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Stéphane Lavoie décrit l’avenir de Fides Page 3 EDITION FIDES A 75 ANS On fait l’histoire en mettant en mots l’Histoire Page 4 Fides tenait librairie au 120, boulevard Raspail, à Paris Page 5 CAHIER SPÉCIAL I › L E D E VO I R , L E S SA M E D I 5 E T D I M A N C H E 6 M A I 2 01 2 JACQUES NADEAU LE DEVOIR Les éditions Fides fêtent leur 75 e anniversaire et une histoire marquée, dès ses débuts, par l’amour et le partage de la lec- ture. Depuis les publications forgées au scolasticat des pères de Sainte-Croix jusqu’à l’édi- tion des premiers écrits de Fé- lix Leclerc, de l’édition critique d’Émile Nelligan à la saga d’Yves Beauchemin, Charles le téméraire, c’est tout un pan de l’édition d’ici qui a été signé Fides. Regards et souvenirs. CATHERINE LALONDE L’ histoire de Fides dé- bute en 1937, au sco- lasticat des pères de Sainte-Croix, où étu- diaient les futurs prêtres. Le père Martin, grand lecteur, a aussi la passion de la bibliothé- conomie, de l’organisation des bibliothèques. Il lance, à la force des bras, une petite revue, Mes fiches. « Les jeunes scolastiques, pour leur formation, écrivaient des fiches de lecture. Le père Martin a eu l’idée de les publier et de les vendre» , rappelle Jacques Michon, professeur à l’Université de Sherbrooke et spécialiste de l’édition littéraire québécoise. La revue mère pro- pose des recensions et des résu- més de lectures, sous forme de fiches, sans articles. Le succès est immédiat. « Quelque 10 000 exemplaires du premier numéro, sorti en mars, auraient trouvé preneur. C’est énorme. Mes fiches était vendue en abonnement annuel, publiée aux quinze jours pen- dant l’année scolaire. Elle de- vient tout de suite une structure éditoriale, informelle, sans être à proprement parler une mai- son d’édition. » C’est donc l’amour et le partage de la lecture qui forge l’ADN historique, selon Jacques Michon, aussi auteur en 1998 de Fides : La grande aventure éditoriale du père Paul-Aimé Martin (Fides). « La lecture et le besoin de ser- vir sont au cœur des préoccu- pations de la Jeunesse étu- diante catholique (JEC). Il ne faut pas oublier que, à ce mo- ment, la JEC s’ouvrait sur le monde. Elle tournait la page, délaissait l’ancienne façon de faire de l’Église et surtout cette façon de nier le livre et la lecture. » Une première : Mon fiancé L’aventure de la revue Mes Fiches se poursuit jusqu’en 1965. La structure devient une vraie maison d’édition en 1940, à la parution de Mon fiancé, premier opus de la col- lection « Face au mariage ». Fides nourrit le boom édito- rial de la Seconde Guerre mondiale au Québec. « Comme il est interdit d’importer des biens venant de pays ennemis ou occupés par l’ennemi, le Ca- nada ne peut plus faire venir de livres de la France, rappelle Histoire de la littérature (Bo- réal), signé par Biron, Du- mont et Nardout-Lafargue. Le gouvernement Mackenzie King accorde alors aux éditeurs ca- nadiens des licences exception- nelles leur permettant de réim- primer tous les titres français non disponibles au pays. » Le tiers du catalogue de Fides se construit ainsi sur des rééditions. « Le père Martin, qui dirige alors, va recruter au- tour de lui, explique Jacques Michon , mobiliser presque toute la communauté des pères de Sainte-Croix pour écrire des livres, des brochures, des fasci- cules. Au début, près de 50 % de la production est signée par des membres du clergé, sans qu’elle reste ecclésiastique. » Le spécialiste poursuit : « En 1944, la collection du “ Nénuphar ” est créée. La litté- rature va devenir de plus en plus importante, alors que les membres du clergé vont pro- gressivement se retirer. Dans les années 1950, on compte 30 % d’auteurs cléricaux et 70 % de laïcs. Fides publie aussi de la littérature jeunesse, qui connaît un essor. Alors que l’édition jeunesse dans les an- nées 1930 accorde beaucoup d’importance aux récits patrio- tiques et édifiants, Fides va mi- ser sur les romans d’aventures, les récits scouts et les bandes dessinées catholiques traduites des États-Unis, serties d’une iconographie très moderne. La maison était très ouverte à la modernité, dans tous les domaines. » S’ajoute en 1965 la « Bibliothèque cana- dienne-française », qui devient en 1988 la « Bibliothèque québécoise » qu’on connaît désormais. Y sont les auteurs les plus importants de la col- lection du « Nénuphar » de- puis 1944. Les poètes Alain Grandbois, Alfred Desro- chers et Émile Nelligan. Les auteurs Ringuet, Hubert Aquin, Philippe Aubert de Gaspé, Yves Thériault, Gilles Vigneault, Jacques Ferron, Georges Dor, Anne Hébert, pour n’en nommer que quelques-uns. En 1988, un consortium avec Leméac et HMH devient propriétaire de cette importante collec- tion. « Je crois que tous les classiques québécois du XX e siècle s’y retrouvent », es- time Jacques Michon. Énorme entreprise Fides a été une entreprise des plus considérables. «En 1960, c’est une imprimerie, un réseau d’une dizaine de li- brairies, un grand proprié- taire immobilier avec un édi- fice boulevard Dorchester, une maison d’édition, un service de distribution et un service aux bibliothèques. » En traver- sant des époques plus dures, l’entreprise se resserre au fil du temps sur ce qui reste de- puis son cœur : l’édition et la littérature. Le premier directeur laïque, Antoine del Busso, est nommé seulement en 1992. Les pères de Sainte-Croix vont complète- ment se retirer en 2011. « C’est un bel exemple d’une évolution progressive, sans ruptures radi- cales. » En 2010, Fides est ven- due aux Éditions Saint-Martin, une filiale de la Fédération qué- bécoise des coopératives sco- laires, Coopsco. La « Biblio- thèque québécoise » est restée à Leméac et HMH. Selon Jacques Michon, « le défi actuel de la maison, c’est de s’inscrire dans une nouvelle structure ad- ministrative, celle d’une grosse entreprise axée sur la librairie, qui fait beaucoup de sous et qui est très riche. Je suis très heureux que ce soit une maison québé- coise qui en a fait l’acquisition. » Depuis ses débuts, deux as- pects sont demeurés chez Fides : les ouvrages les plus sa- vants et la préoccupation du po- pulaire. L’historien Marcel Tru- del a dit de Fides, selon le pro- fesseur, « qu’elle avait fait office de premières presses universi- taires au Québec, avec cette im- portance accordée à la science et au savoir. En même temps, on se préoccupe du populaire, avec ces livres sur le mariage à l’époque, et maintenant des guides de DVD et de vidéos, par exemple. C’est une des forces de Fides, cette ouverture très généraliste, qui couvre tous les domaines, dont la religion.» Le catalogue Fides frôle désormais les 2000 titres. Le Devoir Deux mille titres plus tard... C’est l’amour et le partage de la lecture qui forge l’ADN historique de Fides Depuis ses débuts, deux aspects sont demeurés chez Fides: les ouvrages les plus savants et la préoccupation du populaire

EDITION - Le Devoir · Jacques Michon, professeur ... En 2010, Fides est ven- ... La version en livre de poche du Nouveau Testament s’est écoulée

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Page 1: EDITION - Le Devoir · Jacques Michon, professeur ... En 2010, Fides est ven- ... La version en livre de poche du Nouveau Testament s’est écoulée

Stéphane Lavoie décritl’avenir de Fides Page 3

EDIT IONFIDES A 75 ANS

On fait l’histoireen mettant enmots l’HistoirePage 4

Fides tenaitlibrairie au 120,boulevard Raspail,à Paris Page 5

C A H I E R S P É C I A L I › L E D E V O I R , L E S S A M E D I 5 E T D I M A N C H E 6 M A I 2 0 1 2

JACQUES NADEAU LE DEVOIR

Les éditions Fides fêtent leur75e anniversaire et une histoiremarquée, dès ses débuts, parl’amour et le partage de la lec-ture. Depuis les publicationsforgées au scolasticat des pèresde Sainte-Croix jusqu’à l’édi-tion des premiers écrits de Fé-lix Leclerc, de l’édition critiqued’Émile Nelligan à la sagad’Yves Beauchemin, Charles letéméraire, c’est tout un pan del’édition d’ici qui a été signéFides. Regards et souvenirs.

C A T H E R I N E L A L O N D E

L’ histoire de Fides dé-bute en 1937, au sco-lasticat des pères deSainte-Croix, où étu-

diaient les futurs prêtres. Lepère Martin, grand lecteur, aaussi la passion de la bibliothé-conomie, de l’organisation desbibliothèques. Il lance, à la forcedes bras, une petite revue, Mesfiches. «Les jeunes scolastiques,pour leur formation, écrivaientdes fiches de lecture. Le pèreMartin a eu l’idée de les publieret de les vendre », rappelleJacques Michon, professeur àl’Université de Sherbrooke etspécialiste de l’édition littérairequébécoise. La revue mère pro-pose des recensions et des résu-més de lectures, sous forme defiches, sans articles.

Le succès est immédiat.« Quelque 10 000 exemplairesdu premier numéro, sor ti enmars, auraient trouvé preneur.C’est énorme. Mes fiches étaitvendue en abonnement annuel,publiée aux quinze jours pen-dant l’année scolaire. Elle de-vient tout de suite une structureéditoriale, informelle, sans êtreà proprement parler une mai-son d’édition. »

C’est donc l ’amour et lepar tage de la lecture quiforge l’ADN historique, selonJacques Michon, aussi auteur

en 1998 de Fides : La grandeaventure éditoriale du pèrePaul-Aimé Mar tin (Fides).« La lecture et le besoin de ser-vir sont au cœur des préoccu-pations de la Jeunesse étu-diante catholique (JEC). Il nefaut pas oublier que, à ce mo-ment, la JEC s’ouvrait sur lemonde. Elle tournait la page,délaissait l’ancienne façon defaire de l ’Église et sur toutcette façon de nier le livre etla lecture. »

Une première: Mon fiancé

L’aventure de la revue MesFiches se poursuit jusqu’en1965. La structure devient unevraie maison d’édition en1940, à la par ution de Monfiancé, premier opus de la col-lection « Face au mariage ».Fides nourrit le boom édito-rial de la Seconde Guer remondiale au Québec. « Comme

il est interdit d’impor ter desbiens venant de pays ennemisou occupés par l’ennemi, le Ca-nada ne peut plus faire venirde livres de la France, rappelleHistoire de la littérature (Bo-réal), signé par Biron, Du-mont et Nardout-Lafargue. Legouvernement Mackenzie Kingaccorde alors aux éditeurs ca-nadiens des licences exception-nelles leur permettant de réim-primer tous les titres françaisnon disponibles au pays. »

Le tiers du catalogue deFides se construit ainsi sur desrééditions. « Le père Martin,qui dirige alors, va recruter au-tour de lui, explique JacquesMichon, mobiliser presquetoute la communauté des pèresde Sainte-Croix pour écrire des

livres, des brochures, des fasci-cules. Au début, près de 50% dela production est signée par desmembres du clergé, sans qu’ellereste ecclésiastique.»

Le spécialiste poursuit :« En 1944, la collection du“ Nénuphar ” est créée. La litté-rature va devenir de plus enplus importante, alors que lesmembres du clergé vont pro-gressivement se retirer. Dansles années 1950, on compte30 % d’auteurs cléricaux et70 % de laïcs. Fides publieaussi de la littérature jeunesse,qui connaît un essor. Alors quel’édition jeunesse dans les an-nées 1930 accorde beaucoupd’importance aux récits patrio-tiques et édifiants, Fides va mi-ser sur les romans d’aventures,les récits scouts et les bandesdessinées catholiques traduitesdes États-Unis, ser ties d’uneiconographie très moderne. Lamaison était très ouverte à la

modernité, dans tousles domaines. »

S’ajoute en 1965 la« Bibliothèque cana-dienne-française »,qui devient en 1988la « Bibliothèquequébécoise » qu’onconnaît désormais.Y sont les auteurs

les plus importants de la col-lection du « Nénuphar » de-puis 1944. Les poètes AlainGrandbois, Alfred Desro-chers et Émile Nelligan. Lesauteurs Ringuet, Huber tAquin, Philippe Auber t deGaspé, Yves Thériault, GillesVigneault, Jacques Ferron,Georges Dor, Anne Héber t,pour n ’en nommer quequelques-uns. En 1988, unconsor tium avec Leméac etHMH devient propriétairede cette impor tante collec-t ion. « Je crois que tous lesc lass iques québécois duXXe siècle s’y retrouvent », es-time Jacques Michon.

Énorme entrepriseFides a été une entreprise

des plus considérables. « En1960, c’est une imprimerie,un réseau d’une dizaine de li-brairies, un grand proprié-taire immobilier avec un édi-fice boulevard Dorchester, unemaison d’édition, un servicede distribution et un serviceaux bibliothèques. » En traver-sant des époques plus dures,l’entreprise se resserre au fildu temps sur ce qui reste de-puis son cœur : l’édition et lalittérature.

Le premier directeur laïque,Antoine del Busso, est nomméseulement en 1992. Les pèresde Sainte-Croix vont complète-ment se retirer en 2011. «C’estun bel exemple d’une évolutionprogressive, sans ruptures radi-cales. » En 2010, Fides est ven-due aux Éditions Saint-Martin,une filiale de la Fédération qué-bécoise des coopératives sco-laires, Coopsco. La « Biblio-thèque québécoise» est restéeà Leméac et HMH. SelonJacques Michon, «le défi actuelde la maison, c’est de s’inscriredans une nouvelle structure ad-ministrative, celle d’une grosseentreprise axée sur la librairie,qui fait beaucoup de sous et quiest très riche. Je suis très heureuxque ce soit une maison québé-coise qui en a fait l’acquisition.»

Depuis ses débuts, deux as-pects sont demeurés chezFides: les ouvrages les plus sa-vants et la préoccupation du po-pulaire. L’historien Marcel Tru-del a dit de Fides, selon le pro-fesseur, «qu’elle avait fait officede premières presses universi-taires au Québec, avec cette im-portance accordée à la science etau savoir. En même temps, on sepréoccupe du populaire, avec ceslivres sur le mariage à l’époque,et maintenant des guides deDVD et de vidéos, par exemple.C’est une des forces de Fides, cetteouverture très généraliste, quicouvre tous les domaines, dont lareligion. » Le catalogue Fidesfrôle désormais les 2000 titres.

Le Devoir

Deux milletitres

plus tard...C’est l’amour et le partage de la lecture

qui forge l’ADNhistorique

de Fides

Depuis ses débuts, deux aspects

sont demeurés chez Fides:

les ouvrages les plus savants

et la préoccupation du populaire

Page 2: EDITION - Le Devoir · Jacques Michon, professeur ... En 2010, Fides est ven- ... La version en livre de poche du Nouveau Testament s’est écoulée

É D I T I O NI 2 L E D E V O I R , L E S S A M E D I 5 E T D I M A N C H E 6 M A I 2 0 1 2

Fondées en 1937 par le pèrePaul-Aimé Mar tin, de laCongrégation de Sainte-Croix,les éditions Fides ont joué unrôle de premier plan dans lemonde de l’édition québé-coise. Elles ont même le mé-rite d’avoir été la premièremaison d’édition québécoiseà donner ses lettres de no-blesse aux classiques de lalittérature d’ici.

P I E R R E V A L L É E

Les premières lettres de no-blesse de Fides sont ve-

nues sous la forme d’une col-lection, la «Collection du Nénu-phar », fondée en 1944 par lepère Martin et par Luc Lacour-sière, qui en assumera ensuitela direction pendant plusieursannées. « Il faut remonter àcette période historique pourcomprendre toute l’audace der-rière la fondation de la “Collec-tion du Nénuphar ”, raconteMarie-Andrée Lamontagne, au-jourd’hui éditrice littéraire chez

Fides. À cette époque, il n’y apas de littérature québécoise, nimême de littérature canadienne-française. On parle plutôt de lit-térature canadienne, ce termedésignant alors uniquement lalittérature francophone.»

Si cette dernière est publiée,on ne fait pas d’effort particu-lier pour mettre en valeur sesjoyaux. «Il y avait bien quelquescollections qui publiaient desœuvres choisies, sans plus. Lepère Martin croyait qu’on de-vait faire plus et mettre en va-leur ce qu’il appelait les clas-siques canadiens. Mais, à cetteépoque, on juge la littérature ca-nadienne trop jeune pour avoirdes classiques. Le père Martindécide donc de fonder une collec-tion, la “ Collection du Nénu-phar”, dont le rôle sera de servird’écrin à ces classiques de la lit-térature canadienne.»

La première parution dans lacollection « Nénuphar » naîtd’une simple nécessité. «Nousdevions rééditer Menaud, maî-tre-draveur, de Félix-AntoineSavard. Le père Martin a dé-cidé que ce serait le premierclassique à être publié dans la

collection “Nénuphar ”. Au dé-but, même Mgr Savard était plusou moins convaincu que son ro-man méritait un tel traitement.Luc Lacoursière, qui était alorsun collaborateur de Mgr Savard,par tageait l’opinion du pèreMartin. C’est d’ailleurs ainsiqu’il devint ensuite directeur dela collection, jusqu’en 1989.»

Comme la collection «Nénu-phar» se voulait un écrin pourles classiques canadiens, rienn’a été ménagé pour en faire unlivre de luxe. «Le choix du pa-pier, de la couverture texturée, dela typographie, les pages nonmassicotées, qui obligent le lec-teur à utiliser un coupe-papier,tout a été pensé soigneusement enfonction de faire des titres de la“ Collection du Nénuphar ” debeaux livres. Même le liséré rougeet noir qui borde la couverturesuggère la ceinture fléchée. C’estLuc Lacoursière qui trouva lenom de “nénuphar ”, car cetteplante est présente partout auQuébec, et elle deviendra la si-gnature graphique de la collec-tion. L’idée était que, comme lenénuphar peut croître et pousserdans tous les lieux, les classiques

canadiens pouvaient se trouverpartout dans toutes les bonnes bi-bliothèques.» Sans compter queles titres qui paraissaient danscette collection étaient des édi-tions définitives. «Des chercheursétablissaient le texte définitif.»

Au fil des ans, la collections’enrichira de nombreux ti-tres — 72, au total — et ac-cueillera des auteurs aussi di-vers et aussi importants queSaint-Denys Garneau, ÉmileNelligan, Yves Thériault, lefrère Marie-V ictorin, pourn’en nommer que quelques-uns. « Dans les années 1950 etau début des années 1960, la“ Collection du Nénuphar ” estun succès de librairie, notam-ment auprès des étudiants descollèges classiques. On tire lestitres à 3000 exemplaires. »

L’assaut du livre de pocheAu début des années 1960,

l’éditeur français Hachettelance le « Livre de poche ».« Bien que cette idée ait alorschoqué la confrérie des éditeurs,Hachette est allé de l’avant et le“Livre de poche ” a ensuite servià la démocratisation du livre. »

Mais l’apparition du « Livre depoche » sur le marché québé-cois affecte la « Collection duNénuphar », car ses livres sontplus luxueux et, par consé-quent, plus coûteux.

« La réponse de Fides fut decréer sa proche collection depoche. En réalité, il y en avaittrois. “Alouette blanche ” étaitconsacrée aux ouvrages religieux.La version en livre de poche duNouveau Testament s’est écouléeà 100000 exemplaires. “Alouettebleue” se consacrait aux œuvreslittéraires, comme celles de FélixLeclerc. Et “ Alouette jeune ”,comme son nom l’indique, étaitconsacrée à la littérature jeu-nesse. En 1965, “Alouette bleue”est devenue la “Bibliothèque ca-nadienne-française”, qui, elle, al-lait devenir en 1979 la “Biblio-thèque québécoise”, ou BQ.»

Pour la suite des chosesMalgré la présence du « Li-

vre de poche », la « Collectiondu Nénuphar » continuera sesactivités et s’enrichira de plu-sieurs auteurs et titres jusqu’en2004, année où on a choisi demettre fin à ses activités. « Ce

qui a mené à la fin des activitésde la “Collection du Nénuphar”,ce sont, d’une part, la présencesur le marché de livres moinschers, comme, entre autres, leslivres de poche, et, d’autre part,l’intérêt de moins en moins mar-qué du lecteur pour des éditionsluxueuses, comme la “Collectiondu Nénuphar”, qui tout simple-ment n’arrivait plus à la fin àfaire ses frais.»

Bien que la « Collection duNénuphar» ait cessé ses activi-tés, elle demeure toujoursparmi les collections duGroupe Fides, et les exem-plaires qui restent seront lente-ment écoulés. «Notre intentionest de rééditer les grands titresde la “Collection du Nénuphar”dans notre nouvelle collection delivre de poche “ Biblio-Fides ”.De cette façon, nous allons nousassurer que ces grands clas-siques de la littérature cana-dienne, aujourd’hui québécoise,demeurent accessibles aux lec-teurs d’aujourd’hui, et ce, à coûtabordable.»

CollaboratriceLe Devoir

UNE COLLECTION-PHARE

Menaud, maître draveur inaugure la collection « Nénuphar »« Tout a été pensé soigneusement en fonction de faire des titres de beaux livres »

Les éditions Fides célèbrentcette année leur 75e anniver-saire. Qu’est-ce que Fides au-jourd’hui ? Entrevue avec ladirectrice, Guylaine Girard.

M A R T I N E L E T A R T E

F ides lancera ce mois-ci sacollection de poche. La

maison d’édition développeégalement de nouveaux axespour ses publications. De plus,Fides entrera of ficiellementcette année dans le marché dulivre numérique. 2012 seradonc une année-charnière.«Nous allons rendre disponiblescette année des titres en formatnumérique», indique d’embléeGuylaine Girard.

Si le livre numérique faitbeaucoup parler de lui depuisquelques années, encore trèspeu de titres sont of fer ts enfrançais. «Le milieu de l’éditionest encore dans une phase trèsexploratoire dans le domainedu numérique. Chacun élaboreson propre modèle commer-cial », remarque-t-elle.

Guylaine Girard ne craint

pas que le numérique pro-voque la mort du livre en pa-pier. « Je crois que tous les sup-por ts subsisteront, af firme-t-elle. On utilisera le support quiconvient le mieux selon le typed’usage. Je crois par exempleque, dans les écoles, on auratoujours besoin de livres en pa-pier, mais pour les chercheurs,le format numérique sera sûre-ment plus pratique. La multi-plication des supports est unebonne nouvelle pour le livre. »

Collection de pocheLes éditions Fides lanceront

aussi, dans les prochaines se-maines, leur collection depoche baptisée «Biblio-Fides».Cette décision fait suite à la findu partenariat de Fides avecd’autres éditeurs pour publierdes livres en format de pochesous le nom de « Bibliothèquequébécoise». «Le 15 mai, nousallons célébrer le 75e anniver-saire de Fides et nous allons enprofiter pour montrer les pre-mières couvertures de “ Biblio-Fides ”, précise la directrice.

La collection proposera plu-sieurs grands classiques. «C’est

certain que, pour les lecteurs étu-diants, c’est important d’avoiraccès aux grands classiques enformat de poche. Nous sortironsdonc Le Survenant, Menaud,maître-draveur et tous les titresde Félix Leclerc. On reprendraaussi Poésies complètes, de Nel-ligan, et nous rééditerons lescontes et légendes de Joseph-Charles Taché», énumère Guy-laine Girard.

« Biblio-Fides » offrira aussides textes contemporains.«Nous choisirons des titres pourlesquels une seconde vie est pos-sible. Je pense par exemple aulivre Les yeux de Maurice Ri-chard, de Benoît Melançon. Ilraconte l’histoire culturelle duQuébec à travers l’idole qu’estMaurice Richard » , indiqueMme Girard.

Une maison généralisteEmployée de Fides depuis

25 ans, Guylaine Girard a éténommée directrice en juin der-nier. C’était peu de tempsaprès que les éditions Fides fu-rent achetées par les ÉditionsSaint-Martin. « Le fait que lenouveau propriétaire m’a nom-

mée à la direction et que je suisentourée de plusieurs collèguesqui sont ici depuis 15 ou 20 anstémoigne d’une volonté decontinuité. Depuis toujours,Fides est une maison d’éditiongénéraliste. Je crois que c’est cequi fait la force de Fides », af-firme Mme Girard.

Fondée en 1937, la maison atout de même toujours fait dela place à la littérature géné-rale, aux essais historiques etphilosophiques, aux ouvragesde référence comme Le dic-tionnaire des synonymes et desantonymes et le classique Lacuisine raisonnée. «Cette diver-sité a certainement sauvé Fidesplusieurs fois dans l’histoire, af-firme Mme Girard. Si la maisonn’avait publié que des ouvragesreligieux, elle serait sûrementtombée en même temps que lapratique religieuse au Québec. »

Aujourd’hui, les ouvragesreligieux occupent une par tmoins importante des publica-tions de Fides. « Lorsqu’An-toine del Busso est arrivé chezFides au début des années 90,après une période difficile pourla maison, il a rebâti les

grandes collections. Il a main-tenu une cer taine par tie despublications religieuses, maisen les axant sur les débats del’Église. On envisage toujoursaujourd’hui certains ouvragesqui débattent des questions defond au sein de l’Église, maisça s’amoindrit d’année en an-née. C’est le reflet de la société»,explique la directrice des édi-tions Fides.

De nouvelles pistesAlors que le volet religieux

perd du terrain, Guylaine Gi-rard remarque qu’il y a un in-térêt pour les l ivres sur lebien-être et l’épanouissementpersonnels. « C’est un nou-veau volet que nous dévelop-pons chez Fides, affirme-t-elle.On sent que, naturellement, lesgens remplacent les ouvragesspirituels par d’autres qui leurdonnent des outils pour mieuxvivre. »

On a vu par exemple, dansles dernières années chezFides, les ouvrages Commentj’ai vaincu la douleur et l’in-flammation chronique par l’ali-mentation, puis Cuisiner pourvaincre la douleur et l’inflam-mation chronique, de Jacque-line Lagacé. On a vu aussi Ma-rie-Paul Ross et ses livrescomme La sexualité des jeuneset Pour une sexualité épanouie.

La littérature jeunesse estaussi en développement. «Dansles années 50 et 60, Fides étaitun éditeur jeunesse très en vue,avec notamment Henriette Ma-jor et Monique Corriveau. En-

suite, c’est tombé, mais ç’a reprisdans les années 90 avec Antoinedel Busso, qui a ramené Hen-riette Major chez Fides. Noussouhaitons continuer à dévelop-per l’axe jeunesse », af firmeMme Girard.

Fides souhaite égalementpublier davantage de romans.«Nous avons recommencé à pu-blier des romans il y a quelquesannées avec Yves Beauchemin,qui a fait quelques livres avecnous. Il y a aussi Louis Gau-thier. Nous avons la volonté depublier quatre ou cinq romanspar année. Nous tirons aussinotre épingle du jeu avec les ro-mans-récits. Je pense par exem-ple à Les Suites pour violon-celle seul, écrit par Éric Siblin.C’est presque un récit historiquesur Jean-Sébastien Bach, maisen même temps c’est de la fiction.»

Fides recommence égale-ment à créer des partenariatsavec des musées. «Il y en avaitplusieurs sous Antoine delBusso, et nous renouons avec lesmusées, indique Mme Girard.Nous sommes en train de déve-lopper un projet avec le Muséede la civilisation. Il y a troisans, nous avons aussi publié unouvrage sur l’histoire de la créa-tion de Bibliothèque et Archivesnationales du Québec (BAnQ).Ce genre de collaboration est im-portant pour Fides, puisque celapermet de réaliser des ouvragesd’envergure.»

CollaboratriceLe Devoir

PROCHAINS TITRES

Soixante-quinze ans, mille et un projets en gestation

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É D I T I O NL E D E V O I R , L E S S A M E D I 5 E T D I M A N C H E 6 M A I 2 0 1 2 I 3

Les éditions Fides célèbrentleur 75e anniversaire. Denouveaux propriétaires etune réorientation de ses ac-tivités permettront à cettevénérable maison d’éditionnon seulement de préserverson héri tage patrimonial ,mais aussi de se donner unnouveau souf fle.

P I E R R E V A L L É E

E n 2010, les éditions Fideséprouvent des dif ficultés

financières et les propriétairesd’alors, la Congrégation deSainte-Croix, cherchent à ven-dre. S’il y a plusieurs ache-teurs intéressés, ce sont finale-ment les Éditions Saint-Martinqui remportent la mise. L’ac-tionnaire majoritaire des Édi-tions Saint-Martin est la Fédé-ration québécoise des coopé-ratives en milieu scolaire(Coopsco) et l’actionnaire mi-noritaire est Stéphane Lavoie,alors directeur général desÉditions Saint-Martin.

«La Congrégation de Sainte-Croix voulait vendre à un édi-teur avec lequel elle aurait unecertaine affinité, et c’est ce quenous of frions, raconte Sté-phane Lavoie. De plus, nousn’avions aucunement l’inten-tion de simplement incorporerle catalogue de Fides au nôtre.

Nous étions trop conscients del’héritage patrimonial de Fides,et notre proposition était plutôtde saborder les Éditions Saint-Martin au profit de Fides. »

C’est ce qui fut fait une foisl’acquisition formalisée. Unenouvelle société fut fondée, leGroupe Fides, qui chapeautetrois volets d’activité, soitFides, Fides Éducation et Bi-blio-Fides, et qui a absorbéles activités des ÉditionsSaint -Mar t in . Le GroupeFides demeure la propriétéde Coopsco et de StéphaneLavoie, qui en assume aussila direction générale.

FidesLe volet Fides comprend

l’ensemble du catalogue deséditions Fides ainsi que toutenouvelle parution dans le do-maine littéraire, que ce soit leroman, la poésie, l’essai, etc.« Le fonds patrimonial deFides est très vaste et nousavons choisi de le préserver.Ainsi, les collections des édi-tions Fides sont maintenues,bien que nous n’allions passystématiquement les alimen-ter. Pour le moment, elles res-teront comme elles le sont. »

En ce qui concerne les nou-velles parutions, on n’a pasvoulu non plus trop s’éloignerdu programme éditorial quifut celui des éditions Fides.« C’est évident qu’il y aura des

ajustements et qu’il faudra re-positionner cer taines théma-tiques. Par exemple, le volet re-ligieux sera moins présent qu’ilne le fut par le passé et nousallons explorer de nouveauxcréneaux, comme la santé. No-tre intention est de moderniserle programme éditorial sanstoutefois tout bouleverser. »

Fides ÉducationLe volet Fides Éducation

sera responsable de tous les ti-tres scolaires. Ce volet incor-pore aussi les anciennes activi-tés des Éditions Saint-Martinspécialisées dans le manueltechnique et scientifique.« Nous allons nous concentrersur les manuels de niveaux collé-gial et universitaire, et unique-ment dans les créneaux où nouspensons qu’il y a de la placepour nous. Nous avons choisi dene pas investir dans les manuelsde niveaux primaire et secon-daire. Ces derniers nécessitentbeaucoup d’investissements et lerisque est donc plus élevé.»

Rappelons que les manuelsdes niveaux primaire et secon-daire sont commandés par leministère de l’Éducation etfont l’objet d’une concurrenceentre divers éditeurs, dontsouvent un seul aura lecontrat. De plus, l’éditeur doitêtre en mesure de développerles manuels pour l’ensembledu cycle primaire ou secon-

daire. D’où l’investissement etle risque élevés. Mais, aux ni-veaux collégial et universi-taire, ce sont les professeurset les chefs de dépar tementqui choisissent les manuelsutilisés dans leurs classes.« L’investissement est doncmoindre, car on y va un ma-nuel à la fois. Nous croyonsqu’il s’agit d’un créneau où onpeut obtenir du succès, car lanotoriété de Fides nous permetd’attirer les bons auteurs. D’ail-leurs, nous avons déjà plusieursnouveautés dans ce créneaupour le printemps prochain. »

Biblio-Fides« Biblio-Fides » est la nou-

velle collection en format livrede poche du Groupe Fides.«Nous avons lancé cette collec-tion principalement pour conso-lider notre position au niveaucollégial. » La collection “ Bi-blio-Fides ” sera alimentée dedeux façons. « En premier,nous allons éditer les titres dontnous sommes propriétairesmais qui ont été publiés en livrede poche dans la collection «Bi-bliothèque québécoise », de la-quelle les éditions Fidess’étaient retirées avant le chan-gement de propriétaire. Dès queles licences accordées à BQprendront fin, les titres passe-ront alors à «Biblio-Fides». »

«Biblio-Fides» aura aussi laresponsabilité de publier en

format de poche les titres desautres collections de Fides.« Nous venons tout juste de ré-éditer Le Sur venant, de Ger-maine Guèvremont, en formatde poche. Dans un premiertemps, les titres qui seront pu-bliés dans “Biblio-Fides ” serontsurtout des romans ou des œu-vres littéraires qui figurent auprogramme collégial. » Onn’entend pas pour le momentpublier des inédits dans la col-lection « Biblio-Fides », et cesderniers seront publiés dansla collection générale «Fides».

Perspectives d’avenirSelon Stéphane Lavoie, la

priorité pour les prochainesannées, pour le GroupeFides, est « de consolider l’or-ganisation et la culture duGroupe Fides et de stabilisersa situation financière. Celapasse évidemment par uneaugmentation des ventes, etnous croyons que Fides Édu-cation est le principal voletqui nous permettra d ’aug-menter nos ventes e t ainsid’arriver à cette stabilité fi-nancière. Une fois atteinte,cette stabilité financière nouspermettra même de prendredavantage de risques sur leplan littéraire. »

Même si cela est plus loin-tain, Stéphane Lavoie caresseaussi un autre projet. « Lefonds patrimonial de Fides est

important et j’aimerais trouverune façon de le mettre davan-tage en valeur et de le rendreplus facilement accessible,peut-être même en le numéri-sant. » En attendant ce jour,Stéphane Lavoie et son équipeont l’intention de consolider laposition du Groupe Fides afinque cette maison d’éditionpuisse continuer à jouer lerôle capital qu’elle a tenu de-puis 75 ans dans le monde del’édition québécoise.

CollaborateurLe Devoir

DIRECTION GÉNÉRALE

Un nouveau souffle« Notre intention est de moderniser le programme éditorial sans toutefois tout bouleverser »

Nelligan, Philippe Aubert deGaspé père, Gabrielle Roy,Anne Héber t, Michel Trem-blay… Si les classiques de lalittérature québécoise pas-sent les générations et nesombrent pas dans l’oubli,c’est largement grâce aux édi-tions Fides. Micheline Cam-bron, professeure titulaire auDépartement des littératuresde langue française à l’Uni-versité de Montréal, expliquepourquoi.

H É L È N E R O U L O T - G A N Z M A N N

Quel rôle la maison Fides a-t-ellejoué dans l’émergence des clas-siques littéraires québécois?Dès ses débuts, Fides a étéune maison d’édition extrê-mement présente du côté del ’enseignement. D’abord,elle était sous la responsabi-lité d’une communauté en-seignante, les pères deSainte-Croix. Cela expliqueque, très rapidement, cettemaison s’est engagée du côté

de la dif fusion de textes clas-siques, mais aussi du côtéd’opérations de consécrationde textes. Par exemple, lapremière édition critique depoésie québécoise, à savoirl’édition critique de l’œuvrede Nelligan, va paraître chezFides. Parallèlement, la mai-son d’édit ion va créer descollections destinées à ren-dre à la lecture un cer tainnombre de textes relative-m e n t i m p o r t a n t s q u in’étaient plus disponibles. Ilva y avoir tout un travail ducôté de la littérature québé-coise du XIXe siècle et de lal i t térature qu’on désignecomme celle de la Nouvelle-France. On va publier, sousfor me de pet i ts ouvragesprésentés comme des clas-s iques, des textes impor-tants, bien qu’ils n’aient pastoujours fait l’objet d’une lec-ture continue.

Qu’est-ce qu’on appelle véritable-ment un classique en littérature?Quand on pense à des clas-siques, on pense à des textes quiont fait l’objet d’une lecture assezcontinue dans le temps, de sorte

qu’il y a des générations de lec-teurs, donc des approches diffé-rentes, qui ont permis de garderle contact avec cet auteur. Leséditions Fides ont ainsi beaucoupfait pour préserver ce contact…

Prenons par exemple la col-lection du «Nénuphar»: au mo-ment de sa création, elle avaitun certain prestige et les au-teurs qui y étaient accueillis setrouvaient à la fois consacréspar la critique et destinés à l’en-seignement et à être intégrés àla mémoire commune. Ç’a étéextrêmement impor tant, lacréation de cette collection.D’autres collections ont été es-sentielles, notamment cellesdont je parlais plus haut et quiont permis la réédition detextes indisponibles… Parceque, s’il n’y a plus moyen de lireles auteurs, ils n’ont pas degrandes chances d’être connus!

Ces collections n’existent pourtant plus…Des formats de poche ont prisle relais. Des consortiums ontcommencé à publier destextes québécois en format depoche à la fin des années 80. Àpar tir du moment où tout le

monde s’y met, ça devientmoins intéressant. Surtout, iciau Québec, il n’y a pas un mar-ché suf fisamment stable etgros qui justifierait qu’on ré-édite de façon constante, sousla même forme, les mêmestextes. Il n’existe pas ici demachines à faire imprimer leslivres comment on peut entrouver en France, par exem-ple. Là-bas, l’année où on mettel livre au programme del’agrégation ou du baccalau-réat, toutes les maisons d’édi-tion s’empressent de le réédi-ter, autant que possible avecune nouvelle pagination… Çafait vendre ! Il y a un effet édi-torial lié à la structure de l’en-seignement des classiques…Aussi parce que le systèmescolaire français est plus cen-tralisé. Ici, les professeurschoisissent les œuvres ensei-gnées. Du point de vue édito-rial, ç’a des effets.

Au final, les classiques québé-cois sont-ils bien connus dugrand public?Relativement connus. Ontrouve dans l’enseignement,par ticulièrement au niveau

collégial, à l’intérieur d’uncours obligatoire qui s’intituleLittérature québécoise, un tra-vail de la part des enseignants,qui peuvent s’appuyer sur desmanuels, qui présentent auxétudiants un certain nombred’œuvres considérées commedes classiques. Ainsi, tous lesétudiants du collégial ont uneconnaissance minimale desauteurs québécois. Mais il nefaut pas non plus négliger lerôle de la radio et de la télévi-sion dans la diffusion et dansle maintien en vie d’un certainnombre d’œuvres, qui ont puêtre fréquentées dans lalongue durée. On peut penserà Un homme et son péché, quiserait sans doute l’exemple leplus évident. Le roman, qui estd’abord publié dans les années1930 par Claude-Henri Gri-gnon, va ensuite connaître unefortune médiatique exception-nelle. Ce sera un radio-roman,puis un télé-roman en formatd’une demi-heure en noir etblanc, puis une heure en noiret blanc, finalement une heureen couleur, et il va y avoiraussi des films tirés du roman.Là, on a véritablement un clas-

sique qui fait partie de la mé-moire collective d’à peu prèstoutes les couches sociales ettoutes les générations, mêmeles plus jeunes, puisque le der-nier film est récent.

Rend-on assez justice auxclassiques québécois dansl’enseignement?Je n’ai pas le sentiment qu’onles néglige. Maintenant, il y abeaucoup de classiques qué-bécois, et si on fait en sor tequ’au niveau collégial les étu-diants en lisent trois… ce nesera jamais que trois ! Cequ’on voit, c’est que les collec-tions qui les diffusent, on peutpenser à BQ par exemple, sontdes maisons sérieuses qui ob-tiennent des ventes relative-ment constantes. Bien évidem-ment, il y a, en ce moment,une réduction du temps consa-cré à la lecture, en moyenne,mais il n’en reste pas moinsque ces œuvres sont suscepti-bles d’être connues, et d’êtreconnues par plusieurs généra-tions de lecteurs.

CollaboratriceLe Devoir

LITTÉRATURE

« Fides s’est engagée aux côtés des classiques québécois »Dès ses débuts, Fides a réédité des textes qui étaient devenus indisponibles

FIDES

Stéphane Lavoie

Page 4: EDITION - Le Devoir · Jacques Michon, professeur ... En 2010, Fides est ven- ... La version en livre de poche du Nouveau Testament s’est écoulée

É D I T I O NI 4 L E D E V O I R , L E S S A M E D I 5 E T D I M A N C H E 6 M A I 2 0 1 2

DE GROULX À LAMONDE

Faire l’histoire en mettant en mots l’Histoire« Fides ne s’est pas figé dans une école en particulier »

Un premier laïc arrive à la direction de la maison

R É G I N A L D H A R V E Y

F ides, une école historique?Pas vraiment. Du moins,

telle est l ’opinion étof féed’Yvan Lamonde, historien,auteur de plusieurs volumes etprofesseur émérite en littéra-ture et langue françaises àl ’ U n i v e r s i t é M c G i l l . A u -jourd’hui à la retraite, il tientces propos : « On ne peut pasdire que Fides est identifié àune école historique de la mêmefaçon qu’on parle de celles deMontréal ou de Québec. D’ail-leurs, le chanoine Groulx a pu-blié chez cette maison, mais cen’est pas là que se retrouve sonœuvre en majorité, à maconnaissance. » Dans ce sens,il laisse savoir que Fides a pu-blié autant des historienscomme Marcel Trudel, de La-val, que Guy Frégault, del’Université de Montréal.

I l é v o q u e l e l i v r e d eJacques Michon sur Fides,publié en 1998, pour apportercette réflexion : « Je ne pensepas qu’on puisse dépar tagercela très clairement et quecette notion d’école s’imposevraiment. » Il préfère aborderla question sous un autre an-gle : « Fides, c’est l’histoire etc’est la maison d’édition mêmequi en fait partie, parce qu’elleest d’abord la plus vieille auQuébec, avec ses 75 ans. »

Il fournit des preuves decette avancée : « C’est un véri-table fonds de commerce. Parexemple, relativement à la litté-rature québécoise, il en aconstitué, si l’on peut dire, lecorpus. Il y a une collection,celle du “Nénuphar ”, qui a étélancée chez Fides en 1944 parLuc Lacoursière ; jusqu’en1964, elle a publié 61 titres.Essentiellement, ce sont desclassiques de la littérature ca-nadienne-française qui se sontretrouvés là, qu’il s’agisse du ti-tre Menaud, maître draveurou de l’auteure Gabrielle Roy. »Fides figure donc dans l’his-toire de la littérature par cette

collection et par une autre,plus petite, appelée « Les clas-siques canadiens ». M. La-monde a été l’un des derniersauteurs à faire partie de cettedernière, avec un livre surLouis-Adolphe Paquet.

Fides, en s’appuyant sur sonancienneté, a puisé dans le passépour garnir son inventaire: «Ona bien vu, au fil des années, com-ment il fallait faire des bilans dela littérature et des retours pano-ramiques; il y a une collection quiva dans ce sens-là et qui porte lenom d’“Archives canadiennes”,qui contient de gros ouvrages surle roman, sur l’essai, sur la poésieet sur le théâtre.» Il en retient que«cela démontre un certain sens del’histoire de la maison, sur une pé-riode de 75 ans, que d’avoir misen place les grands titres et lesétudes majeures sur la littératurequébécoise».

Au-delà de la catégorisation…l’esprit ouvert

Selon M. Lamonde, « Fidesne s’est pas figé dans une écoleen par t i cu l i e r » . Bien aucontraire, et il en fournit desexemples : «Pendant les années1930, cet éditeur publiait tousles écrits, les journaux et les re-vues de ce qu’on appelait l’Ac-tion catholique ; il a réagi à cemoment-là au mouvement derenouveau du catholicisme.»

Sur un autre plan, MarcelTrudel a publié à cet endroit« un ouvrage qui était loind’être évident chez une maisond’édition religieuse, soit son ou-vrage en deux tomes sur Vol-taire au Canada. Ce n’est pasexplosif comme livre, mais onparle quand même de Vol-taire. » Il rapporte une anec-dote savoureuse à ce propos :« Trudel, qui était membre duMouvement laïque de languefrançaise autour de 1963, sa-chant que Fides était la pro-priété des pères de Sainte-Croix,parlait de ces éditeurs commedes perfides (Pères Fides). » Il yavait un peu de Voltaire en lui.

Ce sur quoi il s’applique àmontrer l’évolution dont a faitpreuve la maison : «Lorsqu’An-toine Del Busso en était le di-

recteur, Fides a alors publié desouvrages qui sont des critiquesd’un certain catholicisme qué-bécois. Je suis bien placé pour lesavoir, parce qu’il y a deux deces trois titres-là qui sont demoi ; il y a une biographie,Louis-Antoine Dessaules, sei-

gneur libéral et anticlérical,pour laquelle j’ai gagné le Prixdu gouverneur général du Ca-nada en 1995 ; il y a aussi les

trois tomes parus del’Histoire sociale desidées au Québec, quiest beaucoup le por-trait d’un libéralismeet d’un radicalismequi sont de nature an-ticléricale. » Dans lamême veine a par u

l’ouvrage, sous la direction dePierre Hébert, intitulé Diction-naire de la censure au Québec.

Fides n’appartient pas à une école

Yvan Lamonde prend sesdistances par rappor t à une

classification réductrice de lamaison : « Je ne suis vraimentpas porté à vouloir figer Fidesdans l’école historique de Mont-réal ou de Québec, chez Groulxou ses disciples, comme MichelBrunet et Guy Frégault, qui fai-saient des choses très différentesde lui. Il y avait une collectiond’histoire chez Fides, dans lesannées 1960-1970, qui s’appe-lait “Fleur de Lys ”, où sont pa-rus un certain nombre de titres,parmi lesquels certains sont si-gnés de la plume de Trudel etde Frégault. »

Fides s’inscrit dans l’his-toire globale de l’édition qué-bécoise : « La maison évolueaussi. Si, dans les années1930-1940, la maison publie à

peu près tout ce qui émane dela Jeunesse étudiante chré-tienne (JEC), il reste que, du-rant la guerre, elle va aussipublier un petit recueil detextes du maréchal Pétain,sans bien sûr qu’on l’identifieau mouvement pétainiste. »

Il se livre à cette synthèsede sa vision de l’éditeur : « Il yavait un conservatisme enmême temps qu’il y avait cer-taines formes de progressisme àl’intérieur du catholicisme. Versla fin, Fides est devenue un peuun éditeur comme un autre. Onaura aussi pris note qu’il a pu-blié très peu de romans. »

CollaborateurLe Devoir

É M I L I E C O R R I V E A U

F ondée à Montréal en1937, Fides est l’une des

plus anciennes maisons d’édi-tion de la province. Mise surpied par le jeune Paul-AiméMartin, alors séminariste dela Communauté des pères deSainte-Croix, elle se consacred’abord à la publication defiches documentaires et bi-bliographiques à l’intentiondes jeunes et vise à encoura-ger la lecture. Préférant l’édi-tion à l’enseignement, le père

Paul-Aimé Mar tin consacreénormément d’énergie à l’en-treprise, ce qui permettra à lamaison Fides de se position-ner rapidement comme l’undes piliers de l’édition reli-gieuse au Québec.

Après avoir profité de laprospérité des années deguerre, qui, si elles ont af fai-bli l’édition parisienne, ontpermis aux éditeurs cana-diens-français de conquérirde nouveaux marchés, aucours des années 1950, lamaison connaît un important

succès en publiant une édi-tion de la Bible. Puis, au fildes ans, elle parvient à deve-nir un phare de la littératurequébécoise en éditant les œu-vres d’auteurs comme Ger-maine Guèvremont, ÉmileNell igan, Félix Leclerc etYves Thériault.

Jusqu’au mil ieu des an-nées 1970, en matière d’édi-t ion, les jours sont fastespour Fides et les lancementsde la maison se transformenten événements mondains lar-gement cour us. Sur vientalors une crise générale dulivre et de l ’édit ion qui af -fecte l’éditeur, mais sa répu-tation lui permet de s’en tirersans trop de heurts.

Au cours des années 1980,dirigée par sœur MichelineTremblay, Fides publie des li-vres dans tous les domainesdu champ littéraire, mais ellecontinue tout de même à privi-

légier les études religieuses.La maison conclut des accordsde par tenariat pour fonderdeux maisons d’édition, lesÉditions d’enseignement reli-gieux F. P. R. et BQ. Des ef-forts sont consentis pour ren-tabiliser la maison et, au tour-nant des années 1990, Fidesacquiert la maison Bellarmin.

Le renouveauEn 1992, Antoine del Busso

est nommé directeur généraldes éditions Fides. Il est le pre-mier laïc à diriger la maison etson entrée en poste signe ledébut d’une ère de renouveauchez Fides.

Dès le départ, M. Del Busso,loin d’en être à ses premièresarmes en matière d’édition — il a déjà fait sa marque chezBoréal et aux Quinze — s’ef-force d’élargir le champ despréoccupations de la maison.S’il conçoit que l’édition reli-gieuse constitue la base deFides, il reste tout de mêmeconvaincu de la nécessité de di-versifier son catalogue. « Enédition, c’est bien de se spéciali-ser dans une niche, mais, dansce cas-ci, c’était devenu un pro-blème. Lorsque je suis entré enposte, les libraires n’ouvraientmême plus les boîtes de livresque Fides leur faisait parvenir.Ils disaient qu’ils savaient déjàce qui s’y trouvait : des livres re-ligieux», révèle-t-il.

M. Del Busso s’est donc ef-forcé de transformer cetteperception en accordant lapriorité au développement,en attirant de nouveaux au-teurs et en publiant davan-tage de livres dans des do-maines autres que ceux de lareligion et de la spiritualité.« Ma stratégie, ç’a été de sur-prendre. J ’ai fait des choixauxquels on ne s’attendait pasde Fides, du côté des auteurs

comme des collections. Ç’a en-richi le catalogue et ç’a per-mis à la maison de revamperson image », précise-t-il.

Attirer Yves Beaucheminchez Fides, alors que le roman-cier travaillait depuis plus devingt ans avec un autre éditeur,reste sans doute l’un des meil-leurs coups de M. Del Busso.« Yves Beauchemin est l’un desauteurs les plus appréciés duQuébec. Il a connu beaucoup desuccès. C’est certain que sa ve-nue a é té béné f ique pourFides», commente-t-il.

Rayonnement accruParallèlement à son travail

chez Fides, M. Del Bussos’est également engagé au-près de l’Association nationaledes éditeurs, une organisationdont la mission est de soute-nir la croissance de l’industriede l ’édition et d’assurer lerayonnement du livre québé-cois et canadien-français àl’échelle nationale et interna-tionale. D’après l’homme, cetengagement a égalementc o n t r i b u é à r e n o u v e l e rl’image des éditions Fides.

« Je me suis beaucoup engagéauprès de l’Association natio-nale des éditeurs de livres. J’enai été le président et je crois quecela a été heureux pour Fides.Les gens du milieu ont décou-ver t des facettes de la maisonqu’ils ne connaissaient pas et jecrois que ç’a permis à la mai-son de rayonner davantage etautrement», confie-t-il.

De nouveaux défisAssumant aujourd’hui la di-

rection générale des Presses del ’Université de Montréal ,M. Del Busso a quitté les édi-tions Fides en 2008, après yavoir passé plus de quinze ans.Michel Maillé, qui œuvrait pourla maison depuis 1997, lui a suc-

cédé comme directeur général.« J’ai passé de très belles an-

nées chez Fides, mais je croisque, pour ma carrière, il étaittemps que je passe à autrechose », dit M. Del Busso, quia également fondé sa propremaison d’édition, Del Bussoéditeur, après son départ deséditions Fides.

Posant désormais le regardd’un observateur extérieur surla maison d’édition, alors quecelle-ci s’apprête à célébrerson 75e anniversaire, M. DelBusso formule des vœux bien-veillants pour Fides et lui sou-haite un bel avenir.

« Fides est une maison d’édi-tion qui, je crois, a su opterpour la qualité, plutôt que de selaisser prendre au jeu de la faci-lité, c’est-à-dire de faire dans laquantité. J’espère qu’elle pour-suivra sur cette voie. Je lui sou-haite de beaux jours. »

CollaboratriceLe Devoir

Autrefois l’emblème de l’édition religieuse au Québec, Fidesest aujourd’hui devenue l’une des principales maisons d’édi-tion généralistes dans la province. Antoine del Busso, direc-teur général des Presses de l’Université de Montréal, ex-édi-teur chez Fides et important architecte de son décloisonne-ment éditorial, raconte comment la maison d’édition, qui célè-bre ces jours-ci son 75e anniversaire, est parvenue à s’insérerdans l’édition générale.

Fides apparaît comme une figure emblématique de l’histoirede l’édition québécoise en raison de ses 75 ans, qui sont mar-qués par la variété de ses publications dans des domaineséclectiques. Toutefois, la maison n’abrite pas véritablementune école historique.

FIDES

JACQUES GRENIER LE DEVOIR

Antoine del Busso

«Je ne suis vraiment pas porté àvouloir figer Fides dans l’écolehistorique de Montréal ou de Québec,chez Groulx ou ses disciples»

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É D I T I O NL E D E V O I R , L E S S A M E D I 5 E T D I M A N C H E 6 M A I 2 0 1 2 I 5

FIDES INTERNATIONAL

Une librairie est ouverte au 120, boulevard Raspail, à Paris« Un noyau de Français s’intéressent au Canada et ceux-là sont au rendez-vous »

M A R I E - H É L È N E A L A R I E

Le 12 mai prochain paraîtraFides 75 ans, un ouvrage

publié sous la direction de Ma-rie-Andrée Lamontagne. L’his-toire de Fides n’a plus de se-crets pour l’auteure, qui oc-cupe, au sein de la maisond’édition, le poste d’éditrice lit-téraire depuis plusieurs an-nées. Il y a tant à dire sur Fidesque d’emblée Mme Lamontagnesert, dans son livre, un avertis-sement à ses lecteurs: «Ce brefhistorique ne saurait rendrecompte de toute la richesse d’unemaison d’édition dont l’histoires’étend sur 75 années. On impu-tera donc aux contraintes detemps et d’espace les omissions,raccourcis, résumés qui sont icila loi du genre, non à la volontéd’occulter des pans de l’histoirede Fides ou la contribution deses acteurs. » Voilà donc ce quiexplique qu’on ne retrouvequ’un court passage retraçantl’aventure de Fides à Paris, épi-sode pourtant des plus signifi-catifs qui a duré de 1949 à1968.

« À l’époque, Fides a le ventdans les voiles et est un acteurimportant dans le paysage édito-rial canadien-français», dit Ma-

rie-Andrée Lamontagne. On estau lendemain de la SecondeGuerre mondiale et, déjà pen-dant le conflit, Fides avait pu-blié des auteurs français : «Il ya eu une période d’exception oùl’édition française était entravéedans un Paris occupé et où leséditeurs étaient confrontés à denombreuses complications. Ilsne pouvaient donc pas publierautant d’auteurs qu’ils l’au-raient voulu. Ç’a été l’occasionpour l’édition canadienne-fran-çaise de prendre la relève et depublier des auteurs français.»

Beaucoup de maisons d’édi-tion ont vu le jour durant laguerre grâce à cette possibilitéde publier des auteurs françaiset de les distribuer dans l’en-semble de la francophonie.Fides a un pas d’avance surses concurrents puisque, dèssa création, l’éditeur comptedéjà des auteurs français à son

catalogue. Toutefois, à la fin dela guerre, les éditeurs françaisreprennent leurs auteurs etFides doit trouver une solutionpour combler le vide. « C’estl’occasion pour Fides, dans uneFrance libérée, avec le rétablis-sement des relations, de s’im-planter plus for tement enFrance», explique Mme Lamon-tagne. En 1945, un premiervoyage s’organise afin de voirla façon de procéder pours’installer en France. En 1948,le père Martin, fondateur et di-recteur général de Fides, fait levoyage, achète un immeuble ety aménage une librairie pour yexposer les auteurs de Fides etles publier en France. Se créealors la société Fides SARL, etc’est le début de l’aventure.

Large mandatDès le départ, le mandat de

Fides SARL est très large : « Ils’agit de dif fuser en France lesauteurs Fides, d’éditer des ou-vrages par Fides SARL, de fairede cette antenne une maisond’édition au sens propre, maisaussi de promouvoir les œuvresde l ’oratoire Saint-Joseph,puisque celles-ci serviront enpartie à payer le salaire du gé-rant de Fides SARL. » À cela

s’ajoute une qua-trième mission quiprendra de l’impor-tance au fil des ans,soit la dif fusion enFrance de livres ca-nadiens.

Très rapidement, c’est levolet culturel de la missionqui prend le dessus, avec lacréation d’un centre d’infor-mation et de documentationsur le livre canadien. Fidesvoyait le projet comme un car-refour à la fois pour les Fran-çais et les Canadiens français.Afin de transformer le lieu envéritable librairie, Fides dé-ménage dans un local plusvaste, au 120, boulevard Ras-pail. Cet immeuble, avec sesquatre grandes vitrines, inau-guré le 7 juillet 1950 et affichesur la façade : « FIDES SARL »et, dessous, « MAISON DULIVRE CANADIEN ». Au rez-de-chaussée se trouve la li-brairie, pendant que l’étageaccueille l’Association natio-nale France-Canada, crééeplus tôt cette même année.Dans ces grandes vitrines, onpouvait voir des expositions

sur un auteur ou un thème,où on pouvait voir rassemblésdes ouvrages publiés parFides Montréal et présentés àParis. Parmi les auteurs lesplus connus, on trouve YvesThériault, Jean Bruchési etFélix-Antoine Savard.

La Maison du livre cana-dien de Fides est un peu l’an-cêtre de ce qui est au-jourd’hui la Librairie du Qué-bec à Paris, qui appartient àHur tubise-HMH. Y défilentles auteurs et s’y tiennent deslancements et des confé-rences. De plus, ces événe-ments sont assez bien cou-verts par la presse française.« André Rousseau, du Figaro,qui est une référence en ma-tière de critique littéraire àl’époque, écrit des articles surSaint-Denys Garneau, surAnne Hébert. Il y a Charles Te-merson, le correspondant deRadio-Canada à Paris, qui si-gnait régulièrement des toposrendant compte des activitésqui se déroulent chez Fides. Àl’époque, un noyau de Fran-çais s’intéressent au Canada etceux-là sont au rendez-vous »,r a p p e l l e M a r i e - A n d r é e Lamontagne.

Jusqu’en 1967Dans les années 50, pour

tout jeune homme et toutejeune femme ayant fait desétudes et s’étant nourris de lit-térature française, le périplevers la France est un incon-tournable, et plusieurs reçoi-vent des bourses d’étude ouparticipent à des échanges. Cesont de longs séjours qui peu-vent durer plus d’un an et,dans plusieurs secteurs d’acti-vité culturelle, on retrouve desCanadiens de passage. Ils for-maient l’élite culturelle cana-dienne-française de l’époqueet cette élite crée ses contactset ses réseaux. Pour eux, lesbureaux de Fides au 120, bou-levard Raspail, deviennent lepoint de passage obligé.

Jusqu’en 1967, Fides SARLaura pignon sur rue à Paris.Malheureusement, l’aventuredu boulevard Raspail doits’achever, parce que les coûtsen sont élevés. L’entreprise dupère Martin, qui est d’assurerune présence en France parl’entremise de Fides SARL, nesera jamais rentable et auratoujours du mal à vendre les li-vres canadiens. « Le volet cul-turel, c’est bien, c’est presti-gieux, mais ça ne rapporte pasd’argent ! » En 1955, Fides doitvendre la librairie du boule-vard Raspail et investit cette

somme dans la distributionpour accroître la vente de li-vres. C’est ici que s’arrêtentles activités culturelles de laMaison du livre canadien. Parla suite, après quelques démé-nagements, Fides SARL conti-nue ses activités jusqu’en1967, où la décision est prised’ar rêter, et c’est en 1968qu’on assiste à la dissolutionjuridique.

Une vingtaine de titresDe cette époque, on retien-

dra quelques titres, dont legrand succès des éditions FidesSARL qui est Le hamac dans lesvoiles, qui paraît en 1952, un flo-rilège de trois titres de Félix Le-clerc qui avaient déjà été pu-bliés chez Fides : Adagio, An-dante et Allegro. Ce choix detextes est destiné en priorité au

public français, mais, comme lachose se produit souvent dansle cas des auteurs canadiens del’époque, des 5000 exemplairesimprimés, les trois quarts se-ront vendus au Québec. Sanspouvoir être qualifiée de succèscommercial, l’opération conso-lide la réputation de Félix Le-clerc. Par la suite, on publieraDialogue d’hommes et de bêtes,ce qui fera en sorte qu’on par-lera de Fides, et, dans un nu-méro de Paris-Match de 1961,on aperçoit même une photo dupère Martin portant la légendesuivante : «Cet homme est l’édi-teur de Félix Leclerc en France».

Aujourd’hui, le paysage édi-torial en France est en pleinbouleversement et la par tien’est pas gagnée pour les au-teurs québécois. C’est toujoursla même situation : « Les édi-

teurs québécois doivent faire lapreuve qu’ils sont intéressantsauprès d’un public français quia déjà à boire et à manger enabondance », rappelle Marie-Andrée Lamontagne.

L’aventure française aurapermis à Fides d’apprendreune foule de choses sur la dis-tribution du livre en France,d’éviter cer tains pièges etd’en tirer des leçons. Marie-Andrée Lamontagne trace unbilan positif de l’entreprise :« Fides aura eu l’audace, aveccette pointe d’inconsciencequ’il faut pour faire ce genrede choses, de se lancer dansl’aventure, d’investir, et le touta tout de même duré de 1949 à1968, avec une vingtaine d’ou-vrages publiés. »

Collaboratrice

La librairie Fides à Paris naît en 1949, au cœur du VIe arron-dissement. Le lieu agit comme un aimant et voit défiler les au-teurs maison, mais aussi tous les Canadiens de passage. C’estune espèce de centre culturel canadien avant la lettre.

FIDES

La succursale parisienne de FIDES a été inaugurée le 7 juillet 1950.

En 1945, un premier voyages’organise afin de voir la façon de procéder pour s’installer en France

Page 6: EDITION - Le Devoir · Jacques Michon, professeur ... En 2010, Fides est ven- ... La version en livre de poche du Nouveau Testament s’est écoulée