement, resterait hors de toute possibilité d'appréhension. Selon la typologie établie par Freud dans son essai Sur le rêve, il est assez facile de classer les songes relatés par Cohen. Ils appartiennent tous principalement à la catégorie, de type infantile, des accomplisseurs non voilés de désir non refoulés. Dans une situation de manque extrême, le sujet adulte peut en effet, comme l'explique la psychanalyse, se reconnaître, sans problème ni refoulement, un désir, et rêver que celui-ci trouve satisfaction3. L'auteur désire ardemment sa mère, et se retrouve en sa compagnie au cours de la nuit :

Dans mon sommeil, qui est la musique des tombes, je viens de la voir encore, belle comme en sa jeunesse, mortellement belle et lasse, si tranquille et muette. Elle allait quitter ma chambre et je l'ai rappelée d'une voix hystérique qui me faisait honte dans le rêve. Elle m'a dit qu'elle avait des choses urgentes à faire, une étoile juive à faire coudre sur l'ours de

3 . Dans son essai, Freud donne l'exemple des membres d'une expdition en Arctique qui, rationnés, rêvaient régulièrement de festins et de montagnes de tabac.

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peluche qu'elle avait acheté pour son petit garçon peu après notre arrivée à Marseille. Mais elle a accepté de rester encore un peu, malgré l'ordre de la Gestapo. « Pauvre orphelin », m'a-t-elle dit. Elle m'a expliqué que ce n'était pas sa faute si elle était morte et qu'elle tâcherait de venir me voir quelquefois. [...] Je me suis réveillé et toute la nuit j'ai lu des livres pour qu'elle ne revienne pas. Mais je la rencontre dans tous les livres. Va-t'en, tu n'es pas vivante, va-t'en, tu es trop vivante. (113-14)

Malgré son apparente cohérence, et la grande clarté significative de ses éléments symboliques, le passage précédent laisse toutefois voir une double fonction et une nature fortement ambivalente de ce type de rêve. Comme dans le texte de Peyrefitte, qui débute par un songe dans lequel l'auteur voit sa mère lentement disparaître, le rêve de Cohen exprime, d'une part, le désir de revoir la morte, de vivre encore en sa compagnie, mais, d'autre part, il marque aussi le passage du sujet vers un progressif détachement, un état d'acceptation de la situation, et même de refus d'un éventuel retour. Comme l'acceptation de la mort, et même la forme de satisfaction que celle-ci, après coup, peut apporter, sont presque inévitablement jugées inacceptables et refusées par le conscient, elles sont le plus souvent refoulées, et ne peuvent apparaître dans le rêve (comme, d'ailleurs, dans le discours qui en rend compte) que de manière fortement réfractée. L'éveil et l'angoisse qui résultent du rêve précédemment cité dénotent d'ailleurs, toujours selon la théorie freudienne, les différentes (et classiques) stratégies utilisées par le conscient afin de se débarrasser de contenus irrecevables qu'une insuffisante censure a laissé filtrer. Comme dans le passage suivant, où est relatée l'itération d'un même type de rêves, le seul véritable déplacement4 qui se retrouve dans le passage du Livre de ma mère précédemment cité reporte la réaction d'éloignement, de prise de distance de l'endeuillé, sur le compte de la morte, comme si c'était elle qui se détachait de son fils toujours vivant, et non l'inverse : « Elle est aimante dans ces rêves, mais peut-être moins que dans la vie, douce mais un peu étrangère, tendre mais non passionnée, affectueuse mais avec une évasive affabilité et une lenteur dans la parole que je ne lui connaissais pas. On me l'a changée chez les morts »(117). Sans différer pour l'essentiel, Handke, lui aussi, opère, dans son récit, une triple superposition des différentes phases du travail de deuil, de rêve et d'écriture. Le rêve dont il fait le récit marque, comme dans les autres textes, le passage de l'oppression à la libération. Le déplacement est cependant ici beaucoup plus fort ; la très grande abstraction du rêve (que renforce peut-être sa mise en récit) ne laisse percevoir que par connotation et de manière latente ses contenus véritables :

Et cette fois quelque chose de très réconfortant : j'ai rêvé que je ne voyais que des choses dont la vue causait une douleur insupportable. Tout à coup quelqu'un venait et leur retirait tout simplement ce qu'elles avaient de douloureux, comme on retire UNE ATTAQUE QUI N'A PLUS D'OBJET. La comparaison aussi était rêvée. (Handke 1975 : 121)

Le départ de la mère est en cours d'acceptation, mais il faut encore à la psyché le temps d'accepter cette acceptation avant que le travail de deuil, et d'écriture, ne puisse prendre fin. Une fois le détachement rationnellement reconnu et admis, l'auteur dont le travail de deuil a été mené à terme peut, comme Emaux, clore son récit en parlant au passé, et en unissant les deux éléments dans une même courte phrase, ce qui a pour effet d'accentuer leur rapport d'interaction : « Pendant les dix mois où j'ai écrit, je rêvais d'elle presque toutes les nuits » (1987 : 104).

4 . Transformation opérée par la censure du conscient afin de rendre au sujet le contenu véritable du rêve plus acceptable, toujours selon Freud.

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La dialectique identitaire passé-présent

Outre les clivages entre individu et société, ainsi qu'entre les sphères du conscient rationnel et de l'imaginaire fantasmatique, une troisième scission au sein du sujet, peut-être la plus importante, sévit d'une manière particulièrement active en temps de deuil, et sert, par le fait même, à organiser la matière textuelle. Entre présent et passé s'installe une dialectique dans laquelle le premier ne peut recevoir sens et s'ouvrir vers l'avenir que dans la mesure où un travail concluant aura été opéré sur le second. Pris en tant que matière constituante de l'identité mémorielle, ce passé, dans l'ensemble des perceptions qu'a tout individu de lui-même et du monde environnant, joue un rôle dont l'importance, d'ailleurs prépondérante, est, en temps de deuil, décuplée. Gomme l'écrit Nadine Amar :

Le retour au passé, la répétition des expériences vécues avec l'objet intriquent le passé au présent, revivifiant le recours aux processus primaires. Il n'y a pas de croissance psychique possible sans ces mouvements successifs de désinvestissements et de réinvestissements. La capacité de faire un deuil est le prototype de tout changement. (7)

Chez Cohen, qui se « souvien[t] insatiablement » (164), s'installe un profond déséquilibre entre un passé plein, idyllique, dans lequel existait la mère, et un présent dépourvu de mère, pour un temps vide de toute matière, sinon de la mémoire d'une époque révolue. La situation d'écriture, de même que l'ensemble de la vie de l'auteur sont littéralement gelés par l'irruption incessante des souvenirs qui s'imposent, retirant au présent toute substance, et détournant irrésistiblement l'auteur de ce qui n'est pas eux : « Mais seuls les souvenirs arrivent. Les souvenirs, cette terrible vie qui n'est pas de la vie et qui fait mal» (164). Dans ces passages de Cohen, la mémoire, elle-même incluse dans un mouvement évolutif, est, pour un temps, cause de disfonctionnement et de l'abandon de soi-même dans un désir de fusion. Les affects

personnels perdent leur autonomie : ils deviennent inséparables de ceux attribués à l'objet intériorisé. Le moi et la raison sont, dans les premiers temps, obnubilés par la contemplation morbide d'un passé résurgent : « Le terrible des morts, c'est leurs gestes de vie dans notre mémoire. Car alors ils vivent plus atrocement et nous n'y comprenons plus rien » (85). Avec Peyrefitte, un progrès se laisse sentir. Dans son texte, la remémoration s' étage sur deux paliers : un premier retour au passé, qui eut lieu au chevet de la morte, sert de base à un second retour, qui a lieu plus tard, au moment de la mise en récit. Cette écriture, remémoration d'un moment de remémoration, permet à Peyrefitte de constater le lent effacement des souvenirs, et avec eux, de l'acuité de la souffrance : « II me semble, à présent, voir deux fois mortes ces images d'un passé lointain. Mais on eut dit que je leur offrais une dernière chance de ressusciter un instant » (136). Alors que les passages cités de Cohen montrent comment, dans un premier temps, la mémoire représente une atrocité dont il faut passivement subir la présence inaltérable, l'extrait de Peyrefitte, lui, montre le second versant, c'est-à-dire comment cette même mémoire a tôt fait de s'éclipser, et comment, alors, tout se renverse. Un effort doit être fourni pour pouvoir, encore un instant, cohabiter avec un passé dont la présence intérieure se fait evanescente, donc inoffensive, et qui, de ce fait, acquiert une connotation positive.

L'effet produit par le passé qui, un temps, s'impose, peut et même doit changer. Cependant, sa signification, elle, a plutôt tendance à se figer dans une certaine univocité. C'est que la figure maternelle joue un rôle primordial dans la compréhension que chacun peut avoir de lui-même. La mère est à la fois source de l'identité et de toute tradition d'appartenance. Une tâche essentielle de sécurisation incombe, de ce fait, au sujet endeuillé : trouver, alors qu'elle n'est plus susceptible de transformation ultérieure, le sens de cette vie révolue. Accorder au souvenir de la mère,

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à l'image mémorielle qui en reste, une signification éthique et cohérente, c'est, pour l'endeuillé, une tentative de fixer de manière définitive la compréhension que, dorénavant, il pourra avoir de sa propre personne, en s' attribuant, à lui-même, une origine clairement circonscrite. La mère, c'est la langue, la religion et l'ensemble de la culture de base, la source première de tout ce qui, de l'extérieur, a pu, au cours des premières années de la vie, façonner le Moi d'une manière particulière. Pour Cohen, par exemple, la mère, c'est toute la tradition juive, tout ce qui fait de lui, par rapport à l'univers social dans lequel il baigne, une personne autre. Accepter cet héritage, c'est accepter un devoir identitaire de continuité et de transmission des valeurs : << [...] toi tu es un Cohen, de la race d' Aaron, le frère de Moïse notre maître » (29). À travers celle qui transmet cette obligation, c'est, en quelque sorte la judéité, sa judéité, qu'Albert Cohen essaie de sublimer : « [...] mon obéissante mère se laissait convaincre et me racontait d'infinies histoires douloureuses ou bouffonnes du ghetto où je suis né et je ne les oublierai jamais » (92). Parler de celle qui, au niveau imaginaire et symbolique, représente le stade de fusion primitive, de celle qui est liée de près à chacune des étapes du développement de la personnalité, à chacun des quatre fantasmes fondamentaux, cet « ensemble des solutions que l'homme peut inventer face aux énigmes du monde » (Bizouard 17), parler d'une telle personne, c'est, inévitablement, d'une manière ou d'une autre, parler de soi. Dans Une femme, Annie Ernaux écrit, à propos de sa mère : « Elle est la seule femme qui ait vraiment compté pour moi » (22). Et, dans un autre texte : « Jamais femme ne sera plus proche de moi, jusqu'à être comme en moi » (1997 : 22). Dans une entreprise semblable à celle de Handke : tracer, dans le plus grand désengagement émotif possible, la biographie maternelle, Ernaux constate qu'il est difficile, voire impossible, et pour ainsi dire contre-nature, de chercher à prendre du recul face à sa mère. L'écri vaine prend conscience que l'un des plus grands obstacles à la réalisation de ce projet, c'est la très grande difficulté de traiter, dans le détachement, et d'un point de vue « objectif», de celle qui lui a toujours été et lui est encore largement consubstantielle : « C'est une entreprise difficile. Pour moi, ma mère n'a pas d'histoire. Elle a toujours été là » (1987 : 22). Le travail sur l'écriture du deuil fait prendre conscience à chacun des auteurs, mais avec une acuité particulière pour Peyrefitte et Cohen, de la part prépondérante d'égoïsme qui joue dans la douleur de la perte. L'apitoiement porte moins sur le fait qu'un autre ait pu subir le malheur de mourir, que sur la solitude qui en résulte pour celui qui est toujours vivant. Ce qui est avant tout pleuré, comme le remarque Cohen, c'est la disparition d'un regard unique et irremplaçable porté sur soi, qui est comme une partie de soi : « Pleurer sa mère, c'est pleurer son enfance. L'homme veut son enfance, veut la ravoir, et s'il aime davantage sa mère à mesure qu'il avance en âge, c'est parce que sa mère, c'est son enfance. J'ai été un enfant, je ne le suis plus et je n'en reviens pas » (33). Lorsqu'il voit sa mère étendue, et lorsqu'il en fait le récit, Peyrefitte focalise sur sa mère, bien sûr, mais, lui aussi, dans la perspective exclusive des rapports de celle-ci avec le fils. Comme dans le texte de Cohen, cette femme n'est jamais perçue en tant que sujet indépendant et autonome ; son existence, pour l'écrivain, est toujours limitée à son rôle de mère. Lorsqu'il pense à elle, Peyrefitte ne peut, comme Cohen, s'empêcher d'opérer une translation, et de s'attendrir, finalement, sur une image de lui-même :

À travers tous ces souvenirs, n'est-ce pas moi que je pleure ? [...] C'est une partie de ma vie qui disparaît avec ma mère. Je suis le dernier témoin de mon passé ; il n'y a plus personne après elle, pour me rappeler ce que je fus, ce que j'ai aimé à cause d'elle, à côté d'elle, loin d'elle, malgré elle. C'est aujourd'hui que je me représente dans toute sa plénitude ce que signifie ce

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mot de « maman », que j'ai eu le bonheur de pouvoir prononcer pendant près de quarante ans. (104)

Pour le sujet, la mère est l'autorité parentale. Bien que, traditionnellement, les discours psychanalytique et littéraire aient tendance à associer Loi et figure paternelle, il ne faut pas minimiser, à mon avis, le rôle également joué, en ce domaine, par la figure féminine. Annie Ernaux n'écrit-elle pas : « Des deux [parents], elle était la figure dominante, la loi » (1987 : 59)? Pour l'enfant, la mère, comme le père, représente un ensemble plus ou moins cohérent de principes, une échelle axiologique de valeurs, acceptée ou rejetée selon les différentes époques de l'existence. Ce complexe moralisant intériorisé sert, rétrospectivement, de point de référence, de degré zéro comparatif dans un système d'évaluation binaire, par rapport auquel toute phase antérieure de la vie, de même que la situation présente, reçoit, selon qu'elle y est opposée ou rattachée, une signification négativement ou positivement connotée. La position infantile, chez Ernaux (elle me sert ici de modèle - les trois autres auteurs ne diffèrent pas), est le point premier et non ambivalent d'une fusion intimement vécue. La mère y est le modèle, l'idéal à atteindre : « Rien de son corps ne m'a échappé. Je croyais qu'en grandissant je serais elle » (1987 : 46). Le rapport d'union, non problématique, est perçu, et décrit, de manière positive. Vient ensuite la phase de la maturité : d'abord la puberté, marquée par un vif mouvement de retrait et d'opposition : « À l'adolescence, je me suis détachée d'elle et il n'y a plus eu que la lutte entre nous deux » (1987 : 60). Prise de distance qui perdure tout au long de la vie adulte, et ce d'autant plus que la part fondamentale des acquis maternels continue à faire sentir son influence : « J'avais honte de sa manière brusque de parler et de se comporter, d'autant plus vivement que je sentais combien je lui ressemblais. Je lui faisais grief d'être ce que, en train d'émigrer dans un milieu différent, je cherchais à ne plus paraître » (1987 : 63). La mère est alors ce de quoi il faut savoir se différencier. Il s'agit de la première forme persistante d'autonomisation et d'individuation de soi. Celle-ci, comme l'explique Elisabeth Bizouard, constitue, dans tout processus d'évolution personnelle, un acquis important : « Le "non" est fondateur de la possibilité d'investissement ou d'appropriation authentiques. Considérables sont les difficultés rencontrées par l'être humain lors de ce double mouvement de refus et d'appropriation » (36). La prise de distance, justifiée, et même obligatoire, n'en est pas moins instauration de rapports de distanciation et d'opposition qui, complexes, apportent forcément, en temps de deuil, une ambivalence importante dans la nature du regard posé sur la défunte ainsi que sur soi-même. Ernaux en a conscience. Elle est d'ailleurs la seule, dans son texte, à ne pas simplifier l'image maternelle en mettant toute la « faute » sur le compte de sa propre personne :

En écrivant, je vois tantôt la « bonne » mère, tantôt la « mauvaise ». Pour échapper à ce balancement venu du plus loin de l'enfance, j'essaie de décrire et d'expliquer comme s'il s'agissait d'une autre mère et d'une fille qui ne serait pas moi. Ainsi, j'écris de la manière la plus neutre possible, mais certaines expressions (« S'il t'arrive un malheur ! ») ne parviennent pas à l'être pour moi, comme le seraient d'autres, abstraites (« refus du corps et de la sexualité » par exemple). Au moment où je me les rappelle, j'ai la même sensation de découragement qu'à seize ans, et, fugitivement, je confonds la femme qui a le plus marqué ma vie avec ces mères africaines serrant les bras de leur petite fille derrière son dos, pendant que la matrone exciseuse coupe le clitoris. (1987: 62)

Chacun des trois autres auteurs (peut-être, en partie, parce que ce sont des hommes) réagit, sur ce point, de manière radicalement opposée. À la suite de la mort, chez eux, la signification attribuée à la figure maternelle se renverse à nouveau. Peut-

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être l'enfant est-il mort avec la mère, il n'en demeure pas moins que la première phase du deuil est marquée par une forte tentative, vouée à l'échec il va sans dire, de retour à la position infantile de fusion. Cohen va, en ce sens, jusqu'à désirer le complet anéantissement de son identité propre, tant est fort, chez lui, ce « fantasme d'éternité, propre à l'union fusionnelle asexuée, se plaçant hors du temps » (Bizouard 79) : le désir de former, avec la mère, un tout symbiotique. Cohen semble répugner à tout ce qui, en lui-même, le différencie d'elle :

Tout éveillé, je rêve et je me raconte comment ce serait si elle était en vie. [...] Je me ferais une âme nouvelle, une âme de petite vieille comme elle pour qu'elle ne soit pas gênée par moi et qu'elle soit tout à fait heureuse. [...] Deux vieilles sœurs, elle et moi, et pendant que l'une égoutterait les macaronis, l'autre râperait le fromage. [...] elle et moi, nous regardant gentiment, deux vraies petites vieilles, si aimables et confortables et sincères, deux petites reinettes, deux malignes et satisfaites, avec pas beaucoup de dents mais bien coquines, moi par amour cousant comme elle, ma Maman et moi, copains jurés, causant ensemble, ensemble éternellement. Et c'est ainsi que j'imagine le paradis. (122-23)

Parce que, du fait de la disparition, elle prend pour un temps une importance intérieure accrue, il faut que l'endeuillé, d'une manière ou d'une autre, puisse à nouveau être en accord avec l'image intériorisée, support de la loi maternelle. « Lagache dit, fort pertinemment, que "dans le conflit ambivalentiel du survivant avec le mort, le mort joue le rôle d'une autorité morale qui est pour la mort et contre la vie : le mort est le siège d'une identification projective du Surmoi" » (David 233). Il s'agit alors, pour l'auteur, de distordre la réalité psychique afin de restaurer une relation non conflictuelle avec la signification qui a été attribuée à la figure maternelle, et ce au prix d'un lourd sentiment de culpabilité. Cohen, à propos d'une nuit passée en compagnie d'une autre femme, écrit : « Vengé de moi-même, je me dis que c'est bien fait et que c'est juste queje souffre, moi qui ai fait, cette nuit-là, souffrir une maladroite sainte, une vraie sainte, qui ne savait pas qu'elle était une sainte » (75). Dans le texte de Peyrefitte, auteur qui, lui aussi, se différencie essentiellement de sa mère par ses croyances religieuses, son célibat et son mode de vie sexuel dissolu, s'installe, dans la perception autobiographique de la vie passée, une perspective manichéenne, fortement simplificatrice, dans laquelle ce qui peut être rattaché à la ligne de conduite maternelle est positivement connoté, tandis que tout ce qui s'en écarte est dévalué : « À celle qui me préférait à tout, j'avais préféré des liaisons passagères, des ambitions inutiles, une trompeuse indépendance. Je sais que sa mort ne changera pas ma vie et cette vie ne m'inspire qu'un immense dégoût » (214-15). La mère est à ce point sublimée par Peyrefitte qu'elle s'oppose, non seulement à la vie passée de son fils qui, en complémentarité, reçoit tout le stupre, mais aussi à l'ensemble du monde physique. La femme n'est plus, dans le portrait littéraire, qu'une forme angélique et spirituelle ; tout ce qui pourrait la rattacher à l'existence corporelle (besoins physiques, désirs égoïstes...) lui est nié. Les quelques citations suivantes, choisies parmi la multitude qui parsème le texte, montrent que, paradoxalement chez un auteur qui prétend ne vénérer que les dieux antiques, c'est un imaginaire chrétien des moins dilués qui donne corps à chacun des aspects constitutifs du portrait maternel. Aucun autre auteur, sauf peut-être Cohen, ne va aussi résolument loin dans cette voie :

[...] elle se savait toujours en état de paraître devant Dieu. (119)

Sa naïveté était faite de pureté, autant que de bon sens : elle ignorait l'existence du mal, parce qu'elle était convaincue que le bien finit par triompher. (145-46)

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[...] elle avait une échelle des valeurs, fondée à la fois sur sa mystique et sur son absence de besoins. (146)

Le monde où vivait son esprit, ressemblait si peu au monde, que c'était un enchantement d'abonder dans ses convictions. (199)

Ce qu'ils portent en terre, c'est plus qu'une femme étendue dans un cercueil : c'est un univers de foi et de sagesse, d'humilité, de simplicité, de douceur, qui achève de disparaître en face d'un univers de violence, de haine et de prétentions. (203-04)

Sur le plan de la religion et de la rectitude morale, tant dans l'image qu'il donne de la disparue que dans celle, qu'en contrepartie, il donne de lui-même, Cohen ne diffère pas de Peyrefitte : « Cette femme, qui avait été jeune et jolie, était une fille de la Loi de Moïse, de la Loi morale qui avait pour elle plus d'importance que Dieu. Donc, pas d'amours amoureuses, pas de blagues à l'Anna Karénine» (19). Nullement extraordinaires, une semblable épuration de l'image maternelle, ainsi qu'une pareille soumission à la loi qu'elle représente, toutes deux sans équivalent au cours de la vie adulte passée, trouvent assez facilement leur explication. Christian David écrit que « l'idéalisation au sens strict constitue une défense - par renversement - à l'égard de la haine ou de la dévaluation inconscientes de l'objet, c'est-à-dire en fin de compte à l'égard de composantes personnelles inacceptables » (159). Et, tout aussi intéressant, du même auteur : « II est vrai aussi je crois que cette idéalisation, dans la mesure où elle réalise une sorte de momification mentale du disparu, permet une désidentification libératrice, tout au moins une certaine prise de distance et donc un début de détachement » (243). Dans cette perspective, plutôt que la recherche de lucidité et de nuance, comme c'était le cas avec Emaux, l'œuvre littéraire agit, en occupant l'espace d'une parole fixée, univoque et objectivement extériorisée, comme un complément des masques tendus par la censure psychique afin d'atténuer, dans une certaine mesure, la souffrance ; de préserver au sujet, déjà fragilisé par la perte, la possibilité d'un rapport conscient acceptable à soi-même et au souvenir de la disparue ; d'amorcer implicitement (comme dans le rêve) un premier mouvement de l'endeuillé vers la reconquête de son autonomie.

En face de la pureté, de la sainteté de la mère, se trouve un fils (ou une fille) coupable et indigne. Cette forme de réfraction des pulsions ambivalentes prend corps, dans chacun des textes, à travers un autre motif relationnel : celui de la dette. La figure maternelle est aussi celle du créancier. Non seulement la mère a-t-elle fait cadeau de la vie, mais elle a encore sacrifié la sienne propre au bonheur de son enfant. Ernaux écrit, à propos de sa mère : « Son désir le plus profond était de me donner tout ce qu'elle n'avait pas eu» (1987 : 51). Peyrefitte, et surtout Cohen, dont la «mère n'avait pas de moi, mais un fils » (101), sont, après la mort maternelle, aux prises avec semblable situation, et ce d'autant plus que tous deux furent, leur vie durant, idéalisés. À travers ce que ces fils peuvent percevoir du regard maternel posé sur eux, leurs existences individuelles leur apparaissent comme la cause d'un désinvestissement volontaire, d'une auto-dépossession d'elles-mêmes opérée par les mères au profit du total réinvestissement des affects dans un substitut d'existence, ou plutôt un prolongement extérieur de leurs propres existences : les corps de leurs fils respectifs. Pareille aliénation de soi par soi au profit d'une totale projection fusionnelle est perçue et décrite, par Cohen et Peyrefitte, comme la preuve sacrificielle du parfait amour :

Elle perdait tout jugement quand il s'agissait de son fils. Elle acceptait tout de moi, possédée du génie divin qui divinise l'aimé, le pauvre aimé si peu divin. (Cohen 90)

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[...] si vous aviez connu ma mère à moi, vous auriez su ce que c'est qu'une mère : une femme dont vous avez été toute la vie. [...] une de ces existences provinciales, qui semblent s'être entourées de lierre, en vue de mieux garder l'image du fils toujours absent. (Peyrefitte 29)

Loin de voir en cette attitude - du moins à un niveau discursif conscient et

extériorisé - une forme d'agression dirigée contre leurs individualités propres, et loin de croire, comme Elisabeth Bizouard, qu'à travers « le "mythe de survalorisation de l'enfant" ce qui est investi ce n'est pas l'enfant en tant que sujet, mais bien plutôt l'enfantement comme fantasme totipotentiel », les endeuillés n'en donnent que mieux l'une des réponses possibles à la question, posée par cette même psychanalyste, à propos du destin de « l'objectai pour les enfants nourris de ce fantasme » (68). L'apparente gratuité du don maternel amène une aliénation à rebours des fils desinvestis. Ceux dont les vies, symboliquement, n'étaient que des prêts sur gage se voient, dès lors que le créancier n'y est plus, dans l'impossibilité de régler leurs quittances. L'investissement dans le fils n'aura, à tout prendre, rien rapporté à celle qui, aujourd'hui, est morte. Le décès maternel gèle quasi définitivement les relations mère-fils passées dans un même type de scénario au cours duquel la première, trop généreuse, est de diverses façons vampirisée par le second. Nombre de souvenirs rapportés par Cohen s'insèrent dans ce carcan, entre autres celui-ci, où la présence de l'argent, unité concrètement représentative du pouvoir d'achat, donc d'une forme abstraite de puissance personnelle, ne fait qu'accentuer la nature parasitaire, et à sens unique, des échanges émotifs : « Je prenais les billets de banque et je ne savais pas, fils que j'étais, que ceshumbles grosses sommes étaient l'offrande de ma mère sur l'autel de la maternité. Ô prêtresse de son fils, ô majesté que je fus trop longtemps à reconnaître. Trop tard maintenant» (Cohen 15). De son côté, Peyrefitte use d'un vocabulaire judiciaire lorsqu'il décrit l'iniquité des rapports qui le liaient à sa mère. Il montre ainsi à quel point lui-même se situe en porte-à-faux par rapport à un système de valeurs généralisé et englobant que, justement, la conduite de sa mère représente : « Libre, indépendant, au nom de quoi m'étais-je imposé cette contrainte criminelle ? Ma prétendue liberté ne m'avait servi que contre ma mère. Mais comment celle qui en avait été la victime, s'en serait-elle doutée ? » (69). Plus que tout autre auteur, il exprime jusqu'où peut aller, pour un enfant endeuillé, la signification du don non remboursé :

Même quand les apparences ont été sauvées jusqu'au bout, même quand on a, de ses propres parents, le témoignage d'avoir été un bon fils, quels amers reproches ne peut-on se faire ? On s'aperçoit, malheureusement trop tard, que l'on a été un fils monstrueux, que l'on a trompé tous leurs espoirs, que l'on a bafoué leur amour, leur confiance et leurs principes, que, parfois au milieu des honneurs du monde, on est leur déshonneur secret et qu'autant aurait valu, pour eux, ne pas avoir eu d'enfant. (152)

Ce gel délétère des représentations de soi en une image négative, assurément, entre pour beaucoup dans la souffrance et le travail qu'il faut effectuer au cours de la période de deuil. S'il veut pouvoir sortir de ce rapport sadique à soi-même, maintenu par l'introjection d'une figure culpabilisante, situation qui, par le rapport à la mort, le fixe et l'immobilise, s'il veut pouvoir se réinvestir lui-même en tant que sujet positif, afin de se remettre en mouvement et, par la suite, de réinvestir la vie, l'auteur doit, en lui-même et à travers la pratique textuelle, trouver des issues à l' auto-fustigation, chercher la voie (symbolique) d'un impossible remboursement, d'une quelconque forme de réhabilitation de soi aux yeux intériorisés de la défunte.

Dans une certaine mesure, c'est ce besoin de remboursement qui motive la décision d'écrire le deuil. Tous les affects qui ne peuvent plus être projetés vers la

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mère, peuvent, du moins, l'être vers la constitution d'une représentation littéraire de celle-ci. Le texte, en tant que restauration d'un possible dialogue, d'une communication post-mortem, est le seul espace extérieur où l'auteur peut rétablir la balance. Annie Emaux écrit : « Elle aimait donner à tous, plus que recevoir. Est-ce qu'écrire n'est pas une façon de donner?» (1987: 105) Le livre est monument commémoratif, don symbolique fait à la mémoire de la disparue. Cohen ne diffère pas. Son écriture est un dernier et ultime don d'amour, mais aussi, en face non de la mère réelle et morte, mais bien de cette autre mère vécue de V intérieur, une tentative de s'amender des actions et des attitudes, sources de culpabilité, commises tout au long de la vie. En pensant au télégramme d'invitation à Genève qu'il ne lui a pas envoyé assez souvent, il écrit : « Je n'avais qu'à écrire dix mots et elle était là, magiquement. J'étais le maître de cette magie et je l'ai si peu utilisée, idiotement occupé que j'étais par des nymphes. Tu n'as pas voulu écrire dix mots, écris-en quarante mille maintenant » (78-79).

Handke : la raison dominante et la mise en place d'un espace communicationnel

Des quatre auteurs, seul Handke se refuse, dans son travail d'écriture, à toute forme d'investissement symbolique. De tous, c'est celui qui, le plus, s'astreint à une sphère de stricte compréhension rationnelle. Toute participation émotive, en tant que sujet subjectivement et émotionnellement impliqué par V événement, est, autant que possible, détournée (aliénée) de la représentation textuelle. Afin d'écarter l'ambivalence des rapports subsistants, la figure maternelle est épurée. Elle ne l'est cependant pas, comme chez Peyrefitte et Cohen, au profit de la sublimation, mais plutôt du déni de toute signification sur le plan individuel. Handke cherche, ce qui est, à mon avis, tout aussi révélateur que de la transformer en ange désincarné, à faire de sa mère un être subjectivement insignifiant, si ce n'est absolument inexistant : « Elle devint un être neutre, se dilapidait dans les banalités quotidiennes » (1975 :46). Plus loin : « Elle était ; elle fut ; elle ne fut rien » (1975 : 52). À ce qui est insensé, il n'y a pas à répondre. Handke se voit presque entièrement dispensé, par le refus de l'intériorité maternelle, d'avoir à se constituer, sur le plan textuel, une figure complémentaire de fils endeuillé, intérieurement concerné. Cette dissimulation, ou ce refus, lui permet de limiter les risques de dérive chaotique. Il faut, avant tout, savoir préserver au moi sa cohérence, et celle-ci, pour Handke, repose essentiellement sur un rapport rationnel à l'univers. Comme il le montre dans plusieurs de ses œuvres, le langage est le moyen par excellence de compréhension et de maîtrise intellectuelle du monde environnant. Son Kaspar, par exemple, dit :

Avec la phrase, tu peux faire l'idiot. Avec la phrase, tu peux t'affirmer contre d'autres phrases. Désigner tout ce qui se met sur ton chemin et l'écarter de ton chemin. Te familiariser avec chaque objet. Avec la phrase, tu peux ramener chaque objet à une phrase. Tu peux ramener chaque objet à ta phrase. Avec cette phrase, tous les objets sont tiens. Avec cette phrase, tous les objets sont à toi. (1971 : 18)

Or, le cas du Malheur indifférent est dissemblable ; il ne s'agit ici, ni d'une fiction, ni, comme dans la pièce, d'un rapport aux objets du monde extérieur, mais plutôt de la production d'un discours qui implique forcément la plus stricte subjectivité, et dont la véridicité doit être assumée. Dès lors, la mise en texte est confrontée à la présence d'un matériau psychoaffectif qui, parce que situé en dehors de la sphère rationnelle dans laquelle s'astreignent habituellement les œuvres de Handke, refuse toute expression littéraire directe :

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« Quelque chose d'indicible », dit-on souvent dans les histoires, ou bien : « Quelque chose d'indescriptible », ce que je prends le plus souvent pour de mauvais faux-fuyants ; pourtant cette histoire, elle, tourne vraiment autour d'une chose sans nom, de secondes d'épouvanté qui vous privent de la parole. (1975 : 56)

Si, pour l'auteur autrichien, il y a incompatibilité et faille, vivement ressenties, celles-ci sont avant tout situées, ni entre les sphères imaginaire et rationnelle de la psyché, ni entre les significations antithétiques des différentes phases de la vie, mais entre l'essence des sensations et leur possible expression par le discours. Tels qu'intérieurement appréhendés, le foncièrement privé, de même que tout fait d'ordre strictement individuel sont, pour Handke, impropres à servir la représentation littéraire. Le recours au langage, convention sociale, demande que distance soit prise par rapport à soi-même. Dans la mesure où tout message doit être extériorisé vers autrui, il ne peut y avoir de vérité énoncée, et de communication entre individus, que dans I' intellection abstraite et impersonnelle de phénomènes généraux désincarnés. Cette attitude explique sans doute l'usage répété du pronom « on », constamment utilisé pour désigner, soit lui-même, soit la défunte. Tout au long de son texte, Handke travaille à ne faire de sa mère et de lui-même qu'un cas de société : « Et j'écris l'histoire de ma mère [...] pour moi-même car je revis quand quelque chose m'occupe, enfin parce que [...] je voudrais rendre exemplaire cette MORT VOULUE » (1975 : 15). Plus que chez les autres auteurs, le lecteur prend ici une place explicitement prépondérante. Handke refuse la fusion avec l'objet intériorisé ; il préfère la projection de soi dans la généralité du lectorat. Il y a cependant paradoxe : seul le cliché, le stéréotype et la fiction savent emporter l'adhésion ; eux seuls, dans une perspective rhétorique, ont force de vérité. Handke comprend cette nécessité du mensonge, du recours aux banalités, et sait que la problématique centrale de la création en littérature est la découverte d'une utilisation des différentes marques du déjà écrit (stéréotypes, clichés...). En tant qu'écrivain, conscient qu'il faut toujours un système de repères communs entre les différents participants d'une situation communicationnelle, Handke, fils endeuillé, sait très bien qu'il ne peut exister pour autrui que dans la mesure où il sait « intéresser », c'est-à-dire élaborer un juste dosage entre « déjà lu » et « inédit » :

Cette fiction que les photos puissent vraiment « dire » ce genre de choses : mais toute mise en formules n'est-elle pas plus ou moins fictive après tout, même s'il s'agit d'un fait réel ? Moins, si l'on se contente de relater ; plus, lorsqu'on cherche les formules les plus précises ? Et c'est peut-être si l'affabulation est la plus forte que l'histoire deviendra intéressante aussi pour quelqu'un d'autre, parce qu'on est plus enclin à s'identifier à des formulations qu'à des faits relatés ? - D'où le besoin de poésie? (1975 : 33)

Dès lors, le rapport personnel à l'événement ne peut être, dans la forme expressive, que grandement écarté. Ne subsiste plus, chez Handke, que des considérations d'ordre purement esthétique. Son travail littéraire s'est entièrement substitué, du moins en apparence, à son travail de deuil :

Ce qui est écrit ici sur quelqu'un de précis est un peu imprécis, évidemment ; mais seules des généralisations ignorant délibérément ma mère en tant que personnage principal sans doute unique d'une histoire peut-être exclusive peuvent intéresser quelqu'un d'autre que moi [...]. (1975 : 52)

[...] je compare la provision générale de formules pour la biographie d'une femme avec la vie particulière de ma mère, phrase par phrase ; des

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concordances et des contradictions naît alors l'écriture véritable. (1975 : 54)

La seconde phase du deuil I : constituer le malheur en objet discursif

La prise en compte de la sphère rationnelle, de même que du point de vue (généralisant) d'un éventuel lectorat ne sont bien évidemment pas le propre du seul Handke. Cependant, chez les autres auteurs, ces préoccupations ne prennent une place importante dans les textes que successivement à la phase d'investissement fantasmatique. Leur présence révèle un mouvement de désinvestissement progressif et conscientisé. Très à propos, Christian David écrit que le « surinvestissement momentané de l'objet intérieur, accompagné du désinvestissement très sensible, mais d'ordinaire également passager, de la réalité extérieure dans son ensemble [...] ne constitue que le premier temps réactionnel de l'appel libidinal frustré » (235). Il importe toutefois de spécifier que dans son entier, le texte, en tant qu'investissement d' affects dans une forme extérieure, marque toujours au moins implicitement, par son existence même, l'entrée du sujet en seconde phase de deuil. Même les passages les plus résolument orientés vers la représentation d'états d'investissement intérieur ne sont pas, puisque incorporés à l'œuvre, coupés de l'extériorité et des modes rationnels de la représentation. Comme le remarque Christian David, la cohésion interne du sujet - et du texte ! - ne peut se maintenir que si le principe de réalité occupe sa place dans la dialectique, constitutive du moi, entre intériorité fantasmatique et objectivation du monde extérieur par un mode d'appréhension raisonné :

Nous vivons certes dans un monde d'images, un monde où le règne des images est prévalent et toutes nos relations avec le monde sont sans cesse imprégnées d'imaginaire. Cependant la réalité des objets en dehors de leur intériorisation, l'irréductibilité de leur apport spécifique, le roc de leur altérité (une roche qui heureusement parfois se fait poreuse) représentent ce sans quoi toutes nos images, tous nos objets intérieurs, s'exténueraient : la vie est et n'est pas un songe. (245-46)

Cohen, par exemple, n'oublie jamais les différentes implications du message énoncé. Les fantasmes qu'il incorpore à son texte sans apporter de nuances rationnelles servent en partie à constituer l'éthos de l'énonciateur et à émouvoir le lecteur. Lors de leur mise en texte, le sens et la portée réelle de chaque phrase a été lucidement perçue par l'auteur. Du dire de sa dernière compagne, Cohen réécrivait (« redictait ») un nombre incalculable de fois chacun de ses textes ; il ne s'illusionne donc pas, loin de là, sur la nature et les pouvoirs de son écriture : « Oui, les mots, ma patrie, les mots, ça console et ça venge. Mais ils ne me rendront pas ma mère. Si remplis de sanguin passé battant aux tempes et tout odorants qu'ils puissent être, les mots que j'écris ne me rendront pas ma mère morte » (10). Jamais l'évocation de la mère, non plus que la mise en texte de cette évocation ne peuvent combler le manque. L'écriture ne peut remplacer véritablement un objet perdu. Dans une certaine mesure, la création littéraire va plutôt en sens inverse : elle tend à augmenter la distance. L'artiste est forcé, par son travail, de prendre conscience que l'essence du réalisme reste toujours hors de sa portée. Ernaux, qui voudrait « saisir aussi la femme qui a existé en dehors [...], la femme réelle [...] » (1987 : 23), remarque, en parlant des résultats de son travail : « Je ne retrouve ainsi que la femme de mon imaginaire, la même que, depuis quelques jours, dans mes rêves, je vois à nouveau vivante, sans âge précis, dans une atmosphère de tension semblable à celle des films d'angoisse » (1987 : 23). L'image que produit l'écrivain, forcément, subit, par rapport à ce qu'était objectivement la mère, une double distorsion, causée, d'une part, par l'inévitable

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présence de la subjectivité, et, d'autre part, par la mise en discours. Handke écrit que, contrairement à ce qui se produit dans ses autres livres, il « cherche avec un sérieux constant et obstiné à [se] rapprocher par l'écriture de quelqu'un qu'aucune phrase ne [lui] permet cependant de saisir en entier, si bien qu['il] doi[t] sans cesse repartir de zéro [...] » (1975 : 55). La construction du texte est prise de conscience, pour l'auteur, des différents niveaux de médiation qui le séparent de la disparue, ainsi que de toute possibilité d'extériorisation directe de ses propres idées et sentiments. Le texte, qui se voulait, dans la perspective d'investissement de première phase, un moyen de faire revivre la morte, s'avère en fait trahison de la mémoire de cette dernière. La création artistique substitue à la disparue un nouvel objet, lequel acquiert autonomie. Le problème ainsi posé est celui de la représentation, qui ne peut jamais être que médiation, positionnement d'un signe en lieu et place d'une réalité.

Avec l'entrée du sujet en seconde phase, la fonction attribuée à l'écriture par l'auteur doit changer. S'ils veulent clore leurs travails de deuil respectifs, et faire de leurs textes des œuvres cohérentes, aptes à se refermer en un tout autosuffisant, les auteurs doivent, comme Handke, tôt ou tard, prendre consciemment une certaine distance par rapport à l'événement. Celui-ci, avec le temps, finit toujours par être appréhendé d'un point de vue extérieur. Dans cet a posteriori, les préoccupations d'ordre strictement émotionnelles et personnelles cèdent le pas à la recherche de la forme esthétique qui pourrait, publiquement, véhiculer le sens éthique et général dégagé de l'expérience vécue. L'exemple de l'écriture du deuil montre de manière particulièrement explicite le sens et la portée psychologique accordés par l'artiste à ce travail littéraire de détachement et de représentation. Bien que, en introduction à « Je ne suis pas sortie de ma nuit », elle écrive : « Je crois maintenant que l'unicité, la cohérence auxquelles aboutit une œuvre - quelle que soit par ailleurs la volonté de prendre en compte les données les plus contradictoires - doivent être mises en danger toutes les fois que c'est possible » (1997 : 12), Annie Ernaux, au moment de rédiger Une femme, ne voit qu'une seule issue à l'état conflictuel dans lequel elle se débat : la découverte d'une forme unique, cohérente et parfaitement expressive. Son rapport à l'œuvre en construction, de l'ordre d'une liturgie personnelle, a valeur de rituel sacré. La formulation juste est détentrice d'un pouvoir : celui d'extraire de la situation vécue, apparemment contingente, un sens profond, transcendant. Le texte conserve toujours, au moins sur le plan des représentations mythifiantes de l'imaginaire, sa valeur d'exorcisme, d'un exorcisme pénible qui doit répondre aux plus hautes aspirations du moment ; il n'est alors pas question de remettre en cause le sens que l'écriture est appelée à produire :

Au début, je croyais que j'écrirais vite. En fait je passe beaucoup de temps à m'interroger sur l'ordre des choses à dire, le choix et l'agencement des mots, comme s'il existait un ordre idéal, seul capable de rendre une vérité concernant ma mère - mais je ne sais pas en quoi elle consiste - et rien d'autre ne compte pour moi, au moment où j'écris, que la découverte de cet ordre-là. (Ernaux 1987 : 44)

En rupture avec la douleur première qui ne pouvait rien produire de cohérent, la recherche de la perfection formelle n'en reste pas moins étroitement liée à la poursuite du travail de deuil. L'œuvre fait sens ; en tant qu'objet extériorisé, elle marque concrètement, pour le sujet producteur, qu'un événement rationalisé et positivement connoté a pu sortir de la crise traversée, et que, en conséquence, celle-ci participe, comme tout élément de l'existence humaine, d'un univers de sens apprehensible. Causée par l'éclatement, à la suite du surgissement d'un élément perturbateur, de la

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perception cohérente5 du monde qui, auparavant, prévalait, l'écriture se veut une réincorporation de chacun des fragments en une nouvelle cosmogonie. Il y a passage d'une logique antithétique sans issue à une dialectique du dépassement. L'écriture, comme le deuil, s'inscrit idéalement dans une forme d'évolution progressive des individus. C'est au moment où le texte d'Ernaux se prépare à trouver son achèvement que le travail de deuil aboutit ; les antagonismes entre vie et mort ont trouvé, dans les représentations mentales de l'auteur, extériorisées par l'œuvre, l'espace d'une possible jonction :

Dans la semaine qui a suivi [le décès], je revoyais ce dimanche, où elle était vivante, les chaussettes brunes, le forsythia, ses gestes, son sourire quand je lui avais dit au revoir, puis le lundi, où elle était morte, couchée dans son lit. Je n'arrivais pas à joindre les deux jours.

Maintenant, tout est lié. (1987 : 103)

La seconde phase du deuil II : la relation auteur-lecteur

Paul-Claude Racamier écrit que :

Par Freud, qui l'a souligné, nous savons que le travail de deuil conduit à l'investissement de nouveaux objets, qui à son tour complète et termine le travail (les investissements nouveaux, même si le deuil porte sur des personnes, pourront porter sur des projets, des intérêts, des valeurs...). La sortie d'un deuil conduit donc à la redécouverte d'un objet. (44)

Ici, l'objet redécouvert est l'écriture, c'est-à-dire, que sa pratique soit artistique n'y change rien, un média de communication. Dans le travail de reconstitution du narcissisme, de désinvestissement de l'objet intérieur fusionnel, et de redécouverte de la place occupée par le principe extérieur de « réalité », le rôle joué par autrui est non négligeable, même essentiel. Handke, en parlant d'un épisode particulièrement pénible, écrit : « [...] j'eus l'impression fugitive que tout était faux. L'envie de le raconter à quelqu'un me remit tout à fait d'aplomb » (1975 : 16). Comme dans les funérailles, il y a, avec l'écriture, recherche d'une communauté de partage. Le texte du deuil, zone limitrophe par l'intermédiaire de laquelle le monde privé rejoint la sphère publique, est à la fois autobiographie, récit de l'expérience intérieure, et illustration, exemple biographique à l'appui, d'un fait de société significatif. Plus que Handke, qui se limite à la généralité, Ernaux voit dans toutes ses dimensions son rôle d'auteur, ainsi que le sens de ce qu'elle voudrait idéalement écrire : « Ce que j'espère écrire de plus juste se situe sans doute à la jointure du familial et du social, du mythe et de l'histoire» (1987: 23). Le danger serait alors d'aller trop avant dans le détachement. L'écriture du deuil - et peut-être est-ce vrai de toute forme d'art - repose sur un fragile équilibre, où s'opposent des visées difficilement conciliables. Entreprise d'extraction, à partir de l'expérience vécue, d'un sens universalisant, la représentation ne doit pas tendre au sujet énonciateur, par le recours constant aux formules et aux contenus stéréotypés, le piège d'une nouvelle forme d'aliénation. Handke perçoit la précarité de la position qu'il essaie de tenir :

Mais le danger avec ces abstractions et ces formulations est qu'elles tendent à prendre leur autonomie. Elles oublient alors la personne d'où elles émanent - une réaction en chaîne de tournures et de phrases comme en rêve les images, la littérature devenue rituel, toute vie individuelle ne fonctionnant plus que comme prétexte. (1975 : 53)

5. Du moins suffisamment cohérente pour éviter que la problématique de l'existence humaine ne devienne paralysante.

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Écrire le deuil 115

Ernaux comprend que la littérature, aussi achevée soit-elle, ne peut combler qu'une part des aspirations du moi. Sans y voir, comme Handke, une pure négativité, elle sait qu'il y a un en-dehors du langage toujours souterrainement à l'œuvre dans l'énoncé, une part essentielle de l'univers affectif qui échappe à toute tentative de rationalisation et de représentation, élément insaisissable qui, comme le suggère Régine Robin, vient toujours se « lover dans les blancs, dans ce qui n'est pas dit [...]» (1997a: 21): «Mais je sens que quelque chose en moi résiste, voudrait conserver de ma mère des images purement affectives, chaleur ou larmes, sans leur donner de sens » (Ernaux 1987 : 52).

Si elle demeure hors de toute définition rationnelle, même cette dimension de pure affectivité peut toujours être communiquée par le recours aux périphrases et aux diverses figures du style poétique. Elle s'intègre donc, comme tout autre élément textuel, à la relation qui s'installe entre l'auteur et son lecteur. Celle-ci est, dans l'exemple de l'écriture du deuil, de nature essentiellement didactique. Au départ, l'écriture servait, dans une sphère d'auto-investissement strictement personnelle, à fixer le chaos intérieur causé par le décès. Il fallait, idéalement, restructurer le moi par la découverte d'un ordre et d'un sens qui sous-tendaient l'événement a priori incompréhensible. Avec la découverte de cet ordre, l'écriture véritable, mise en une forme cohérente et structurée orientée vers la communication, marque le passage à une seconde étape : il s'agit maintenant de communiquer les découvertes à l'entourage. Comme l'écrit Christian David : « [...] le deuil n'engage pas que le seul affect de douleur [...] l'essentiel du deuil se comprend à partir de l'explication de la douleur qu'il entraîne [...] » (166). Le deuil a été acquisition d'un certain capital symbolique. Il y a eu, dans la crise et son franchissement par la pratique de l'écriture, apport, progrès du moi, puisqu'un enseignement a pu en être soutiré pour soi-même, et que cet enseignement peut maintenant être communiqué à autrui :

Après [que sa mère ait commencé pour la première fois à parler toute seule], j'ai écrit sur un morceau de papier, « maman parle toute seule ». (Je suis en train d'écrire ces mêmes mots, mais ce ne sont plus comme alors des mots juste pour moi, pour supporter cela, ce sont des mots pour le faire comprendre.) (Ernaux 1987 : 93)

Le topos est universel et crée, à lui seul, une certaine empathie, une zone de partage assurée entre auteur et lecteur. Cependant, seul l'écrivain, qui l'a fréquenté de près, est habilité à remplir le lieu de signification. Cohen, qui dit s'exprimer « du droit de [son] regret, gravement du haut de [son] deuil » (169), montre non seulement, par la métaphore d'élévation, son opinion selon laquelle l'épreuve l'a fait accéder à un stade supérieur, mais aussi que c'est cette épreuve même qui le justifie dans sa prise de la parole. Seule la traversée du deuil, et c'est ce en quoi réside à peu près entièrement la signification de celui-ci après-coup , permet à l'auteur de poser sur la mort et la mère un regard de compréhension englobant. L'avant-deuil était une période de naïveté, l' après en est une de connaissance. Cependant, si le seul sens de V événement est la prise de conscience du cheminement intérieur qu'il implique pour l'individu qui lui est confronté, il faut absolument, pour ne pas être à nouveau enfermé dans une tautologie elle-même absurde et insignifiante, que ce sens découvert soit communiqué. Ainsi, le progrès personnel acquis, pour ainsi dire trop tard, lorsque la mère n'y est plus pour bénéficier de la prise de conscience à son égard, pourra toujours opérer par personne interposée, c'est-à-dire à travers le lecteur qui, lui, a une mère toujours vivante. Cohen s'emploie à informer celui-ci, avant qu'elle n'y soit plus, de l'importance de la mère et de la chance insigne, mais éphémère, de l'avoir en vie :

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116 YanHamel

II y a des génies de la peinture et je n'en sais rien et je n'irai pas y voir et ça ne m'intéresse absolument pas et je n'y connais rien et je n'y veux rien connaître. Il y a des génies de la littérature et je le sais et la comtesse de Noailles n'est pas l'un d'eux, ni celui-ci, ni celui-là surtout. Mais ce que je sais encore plus, c'est que ma mère était un génie de l'amour. Comme la tienne, toi qui me lit. (Cohen 102)

L'endeuillé, donc, par son deuil même, peut retrouver un rôle fonctionnel au sein du social. Son expérience est un progrès pour lui-même dans la mesure où elle est exprimée à autrui. De même, la prise de la parole au sein de la sphère publique ne peut être envisagée que dans la mesure où un message significatif et universel doit être communiqué. Deuil et écriture se complètent dans leurs significations réciproques. Ici se trouve la fin véritable du travail de deuil. Cohen l'exprime lorsqu'il écrit : « Ces paroles que je vous adresse, fils des mères encore vivantes, sont les seules condoléances qu'à moi-même je puisse m'offrir » (102). D'une manière utopique, l'écriture est pour lui non seulement une manière d'imposer son savoir aux lecteurs, de les transformer afin de les faire correspondre à un idéal du fils que lui-même ne peut plus réaliser, mais aussi une façon d'attaquer le deuil, de chercher à en réduire, chez autrui, les effets, notamment en ce qui concerne le sentiment de culpabilité :

Fils des mères encore vivantes, n'oubliez plus que vos mères sont mortelles. Je n'aurai pas écrit en vain, si l'un de vous, après avoir lu mon chant de mort, est plus doux avec sa mère, un soir, à cause de moi et de ma mère. (102)

Le texte comme victoire contre le temps

Christian David écrit que :

Le cycle évolutif du travail du deuil aboutit [...] au détachement d'avec l'objet perdu, ce qui n'est pas dire à son oubli. Mais sa reconnaissance sereine ou même attendrie au terme d'un tel travail, implique une désidentification, un désinvestissement - et il faut bien le dire : une destruction - réussis. Parallèlement s'est accomplie une assimilation partielle, une véritable métabolisation, de l'objet perçu. À la faveur de quoi l'unité personnelle, un temps ébranlée, se trouve reconquise. (245)

Dans cette perspective, il ne fait aucun doute que l'écriture de Handke, par son refus de l'engagement émotif, a été, sur le plan de la réalisation du travail de deuil, un échec. L'auteur écrit lui-même que tout au long de son parcours d'écriture, il n'a pu que stagner, et que son écriture n'a pas véritablement jalonné d'évolution personnelle :

II n'est pas vrai qu'écrire m'ait été utile. Les semaines durant lesquelles je me suis préoccupé de cette histoire, l'histoire aussi n'a cessé de me préoccuper. Écrire n'était pas, comme je le croyais bien au début, me souvenir d'une période close de ma vie, ce n'était constamment que prendre cette attitude dans des phrases dont la distance n'était qu'arbitraire. (1975 : 115)

L'auteur a conscience que pour réaliser la fin du deuil, il devra reprendre le travail dans son ensemble. La fin de son texte est ouverture sur une réécriture future, plus engagée : « Plus tard j'écrirai sur tout cela en étant plus précis » (1975 : 122). Pour les trois autres auteurs, la fin de l'écriture coïncide avec la fin du temps de l'exclusion. Elle annonce l'immédiateté du retour obligé vers la vie extérieure et sociale, celle-ci fut-elle jugée inepte. Une fois le livre achevé, dans les dernières lignes du Livre de ma mère, Cohen écrit : « Je ne sais plus quoi faire maintenant. [...] Retourner au-dehors, revoir ces singes habillés en hommes, tous fabriqués par le social, qui jouent au bridge et ne m'aiment pas et parlent de leurs micmacs politiques dans dix ans périmés ? » (163). La perspective du retour à la vie active et à ses diverses sources

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Écrire le deuil 117

d'excitation en est une d'abandon, bien qu'elles aient été jugées essentielles à toute existence, des préoccupations concernant la mère et sa mort. Le récit agit alors, non seulement comme source d'apprentissage et d'une plus ou moins utopique incitation au progrès pour les Autres, mais aussi comme témoin immuable pour cet Autre particulier qu'est le Moi embarqué, bon gré mal gré, dans le continuum temporel du changement. Le texte écrit conserve la dernière trace du malheur et du deuil une fois que ceux-ci ont été menés à terme. Au début, l'écriture devait exorciser la souffrance ; une fois cette dernière en voie d'extinction, paradoxalement, c'est à cette même écriture qu'est confié le soin de rappeler cette souffrance, de s'assurer qu'elle ne soit jamais complètement oubliée. Le texte devient mémoriel. Il doit garantir que soit préservée la tradition personnelle, afin que soit conservée la signification tirée de l'épisode essentiel. L'oubli, lui aussi, est menace de faire retomber le deuil dans son absurdité initiale, et les auteurs savent qu'ils ne peuvent se reposer sur leur seule mémoire pour préserver au passé, quel qu'il soit, sa signification. « Tentative dérisoire et pourtant essentielle », demande Elisabeth Bizouard, « fixer des paroles en les écrivant n'est- ce pas une façon de les immobiliser et de les emprisonner en les figeant, mais aussi de les rendre fidèles à elles-mêmes, sinon à soi?» (166). Dans le passage suivant, Ernaux montre comment son évolution dans le temps ne saurait être pleinement maîtrisée, et que seul le texte bénéficie de la permanence. Il est la seule manière, pour elle, de s'assurer, dans l'avenir, d'une forme de communication avec ses Moi passés : «J'ai relu les premières pages de ce livre. Stupeur de m'apercevoir que je ne me souvenais déjà plus de certains détails [...] » (1987 : 105). Cohen, aussi, se voit affreusement changeant :

Et d'ailleurs, nous les oublions vite, nos morts. Pauvres morts, que vous êtes délaissés en votre terre, et que j'ai pitié de vous poignants en votre éternel abandon. Morts, mes aimés, que vous êtes seuls. Dans cinq ans, ou moins, j'accepterai davantage cette idée qu'une mère, c'est quelque chose de terminé. Dans cinq ans, j'aurai oublié des gestes d'elle. Si je vivais mille ans, peut-être qu'en ma millième année, je ne me souviendrais plus d'elle. (142)

Quant à Peyrefitte, c'est dans la voix de Montherlant qu'il inscrit la conscience du changement auquel il ne pourra se soustraire tant qu'il vivra, et au sein duquel le deuil n'aura été qu'une plus ou moins longue, mais passagère, période d'arrêt, de méditation et de remémoration :

Voyons, un peu de franchise : combien de fois par jour pensez- vous à votre père, mort depuis six ans ? Vous vivez exactement comme s'il vivait encore ou comme si vous ne l'aviez jamais connu. Vous prétendez, il est vrai, préférer votre mère à votre père ; mais quand elle ne vivra plus, vous ne continuerez pas moins de vivre. Votre mère rejoindra votre père dans « l'abîme de votre cœur », c'est-à-dire de votre oubli. Depuis que le monde est monde, tout le monde s'est toujours consolé. Le chagrin est comme la maladie : sitôt guéri, on a peine à s'imaginer qu'on ait été malade. (34)

Cohen, seul des écrivains à avoir retravaillé son texte plus de dix ans après le décès maternel, offre cette particularité de pouvoir inscrire dans le texte la reconnaissance effective de cette route continuée vers l'apaisement et l'acceptation, que, sur la route de l'existence, le deuil n'a été qu'une étape, maintenant révolue, dont le livre reste seul témoin :

Des années se sont écoulées depuis que j'ai écrit ce chant de mort. J'ai continué à vivre, à aimer. J'ai vécu, j'ai aimé, j'ai eu des heures de bonheur tandis qu'elle gisait, abandonnée, en son terrible lieu. J'ai commis le péché

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118 YanHamel

de vie, moi aussi, comme les autres. J'ai ri et je rirai encore. Dieu merci, les pécheurs vivants deviennent vite des morts offensés. (175)

En guise de conclusion : crises et régénérescences, le processus même de l'écriture

L'écriture du deuil montre, dans ses différents aspects, comment, pour un artiste, s'articule la prise de distance à l'égard de l'événement significatif. Par les textes, chacun des auteurs a conféré à son expérience du décès maternel une signification éthique et esthétique, laquelle a accédé à l'universel et transcendé, par sa forme, la contingence propre au monde de la connaissance et de l'acte. L'événement, dans chacun des cas, a acquis de la sorte une place autonome ; grâce au texte, il est maintenu, encore aujourd'hui, alors que deux des quatre auteurs étudiés sont eux-mêmes morts, dans une certaine permanence au sein d'un univers en continuel changement. Superposé à l'acte d'écriture, le travail de deuil, qui a amené progressivement le détachement, a permis aux écrivains de faire de cet événement, auquel ils ont pris part, et bien qu'ils y aient pris part de manière subjective et directe, une manifestation vivante de ce qui, pour le jeune Bakhtine, représente le véritable art :

La forme esthétique qui, intuitivement, unifie et parachève, s'applique de l'extérieur au contenu éventuellement morcelé et toujours postulé non satisfait (ce morcellement et ce caractère postulé sont réels hors de l'art, dans une existence éthiquement vécue) ; cette forme transporte le contenu sur un nouveau plan axiologique : celui d'une existence séparée et parachevée, sereinement refermée sur soi : le plan de la beauté. (47)

Le deuil maternel a fourni un exemple concret, mais pas le seul, du type d'événement qui, entre l'artiste et les représentations que celui-ci a du monde, vient creuser une faille, une irréconciliable opposition. Celle-ci, pour être réduite, demande qu'un pont, l'œuvre signifiante née du conflit, soit jeté entre les antagonismes. La mort de la mère est l'une des nombreuses pertes, des innombrables manques et frustrations, qui, tout au long de la vie, font de la condition humaine un perpétuel mystère que l'artiste doit sans cesse questionner et redéfinir s'il veut pouvoir, face à lui-même et à la société, justifier son existence. La crise ici étudiée concerne jusqu'à un certain point chacune des diverses circonstances qui poussent un humain à s'abîmer, pour un temps, dans une œuvre, miroir (souvent déformant) du réel, destinée à lui devenir extérieure et à être consommée par un public. Le cas de l'écriture du deuil illustre parfaitement, à mon avis, cette idée de Régine Robin qui cherche à expliquer le pourquoi (jamais satisfait) de l'écriture :

Au sens où l'écriture déterri toriali se, arrache à l'enracinement, creuse l'écart, la castration symbolique, le manque, l'écriture serait un trajet, une objectivation qui viendrait à tout instant rappeler qu'on n'écrit jamais que dans cette perte, que rien ne viendra combler le manque, mais que l'acte d'écrire est la tentative toujours déçue et toujours recommencée de déjouer cette perte, de l'apprivoiser, de la mettre à distance ; la tentative de suturer, tout en sachant que l'on ne peut y arriver. (1997b : 10)

Prise à partir des diverses publications qui jalonnent sa carrière, la vie de l'écrivain apparaît comme une succession de crises et de régénérescences que ponctuent le succès et l'aboutissement de chacun des livres. À chaque fois, il y a, idéalement, dépassement d'un état, délaissement d'un problème surmonté pour amorcer ensuite une nouvelle étape, souvent elle-même conflictuelle. Tous les livres m 'apparaissent comme des deuils surmontés, et comme l'annonce des deuils à venir. Chacun marque une étape

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Écrire le deuil 119

particulière sur un long cheminement fait de souffrances, de découvertes, d'abandons et de nouveaux départs. Cioran n'écrivait-il pas :

Produire est un extraordinaire soulagement. Et publier non moins. Un livre qui paraît c'est votre vie ou une partie de votre vie qui vous devient extérieure, qui ne vous appartient plus, qui a cessé de vous harasser6.

Montréal

6. Exercices d'admiration 1629.

Ouvrages cités

Amar, Nadine, Catherine Couvreur et Michel Hanus, resp. Le deuil. Monographies de la Revue française de psychanalyse. Paris : Presses universitaires de France, 1995.

Bakhtine, Mikhaïl. « Le problème du contenu, du matériau et de la forme dans l'œuvre littéraire ». Esthétique et théorie du roman. Tel 120. Paris : Gallimard, 1978 (pour la traduction française). 21-82.

Bizouard, Elisabeth. Le cinquième fantasme : auto-engendrement et impulsion créatrice. Le fil rouge. Paris : Presses universitaires de France, 1995.

Cioran, E. M. Œuvres. Quarto Gallimard. Paris : Gallimard, 1995. Cohen, Albert. Le livre de ma mère. Folio 561. Paris : Gallimard, 1954. Colette. Mes apprentissages. Œuvres III. Éd. Claude Pichois. Bibliothèque de la

Pléiade 381. Paris : Gallimard, 1991. David, Christian. L'état amoureux: essais psychanalytiques. Paris: Petite

bibliothèque Pavot, 1971. Emaux, Annie. 1987. Une femme. Paris : Gallimard.

Freud, Sigmund. Sur le rêve. Folio/ Essais 12. Paris: Gallimard, 1988 (pour la traduction française, la préface et les notes).

Handke, Peter. 1971. Gaspard. Trad. Thierry Garrei et Vania Vilers. Paris : L'Arche.

Hanus, Michel. « Le travail de deuil ». Le deuil.. Resp. Nadine Amar, Catherine Couvreur et Michel Hanus. Monographies de la Revue française de psychanalyse. Paris : Presses universitaires de France, 1995. 13-32.

Lejeune, Philippe. Le pacte autobiographique. Nouv. éd. augmentée. Points. Paris : Seuil, 1996.

Peyrefitte, Roger. La mort d'une mère. Paris : Flammarion, 1950. Racamier, Paul-Claude. Le génie des origines : psychanalyse et psychoses.

Bibliothèque scientifique Pavot. Paris : Pavot, 1992. Robin, Régine. 1997a. Le Golem de l'écriture : de V autofiction au Cybersoi. Théorie

et littérature. Montréal : XYZ éditeur.

d'Études littéraires (hiver) : 7-18.

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