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HACHETTE Éducation établi par Elsa JOLLÈS, agrégée de Lettres classiques Le Mariage de Figaro Beaumarchais Livret pédagogique

Livret pédagogique - BIBLIO - HACHETTE · Texte C : Extrait de La Femme gelée d’Annie Ernaux ... Vous étudierez la sensation de solitude de la femme au sein du couple,puis les

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HACHETTEÉducation

établi par Elsa JOLLÈS, agrégée de Lettres classiques

Le Mariage de Figaro

BeaumarchaisL i v r e t p é d a g o g i q u e

Conception graphiqueCouverture et intérieur :Médiamax

Mise en pageMaogani

IllustrationFigaro par Émile Bayard

©Hachette Livre

Tous droits de traduction,de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays.

© Hachette Livre,2002.43,quai de Grenelle,75905 PARIS Cedex 15.ISBN :2.01.168540.8

www.hachette-education.com

Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant,aux termes des articles L.122.-4 et L.122-5, d’une part,que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d’autre part, que « les analyses et les courtes citations » dans un but d’exemple et d’illustration,«toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle,faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayantsdroit ou ayants cause,est illicite».Cette représentation ou reproduction par quelque procédé que ce soit,sans l’autorisation de l’éditeur ou du Centrefrançais de l’exploitation du droit de copie (20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris), constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal.

AVA N T-P R O P O S 4

TA B L E D E S CO R P U S 6

RÉ P O N S E S AU X Q U E S T I O N S 10

Bilan de première lecture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10

Acte I , scène 1

Lecture analytique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12

Lectures croisées et travaux d’écriture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14

Acte II , scènes 6 à 9

Lecture analytique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22

Lectures croisées et travaux d’écriture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25

Acte II I , scène 5

Lecture analytique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31

Lectures croisées et travaux d’écriture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33

Acte II I , scène 16

Lecture analytique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41

Lectures croisées et travaux d’écriture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45

Acte V, scène 3

Lecture analytique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51

Lectures croisées et travaux d’écriture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55

BI B L I O G R A P H I E CO M P L É M E N TA I R E 62

S O M M A I R E

Les programmes de français au lycée sont ambitieux.Pour les mettre en œuvre,il est demandé à la fois de conduire des lectures qui éclairent les différents objets d’étude au programme et, par ces lectures, de préparer les élèves auxtechniques de l’épreuve écrite (lecture efficace d’un corpus de textes ;analyse d’une ou deux questions préliminaires; techniques du commentaire,de la dissertation,de l’argumentation contextualisée,de l’imitation…).Ainsi, l’étude d’une même œuvre peut répondre à plusieurs objectifs.Le Mariage de Figaro, en l’occurrence, permettra d’étudier le genre de la comédie, de réfléchir aux procédés de l’argumentation, de s’initier à laphilosophie des Lumières, tout en s’exerçant à divers travaux d’écriture…

Dans ce contexte, il nous a semblé opportun de concevoir une nouvelle collection d’œuvres classiques,Bibliolycée,qui puisse à la fois :– motiver les élèves en leur offrant une nouvelle présentation du texte,moderne et aérée,qui facilite la lecture de l’œuvre grâce à des notes claires et quelques repères fondamentaux ;– vous aider à mettre en œuvre les programmes et à préparer les élèves aux travaux d’écriture.

Cette double perspective a présidé aux choix suivants :

• Le texte de l’œuvre est annoté très précisément, en bas de page,afind’en favoriser la pleine compréhension.

• Il est accompagné de documents iconographiques visant à rendre la lecture attrayante et enrichissante, la plupart des reproductions pouvant donner lieu à une exploitation en classe.

• Précédant et suivant le texte,des études synthétiques et des tableaux donnent à l’élève les repères indispensables :biographie de l’auteur,contextehistorique, liens de l’œuvre avec son époque,genres et registres du texte…

• Enfin, chaque Bibliolycée offre un appareil pédagogique destiné à faciliter l’analyse de l’œuvre intégrale en classe. Présenté sur des pages de couleur bleue afin de ne pas nuire à la cohérence du texte (sur fond blanc),il comprend :

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A V A N T - P R O P O S

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– Un bilan de première lecture qui peut être proposé à la classe après un parcours cursif de l’œuvre.Il se compose de questions courtes qui permettentde s’assurer que les élèves ont bien saisi le sens général de l’œuvre.

– Cinq à sept questionnaires guidés en accompagnement des extraits les plus représentatifs de l’œuvre : l’élève est invité à observer et à analyser le passage ; les notions indispensables sont rappelées et quelques pistes luisont proposées afin de guider sa réflexion et de l’amener à construire sa propre lecture analytique du texte.On pourra procéder en classe à une correction du questionnaire,ou interroger les élèves pour construire avec eux l’analysedu texte.

– Cinq à sept corpus de textes (accompagnés parfois d’un document iconographique) pour éclairer chacun des extraits ayant fait l’objet d’un questionnaire guidé ; ces corpus sont suivis d’un questionnaire d’analyse et de travaux d’écriture pouvant constituer un entraînement à l’épreuve écrite du bac. Ils peuvent aussi figurer, pour la classe de Première, sur le « descriptif des lectures et activités » à titre de groupement de textes en rapport avec un objet d’étude ou de documents complémentaires.

Nous espérons ainsi que la collection Bibliolycée sera,pour vous et vos élèves,un outil de travail efficace, favorisant le plaisir de la lecture et la réflexion.

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Corpus

L’exposition entrescène et texte(p.81)

Le libertinage(p.129)

Maîtres et valets(p.175)

Composition du corpus

Texte A : Scène 1 de l’acte I du Mariage de Figaro deBeaumarchais (pp.73-77).Texte B : Extrait de la scène 1 de l’acte I desFourberies de Scapin de Molière (pp.81-82).Texte C : Extrait de la scène 1 de l’acte I du Fils naturel de Diderot (p.83).

Texte A : Scènes 6 à 9 de l’acte II du Mariage deFigaro de Beaumarchais (pp.122-125).Texte B : Extrait de la lettre XCLI des Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos (p.130).Texte C : Extrait de La Nuit et le Moment deCrébillon (pp.131-132).Document : Le Verrou de Fragonard (p.133).

Texte A : Scène 5 de l’acte III du Mariage de Figarode Beaumarchais (pp.166-171).Texte B : Extrait de la scène 5 de l’acte I du Maladeimaginaire de Molière (pp.176-177).Texte C : Scène 1 de l’acte III du Jeu de l’amour et du hasard de Marivaux (pp.177-178).Texte D : Extrait de la scène 5 de l’acte III de RuyBlas de Victor Hugo (pp.179-180).Texte E : Extrait des Bonnes de Jean Genet (pp.180-182).

T A B L E D E S C O R P U S

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Objet d’étudeet niveau

Le théâtre : texte et représentation(Première)

Un mouvement littéraire et culturel du XVIIIe siècle(Première)

Le théâtre : texte et représentation(Première)

Compléments aux travaux d’écrituredestinés aux séries technologiques

Question préliminaireQuelles sont les principales fonctions d’une scène d’exposition ?

CommentaireVous commenterez le texte à partir du parcours de lecture suivant :– montrez que cette scène est une scène d’exposition ;– étudiez les différentes formes de comique.

Question préliminaireRelevez et commentez le champ lexical del’amour dans les textes B et C.

CommentaireMontrez que le registre de ce texte est cruellement ironique et que la vision de l’amour est ici libertine.

Question préliminaireQui domine l’autre,dans chacun des extraits ? Justifiez votre réponse.

CommentaireAprès avoir montré que ce texte est une scène dramatique,vous étudierez la cruelle tactique de Don Salluste et le renversement des valeurs morales au sein du couple maître/valet.

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T A B L E D E S C O R P U S

Corpus

Un sexe « faible » ?(p.207)

Le monologuethéâtral (p.255)

Composition du corpus

Texte A : Extrait de la scène 16 de l’acte III duMariage de Figaro de Beaumarchais (p.199, l.516,àp.201, l.580).Texte B : Extrait du Deuxième Sexe de Simone deBeauvoir (pp.207-209).Texte C : Extrait de La Femme gelée d’Annie Ernaux(pp.209-210).Texte D : Manifeste des Chiennes de garde (p.211).

Texte A : Scène 3 de l’acteV du Mariage de Figaro deBeaumarchais (pp.246-250).Texte B : Scène 4 de l’acte III du Mariage de Figarode Beaumarchais (p.165).Texte C : Extrait de la scène 6 de l’acte I du Cid deCorneille (pp.255-257).Texte D : Extrait de Rhinocéros d’Eugène Ionesco(pp.258-259).

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Objet d’étudeet niveau

Convaincre,persuader et délibérer(Première)

Le théâtre : texte et représentation(Première)

Compléments aux travaux d’écrituredestinés aux séries technologiques

Question préliminaireVous indiquerez,en justifiant votre réponse, le gen-re de chacun des textes.

CommentaireVous étudierez la sensation de solitude de la femmeau sein du couple,puis les marques de sa révolte intérieure.

Question préliminaireEn vous aidant des textes du corpus, rappelez `les principales fonctions d’un monologue.

CommentaireAprès avoir montré que ce texte est un passage lyrique au sein du genre tragique,vous étudierez la complexité de ce dilemme et l’affirmation d’un héroïsme.

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a L’action débute au château d’Aguas-Frescas,près de Séville,dans le sud del’Espagne.Aucune date ne nous est donnée,mais on peut penser que l’action se dé-roule dans la seconde moitié du XVIIIe siècle,comme le laissent supposer les nom-breuses allusions autobiographiques du texte.La troisième pièce de la trilogie,LaMère coupable,évoquera les changements provoqués par la Révolution française.

z Figaro,comme l’indique la liste des personnages, est le valet de chambre duComte et le concierge du château. Suzanne est la première camariste de laComtesse,c’est-à-dire sa femme de chambre.

e Figaro et Suzanne sont fiancés et s’aiment très tendrement.

r Dans la scène 1 de l’acte I, le lecteur apprend que le Comte a fait cadeauaux deux amoureux de la chambre qui se situe entre ses appartements et ceuxde la Comtesse. La raison secrète est qu’il pourra voir plus commodémentSuzanne, qu’il courtise assidûment. En effet, le Comte désire rétablir le droitdu seigneur, droit qui l’autorise à coucher avec Suzanne avant ses noces enéchange d’une dot.

t À la scène 4 de l’acte I,Marceline, l’intendante du château et femme d’uncertain âge,dit à Bartholo qu’elle désire épouser Figaro.Ce dernier a signé à sonégard une reconnaissance de dette pour une somme d’argent qu’elle lui a jadisprêtée,et qui équivaut à une promesse de mariage.

y Chérubin est le premier page du Comte ;c’est un tout jeune homme noblequi lui sert d’écuyer.La Comtesse est sa marraine.

u Chérubin dérobe à Suzanne le ruban de nuit de la Comtesse, car il est amoureux de cette dernière.

i La Comtesse est très malheureuse car son époux la délaisse et ne semble plustrès amoureux d’elle.

o À l’acte II, lorsque survient le Comte, Chérubin court se réfugier dans lecabinet de toilette de la Comtesse. Suzanne l’en délivre, et le jeune hommesaute par la fenêtre qui donne sur le jardin.

B i l a n d e p r e m i è r e l e c t u r e ( p . 2 8 8 )

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

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B i l a n d e p r e m i è r e l e c t u r e

q Le Comte a décidé de nommer Figaro courrier de dépêches en Angleterre.C’est en fait un piège : si Figaro refuse, cela signifie qu’il est au courant dupenchant du Comte pour Suzanne.

s Celui qui rend la véritable décision est le Comte, grand corrégidord’Andalousie,c’est-à-dire premier officier de justice de la province.

d Par un heureux concours de circonstances, on apprend que Marceline etBartholo sont les véritables parents de Figaro.Pour cette raison,le procès n’a plusaucun sens.

f Figaro, Marceline et Suzanne tentent de convaincre Bartholo d’épouserMarceline pour que Figaro devienne un enfant légitime. On apprend au début de l’acte IV qu’ils y sont parvenus.

g Chérubin est resté au château déguisé en jeune fille du bourg.

h Suzanne donne rendez-vous au Comte sous les grands marronniers, cadrede l’action de l’acteV.

j Figaro voit d’abord le Comte ramasser un billet doux,avec lequel il se pique puisqu’il est fermé d’une épingle.Puis ce dernier charge Fanchette de remettre engage d’accord l’épingle à Suzanne.Bien entendu,Figaro l’intercepte et croit avoirtout compris.

k Dans l’obscurité de la nuit,Chérubin veut embrasser celle qu’il prend pourSuzanne,et embrasse finalement… le Comte !

l La Comtesse se rend au rendez-vous donné par le Comte à la place de Suzanne.

m Dans l’un des pavillons,on trouve Chérubin,Fanchette,Marceline et Suzanne.Dans l’autre pavillon se cache seule la Comtesse.

w Lorsque la Comtesse apparaît, travestie en Suzanne, le Comte comprendque c’est elle qu’il a courtisée en la prenant pour une autre. Ce faisant, il a démontré son infidélité.Pris en faute, il ne peut en vouloir à personne d’autrequ’à lui-même.

◆ LECTURE ANALYTIQUE DE L’EXTRAIT (PP. 78 À 80)

a La première didascalie est explicite :«Le théâtre représente une chambre à demidémeublée .» L’auteur a choisi de planter son décor de façon extrêmement précise et insiste sur le lieu où va se dérouler l’action.

z Le décor est un peu étonnant dans la mesure où l’on trouve dans cettechambre «un grand fauteuil de malade».Figaro et Suzanne s’occupent vraisem-blablement à meubler leur chambre avec des meubles de fortune, et non unmobilier très élégant et approprié.Ce faisant,Beaumarchais rappelle que nosdeux héros n’appartiennent pas à une classe sociale favorisée : ce sont des serviteurs.

e La pièce s’intitule Le Mariage de Figaro;l’exposition nous conduit d’emblée aucœur de l’intrigue en nous présentant la chambre qui sera celle de Figaro etSuzanne après leur mariage.Le lieu à moitié vide symbolise bien cette union quetous attendent. Il faut noter qu’un meuble très important est absent: le lit que le Comte doit donner aux fiancés,comme l’indique Figaro.Le lit est le symbolede l’amour conjugal – donc consommé – par excellence.Cet amour n’est pasencore concrétisé,et il faut noter que c’est au Comte qu’en revient en quelquesorte la décision.Or, comme le lecteur va l’apprendre, le Comte est celui qui s’interpose entre Figaro et Suzanne.L’utilisation des lieux et des objets n’est jamais innocente chez Beaumarchais.

r Figaro et Suzanne sont respectivement le valet et la femme de chambre du Comte et de la Comtesse Almaviva. Ils sont amoureux l’un de l’autre et s’apprêtent à se marier.Cependant,le Comte désire rétablir le droit du seigneur,qu’il avait aboli. Ce dernier lui permet de coucher avec Suzanne avant son mariage. Il a un précieux auxiliaire :Bazile, le maître à chanter de Suzanne,quitente de la corrompre quotidiennement.Mais Suzanne et Figaro ne l’entendentpas de cette oreille.La Comtesse apparaît logiquement comme une épouse délaissée.

A c t e I , s c è n e 1 ( p p . 7 3 à 7 7 )

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R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

t Les opposants à l’amour fidèle de Suzanne et Figaro sont le Comte et Bazile ;l’adjuvant principal sera sûrement la Comtesse.

y Le Mariage de Figaro se déroule quelques années après Le Barbier de Séville.Quelques allusions au passé des personnages sont faites dans cet extrait, et cependant elles peuvent rester tout à fait opaques aux personnes qui ne connais-sent pas la pièce précédente. Le « loyal Bazile » (l. 38) est un individu peu recommandable, qui fit l’éloge de la calomnie ; quant à Figaro, il fut un valet dévoué :«J’avais assez fait pour l’espérer» (l.46).On apprendra par la suite qu’il aaidé le Comte à enlever sa future femme aux soins d’un tuteur jaloux.L’expositionde ce passé se poursuivra donc dans la suite de la pièce ; pour le moment,ces quelques allusions sont trop laconiques pour gêner le lecteur néophyte.

u À première vue, les rapports de Figaro et du Comte étaient amicaux,puisqu’ils étaient ceux de deux complices.Figaro a fidèlement servi son maître,comme semble l’indiquer Suzanne lorsqu’elle parle de son «mérite».

i Le Comte semble ici trahir le pacte d’amitié qui le liait à Figaro.Alors que ce dernier l’a servi dans ses amours, le Comte ne songe qu’à perturber le bon-heur de son valet.Il fait preuve de déloyauté.En agissant selon son bon vouloir,Almaviva semble rappeler qu’il est le maître et commande.Figaro a donc l’idéed’empocher la dot sans que Suzanne ne cède. Les deux hommes vont s’affronter, c’est inéluctable.

o Un élève doit avoir lu au lycée plusieurs comédies de Molière ; il peut doncciter quelques noms de valets et servantes de comédie :Scapin dans Les Fourberiesde Scapin, Sganarelle dans Dom Juan, éventuellement Dorine dans Le Tartuffe etToinette dans Le Malade imaginaire.Chez Marivaux,on peut songer à Arlequinet Lisette dans Le Jeu de l’amour et du hasard.Cette liste n’est, bien entendu,pasexhaustive.Néanmoins,Figaro et Suzanne semblent se démarquer, dès la première scène,de cette tradition théâtrale :Beaumarchais nous présente une touchante scènegalante entre deux fiancés dont le bonheur est menacé. Si leurs préoccupa-tions sont bien celles de valets traditionnels (cupidité, goût de l’intrigue, voireun brin de paillardise chez Figaro), ils s’insurgent contre ce maître qui commande.

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A c t e I , s c è n e 1

q Les passages explicitement comiques sont ceux des lignes 28 à 30,lorsque Suzannereprend les onomatopées de Figaro pour les détourner de leur usage,puis deslignes 38 à 43, lorsqu’ils parlent tous deux de Bazile,des lignes 59 à 64,où estévoqué le thème du cocuage,enfin,de la ligne 82 à la fin du passage, lorsque lesamoureux s’embrassent.

s Les effets comiques sont perçus différemment par le spectateur : le jeu desonomatopées ainsi que les cornes de Figaro peuvent amener un franc éclat derire chez le spectateur ; quant à la fin de la scène, elle suscite plutôt un sourirebienveillant à l’égard du couple.Cela revient à dire que Beaumarchais joue avecplusieurs types de comiques et que la tonalité du passage n’est pas d’un seul bloc.

d On retrouve dans cette scène un certain comique de farce,dont Beaumarchaisassume l’héritage (rappelez aux élèves qu’il a composé des parades) : c’est lecas de la « volée de bois vert » (l. 41), comique gestuel des coups de bâton mécaniques,mais aussi de l’évocation des cornes de Figaro.Ensuite,on trouveun comique de mots, un peu plus fin, dans lequel Beaumarchais excelle : onpense notamment aux onomatopées qui ne signifient pas la même chose dansles deux répliques, et à l’ironie de Suzanne lorsqu’elle parle du « loyal »,«honnête» et «noble» Bazile.Il faut noter que c’est le personnage de Suzanne quimanie l’humour le plus recherché.Enfin, la scène se termine sur un comiquede gestes :Figaro court après sa bien-aimée pour lui dérober un second baiser.Nous sommes ici dans une plaisante scène galante.

◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 81 À 84)

Examen des textes

a Le texte B nous présente deux personnages : le jeune Octave et son valetSylvestre.Le père d’Octave revient de Tarente dans l’intention de marier son filsavec la fille d’un certain Géronte,manifestement connu des personnages.L’oncled’Octave les a prévenus de cette situation, qui ne semble pas faire plaisir auxdeux hommes.En l’absence de son père et avec la complicité de Sylvestre,Octavea commis quelque chose de terrible…

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z Le valet Sylvestre ne paraît pas extrêmement débrouillard dans cette scène :«Ma foi ! je m’y trouve aussi embarrassé que vous, et j’aurais bon besoin que l’on me conseillât moi-même. » Sylvestre appartient plutôt à la tradition des valets lourdauds.

e En faisant répéter à Sylvestre,de façon systématique,les propos de son maître,Molière critique la convention théâtrale des scènes d’exposition.Le lecteur est informé clairement de tout ce qu’il doit savoir sur la compréhension de l’intrigue,mais de façon exagérée.En effet,Octave et Sylvestre sont tous deuxau courant de la situation ; point n’est besoin de tout répéter deux fois, carc’est très artificiel.Cela permet à Molière de créer un effet de comique de ré-pétition,mais également de jouer avec cette convention,et donc d’adresser unclin d’œil méta-littéraire au lecteur et au spectateur.Cela est très moderne.

r Les sentiments éprouvés par Dorval sont très explicites dans cette scène d’ex-position. Les didascalies traduisent son agitation, puisqu’il ne peut tenir en place et change sans cesse de position. Ses mouvements sont « violents »,« Il paraît agité ».Dorval est bouleversé, et la raison de ce bouleversement est donnée par le texte : « J’aime… » Mais ce n’est pas un amour heureux, parceque Dorval semble éprouver un sentiment qu’il n’est justement pas en droit de ressentir. Il pense à quitter au plus vite la maison de son ami.

t Il faut noter que le texte dit par le comédien est quantitativement moins important que les didascalies qui servent d’indications au metteur en scène.Les gestes semblent compter beaucoup plus que les paroles. Son visage, sesgestes, sa posture doivent indiquer chez Dorval l’agitation extrême,et presquel’épouvante. C’est dans cette mesure que la scène présentée est un tableau :les principaux renseignements sont donnés au spectateur par la vue, et le moment semble figé.

y D’un côté, les didascalies sont très précises en ce qui concerne le décor (lesbrochures, le trictrac…), le costume de Dorval et les sentiments qu’il éprouve.D’un autre côté,le lecteur n’apprend que très peu de chose sur l’intrigue :il saitseulement que Dorval est amoureux mais ne le devrait pas.Aucun mot n’est ditdes autres personnages.Cette scène est assez représentative du genre du drame

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bourgeois : l’essentiel est d’émouvoir le lecteur, non de raconter une histoireriche en rebondissements divers.

Travaux d’écriture

Question préliminaireOn peut attendre de l’élève qu’il donne, dans un premier paragraphe, une définition des didascalies, et qu’il puisse dire qu’elles varient, selon les textes,en quantité ou en qualité. En effet, les indications données ne portent pas forcément sur les mêmes choses suivant les auteurs : les didascalies peuvent renseigner le lecteur sur le décor, les costumes,mais également sur les gestesou le ton des personnages.Molière n’utilise aucune didascalie, il laisse ainsi la plus grande liberté au metteur en scène.Pourtant, cela ne signifie pas que le lecteur n’est pas rensei-gné sur l’action.En effet, d’après les indications données par les personnages,l’exposition est presque complète.Diderot est l’exemple inverse : ses didascalies sont très importantes quantitati-vement. Cependant, il faut constater qu’elles renseignent en majorité sur le décor, de façon très précise (mais inutile ?), et sur les gestes du personnage enscène.On a presque l’impression qu’il s’agit ici d’un incipit de roman.À l’in-verse, l’exposition est loin d’être complète, puisque l’on ne sait rien des autrespersonnages,de leurs liens avec Dorval,et que l’on ne connaît même pas le nomde la personne qu’aime Dorval,ni pourquoi cela le bouleverse à ce point.Beaumarchais semble occuper le juste milieu entre ces deux positions. Les didascalies nous renseignent sur le décor, en insistant sur des objets qui symbolisent l’intrigue de la pièce, comme la couronne de fleurs d’oranger oula toise,qui mesure la place du lit absent.Les autres didascalies indiquent le tondes personnages (« mystérieusement ») ou leurs gestes.Cependant, l’essentiel desinformations nous est fourni par les paroles des deux personnages en scène.Dans le dernier paragraphe, l’élève doit être amené à conclure que,si les didas-calies sont utiles au lecteur qui ne « voit » pas la scène comme le spectateur,ellesne sont pas nécessaires à une bonne exposition de l’intrigue. Les paroles des personnages remplissent bien mieux cet office. Les didascalies sont une aide,mais elles ne sont pas indispensables au genre dramatique, qui se passe de narrateur.

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R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

CommentaireLa première scène des Fourberies de Scapin est à l’image des autres scènes d’ex-position des comédies de Molière : l’action débute toujours in medias res,c’est-à-dire en plein cœur de l’intrigue.On peut ainsi songer au début du Médecinmalgré lui, où Martine et Sganarelle se disputent très vivement. Ici, nous trouvons deux personnages complètement apeurés et désespérés par une nouvelle inattendue.

1.Cette première scène est une scène d’exposition

A.Elle nous fournit des renseignements sur l’intrigueLecteur et spectateur disposent d’informations sur l’action qui concerne les per-sonnages sur scène,Octave et Sylvestre.Octave est amoureux et semble avoir fait,avec la complicité de Sylvestre et durant l’absence de son père,quelque choseque ce dernier ne va pas apprécier. Il y a également quelques indications sur lepère d’Octave, personnage hors scène et qui n’est pas nommé :on sait qu’il revient de Tarente pour marier son fils avec la fille de Géronte,autre personnageabsent de la scène.

B.Elle campe des personnagesNous savons ce qu’il en est de l’intrigue,mais l’exposition a également une vi-sée plus psychologique :le caractère des deux personnages est explicité.Le moinsque l’on puisse dire,c’est que Sylvestre et Octave ne semblent pas très débrouillards !Ils sont tous les deux apeurés par le retour du père du jeune homme et ontperdu tous leurs moyens (« Conseille-moi »/« j’aurais bon besoin que l’on me conseillâtmoi-même »).

C.L’exposition a également pour but de nous séduireDans cette exposition règne un certain suspense : pourquoi les deux person-nages sont-ils dans cet état ?• Exposition incomplète : laconisme de la formule « fâcheuses nouvelles pour un cœur amoureux ». De même, « toutes nos affaires » et « vos folies » restent mystérieuses.• Les deux personnages sont dans l’impasse (voir les trois interrogations sans réponsede la dernière tirade d’Octave).Nécessité du recours à une personne extérieure.Mise en relation avec le titre de la pièce :qui est Scapin ? Nécessairement le sauveur.

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• L’un des principaux moyens de cette exposition pour nous séduire est le comique de la scène.

2. Scène comique, scène de comédie

A.Un rythme vifCe rythme vif ancre la pièce dans le genre de la comédie. Il se traduit par des interjections (« Ô Ciel ! ») et par de multiples interrogations.L’angoisse des deuxpersonnages est hyperbolique (« Je suis assassiné par ce maudit retour ») et doit se traduire, sur scène,par un jeu d’angoisse très exagérée par les comédiens.

B.Le couple de comédie maître/valetC’est un important ressort comique en comédie, souvent à cause du contrastephysique et psychologique entre les deux personnages. Sylvestre est bien levalet traditionnel de comédie qui redoute les coups de bâton.En revanche, iln’y a pas de véritable contraste entre les deux personnages,puisqu’ils sont dansle même état d’esprit.Sylvestre réprimande son jeune maître pour ses folies,avecle bon sens traditionnel de son emploi qui exaspère ce dernier (« vos folies »,« tesleçons hors de saison »),et il ne répond pas à ses ordres lorsque Octave lui demandeun conseil.

C.Une scène comique• Comique de situation : les deux hommes se retrouvent dans la situation d’enfants pris en faute.• Comique de mots, qui est un comique de répétition : Sylvestre reprend mot pour mot les paroles de son maître, jusqu’à ce que celui-ci trahisse son exaspération.• Mais c’est également un comique plus fin de connivence avec son lecteur.Molière se joue ici d’une convention théâtrale qui lui paraît artificielle : l’expo-sition.Il force le trait pour faire rire son public.Exagération qui est le propre ducomique.Réflexion méta-littéraire.

Conclusion

• Mission accomplie pour Molière : il a réussi à nous renseigner sur l’intriguede manière très claire, tout en nous séduisant.

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• Il a contourné la convention théâtrale de façon très originale en nous faisantrire.Cette réflexion sur les artifices de la littérature est très moderne.• Il crée un effet d’attente : comment Octave et Sylvestre vont-ils sortir de cette impasse ? L’arrivée du personnage principal, Scapin, est retardée pour ménager le suspense.Même procédé dans Le Tartuffe.

Dissertation

L’élève doit d’abord se poser la question suivante : pour qui l’exposition doit-elle être satisfaisante ?L’auteur a bien sûr tout intérêt à faire preuve d’habileté en exposant son sujetdiscrètement,pour des raisons de naturel et de vraisemblance.La dissertation n’aalors pas grand intérêt.En revanche,si l’on se place du point de vue de la réception de l’œuvre,c’est-à-dire du lecteur et du spectateur,l’affirmation de Jacques Schérer peut être discutée.Une exposition qui n’en est pas une ne sera pas très claire pour le lecteur,donc passatisfaisante.On peut alors adopter le plan dialectique suivant :

1.Une exposition doit nous séduire sans nous ennuyer

A.L’exposition est une convention théâtraleElle a,en effet,un caractère artificiel qui n’échappe pas au public.Pour cela,ellen’échappe pas à la critique.Au XVIIIe siècle,Diderot remet en cause certainesrègles dramatiques au nom d’un plus grand naturel et crée le drame bour-geois.Dans Le Fils naturel, la première scène n’est pas,à proprement parler,unescène d’exposition,mais plutôt un tableau.

B.Dès le début, l’œuvre doit capter notre attention• L’œuvre théâtrale est dramatique, c’est-à-dire action au sens premier du terme.Or l’exposition,qui raconte lourdement le passé des personnages et leursliens,peut être ennuyeuse.• Réussite du Médecin malgré lui qui nous conduit en plein cœur d’une disputeconjugale très animée, laquelle retient notre attention.Qu’apprend-on ? Pasgrand chose, mais nous allons suivre avec intérêt les événements qui vont arriver au couple.

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C.L’exposition doit se fondre dans le reste de l’œuvreElle ne doit pas trop s’en détacher. C’est ce que dit Boileau dans son Art poétique:

« Que,dès les premiers vers, l’action préparéeSans peine du sujet aplanisse l’entrée.»

Idéal d’unité et d’harmonie proposé par Boileau.Une exposition doit surtout annoncer les thèmes majeurs de l’œuvre.La première scène du Malade imagi-naire est très longue.Argan est seul en scène et fait ses comptes, quant à des dépenses de médicaments.On ne sait rien des autres personnages ; seul comptecet homme autour duquel est bâtie cette comédie de caractère.Argan se croit exagérément malade.

2. L’exposition a une fonction didactique qui se veut explicite

Une information claire est une information clairement annoncée en tant quetelle.Une exposition qui n’a pas l’air d’être une exposition manque son but informatif et ne peut être satisfaisante pour le lecteur et le spectateur.

A.L’exposition nous renseigne sur l’espace et le tempsImportance des didascalies en début de pièce.C’est une aide pour le lecteur etle metteur en scène.L’exposition du lieu dans la première scène du Mariage deFigaro n’est pas innocente, mais symbolique (lit absent, chambre entre les appartements du Comte et de la Comtesse,couronne de fleurs d’oranger…).

B.Elle nous renseigne sur les personnages et l’intrigueNécessité de clarté, surtout quand l’intrigue est complexe. Dans les pièces antiques, l’exposition est souvent symbolisée par un prologue, incarné par un personnage.C’est ce procédé que reprend Anouilh dans Antigone :le personnage-prologue se promène au milieu de personnages inanimés qui vont prendre viepar la suite.C’est une pause didactique avant que ne débute l’action :«Antigone,c’est la petite maigre qui est assise là-bas, et qui ne dit rien.»

C.Elle nous donne le genre de la pièceExemple des différents types de comiques dans la première scène du Mariagede Figaro qui nous annoncent que nous sommes dans une comédie.À l’inverse,Le Cid se place bien vite dans le genre de la tragi-comédie.Dans la scène 1, le

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lecteur apprend que Chimène et Rodrigue,qui s’aiment,vont sûrement se ma-rier. La situation est heureuse,mais Chimène prononce ce vers célèbre : « Etdans ce grand bonheur, je crains un grand revers. » Le lecteur sait tout de suite que lasituation ne va pas durer,et il attend la catastrophe.

3. Information et séduction ne sont pas nécessairement dichotomiques

A.Selon Jacques Schérer,une exposition satisfaisante garde sa nature d’expositionElle se rend seulement un peu plus discrète,mais ne renonce pas à nous informer.C’est une question d’apparence,et non d’essence.Si l’on réexamine les premièresscènes du Fils naturel de Diderot,on s’aperçoit qu’il expose son sujet en bonne etdue forme,notamment dans la deuxième scène,en faisant dialoguer Dorval avecson domestique.Il a retardé un peu son exposition,mais ne l’a pas supprimée.

B.Il faut un nécessaire équilibre entre l’information et la séduction du publicSouvent l’information est savamment distillée, à petites doses – ce qui crée uneffet d’attente.L’exposition peut être considérée comme une « mise en bouche »qui ne tue pas l’intérêt,mais le suscite.Dans Le Tartuffe,Mme Pernelle fait,dansla scène 1 de l’acte I, la leçon à toute sa famille, qui ne se conduit pas bien,selon elle,avec Tartuffe.C’est ainsi que l’on découvre la plupart des personnages,car chacun en prend pour son grade,mais il manque l’essentiel, à savoir le per-sonnage principal,qui n’apparaît qu’à l’acte III !Même procédé dans Dom Juan :Sganarelle trace un portrait négatif de son maîtredans la première scène.

C.L’exposition théâtrale est une convention avec laquelle on peut jouerLa tendance du théâtre contemporain est dans la mise en valeur de ces grossesficelles du genre théâtral ; l’exposition est assumée en tant qu’artifice, commedans Antigone d’Anouilh.Mais,bien avant lui,Molière a déjà joué avec ce procédé dans Les Fourberies deScapin, en faisant répéter à Sylvestre tout ce que lui dit Octave.L’exposition estsoulignée et caricaturée.Le procédé est comique.

Écriture d’inventionOn attend des élèves qu’ils respectent les règles de la scène d’exposition clas-sique.Elle peut comporter des didascalies au début du texte pour informer le

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lecteur sur le décor,mais aussi sur les gestes et le ton des personnages.Il faut quel’exposition ait une fonction informative.Les élèves doivent indiquer clairementle roman du XIXe siècle qu’ils ont choisi,ce dernier devant être un « classique »,c’est-à-dire susceptible d’être étudié en classe et connu de tous,comme MadameBovary ou Le Rouge et le Noir par exemple.Les bonnes copies seront celles quiauront répondu à ces consignes,tout en ménageant un effet d’attente et en sus-citant l’intérêt du lecteur.

◆ LECTURE ANALYTIQUE DE L’EXTRAIT (PP. 126 À 128)

a Ces scènes sont érotiques, dans la mesure où elles sont empreintes de désirsdiffus.Beaumarchais crée habilement une ambiance galante et troublante, enfaisant notamment déshabiller Chérubin par Suzanne, sous prétexte de dégui-sement. L’emploi des didascalies n’est, en général, pas innocent, puisqu’elles indiquent des contacts physiques entre les personnages (« Elle lui prend le menton », p. 123). À la fin de la scène 9, par exemple, la Comtesse essuie lesyeux de Chérubin avec son mouchoir.Même les taquineries de Suzanne aujeune garçon, lorsqu’elle le fait tomber sur les mains, ne semblent pas gra-tuites,comme on l’a vu à l’acte I.Cependant,cet érotisme n’est qu’ébauché,carChérubin n’est pas encore un jeune homme mûr.

z Le début de liaison entre Chérubin et la Comtesse peut sembler scanda-leux à plus d’un titre.D’abord parce que le page est un tout jeune homme,etque la jeune femme est sa marraine.Il y a quelque chose d’incestueux dans cesrapports. Et pourtant, ce n’est pas ce qui cause le plus de scandale dans la pièce.Paradoxalement, le fait que la Comtesse trompe son mari, alors qu’elleparaît si vertueuse,est bien plus choquant.Ce qui provoque la fureur du Comteest la menace d’adultère.

e Non, les sentiments de Chérubin et de la Comtesse ne sont pas clairement explicités.Comme nous l’avons dit, la Comtesse est une femme vertueuse, etdoit le rester.À aucun moment les personnages ne s’avouent leurs penchants,et pourtant le spectateur ne doute pas de ces derniers.

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r Chérubin utilise donc des voies détournées pour avouer son amour à la Comtesse.Il en a déjà fait l’aveu à Suzanne à l’acte I.Dans un premier temps, les didascaliesnous indiquent les émotions du page,qui « dévore de ses regards » sa marraine,parled’un ton «pénétré»,puis « exalté ».Il faut noter la gradation de ses émotions.Ensuite,il tente d’avouer son amour (l.284-285,295-296),mais la Comtesse l’interromptpar deux fois,car elle comprend très bien de quoi il s’agit.L’usage des points de suspension est révélateur.

t La Comtesse mène le jeu dans ce passage.De par son âge et sa position,elle domine le jeune page.À cet égard, elle n’hésite pas à lui couper la parole, sur-tout lorsque le jeune homme tente maladroitement de lui avouer sa flamme,et lui donne des ordres dans des phrases impératives («Taisez-vous », l. 298).

y D’une part,elle éprouve une attirance certaine pour le jeune homme.Lorsqu’ellecommence une phrase par les mots :«À la première égratignure…» (l. 288), l’on s’attend à ce qu’elle dise qu’elle remettra le ruban porté par Chérubin,mais ellese reprend.Elle n’a cependant pas assez d’empire sur elle-même pour cacherqu’elle est «émue».D’autre part, ce sentiment se teinte d’une sorte d’amourmaternel, empreint de compassion pour le sort du jeune homme.Elle l’appelled’ailleurs «enfant» (l.298).Bref,tout ceci forme un ensemble assez obscur.Ce quiest certain en revanche,c’est que la Comtesse ne laissera pas les choses dévier.Onapprendra,dans La Mère coupable,que la Comtesse a eu un enfant de Chérubin…à la suite d’un viol.

u Le théâtre dans le théâtre est un thème que Beaumarchais développe à plu-sieurs reprises dans Le Mariage de Figaro.En règle générale, ses personnages ai-ment se donner la comédie.On peut considérer que la romance que Chérubinchante aux deux femmes en fait partie, dans la mesure où ces dernières se placent en spectatrices.Ensuite, le déguisement de Chérubin appartient bien àcette mise en abyme que constitue le théâtre dans le théâtre.Ce personnage s’apprête à jouer un autre personnage.

i À la scène 5 de l’acte IV,Chérubin est déguisé en jeune fille de bourg pourpouvoir rester incognito au château.Enfin,durant l’acteV,Suzanne et la Comtesseont échangé leurs vêtements.Nous pouvons remarquer que ce sont les trois

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personnages du passage étudié qui symbolisent le mieux,dans la pièce,ce pro-cédé de comédie dans la comédie.Ni Figaro,ni Almaviva ne se déguisent.

o Les personnages qui prennent les initiatives dans l’intrigue, et incarnent les véritables meneurs de jeu, sont avant tout la Comtesse et Suzanne.Bien vite,Figaro se contente de suivre la cadence imposée par les deux femmes,au risqued’être exclu de leurs complots à partir de l’acte IV.Tout autant que les tirades de Marceline à l’acte III, la dramaturgie traduit un certain féminisme deBeaumarchais. Le déguisement des femmes serait-il un moyen de conquêtedu pouvoir et d’échappatoire à leur triste réalité d’éternelles soumises ?

q Les quelques scènes étudiées sont d’agréables scènes de comédie, à la fois légères et galantes.Les trois personnages s’amusent visiblement beaucoup.Cesscènes distillent également une ambiance très intime.L’arrivée du Comte à lascène 10 va être vécue comme une intrusion, voire une catastrophe, puisquela présence de Chérubin dans les appartements de la Comtesse n’a aucune légitimité. Les scènes qui vont suivre seront dramatiques au sens courant du terme,car il en va du destin de la Comtesse.

s Comme nous l’avons dit, des personnages qui donnent la comédie sont enquelque sorte maîtres du jeu. Mais le Comte représente une autorité supé-rieure, qui a tous les droits. La Comtesse, comme Suzanne, est une sorte devassale quand le Comte commande et exige.Heureusement, les deux femmesparviennent à jouer la comédie jusqu’au bout.C’est peut-être l’un des secretsde Beaumarchais : il parvient à maintenir un rythme haletant, parce que ses personnages sont dans des situations perpétuellement instables, voire dange-reuses.Les rapports de force s’inversent régulièrement.

d La Comtesse,face à Chérubin,occupe le plein-emploi de « grande coquette »,puisqu’elle domine le jeune homme. Ce dernier la place sur une sorte de piédestal. Il en va très différemment dans les scènes avec le Comte.C’est unefemme délaissée et désabusée, victime d’un mari excessivement jaloux. Dedominante, elle devient dominée dans les scènes qui suivront. Les moments vécus avec Chérubin ont constitué un court intermède.

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◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 129 À 134)

Examen des textes

a La lettre de rupture que Valmont envoie à Mme de Tourvel se compose de huit paragraphes.Or ces huit paragraphes se terminent tous par la mêmephrase: «Ce n’est pas ma faute.» Cette répétition insistante est intentionnelle:elle est en fait ironique.Valmont,par ce procédé, indique sa mauvaise foi.Bienentendu,cette rupture est entièrement de sa faute.

z Le libertinage professé par Valmont est des plus cruels.Il détourne la réflexionphilosophique du siècle sur les grands pouvoirs de la nature pour en faire la justification d’un comportement immoral.Valmont invoque la « Loi de la Nature »pour justifier son inconstance.Ce faisant, il nie l’amour durable.L’individu neserait doué que pour un plaisir sexuel purement animal,et c’est déjà ce qu’avaientsous-entendu certains matérialistes comme Diderot. Le libertin est fataliste :«Ainsi va le monde.» Seule compte la loi du plaisir, l’unique but recherché :« jet’ai prise avec plaisir ».Cependant, cette idéologie révèle bien vite sa vacuité : lelibertinage n’est qu’un art de distraire l’ennui profond que l’on a de la vie :« jem’ennuie aujourd’hui d’une aventure qui m’a occupé entièrement depuis quatre mortelsmois ».En cela,Valmont se rapproche du comte Almaviva,« libertin par ennui ».

e Les didascalies de ce texte ne sont pas des didascalies de scènes d’exposition :elles n’indiquent ni lieu,ni décor.En revanche,elles marquent les mouvementsque fait chaque personnage,et qui sont cruciaux puisqu’il s’agit d’une scène de séduction physique.Clitandre et Cidalise se rapprochent et s’éloignent l’un del’autre,car la jeune femme tente de résister.Le fait qu’elle ne regarde pas Clitandresemble également important :«toujours sans le regarder».Les didascalies traduisentégalement le ton avec lequel se parlent les deux interlocuteurs,parfois sec,ironiqueou ardent.Enfin, chose intéressante, elles marquent les silences et offrent une alternative aux paroles :«Elle ne lui répond rien; il se tait aussi en soupirant»,«aprèsquelques instants de silence ».Toutes ces didascalies démontrent que cette scène estextrêmement dramatique ; elle est tout entière dans l’action. Les gestes ont autant d’importance que les mots.Il s’agit presque d’une scène de bataille !

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r Cidalise est tout d’abord alarmée des transports de Clitandre,puis indignée:c’est pourquoi elle lui parle sèchement et froidement.Cependant,cette scène est celle de l’aveu de son amour,et elle révèle ensuite ses sentiments avec retenue,à lamanière de Chimène :« je ne vous hais pas ».Enfin,elle « lui sourit tendrement ».Clitandre,quant à lui,est tout d’abord passionné,puis piqué,ensuite respectueux(« vos procédés, tout durs qu’ils sont, n’altéreront jamais dans mon cœur le profond respect que j’ai pour vous»).Enfin, l’aveu de Cidalise le rend fou de bonheur.Cidalise semble plus sincère que Clitandre.Il n’est pas certain que ce dernier soittout à fait honnête; jusqu’à présent, il a surtout fait preuve de ruse.Clitandre est celui qui a les plus longues tirades et qui fait les plus belles phrases – ce qui in-dique qu’il n’est peut-être pas tant que cela sous l’emprise de l’émotion.Joue-t-illa comédie ? « Il paraît chercher quelque chose. » Clitandre est sûrement le maître des apparences, tandis que Cidalise se défend comme elle le peut contre un sentiment qu’elle éprouve réellement.

t Si Clitandre n’est pas sincère, tous ses faits et gestes ne sont que des straté-gies pour parvenir à ses fins et séduire Cidalise. Il emploie d’abord la force,puis semble vexé qu’elle ne partage pas ses sentiments. Elle se trouve donccontrainte de renouer le dialogue.Il se montre (un peu tard) très respectueux ettente ainsi de l’apitoyer,non sans la menacer légèrement:«C’est au temps que jelaisse à vous la [votre injustice] faire sentir, et plaise au Ciel qu’il ne me venge pas !»Il s’agit ici d’une variante du thème très connu du Carpe diem, employé parRonsard avant lui pour séduire les belles.Cidalise regrettera avec le temps d’avoirété dédaigneuse. Enfin, Clitandre se montre très doux et tendre envers la jeune femme - ce qui a pour effet de faire fondre ses dernières résistances.Il ne l’appelle plus «Madame», qui marque à la fois le respect et la froide distance sociale,mais «Cidalise»,qui est plus familier.

Travaux d’écriture

Question préliminaireTrois facettes du libertinage, trois visages de séducteurs sont présentés dans ce groupement de textes.Chérubin semble le séducteur malgré lui. Incapable d’exprimer adroitement sessentiments, il est réduit au silence par sa «belle marraine»,qui domine leur échange.

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Timide et tendre,il se montre sentimental dans l’épisode du ruban.Cependant,Chérubin est un libertin en puissance. Il est difficile de dire si ses larmes sontsincères à la fin de la scène 9,ou destinées à apitoyer la Comtesse.En outre, ilcourtise également Fanchette et Suzanne dans toute la pièce.C’est à la jeunefiancée de Figaro qu’il dérobe un baiser au moment de sauter par la fenêtre.Sila pièce reste légère,c’est parce que le jeune homme est encore inoffensif.À l’inverse,Valmont semble le prototype du séducteur froid et cynique. Il s’apparente à Dom Juan, à la différence près que ce dernier envisage l’amourcomme une conquête militaire.Valmont séduit par peur du vide et de l’ennui,par simple distraction. Il offre une vision extrêmement noire du libertin.Deplaisant chez Beaumarchais, ce dernier devient néfaste chez Laclos.Clitandre est une figure plus ambiguë, car il est très difficile de savoir s’il jouela comédie ou aime sincèrement.Ses méthodes ne sont guère recommandableset ne semblent pas celles d’un prétendant transi d’amour.Joue-t-il à envelopperun moment de plaisir d’un frisson un peu plus spirituel, celui de l’amour ?Malgré leurs différences, ces trois hommes se ressemblent foncièrement etsont les héros littéraires d’un même courant de pensée.C’est ici une véritable apologie de la sensualité qui nous est présentée,et elle se réclame également ducourant philosophique des Lumières.Après des siècles de censure religieuse, leplaisir physique occupe le devant de la scène, au nom de la biologie pour lesphilosophes matérialistes.À cet égard, il peut être intéressant de faire lire auxélèves les passages concernant la sexualité dans Le Rêve de d’Alembert de Diderot.Pour la première fois, la sexualité est examinée indépendamment des questions de morale.

CommentaireOn pourra adopter le plan suivant :

1.Une vision libertine de l’amour

A.Seul compte le plaisir animal• Nature évoquée par deux fois.• Loi du « ici et maintenant » : « Aujourd’hui, une femme que j’aime éperdument exige que je te sacrifie. »• L’amour a une durée de vie limité :« je t’ai prise avec plaisir, je te quitte sans regret ».

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B.Le libertinage est motivé par l’ennuiChamp lexical de l’ennui dans le début du texte.Quatre « mortels mois » : effetde surprise, car c’est une liaison de courte durée. Le libertin recherche le plaisir pour se distraire, l’amour est un jeu.Noter l’emploi du participe passé« occupé ».

C.Une question de rapports de force• La séduction est un duel : l’autre n’a d’intérêt que parce qu’il faut le conquérir.– « autant d’amour que toi de vertu » :quand la femme cède,elle a perdu.– Marques d’amour qui ennuient (tendresse).– « obstination » de mauvais goût.• Le séducteur, homme ou femme,doit être impitoyable et sans cœur.Cettedureté est présente dans toute la lettre.

2.Une cruauté aux accents ironiques

A.Absence de culpabilité• Répétition moqueuse du « ce n’est pas ma faute ».• « On s’ennuie de tout » : on impersonnel et présent à valeur générale.Valmontse pique de maximes et de sentences.Détachement et généralisation face à unehistoire d’amour,qui est toujours un cas particulier.• Fatalisme de mauvaise foi :«Ainsi va le monde.» Invocation,à deux reprises,deslois de la nature.• Bien pis, cette rupture est la faute de la jeune femme : « ton impitoyable tendresse m’y forçait ».

B.Mélange de tons qui marquent le dédain• Indifférence (ennui) plus vexante que la haine.• Franchise blessante :« une femme que j’aime éperdument ».• Conseils faussement amicaux (emploi de l’impératif intolérable :« Crois-moi,choisis un autre Amant »).• Désinvolture présomptueuse :« je te reviendrai peut-être ».

C.Des insultes personnelles• Mme de Tourvel n’a pas de vertu, alors qu’elle l’a cédée à celui qui l’insulte.

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• Oxymore « impitoyable tendresse »,qui fait de cette qualité un défaut.•Amour fidèle qui devient de l’« obstination ».

Conclusion• Lettre apparemment légère qui est un chef-d’œuvre de cruauté.Ce n’est pasune simple lettre de rupture, elle est vraiment faite pour anéantir.D’ailleurs,Mme de Tourvel en mourra et Valmont ne pourra jamais réparer son erreur.• Face la plus noire et la plus inexcusable du libertinage.

DissertationOn pourra adopter le plan suivant :

1. Le théâtre doit présenter les hommes tels qu’ils sont

A.Par souci de vérité psychologiqueThéâtre qui ne prend pas une ride parce qu’il dépeint précisément les passions humaines :– Phèdre en proie à la passion amoureuse chez Racine.– Jeunes gens de Marivaux qui refusent de s’avouer qu’ils aiment.

B.Parce que le comique est souvent fondé sur le réalismeDans une comédie, on peint les ridicules des hommes, et cela a une grande force comique (un héros ne fait pas rire).Exemple du Comte qui fait rire de lui dans Le Mariage de Figaro parce qu’il est excessivement jaloux et colérique.

C.Pour que le public en tire des enseignementsPour Molière et Beaumarchais,les comédies sont des miroirs du monde des hommes.La comédie doit châtier par le rire (voir la préface du Mariage de Figaro),en nousmontrant ce qu’il ne faut pas faire.On n’a jamais envie d’imiter un homme quifait rire de lui.

2. Le théâtre doit présenter les hommes tels qu’ils devraient être

A.Car seuls les héros nous font rêverDestin extraordinaire des personnages de théâtre hors du commun.Volonté

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d’identification au Rodrigue du Cid, qui s’illustre au combat dans toute lapièce,ou à Ruy Blas, laquais qui devient grand d’Espagne parce qu’il est douéde qualités extraordinaires.

B.Pour nous élever moralementAu XVIIe siècle, le théâtre doit être moral,voire religieux (Racine a créé Esther etAthalie pour les pensionnaires de Saint-Cyr, l’institution de jeunes filles de Mmede Maintenon).Les héros tragiques font souvent des choix qui les honorent,mêmes’ils sont difficiles :Rodrigue sacrifie son amour à l’honneur de sa famille;Antigoneenterre son frère parce qu’elle le doit et est mise à mort pour cette raison.

C.Pour changer le mondeUn personnage de théâtre dit souvent tout haut ce que d’autres pensent toutbas.Ce sont des porte-parole :– Figaro se révolte contre les privilèges de la haute naissance.– Bérenger ne veut pas devenir rhinocéros, c’est-à-dire être absorbé par un système totalitaire.C’est un résistant.

3.Le théâtre semble présenter les hommes tels qu’ils ne devraient pas être !

A.En suscitant la terreur et la pitié dans la tragédieVoir la Poétique d’Aristote,où est exprimée la notion de catharsis :le théâtre nouspurge de nos passions mauvaises par leur représentation.– Phèdre entraîne la mort d’Hippolyte,le beau-fils qu’elle aime passionnément.Elle est à la fois bourreau et victime.– Néron,dans Britannicus, est déjà un « monstre naissant ».

B.La comédie nous montre des caricatures d’hommesDans la farce, les personnages portent des masques hideux. Souvent les per-sonnages de comédie sont des stéréotypes grossiers,qui font rire parce que leursdéfauts sont exagérés.– Exemple d’Argan ou d’Harpagon chez Molière, qui poussent leurs défauts jusqu’à la folie.–Voir le personnage d’Ubu chez Alfred Jarry.

Écriture d’invention• Le ton de ce dialogue doit être violent et passionné ; l’élève ne doit pas hésiterà montrer que les deux interlocuteurs ne sont pas du tout d’accord (phrases

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exclamatives,antithétiques…).Dans tous les cas,le dialogue doit être marqué pardeux argumentations différentes (thèse et antithèse).• Les arguments de l’un doivent tourner autour du libertinage et des nombreuxmensonges. Il ne faut pas hésiter à critiquer l’atmosphère légère de cette piècequi traite de sujets sérieux.Les personnages doivent être passés au crible de lamoralité.Dans l’autre cas, le défenseur de Beaumarchais peut reprendre les ar-guments de l’auteur dans sa préface. Il n’est pas défendu de faire du défenseurde la moralité un personnage un peu ridicule.

◆ LECTURE ANALYTIQUE DE L’EXTRAIT (PP. 172 À 174)

a La première tirade est celle des « God-dam », la seconde concerne la politique(« feindre d’ignorer ce qu’on sait […] »).Ces deux tirades font plusieurs lignes cha-cune et ne traitent pas de l’intrigue de la pièce.Elles sont prononcées par Figaroet non par le Comte – ce qui n’est pas étonnant : le valet est connu pour sonéloquence et son sens de la répartie humoristique.

z L’énergie de la première tirade repose sur un comique de mots: la répéti-tion exclamative du terme « God-dam »,qui ne veut rien dire en soi.Le comiqueest également gestuel,puisque Figaro met en œuvre des talents de mime.Cettetirade semble prendre sa source dans le registre de la farce.L’humour de la tirade sur la politique est beaucoup plus mordant,puisqu’il a des victimes désignées : les politiciens, définis comme des intrigants. Il faut noter l’emploi anaphorique des infinitifs.Verbes à un mode non conjugué, ils permettent de généraliser le propos.La tonalité de cette seconde tirade est doncsatirique.Dans les deux cas,elles divertissent le spectateur et le font rire.On peut les consi-dérer comme des morceaux d’éloquence comique.

e Les apartés sont signalés par la didascalie suivante :« à part ».On les trouve tout aulong de cette scène ;ils sont au nombre de treize – ce qui n’est pas anodin.Ils sontd’abord ceux de Figaro,qui voit le Comte parler tout seul,puis se répartissent à peu

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près équitablement entre les deux personnages,pour devenir symétriques en fin descène.À l’aparté d’un personnage correspond un nouvel aparté de son interlocuteur.

r Le grand nombre d’apartés nous apprend que la scène entre Almaviva et Figaroest un jeu de dupes :les deux hommes veulent se cacher la vérité.Le Comte dé-sire savoir si Suzanne a averti le valet de ses tentatives de séduction et comprendrece qui s’est passé dans les appartements de la Comtesse.Quant à Figaro, il se di-vertit à changer d’avis au sujet de son nouvel emploi à Londres.Ceci lui permetde faire croire à son maître qu’il ne sait rien dans un premier temps,puis tout dansun second temps.Mais là où Figaro s’amuse, le Comte s’informe.C’est de l’issuedu procès qu’il est en train de décider :Suzanne veut-elle rester fidèle ? Figaroépousera Marceline.

t Le vouvoiement du Comte est tout d’abord froid et cérémonieux,car il esten colère.Figaro,Suzanne et la Comtesse lui cachent quelque chose:c’est pour-quoi il appelle son valet « monsieur » dans un premier temps.Puis Almaviva semet à tutoyer Figaro : « j’avais quelque envie de t’emmener à Londres, courrier de dépêches… » Il faut noter qu’il semble « radouci ».Après l’autorité, le Comte essaie la ruse : il tente d’établir une connivence avec son valet. Le tutoiementn’est pas une marque d’irrespect,mais d’affection.

y Les relations du Comte et de Figaro sont extrêmement complexes et origi-nales au théâtre.Toute la pièce nous montre un affrontement entre les deuxhommes, un conflit dont l’objet n’est pas seulement Suzanne, mais aussi la naissance, le pouvoir, les privilèges.Figaro se révolte contre un maître abusif.Mais il faut également comprendre que le Comte et Figaro ont été jadis très liés.Le valet était l’auxiliaire zélé de son maître,son confident et son ami.Tous deuxservaient le même but : la séduction de Rosine,devenue la Comtesse.C’est ceque sous-entend Almaviva lorsqu’il déclare :«Autrefois tu me disais tout » (l.117).Le tutoiement marque cette ancienne familiarité. Le Comte fait preuve decynisme : il utilise cette ancienne amitié pour obtenir les informations qui luimanquent.Cette scène est exceptionnelle dans la mesure où elle tient à la foisdu duo et du duel,mais du duel à fleurets mouchetés.L’arme des deux hommesest l’humour; le Comte finit même « raillant ».

u Les attaques de Figaro concernent le libertinage du Comte. D’abord il affirme son inconstance :« vous êtes infidèle » (l.115).Puis il rappelle au Comte,

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qui sous-entend que son valet a été corrompu par la Comtesse,qu’il avait éga-lement utilisé son argent pour séduire sa future femme :« Combien me donnâtes-vous […] » (l. 116).Enfin, l’attaque est claire :«Votre Excellence se permet de noussouffler toutes les jeunes » (l.174).Figaro fait comprendre au Comte qu’il n’est pasdupe et ne sera pas cocu.Le « nous » semble une première personne du plurielà valeur générale,mais il désigne en fait Figaro,et le Comte ne s’y trompe pas.

i Dans cette scène,Figaro lance plusieurs piques contre la noblesse.La premièrepique est légère et répond à une critique du tac au tac du Comte : « C’estqu’ils n’ont point de valets pour les y aider » (l. 63).Ensuite, l’attaque est plus bru-tale : Figaro vaut mieux que sa réputation – ce qui n’est pas forcément le casde nombreux seigneurs («Y a-t-il beaucoup de seigneurs qui puissent en dire autant ? »).Ces hommes ne valent que par leur naissance et non par leurs talents,à l’inverse du valet. En dernier lieu, Figaro critique la justice de l’époque,profondément inégalitaire et corrompue,puisqu’elle est « indulgente aux grands,dure aux petits... » (l.178).

o Les attaques de Figaro sont d’abord une manœuvre de prudence :en aucuncas,le valet ne peut se permettre d’attaquer son maître directement.Son ton esttoujours très respectueux,voire servile lorsqu’il appelle le Comte « Monseigneur »ou «Votre Excellence ».Toutes les critiques de Figaro peuvent s’appliquer à Almaviva.Mais le valet est autorisé à railler la justice,non le premier juge de la province.D’autre part, ces attaques à la noblesse en général sont très audacieuses, dans lamesure où Figaro dépasse son cas particulier pour en arriver à une remise encause globale de tout un système, en présence de l’un de ses plus farouches partisans! Figaro est un véritable contestataire. Il voit plus loin que son proprecas particulier.

◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 175 À 183)

Examen des textes

a Cette scène réunit différents types de comiques:il y a d’abord le comique demots.Les stichomythies indiquent que Toinette contredit systématiquement sonmaître dans le but de le faire enrager. Ensuite, il y a un certain comique de

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situation :la servante prend le rôle du maître et se montre autoritaire quant auxdécisions sur l’avenir d’Angélique.Cela va jusqu’à l’exagération la plus folle :« Et moi, je la déshériterai si elle vous obéit. » Enfin, le comique de cette scène réside également dans la gestuelle des personnages,une course-poursuite.

z Argan est un maître de comédie : lorsque sa servante se montre insolente, il l’insulte (« Carogne ») et se munit de son bâton pour la corriger.Quant à Toinette,elle est un emploi de servante traditionnel :« servante bien sensée »,elle est la confi-dente des amours de sa jeune maîtresse et se permet de contredire son maîtrequand celui-ci ne semble plus avoir toute sa raison.

e Certes,Toinette semble incarner la véritable autorité dans cette scène.C’estelle qui a véritablement le dernier mot, et Argan est réduit à recourir aux injures et à la violence physique lorsqu’il est à cours d’arguments.Enfin, il estépuisé par l’affrontement et avoue son impuissance en se jetant dans une chai-se.Cependant,il n’y a pas de véritable revendication sociale de la part de Toinette.En bravant son maître, elle remplit son rôle de bonne servante dans l’intérêtde toute la famille:« Quand un maître ne songe pas à ce qu’il fait, une servante biensensée est en droit de le redresser. » Elle est frondeuse,non contestataire.

r Dorante et Arlequin sont des emplois traditionnels de comédie.Arlequin serévèle intéressé,puisqu’il pense pouvoir faire un beau mariage.Son langage està la fois soutenu (« nonobstant ») et imagé (le cœur de la jeune fille est « friandde la noce » ; il passe du buffet à la table pour symboliser son ascension sociale).Seul compte son profit personnel.Quant à Dorante, il ne dépare pas des jeunes maîtres habituels. Lui aussi peutavoir recours aux insultes (« Maraud ») et aux coups de bâton pour affirmer sonautorité,mais il semble surtout s’amuser du bagout de son serviteur.En revanche,s’il accepte l’idée que son valet fasse un bon mariage,il ne peut supporter l’idéequ’un serviteur trompe un homme de noble condition,« un honnête homme ».Comme dans toute comédie, les deux hommes sont assez proches et semblentunis par une complicité certaine.

t Ruy Blas, un laquais, a pris la place de Don César et a joué son rôle à laperfection,puisqu’il s’est pris d’un réel intérêt pour la cause de l’État espagnol.Mais son ancien maître revient et se charge de lui montrer de façon symboliquequelle est sa véritable place.Les positions,censées traduire les rapports maître/valet,

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sont bien campées dès le début : « Il s’assied dans un fauteuil, et Ruy Blas reste debout. » Puis Don Salluste charge Ruy Blas de fermer la fenêtre et de ramas-ser son mouchoir. L’humiliation va croissant, le valet est « pâle de honte et de désespoir », puis « comme à la torture ».Alors qu’il est en train de traiter d’une affaire de la plus haute importance,Don Salluste lui montre qu’il n’est jamaisqu’un vulgaire laquais.Cette scène ne compte pas tant pour ce qui y est dit quepour ce qui y est fait.En cela,elle est extrêmement dramatique et visuelle.

y Ruy Blas est entièrement au service de la cause espagnole. Il parle à deux reprises du « salut de l’Espagne ». Il a exilé un grand qui s’était servi dans la caissepublique,et ce au nom du peuple et de la cause commune.Il emploie d’ailleursla première personne du pluriel – ce qui indique qu’il n’agit pas pour son intérêt particulier.Les valeurs de Ruy Blas sont l’honnêteté (« nos probités ») et lagrandeur (« Osons être grands »).Les valeurs de Don Salluste sont beaucoup plus troubles. Il ne semble pas par-tager celles de son valet,dont le zèle est « hyperbolique ».Le «méchant million,plusou moins dévoré», indique que Salluste affecte de mépriser l’argent, en membrede la noblesse qui se respecte.Cependant,il tolère que l’on se serve dans les caissesde l’État pour son propre intérêt lorsqu’on est un aristocrate. Seul comptel’individualisme :« Chacun pour soi. »Finalement,cette scène nous présente une inversion dans les rapports maître/valet.Les rapports hiérarchiques sont très bien respectés et vont jusqu’à l’humilia-tion du serviteur.Cependant, c’est du côté de ce dernier que se trouve la vraienoblesse,celle des sentiments.Le laquais est Salluste,qui a les intérêts les plus vils.

u Ce texte est un peu complexe au premier abord,dans la mesure où l’énon-ciation présente des caractéristiques originales. Les deux sœurs jouent la comédie ;c’est pourquoi Solange appelle Claire « Madame » et la vouvoie :«Vousêtes belle.» Claire,de la même façon,affecte de prendre Solange pour elle-même :« Claire,vous m’épuisez ! »Cependant,dans ce texte,Claire a du mal à tenir son rôle.Elle s’adresse à sa sœurà plusieurs reprises :« Commence les insultes. » Le tutoiement permet de distin-guer ces deux types d’énonciations. Il faut remarquer que Claire mêle souventtutoiement et vouvoiement, dans une même réplique :« presse-toi, je t’en prie.Vous êtes… vous êtes… » Quant à Solange,elle semble complètement absorbéepar le jeu et perdue dans sa fascination pour sa sœur-maîtresse.Dans cet extrait,

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le lecteur a de plus en plus l’impression que les deux femmes ne sont plus capables de faire la différence entre la mise en scène et la vie réelle.

i Les rapports de force sont très marqués et vont s’inverser au cours de la scène. Ils s’organisent en deux temps distincts :–Tout d’abord,Claire joue comme elle le peut le rôle de Madame et écrasede son mépris sa servante : « Vous êtes nos miroirs déformants, notre soupape,notre honte, notre lie. » Elle parle beaucoup plus que Solange et la domine.Néanmoins, cette situation n’a qu’un temps, car Claire est à bout : « Claire,vous m’épuisez ! »C’est alors au tour de Solange de prendre l’ascendant,et elle devient la véritable maîtresse du jeu.Elle donne des ordres à sa prétendue patronne :« Silence ! »,« À genoux ! » Claire a suffisamment nourri sa haine pour qu’elle puisse se révolter.Il est intéressant d’interroger les élèves sur la symbolique de la fenêtre et du balcon,desquels Solange ne cesse de vouloir s’approcher. Il s’agit en fait de larévélation au monde de leur petit jeu, resté secret jusque-là.En dévoilant leurcomédie, Solange est prête pour l’étape supérieure : celle du fait-divers quidévoile leur folie, le meurtre.Les deux femmes ne peuvent plus contenir leurhaine.

Travaux d’écriture

Question préliminaireAlmaviva est un maître traditionnel, sûr de son bon droit. Il est toujours lepremier à provoquer son valet et laisse éclater son emportement.Cependant, ilest singulièrement en retrait dans cette scène.Figaro a le monopole des tiradesbrillantes,or la parole est pouvoir au théâtre.Il ne lui reste qu’à employer la rusepour savoir ce que le valet lui cache. Il sort vainqueur de l’affrontement,maissans avoir eu recours à son autorité habituelle.Argan est proprement ridicule ; c’est un maître caricatural complètement dépassé par une servante malicieuse. Il n’a du maître que la position sociale etdes symboles de pouvoir (les insultes, le bâton) vidés de tout leur sens pour cette raison.Don Salluste se révèle franchement détestable. Il joue à humilier son valet dela plus cruelle des façons et montre un égoïsme à toute épreuve.On ne peutque prendre parti pour Ruy Blas.

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Dorante est également un maître de comédie, doué des attributs traditionnelsdu pouvoir. Il entretient une grande complicité avec son valet,mais a tout demême une pleine conscience de la caste à laquelle il appartient et défend l’honneur de cette dernière si un serviteur tente de la tromper.Claire n’est pas une véritable maîtresse, elle joue un rôle.Cependant, elle cari-cature le dégoût que la classe dominante est censée éprouver pour la domesti-cité,et cela en est très humiliant. Il y a presque un véritable racisme de sa part.Que faut-il remarquer ? Une chose est certaine : les maîtres n’ont pas le beaurôle dans ces extraits.Tout se passe comme si les valets leur avaient volé la vedette.Le spectateur se place d’emblée du côté de ces derniers.Peut-être est-ce là l’occasion de parler, avec les élèves, du théâtre comme d’un miroir inversé des valeurs de la société? Au théâtre,les valets se consolent de n’être quedes valets. Il s’agit d’un carnaval, c’est-à-dire d’un renversement des masqueset des rôles.

CommentaireOn pourra adopter le plan suivant :

1.Une scène dramatique

A.Rôle des didascaliesElles interviennent tout au long du texte et sont très longues (certaines fontplus d’une ligne). Elles détaillent chaque déplacement sur scène de façon précise.

B.Gradation de l’humiliationElle est de plus en plus forte,et les gestes sont extrêmement symboliques :– le serviteur reste debout ;– il ferme la fenêtre ;– il ramasse le mouchoir (il s’abaisse au sens propre comme au figuré).

C.Un jeu de scène évolutifIl y a également une gradation dans l’humiliation de Ruy Blas :– il prend confiance (« se rassurant un peu ») ;– il agit avec difficulté (« pâle de honte et de désespoir ») ;– « comme à la torture ».

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2.Un maître cruel et dominateur

A.Une absence d’émotionsTandis que Ruy Blas est au désespoir, Salluste prend « un air indifférent » et parle « nonchalamment ».Grand contraste.

B.Un ton ironique• Marques de politesse apparentes :vouvoiement,« Mon cher ».• Affecte de le prendre pour Don César et l’appelle ainsi.«Vous avez oublié quevous êtes parents ? » Épisode des blasons.• Personnification des caisses de l’État (« beaux yeux »), expression euphémis-tique et recherchée :« zèle hyperbolique ».

C.Une volonté de domination• Don Salluste coupe sans arrêt la parole à Ruy Blas, surtout lorsqu’il parle desujets de la plus haute importance :« guerre éclatera »/« air [...] un peu froid » (deux hémistiches qui s’opposent dans le même alexandrin).De plus, l’homme quitient tête à un empereur doit ramasser un mouchoir. Salluste ramène sans arrêt son valet à sa condition prosaïque et à son absence de pouvoirs réels.Sallusteparle peu,mais détient la véritable puissance.•Véritables insultes :« pédant »,« petit génie »,« cuistres ».

3.Un renversement des valeurs

A.Chez Ruy Blas, la noblesse• Parle au nom de l’intérêt général : première personne du pluriel. « Salut del’Espagne » répété,« intérêt public ».•Valeurs morales :probité,grandeur.• Courage militaire : tenir tête à l’empereur.• Empathie pour la cause populaire :« Sauvons ce peuple ! »• Noblesse oblige :un noble ne doit pas endetter l’État,mais être conscient de son rôle.•Volonté d’action :nombreux impératifs à la première personne du pluriel.

B.Chez Don Salluste, la bassesse• Cruauté gratuite envers son serviteur.• Mépris affiché de l’argent,mais cupidité sous-jacente.• Égoïsme :« Chacun pour soi. »• Esprit de caste : les nobles ont tous les droits.

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DissertationLa dissertation peut s’organiser de la façon suivante :

1. Le serviteur vole la vedette à son maître et le domine

A.Les valets sont les maîtres de l’intrigue• Depuis la comédie latine, les valets sont rusés et débrouillards,et montent desstratagèmes à la place de leurs maîtres, comme Figaro dans Le Barbier de Séville.• Scapin est tout-puissant dans Les Fourberies de Scapin, il n’y a rien qu’il nepuisse accomplir. Il obtient ce qu’il veut de Géronte et Argante.Même choseavec Dubois dans Les Fausses Confidences.• Ce sont souvent eux qui se déguisent et mystifient leurs maîtres (Toinette enmédecin,par exemple).

B.Leurs revendications sont justes (et triomphent souvent)• Ils sont souvent pleins de bon sens et aident les amours de leurs jeunes maîtres(Dorine dans Le Tartuffe…).•Au moment de la Révolution, ils commencent à avoir de véritables revendi-cations sociales,comme Figaro.Beaumarchais s’identifie au valet,non au maître.

C.Ils ont un véritable pouvoir comique• Par leur langage (Pierrot et Charlotte dans Dom Juan de Molière).• Par leur gestuelle.• Par leurs préoccupations bassement matérielles.

2.Mais le maître reste le maître

A.Jusqu’à la Révolution, il n’y a pas de véritable changement• Les facéties des valets sont tolérées par leurs maîtres, car ils sont au service deces derniers. D’un point de vue dramaturgique, ils ne sont que des utilités.Tout rentre toujours dans l’ordre au dénouement, comme dans Le Mariage deFigaro.• Ce rôle perdure jusque dans les vaudevilles de Feydeau et Labiche : les domestiques sont là pour servir le maître,tant socialement que dramatiquement.

B.Les préoccupations des valets sont secondairesElles servent de faire-valoir aux amours des jeunes nobles.Dans Le Jeu de l’amour et du hasard de Marivaux,l’histoire d’amour qui retient notre attention jusqu’au

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dernier moment est celle de Sylvia et Dorante.De même, l’amour de Pierrotpour Charlotte est ridicule et maladroit comparé à la séduction de Dom Juan.

C.Hors de la comédie, les valets n’ont aucune épaisseur dramatiqueIls n’ont pas leur place dans la tragédie,où ils ne sont que des confidents.Ils per-mettent d’éviter l’artifice du monologue (Elvire dans Le Cid,Gusman dans DomJuan…).Une exception :Œnone dans Phèdre.

3. Le rapport maître/valet est un jeu dramatique qui est en bonne part artificiel

A.La psychologie des personnages casse le mécanisme• Même si Don Salluste a le pouvoir,Ruy Blas possède la vraie noblesse.• Claire et Solange sont toutes deux des victimes.Le spectateur éprouve de lapitié pour elles, mais aucune sympathie. Le jeu de théâtre dans le théâtre démonte les artifices du rapport hiérarchique et caricature ce dernier.

B.Le théâtre contemporain réduit la question à néant• Des valets seuls en scène? Vladimir et Estragon, dans En attendant Godot deBeckett, sont les héritiers des valets de comédie. Mélange de comique et de tragique.• D’autres rapports de force voient le jour.Outre le traditionnel affrontementhomme/femme,parent/enfant,les personnages s’affrontent pour des raisons po-litiques,économiques et sociales nouvelles :Hugo et Hoederer dans Les Mainssales de Sartre (deux idéologies différentes) ; le Dealer et le Client dans Dans lasolitude des champs de coton de Koltès.

Écriture d’invention• On attend un dialogue en bonne et due forme.Le changement dans l’énon-ciation doit être clair.• Arlequin doit exprimer son envie de se marier et fournir des arguments justifiant sa volonté d’ascension sociale : l’amour n’a pas de classe sociale, les barrières doivent être abolies...L’élève peut s’inspirer du grand monologue deFigaro en ce qui concerne la revendication sociale.• Libre à l’élève de conférer à ses personnages des caractéristiques d’emplois théâtraux.

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◆ LECTURE ANALYTIQUE DE L’EXTRAIT (PP. 203 À 206)

a Dans cette scène très importante pour l’action, on apprend que Figaro estle fils de Marceline et Bartholo.Or Figaro est en procès avec la duègne et contraintde l’épouser ou de lui payer une forte somme d’argent.Cette décision se voitdonc annulée : un fils ne peut épouser sa mère.Marceline ne va plus se pré-senter comme un opposant,mais comme un adjuvant dans le mariage de Figaroet Suzanne.

z Les effets de surprise se trouvent essentiellement entre les lignes 523 à 539.On peut remarquer l’abondance de stichomythies qui traduisent l’accélérationdu rythme,les phrases exclamatives et interrogatives,et les interjections (« Dieux ! »,« Oooh ! »).Tout cela traduit également une intense émotion.

e Les marques de la surprise qui ont été relevées à la question précédentesont exagérées. Le coup de théâtre est paradoxalement trop théâtral : notez larépétition du terme « mère » repris par tous les personnages, laquelle crée un effet d’écho burlesque.En outre, cette reconnaissance est bien trop rapide et laconique.Cette exagération est due au fait que Beaumarchais veut surprendrele spectateur et capter fortement son attention.D’autre part, l’exagération est,bien entendu,source de comique.

r Dans un premier temps,Figaro montre la marque qui orne son bras et dis-tille un premier doute dans l’esprit de ses géniteurs.Puis Bartholo demande uneconfirmation :a-t-il été enlevé par des bohémiens ? Le valet répondant par l’af-firmative,ses parents lui annoncent la vérité : il apprend d’abord que Marcelineest sa mère, puis que Bartholo est son père. Cependant, la surprise n’est pas totale :on sait depuis la scène 4 de l’acte I que ces derniers ont eu autrefois unenfant.

t L’effet de surprise est très grand :Figaro s’amuse à tromper Bartholo depuisLeBarbier de Séville sans que quiconque ait pu jusque-là se douter de leur lien de parenté.Cette surprise est d’autant plus grande que la scène de reconnaissanceest excessivement dramatique au sens premier du terme et très rapide.De fait,il y a deux coups de théâtre : la reconnaissance de la mère,puis celle du père.

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y Les plus célèbres des enfants trouvés sont, bien entendu,Œdipe et Moïse,mais on peut également citer, dans la littérature française, Marianne (Vie deMarianne de Marivaux).Les fils naturels font également florès,à l’instar de JulienSorel,ou Bernard Profitendieu dans Les Faux-Monnayeurs de Gide.Le thème estun topos de la littérature mondiale,qui permet de parer le héros d’une aura mys-térieuse, tout en lui donnant une quête (voir l’ouvrage de Marthe Robert àce sujet,Roman des origines et Origines du roman,publié chez Grasset).

u Les personnages les plus comiques dans cette scène sont toujours le ridiculeBrid’oison et Figaro.

i Le comique de mots est tout entier incarné dans le bégaiement du jugeBrid’oison,qui met son grain de sel dans toute cette scène et que Figaro traiteplaisamment de « gros enflé » (l. 502).Cependant, c’est le comique de situationqui prédomine.Figaro fait rire de lui parce qu’il se croit issu de parents nobleset que sa déception est tangible lorsqu’il apprend la vérité. Il refuse de croireque Marceline est bien sa mère et l’imagine comme sa nourrice. Quant àBartholo, à la question de Marceline qui lui demande s’il n’avait jamais pres-senti qu’il était son père,Figaro répond :« Jamais.» Cette scène est en fait uneparodie des scènes de reconnaissance dans la littérature,qui multiplient souventles invraisemblances.En général, il existe une certaine « voix du sang » qui faiten sorte que parents et enfants se reconnaissent avant même d’avoir la preuveincontestable de leur lien. Enfin, l’exagération dramatique de cette recon-naissance,tout en cris et exclamations,contribue à ce comique de situation quivient bouleverser l’intrigue.

o Bien évidemment, la situation de Figaro,enfant trouvé en passe d’épouser samère sans le savoir, rappelle le mythe d’Œdipe. Cependant, si Beaumarchais applique un traitement bouffon à l’histoire,le mythe a d’abord fourni l’occasion detragédies,notamment Œdipe roi de Sophocle,dont on ne saurait trop recomman-der la lecture aux élèves.

q La scène change de ton de manière visible lorsque Marceline prend la parole. Ses répliques deviennent très longues et ne s’adressent à personne en particulier.Le rythme de la scène va alors ralentir,et la duègne ressentir de nou-velles émotions,comme en témoignent les didascalies « s’échauffant par degrés »,

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« vivement »,« exaltée ».L’heure n’est plus à la franche partie de rire ;Beaumarchaisindique,de cette façon,qu’il faut prendre les paroles de son personnage très ausérieux.

s Marceline est le personnage qui va susciter une forte émotion chez le spec-tateur dans la deuxième partie de la scène, après la reconnaissance proprementdite.À l’accusation de Bartholo,qui blâme la légèreté de sa conduite passée,elleva répondre en évoquant le pitoyable sort de toutes les jeunes femmes. Cesont elles que le spectateur va prendre en pitié,en même temps que la duègne.

d Le revirement de Marceline est très spectaculaire dans la pièce,et il intervient précisément dans cette scène.Elle occupe au départ un emploi classique de co-médie, celui de la duègne revêche, vêtue de noir, et chargée de veiller sur lesjeunes filles.Suzanne se moque de son âge dans le premier acte,et Figaro semblefranchement dégoûté à l’idée de l’épouser.Marceline fait rire d’elle-même;c’estun personnage que l’on trouve caricatural jusqu’à cette scène de reconnais-sance, où elle se révèle touchante. Elle devient une mère de famille et, dans cette mesure, elle est un parfait personnage de comédie sérieuse. Dans cette dernière, les êtres sont définis par leur métier ou leurs relations familiales. Lespectateur revit toutes ses difficultés de jeune femme.Elle se révèle beaucoupplus complexe et plus émouvante,et gagne les faveurs du public.

f Dans sa première tirade,Marceline évoque sa jeunesse et emploie la premièrepersonne du singulier :« J’étais née » (l.554).Puis elle va généraliser son proposen employant la première personne du pluriel,qui la désigne elle ainsi que toutesles femmes :«Tel nous juge ici sévèrement » (l. 559).Elle cesse alors de s’adresserseulement aux hommes présents sur scène, pour dénoncer les hommes en général par la deuxième personne du pluriel : « c’est vous qu’il faut punir des erreurs de notre jeunesse » (l. 565).Enfin, le sexe féminin est également désignéde façon universelle par la troisième personne du pluriel :« les femmes n’obtiennentde vous […] » (l. 572).Marceline s’exclut alors de son discours, elle a cessé deconsidérer son propre cas.Son propos est devenu général.

g Il y a deux champs lexicaux importants dans ce texte : celui du châtiment(« fautes »,« expier », « juge », « punir »,« erreurs », « magistrats »,« droit ») et celuides abus du sexe masculin (« séducteurs », « assiègent », « poignarde »,« ennemis »,

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« a perdu », « infortunées », « jouets », « victimes », « malheureuses », « leurrées »,« servitude »). Marceline insiste sur le fait que les femmes sont les vraies victimes de leur situation sociale et qu’elles en sont punies,contre toute logique.Les coupables sont ceux qui sont sûrs de leur bon droit : les hommes.

h Les tirades de Marceline sont pathétiques.Elles suscitent l’émotion tout enla montrant, par l’abondance de phrases exclamatives (« votre conduite avec nousfait horreur ou pitié ! », l. 576) et par l’emploi d’un vocabulaire connoté négati-vement à l’encontre des hommes et positivement pour les femmes,puisqu’ellessont leurs victimes.En outre, ce texte est empreint de rhétorique, comme lesuggère cette phrase marquée par les antithèses et les jeux de symétrie :« leur-rées de respects apparents, dans une servitude réelle ; traitées en mineures pour nos biens,punies en majeures pour nos fautes ! » (l.569).

j La thèse de la duègne est la suivante : les femmes ne sont pas coupables des erreurs dont les accusent les hommes ;ce sont ces derniers qui sont les véritablesresponsables. Il est important de faire remarquer aux élèves qu’il s’agit ici d’un véritable plaidoyer,presque judiciaire,pour la cause des femmes et d’un réqui-sitoire contre les hommes (nous sommes dans le cadre d’un procès – ce qui n’estpas innocent).

k La thèse de Marceline est fondée sur deux arguments d’ordre économique– ce qui est très original pour l’époque. La dépendance des femmes et leurserreurs s’expliquent, dans les milieux modestes, par le fait que les hommes lesprivent d’un métier honnête : la «parure des femmes », par exemple. D’autrepart,« dans les rangs même les plus élevés », les femmes ne gèrent pas leur proprefortune mais sont « traitées en mineures ».De cette façon,Marceline ne négligeaucune des couches de la société et étend encore sa critique.

l Cette question pourra faire l’objet d’un débat en classe.Cependant,les texteschoisis dans le corpus sont volontairement contemporains. Les événements marquants de l’actualité récente peuvent également constituer une preuve de lamodernité du Mariage de Figaro.

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◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 207 À 212)

Examen des textes

a La thèse de Simone de Beauvoir est très clairement exprimée dans le texte :« aujourd’hui il est très difficile aux femmes d’assumer à la fois leur condition d’individu autonome et leur destin féminin ».Une femme doit à la fois travailler et être fémi-nine ;ces deux attributs ne sont pas nécessairement liés.

z Un nouvel érotisme naît de la nouvelle image de la femme active,et l’auteurnous en donne deux exemples : d’une part, le corps féminin est assujetti à denouveaux canons de la mode (« On demande au corps féminin d’être chair, maisdiscrètement ») ; d’autre part, la femme devient attirante parce qu’elle est active,comme en témoignent les dessins de Peynet, et c’est là le second exemple (lajolie mairesse).

e Annie Ernaux emploie beaucoup le discours indirect libre, comme en té-moignent les phrases suivantes :« La cocotte-minute, cadeau de mariage si utile vousverrez »,« combien de temps un poulet, est-ce qu’on enlève les pépins des concombres »,« lui si disert, cultivé, en train de balayer, ça serait cocasse, délirant, un point c’est tout.Àtoi d’apprendre ma vieille ».Ce discours a ceci de particulier qu’il est celui de lanarratrice,mais également celui de son mari,et d’autres,comme dans le cas dela cocotte-minute.Elle reprend à son compte toutes ces paroles.Ce faisant, letexte est vivant, comme dans le cas de dialogues au discours direct.En outre,cela crée un effet de ressassement,de dialogue intérieur et silencieux de la nar-ratrice avec l’extérieur.De fait,elle est profondément seule et elle monologue.

r Le texte est un mélange de différentes tonalités :il est à la fois plein de révolte(« Pourquoi de nous deux suis-je la seule », «Au nom de quelle supériorité »),voire dedégoût lorsque la narratrice emploie le terme familier et péjoratif « bouffe »,quis’oppose à la « nourriture-décor ».Mais la tonalité prédominante est une certaineironie amère :« Comme nous sommes sérieux et fragiles »,« image attendrissante »,« monsieur père ».Elle feint d’accepter cette situation pour mieux en critiquer lesapparences.

t Un manifeste,d’après le Petit Larousse illustré, est une déclaration écrite par la-quelle un groupe d’écrivains ou d’artistes (etc.) définit ses vues, son programme,

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ou justifie son action passée.Les Chiennes de garde tiennent à défendre toutefemme publique, c’est-à-dire toute femme située dans un espace public, et agressée verbalement en tant que femme.Cette association tente d’empêcherque la violence verbale liée au sexisme ne soit banalisée.

Travaux d’écriture

Question préliminaireCes textes sont tous féministes,à des degrés divers.Il s’agit,pour les femmes,de se li-bérer de l’emprise masculine.Les hommes seront forcément présentés sous un jourpeu flatteur.Marceline se révolte contre des hommes « plus qu’ingrats »,qui se posent en jugesde fautes dont ils sont les véritables coupables.Ces hommes ont des armes éco-nomiques pour assurer leur domination : ils prennent aux femmes des milieuxmodestes leurs emplois ou bien administrent la fortune des femmes des milieuxaisés. Leur attitude est contradictoire : ils paraissent respecter les femmes alorsqu’ils les méprisent,les traitent en enfants,mais les punissent comme des adultes.Contradictoire est également l’attitude du sexe masculin face à la femme moderne dans Le Deuxième Sexe. Il est admis que cette dernière est l’égale del’homme,et cependant,elle doit,indépendamment de sa vie sociale,donner despreuves de sa féminité.L’homme continue d’exiger d’elle la différence, tout enfeignant de ne pas la voir. Le ton de la philosophe se veut beaucoup moinspassionné que celui du personnage de Beaumarchais.Annie Ernaux attaque la mentalité masculine dans un cadre beaucoup plus prosaïque,celui de la vie de tous les jours et des tâches quotidiennes.L’hommeest l’intellectuel éthéré qui refuse les travaux dégradants. « Au nom de quelle supériorité » ?Paradoxalement,les hommes sont absents du manifeste des Chiennes de garde.Ils ne sont pas désignés comme l’ennemi.Ce sont des mots, les « quolibets » etles « insultes » qui agressent les femmes.L’association attaque des mentalités,nondes personnes.

CommentaireOn peut organiser le commentaire selon le plan suivant :

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1. Solitude de la femme au sein du couple

A.Un couple heureux : le règne des apparences ?• Emploi au début du texte de la première personne du pluriel qui symbolisece couple.• Insistance des synonymes :« Unis,pareils. »• « L’un des deux » :n’importe lequel à première vue.•Attention! le jeune couple attendrissant n’est qu’une « image ».

B. « je suis seule »• « Moi »:« la seule à » (répété deux fois).Deux séries d’énumération des tâchesculinaires :verbes d’action (« arrête », « attend »,« ouvre »,« plonger »,« laver »…).• Discours indirect libre qui traduit le questionnement et l’incompréhension.Ressassement intérieur, accentué par le caractère oral de cette langue (nom-breuses phrases nominales).Nous pénétrons l’intériorité de cette conscience :focalisation interne.• Son mari est un étranger, il n’est jamais désigné que par « il » et « lui ».

C.Arrachement de la femme à ses repères• Elle ne trouve pas sa place au sein du couple,puisque c’est l’enfance du mariqui prédomine,non la sienne :« Mon modèle à moi n’est pas le bon.»• Rimes internes :« l’aberration, le couple bouffon »,qui a valeur d’insistance.

2.Une révolte intérieure

A.Le dégoût• Champ lexical de la nourriture.Certains termes sont connotés très négative-ment (« bouffe »,« nourriture corvée »), d’autres positivement (« nourriture-décor »,« nourriture surprise »).• Énumération des verbes d’action dans la cuisine qui rendent la tâche insur-montable.

B.La révolte•Adverbes qui condamnent l’attitude passive :« doucettement »,« lâchement ».• Phrases interrogatives indirectes qui marquent l’incompréhension.• « je suis humiliée ».

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C.Une vision impitoyable des autres• Discours indirect qui reproduit fidèlement les paroles des autres et de son mari,et qui les discrédite en même temps (sorte de double énonciation).• Ironie particulière à l’égard de son mari (« monsieur père »,« il se marre »,« la-ver la vaisselle en récompense du dîner »).Vision satirique de l’intellectuel éthéré etindifférent à un monde bassement matériel (« lui si disert, si cultivé »).

DissertationIl faut, dans un premier temps, expliquer aux élèves à quoi fait référence l’ex-pression «L’art pour l’art» : pour Théophile Gautier et les parnassiens, la formelittéraire se suffit à elle-même et doit être source d’un simple plaisir esthétique.Victor Hugo,en tant qu’homme de lettres,prend position quant à lui pour unelittérature d’idées,en prise avec la société de son temps.On pourra adopter le plan dialectique suivant :

1. L’art pour le progrès est un art noble, qui prime sur le simple divertissement

A.C’est celui qui traverse le tempsLa littérature-plaisir n’est parfois qu’un bien de consommation courante, assu-jettie aux modes,contrairement au progrès.Qui se souvient des pièces du Mételd’Ouville,La Calprenède,du Ryer,pourtant fort célèbres au XVIIe siècle ?

B.L’auteur prend l’imposante stature de l’intellectuelRôle de porte-parole.L’auteur se met au service des autres et s’oublie – ce quiest noble:– Voltaire défend Calas dans son Traité sur la tolérance.– Hugo dénonce le sort misérable des enfants dans les usines dans Mélancholia.– Sartre prend position pour les appelés qui ne veulent pas aller se battre enAlgérie.

C.L’art pour le progrès fait avancer la sociétéLa littérature est un contre-pouvoir nécessaire à toute forme d’absolutisme.Ellemobilise le lecteur en éveillant son esprit critique:– Rôle moteur des philosophes des Lumières. Dans quelle mesure ont-ils préparé la Révolution française ?

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– Humanisme de la Renaissance :fin de certains obscurantismes et superstitions.Redécouverte de l’homme et de sa capacité à penser par lui-même chezMontaigne.– Mouvement baroque au XVIIe siècle :Les Tragiques d’Agrippa d’Aubigné sontune œuvre de combat qui défend les protestants persécutés.

2. « L’art pour l’art » a, de tout temps, produit des chefs-d’œuvre

A.La littérature d’idées peut être sujette à cautionLe progrès se démode parfois. Les développements de Proust sur « la race juive » ou « la race homosexuelle », inspirés de thèses scientifiques très en vogue,résonnent désagréablement aux oreilles d’un lecteur du XXIe siècle.

B.Le rôle premier de la littérature est de nous divertirLe plaisir est une notion-reine:– Beaumarchais est resté célèbre parce que ses comédies sont brillantes et légères,et qu’il a une parfaite maîtrise de la dramaturgie : déguisements, surprises,quiproquos...– Alexandre Dumas est l’un des auteurs français les plus lus à l’étranger.Sa litté-rature de «roman-feuilleton» a perduré.

C.Cette littérature nous émeut égalementElle fait appel à nos sentiments et non à notre raison,d’abord parce que l’œuvred’art est source de plaisir esthétique:– Le romantisme,mouvement majeur au XIXe siècle, est au départ l’expressiondes sentiments d’un individu,face à l’amour,au temps… Voir Le Lac de Lamartine.– L’amour est le thème universellement dominant en littérature,depuis les adieuxd’Hector à Andromaque jusqu’à Belle du Seigneur d’Albert Cohen.– Quel est le poème le plus connu de Victor Hugo ? Demain,dès l’aube… C’estun poème autobiographique dans lequel il évoque sa douleur face à la mortde sa fille,Léopoldine.

3. L’art pour le progrès nécessite une forme littéraire séduisante

A.L’ennui est proscritOn ne peut pas faire passer ses idées en ennuyant le lecteur – ce qu’ont com-pris les philosophes des Lumières,Voltaire en tête.Toute son œuvre est un grandjeu sur la forme littéraire : traités,contes philosophiques,articles de dictionnaire,

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lettres… Tout est bon pour capter l’attention du lecteur.Quoi de plus divertis-sant qu’un conte,même s’il traite de sujets sérieux ? Voir à ce sujet Candide etMicromégas.

B.Une œuvre d’art transmet toujours une certaine vision du monde• L’impartialité en littérature est quasiment impossible. Flaubert, du courant réaliste,décrit avec le moins de romanesque possible la vie d’une jeune femmeen province dans Madame Bovary.Ce faisant, il attaque toute forme de sentimen-talisme en littérature qui peut empoisonner une existence et la condamner à l’éternelle insatisfaction.• Louise Labé écrit des poèmes d’amour au XVIe siècle : elle se pose ainsi comme sujet pensant qui affirme son désir.C’est déjà une sorte de féminismeavant l’heure.

C.L’émotion est source de réflexionPour amener le lecteur à réfléchir,l’auteur s’adresse bien souvent à ses émotions enpremier lieu.C’est le cas chez Victor Hugo.Dans Le Dernier Jour d’un condamné,il nous persuade que la peine de mort est un procédé barbare par des moyenspurement littéraires, donc artistiques. Il utilise de nombreuses figures de style,des répétitions,un vocabulaire fortement connoté et joue avec le rythme de sesphrases comme s’il écrivait un poème.Son argumentation nous persuade plusqu’elle ne nous convainc, puisqu’elle tente de nous séduire de manière esthé-tique. Il ne s’appuie pas sur des faits logiques,mais convoque le pathétique.

Écriture d’inventionL’élève doit écrire un véritable dialogue de théâtre entre le Comte et Suzanne.Suzanne peut argumenter de la façon suivante :– Le Comte tente de profiter de la supériorité de son rang social pour parve-nir à ses fins,par l’argent.Ce procédé est condamnable.– Ce faisant,il la considère comme un objet que l’on peut acquérir et qui n’au-rait pas de volonté,et lui manque de respect.– Suzanne n’est pas qu’une simple enveloppe charnelle, elle a des sentimentset est déjà amoureuse d’un autre.– Le Comte n’a également aucun respect pour sa propre femme et fait preuvede malhonnêteté en la trompant.

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◆ LECTURE ANALYTIQUE DE L’EXTRAIT (PP. 251 À 254)

a Figaro vient d’apprendre que Suzanne a donné un rendez-vous galant auComte sous les grands marronniers, le soir même, en secret. Il est persuadéque sa fiancée a décidé de le tromper. Il a donc résolu de les surprendre lors deleur rendez-vous,mais en compagnie de plusieurs autres personnes, pour quela trahison soit rendue publique.Dans la scène précédente,Figaro a convoquéBazile,Antonio,Bartholo,Brid’oison,Gripe-Soleil, et une foule de valets et detravailleurs,qu’il appellera quand Suzanne et le Comte se livreront à l’adultère.Le valet reste alors seul et attend dans l’obscurité.

z Le spectateur – il faut le souligner – n’apprend absolument rien de nou-veau concernant l’intrigue de la pièce. Figaro exprime uniquement ses étatsd’âme face au Comte,à Suzanne,et au monde dans lequel il vit. Il évoque sonpassé,mais ne prend aucune décision quant au futur.

e On pourrait penser que cette scène n’a pas un grand intérêt dramatique.Lelecteur est renseigné sur le passé du héros:c’est pourquoi cette scène s’apparenteà une scène d’exposition du début de l’intrigue.Or cela est surprenant puisquenous sommes dans le dernier acte de la comédie.Beaumarchais a donc vouludonner un sens particulier à ce monologue.Peut-être ne concerne-t-il pas vrai-ment Figaro,du passé duquel nous n’avons pas besoin d’apprendre de nouveauxéléments? Ce passage est le prétexte à une réflexion beaucoup plus générale.

r Ce monologue est formellement très intéressant :on peut noter l’abondancede phrases exclamatives et interrogatives, ainsi que les nombreux points desuspension (« Puis l’illusion s’est détruite et, trop désabusé… Désabusé !… », l.156).Le temps principal est le présent – ce qui peut sembler étonnant dans la mesureoù le valet raconte son passé (« Je reprends ma trousse et mon cuir anglais », l. 132).Les phrases ont des longueurs variables : elles sont tantôt très longues, tantôtcourtes (« Intrigue, orage à ce sujet », l. 138).Elles sont également construites de manière précise, et l’on peut noter des effets de symétrie ou de répétition, notamment dans la fin du passage :« ambitieux par vanité,laborieux par nécessité,mais paresseux… avec délices ! » (l.153).

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Les didascalies marquent les mouvements de Figaro, qui s’assoit et se lève alternativement d’un banc, tout en s’échauffant de plus en plus.

t Le texte traduit en fait l’intense émotion du héros.Il parle de son « ton le plussombre » (p. 246), se montre très agité – ce que traduisent les irrégularités de longueur des phrases – et médite beaucoup sur ce qu’il est en train de dire,comme en témoignent les points de suspension. Il est en proie aux affres de lajalousie et de la désillusion.Beaumarchais est très habile dans ce passage,puisqu’il arrive à rendre attrayantun texte qui n’a pas grand rapport avec l’action et qui brise le rythme de la pièce.Ce monologue est très vif,grâce à la ponctuation,au présent de narrationqui rend plus vivant le récit, et aux mouvements de Figaro. Il faut également noter que le valet reprend à son compte la scène de reconnaissance de l’acte IIIsur un mode très vif :« On se débat,c’est vous,c’est lui,c’est moi » (l.140).En outre,c’est un morceau de rhétorique, témoins les nombreux effets de symétrie.L’éloquence du passage doit plaire au spectateur et au lecteur.

y Le début du passage concerne Suzanne et sa prétendue tromperie à l’égardde son futur mari : « Ô femme ! femme ! femme ! créature faible et décevante !… »La fin du monologue concerne encore Suzanne,et de façon plus explicite,puis-qu’il s’adresse clairement à elle :« Suzon,Suzon,Suzon ! que tu me donnes de tour-ments !… » Nous pouvons remarquer,outre la similitude formelle de ces deuxpassages, que Figaro revient à sa préoccupation première, après une longue digression.

u Ce monologue a une structure cyclique,puisque à la fin correspond le dé-but.Figaro semble toujours aussi déçu et inquiet quant à ses amours. Il n’a prisaucune résolution nouvelle – ce qui explique que l’intérêt purement drama-tique du passage soit limité.Il ne s’est pas non plus posé de véritable problème ;il n’a donc cherché aucune solution.

i Figaro est un homme du peuple.Pour subsister et se hisser sur l’échelle so-ciale, il ne peut compter que sur ses qualités personnelles,déployer « science » et« calculs ». Le valet est absolument propre à toutes sortes de métiers différents,qu’ils demandent des talents littéraires ou scientifiques.Son audace est étonnanteet elle est justifiée par une aspiration à la liberté de penser et d’écrire – ce qui

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lui crée des ennuis.Cet homme si habile est paradoxalement beaucoup plushonnête que la société dans laquelle il vit,remplie de gens hypocrites et cupides(« chacun pillait autour de moi, en exigeant que je fusse honnête », l. 128). Seule la gaieté du personnage le fait subsister dans ce monde désespérant.

o Les qualités d’un héros de tragédie classique sont extrêmement différentes.L’élève peut prendre en exemple Rodrigue du Cid ou Hippolyte dans Phèdre.Ces héros se distinguent par leur bonne naissance (ils sont grand d’Espagne oufils de roi) et leurs exploits guerriers.C’est ce que l’on résume sous le termede « générosité »,du latin genus (« la race »).La générosité est la bonne naissance,mais aussi la capacité à se montrer généreux dans la bataille, à verser son sangnoble.Bien sûr,ces qualités ne sont pas du tout celles de Figaro,qui présente uncourage essentiellement moral.Ce sont deux époques qui s’affrontent : le valetest un homme du XVIIIe siècle,un esprit des Lumières, tout en restant l’héritierdes valets de comédie traditionnels,pleins de ressources.En revanche, les hérosdes tragédies françaises du XVIIe siècle présentent les mêmes qualités que les héros de tragédie antique.

q Deux œuvres peuvent être principalement citées :Zadig de Voltaire et lesLettres persanes de Montesquieu.Les philosophes des Lumières apprécient par-ticulièrement ce cadre spatio-temporel,puisque,outre l’exotisme,il leur permetde critiquer implicitement la société dans laquelle ils vivent.

s Figaro s’en prend d’abord à Suzanne et au Comte.Puis il se remémore tousceux qui lui ont nui : les « princes mahométans » et leurs envoyés, les officiers dejustice, les « puissants de quatre jours » qui le jetèrent en prison, et les « personnesdites comme il faut ».On peut constater que la critique devient de plus en pluslarge et ne touche plus seulement la vie intime du protagoniste.

d Cette critique devient de plus en plus audacieuse parce qu’elle s’attaque pro-gressivement aux plus puissants.L’attaque d’Almaviva est un cas particulier,maisla critique est virulente,comme en témoigne la célébrité de ces phrases :« Parceque vous êtes un grand seigneur, vous vous croyez un grand génie ! […] » (l. 63). Lesprinces sont au début étrangers, puis la critique du pouvoir en France est faitede manière voilée. Qui sont ces « puissants de quatre jours » et ces « personnesdites comme il faut » ? Ceux qui ont sûrement les moyens d’envoyer Beaumarchaisen prison, comme le fera Louis XVI par la suite.En outre, l’auteur satirise la

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censure qui empêche de parler librement de tous ceux qui ont du pouvoir,bienplus qu’il ne satirise ces derniers.

f Figaro fut tour à tour,après des études en science,vétérinaire,auteur de théâtre,journaliste,banquier au jeu,barbier et valet.

g À travers tous ces métiers divers, Figaro a côtoyé tous les états et toutes lesclasses sociales. Il a servi les puissants au jeu et les a critiqués comme écrivain.Il a connu la liberté et la prison,mais,dans tous les cas, la pauvreté.Pour vivre,il a employé tous les expédients, s’est fait savant ou artiste.C’est pourquoi cerécit pourrait constituer l’intrigue d’un roman picaresque.D’ailleurs, le terme picaro est l’une des étymologies possibles du nom de Figaro.

h Dans cette scène, la vie de l’auteur et celle de son personnage se rejoignent.D’ailleurs, la deuxième étymologie probable du nom de Figaro est celle de filsCaron, comme on appelait Beaumarchais en sa jeunesse. De même que sa créature,Beaumarchais a exercé différents métiers,qui ne furent pas forcémentceux du valet,mais qui y ressemblent en leur tourbillonnement. Il fut « orateurselon le danger », lorsqu’il s’attaqua,pour se défendre,à Goezmann ou à l’horlo-ger du roi,« poète par délassement » et « musicien par occasion », en tant que maîtrede harpe des filles du roi.Comme Figaro,Beaumarchais connut la prison poursa trop grande audace et jouit de l’amour « par folles bouffées » (il se maria troisfois).Cependant,on pourrait presque considérer que la vie de l’auteur fut plusromanesque que celle de sa créature :il connut la très grande richesse avant d’êtreruiné,puis de faire fortune à nouveau,et fut également agent secret au servicedu pouvoir royal.Figaro semble un « gagne-petit » à côté d’un homme qui s’oc-cupa de politique étrangère.Beaumarchais est un véritable aventurier. Il faut àce sujet proposer aux élèves de voir le film d’Édouard Molinaro, avec FabriceLucchini dans le rôle-titre.

j Ce passage est à mettre en relation avec les scènes de procès. Les élèves nesont pas à même de saisir toutes les allusions s’ils ne connaissent pas un peu lavie de Beaumarchais, notamment les Mémoires qui satirisent le conseillerGoezmann, qui l’avait fait condamner suite à son procès contre le comte deLa Blache.Brid’oison se prénomme Gusman, et ce n’est pas un hasard.Figaroévoque aussi la femme du juge et sa légèreté de mœurs.Ce faisant, il satirise lafemme de Goezmann,qu’il avait soudoyée en vain et qui refusa de le rembourser.

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Double-Main représente le secrétaire de Goezmann,que Beaumarchais avaitégalement corrompu ; c’est pourquoi il « mange à deux râteliers ».Enfin, le dra-maturge comme Figaro, confiant en ses talents oratoires, se défendit seul dansson procès contre le conseiller.

◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 255 À 260)

Examen des textes

a Dans ce monologue, le Comte décide d’interroger habilement Figaro poursavoir s’il est au courant de son désir pour Suzanne.Auparavant, il a exposé sontrouble face à une situation qu’il ne maîtrise pas : la Comtesse et Suzanne sejouent peut-être de lui, sans qu’il en ait la preuve.On apprend également qu’iln’est pas amoureux de Suzanne et que sa passion n’est qu’une « fantaisie » degrand seigneur.

zY a-t-il une tonalité bien définie dans ce passage ? Celle du monologue deFigaro est lyrique,presque tragique lorsqu’il s’interroge sur ce qu’il est.Dans cepassage,le Comte nous livre ses hésitations et ses doutes sur ceux qui l’entourent.Cela n’est ni franchement comique,ni tragique.On peut en conclure qu’il a sûrement fonction d’utilité dramatique.

e Chacun de ces deux monologues peut nous sembler artificiel,mais pour desraisons différentes.D’un côté, le monologue de Figaro est beaucoup trop longpour être vraisemblable,et l’on n’imagine pas un personnage raconter sa vie siprès du dénouement. Il n’a aucune véritable justification dramatique,puisqu’iln’a pas de rapport avec l’intrigue.D’un autre côté,le monologue du Comte n’estguère creusé d’un point de vue psychologique. Il fait part au spectateur de sesdoutes sans remettre en cause ses vues sur Suzanne et l’informe de ses intentionsquant à l’entretien qu’il va avoir avec Figaro. Il est évident que ce monologuesert à lier les scènes entre elles et à préparer la venue du valet. Sa fonction est purement dramaturgique.

r Le dilemme est essentiellement exprimé dans les strophes centrales.On peutrelever les constructions symétriques qui mettent les deux alternatives en parallèle : « venger un père, et perdre une maîtresse », « l’un […] l’autre […] » à

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deux reprises, l’emploi de la conjonction de coordination « ou » qui exprime lechoix.Notons également l’anaphore « faut-il »,qui marque les deux possibilités,les homéotéleutes (homophonies finales entre deux mots) antithétiques « flamme »/« infâme », « généreuse »/« amoureuse », les oxymores « cher et cruel espoir » et « aimable tyrannie ».

t La strophe 1 expose la terrible situation de Rodrigue :celui qui a gravementoffensé son père est le propre père de Chimène, la femme qu’il aime.Les strophes 2 et 3 expriment en termes clairs le dilemme du jeune homme :soit il venge son père, soit il choisit de ne pas infliger de douleur à sa fiancée.L’amour et l’honneur s’affrontent.Dans la strophe 4, il choisit de se faire tuer au combat :« Mourons du moins sans offenser Chimène.»Enfin, aux strophes 5 et 6, il change d’avis définitivement et décide de vengerdignement son père. L’exposé du dilemme est terminé, place à sa résolution,comme l’indiquent les impératifs d’exhortation à l’action («Allons », « Courons »)et la fin des interrogations.

y Le Cid est une tragi-comédie en alexandrins.Dans ce monologue, la versi-fication change. Les strophes se répartissent en six dizains, qui comportentchacun quatre alexandrins,mais aussi des vers de six,huit et dix syllabes.Mais lasimilitude entre les strophes ne se limite pas à la longueur des vers.On constateque certains vers se ressemblent et ont toujours la même place dans la strophe :« Ô Dieu, l’étrange peine ! »,« Fer qui causes ma peine »,«Tout redouble ma peine »,« Qui ne sert qu’à ma peine »,«Ne soyons plus en peine ».Le mot « peine » est à chaquefois employé dans un contexte différent. Rodrigue se considère comme une victime, avant de reprendre courage.Notons également que « Chimène » est toujours le dernier mot de chaque dizain, comme s’il s’agissait d’une rimeconstante.

u Les stances sont un poème lyrique,religieux ou élégiaque,formé de strophesde même structure.

i Ce monologue s’articule autour de deux temps importants :–Tout d’abord Bérenger se trouve laid face à ce qu’il considère comme la beauté des rhinocéros. Il tente de leur ressembler, de les imiter, mais il n’y parvient pas.

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– Puis il y a une rupture qu’indique la didascalie « Il a un brusque sursaut ».Bérengerdécide de se défendre et de rester le dernier homme dans un monde animal.

o Dans la dramaturgie classique,il est rare qu’une pièce se termine sur un mo-nologue.En général, tous les personnages sont réunis sur scène pour assister au dénouement.Or ici Bérenger parle tout seul.Sa dernière interlocutrice,Daisy,est partie.D’une façon dramaturgique, l’auteur signale la solitude physique etmorale du personnage.Bérenger n’arrive pas à devenir comme les autres.Aprèss’être lamenté pendant un temps, il accepte cette solitude.

Travaux d’écriture

Question préliminaireLe monologue de Figaro est un chef-d’œuvre du genre.Le valet acquiert unevéritable profondeur psychologique,voire métaphysique,lorsqu’il s’interroge surce qu’il est. Le valet est en prise avec les difficultés de l’existence et nous livreses états d’âme.Il n’en va pas de même avec le monologue d’Almaviva,pourtant du même au-teur.Ce dernier affirme quelques-uns de ses doutes,sans que ces derniers soientréellement matière à interrogation.Le monologue est ici un artifice drama-tique évident.Les stances de Rodrigue nous apprennent surtout ce qu’est un héros de tragédie.En proie à un terrible dilemme, le jeune homme monologue pour exprimer ses émotions,mais également prendre une décision.À la fin des stances,le problème est résolu, l’intrigue continue de progresser. Il faut noter que ce texte a un véritable intérêt dramatique.Étrangement, il en va de même avec le texte de Ionesco. Bérenger se rend compte de ses limites et décide de les accepter. Il prend sa carabine pour affirmer sa résistance au modèle ambiant.

CommentaireOn pourra utiliser le plan suivant :

1.Un registre lyrique au sein d’un texte tragique

A.Choix des stances• Six dizains ; les longueurs des vers alternent régulièrement.

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•Vocabulaire qui se répète à chaque strophe :« peine », « Chimène ».• Structure cyclique : les deux derniers vers de la première et de la dernièrestrophes sont presque identiques.B.Le genre tragique• Rodrigue est bien né, il doit se montrer généreux (voire supra).•Victime du sort :vocabulaire de la fatalité et du sort.• Le sujet est grave : il est question de mourir (le verbe se retrouve cinq fois).

C.Le registre lyrique• Première personne du singulier.• Nombreuses phrases exclamatives qui traduisent l’intense émotion.• Rupture dans la longueur des vers : les plus courts sont au départ des lamen-tations (« Ô Dieu, l’étrange peine ! »).• Champ lexical de la douleur morale.

2.Un terrible dilemme

A.Égalité des deux causes dans le cœur de Rodrigue• Nombreux balancements :« père »,« maîtresse »,« honneur »,« amour »...• Structure binaire des anaphores : il n’y a que deux possibilités.• Les mots « père » et « Chimène » se retrouvent souvent dans les mêmes versou dans deux vers qui se suivent :on ne peut pas les dissocier.

B.Un profond antagonisme• Nombreuses antithèses.• Oxymores.

3. L’affirmation d’un héroïsme

A.La progression dramatique• Strophe 1 :exposé de la situation.• Strophes 2 et 3 : lamentations face au dilemme.• Strophe 4 :première solution, se faire tuer.• Strophes 5 et 6 :venger l’honneur de son père.À aucun moment, il n’est question d’éviter le combat. Le courage physiquedu Cid est indéniable.

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B.Une victime qui prend son destin en main• Lamentations au début,champ lexical de la passivité face au sort.• Nombreuses interrogations face au dilemme,par la suite :que faire ?• Rodrigue décide d’agir : impératifs pour l’exhorter au combat et au courage.S’adresse à son âme,puis à son bras.

C.De nobles intérêts• Révolte à l’idée de ternir son honneur :exclamations, champs lexicaux de lacontrainte face à son rang et de la gloire.• Choix de l’honneur qui dépasse ses propres passions et du respect filial.Cechoix a d’autant plus de prix qu’il est fait dans la douleur.

DissertationOn peut adopter la démarche dialectique suivante :

1. Le monologue peut captiver le public

A.Par sa fonction informativeOn y apprend :– un fait récent qui s’est déroulé hors scène ;– le passé d’un personnage ;– ses sentiments présents.

B.Par sa fonction poétique• Le monologue est un morceau de rhétorique destiné à nous convaincre (l’in-justice sociale pour Figaro à la scène 3 de l’acteV).La longueur est nécessaire en argumentation :Marceline a ainsi trois amples tirades à l’acte III pour dénoncer l’injustice faite aux femmes.• Il nous émeut (Titus et Antiochus, amants respectivement heureux et mal-heureux de Bérénice chez Racine, sont chacun bien à plaindre).• Il nous fait rire (monologue initial d’Argan dans Le Malade imaginaire).

C.Par sa fonction dramatique• Le personnage prend une résolution capitale pour l’intrigue.• Chez Corneille, il montre la capacité du héros tragique à dépasser sa condi-tion de victime du sort et à agir sur son destin.

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2. Le monologue peut également le rebuter

A.Parce qu’il est ennuyeux• Le personnage est seul en scène : il ne se passe rien.• Il parle trop et finit par ennuyer le spectateur : rares sont les monologues comiques.

B.Parce qu’il est invraisemblable• C’est un lien artificiel entre les scènes, qui prépare l’entrée et la sortie des personnages.• Il y a peu de vraisemblance à ce qu’un personnage parle tout seul, au risquede passer pour un fou.Dès le XVIIe siècle,les théoriciens condamnent l’usage ex-cessif du monologue et ne le tolère que si le personnage est en proie à de violentespassions.

3. Le monologue n’est-il pas une pause nécessaire dans la mécanique dramatique ?

Il ne faut pas perdre de vue qu’une pièce est avant tout une œuvre littéraire.Le monologue permet de franchir la barrière entre les genres.

A.Le théâtre se rapproche ainsi de la poésie…• Le monologue crée une émotion que ne permet pas toujours la conduited’une intrigue.• C’est aussi un jeu sur la langue : les mots cessent d’être de simples outils decommunication,puisque le personnage est seul en scène.

B.... et du romanLe narrateur, essentiel au roman, est absent au théâtre.On ne sait des person-nages que ce qu’ils veulent bien nous dire.C’est pourquoi ils se réduisent sou-vent à des emplois.Le monologue leur confère une épaisseur psychologique etles rend attachants, comme Arnolphe dans L’École des femmes malgré ses travers.

C.Il peut ainsi atteindre une véritable profondeur de penséeCelle de l’essai,qu’il soit philosophique ou polémique.C’est le monologue quidéclenche notre réflexion,témoins ceux de Figaro,le « Hamlet comique »,et Bérenger.

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Écriture d’invention• On attend de l’élève qu’il respecte la situation d’énonciation et ne fasse parler que la Comtesse.• Deux sujets doivent être traités :l’infidélité du Comte et l’amour de Chérubin.Pas question de n’en développer qu’un seul.• Ce monologue prend place à la fin de l’acte II,il doit donc respecter l’intrigueet ne pas être anachronique.En aucun cas la Comtesse ne doit faire allusion àdes événements qui ne sont pas encore arrivés.• Les didascalies (obligatoires) marquent les mouvements de la Comtesse et leton avec lequel elle prononce ses paroles.• On attend donc tout ce qui peut trahir l’émotion : les phrases exclamatives,le champ lexical du trouble et de la douleur.• La Comtesse peut éventuellement prendre quelques résolutions dans la conduite à tenir :par exemple,décider qu’il faut être ferme avec Chérubin.

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A c t e V , s c è n e 3

– J.-P.de Beaumarchais,Beaumarchais,le voltigeur des Lumières,coll.« Découvertes »,Gallimard,1996.

– P.Chaunu,La Civilisation de l’Europe des Lumières,Arthaud,1971.

– G.Conesa,La Trilogie de Beaumarchais,P.U.F.,1985.

– B.Fay,Beaumarchais ou les Fredaines de Figaro,Librairie académique Perrin,1971.

– P.Hazard,La Pensée européenne au XVIIIe siècle,Fayard,1963.

– F.Lévy,« Le Mariage de Figaro »,Essai d’interprétation,Studies on Voltaire (vol.173),1978.

– Beaumarchais, Le Mariage de Figaro (collectif), coll. « Analyses et réflexionssur… »,Ellipse,1985.

– Europe, numéro spécial sur Beaumarchais, avril 1973.

– Revue d’histoire littéraire de la France, numéro spécial sur Le Mariage de Figaro,septembre 1984.

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B I B L I O G R A P H I E C O M P L É M E N T A I R E