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Ecritures du chemin de fer sous la direction de Francois Moureau et Marie-No,lie Polino* C e quinzi6me volume de la collection ~ Litt~rature des voyages--, dirig~e par Francois Moreau, reprend les actes de la journ6e scientifique organis~e en Sorbonne, le 11 mai 1996, par l'Association pour l'histoire des chemins de fer en France (A.H.I.C.F.) et le Groupe de recherche sur la litt~rature des voyages (G.R.L.V.), avec le sou- tien de l'universit~ de Paris- Sorbonne (Paris-IV). Cette jour- n~e, intitul~e ~ l~critures du che- min de fer ~, a permis de faire dia- !oguer historiens du chemin de fer et experts litt6raires. Cette litt~rature ferroviaire, aussi moderne que son support, a- ~i~ c'est le premier intervenant, Marc ~ . Baroli, qui le dit - la chance unique de cr6er un th~me litt6- raire sans contestation d'ant~rio- rit6 possible. Lors de son analyse le Train dans la litt~rature fran- ~aise -, il laisse volontairement de c6t~ la predication saint-simo- nienne en attribuant le premier ~crit important sur le sujet Jules Janin dans la Revue de Paris. Pourtant, c'est lors de l'accident de Meudon, off p~rit l'amiral Dumont d'Urville, que naquirent les premiers ~crits, pour l'occa- sion forc6ment pol~miques, de grands ~crivains tels que Musset, Lamartine, puis Hugo et Villiers de l'Isle-Adam. Ce sont les univers des gares et des emprises ferroviaires qui apparaissent, plus tard, dans les oeuvres de Copp~e, Huysmans, Verlaine, Daudet, Laforgue et Bourget, alors qu'en parall~le Du Camp, Claretie, Veuillot, Catulle Mend~s et Copp6e magnifient le dur m6tier de cheminot. Marc Baroli, dans ce panorama, n'oublie pas Labiche, le cr6ateur du comique ferroviaire, grace ~ ses c~l~bres pi~ces Sets la directlen de Fran~ Moureau et Marit~Noi~lle PoUmo I~CRITUR~ DU CHEMIN DE FER de th~Mre , le Voyage de monsieur Perrichon • et , les Chemins de fer ,. I1 souligne aussi que, durant cette p~riode de la naissance du train, les auteurs, faute de voca- bulaire adaptS, usaient facilement de la m~taphore, voire de l'abstraction. D'l~mile Zola et • La B~te humaine ,, il dit qu'apr~s lui, rien ne sera plus jamais comme avant car l'auteur a forc~ l'entr~e du train dans la grande litt~rature, cr6ant le mythe du chemin de fer au m~me titre que, quelques ann6es plus tard, la m~me oeuvre, fllm~e par Marcel CarnY, cr~era un impact identique dans le milieu cin~matographique. La po~sie, elle aussi, adroit de cit6 ; d'abord symboliste (Ghil, Verhaeren, Nohain, Larbaud, Cendrars), elle devient futuriste _ . au d~but de notre si~cle (Mari- netti, Nizan, Rolland et Maheu). I1 ~voque aussi d'autres ~crivains plus contemporains, d'autres amoureux du train (Giraudoux, Cocteau, Kessel, Fargue et Ro- mains). Le premier grand th~me abord~ lors de ce colloque est le voyage en chemin de fer. Goulven Guflcher effectue une ~tude com- parative entre les pratiques fran- qaise et anglaise de concevoir les guides de chemin de fer ~dit~s au XIX e si~cle. Parmi ces tr~s nom- breuses parutions, il consid~re comme indispensable la Bibliogra- phy of British Railway History de George Otley, qui a recens~, des origines ~ 1980, tousles ouvrages conserves dans les biblioth~ques ou chez des particuliers. La France ne dispose pas d'un tel document, mais il vous conseille tout de m~me les K / * ~ditions Klincksieck. 8, rue de la Sorbonne 75005 Paris. m

Écritures du chemin de fer: sous la direction de François Moureau et Marie-Noëlle Polino

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Ecritures du chemin de fer

sous la d irect ion de Francois Moureau et Mar ie -No , l i e Po l ino*

C e quinzi6me volume de la collection ~ Litt~rature des voyages - - , dirig~e par Francois Moreau, reprend les a c t e s de la j o u r n 6 e s c i e n t i f i q u e o r g a n i s ~ e en

Sorbonne, le 11 mai 1996, par l 'Association pour l 'histoire des chemins de fer en France (A.H.I.C.F.) et le Groupe de recherche sur la l i t t~rature des voyages (G.R.L.V.), avec le sou- t i en de l ' u n i v e r s i t ~ de P a r i s - Sorbonne (Paris-IV). Cette jour- n~e, intitul~e ~ l~critures du che- min de fer ~, a permis de faire dia- !oguer h i s tor iens du chemin de fer et experts litt6raires. Cette litt~rature ferroviaire, aussi mode rne que son suppor t , a - ~i~ c 'es t le premier intervenant, Marc ~ . Baro l i , qu i le d i t - la c h a n c e unique de cr6er un th~me litt6- raire sans contestation d'ant~rio- rit6 possible. Lors de son analyse

le Train dans la litt~rature fran- ~aise -, il l a i sse vo lon ta i rement de c6t~ la predication saint-simo- nienne en a t t r ibuant le premier ~cr i t i m p o r t a n t s u r le s u j e t J u l e s J a n i n dans la Revue de Paris. Pourtant, c ' es t lors de l 'accident de M e u d o n , off p~r i t l ' a m i r a l Dumont d'Urville, que naquirent les premiers ~crits, pour l 'occa- s ion forc6ment pol~miques , de grands ~crivains tels que Musset, Lamartine, puis Hugo et Villiers de l 'Isle-Adam. Ce sont les univers des gares et des emprises ferroviaires qui appara issent , p lus tard, dans les oeuvres de Copp~e, Huysmans , Verlaine, Daudet , Laforgue et Bourget, alors qu'en parall~le Du Camp, Claretie, Veuillot, Catulle Mend~s et Copp6e magni f ien t le dur m6t ier de cheminot . Marc Baroli, dans ce panorama, n 'oublie pas Labiche, le cr6ateur du c o m i q u e f e r r o v i a i r e , g r a c e ~ s e s c~ l~b re s p i ~ c e s

Sets la directlen de

F r a n ~ Moureau et Marit~Noi~lle PoUmo

I~CRITUR~ DU CHEMIN DE FER

de t h ~ M r e , le Voyage de m o n s i e u r P e r r i c h o n • e t , les Chemins de fer ,. I1 souligne auss i que, durant cette p~riode de la naissance du train, les auteurs, faute de voca- bulaire adaptS, usaient facilement de la m~taphore, voire de l 'abst ract ion. D'l~mile Zola et • La B~te humaine ,, il di t

qu 'apr~s lui, r ien ne sera p lus jamais comme avant car l ' auteur a forc~ l ' en t r~e du t r a in dans la grande l i t t~ra ture , c r6ant le m y t h e du c h e m i n de fer au m~me titre que, quelques ann6es plus tard, la m~me oeuvre, fllm~e p a r M a r c e l CarnY, c r ~ e r a un impact identique dans le milieu cin~matographique. La po~sie, elle aussi , a d r o i t de cit6 ; d ' abord symbol is te (Ghil, V e r h a e r e n , N o h a i n , L a r b a u d , Cendrars) , elle devient futuriste

_ . au d~but de notre si~cle (Mari- netti, Nizan, Rolland et Maheu). I1 ~voque auss i d ' au t res ~crivains p l u s c o n t e m p o r a i n s , d ' a u t r e s amoureux du train (Giraudoux, Cocteau, Kessel , Fargue et Ro- mains). Le premier grand th~me abord~ lors de ce colloque est le voyage en chemin de fer. Goulven Guflcher effectue une ~tude com- parative entre les pratiques fran- qaise et anglaise de concevoir les guides de chemin de fer ~dit~s au XIX e si~cle. Parmi ces tr~s nom- b reuses pa ru t ions , il consid~re comme indispensable la Bibliogra-

phy of British Railway History de George Otley, qui a recens~, des origines ~ 1980, t o u s l e s ouvrages conserves dans les biblioth~ques ou chez des particuliers. La France ne dispose pas d 'un tel document, mais il vous conseille tout de m~me les

K /

* ~ditions Klincksieck. 8, rue de la Sorbonne 75005 Paris.

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volumes 1 et 10 du Catalogue de l 'histoire de France, de la Biblioth~que nationale. I1 dresse une typologie sommaire de ces guides h partir de caract6rist iques communes . Alors se succ6dent les principaux guides, grands ou petits, couwant les ouvertures de lignes, les excursions et les trajets touristiques ; une fois ces lignes ouvertes, fl faut d6tailler les informations pra t iques pour l esque l les appara i s sen t des n o m s c61~bres (Chaix, J o a n n e , Conty d ' u n c6t~ de la Manche ; Adam et Charles Black, Bradshaw, Cook, de l 'autre c6t~ du ,~ Channel ,,). Muriel Augry-Merlino s ' in t~resse ~ la tr~s forte personnali t~ d 'Olympe Audouard : vo~ageuse infatigable ,, seule ou accom- pagn~e, d dos de cheval, de dromadaire, en bateau ou par voie de chemin de fer ~ et f6minis te conva incue (auteur , en t re autres , d ' u n l ivre s ingul ier , ,, Guer re aux h o m m e s ,,), el le parcourut le monde entier. Ici, trois des t inat ions sont privi- l~gi6es : l 'Or ien t , la R u s s i e et l 'Am~rique . ~. t ravers ses romans (~ L ' O r i e n t e t ses peup lades ,,, , Voyage ~ t ravers mes souveni r s ~, ,, Les Myst~res de l']~gypte d~voil~s ..... ), nous la suivons de l 'Europe du Nord-Est j u s q u ' a u x rives du Bosphore, off elle d~livre ses premiers messages de fascina- t ion pour le t ransport par voie ferr~e, cette ,, vapeur civilisa- trice venant s i l lonner son d~sert ,,. C ' e s t avec une certaine dose d ' h u m o u r et de d~rision qu 'e l le d~crit les chemins de fer orientaux, les personnages cur ieux rencontres en chemin (un Turc amoureux, l '~mir Abd-el-Kader ou, pis encore, un ha rem en t i e r !). De r e t o u r ~ Par is , e l le par t p o u r Saint - P~tersbourg, toujours par le train, et en proflte pour analy- ser les qualit~s et les d~fauts des r6seaux fran~ais, p russ ien at russe. Nous qui t tons cette intr~pide femme de lettres pour un de ses confreres, Th~ophile Gautier, qui d~couvre ,, le cheval de v a p e u r , lors d ' une excurs ion en Belgique avec son cama- rade G~rard de Nerval . De ce voyage, effectu~ en j u i l l e t 1836, il rendra compte dans la Chronique de Paris, sous la forme de six feuil letons hauts en couleur. Si les ra isons de ce t te randonn6e son t typ iques de la personnal i t~ rabelai- s ienne de l '6crivain (comparer les p lantureuses j eunes fllles ornant les tableaux de l '~cole f lamande aux modules r~els et bien vivants) , c ' e s t sur tou t l 'occas ion d ' emprun te r le t rajet Bruxe l l e s -Anvers , p r emie re l igne de c h e m i n de fer be lge ouverte en 1835. Dans cet te ~tude, Alain Guyot ins is te sur le fait que la dizaine de pages consacr~e au train, au beau mil ieu de ce reportage, cons t i tue l ' un des premiers t~moi- gnages li t t~raires su r les chemins de fer. Pourtant , on ne peu t pas dire que Gaut ie r fut un farouche d6fenseur de la cause ferroviaire : les extra i ts chois is par l ' au teu r nous le mon t r en t m~me sous l a forme d ' u n f~roce ,, ferrovipare ~, ainsi avec sa descr ip t ion d ' u n train ,, tangle de corbillards qui glissent s i lencieusement sur ces rainures au bruit asth- mat ique du c h a u d r o n , ; il pour su i t son analyse avec des extrai ts r~v~lateurs i s sus de la ,, To i son d 'o r ~ et du ~ T o u r en Belgique ~. L '~tude en lit t6rature du paysage, dans le cadre du ,, chemin de fer ~crit ,,, c ' e s t Fran~oise Chenet -Faugeras qui vous la propose dans ,, Vues du train - : en s ' appuyant su r les ~crits de H o u s s a y e , Ver la ine , Apol l ina i re , H u g o e t Al la is , e l le d6crit par procura t ion les paysages auxquels ces ~crivains r~put~s on t donn6 des ver tus m~taphor iques ind~niables. Ains i laisse-t-elle une bel le place h , l~ros et Thana tos ,, et

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aux r~cits su l fureux de Gui l lanme Apoll inaire ; quant ~ la not ion de v i t e s se ferroviaire, el le la la isse h Vic tor Hugo 6crivant ~ sa fllle Addle en 1837 : ,, Les f leurs du bord du chemin ne sont plus des fleurs, ce sont des taches ou plutOt des raies rouges ou blanches ; p lus de points, tout devient raie . . . . . Que ne dirait-il pas, aujourd 'hui , s ' i l 6tait ass is l '6tage inf6rieur d ' un TGV Duplex fllant vers Lyon ? I1 es t t emps d ' ouv r i r le chapi t re du c h e m i n de fer roma- nesque avec les propos de J a c q u e s Noiray sur les effets sty- l is t iques dans les textes ferroviaires d't~mile Zola : son ana- lyse - qu ' i l es t ime ,, superl]cielle ,, - des deux romans ferro- viaires de l '~crivain, ,, La B~te humaine ,, e t ,, Lourdes ,,, es.t tr6s instructive et donne - mais n 'es t -ce pas le bu t premier de ce genre d ' in tervent ion ? - l 'envie de replonger dans les chefs-d 'oeuvre in tempore ls du g6nial pr6curseur de l '~cole naturaliste. Noiray es t ime que cet te oeuvre tourne autour de t r o i s t h ~ m e s c a r a c t ~ r i s t i q u e s : c o m m e tab leau , c o m m e drame et comme syst6me d' id~es ; le tout sur un fond de couleur noire, couleur du charbon, des fum6es ainsi que de t~n~bres annonciatr ices de drames futurs. I1 analyse les pro- c~d~s s tyl is t iques employ~s dans , La B~te humaine ,, afin d ' en t r a lne r le l ec teur vers ses d~lires v i sue l s et sonores , grace ~ des syst~mes de narrat ion litt~raire tr~s ~volu~s qu ' i l nous d6voile : il trouve, h la fin de son expos6, une tr~s jol ie formule pour d6flnir Zola, en le qualif lant ,, d' ing~nieur du texte ,,. Florent Montaclair nous dirige vers un autre g6nial ~crivain visionnaire avec ,, le Chemin de fer dans l ' imaginaire de Ju l e s Verne ,,, compagnon des d61ires de notre enfance pas encore encha~n6e ~ la t~l~vision et aux consoles video. I1 invente le train ~ vapeur sans rail (le chemin de fer sans ..... chemin de f e r . en quelque sorte !), et celui qui relie la Terre h la Lune s u i v a n t une log ique b ien p rec i se : ,, Les personnages de Jules Verne utilisent de drOles de trains, qui correspondent exactement & l'id~e que se fai t le publie de ce que doit ~tre un train. Il ne d~erit pas toujours les trains tels qu'ils sont, mais tels qu'ils devraient ~tre, et tels qu'ils seront un jour, in~vitablement ,,. Florent Montaclair poursu i t son expos~ par l 'h is toire du roman-feui l le ton que n ' inventa pas J u l e s Verne ( les p r e m i e r s 6p i sodes p a r u r e n t darts les j o u r n a u x ,, La Presse '~ et ,, Le Si~cle ,, d~s 1836), mais qu ' i l por ta haut, comme genre litt~raire ~ part enti~re ; nous re t rouvons ainsi les commenta i res ~clair6s de F~val, Reybaud, Bry, Barba et d'Ivoi. I1 montre aussi que, dans ses livres, J u l e s Verne a toujours donn6 au train quatre caract~rist iques principales : rapide, luxueux, dangereux et toujours symbole de progr~s. Les ci tat ions, nombreuses , mont ren t l ' ext r~me importance qu ' i l accordait h ce type de transport , ma preference allant quand m~me ~ l 'ut i l isat ion qu ' i l en fair d a n s , les Cinq cents mil l ions de la B~gum ,,. F lo rence Godeau a l e gofit de l '~nigme, avec un t i t re qui ferait plut6t penser ~ l 'un ivers d 'Agatha Chris t ie : , Paris- Balbec, Hambourg-Davos-Platz : voyage en chemin de fer et f o r m a t i o n du h6ros ,,. Les p l u s ~rud i t s de nos l e c t e u r s auront r i te compris qu 'e l le s ' a t taque aux h6ros des romans de Marcel P r o u s t acoquin~s , pour l ' occas ion , avec H a n s Castorp, le h6ros de , la Montagne magique ,,, de Thomas Mann. Les t i tres des t~tes de chapitre sont ~loquents, car si le t rajet Par is -Balbec ser t de fil rouge, elle nous entra~ne

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vra iment tr~s loin : au hasard de son expose, se re t rouvent d 'au t res noms c~l~bres, tels Bergson (~ Puissance de m~ta- m o r p h o s e du d ~ p l a c e m e n t s p a t i o - t e m p o r e l ~), M a r c e l Duchamp et Virginia Wolf (,, Paysages vus du train : sens et va lenr des descr ip t ions ,,) et cet te descr ip t ion aus tere des paysages vus du train lui permet de dis t inguer deux modali- t~s diff6rentes de descr ipt ions cin~tiques, deux esth~t iques s~parant les ~crivains modernes des r~alistes. Marcel Prous t con t inue ses laur ie rs lors de ce co l loque pu i sque , ~ son tour, Yves Baudelle part ~ la qu~te du chemin de fer dans

A la recherche du temps perdu ,,. Toutefois , d~s ses pre- mie rs roots, la cou leur es t annonc~e : ,, Sans doute est-il d'autres th~mes plus essentiels d Proust que le rail. Pour autant, le lecteur d',, A la recherche du temps perdu ,, n 'aurait garde d'en r~duire le motif ferroviaire au pittoresque touris- tique du petit tortillard ~ ; sur tout qu ' i l s ' e s t livr6 ~ une lec- ture sy s t~ma t ique de ce ,, pav~ ,, de 4 000 pages , et y a d~cel6 quelque cent -c inquante a l lus ions au train. I1 recon- na~t que si l ' int~r~t technique et documenta i re de ces allu- s i o n s e s t nul , il a n ~ a n m o i n s v a l e u r de t~mo ignage du monde social de l '~poque. Res te l ' a spec t s t r i c tement po~- t ique du chemin de fer prous t ien qui tient, dans ce roman, le m~me r61e que dans la vie : il s 'agi t d ' un moyen de commu- nicat ion ; par analogie, il d~rive vers d 'au t res romans prous- t iens ~ La Prisonni~re ,,, ~ Albert ine disparue ~ et ,, Sodome et Gomorrhe ,,, nous d~voilant les ressor ts dramat iques et les schemas romanesques qui ont guid~ l 'auteur. Le troisi~me th~me s ' in t i tu le ,, les enfants du rail ~, Angels Santa nous invite ~ nous at tarder sur le magnifique livre de Paul Nizan, ~ Antoine Bloy~ ,, : c ' e s t en 1933 que cet ami de Jean-Pau l Sartre ~crira ce roman, son premier, qui sera pr~- sent~ au pr ix G o n c o u r t ( r empor t~ ce t t e ann~e- l~ par la Condition humaine d 'Andr~ M a l r a u x ) ; il y ~voque son enfance, qui es t quas iment une biographie de son p~re, che- mino t b re ton et lu i -m~me ills de cheminot . Le monde du chemin de fer de 1890 ~ 1910 y est d~crit avec une minut ie et un souci du d~tail r~aliste rare ; r~aliste, il l ' es t en effet dans cette histoire d ' un employ~ de chemin de fer, issu d ' un milieu ouvrier modeste , qui, ~ force de travail, conna~t une r~ussite au d~but exemplaire, mais subit une lente et ineluc- table chute. On sent, dans la presenta t ion qui nous en est faite, tou te la r i chesse humaine , malgr~ l ' obse s s ion de la mort que Paul Nizan d~clame dans ce livre.

,, Rien. certes, de plus naturel que le chemin de fer, n~an- moins quelle s~duetion, quelle passion, quelle fascination pour ce royaume quasi fabuleux qui invite ~ l'~garement, qui dargit l'espace, le peuple de la graphie labyrinthique de ses correspondances , et qui t isse, avec ferveur, d hauteur d'homme, un ~chiquier sonore ~toil~ d'Glans et de d#couvertes ~ s ' e n t h o u s i a s t e l~velyne Lloze dans son ,, Esquisse d'une topographie des rhapsodies ferroviaires consac r~e ~ J a c q u e s R~da, ce p o r t e n o m a d e et p a s s a n t que n o u s s u i v o n s dans ses voyages v~cus ,, comme une grace, une sorte de rite ourl~ de l'espoir ,,, qui n ' e f f acen t pas les s o u v e n i r s ma i s au c o n t r a i r e les m o b i l i s e n t : sa d ~ m o n s t r a t i o n t o u r n e a u t o u r du t h ~ m e : ~ L'exis tence s 'apparente d un voyage ,,, en n o u s p l o n g e a n t darts les t u m u l t u e u s e s v i s ions du po r t e : son a m o u r pour les t ra ins n ' a d'~gal que sa pass ion pour la m u s i q u e (il ~crit r~guli~- r e m e n t des a r t ic les dans la revue ~ J a z z magaz ine ~) ; et p a s s e u l e m e n t le t r a i n , m a i s a u s s i l e s g a r e s , l e s a igui l lages , les rai ls cr~ent, chez R~da, un un ive r s poly- phon ique sur papier cher ~ ce ~ boulimique du regard et de l "oreille ~. Si les ~crivains, nous venons de le volt, se sont inspires du train, il existe une autre cat~gorie tout aussi importante que J e a n Flamion nous invite ~ d~couvrir : les cheminots ~cri- vains. Son appar tenauce au cercle litt~raire t~tienne-Cattin, sa qual i t~ de ju r~ au c o n c o u r s l i t t~raire annue l organis~ pour le compte de I 'U.A.I.C.F. , lui donnen t toute autorit~ pour parler de ces cheminots qui deviennent ~crivains par passion. I1 s~pare les a u t e u r s ~ t e c h n i q u e s ,, (Chape lon , Daut ry , Antonini . . . ) des pontes et prosateurs (il n ' en a pas r~cens~ moins de cent soixante-dix), dont il d resse une liste s~lec- tive dans laquelle figure le nora de notre actuel r~dacteur en chef. Son expos~ se t e rmine par une ~vocat ion ple ine de cha leur de deux ~crivains qui m~r i ten t une place ~ par t : l~tienne Catt in et Henr i Vincenot. Sa conclus ion a l e m~rite de recentrer l ' importance d 'un tel col loque dont nous souhai tons a rdemmen t qu ' i l conna isse beaucoup de successeurs : ~ Avant tout, nous avons le devoir de sauvegarder notre chore langue fran~aise, ce merveiUeux outil dont toutes ces femmes et tous ces hommes, aimants et g~n~reux, ont si bien su se servir ,,.

Thierry ESCOLAN

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