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Monique C. Cormier signe sa quatrième Journée Page 3 EDITION JOURNÉE QUÉBÉCOISE DES DICTIONNAIRES L’avenir est numérique pour Pascale Lefrançois Page 4 C’est la révolution dans le monde des données scientifiques Page 5 CAHIER SPÉCIAL H › L E D E VO I R , L E S SA M E D I 2 9 E T D I M A N C H E 3 0 S E P T E M B R E 2 01 2 Sa plume érudite, jamais pe- sante ou pompeuse, toujours amicale, conviviale et chaleu- reuse, transmet une passion contagieuse de la lecture. Son délicieux essai, et désor- mais classique, Une histoire de la lecture a marqué les esprits. En début d’année, Nouvel éloge de la folie poursuivait cette célébration. Et quiconque aime lire en re- demande. Le 4 octobre pro- chain, il livrera la conférence d’ouverture de la 4 e Journée québécoise des dictionnaires à la Grande Bibliothèque. ÉTIENNE PLAMONDON ÉMOND D ans la Bible, Dieu crée les animaux et les oiseaux, puis les fait venir de- vant Adam pour voir comment celui-ci les appel- lerait. Ce passage, relève Al- berto Manguel dans son essai Un lecteur de l’autre côté du mi- roir, a suscité un questionne- ment chez les érudits pendant plusieurs siècles : Adam a-t-il eu à inventer les noms lui-même ou a-t-il dû prononcer des noms qui existaient déjà ? Sous le titre La tâche d’Adam, l’écrivain argentin confirme que cette allégorie lui servira de point de départ lors de la confé- rence d’ouverture de la 4 e Jour- née québécoise des diction- naires, le 4 octobre prochain, à la Grande Bibliothèque. «L’his- toire d’Adam racontée dans la Genèse illustre très bien nos rap- ports au langage, explique l’écri- vain dans un courriel où il ré- pond aux questions du Devoir. Est-ce que le langage est un moyen de nommer le monde connu ou un moyen de connaî- tre le monde ? Est-ce que les mots définissent ou créent notre expérience ? Notre définition du dictionnaire dépendra de la réponse. » Cette énigme, il la retrace aussi dans Alice au pays des merveilles , une œuvre qu’il a découverte en bas âge, puis redécouverte au fil des diffé- rentes étapes de sa vie, pour fréquemment s’y référer dans ses écrits. En ef- fet, lorsqu’Alice traverse le mi- roir, elle est transportée dans une forêt où les choses sont dénuées de nom. Elle se retrouve dès lors tiraillée entre se sou- venir des mots ou en fabri- quer. Or Alberto Manguel, toujours dans Un lecteur de l’autre côté du miroir, indique que la lecture nous aide à maintenir une cohérence au milieu du chaos, à défaut de l’éliminer, à nommer les choses, à nommer les expé- riences, voire parfois à nom- mer l’innommable, mais aussi à ne pas faire confiance à la surface des mots pour en explorer les profondeurs. Lire et écrire Car Alberto Man- guel est d’abord un lecteur avant d’être un écrivain. Dans son récit in- titulé Place à l’ombre , il ra- conte que, plus jeune, il ne s’imaginait pas du tout pren- dre la plume, ne voyant pas l’intérêt d’ajouter sa signature, alors que les bibliothèques et librairies lui semblaient suffi- samment bien garnies pour as- souvir ses appétits. Un peu par accident, lors d’une collabora- tion avec Gianni Guadalupi, il a participé à la rédaction du Dictionnaire des lieux imagi- naires , dont la première ver- sion a été publiée au début des années 1980. Du moins, au- jourd’hui, il ne considère plus qu’il s’agissait d’écrire, mais plutôt de résumer des livres par le biais de la géographie, de la description des lieux et de l’identification des cou- tumes les peuplant. Après avoir immigré au Canada en 1982, puis avoir en- chaîné les critiques de livres pour com- bler son plaisir, il a appris l’im- pensable : l’un de ses profes- seurs du secondaire ayant nourri son engouement pour la littérature a dénoncé certains de ses élèves à la police mili- taire argentine. Cette révéla- tion l’a secoué, puis l’a poussé à écrire ce qu’il n’arrivait pas à exprimer de vive voix. Lire et rêver Depuis, il a publié de nom- breux romans, dont Tous les hommes sont des menteurs, et des essais littéraires, dont le foisonnant Une histoire de la lecture, récipiendaire du Médi- cis essai en 1998. Arrivé sur nos rayons en début d’année, Nouvel éloge de la folie, un re- cueil regroupant de nouveaux et d’anciens essais, poursuit cette célébration de l’art de lire avec une passion si débordante que nos yeux ont l’impression d’enfiler les phrases sorties de l’esprit d’un lecteur idéal. Le lecteur idéal, d’ailleurs, il tente de le définir, non sans hu- mour et avec une chute mali- cieuse, dans l’un des textes à l’intérieur de son dernier cru. « Le lecteur idéal aime recourir au dictionnaire», insère Alberto Manguel dans son énumération. Pourquoi ? « Parce que le lecteur idéal aime les mots en eux- mêmes, comme un peintre aime les couleurs et les formes. Cocteau disait que tout chef-d’œuvre n’est qu’un dictionnaire en désordre », précise-t-il au Devoir. Reste que, avec le numérique, la lecture tend à se métamor- phoser, voire à être bouleversée. Loin d’être technophobe, Al- berto Manguel ne prophétise pas la fin du livre de papier, re- marquant que le nombre d’im- pressions ne semble surtout pas diminuer, et il considère qu’il ne sert à rien de renier nos inven- tions. En ce qui concerne les dictionnaires, le papier et l’ordi- nateur ne répondent pas aux mêmes besoins, laisse-t-il enten- dre. « Sans doute, pour chercher une définition précise, les encyclo- pédies et dictionnaires électro- niques sont plus efficaces. Mais, pour ces autres informations qui sont le produit du hasard et nour- rissent les rêves et l’inspiration poétique, mieux vaut un diction- naire en papier et en encre.» Lire ou survoler Dans Nouvel éloge de la folie, il se questionne par contre sur la façon dont, avec ces nou- velles technologies, nous se- rons capables de demeurer des « lecteurs créateurs » et non des « voyeurs passifs ». Il constate que, pour le lecteur sur ordina- teur, qui « surfe » sur le web, « le texte n’existe que comme une surface qu’on survole ». De plus, il note que de plus en plus de gens, particulièrement les jeunes, « ne savent plus com- ment on lit avec compétence ». Dans son dernier livre, il sou- ligne que le texte électronique, en étant facilement accessible, donne l’illusion qu’il est facile de se l’approprier, alors que lire ne consiste pas seulement à avoir un texte à sa disposition ou à faire une collecte d’infor- mation, mais à « pénétrer dans le labyrinthe des mots ». À la question de savoir si la lecture électronique nous aide- rait moins à nommer les choses et les expériences que celle sur du papier, il nuance: « Nos outils ne sont pas responsables de l’usage que nous faisons, répond- il. C’est sûr que la lecture pro- fonde est mieux servie par l’im- primé que par l’électronique, mais cela ne veut pas dire qu’il est impossible de lire profondé- ment sur l’écran, seulement que la tâche s’avérera plus difficile. » D’autant plus que cet environ- nement, en nous donnant si- multanément tout à la portée de la main en tout temps, nous déconcentre et rend la lecture plus ardue que lorsque notre at- tention n’était cernée que par les pages et les marges. S’il considère qu’à notre époque la plupart des per- sonnes sont « superficiellement alphabétisées », il ne croit pas que ce phénomène découle du virage numérique, mais plutôt qu’il « fait partie d’un problème plus général de nos sociétés : la tendance à négliger la valeur de l’acte intellectuel, à mépriser l’intelligence, à se moquer de la création qui n’a pas de but lu- cratif. Dans ce contexte, il suffit de savoir déchiffrer un pan- neau publicitaire et signer son nom sur un contrat. La lecture, la vraie, celle qui permet de nommer notre expérience, va à l’encontre des nécessités d’une société de consommation, qui exige de nous la bêtise pour mieux consommer.» Collaborateur Le Devoir ALBERTO MANGUEL ALAIN JOCARD AFP Au-delà des mots « La vraie lecture va à l’encontre des nécessités d’une société de consommation »

EDITION - Le Devoir€¦ · ALBERTO MANGUEL ALAIN JOCARD AFP Au-delà des mots «La vraie lecture va à l’encontre des nécessités d’une société de consommation» DICTIONNAIRES

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Page 1: EDITION - Le Devoir€¦ · ALBERTO MANGUEL ALAIN JOCARD AFP Au-delà des mots «La vraie lecture va à l’encontre des nécessités d’une société de consommation» DICTIONNAIRES

Monique C.Cormier signe sa quatrièmeJournée Page 3

EDIT IONJOURNÉE QUÉBÉCOISE DES DICTIONNAIRES

L’avenir estnumérique pourPascale LefrançoisPage 4

C’est la révolutiondans le mondedes donnéesscientifiques Page 5

C A H I E R S P É C I A L H › L E D E V O I R , L E S S A M E D I 2 9 E T D I M A N C H E 3 0 S E P T E M B R E 2 0 1 2

Sa plume érudite, jamais pe-sante ou pompeuse, toujoursamicale, conviviale et chaleu-reuse, transmet une passioncontagieuse de la lecture.Son délicieux essai, et désor-mais classique, Une histoirede la lecture a marqué lesesprits. En début d’année,Nouvel éloge de la foliepoursuivait cette célébration.Et quiconque aime lire en re-demande. Le 4 octobre pro-chain, il livrera la conférenced’ouverture de la 4e Journéequébécoise des dictionnairesà la Grande Bibliothèque.

É T I E N N E P L A M O N D O NÉ M O N D

D ans la Bible, Dieucrée les animauxet les oiseaux, puisles fait venir de-vant Adam pour

voir comment celui-ci les appel-lerait. Ce passage, relève Al-berto Manguel dans son essaiUn lecteur de l’autre côté du mi-roir, a suscité un questionne-ment chez les érudits pendantplusieurs siècles: Adam a-t-il euà inventer les noms lui-mêmeou a-t-il dû prononcer des nomsqui existaient déjà?

Sous le titre La tâche d’Adam,l’écrivain argentin confirme quecette allégorie lui ser vira depoint de départ lors de la confé-rence d’ouverture de la 4e Jour-née québécoise des diction-naires, le 4 octobre prochain, àla Grande Bibliothèque. «L’his-toire d’Adam racontée dans laGenèse illustre très bien nos rap-ports au langage, explique l’écri-vain dans un courriel où il ré-pond aux questions du Devoir.Est-ce que le langage est unmoyen de nommer le mondeconnu ou un moyen de connaî-tre le monde ? Est-ce que lesmots définissent ou créent notreexpérience ? Notre définitiondu dictionnaire dépendra de laréponse. »

Cette énigme, il la retraceaussi dans Alice au pays desmerveilles, une œuvre qu’il adécouver te en bas âge, puisredécouverte au fil des dif fé-rentes étapes de sa vie, pourfréquemment s’y référer dansses écrits. En ef-fet, lorsqu’Alicetraverse le mi-roir, elle estt r a n s p o r t é edans une forêtoù les chosessont dénuéesde nom. Ellese retrouve

dès lors tiraillée entre se sou-venir des mots ou en fabri-quer. Or Alber to Manguel,toujours dans Un lecteur del’autre côté du miroir, indiqueque la lecture nous aide àmaintenir une cohérence aumilieu du chaos, à défaut del ’él iminer, à nommer leschoses, à nommer les expé-riences, voire parfois à nom-mer l’innommable, mais aussi

à ne pas faireconfiance à lasurface des motspour en explorerles profondeurs.

Lire et écrireCar Alberto Man-

guel est d’abord unlecteur avantd ’ ê t r e

un écrivain. Dans son récit in-titulé Place à l’ombre, il ra-conte que, plus jeune, il nes’imaginait pas du tout pren-dre la plume, ne voyant pasl’intérêt d’ajouter sa signature,alors que les bibliothèques etlibrairies lui semblaient suffi-samment bien garnies pour as-souvir ses appétits. Un peu paraccident, lors d’une collabora-tion avec Gianni Guadalupi, ila par ticipé à la rédaction duDictionnaire des lieux imagi-naires, dont la première ver-sion a été publiée au début desannées 1980. Du moins, au-jourd’hui, il ne considère plusqu’il s’agissait d’écrire, maisplutôt de résumer des livrespar le biais de la géographie,

de la description des lieux etde l’identification des cou-

tumes les peuplant.Après avoir immigré

au Canada en 1982,puis avoir en-

chaîné les

critiques de livres pour com-bler son plaisir, il a appris l’im-pensable : l’un de ses profes-seurs du secondaire ayantnourri son engouement pour lalittérature a dénoncé certainsde ses élèves à la police mili-taire argentine. Cette révéla-tion l’a secoué, puis l’a poussé àécrire ce qu’il n’arrivait pas àexprimer de vive voix.

Lire et rêverDepuis, il a publié de nom-

breux romans, dont Tous leshommes sont des menteurs, etdes essais littéraires, dont lefoisonnant Une histoire de lalecture, récipiendaire du Médi-cis essai en 1998. Arrivé surnos rayons en début d’année,Nouvel éloge de la folie, un re-cueil regroupant de nouveauxet d’anciens essais, poursuitcette célébration de l’art de lireavec une passion si débordanteque nos yeux ont l’impressiond’enfiler les phrases sorties de

l’esprit d’un lecteur idéal.Le lecteur idéal, d’ailleurs, il

tente de le définir, non sans hu-mour et avec une chute mali-cieuse, dans l’un des textes àl’intérieur de son dernier cru.«Le lecteur idéal aime recourirau dictionnaire», insère AlbertoManguel dans son énumération.Pourquoi? «Parce que le lecteuridéal aime les mots en eux-mêmes, comme un peintre aimeles couleurs et les formes. Cocteaudisait que tout chef-d’œuvre n’estqu’un dictionnaire en désordre»,précise-t-il au Devoir.

Reste que, avec le numérique,la lecture tend à se métamor-phoser, voire à être bouleversée.Loin d’être technophobe, Al-berto Manguel ne prophétisepas la fin du livre de papier, re-marquant que le nombre d’im-pressions ne semble surtout pasdiminuer, et il considère qu’il nesert à rien de renier nos inven-tions. En ce qui concerne lesdictionnaires, le papier et l’ordi-

nateur ne répondent pas auxmêmes besoins, laisse-t-il enten-dre. «Sans doute, pour chercherune définition précise, les encyclo-pédies et dictionnaires électro-niques sont plus efficaces. Mais,pour ces autres informations quisont le produit du hasard et nour-rissent les rêves et l’inspirationpoétique, mieux vaut un diction-naire en papier et en encre.»

Lire ou survolerDans Nouvel éloge de la folie,

il se questionne par contre surla façon dont, avec ces nou-velles technologies, nous se-rons capables de demeurer des« lecteurs créateurs» et non des« voyeurs passifs ». Il constateque, pour le lecteur sur ordina-teur, qui « surfe » sur le web,«le texte n’existe que comme unesurface qu’on survole». De plus,il note que de plus en plus degens, par ticulièrement lesjeunes, « ne savent plus com-ment on lit avec compétence ».Dans son dernier livre, il sou-ligne que le texte électronique,en étant facilement accessible,donne l’illusion qu’il est facilede se l’approprier, alors que lirene consiste pas seulement àavoir un texte à sa dispositionou à faire une collecte d’infor-mation, mais à «pénétrer dansle labyrinthe des mots».

À la question de savoir si lalecture électronique nous aide-rait moins à nommer les choseset les expériences que celle surdu papier, il nuance: «Nos outilsne sont pas responsables del’usage que nous faisons, répond-il. C’est sûr que la lecture pro-fonde est mieux servie par l’im-primé que par l’électronique,mais cela ne veut pas dire qu’ilest impossible de lire profondé-ment sur l’écran, seulement quela tâche s’avérera plus difficile.»D’autant plus que cet environ-nement, en nous donnant si-multanément tout à la portéede la main en tout temps, nousdéconcentre et rend la lectureplus ardue que lorsque notre at-tention n’était cernée que parles pages et les marges.

S’il considère qu’à notreépoque la plupar t des per-sonnes sont « superficiellementalphabétisées », il ne croit pasque ce phénomène découle duvirage numérique, mais plutôtqu’il « fait partie d’un problèmeplus général de nos sociétés : latendance à négliger la valeurde l’acte intellectuel, à mépriserl’intelligence, à se moquer de lacréation qui n’a pas de but lu-cratif. Dans ce contexte, il suffitde savoir déchif frer un pan-neau publicitaire et signer sonnom sur un contrat. La lecture,la vraie, celle qui permet denommer notre expérience, va àl’encontre des nécessités d’unesociété de consommation, quiexige de nous la bêtise pourmieux consommer. »

CollaborateurLe Devoir

A L B E R T OM A N G U E L

ALAIN JOCARD AFP

Au-delà des mots«La vraie lecture va à l’encontre des nécessités d’une société de consommation»

Page 2: EDITION - Le Devoir€¦ · ALBERTO MANGUEL ALAIN JOCARD AFP Au-delà des mots «La vraie lecture va à l’encontre des nécessités d’une société de consommation» DICTIONNAIRES

D I C T I O N N A I R E SL E D E V O I R , L E S S A M E D I 2 9 E T D I M A N C H E 3 0 S E P T E M B R E 2 0 1 2H 2

H É L È N E R O U L O T - G A N Z M A N N

D iderot, Larousse et les au-teurs de Wikipédia… Est-

ce que les savoirs, connais-sances, analyses et réflexionsdes encyclopédistes, savantsdes XVIIIe et XIXe siècles, ou desimples quidams, internautesdu XXIe siècle, se valent ? Est-ce que tout le monde peut vrai-ment contribuer au savoir uni-versel ? Des questions aux-quelles Jean-Yves Mollier, pro-fesseur et directeur de l’Écoledoctorale Cultures, régula-tions, institutions, territoires del’Université de Versailles–Saint-Quentin-en-Yvelines, enFrance, tentera de répondre le4 octobre prochain, lors d’uncolloque présenté dans le ca-dre de la quatrième Journéequébécoise des dictionnaires.Il nous donne ici quelques élé-ments de réponse et pistes deréflexion.

Le Devoir : On a de la dif fi -culté à trouver des pointscommuns entre l’Encyclopé-die de Diderot au XVIIIe siècleet Wikipédia…

Jean-Yves Mollier : A priori,il y a effectivement beaucoupde différences, mais le rapportentre les deux, et même entreles trois si l’on considère leGrand Dictionnaire universeldu XIXe siècle de Pierre La-rousse, c’est l’utopie. Deuxutopies, en fait : la première estde considérer qu’on peut réu-nir tous les savoirs du monde,ce qui est naturellement im-possible même en réunissantla meilleure équipe de savants ;la deuxième est de croire quetous les lecteurs sont capablesde lire et d’emmagasiner lesarticles qui vont leur être don-nés. Les encyclopédistes,quelles que soient les époques,sont tous guidés par un projetutopique au sens philoso-phique et généreux du terme.

Nous avons cependant, d’uncôté, des projets rédigés pardes savants triés sur le volet et,de l’autre, une encyclopédieparticipative…

Ça, c’est une des idées anar-chistes et libertaires des fonda-teurs du web. L’idée que chacunvaut l’autre, chacun a son lot deconnaissances. Ce n’était pasvrai du tout ni à l’époque de Di-derot, ni à celle de Pierre La-rousse: l’un comme l’autre, en-tourés des équipes qu’ils avaientconstituées, étaient persuadésque, à eux tous, ils détenaienttous les savoirs. Ils étaient cer-tains que, s’ils demandaient à unpaysan ou à un artisan de les re-joindre, lui n’aurait pas cesconnaissances. Alors que, dansInternet en général et Wikipédiaen particulier, il y a cette idéeque tout le monde peut interve-nir sur tous les sujets.

Et que tout le monde peut rec-tifier les erreurs…

Et, là-dessus, les administra-teurs de Wikipédia sont trèshonnêtes. Ils ne sont pas làpour vérifier, mais ils publienttrès vite toute rectification quileur est envoyée. À la dif fé-rence des encyclopédies de pa-pier, qui doivent attendre depublier un supplément pourcompléter ou corriger une in-formation, Wikipédia est sanscesse modifié. Ç’a du bon.Mais il faut aussi faire attentionau recul que l’on a par rapportà un événement. Qu’est-ce quifait l’épaisseur d’un événe-ment ? Qui décide de l’épais-seur d’un événement ? Il fautrester vigilant face à la manipu-lation. Prenons par exemple unfait historique comme l’affaire

Dreyfus. Si vous parlez à deshistoriens, 100 % d’entre euxvont vous dire que Dreyfusétait innocent. Si vous allezdans Internet, vous trouverezen grande majorité des thèsesnégationnistes sur le sujet. Carsi, pour les premiers, le dossierest clos, les négationnistes,poussés par leur idéologie,eux, vont publier dans Internet,notamment dans une encyclo-pédie participative comme Wi-kipédia, en mal de garde-fous.

Au final, selon vous, est-ce quel’information est de bonne qua-lité dans Wikipédia?

Si on en croit ses propres au-teurs, sur les 1,3 million d’arti-cles en français disponibles,2000 ont reçu un label de qua-lité. Comme je suis mauvaiselangue, j’en conclus que1,298 million n’ont pas reçu celabel… En clair, ça veut direqu’ils reconnaissent eux-mêmes que tous les articles nese valent pas. Il y a donc là uneforme de contradiction. Il nefaut pourtant pas nier que Wi-kipédia est un formidable outil,une bonne première prise decontact avec un sujet, mais çane suffit pas. Il faut croiser lessources. D’où l’intérêt de lanaissance d’autres encyclopé-dies participatives dans le web,celles-ci fermées. Depuis 2008,il existe, dans le site de la li-brairie Larousse, une encyclo-pédie contributive en accès li-bre, qui reprend l’idée dePierre Larousse de semer àtous vents et de transmettre lesavoir à tout l’univers, maisdont, contrairement à Wikipé-dia, tous les articles sont véri-fiés avant publication.

Pouvait-on faire confiance, lesyeux fermés, aux encyclopé-dies de Diderot et de La-rousse? Parce que, à l’époque,il était plus difficile de croiserles sources…

Diderot a été soucieux de re-cruter les meilleurs collabora-teurs. À 80 %, les informationspubliées dans cette encyclopé-die du XVIIIe siècle sont d’ex-cellente qualité. Ce qui ne si-gnifie pas qu’elle ne soit pasempreinte de subjectivité. On aaffaire à des philosophes desLumières, qui sont plutôt maté-rialistes, plutôt anticatholiques,qui sont contre les religions etcontre les superstitions. Ilsfont des choix, ils ont une vi-sion qui reflète leur propreidéologie. Mais, dès qu’ils sontsur le terrain de la science oude l’analyse des métiers, ils seveulent des sor tes d’ethno-graphes, donc des gens qui,très objectivement, rendentcompte de l’état des connais-sances et du savoir. Un siècleplus tard, avec Pierre La-rousse, les choses ont bienchangé. Le public a à sa dispo-sition des dizaines de diction-naires et d’encyclopédies. Ilpeut confronter les sources.

Mais qui a le temps et lesmoyens de faire ça à l’époque?

Bien sûr, on parle des sa-vants et des gens qui ont beau-coup de loisirs, mais les jour-nalistes, par exemple, les intel-lectuels peuvent vérifier l’in-formation de Pierre Larousse.C’est une des grandes dif fé-rences avec aujourd’hui. L’en-cyclopédie de Diderot s’estvendue à 24 000 exemplaires,Larousse à 130 000, alors qu’ily a des dizaines de millions devisiteurs dans Wikipédia.Nous ne sommes plus dans lemême rapport et c’est bien sûrune des forces du web.

CollaboratriceLe Devoir

DIDEROT VS WIKIPÉDIA

Un projet utopiste guideles encyclopédistes

M I C H E L B É L A I R

P ourquoi se creuser la têtealors que les moteurs de

recherche vous amènent par-tout dans le web, au détour dumoindre mot ? Là où, quel quesoit le sujet, c’est l’abondance,l’avalanche, le tsunami d’in-formations — sur n’importequoi et n’impor te quand —toujours touf fues, omnipré-sentes, exponentielles même,accouchant l’une de l’autre,« in-bèdées » à l’infini…

Un dictionnaire? Non, mais !Pourtant, la situation porte

en elle-même quelque chosede très préoccupant qui nousfait toucher concrètement,comme toute une série d’au-tres signaux alarmants, à lamenace qui pèse sur le fran-çais comme nous le parlons etl’écrivons ici.

Marie-Claude L’Homme,professeure titulaire au Dépar-tement de linguistique et detraduction et directrice del’Obser vatoire sens-texte del’Université de Montréal, es-time qu’il faut réagir rapide-ment. Les « professionnels dulangage », ainsi qu’elle lesnomme — linguistes, universi-taires, professeurs, écrivains,traducteurs, interprètes, jour-nalistes et rédacteurs en tousgenres — tout comme le com-mun des mortels ont des be-soins précis ; on doit y répon-dre en tenant compte de l’om-niprésence d’Internet dans lavie d’un peu tout le monde.

«Il y a déjà une grande variétéde dictionnaires gratuits disponi-bles dans le web, explique l’uni-

versitaire au téléphone, et cer-tains sites sont très achalandés.On ne sait pas de façon précisequel est le profil des gens qui lesconsultent, mais la fréquentationn’est pas vraiment le problème.On sait par contre que les utili-sateurs consultent pour lesmêmes raisons qu’ils fouillentdans les dictionnaires de papier;essentiellement pour l’or tho-graphe des mots, le sens ou en-core le genre quand il s’agit d’ap-prenants… » Marie-ClaudeL’Homme constate du mêmesouffle la qualité très moyennede l’information fournie dansles sites les plus fréquentés ;c’est là que le bât blesse.

«Ces sites ont en général peude profondeur et proposent, parexemple, très peu de nuances desens. Il impor te de mettre enligne des outils ef ficaces quicorrespondent à ce que veulentles gens… mais sans sacrifier àla qualité et à la fiabilité. Nousdevons absolument être précis,pertinents et rapides. Plus mo-dernes aussi : le dictionnaire enligne idéal doit se distinguerdes autres outils. » La cher-cheuse insiste. Ce diction-naire — qui n’existe donc pasencore — doit « fournir une in-formation valable, riche, com-plète et nuancée. Une informa-tion qui por te sur les mots etqui apporte des renseignementsprécis. »

Des défis similairesSauf qu’il suffit d’aller jeter

un coup d’œil sur quelques-uns des dictionnaires gratuits«sérieux» qui sont disponiblesen ligne pour constater rapide-

ment qu’il reste encore beau-coup de travail à faire… Si lecontenu de plusieurs se trouveenrichi du fait qu’il n’y a pas decontrainte d’espace dans Inter-net, il est par contre impératifde rendre cet outil plus convi-vial qu’il ne l’est. Dans la plu-part de ces sites, vous verrez,on a souvent l’impression dese pointer dans un territoire àaccès contrôlé : une sorte deposte-frontière défendu par undouanier à l’air sévère quipose des questions trop poin-tues pour qu’on puisse mêmeles comprendre…

Aux dires de Marie-ClaudeL’Homme, les défis du diction-naire en ligne sont les mêmesque ceux que doit relever ledictionnaire de papier. Il fauten ar river à proposer cequ’elle identifie comme « unaccès rapide et direct à dif fé-rents secteurs enrichis ». Pré-senter aussi les résultats affi-chés d’une manière lisiblepour tous et, pourquoi pas,même attrayante. « Pour y ar-river, il nous faudra trouver

la façon d’amener les utilisa-teurs à accéder à plus demises en contexte, puisquec’est là que réside la granderichesse de nos outils. Tout lemonde aurait, par exemple,avantage à connaître et à fré-quenter certains dictionnaires« sérieux » et for t bien faits,comme la Base lexicale dufrançais conçue par uneéquipe belge pour les appre-nants… Bref, il nous faudrarapidement apprendre à gérerla compatibilité des besoinsdes utilisateurs avec les nô-tres. Et, sur tout, développerdes interfaces simples et trans-parentes qui ne rebuterontpersonne. »

Les lexicographes semblentdonc sensibles aux besoins dugrand public. Le défi estd’amener ce grand public àexiger plus, à l’amener plusloin que le wiki-dico… et luifaire découvrir la richesse des«vrais» dictionnaires.

CollaborateurLe Devoir

INTERNET

À l’heure du numériqueComment amener les gens à consulter des dictionnaires en ligne?Vous prenez deux grandes « tendances » : celle qui poussemaintenant tout le monde à tout faire dans Internet sauf pren-dre sa douche. Et celle du « clic », de l’instantanéité. Du toutde suite ser vi, sur mesure et sans délai, au bout du doigt.Clac ! Ou plutôt clic… Dans ce monde où le copier-coller estla règle, qui va prendre le temps aujourd’hui de consulter undictionnaire en ligne ou, pire, en papier ? Hum?

PIERRE VERDY AGENCE FRANCE-PRESSE

Les défis du dictionnaire en ligne sont les mêmes que ceux quedoit relever la version en papier : un accès rapide et direct àdif férents secteurs enrichis.

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D I C T I O N N A I R E SL E D E V O I R , L E S S A M E D I 2 9 E T D I M A N C H E 3 0 S E P T E M B R E 2 0 1 2 H 3

Directrice du Département de linguistique et detraduction de l’Université de Montréal, MoniqueC. Cormier est la conceptrice de la Journée qué-bécoise des dictionnaires. Pour la quatrièmeédition de l’événement, cette tête chercheuse in-vite ses conférenciers à discuter de la révolutionnumérique qui se déroule sous nos yeux. Sur lethème «Du papier au numérique: la mutationdes dictionnaires», ce colloque internationals’intéresse à la transformation du support, maissurtout du contenu, puis de nous-mêmes.

B E N O I T R O S E

«L es dictionnaires m’ont toujours passion-née », admet la professeure Monique C.

Cormier, responsable de la 4e Journée québé-coise des dictionnaires. Elle est d’ailleurs spé-cialiste de l’histoire de ces ouvrages, particuliè-rement les versions bilingues anglais-françaisdes XVIIe et XVIIIe siècle.

En mettant sur pied sa première édition en2003, elle voulait d’abord sortir le savoir del’Université. «La mission du professeur d’univer-sité, c’est bien sûr de faire des recherches, mais ila aussi un rôle de vulgarisateur à jouer auprèsde ses concitoyens, croit-elle. Il doit transmettreses résultats, ses connaissances. Ce que je voulaisfaire avant tout, c’était une activité de transfertdes connaissances à partir d’un ouvrage connu,d’un objet qui concerne tout le monde. »

Elle a ainsi adapté pour le Québec un colloqueinternational qui se tient annuellement en France,mais en lui insufflant davantage d’ouverture. Si laJournée des dictionnaires à la française s’adresseplutôt à des spécialistes de la lexicographie, lamouture locale de Mme Cormier est un lieu où lesdiscours des orateurs se veulent accessibles augrand public. Et quoi de mieux que la Grande Bi-bliothèque, sise boulevard de Maisonneuve, unendroit symbolique, pour accueillir cette nouvelleédition le 4 octobre prochain. L’écrivain argentinAlberto Manguel, auteur d’Histoire de la lecture,en sera le conférencier d’honneur.

Les dictionnaires et nousSi les deux premiers colloques, en 2003

et 2005, ont eu pour objets d’étude les diction-naires Robert et Larousse, c’est d’abord parcequ’ils nous sont très familiers. « Tout français

qu’ils soient, ce sont les dictionnaires que lesQuébécois ouvrent le plus et, dans le cas du La-rousse, depuis très longtemps, explique la profes-seure. Il fallait donc, pour la société québécoise,présenter et étudier la nature de ces dictionnaireset, entre autres, se demander en les ouvrant dansquelle mesure ils correspondent à des besoins denotre société nord-américaine. »

Puis, dans le cadre du 400e anniversaire de laville de Québec en 2008, elle a cru bon de mon-trer aux amoureux des lettres que l’ef fort demaîtriser la langue a toujours existé chez nous,depuis la Nouvelle-France jusqu’à aujourd’hui.Ce souci historique a d’ailleurs revêtu toutessor tes de formes, de vocabulaires, de glos-saires et de dictionnaires spécialisés et géné-raux. Soulignons que, la même année, cettefemme enthousiaste a été nommée vice-doyenne à la Faculté des arts et des sciencesde son université et élue membre du conseild’administration de l’Association francophonepour le savoir (Acfas). L’année suivante, elle areçu le prix Georges-Émile-Lapalme pour sacarrière remarquable.

La révolution numériqueC’est donc après une pause bien méritée de

quatre ans que sa Journée québécoise des dic-tionnaires reprend du service, avec au cœur desa réflexion la révolution numérique actuelle, quibouleverse tout sur son passage. «Le numériquen’est pas en train de modifier seulement le support,souligne la professeure, mais bien le contenu lui-même de l’information, sa présentation et le typed’exigences que nous aurons désormais.» C’est unsujet d’étude plus dif ficile à aborder, puisquecette transformation se déroule présentement età grande vitesse. Nous n’en sommes qu’aux pre-miers balbutiements : il existe donc peu de spé-cialistes pour nous éclairer.

Au niveau du contenu, la chercheuse notequ’il est en train de se renouveler profondé-ment. « On s’en va tout à fait vers autre chose.La diffusion du savoir devient beaucoup plus im-portante avec le dictionnaire numérique. Selonce qui m’intéresse comme utilisateur, je peux al-ler chercher d’autres strates d’information. Jepeux me limiter à l’article, au mot, mais, avecles hyperliens, je pourrai désormais avoir accès àla prononciation ou encore à un développementencyclopédique. En fait, le type d’information au-quel on peut avoir accès est presque infini. »

Ce qui a pour effet de changer nos attentes.

« La mutation des dictionnaires nous fait chan-ger nous-mêmes, car elle nous rend plus exi-geants, par exemple pour la rapidité et l’exhausti-vité de l’information à obtenir », observe-t-elle.Le site Wikipédia et des ouvrages encyclopé-diques jadis difficiles d’accès, notamment parceque volumineux ou coûteux, prennent au-jourd’hui place en ligne, et souvent gratuite-ment. Un plus pour les chercheurs et un autrepour la démocratisation des savoirs, mais aussiun repositionnement nécessaire pour les mai-sons d’édition. Comme les organes de presse,les éditeurs doivent aujourd’hui choisir un mo-dèle commercial qui pourra à la fois assurerleur survie et satisfaire les consommateurs.

Des questions et des réponsesMille et une questions se posent par rapport à

cette mutation, et Mme Cormier est la première àse les poser. L’amoureuse des livres s’interrogesur la perte des sensations matérielles, des tex-tures et donc sur cette personnalité des supportsqui influence notre rapport à l’information. Lachercheuse, elle, se demande si le principe desmises à jour fréquentes, qui constitue un avan-tage clair sur le papier, laissera un espace suffi-sant pour la conservation des anciens textes nu-

mériques, essentielle pour comprendre notre his-toire linguistique. L’intérêt de la 4e Journée, selonelle, est justement de pouvoir obtenir de nou-velles réponses de la part des conférenciers, afinde mieux saisir cette histoire en train de s’écrire.

Parmi les invités appelés à s’exprimer, nousavons mentionné l’écrivain Alberto Manguel.«C’est quelqu’un qui a beaucoup réfléchi au livreet qui, de mon point de vue, est particulièrementintéressant, dit la responsable. Parce que c’estaussi l’avenir du livre qui se joue à l’heure ac-tuelle. » Éric Brunelle, président de Druide in-formatique, soutiendra que le support fait ledictionnaire. Laurent Catach, des dictionnairesLe Robert, parlera des contenus éditoriaux desversions numériques. Une table ronde réunis-sant cinq personnes se penchera sur l’épineusequestion des modèles commerciaux.

La 4e Journée québécoise des dictionnairesest dédiée aux professeurs Jean-Claude Boulan-ger et Claude Poirier, du Dépar tement delangues, linguistique et traduction de l’Univer-sité Laval, pour souligner leur apport considé-rable à l’avancement de la lexicographie.

CollaborateurLe Devoir

Et les mots aussi s’inscrivent dans le paysage numérique…« La mutation des dictionnaires nous fait changer nous-mêmes »

UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL

L’intérêt de la 4e Journée québécoise des dictionnaires, selon Monique C. Cormier, est d’obtenir denouvelles réponses de la part des conférenciers et de mieux saisir cette histoire en train de s’écrire.

Le Grand Dictionnaire terminologique, par-rainé par l’Office québécois de la langue fran-çaise, fait peau neuve en proposant depuisquelques mois une toute nouvelle inter facequi permet à l’usager d’ici et d’ailleurs d’opti-miser ses recherches sous diverses formes.Et tout cela, dans Internet.

T H I E R R Y H A R O U N

«L e Grand Dictionnaire terminologique,on l’appelle aussi le GDT, est un outil

souple, très complet, qui est à la disposition descitoyens et des clientèles d’usagers spécialisés. LeGDT inclut forcément la terminologie dans diffé-rentes catégories de la vie humaine, commer-ciale, industrielle, ainsi que dans les domainesde la recherche », note la présidente-directricegénérale de l’Of fice québécois de la languefrançaise (OQLF), Louise Marchand.

En quoi consiste le GDT ? La documentationof ficielle nous indique que le GDT est unebanque de fiches terminologiques rédigées parl’OQLF ou des partenaires de l’Office. Chaquefiche renseigne sur un concept lié à un do-maine d’emploi spécialisé et présente lestermes qui le désignent en français, en anglaiset, parfois, dans d’autres langues.

Les termes qui désignent le concept sontclassés par domaines d’emploi et sont souventexplicités au moyen d’une définition, de notesou d’une illustration. Ainsi, on peut trouverdans le GDT les équivalents français de termesanglais ou espagnols, par exemple, ou vérifierle sens d’un terme appartenant au vocabulairetechnique ou scientifique. « Le Grand Diction-naire terminologique n’est donc pas un diction-naire de langue usuelle, une grammaire ou unouvrage portant sur les dif ficultés du français »,prévient-on.

On soulignera de plus que, puisque l’OQLFest chargé d’orienter l’usage du français auQuébec, les fiches qui portent la signature del’Office sont présentées différemment des au-tres fiches du GDT. À ce titre, l’Office a recoursà un code de couleurs et à des pictogrammespour renseigner l’usager sur l’acceptabilité destermes français consignés sur la fiche. Concrè-tement, le vert indique que le terme est privilé-gié, le jaune indique que le terme est à usagerestreint et on aura compris que le rouge dé-signe un terme qui est déconseillé.

En «vedette» cette semaine…Lors des consultations ef fectuées dans le

site Internet du GDT aux fins de cette re-cherche, trois fiches étaient « en vedette » cejour-là. Ainsi, la fiche intitulée «plage urbaine »nous indique que ce terme fait partie des do-maines de l’aménagement du territoire et duloisir. On y décline sa définition et on préciseplus loin qu’il existe deux types de plage ur-

baine : celle constituée de sable et celleconstruite avec un matériau rigide comme dugranule de caoutchouc ou du granite, pourempêcher l’accumulation de sable dans les es-paces urbains environnants. Un crochet vertlui est accolé. Et, en anglais, on dit « urbanbeach » ou « urbeach ». Les autres termes « envedette » étaient « grillage-moustiquaire » et« sentier polyvalent ». Des milliers et des mil-liers de fiches s’entrecroisent donc dans lesite, et ce, dans tous les secteurs ou presque,de la mécanique à la plomberie en passant parl’habillement, la police, l’astronautique, la pé-trochimie, l’engagement, l’international oul’alimentation.

Histoire et nouveautésSur le plan historique, on rappellera que la

Banque de terminologie du Québec est deve-nue le Grand Dictionnaire terminologique en1997. Sa diffusion a évolué au fil du temps : ac-cès par terminal pour abonnés de 1981 à 1995,cédérom de 1995 à 2001 et accès gratuit dansInternet depuis l’an 2000. Et une toute nou-velle inter face a vu le jour en juin dernier.Qu’en est-il ?

Outre l’ajout du concept de codes de couleuraccolés aux termes, la nouvelle interface pro-pose bien d’autres choses, comme la possibilitéd’envoyer des fiches par courriel, note DanielleTurcotte, directrice générale adjointe des ser-vices linguistiques à l’OQLF. « On a ajouté unbouton sur la fiche qu’on voit apparaître àl’écran. L’usager peut ainsi transférer la fichetelle quelle à un collègue, par exemple, avec quiil a eu une discussion pendant la journée. »

Il y a aussi la possibilité de faire une re-cherche par mots-clés dans les notes, renchéritLouise Marchand. « C’est très impor tant, ça,parce qu’il arrive qu’on ne connaisse pas exacte-ment le terme à l’endroit où on veut aller. Donc,cette recherche par mots-clés facilite beaucoup latâche de l’usager. » Quoi d’autre? Il y a, entre au-tres, la présence de données dans d’autreslangues que le français et l’anglais, comme l’es-pagnol et le portugais, la possibilité d’effectuerune recherche dans toutes les langues à la foisou dans une seule langue et la présence de fil-tres permettant de restreindre les résultats dela recherche. «Ce sont des changements qui sontà la fois techniques et esthétiques qu’on a appor-tés au GDT pour le rendre convivial et pour qu’ilcorresponde à la modernité du français », insisteLouise Marchand.

Tout cela est bien, mais se sert-on du GDT ?« C’est le site [Internet] gouvernemental le plusutilisé, le plus fréquenté ! », confirme Mme Mar-chand, qui précise «qu’il y a eu 44 millions d’in-terrogations en 2010-2011 en provenance princi-palement des citoyens du Québec, mais aussi del’ensemble des pays de la Francophonie».

CollaborateurLe Devoir

Quel est le site Internetgouvernemental le plus fréquenté ?Le Grand Dictionnaire terminologique fait peau neuve

Page 4: EDITION - Le Devoir€¦ · ALBERTO MANGUEL ALAIN JOCARD AFP Au-delà des mots «La vraie lecture va à l’encontre des nécessités d’une société de consommation» DICTIONNAIRES

D I C T I O N N A I R E SL E D E V O I R , L E S S A M E D I 2 9 E T D I M A N C H E 3 0 S E P T E M B R E 2 0 1 2H 4

J A C I N T H E L E B L A N C

À ce jour, il y a trois types desupport sur lesquels il est

possible d’avoir un diction-naire numérique : mobile, ar-doise et bureau. Le mobile, cesont les téléphones intelli-gents. L’ardoise, c’est la ta-blette informatique. Quant aubureau, il s’agit de postes detravail plus traditionnels,comme le portable ou l’ordina-teur de bureau.

À savoir si les dif férentssuppor ts sont bien adaptésaux dictionnaires numé-riques, Éric Brunelle répondpar l’affirmative.

Pour les mobiles, parexemple, leur écran est suffi-samment grand « pour af fi-cher de l’information commedes définitions d’un diction-naire ». Lorsque le téléphoneintelligent a fait son appari-tion, M. Brunelle se rappelleque, chez Dr uide informa-tique, il a fallu refaire l’inter-face des dictionnaires numé-riques. « Le concept de multi-ples fenêtres [n’existe pas] surun téléphone. Il y en a seule-ment une à la fois, explique-t-il. On glisse. Il n’y a pas demenu, on touche. Il n’y a pasde souris pour aller passerpar-dessus un élément. Donc,il y a beaucoup de concepts debase qu’on tenait pour ac-quis », concepts qui ont étérepensés par la suite. L’infor-mation est aussi présentéedif féremment selon le sup-port utilisé.

Pour Antidote, logiciel créépar Druide informatique et

regroupant dictionnaires,guides et correcteur, l’idéegénérale, c’est d’avoir untronc commun. À partir de cetronc commun se trouventdes branches ou des applica-tions par ticulières « et cesbranches dépendent du média,complète M. Brunelle. Com-ment le média est utilisé, laplace qu’on a pour le réaliser.La puissance aussi. »

Adaptation, réadaptationAnnée après année, la tech-

nologie se raffine et les entre-prises mettent sur le marchéde nouveaux gadgets. Tantque la logique derrière l’appa-reil ne change pas drastique-ment, les adaptations à appor-ter aux dictionnaires numé-riques sont de simples formali-tés. Le support a beau chan-ger, « mais, essentiellement,l’information est la même. L’in-formation est seulement présen-tée différemment, accessible dif-féremment», précise-t-il.

Toutefois, chaque versiondes dictionnaires numériquesa des applications qui lui sontpropres selon le support. Parexemple, Antidote of fre unhistorique de chaque motavec une ligne du temps quidéfile à l’horizontale. Pour untéléphone cellulaire, « c’est as-sez complexe à af ficher », maispas pour les versions ardoiseou bureau, puisque l’écran estplus grand. Le mobile n’aalors pas cette option.

L’équipe de Druide infor-matique essaie donc d’imagi-ner comment les gens se ser-vent des objets afin de rendreles dictionnaires numériquesles plus utiles et les plus effi-caces possibles. « Un télé-phone, on por te ça dans sapoche. On en a besoin de façonrapide, précise. À l’inverse,une tablette, c’est plus quelquechose où on est assis. On a plusle temps, on consulte de l’infor-

mation. Et donc on en a un pe-tit peu plus », mentionne-t-il.

Pour diverses raisons, le webn’est pas encore prêt à servirde pivot pour les dictionnairesnumériques. Certes, il y en a,mais la puissance de l’interfaceest plus limitée dans Internet etle visuel pourrait être amélioré.L’équipe de Druide informa-tique a songé à rendre disponi-bles ses produits via Internetpour, par exemple, les plate-formes mobiles.

Elle n’est toutefois pas al-lée en ce sens parce que « ceque ça fait, c’est que ça donneune version universelle, maisça fait aussi une versionmoins bien adaptée, expliquele président de l’entreprise.En général, ce qu’on a vu, siles gens ont le choix entre laversion web et une version na-tive, presque toujours ils vontpréférer la version native.“ Native”, ça veut dire l’appli-cation locale installée sur le té-léphone ou la tablette versus laversion web. »

Au service du public« De chaque plateforme, il

faut s’adapter, soutient-il. Ça,c’est très important. Si on nele fait pas, les gens les repè-rent vite, les moutons noirsqui ont l’air du passé. » Poursavoir à quels suppor ts etquelles versions de ceux-ciles dictionnaires numériquesdoivent être adaptés, ÉricBr unelle et son équipe sefient à la demande du publicet aux tendances. « On nepeut pas tout supporter, maisça vient avec la demande. Çaévolue dans le temps aussi. Ily en a qui étaient très deman-dés et, tout à coup, ils sont ou-bliés. Et des nouveaux qui sur-gissent à un moment donné »,conclut-il.

CollaboratriceLe Devoir

SUPPORTS

Un numérique ! Lequel ?« Il faut s’adapter à chaque plateforme »

A M É L I E D A O U S T - B O I S V E R T

N on, le dictionnaire numérique ne menacepas l’apprentissage du français, dit la

vice-doyenne de la Faculté des sciences del’éducation de l’Université de Montréal. Dèsle début du primaire, les petits élèves de-vraient pouvoir utiliser des dictionnaires nu-mériques tout en apprenant à fouiller de leurspetits doigts dans les imposantes versions enpapier, selon Pascale Lefrançois. « Personnelle-ment, je suis du genre à donner accès à tout cequi est possible, mais pas à autrui, résume-t-elle. Quand je veux évaluer l’élève, il peut allerfouiller dans le dictionnaire, mais pas deman-der à son meilleur ami ! »

Et cela inclut les versions numériques du li-vre. « Je suis une grande amoureuse des diction-naires. Les numériques s’imposent, mais, mal-heureusement, ce n’est pas encore aussi vraidans les écoles, explique-t-elle. Je suis certaineque vous les utilisez, et moi aussi. Tous ceux quitravaillent avec un ordinateur les utilisent.Mais un élève qui doit écrire une productionécrite n’a pas le droit de le faire avec le diction-naire électronique. Il peut en utiliser un toutel’année, mais il n’y a pas droit à l’examen ! »

Elle ne condamne pas le ministère de l’Édu-cation — difficile, le virage numérique — maiselle estime que l’école traverse une phase de

transition où dictionnaires en papier et virtueldoivent se côtoyer sur les pupitres.

Celle qui a remporté il y a plus de 20 ans leChampionnat du monde en orthographe, à Pa-ris, réfute la croyance que les dictionnaires ren-dent «paresseux» et qu’il faille les interdire pourréellement évaluer un élève. «Ceux qui vont leplus dans le dictionnaire, ce sont les forts, qui enont le moins besoin ! Ce n’est pas vrai qu’ils trou-vent les réponses dans le dictionnaire sans ap-prendre. Ceux qui, au contraire, ont des lacunesn’ont pas le réflexe d’aller vérifier ou ne trouventpas ce qu’ils souhaitent dans le dictionnaire. »

Elle croit que, loin de rendre la rédactionsimpliste, le dictionnaire numérique jouit deplusieurs avantages sur la version en papier. Ilpourrait même réduire le fossé entre les fortset les faibles. «Par exemple, un élève qui ne saitpas que le mot “ horloge” débute par un “ h” vatrouver le mot quand même dans un diction-naire numérique. Pas dans un dictionnaire depapier. » Une fois qu’il a cette information entête, parions qu’il s’en souviendra la prochainefois que ce mot se présentera. « On a le poten-tiel d’aider davantage les faibles à utiliser le dic-tionnaire», selon Mme Lefrançois.

Elle-même élevée dans une maison où ontrouvait un dictionnaire à chaque étage, elle estune grande utilisatrice des ouvrages numé-riques tels Antidote. Pas tant pour la fonction decorrecteur que parce que «c’est un dictionnaireextraordinaire que les gens ne connaissent pasassez à mon goût. Avec les hyperliens, on a unpotentiel que le papier n’of fre pas. Les ensei-gnants gagneraient à savoir le faire connaître àleurs élèves ! »

En classe, les enseignants ont trois choix àfaire. D’abord : quel produit ? Ensuite, sur quelsupport — ordinateur, tablette, tableau blancinteractif ? Et finalement, avec quelle approche

pédagogique ? « On a beau avoir des iPad toutneufs avec Antidote, ce n’est pas garanti que lesenseignants vont amener les élèves à les utilisercomme il faut ! » C’est ce qu’elle s’évertue à ap-prendre aux futurs enseignants formés à l’Uni-versité de Montréal.

Elle ajoute que les professeurs ont le devoirde présenter toute une variété de livres de réfé-rence en classe. «Le dictionnaire unique ne suf-fit pas ! » De papier ou virtuel.

Dès le primaireDès la première année, on peut plonger les

enfants dans l’univers des dictionnaires numé-riques. «On peut travailler le sens des mots, ap-

prendre le genre, les sens multiples. Ce sont desfonctions qu’on peut enseigner très tôt. »

Pas nécessaire de mettre un Petit Robert de pa-pier entre leurs mains avant sa version numérique.En fait, propose Mme Lefrançois, pourquoi ne pasfaire le contraire? «On voit des enfants de deux ansjouer avec un iPad, peut-être que ça les attire davan-tage, le numérique, pour ensuite les amener vers lepapier. Il ne faut pas non plus jeter les dictionnairesde papier. L’électronique est rapide, mais, quand onveut creuser un sujet, le papier est encore précieux.Par exemple, les thésaurus, les encyclopédies, l’étymo-logie, les citations, ce sont des dictionnaires qu’on uti-lise moins souvent, mais pour réfléchir davantage. Ilne faudrait pas perdre cette richesse.»

D’ailleurs, elle croit que les maisons d’éditiontardent un peu à développer, à l’instar de ce quiest offert sur papier glacé et multicolore, desdictionnaires numériques jeunesse. « Sans sa-crifier l’information, ça pourrait être plus lu-dique et plus attrayant», dit-elle.

Jeune, Pascale Lefrançois feuilletait le dic-tionnaire avec plaisir, découvrant des mots ja-mais utilisés, des mots rares qui devenaientdes amis familiers. « C’était un moyen amu-sant de me promener dans la langue », raconte-t-elle. Aujourd’hui, elle estime que le numé-rique est appelé à prendre de plus en plus deplace. « Peut-être que la génération montantene connaîtra pas ce plaisir-là, mais la naviga-tion dans un dictionnaire de papier est dif fé-rente. La promenade numérique va se faire au-trement. Mais, au bout du compte, c’est encorela même langue ! Le dictionnaire numériqueest pratique, alors que le papier me donne unplaisir dif férent. Quand on aime les diction-naires, on les aime tous ! »

CollaboratriceLe Devoir

PÉDAGOGIE

«Le dictionnaire unique ne suffit pas ! »Le numérique est l’avenir du dictionnaire

L’abondance de supports informatiques tend à rendre difficile lacompatibilité entre les dictionnaires numériques et les nom-breuses plateformes. Les supports, mobiles ou non, sont-ils adap-tés aux dictionnaires? Ou est-ce plutôt l’inverse et les diction-naires doivent-ils être spécialement adaptés à chaque support? Ya-t-il une version pour chaque plateforme ou une version généralesuffit-elle? Internet y trouve-t-il sa place? Pour répondre à cesnombreuses questions, Le Devoir a rencontré Éric Brunelle, pré-sident et cofondateur de Druide informatique, une entreprise qué-bécoise spécialisée dans l’édition et la distribution de logiciels.

MARIO TAMA AGENCE FRANCE-PRESSE

Chaque version des dictionnaires numériques a des applicationsqui lui sont propres selon le support.

UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL

Pascale Lefrançois croit que le dictionnairenumérique pourrait réduire le fossé entre les forts et les faibles.

Pour Pascale Lefrançois, des dictionnaires,plus il y en a, mieux on se porte. Des gros,des petits, des multis et… des numériques !La première application à installer sur le iPadtout neuf d’un élève ? Un dictionnaire numé-rique, plaide l’ancienne championne en ortho-graphe devenue professeure et chercheure.

Page 5: EDITION - Le Devoir€¦ · ALBERTO MANGUEL ALAIN JOCARD AFP Au-delà des mots «La vraie lecture va à l’encontre des nécessités d’une société de consommation» DICTIONNAIRES

Les données scientifiques sont de plus enplus accessibles gratuitement en ligne. Avecles avantages et les défis que cela engendrepour la communauté scientifique. GenevièveTanguay, vice-rectrice de l’Université de Mont-réal, en témoigne.

M A R T I N E L E T A R T E

L e libre accès aux données scientifiques né-cessite la création et le financement d’infra-

str uctures de dif fusion et d’archivaged’énormes bases de données. En contrepartie,le web représente une chance inouïe pour leschercheurs de partager leurs découvertes avecla communauté scientifique mondiale ainsiqu’avec monsieur et madame Tout-le-monde.

Il n’y a pas si longtemps, un chercheur en so-ciologie, par exemple, se limitait souvent à dif-fuser ses résultats de recherche dans une re-vue scientifique spécialisée qui est distribuéelocalement. « Avec le libre accès aux donnéesscientifiques en ligne, la diffusion des travaux deschercheurs est internationale. C’est un gain pourla collectivité », af firme Geneviève Tanguay,vice-rectrice à la recherche, à la création et àl’innovation de l’Université de Montréal.

Les jeunes chercheurs peuvent aussi profiterrapidement d’un rayonnement international,puisque, de plus en plus, les thèses de doctoratet les mémoires de maîtrise sont dif fusés enligne par les universités.

La question du libre accès aux donnéesscientifiques n’est pas étrangère à celle du fi-nancement de la recherche. « Les recherchessont financées d’abord et avant tout par desfonds publics. Plusieurs disent donc, notammentau Royaume-Uni, qu’il est très important de re-donner à la collectivité en assurant une plusgrande dif fusion possible des résultats. D’ail-leurs, ici aussi, plusieurs organismes subven-tionnaires demandent aux chercheurs de fairetout ce qui est en leur pouvoir pour rendre ac-cessibles les résultats de leurs travaux », affirmeMme Tanguay, qui était auparavant sous-minis-tre adjointe de la Recherche, de l’Innovation etde la Science et société au ministère du Déve-loppement économique, de l’Innovation et del’Exportation du Québec.

D’autres sont inquiets des contrecoups quepeut avoir cette diffusion à grande échelle. « Ilpeut y avoir du plagiat ou, encore, certains peu-vent vouloir utiliser les résultats de recherche àmauvais escient. Il faut faire attention», affirmeGeneviève Tanguay.

La question de la commercialisation se poseaussi dans certains cas. « Par exemple, dans ledomaine des biotechnologies. Si on découvre unmédicament pour un cancer donné, les cher-cheurs peuvent attendre d’avoir leurs brevetsavant de publier. Ils protègent leurs arrières »,explique Mme Tanguay, qui a fait son doctorat àl’Université McGill en parasitologie, la sciencequi étudie les organismes parasites.

Le libre accès aux données dans Internetdonne aussi des maux de tête aux dirigeantsdes grandes revues scientifiques. «Auparavant,les revues étaient vendues et c’est ainsi qu’elles sefinançaient, indique Mme Tanguay. Maintenantque l’accès est de plus en plus libre, ces revuesdoivent trouver des moyens de se financer. Onvoit toutes sortes de choses se dessiner. Certainséditeurs demandent aux chercheurs de payerpour être publiés. Certains facturent un montantpar page. »

Pour le grand publicPour la société en général, le libre accès aux

données scientifiques grâce au numérique n’estni plus ni moins que révolutionnaire. Toutefois,« libre accès aux données scientifiques » ne si-gnifie pas «vulgarisation».

« L’objectif des publications scientifiques,qu’elles soient accessibles librement ou non, de-meure le même : dif fuser l’information la plusjuste possible, relue par des pairs pour s’assurerd’une méthodologie sans faille », précise Gene-viève Tanguay.

Par contre, grâce au web, les scientifiqueset les citoyens trouvent des façons d’échangeret même de collaborer. « On ne peut pas passersous silence le phénomène Wikipédia, af firmela vice-rectrice. Il faut se rappeler que la pre-mière édition du dictionnaire d’Oxford a pris70 ans à être réalisée. Cela a été un travail demoine de rassembler tous les contributeurs. Wi-kipédia a été fait en très peu de temps. Vous medirez que ce n’est pas la même rigueur d’infor-mation, mais on est tout de même étonné devoir que ce qui s’y retrouve demeure générale-ment assez exact. »

Mais Wikipédia n’est pas alimentée nécessai-rement par des rédacteurs encyclopédiques.« Plusieurs collaborateurs détiennent un docto-rat, mais il reste que c’est vraiment le travaild’une communauté grouillante, préciseMme Tanguay. De plus, Wikipédia est mainte-nant traduit dans 285 langues. C’est un accom-plissement extraordinaire. »

Elle donne aussi l’exemple de Tela Botanica. Ceréseau de la botanique francophone compte plusde 18000 personnes inscrites qui sont des bota-

nistes et des amateurs de botanique présents dansdifférentes régions du monde. «Professionnels,chercheurs, amateurs: tous s’y mettent pour dénicherdes plantes. Chacun contribue à la base de donnéeset la consulte. Au fil du temps, ces masses d’informa-tion deviennent un véritable patrimoine. Ces basesde données sont même complémentaires par rapportaux collections muséales», affirme Mme Tanguay.

Besoin d’infrastructuresRapidement, on frappe par contre le défi des

infrastructures. « Il faut s’assurer de continuer àdévelopper et à soutenir ces grandes bases de don-nées. Il y a toujours une question de sous derrièreces enjeux. Par exemple, on peut envisager despartenariats solides pour maintenir ces bases dedonnées», affirme Geneviève Tanguay.

Un exemple de par tenariat impor tant enmatière de dif fusion numérique de publica-tions savantes dans les domaines de la cul-ture, des sciences humaines et sociales est laplateforme Érudit. Créée par le consortiumformé par l’Université de Montréal, l’Univer-sité Laval et l’Université du Québec à Mont-réal, elle offre un seul point d’accès à près de150 éditeurs canadiens universitaires et culturels.

«Si chaque université avait développé sa pro-pre plateforme, les coûts auraient été plus impor-tants pour chacune, affirme Geneviève Tanguay.Se regrouper constitue un grand avantage.»

CollaboratriceLe Devoir

D I C T I O N N A I R E SL E D E V O I R , L E S S A M E D I 2 9 E T D I M A N C H E 3 0 S E P T E M B R E 2 0 1 2 H 5

DONNÉES SCIENTIFIQUES

La révolution !« Le libre accès est un gain pour la collectivité »

KENZO TRIBOUILLARD AGENCE FRANCE-PRESSE

Pour la société en général, le libre accès aux données scientifiques grâce au numérique n’est ni plusni moins que révolutionnaire.

Page 6: EDITION - Le Devoir€¦ · ALBERTO MANGUEL ALAIN JOCARD AFP Au-delà des mots «La vraie lecture va à l’encontre des nécessités d’une société de consommation» DICTIONNAIRES

D I C T I O N N A I R E SL E D E V O I R , L E S S A M E D I 2 9 E T D I M A N C H E 3 0 S E P T E M B R E 2 0 1 2H 6

La première version complètedu dictionnaire Franqus estmaintenant en ligne en moded’essai. Ce sont donc plus de60000 mots qui y sont traités,dont notamment 10000 motsqui sont propres ou qui ont unsens particulier au Québec.

P I E R R E V A L L É E

C e projet de dictionnairequ’est le Franqus a été

réalisé sous la direction d’uneéquipe de chercheurs du Dé-partement des lettres et descommunications de l’Univer-sité de Sherbrooke. La profes-seure Hélène Cagolet-Laga-nière, l’actuelle directrice, et leprofesseur Pierre Martel, au-jourd’hui à la retraite, en ontassumé la direction éditoriale.La professeure Chantal-ÉdithMasson en a assumé la direc-tion informatique. « Nousavons aussi pu compter sur lacollaboration de nombreuxchercheurs, souligne HélèneCagolet-Laganière, dont deschercheurs de l’Université La-val, de l’Université de Mont-réal, de l’UQAM, mais aussi del’Université de Moncton ainsique de l’Université d’Ottawa.»

À l’image du QuébecRappelons que le diction-

naire Franqus, dont l’acro-nyme vient de l’expression« français québécois d’usagestandard », est le premier dic-

tionnaire du français usuel àne pas avoir été élaboré enFrance. « Il était temps de sedonner un dictionnaire qui re-flétât les réalités d’ici. Il vienten quelque sor te légitimerl’usage et le sens des mots quenous utilisons au Québec. Parcontre, on ne voulait pas nonplus couper tous liens avec lereste de Francophonieet en par ticulier avecla France. »

C’est la raison pour la-quelle le Franqus ne selimite pas aux seuls qué-bécismes ou néolo-gismes québécois maiscontient aussi tous lesmots du français usuelqu’on peut retrouverdans des dictionnairescomme Le Petit Robert.C’est plutôt l’approche ici qui dis-tingue le Franqus. «Toutes les dé-finitions sont de notre cru, nousn’avons rien emprunté aux autresdictionnaires. De même, les cita-tions que nous donnons en exem-ples proviennent en très grandemajorité d’auteurs québécois.»

De plus, le Franqus met l’ac-cent, lorsque cela est de mise,sur l’usage québécois du mot.« S’il s’agit d’un mot dontl’usage et la définition sontidentiques au Québec commeen France, l’inscription du motsera neutre. Par contre, sil’usage et la définition sont dif-férents, on indiquera l’usage etla définition qu’on en fait auQuébec ainsi que l’usage et ladéfinition en France. »

Ainsi, à l’entrée du mot«bleuet», on trouvera la défini-tion française, celle d’une petitefleur bleue, mais aussi la défini-tion québécoise, celle du petitfruit. On va même plus loin enindiquant qu’il s’agit aussi du so-briquet donné aux habitants duSaguenay–Lac-Saint-Jean. «Deplus, on trouvera même les noms

en usage en France quidésignent le petit fruit,comme « airelle » ou«myrtille».»

En versioninformatique

Si le dictionnaireFranqus paraît en pre-mier en version élec-tronique, c’est d’abordqu’il a été conçu ainsi.« La version électro-

nique permet énormément desouplesse et nous donne la pos-sibilité de le mettre à jourpresque instantanément. Parexemple, on a dû récemmentrajouter le mot « caquiste ».Cela donne un dictionnaire quiest en quelque sorte vivant. Deplus, comme le dictionnaire estinformatisé, il n’y a pas la li-mite imposée par le format enpapier. Ainsi, nous disposons detout l’espace nécessaire pournuancer. »

On a aussi consacré beau-coup d’ef forts au développe-ment des logiciels qui serventau fonctionnement du diction-naire, afin qu’il soit le plusconvivial possible. « Par exem-ple, si quelqu’un fait une erreur

dans l’orthographe du mot qu’ilcherche, le dictionnaire lui ferades propositions. On a vouluque le dictionnaire soit vrai-ment accessible à tous. »

De plus, le dictionnaire élec-tronique est conçu de façonque l’usager puisse y fureter àsa guise, chaque entrée conte-nant une série de liens. Si onreprend l’exemple du mot« bleuet », on y trouve aussi lemot «myrtille». Un simple clicsur le mot « myrtille » mèneral’usager à l’entrée « myrtille »,et ainsi de suite.

À valeur ajoutéeLa version électronique a

aussi permis la mise en placed’un dictionnaire à valeur ajou-tée. «En plus des définitions etdes citations qui servent d’exem-ples, les entrées contiennent aussicertaines informations jugées per-tinentes à la bonne compréhen-sion. Par exemple, au mot «com-mon law», on indique que ce typede droit existe dans les pays detradition britannique, comme leCanada, mais qu’au Québec ledroit privé échappe au commonlaw puisqu’il est régi par le Codecivil. » De plus, certaines en-trées renvoient à des articlesthématiques plus étof fés. Demême, les auteurs cités ont droità une mention biographique.

En somme, ce dictionnairese veut le plus complet possi-ble. À titre d’exemple, jetonsun coup d’œil sur l’entrée duverbe « faire ». Non seulementy trouve-t-on toutes les défini-

tions possibles du verbe« faire », mais aussi une listede toutes les expressions etles constructions utilisant leverbe « faire ». On y trouveraaussi une liste des anglicismescritiqués du verbe « faire »ainsi qu’un tableau de conju-gaison. « On voulait non seule-ment donner à l’usager une dé-finition complète du mot recher-ché, mais aussi les outils néces-saires pour bien l’employer. »

Les curieux et les amoureuxdu français en usage au Québec

pourront s’inscrire à la versiond’essai du dictionnaire Franqusen allant à l’adresse Internetsuivante: http://franqus.ca/dic-tio. L’inscription à la versiond’essai est gratuite. Une fois lapériode d’essai terminée, le dic-tionnaire sera ensuite venduaux utilisateurs sous forme delicence. «Nous n’avons pas en-core déterminé le prix, mais ilsera très concurrentiel.»

CollaborateurLe Devoir

LE FRANQUS

Et 60000 mots sont mis en ligne…« Il était temps de se donner un dictionnaire qui reflétât les réalités d’ici »

On rêvait d’un dictionnairenous permettant d’associerune image et un mot. Uneidée simplissime, mais à la-quelle personne n’avait penséavant 1986, année où naît lapremière mouture du Diction-naire Visuel. Vingt-cinq anset trois éditions plus tard, al-lons voir comment QuébecAmérique trouve encore lemoyen d’innover.

M A R I E - H É L È N E A L A R I E

«P endant quatre ans, ter-minologues, linguistes,

chercheurs, documentalistes,traducteurs et illustrateurs,sous la direction de l’éminentterminologue et linguiste Jean-

Claude Corbeil, ont mis aupoint cet outil simple et précis. »Voilà ce qu’on pouvait lire,sous la plume de Jacques For-tin, fondateur des éditionsQuébec Amérique, en guised’introduction à cette pre-mière édition du dictionnairethématique visuel en 1986.

«La technologie à l’époque nepermettait pas de soutenir cegenre de démarche. C’était untravail extrêmement fastidieux,on parle de faire des collagespour positionner à la main lestermes autour des illustra-tions », rappelle Myriam C.Belzile, éditrice et adjointe à ladirection des éditions, qui sefait aujourd’hui la porte-parolede Québec Amérique pourcette entrevue.

On imagine aisément lasomme de travail que pouvait

représenter une édition de cetype. De plus, la tâche se dé-multipliait puisque, dès ses dé-buts, le Dictionnaire visuels’est publié en plusieurslangues. D’ailleurs, le conceptmême de cet ouvrage est bi-lingue, sinon multilingue : «Unoutil de référence comme celui-là comporte plusieurs domainestechniques dans lesquels on re-trouve beaucoup de vocabulaireanglais. On propose des équiva-lences de mots en usage dans lesdif férentes langues de l’édition,plutôt que de simples traduc-tions», explique Mme Belzile.

RecherchePour cette immense re-

cherche, Jean-Claude Corbeila travaillé avec toute uneéquipe de terminologues et aété honoré par l’attribution dela médaille Georges-Émile-La-palme pour sa contribution aurayonnement de la languefrançaise. Depuis, chaquemise à jour du dictionnaire né-cessite des recherches termi-nologiques et chaque ajout determe résulte de la consulta-

tion de références fiables danschacun des domaines. Parchance, pour la seconde édi-tion du Visuel en 1992, lesbases de données et l’infogra-phie sont venues grandementaider les auteurs.

Quand on entreprend lapublication d’une nouvelleversion d’un dictionnaire, lesmodifications sont générale-ment nombreuses. Entre latroisième édition et la qua-trième, ce sont 5000 entréeset 2000 illustrations qui ontété ajoutées. Les sujets chan-gent selon les époques :« Dans certains domaines, ondoit faire des mises à jour, onpense aux vêtements par exem-ple, il y a aussi des domainesqui suscitent plus d’intérêt,comme la bureautique, dontles termes, qui étaient aupa-ravant réservés aux spécia-listes, sont aujourd’hui utiliséspar tous » , cite en exempleMyriam C. Belzile.

Si le Visuel se veut un ou-vrage grand public, on doit né-cessairement y aborder des su-jets plus techniques, puisque

ceux-ci finissent toujours parfaire leur apparition dans le lan-gage quotidien : «Par exemple,dans notre toute dernière édi-tion, on va aborder le sujet del’extraction des gaz de schiste etcelui des sables bitumineux. Lestermes utilisés dans ces do-maines font partie aujourd’huide notre réalité quotidienne.C’est très rare que les référencessur ces sujets sont exprimées enimages, ce qui fait qu’un terme,même s’il est très technique, peutêtre compris, parce que l’imageest une définition on ne peutplus claire», ajoute Mme Belzile.

Mises à jourDans la plus récente édition

du Visuel, le lecteur remar-quera de grandes mises à jour.Celles-ci sont rendues possi-bles grâce à certains ouvragesdéveloppés par Québec Amé-rique dans les dernières an-nées : l’Encyclopédie visuelledes aliments et l’Encyclopédiefamiliale de la santé. Dans cesdeux ouvrages, « on a fait uninvestissement majeur au ni-veau du contenu visuel pour dé-velopper une nouvelle imageriede l’anatomie humaine à l’inté-rieur comme à l’extérieur ducorps. Même chose au niveaudes aliments et des animaux.On va toujours faire bénéficierle Dictionnaire visuel des avan-cées qu’on fait dans les dif fé-rents domaines » , expliqueMme Belzile.

C’est très spectaculaire devoir l’évolution des illustra-tions contenues dans le Visuel.Dans tous ces ouvrages et de-puis la toute première édition,on privilégie le dessin à laphoto : « L’illustration qu’on aen 2011 est pourtant toujoursaussi schématique que celle de1992 et, si on compare avecune photo, l’information y estplus intelligible. Dans leschéma de la coupe du cœur,l’illustration permet d’ef facerles détails accessoires qui nesont pas pertinents à la compré-hension du muscle cardiaque,pour ne garder que l’essentiel.On conserve une clar té qu’onne peut avoir avec une photo. »

RefonteGrâce aux commentaires

des lecteurs laissés dans lesite web du Visuel, l’édition2011 a bénéficié d’une vasterefonte inspirée des besoinsdes utilisateurs. Pour cettequatrième édition, on a revu

de fond en comble la structuremême de l’ouvrage, où on re-trouve maintenant 18 thèmesau lieu de 17 : «La bureautiquea dorénavant son propre thème,ce qui nous a permis d’expli-quer les différents types de bala-deurs numériques, de présenterles tableaux blancs interactifs etles tablettes tactiles en les re-groupant par famille », préciseMyriam C. Belzile.

Il y a aujourd’hui deux édi-tions du Visuel : le Diction-naire visuel 2011 dans la ver-sion bilingue et le Dictionnairevisuel plus avec des définitionset des notices encyclopé-diques qui, lui, est par u auprintemps 2012. « Ce sont lesmêmes montages, mais le Vi-suel plus est très utile pour lesrecherches des étudiants, parceque les définitions appor tentdes précisions sur la nature, lafonction ou les caractéristiquesde l’objet ou du phénomène quiest illustré. On fait l’économiedans la définition de tout ce quiest déjà visible et on ajoute desexplications. »

Mais le Dictionnaire visueln’existe pas seulement dansson format en papier, il estaussi très présent sous saforme électronique : « Le logi-ciel a été la première formuleque nous avons proposée,d’abord sous forme de cédérom,et, depuis 2004, on l’of fre partéléchargement via notre siteweb. Maintenant, on a l’appli-cation pour iPhone. Avec lanouvelle édition, on va, dansles prochains mois, développerdif férentes of fres électroniquesselon les plateformes qui serontles plus utilisées par le public. »

Le Visuel en chif fres, cesont des éditions en 35langues présentes sur cinq dessept continents. Depuis l’édi-tion originale, plus de neufmillions d’exemplaires du Dic-tionnaire visuel ont été ven-dus, sans compter tous lesproduits dérivés, puisque, àl’échelle internationale, le Dic-tionnaire visuel est publié pardifférents éditeurs, ce qui per-met à Québec Amérique dedévelopper des par tenariatsafin de produire des ouvragesrépondant à des besoins spéci-fiques. On peut affirmer sansse tromper que le Dictionnairevisuel est un très, très grandsuccès de librairie.

CollaboratriceLe Devoir

QUÉBEC AMÉRIQUE

En 1986, le Visuel« Maintenant, on a l’application pour iPhone »

MANU FERNANDEZ LA PRESSE CANADIENNE

Les chercheurs qui ont développé Franqus ont consacré beaucoupd’ef forts aux logiciels qui servent au fonctionnement dudictionnaire, afin qu’il soit le plus convivial possible.

HélèneCagolet-Laganière

Page 7: EDITION - Le Devoir€¦ · ALBERTO MANGUEL ALAIN JOCARD AFP Au-delà des mots «La vraie lecture va à l’encontre des nécessités d’une société de consommation» DICTIONNAIRES

D I C T I O N N A I R E SL E D E V O I R , L E S S A M E D I 2 9 E T D I M A N C H E 3 0 S E P T E M B R E 2 0 1 2 H 7

Passer du nom d’un homme politique à lachronologie de l’histoire d’un pays, de la bio-graphie d’un artiste à la galerie de ses œu-vres, d’un nom de plante à des photos de sesfeuilles ou d’un verbe à des exercices deconjugaison en ligne : avec la technologie nu-mérique, le traditionnel ar ticle de diction-naire s’ouvre vers l’infini des possibles.

A S S I A K E T T A N I

C’ est l’évolution du dictionnaire que Lau-rent Catach, responsable des éditions nu-

mériques des dictionnaires Robert, orchestredepuis près de 20 ans. En effet, le passage dudictionnaire en format de papier à son équiva-lent numérique s’est accompagné au fil des ansd’un bouleversement complet : bouleversementdes contenus, mais aussi des usages.

Depuis son ancêtre de papier, le diction-naire numérique a ainsi enrichi ses définitionsd’une panoplie d’informations visuelles, so-

nores ou encore interactives.« Dans les dictionnaires numé-riques, le modèle de base restel’ar ticle de dictionnaire clas-sique. Mais, depuis les années1990, toutes sortes de contenussont rapidement venus s’ajou-ter, comme des images, des vi-déos, des animations ou dessons » , rappelle Laurent Ca-tach. En 1996, par exemple, LeRober t numérique a intégré

aux définitions de ses mots leur prononcia-tion. À cela s’ajoutent d’autres types de conte-nus, comme des chronologies, des atlas, desexercices, des modules d’entraînement, deslogiciels éducatifs ou encore des outils de géo-localisation. « Il y a forcément beaucoup dechoses qui se développent grâce à l’évolutiontechnologique, poursuit-il. Aujourd’hui, dansl’esprit des gens, cela fait partie de ce que doitproposer un dictionnaire numérique ».

Mais ce qui révolutionne véritablement le dic-tionnaire, selon Laurent Catach, est le rôled’«agrégateur» qu’il est désormais appelé à jouer,liant des millions d’informations, de sites web etd’outils interactifs au gré de la curiosité de l’utili-sateur. «Le dictionnaire du futur sera intercon-necté, résume Laurent Catach. Il doit sortir de soncadre rigide et renvoyer de manière intelligente àdes quantités importantes de ressources disperséesdans Internet : des textes, des livres, des biblio-thèques numériques ou encore des vidéos.» Et, dece fait, le dictionnaire devient une porte ouvertevers la recherche. «Le dictionnaire numérique estun outil informatique très puissant. Il est un sup-port extraordinaire pour la recherche, puisqu’ilcontient la nomenclature de tout.»

En réseauAutre poids désormais incontournable dans la

nouvelle donne des contenus numériques: l’utili-sateur. Car les contenus, selon Laurent Catach,doivent venir à la fois des éditeurs et des utilisa-teurs, pour créer une vaste plateforme au carre-four des savoirs et surpasser le modèle d’ency-clopédie collaborative popularisé par Wikipédiaau début des années 2000. «Le dictionnaire doitavoir un socle interne, éditorialisé, mais aussi desliens vers les milliers de ressources qu’on peut trou-ver dans Internet. L’ouverture vers de nouveauxcontenus viendra de manière extérieure.»

Pour éviter le piège de l’amalgame anar-chique des savoirs, le rôle de l’éditeur se fait icicrucial. À travers les milliards d’images et dedocuments qu’on peut trouver dans Internet,l’éditeur est amené à exercer un véritable tra-vail d’orfèvre pour organiser, vérifier, trier etcalibrer les informations et les liens, permet-tant au dictionnaire de rester une source de sa-voir fiable et sécuritaire où on peut naviguer ef-ficacement. Un travail de vérification et de ri-gueur qui n’existe pas, par exemple, dans desoutils comme Wikipédia. «Sans éditeur, les en-cyclopédies ne sont pas utilisables par des écoliersou des collégiens. La quantité d’information n’estpas proportionnelle à l’importance des choses.Pour un écolier, il est dif ficile de savoir ce qu’il

faut apprendre, ce qu’il faut savoir. Et si oncherche, par exemple, un texte de Victor Hugodans Internet, on risque d’en trouver une cin-quantaine de versions dif férentes, plus ou moinsfidèles à l’original. »

C’est bien sur ce point que les dictionnaires nu-mériques peuvent concurrencer les encyclopédiesgratuites et relever le défi de la compétitivité. «Leséditeurs ont une carte à jouer pour mettre en valeurleur savoir-faire. Ce qu’apporte l’éditeur là-dedans,c’est sa validation, sa caution et un cadre sécurisépour qu’on puisse utiliser en toute confiance ces in-formations. L’éditeur a un rôle de création maisaussi de mise en scène, d’organisation de tout ce quise passe autour du dictionnaire.»

ContraintesLes contenus des dictionnaires sont-ils pour

autant dénués de contraintes ? Non, nuanceLaurent Catach, car créer une banque d’imagesou de vidéos dans un dictionnaire contient sapart de difficultés. S’il est intéressant d’intégreraux ar ticles autant de liens et d’outils quisoient, il n’est pas toujours aussi facile d’obtenirles droits et les autorisations nécessaires, no-tamment en ce qui a trait aux images et aux vi-déos. «Les éditeurs peuvent être confrontés à desproblèmes de coûts de création éditoriale ou à desdif ficultés à avoir des contenus de qualité. Lesnégociations sont par fois compliquées etchères. C’est un problème de mise en œuvre. » Àcela s’ajoute un phénomène de surenchèrepuisque, désormais, souligne Laurent Catach,« il faut avoir plus de contenu. S’il fallait 500images pour un dictionnaire de papier, il en faut

désormais 2000 ou 5000. Le côté quantitatifaugmente la tâche. »

Le traditionnel dictionnaire de papier est-ilpour autant condamné à disparaître, évincé parses nouvelles versions plus interactives et pluscolorées ? « Non ! », insiste Laurent Catach,puisqu’il a encore un usage essentiel du côté desécoliers et se laisse feuilleter plus facilement. Enrevanche, rien ne peut empêcher la diversifica-tion des usages. Alors que les dictionnaires nu-mériques sont aujourd’hui déclinés sous formede cédérom, téléchargeables via eBook, ta-blettes ou téléphones intelligents, l’encyclopédieest devenue un accessoire de poche qui peut ac-compagner à loisir la curiosité des utilisateurs :«Cette évolution a été une étape importante et apermis de développer une nouvelle gamme d’ou-tils, sous la forme de petites applications que lesgens peuvent installer sur leur téléphone.»

Qu’il s’agisse d’un trou de mémoire au milieud’une conversation, d’un dictionnaire bilinguequ’on consulte lors d’un voyage ou d’un usageprofessionnel, les dictionnaires numériques ontainsi fait leur entrée dans la vie d’un publicbeaucoup plus large. « Une fois adopté, on s’enser t beaucoup plus qu’une version de papier,avance Laurent Catach. Les gens s’habituent àavoir un dictionnaire numérique dans la poche,pratique et accessible. Ils sont très demandeursd’information. » Et maintenant que les diction-naires sont aussi infinis qu’accessibles, le sa-voir est décidément à la portée de tous.

CollaboratriceLe Devoir

CHEZ LES DICTIONNAIRES ROBERT

Il faut contrer l’amalgame anarchique des savoirs« Le dictionnaire du futur sera interconnecté »

C L A U D E L A F L E U R

L e Ménard fait autorité surla scène internationale.

Pourtant, souligne son auteur,« les gens aiment le papier. Onnous le dit souvent : “ N’aban-donnez pas le papier ! ”, mêmesi, aujourd’hui, le numériqueest à la mode. » Pour cette rai-son, le nouveau Ménard se dé-cline en trois versions : papier,cédérom et Internet. Et le tra-vail de M. Ménard s’apparenteà celui d’un détective, un dé-tective des mots sans cesse àl’af fût de pistes. « Je m’y inté-resse toujours, lance-t-il. Mêmelorsque je lis le journal, jeprends des notes sur un bout depapier… J’accumule tout ! »

Un fan de GoogleLouis Ménard a très bien

suivi l’évolution du monde desdictionnaires, puisqu’il œuvre

à la confection de son ou-vrage, qui en est à sa troi-sième édition, depuis 25 ans.« C’est vraiment à par tir de2004 qu’on a commencé à serendre compte de la richessequi est à notre dispositiongrâce à Internet, dit-il. C’est àpartir de là qu’on a commencéà “ googler” et je reste toujoursun fan de Google ! » Le cher-cheur se ser t en ef fet de cemoteur de recherche pour re-pérer tous les usages qu’onfait des mots.

« L’objectif de notre diction-naire, comme de bien d’autres,explique-t-il, c’est de réper to-rier l’ensemble des usages destermes employés dans notreprofession. Il peut y avoir dixou douze expressions dif fé-rentes et Internet nous ser t àrepérer tous les usages, demême que les dif férentesformes d’expression, les va-

riantes or thographiques, etc.On peut aussi faire l’analysede plusieurs sens d’un mêmemot ou expression. On fait cequ’on appelle des analyses sé-mantiques fines : trouver si unmot ou une expression a plu-sieurs sens. On peut donc ré-per torier tous les usages et,dans notre dictionnaire, fairele choix du vocabulaire qu’onprivilégie. »

Dans Internet, on retrouvebien entendu tous les textesde loi, les règlements et lesavis publiés autant en Amé-rique qu’en Europe, en fran-çais comme en anglais, relatele chercheur. Et, puisque LeMénard se fait en collabora-tion entre spécialistes québé-cois, français et belges, lecourriel et d’autres modes decommunication électroniquesont essentiels.

Mondialisation oblige !Louis Ménard souligne que,

dans les faits, la première édi-tion de l’ouvrage remonte à1977 et est l’œuvre de FernandSylvain, professeur de l’Univer-sité Laval. «Ce professeur a pu-blié deux éditions, la dernièreen 1984, puis il est décédé

quelque temps plus tard, dit-il.C’est par la suite que l’Institutcanadien des comptables agréésm’a recruté. J’étais alors mem-bre d’un comité de terminologiede l’Ordre des CA du Québec. »En comptabilité et en finances,la terminologie est vitalepuisqu’elle est à la base de l’in-formation financière, souligne-t-il. « De tout temps, j’ai consi-déré que le choix destermes est primordial.»

Son ouvrage est bienentendu un diction-naire de spécialité. «Ceque nous voulons, c’estétendre la connaissancedu vocabulaire tech-nique en usage dans laprofession comptable,indique M. Ménard.Et, mondialisation oblige, nousvisons également la conver-gence terminologique, c’est-à-dire faciliter la circulation del’information dans l’ensembledes pays francophones. »

À cette fin, le dictionnairetient compte de la terminolo-gie des Normes internatio-nales d’information financière(IFRS) et d’audit (ISA etNCA). Sa confection est cha-peautée par quatre organisa-

tions de trois pays, soit l’Insti-tut canadien des comptablesagréés, le Conseil supérieurde l’Ordre des experts-comp-tables et la Compagnie natio-nale des commissaires auxcomptes de France, ainsi quel’Institut des réviseurs d’entre-prises de Belgique.

« Je travaille en comité, pour-suit M. Ménard. Nous sommes

quatre au Canada,quatre en Belgique ettrois en France, et noustravaillons beaucouppar courriel. Souvent,je propose à monéquipe des entrées, elleles approuve ou non.Ensuite, je les soumetsà mes collègues euro-péens et c’est à leur

tour de nous faire part de leurscommentaires. Et, enfin, nousdécidons ensemble de la versionfinale. »

Exception culturellePar ailleurs, il faut que les

versions de papier et électro-nique de l’ouvrage soient au-tant per formantes les unesque les autres, « toutes aussiutiles », dit-il, ce qui pose danschaque cas des défis tech-

niques spécifiques. «Le numé-rique a ses avantages, le papieraussi, constate Louis Ménard,et on essaie de minimiser les in-convénients de part et d’autre.Ainsi, lorsqu’on a pensé à laversion électronique, il a fallufaire le bon choix de la plate-forme et, entre autres, avoirune base de données qui per-mette de faire une rechercheplein texte…»

Louis Ménard a ainsi réussile tour de force d’imposer sondictionnaire à la communautéfrancophone… y compris laFrance ! D’ailleurs, il raconte,amusé, qu’en 2004, à l’occa-sion du lancement de ladeuxième édition du Ménard àLyon, les exemplaires impri-més avaient été bloqués auxdouanes françaises. « Nousavions fait livrer un cer tainnombre d’exemplaires en prove-nance du Canada, raconte-t-il,mais ceux-ci ont été retenusparce que les douaniers fran-çais ne comprenaient pas qu’undictionnaire puisse venir duCanada! D’habitude, c’est dansl’autre sens ! »

CollaborateurLe Devoir

COMPTABILITÉ

Le Ménard fait autoritéL’ouvrage naît d’une collaboration entre 11 auteursLa confection et l’utilisation de dictionnaires ont fondamenta-lement changé avec l’arrivée des nouveaux modes de commu-nication que permet Internet. Non seulement on n’utilise plusles dictionnaires de la même façon, mais la façon même deles confectionner a radicalement changé. Voilà ce que constateLouis Ménard, professeur retraité du Dépar tement dessciences comptables de l’UQAM et auteur principal du Dic-tionnaire de la comptabilité et de la gestion financière, sur-nommé «Le Ménard».

Louis Ménard

JIM WATSON AGENCE FRANCE-PRESSE

Ce qui révolutionne véritablement le dictionnaire, selon Laurent Catach, est le rôle d’« agrégateur»qu’il est désormais appelé à jouer, liant des millions d’informations, de sites web et d’outils interactifsau gré de la curiosité de l’utilisateur.

LaurentCatach

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