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Elizabeth Deniaux, Clientèles et pouvoir à l'époque de Cicéron

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Roma, Ecole Française de Rome 1993Un étude sur les lettres de recommendation de Cicéron.

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lizabeth Deniaux

Clientles et pouvoir l'poque de CicronRome : cole Franaise de Rome, 1993, 640 p. (Publications de l'cole franaise de Rome, 182)

Rsum L'utilisation des rseaux fonds sur des fidlits rciproques constitue un des lments essentiels de la conqute du pouvoir Rome. Pour tudier les relations entre clientles et pouvoir la fin de la Rpublique romaine, un document exceptionnel a t privilgi, les lettres de recommandation de Cicron. Ces lettres officielles ou semi-officielles sont lies une pratique ostentatoire de l'amicitia ; elles sont considres comme une manifestation de la bienveillance d'un homme qui crit un ami pour introduire auprs de lui quelqu'un qui pourra faire partie de son entourage. Le recensement et l'analyse prosopographique des noms des destinataires de lettres de recommandation et des commendati nous informent donc sur la structuration des entourages cicroniens. En donnant accs des manifestations d'changes de services, les lettres de recommandation conduisent aussi une description de certaines pratiques du patronage. En effet, la lettre de recommandation qui, en l'absence de structure de communication intermdiaire, favorise le contact direct avec les hommes qui exercent l'autorit, est aussi un lment du processus de la dcision politique, particulirement l'poque de Csar : c'est alors que Cicron, qui avait perdu son pouvoir direct, prouva, grce aux mdiations de sa recommandation, l'tendue de son capital d'influence.

Citer ce document / Cite this document : Deniaux lizabeth. Clientles et pouvoir l'poque de Cicron. Rome : cole Franaise de Rome, 1993, 640 p. (Publications de l'cole franaise de Rome, 182) http://www.persee.fr/web/ouvrages/home/prescript/monographie/efr_0000-0000_1993_ths_182_1

COLLECTION DE L'COLE FRANAISE DE ROME 182

ELIZABETH DENIAUX

CLIENTLES ET POUVOIR L'POQUE DE CICRON

COLE FRANAISE DE ROME PALAIS FARNESE 1993

- cole franaise de Rome - 1993 ISSN 0223-5099 ISBN 2-7283-0280-4

Diffusion en France : DIFFUSION DE BOCCARD 11, RUE DE MDICIS 75006 PARIS

Diffusion en Italie : L'ERMA DI BRETSCHNEIDER VIA CASSIODORO, 19 00193 ROMA

SCUOLA TIPOGRAFICA S. PIO X - VIA ETRUSCHI, 7-9 - ROMA

Hicine libertatem aiunt esse aequam omnibus] ... Et l'on dit qu'ici la libert est gale pour tous ! . . . Trence, Adelphes, 183.

AVANT-PROPOS

Ma gratitude s'adresse d'abord M. Cl. Nicolet. Son patrona ge orienta mes premiers travaux de recherche, puisque c'est sous sa direction que je ralisai un diplme d'tudes suprieures l'Uni versit de Caen. C'est ainsi que j'ai commenc puiser des leons dans l'uvre de la grande historienne amricaine L. Ross Taylor. Les conseils stimulants de M. Cl. Nicolet, devenu professeur la Sorbonne et la 4e section de l'Ecole pratique des Hautes Etudes, guidrent mes travaux, particulirement dans les difficults de l'enqute prosopographique. Sa commendation enfin, me permit de faire de nombreux sjours l'Ecole franaise de Rome. Que soient ici vivement remercis tous ceux qui m'ont accueillie au Palais Farnese, MM. G. Vallet et Ch. Pietri, directeurs, M. Gras et M. Lenoir, directeurs des tudes, Nolle de La Blanchardire, conservateur en chef de la bibliothque et Pascale Koch-Tillette, conservatrice, ainsi que tout le personnel de celle-ci. Le souvenir de Mouza Raskolnikoff est associ ces studieux sjours romains. C'est au chercheur et l'amie qui nous a quitts si vite que je vou drais ddier cette thse. Je suis aussi redevable H.-G. Pflaum de tout ce qu'il m'avait appris lors de ses sminaires aux Hautes Etudes et du grand intrt qu'il avait toujours manifest pour mes recherches sur la recom mandation. Je tiens exprimer toute ma gratitude M. R. Etienne qui a bien voulu prsider le jury de la thse de doctorat d'Etat que j'ai soutenue le 27 juin 1987, ainsi qu' MM. M. Crawford, A. Michel, M. Humbert, M. Christol qui ont accept de participer ce jury. J'espre avoir tir profit de leurs fructueuses remarques, spcial ement avis de M. Humbert sur les problmes juridiques poss des par la commendatio. Je remercie aussi vivement M. P. Vidal Naquet pour ses prcieuses suggestions. J'ai pu achever cette recherche grce l'accueil du CNRS et la comprhension de mes collgues de l'UFR d'histoire de Caen. Je les en remercie, particulirement M. Musset.

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AVANT-PROPOS

J'ai toujours trouv aide et encouragement au Centre d'Etudes et de Recherches sur l'Antiquit de l'Universit de Caen qui m'a permis d'accder ses moyens techniques. Ce travail doit beau coup aux rencontres de la Bibliothque d'Etudes Anciennes, entre autres M. C. Le Roy, A. Fouchard ainsi qu' M. C. Orrieux qui s'est intress au patronage et qui a accept de relire une partie de ce travail. Je remercie aussi ceux qui m'ont aide la Bibliothque Universitaire, au Centre de Recherches d'histoire quantitative de l'Universit, ainsi que Madame Bourdon. Ma reconnaissance s'adresse aux amis, qui, dans le cadre de l'UA dirige par M. Cl. Nicolet et de son sminaire aux Hautes Etu des, ont t pour moi des interlocuteurs attentifs, particulirement S. Demougin, J.-L. Ferrary et surtout Ph. Moreau. Que tous ceux qui, membres de ma famille et amis, ont accom pagn et soutenu la ralisation de ce long travail de recherche, soient enfin assurs de ma vive gratitude. La thse que j'avais soutenue en juin 1987 a t rduite aux dimensions d'un volume achev la fin de l'anne 1989. Je vou drais, en remerciant M. M. Cl. Nicolet, directeur de l'Ecole franai se de Rome, M. Lenoir, F.-Ch. Uginet et Mme M. Guadagnino pour tout ce qu'ils ont fait pour son dition, voquer avec reconnaissan ce de Ch. Pietri qui avait bien voulu accueillir ce volu la mmoire medans la Collection de l'EFR.

INTRODUCTION

La lettre de recommandation, qui vise faire accder quel qu'un la faveur de quelqu'un d'autre, n'est pas spcifiquement romaine. Son usage, connu l'poque hellnistique, s'est perptu sous la Rpublique et l'Empire. Pendant de nombreuses annes, j'ai eu la chance de montrer mes tudiants la seule lettre de recom mandation en latin qui fut grave sur le marbre. Le marbre de Thorigny, longtemps visible l'Universit de Caen, fournit un exemple unique de recommandation faite au IIIe sicle ap. J.-C. par un gouverneur de province pour un notable de la tribu des Viducasses qu'il avait connu alors que celui-ci exerait Lyon les fonc tions de grand prtre de Rome et d'Auguste. Les papyrus nous ont transmis des recommandations d'poque bien antrieure. Mais la Correspondance de Cicron fournit l'e nsemble le plus prcoce de ce type de document, avec 111 lettres regroupes en majeure partie au livre XIII des Epistulae ad Famil ires. Une telle srie documentaire permet-elle de prciser la vi sion que nous avons des pratiques de la clientle et du fonctionne ment du pouvoir la fin de la Rpublique romaine? A Rome, la recommandation est insre dans un tissu de rela tions sociales et politiques. Alors que la lettre d'introduction ou de recommandation appartient aujourd'hui la correspondance pri ve, les lettres de recommandation de l'poque de Cicron, lies une pratique ostentatoire de Yamicitia, taient officielles ou semiofficielles. Aujourd'hui, l'homme qui bnficie d'une recommandation est souvent associ plus au moins superficiellement celui qui interc de lui. Il pourra renforcer son attachement envers celui qui pour l'a recommand. Mais les lettres de recommandation ne prsuppos entde bonnes relations entre l'auteur de la lettre et celui qui pas la reoit. A Rome, dans sa reprsentation traditionnelle, la recom mandation est diffrente : elle renforce l'amiti entre le responsab le de l'envoi et son correspondant puisque l'un crivait l'autre par bienveillance pour lui faire connatre son nouvel ami. Le desti nataire de la lettre se voit mentionner tous les avantages qu'il pour ra retirer d'une relation nouvelle avec un futur oblig qui saura lui

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manifester de la reconnaissance. Cicron, lui, enrichit son capital d'influence, car il peut esprer des gens qu'il recommmande grati tude et services futurs. Entre celui qui intercde, celui qui est recommand et le destinataire de la lettre, se nouent ou se renfor cent des liens qui engagent des changes de services rciproques. Les lettres de recommandation de Cicron ne sont donc pas des documents pour la plupart insignifiants, comme l'crivait J. Carcopino Elles se rvlent trs prcieuses pour l'tude des relations interpersonnelles la fin de la Rpublique romaine. C'est dans ce contexte politique qu'un homme originaire du municipe d'Arpinum, sans anctres connus, russit s'intgrer au sein de la classe politique romaine. C'est parce qu'il avait russi se constituer, avec son talent d'avocat, une clientle ex ception el ement riche et diversifie, qu'il atteignit le consulat. Les lettres de recommandation clairent un autre aspect de son influence, extrieur au cadre des tribunaux et l'exercice des magistratures. Elles contribuent aussi l'tude du patronage et de la clientle romaine. A la fin de la Rpublique, le patronage est un lment reconnu du fonctionnement de l'tat, mais il est souvent difficile de l'tudier dans les faits. Cette pratique sociale, qui met en cause deux personnes au statut ingal qui s'changent rciproquement des services a, paradoxalement, t peu analyse concrtement. Les Romains avaient formalis ces rapports fonds sur la foi jure, la fides, mais ils ont peu donn d'explications prcises sur ceux-ci alors qu'ils tiennent une place considrable dans leurs reprsentat ions. Virgile, en dcrivant le Tartare, plaait parmi les individus qui attendaient leur chtiment, ceux qui n'avaient pas respect leurs obligations l'gard de leurs clients tout ct des parrici des2. C'est donc qu' l'poque d'Auguste encore, l'ide d'un man quement aux obligations de la clientle est toujours prsente. Depuis les origines, tait tabli Rome un code de valeurs qui privilgiait, dans la hirarchie des obligations sociales, celles qui taient attaches l'espace fondamental de la maison et de la famille par les liens du sang et de la protection sous diverses for mes. Le citoyen romain tait individuellement soumis la loi, mais il tait aussi insr dans un rseau de relations personnelles dont la loi tenait compte. Le texte de Denys d'Halicarnasse, qui dcrivait les relations entre patrons et clients dans le plus ancien tat de la constitution

1 J. Carcopino, Les secrets de la Correspondance de Cicron, 2, Paris, 1957, p. 227. 2 Virgile, Enide, 6, 609 : /raws innexa clienti.

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romaine, les reprsentait sous une forme trs idalise : la bienveil lance entre les deux parties tait telle que chacune s'efforait de ne pas tre surpasse par l'autre en ce domaine. Les clients rendaient toutes sortes de services leurs patrons, les patrons cherchaient n'occasionner aucun trouble leurs clients3. On sait aujourd'hui que la description de la soi-disant constitution de Romulus et de son fonctionnement exprime un idal de concordia aristocratique, conforme aux ides favorises Rome l'poque syllanienne, c'est--dire un moment o l'institution de la clientle, qui semb lait avoir assur la cohsion sociale et politique, survivait certa inement transforme4. A la diffrence de la plupart des socits o existent des rela tions de dpendance entre des puissants qui deviennent des protec teurs des faibles qui sont protgs, la socit romaine avait trs et tt codifi les rgles du patronage et de la clientle. Les Romains avaient cr les mots patron et client que tous les chercheurs utilisent aujourd'hui pour dsigner deux personnes socialement ingales entre lesquelles s'tablissent des relations d'changes rc iproques 5. Ils avaient aussi formalis juridiquement cette relation

3 Cf. Denys d'Halicarnasse, 2, 10. Denys d'Halicarnasse numre alors les devoirs des patrons et des clients. Ce texte a t analys, avec les deux autres documents canoniques sur les obligations des clients et des patrons dans la constitution de Romulus (Plutarque, Romulus, 13, 2-9; Aulu-Gelle, 5, 13, 2-6 et 20, 1, 40), par N. Rouland, Pouvoir politique et dpendance personnelle dans l'Antiquit romaine, Gense et rle des rapports de clientle, coll. Latomus 166, Bruxelles, 1979, p. 33 sq. 4 Cf. E. Gabba, Studi su Dionigi da Alicarnasso, Athenaeum 38, 1959, p. 175 sq. Il n'entre pas dans notre propos de retracer l'histoire des dbats concernant l'origine de la clientle romaine. Aux questions que soulve sa cra tion par Romulus s'ajoutent celles qui concernent la formation de la plbe de Rome, ainsi que les rapports entre le patriciat et la plbe. Cf. R.E., IV, 1, client es,col. 23-55, article rdig par A. von Premerstein et bas largement sur Th. Mommsen, Das rmische Gastrecht und die rmische Clientel, Rmische Forschungen, 1, Berlin, 1864, p. 319-390. La bibliographie lie l'origine de la plbe romaine a t bien rassemble par J.-Cl. Richard, Les origines de la plbe romaine, Essai sur la formation du dualisme patricio-plbien, Rome, 1978. Le bref chapitre d'introduction du livre d'E. Badian, Foreign Clientelae - 264-70 B.C., Oxford, 1958, p. 1-14, est trs clairant sur les diffrents modes d'entre dans la clientle et donc dans la fides de quelqu'un. Sur la fides aussi, la bibli ographie est considrable, cf. par ex. l'important article de R. Heinze, Fides, Her mes 64, 1929, p. 140-166, les pages de J. Hellegouarc'h, Le vocabulaire latin des relations et des partis politiques, Paris, 1972, p. 23-40 et surtout la thse de G. Freyburger, Fides, tude smantique et religieuse depuis les origines jusqu' l'poque augustenne, Paris, 1986. 5 Les relations de patronage et de clientle ont t trs tudies par les sociologues et les anthropologues aussi bien dans le cadre des socits rurales

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fonde sur la fides. Quand Denys d'Halicarnasse affirme qu'il est impie et illgal que client et patron s'accusent au tribunal ou tmoignent l'un contre l'autre6, il ne fait que reprendre la formule d'excration nonce dans la Loi des XII Tables : patronus si clienti fraudem fecerit sacer esto7. L'intrt port la clientle la fin de la Rpublique conduit constater alors l'existence de dbats concernant la hirarchie des devoirs qui s'imposent un Romain. La dsignation des obligations dues aux clients vient gn ralement aussitt aprs celles qui sont dues aux parents 8. La lgis lation de la fin de l'poque rpublicaine admet, d'autre part, des clauses d'exclusion en matire judiciaire pour les gens lis par le sang ainsi que par des relations de fides 9. Un exemple concret est rest clbre : lors du procs a' ambitus intent Marius en 115 av. J.-C, on appela comme tmoin charge Caius Herennius, mais celui-ci dclara qu'il tait contraire l'usage tabli que les pa trons portent tmoignage contre leurs clients, que la loi les relevait de cette obligation, et que non seulement les parents de Marius, mais Marius lui-mme taient, depuis les origines, clients de la famille des Herennii. Les jurs acceptrent cette excuse qui lui vitait de tmoigner 10. C'est donc qu' cette priode, la spcificit des obligations de la clientle tait reconnue et que la reprsentat ion des devoirs traditionnels du patron l'gard de son client fai sait l'objet d'un large consensus social. Il n'est pas toujours possible de montrer une telle continuit dans les pratiques. Dans une socit aussi pntre de valeurs hi rarchiques, des conduites qui semblent guides par des rgles du patronage et de la clientle peuvent tre mises en vidence. Mais lorsqu'on cherche tudier, la fin de la Rpublique, la clientle romaine dans son formalisme en se limitant aux expressions de cliens, clientela, patronus, on est trs vite limit par l'occurrence de ces termes : chez Cicron, le mot cliens associ au nom d'une per sonne est trs peu utilis, le mot patronus parat dsigner l'avocat au tribunal beaucoup plus que l'homme influent qui exerce sa

traditionnelles que dans celui de la complexit de la politique des grandes vil les; cf. infra, p. 12. 6 Denys d'Halicarnasse, 2, 10, 3. 7 FIRA, Leges, Loi des XII Tables, 8, 21. 8 Cf. les dbats rapports par Aulu-Gelle sur la hirarchie des obligations qui s'imposent un Romain (Aulu-Gelle, 5, 13). 9 Cf. par ex. la lex de la tabula Bembina, qui est une lex repetundarum (cf. lex Acilia, FIRA, Leges, n 7, 1. 10-11 et 1. 33). 10 Plutarque, Marius, 5. Sur les sources de Plutarque, cf. B. Scardigli, Die Rmerbiographien Plutarchs, Ein Forschungsbericht, Munich, 1979 et Scritti re centi sulle vite di Plutarco, Miscellanea Plutarchea, Ferrare, 1986, p. 51-52.

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tection u. Il est exceptionnel qu'un homme se reconnaisse client de quelqu'un; il est aussi rare que Cicron dsigne un individu comme son client. Il est vrai que le terme amicus, plus souvent utilis, est beaucoup plus valorisant pour le client. Cicron crit mme que les gens qui se considrent riches, honors, heureux, voient dans l'usa ge d'un patronage ou le fait de s'appeler clients l'quivalent de la mort. Le langage de la subordination sociale aurait pu, comme le remarque R. P. Sailer, sembler arrogant s'il tait utilis par un patron qui aurait ainsi manifest sa supriorit et la faiblesse de son client n. Il est intressant de constater que, dans la Sicile d'au jourd'hui, on appelle amico l'ami influent qui agit comme un patron et que les services rendus par les clients sont qualifis de services accomplis per amicizia13. L'exemple du proconsul P. Vatinius, qui se prsente lui-mme, en 45 av. J.-C, comme le client de Cicron est cependant rvla teur.Vatinius supplie Cicron de continuer exercer son patrona ge : si tuant consuetudinem in patroniciis tuendis servas, ainsi P. Vatinius cliens advenu 14. Or, en principe, le statut de client dis parat quand le client atteint une magistrature curule. L'exemple de Marius, prcdemment cit, le montre : Marius ne laissa pas dire Herennius, en dclarant que, ds qu'il avait t lu sa pre mire magistrature, il avait cess d'tre un client, ce qui n'est pas tout fait vrai, ajoutait Plutarque l'intention de ses lecteurs grecs, car toute magistrature ne libre pas ceux qui l'obtiennent et leurs familles de leurs relations avec leurs patrons, mais seul ement celle laquelle la loi accorde une chaise curule15. Jurid iquement, Vatinius ne pouvait plus tre client de Cicron, mais il affirmait sa dpendance parce que Cicron l'avait prcdemment dfendu au tribunal et qu'il souhaitait continuer obtenir sa pro tection, son soutien politique et donc son patronage. Cet exemple, qui montre la contradiction entre la rgle et l'usage, confirme l'im-

11 Cf. infra, chapitre 2, conclusion de l'enqute prosopographique ; cf. auss i Neuhauser, Patronus und Orator, Innsbruck, 1958, p. 64-118, pour l'usage W. du mot patronus dans la littrature latine et p. 91-96, pour l'usage du terme chez Cicron. Cic. Off. 2, 69 : at qui se locupletes, honoratos, beatos putant, ii ne obligari quidem beneficio volunt. . . patronicio vero se usos aut clientes appellari mortis instar putant . 12 R. P. Sailer, Personal Patronage under the early Empire, Cambridge Uni versity Press, 1982, p. 9. 13 Cf. J. Boissevain, Patronage in Sicily, Man I, 1966, p. 18-33, spcialement p. 23. 14 Cf. Fam. V, 9, 1. 15 Cf. Plutarque Marius, 5, 4. Cette affirmation a t voque dans E. Deniaux, Un problme de clientle: Marius et les Herennii, Philologus 117, 1, 1973, p. 179-196.

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possibilit de s'en tenir au strict formalisme des mots pour tudier la clientle la fin de la Rpublique romaine. L'absence des mots patronus et cliens n'tant pas indicative de l'affaiblissement de l'institution 16, il a sembl prfrable de chercher comment se maintiennent les liens interpersonnels qui structurent la socit romaine, en largissant le champ smantique de notre recherche au vocabulaire des lettres de recommandation. La recommandation peut tre mise en parallle avec une prati quede type clientlaire, car la recommandation est une demande de protection en mme temps qu'une introduction. La recommandation est souvent une des expressions du patro nage moderne, comme l'ont soulign J. Boissevain et L. Graziano pour l'Italie 17. La structure des changes de service du patronage et de la recommandation est symtrique; le bnficiaire de la recommandation se trouve dans une situation de dpendance l'gard de deux personnes, celui qui le recommande et celui qui, en l'accueillant, va le favoriser. D'autre part, les effets concrets de la recommandation peuvent tre compars aux mdiations de type clientlaire. Ils touchent au fonctionnement du pouvoir. Enfin, l'accent mis sur l'change des services et des bienfaits n'affecte pas seulement la morale prive, mais aussi la morale publique romaine. C'est ainsi que, donnant accs aux mcanismes de l'interdpendance des officia et des benef icia, l'tude de la recommandation conduit celle du crdit per sonnel, de l'influence : celui qui recommande dispose, comme le patron romain, d'un capital de gratta n. En s'interrogeant sur les rapports entre recommandation et clientle, on peut mme aller plus loin et voir que la recommandat iondes manires de s'engager dans la fides de quelqu'un est une et donc d'accder une vritable relation de clientle. Des expres sionsde la comdie de Trence associent nettement le vocabulaire de la recommandation celui de la clientle. Un des personnages de l'Eunuque dit mme : je me recommande et confie ta foi, je te prends comme patronne: ego me tuae commendo et cornuto fidei, te mihi patronam capio (il s'agit d'une femme, Thas, dont il est dit ailleurs qu'elle s'est elle-mme recommande : Thas patri se commendavit in clientelam et fidem nobis ddit se 19.

16 Cf. sur ce point l'opinion diffrente de N. Rouland, Pouvoir politique . . . op. cit., p. 465 sq. 17 Cf. J. Boissevain, op. cit., p. 25 et L. Graziano, Clientelismo e sistema poli tico. Il caso dell'Italia, Milan, 1979, p. 15. 18 Sur la gratia, cf. C. Moussy, Gratia et sa famille, Paris, 1966. 19 Trence, Eunuque, . 886 et 1039.

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Cette manire d'entrer en clientle en faisant abandon de soi avait t dveloppe par M. Gelzer, dans son excellent livre sur la nobilitas romaine20, la suite de Fustel de Coulanges qui avait crit des pages remarquables sur le patronage Rome aux deux derniers sicles de la Rpublique dans les Origines du systme fo dal21. Fustel avait aussi bien vu le sens trs fort du mot commend areson lien avec l'introduction volontaire en clientle la fin et de la Rpublique romaine 22. Les travaux de Fustel de Coulanges et de M. Gelzer ont, par ailleurs, t trs prcieux pour notre perspective de recherche, car ils ont contribu dgager l'tude du patronage romain de la seule approche juridique. S'attachant dcrire les relations d'obligations mutuelles qui structurent la socit de la fin de la Rpublique, ils avaient tous deux mis en vidence l'intrt des analyses du champ smantique de la protection et de l'change des services. Fustel de Coulanges, le premier utiliser les termes de patronage et de clien tlevolontaire pour dcrire ces rapports d'change, mentionne que l'expression tre dans la foi d'un autre en tait sans doute l'e xpression la plus courante23; il signale dj que la clientle romain e, comme elle comprenait plusieurs espces et mille nuances, donnait lieu aussi des appellations diverses : cliens, cornes, amicus, familiaris, necessarius, mais que pour nous faire une ide exacte, il faut savoir le sens du mot fides. . . lien librement form, qui engage la conscience24. M. Gelzer avait bien montr que la nature de la fides qui sousentend la clientle ne peut tre rvle que par des passages qui la dcrivent associe d'autres concepts. Il avait aussi trs fortement mis l'accent sur Yofficium et les officia et sur l'thique de la rci procit entre deux personnes de statut gal ou ingal 25. L'tude de ces mots a, depuis, t reprise d'une manire beaucoup plus gn rale par J. Hellegouarc'h, Le vocabulaire latin des relations et des partis politiques 26, et par P.A. Brunt, autour de l'expression de

20 M. Gelzer, Die Nobilitai der rmischen Republik, Wiesbaden, 1912; ce livre a t traduit par R. Seager sous le titre The Roman Nobility, Oxford, 1969. C'est sous ce titre qu'il sera cit ici. La rfrence l'entre en clientle par commendatio se trouve la page 67 de cette dition. 21 Fustel de Coulanges, Les origines du systme fodal, Paris, 1890, p. 206 sq. 22 A son avis, les termes par lesquels Thas se recommande sont des ter mes sacramentels, p. 207. 23 Op. cit., p. 217-218. 24 Op. cit., p. 213 et p. 218-219. 25 Cf. M. Gelzer, op. cit., p. 65-69. 26 Op. cit., p. 152-170.

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Yamicitia27. Dans une perspective diffrente, puisqu'il s'agit d'une tude de la politique romaine la fin de la Rpublique publie sous le nom de Res Publica amissa, Ch. Meier avait tent de dcrire les pratiques clientlaires que recouvre le terme de necessititelo2*. Selon R. P. Sailer, auteur d'un livre rcent, les termes caractristi ques des relations rciproques n'ont pas perdu leur force dans l'e xpression de l'idologie du patronage l'poque impriale 29. Fustel de Coulanges affirmait dj que la pratique du patrona ge dcrivait tait pour beaucoup dans la structure sociale de qu'il la Rpublique romaine finissante: Elle explique qu'au milieu des lois d'galit, de grandes familles aient gard le pouvoir. . . Cette dmocratie apparente tait une chelle de patrons et de clients. La clientle rgnait dans la socit. . . Elle fit seulement de cette soci t rpublicaine la socit la plus aristocratique qui fut jamais 30. Les tudes de M. Gelzer avaient confirm ces affirmations : les dtenteurs de la ralit du pouvoir sont un groupe trs restreint, presque hrditaire, la nobilitas, groupe de familles dans lesquelles un ou plusieurs membres ont exerc le consulat31. A Rome, la conqute du pouvoir politique passe par l'lection une magistra ture suprieure et, pour l'emporter dans une lection, l'utilisation des liens familiaux, des relations d'amiti et de clientle fournit les appuis ncessaires. Ainsi se renforce l'intrt d'tudier les client les G. Boissier avait bien vu, ds 1877, le rle social : quand dont on avait le bonheur d'appartenir une grande maison, on poss dait par hritage une clientle toute forme. Un Claudius, un Cor nelius, avant mme de s'tre donn la peine d'obliger personne, tait sr de trouver toujours le matin son vestibule rempli de gens que la reconnaissance attachait sa famille et il faisait sensation au forum par le nombre de ceux qui l'accompagnaient le jour o il venait y plaider sa premire cause. Cicron n'eut pas cet avantage. Mais, quoiqu'il ne dt ses clients qu' lui-mme, ils n'en taient pas moins trs nombreux32.

27 Proc. Camb. Phil. Soc. 11, 1965, p. 1-20, repris dans The Crisis of the Roman Republic, d. R. Seager, Cambridge, 1969, p. 199-218; tout rcemment, P.A. Brunt est revenu sur cet important sujet ; dans son livre The Fall of the Roman Republic and Related Essays, Oxford, 1988, un chapitre est consacr Yamicitia (il y transforme son article prcdent), un autre la clientle, cf. p. 351 442. 28 Ch. Meier, Res Publica amissa, Wiesbaden, 1966, p. 7. 29 Op. cit., note 11 : cf. spcialement keywords and definitions, p. 8-22 et language and social roles , p. 22-39. 30 Fustel de Coulanges, op. cit., p. 224-225. 31 M. Gelzer, op. cit., spcialement p. 27-53. 32 G. Boissier, Cicron et ses amis, Paris, 1877, p. 119. Aprs avoir parl de sa clientle d'avocat, il ajoute, p. 120: ce n'est pas seulement Rome qu'il

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Les historiens anglo-saxons, par leurs recherches sur la prosopographie des lites, ont permis d'largir cette vision de la ralit politique et sociale romaine. L. Ross Taylor, en particulier, a souli gnle caractre personnel et peu structur des groupements polit iques romains33. Ses pages trs clairantes sur le rle des amis dans la constitution d'un parti romain illustrent le conseil que donnait Cicron son frre Quintus au moment de sa candidature au consulat : veille faire paratre combien tes amis sont nom breux et quelles catgories ils appartiennent 34. Pour tudier une poque o les alliances personnelles fondes sur des fidlits rciproques jouent un rle essentiel dans la conqute et la conservation du pouvoir Rome, il a sembl utile de complter les fiches prosopographiques en intgrant les lments qui permettent d'crire partiellement une histoire de la relation de fidlit et de la dpendance l'gard de Cicron. La qualit des relations ainsi dfinies ne peut tre apprcie que par quelques mots; la mise en srie des expressions de la fidlit permet pourtant un traitement symtrique des commend ati des destinataires de lettres de Cicron. Il faut noter et qu'un intrt pour l'tude du vocabulaire des phnomnes de fidlit s'est manifest aussi chez des historiens de l'poque mo derne, autour de R. Mousnier, qui avait propos une enqute i nternationale sur les fidlits; il recommandait d'abord des r echerches smantiques: il faudrait distinguer soigneusement des diffrents sens des mots fidle, dvou, nourri, donn, consacr, et les diffrentes enumerations de leurs devoirs et de leurs droits, sous forme positive et sous forme ngative, les cas o le mot fidle exprime une totalit de sentiments et de comportements et ceux o ils n'expriment qu'une partie de la fidlit 35. . . Les historiens de cette poque disposent de sries documentaires beaucoup plus vastes que les ntres. Pour l'his-

avait des clients et des obligs ; on voit par sa correspondance que sa protection s'tendait beaucoup plus loin, et qu'on lui crivait de tous cts pour lui demand er quelques services. 33 L. Ross Taylor, Party Politics in the Age of Caesar, University of Califor nia Press, 1949, traduit sous le titre La politique et les partis Rome au temps de Csar, Paris, 1977, avec une introduction par E. Deniaux; cf. spcialement le chapitre 2, Nobles, clients et armes personnelles. 34 Com. Pet. 3 : adeinde vide ut amicorum et multitudo et genera appareanty>; cf. aussi 6 : petitio magistratuum divisa est in duarum rationum diltgentiam, quorum altera in amicorum studiis . 35 Cf. Le volume d'Hommage Roland Mousnier, Clientles et fidlits en Europe l'poque moderne, Paris, 1981, qui reprend, p. XXI-XXIII, le texte de l'enqute internationale sur les fidlits. Ce volume contient aussi d'importantes contributions sur les fidlits et les clientles l'poque moderne.

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toire de la fin de la Rpublique cependant, les lettres de recom mandation de Cicron fournissent un ensemble de renseigne ments exceptionnels. Leur apport l'tude de l'entourage de Ci cron et donc de la base sociologique de son pouvoir a t l'ob jet de la premire partie de cette thse. L'tude de la recommandation cicronienne peut se rattacher aussi aux perspectives des anthropologues, des sociologues et des politologues; l'tude des rseaux sociaux, social networks consti tue des aspects de la recherche moderne sur patronages et un clientles 36. Ces travaux contemporains ont aussi enrichi notre rflexion sur le fonctionnement de la recommandation et du patronage cicroniens. L'historien n'a pas accs aux mmes types de sources que les chercheurs des sciences sociales. La dpendance d'une srie de lettres rend par exemple l'apprciation du patronage cicronien souvent difficile. C'est l'enqute prosopographique qui, associe l'analyse des termes des lettres, permet alors de formuler une hypothse sur certaines manifestations de celui-ci. Les donnes des fructueuses recherches sur la relation patron-client sont cependant trs utiles. Dans les annes rcentes, celles-ci ont conduit un lar ge dbat et ont contribu l'laboration d'un important appareil conceptuel. Paradoxalement, comme le remarquait M.L Finley, la clientle historiquement atteste Rome est longtemps reste en marge de cette tude; il est vrai que, dans les socits tudies, la loi ne reconnat pas ces rseaux d'changes qui, parfois, s'opposent elles37. Dans la littrature anthropologique, la relation de patronage est dfinie comme une relation de dpendance non lie la pa rent, qui repose sur un change rciproque entre deux person nes contrlent des ressources ingales. Celle-ci permet, en qui particulier, de dcrire des conduites observables dans les soci-

36 Cf. par ex. J. Boissevain, Friends of Friends, Networks, Manipulators and Coalitions, Oxford, 1974 et F.G. Bailey, Stratagems and Spoils, Oxford, 1969 (tra duit en franais : Les rgles du jeu politique, Paris, 1971). 37 Cf. M.L Finley, L'invention de la politique, trad. fr. 1985, p. 65, note 1. Les sociologues se sont, depuis, intresss la clientle romaine, cf. L. Roniger, Modem patron-client relations and historical clientelism. Some clue from ancient Republican Rome, Arch. eur. sociologie 24, 1983, p. 63-95, article en partie repris dans S. . Eisenstadt and L. Roniger, Patrons, Clients and Friends. Interpersonal Relations and the Structure of Trust in Society, Cambridge, 1984, p. 52-64. M.L Finley a lui-mme utilis la conception anthropologique du patronage pour dfinir la relation politique dans le monde antique, op. cit., p. 51-83; dans cette perspective de recherche, cf. E. Deniaux et P. Schmitt-Pantel, La relation pa tron-client en Grce et Rome, table ronde La cit antique ( partir de l'uvre de M.L Finley), Opus 6-8, 1987-1989, p. 147-163.

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ts mditerranennes d'aujourd'hui dans lesquelles apparat auss i un lment d'thique codifie et o la dfinition, plus riche, est plus proche de celle de la pratique sociale romaine : rela tion assymtrique, quasi-morale, entre une personne (le patron) qui donne protection et assistance ou (et) qui influence des per sonnes qui dpendent de lui pour une telle assistance et un client qui lui doit loyaut et soutien 38. Ce type de rapport, qui donne lieu des structures interpersonnelles de type vertical, peut tre de longue dure, alors que le clientlisme, tudi par la science politique, est souvent temporaire : il a trait la man ire qu'ont les chefs de partis de tourner les institutions pour utiliser les ressources publiques (emplois, faveurs spciales) leurs propres fins en change d'un soutien lectoral et politique. Des liens entre les deux types de recherche sont apparus la fin des annes 1950, avec le dveloppement des tudes concer nant les phnomnes d'interaction entre les individus, les grou peset l'Etat 39. Certains chercheurs ont fait voluer l'tude de la relation patron-client, d'abord strictement bilatrale, pour analy ser les relations interpersonnelles verticales et horizontales40. Des travaux fconds ont montr comment les rseaux d'amis ou de clients pouvaient tre utiliss des fins instrumentales, pour s'approprier le pouvoir, ou, du moins, pour acheminer des de mandes au systme politique. L'tude statique des rseaux rela tionnels a permis celle des phnomnes dynamiques de rgula-

38 J. Boissevain, When the Saints go marching out : reflections on the decline of patronage in Malta, dans Patrons and Clients in Mediterranean Societies, d. E. Gellner et J. Waterbury, Londres, 1977, p. 181. 39 La bibliographie concernant la relation patron-client est considrable. Elle a t bien recense par S.N. Eisenstadt et L. Roniger, auteurs du livre cit note 37 et d'un article Patron-Client Relations as a Model of Structuring Social Exchange, Comparative Studies in Society and History 22, 1980, p. 42-77, dans lequel ils montrent bien comment l'tude du patronage, reste longtemps marg inale, a exerc une vritable fascination sur les chercheurs en anthropolog ie, politique et sociologie. Sur le lien entre les recherches entre les dif science frents domaines, cf. E.R. Wolf, Kinship, friendship and patron-client relations. The social anthropology of complex societies, d. M. Banton, Edimbourg, 1966; R.R. Kaufman, The patron-client concept and macro-politics : prospects and pro blems, Comp. Studies. . . 16, 1974, p. 284-308 et le trs riche volume Patrons and Clients in Mediterranean Societies, cit note 38. Cf. aussi J.F. Mdard, Le rapport de clientle : du phnomne social l'analyse politique, Rev. fr. Se. pol. 26, 1976, p. 103-131. 40 Cf. par ex. J. Boissevain, Friends of Friends, cit note 36 et J. Boissevain et J. Clyde Mitchell, Network analysis, Studies in human interaction, La Haye, 1973.

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tion d'un systme par l'intermdiaire de la faveur personnelle41. Une autre direction parallle de recherche des social sciences amricaines peut lui tre associe; elle concerne les processus de prise de dcision et la political machinery42. Enfin les tr avaux sur les brokers, mdiateurs qui mettent en relation les communauts locales et les appareils centraux du pouvoir ou qui permettent l'articulation de diffrents rseaux sociaux entre eux, sont aussi trs suggestifs 43. L'historien peut tenter d'prouver ces concepts en les appli quant aux structures sociales et politiques de la socit romaine dans un cadre historique prcis, celui d'une cit qui s'largit aux dimensions d'un empire. De nombreuses recherches sur la socit et le pouvoir dans la France moderne, sur les relations sociales Florence ont, par exemple, tir largement profit de ces analyses des sciences sociales 44. Le livre rcent de R. P. Sailer utilise aussi l'analyse anthropologique pour tudier le patronage priv dans la Rome impriale45. Tout rcemment enfin, une rflexion collective sur le patronage dans la socit antique a t entreprise par un groupe d'historiens et de sociologues anglais 46. L'tude des lettres

41 Cf. Par ex. J.C. Scott, Corruption, machine politics and political change, Am. pol. science review 63, 1969, p. 1142-1158. Sur le patronage et la manipulat ion dcision, cf. aussi A. Weingrod, Patronage and Power, Patrons and de la Clients in Mediterranean Societies, op. cit., p. 41-51. 42 De nombreux travaux ont mis l'accent sur le rle du patron comme intermdiaire, cf. par ex. A. Weingrod, Patrons, patronage and political parties, Comp. Studies. . . 10, 1963 p. 376-400; J.D. Powell, Peasant society and clientelisi politics, Am. pol. science review 54, 1970, p. 411-425 (cf. sur l'origine de l'expres sion image du patron comme gate-keeper). 43 Sur l'analyse du patron comme mdiateur en Italie, cf. S. Silverman, Patronage and community -nation relationships in central Italy, Ethnology, 1965, p. 172-189 et J. Boissevain, Patronage in Sicily, Man I, 1966, p. 18-33. Sur la mafia et le clientlisme cf. A. Block, The mafia of a Sicilian village (1860-1960), an anthropological study of political middlemen, Amsterdam, 1972. Sur le clien tlisme en Italie, cf. L. Graziano, Clientelismo e sistema politico. Il caso dell'Ital ia, Milan, 1979; J. La Palombara, Interest groups in Italian politics, Princeton, 1964 et P.A. Alluni, Politics and society in post-war Naples, Cambridge University Press, 1973. 44 Cf. sur la France moderne, l'tat de la question tabli par C. Rosso, Stato e clientele nella Francia della prima et moderna, Studi Storici, 1987, p. 37-81 et, sur Florence, le colloque / rapporti di patronato in Toscana (XII-XVIH sicle), Ricerche storiche 15, 1985, p. 3-125. 45 R. P. Sailer, Personal Patronage under the early Empire, Cambridge Uni versity Press, 1982. 46 Patronage in ancient society, Londres, 1989, dit par A. WallaceHadrill.

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de recommandation de Cicron47, qui donnent accs des prati ques de patronage dans la Rpublique finissante, peut s'inscrire dans une recherche sur les processus de la dcision politique et conduire, partir de l'analyse de situations concrtes, de plus larges dbats sur les mcanismes d'articulation du social au polit ique Rome et dans son empire.

47 Plusieurs tudes d'histoire sociale avaient dj suggr l'intrt d'une recherche sur la recommandation, cf. C. Nicolet, L'ordre questre l'poque rpublicaine, I, Paris, 1966, p. 680-681 (pour Cicron), H.-G. Pflaum, Les procu rateurs questres sous le Haut Empire romain, Paris, 1950, p. 198 sq. Pour une priode plus rcente, l'article de J.-C. Waquet, Solidarits personnelles et pouvoir aristocratique Florence aux XVIIe et XVIIIe sicles, Ricerche storiche 15, 1985, p. 107-119, est une tude de la pratique de la recommandation et du pouvoir Florence.

PREMIRE PARTIE

LES RECOMMANDATIONS, LES AMIS ET CLIENTS DE CICRON

CHAPITRE 1

LES LETTRES DE RECOMMANDATION ET L'TUDE DES RELATIONS DE CICRON

A - Les lettres de recommandation et le corpus cicronien 1) Les lettres de recommandation La recommandation un personnage influent est un usage qui s'est perptu dans le monde grec et romain. C'est C. W. Keyes qui avait constitu la premire collection de recommandations grec ques : 30 documents remontant au IIIe sicle avant J.-C. ; parmi les nombreux papyrus se trouve une lettre d'une autre nature : un fragment de lettre de l'aptre Paul recommandant la diaconesse Phoeb, ainsi que 14 textes littraires recenss dans R. Hercher, Epistolographi Graeci 1. Celui-ci avait tudi aussi le modle de let tre d'introduction attribue tort Demetrius de Phalre. En effet, ce manuel, qui contient des descriptions de 21 catgories de lettres prives et apporte des exemples de chaque type, est le plus ancien des guides sur la manire d'crire des lettres que nous ayons conserv. Il a sans doute commenc circuler l'poque ptolmaque ds 200 av. J.-C. mais, selon l'auteur, il a t rvis de temps en temps pendant la priode romaine. L'tude des papyrus avait per mis C.W. Keyes de montrer que la date de 50 av. J.-C, qui avait t propose par H. Brinkmann comme limite chronologique ce manuel, tait beaucoup trop haute2, que celui-ci avait d tre transform postrieurement et que d'autres guides, rdigs peuttre sous une forme plus populaire, avaient d exister aussi 3. 1 C. W. Keyes, The Greek Letter of Introduction, Am. Journ. Phil 56, 1935, p. 28-45; Paul, Ep. aux Romains 16, 1-2, sur laquelle cf. E. J. Goodspeed, Phoeb e'sletter of introduction, Harv. Th. Rev. 44, 1951, p. 55-56; R. Hercher, Episto lographi Graeci, Paris, 1873. 2 H. Brinkmann, Die lteste Briefsteller, Rhein. Mus. 64, 1909, p. 310-317. 3 Sur le manuel attribu Proclus ou Libanius, Epistolographie, cf. R. Her cher, op. cit., p. 6 et I. Sykutris, R.E. supplt. V, 1931, col. 191-193 et H. Koskenniemi, Studien Zur Idee und Phraseologie des griechischen Briefes bis 400 n. Chr, Helsinki, 1956, p. 56-57.

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La diffusion de la lettre de recommandation a ensuite t tu die par Chan Hie-Kim, Form and Structure of the Familiar Greek Letter of Recommandation 4, qui a rassembl 83 lettres de recom mandation, principalement des papyrus, dont 6 seulement en latin, dates de 260 av. J.-C. au VIe sicle ap. J.-C. Un complment ce livre avec 19 papyrus de recommandation nouveaux a t publi par H. M. Cotton 5. Il faudrait ajouter aussi les quelques papyrus regroups par P. Cugusi 6 et les recommandations qui se trouvent dans les papyrus d'Abinneus du IVe sicle ap. J.-C. 7. Les diffrents usages de la lettre de recommandation dans l'Egypte ptolmaque ont t analyss par M. Piatkowska, qui fit un grand usage des archives de Zenon 8. La signification historique de ce personnage, le premier des protecteurs connus de l'Egypte lagide, a, depuis, t claire par les travaux de C. Orrieux 9. Aprs cette large srie de lettres, c'est l'ensemble des recommandations de Cicron qui constitue la premire collection latine connue. Peuttre d'ailleurs le livre XIII des Familires de Cicron, qui regroupe 81 lettres dont 80 recommandations, a-t-il t rassembl par Cic ron lui-mme. C'tait l'hypothse que formulait L. Gurlitt, en se fondant sur un passage d'une lettre o Cicron affirmait Atticus, en 44 av. J.-C, qu'il s'efforait de constituer une collection de cel les-ci : mearum epistularum nulla est ; sed habet Tiro ins tar septuaginta, et quidem sunt a te quaedam summendae. Eas ego oportet perspiciam, corrigam; turn denique edentur 10. Instar sep tuaginta aux environs de soixante-dix,, correspondrait aux let tres du livre XIII, compltes par des recommandations crites aprs cette date. Ainsi ce groupe homogne aurait manifest la varit du style de Cicron sur un thme impos. C'est cette opi-

4 Dissertation de l'Universit du Montana, Society of Biblical Studies, dis series 4, 1972. 5 H. M. Cotton, Documentary Letters of Recommendation in Latin from the Roman Empire, Knigsten, 1981, p. 53-54. 6 P. Cugusi, Evoluzione e forme dell'epistolografia latina nella tarda repubb licae nei primi due secoli dell'impero, Rome, 1983, p. 112. 7 Cf. The Abinnaeus Archive : Papers of a Roman officer in the Reign of Constantine II, ed. H. I. Bell, V. Martin, E. G. Turner, D. van Berchem, Oxford, 1962. Je dois Mme Bonneau qui enseigna la papyrologie Caen, d'avoir dcouvert leurs richesses. 8 M. Piatkowska, La lettre de recommandation dans l'Egypte ptolmaque, Meander 21, 1966, p. 277-289 (en polonais, avec un rsum en latin, p. 341). 9 Cf. C. Orrieux, Zenon de Caunos, parpidmos et le destin grec, Ann. Litt. Univ. Besanon 320, Paris, 1985, p. 237 sq. 10 L. Gurlitt, De M. Tulli Ciceronis epistulis earumque Pristina Collectione, Diss. Gttingen, 1879, p. 14, en se fondant sur Att. XVI, 5, 5. Deux des lettres des Familires XIII ont t ddoubles XIII, 6 et XIII, 28; Fam. XIII, 69 n'est pas une recommandation. sertation

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nion que se rallient K. Bchner, H. Peter, M. Schanz-C. Hosius, D.R. Shackleton-Bailey, H. M. Cotton et F. Trisoglio . La correspondance des formules entre les lettres de recom mandation grecques et romaines suggre la question de la dpen dance ou de la relative indpendance des lettres de Cicron l'gard du modle grec. C.W. Keyes avait montr que celle-ci ne pouvait tre une simple concidence: it seems quite clear that Cicero knew and adapted some Greek formulae for letters of intro duction, and very probable that he possessed and used or more Greek handbooks of letter writing 12. C'est dans le mme sens que vont les remarques de P. Collomb dans ses Recherches sur la chanc ellerie et la diplomatique des Lagides. Il avait en effet remarqu la similitude de construction de la lettre de recommandation et de Yenteuxis grecque qui comporte expos, demande, motivation, et avait avanc l'ide que Cicron avait pu adopter ce schma triparti te ou s'en loigner suivant les cas 13. Tout rcemment pourtant, l'hypothse de l'origine grecque de la lettre de recommandation latine a t vigoureusement conteste par H. M. Cotton 14. Avec un certain humour, elle critique l'arg ument de lettres latines trs simples, primitives, qui auraient d avoir recours des modles grecs quand se dveloppa la civilisa tion romaine, en utilisant l'exemple du schmatisme et de l'aridit de certains papyrus de recommandation grecs. Elle montre que l'tude, faite par C. W. Keyes, sur la similitude des formules, repos ait sur des comparaisons entre des lettres de Cicron et des recommandations sur des papyrus postrieurs Cicron. Sans nier l'influence de la Grce sur l'art pistolaire de Cicron, elle affirme que sa pratique devait reposer sur des habitudes romaines et qu'il avait vraisemblablement sa disposition un ensemble de formules traditionnelles. Elle examine la terminologie des lettres pour tmoi gner du dveloppement indpendant des lettres latines de recom mandation. Les deux pratiques ont exist simultanment. Il est vrai que le terme technique litterae commendaticiae apparat pour la 11 K. Bchner, M. Tullius Cicero (Briefe), R.E. VII, A 1, col. 1217 sq.; H. Peter, Der Brief in der rmischen Literatur, Leipzig, 1901, p. 36; M. Schanz, C. Hos ius, Geschichte der rmischen Literatur, 4, Munich 1927, p. 481 ; F. Trisoglio, La lettera di raccomandazione nell'epistolario ciceroniano, Latomus 43, 1984, p. 751752; D. R. Shackleton-Bailey, Cicero's Letters to Atticus, Cambridge, I, 1965, p. 59; H. M. Cotton, Mirificum genus commendationis ; Cicero and the Latin Let ter of Recommendation, Am. Journ. Phil. 106, 1985, p. 328. 12 Cf. C. W. Keyes, op. cit., p. 44. 13 P. Collomb, Recherches sur la chancellerie et la diplomatique des Lagides, Paris, 1925, p. 76 sq. 14 H. M. Cotton, Greek and Latin Epistolary Formulae : Some Light on Cice ro's Letter Writing, Am. Journ. Phil. 105, 1984, p. 409-425.

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premire fois dans une lettre de Cicron alors que l'adjectif grec sustatikos peut avoir t appliqu une lettre de recommandation ds le IVe sicle av. J.-C. 15. Il n'est pas possible ici d'entrer dans ce dbat, puisque l'tude du formulaire de la recommandation n'a t entreprise qu'afin de complter l'analyse de l'expression de la rela tion avec Cicron. Nous ne connaissons rien de la pratique de la lettre de recom mandation Rome avant Cicron. P. Cugusi avait cru voir chez Salluste un document de ce type rlabor par l'historien. C'est une lettre dans laquelle Scipion recommanderait Jugurtha Micips a. billet est une attestation de bons services effectus par Le Jugurtha dans l'arme de Scipion. A la suite de celle-ci, Micipsa, impressionn par les mrites de son neveu, l'adopta et l'institua hritier, au mme titre que ses propres fils. La lettre flicitait en effet Micipsa d'avoir eu en son neveu un homme digne de lui et de son aeul Massinissa : tibi quidem pro nostra amicitia gratulor. En habes virum dignum te atque avo suo Massinissa 16. Mais ce docu ment n'utilise pas le vocabulaire de la recommandation et n'a pas non plus la structure d'une lettre de ce type. Cette lettre serait plu tt classe comme gratulatoria selon les critres des pistolographes grecs 17. Il est vrai cependant que la recommandation, qui est une attestation de mrites et qui rclame une protection spciale pour un individu, n'est pas une forme de lettre inconnue Rome. On sait que Cicron bnficia d'une recommandation extraordinai re du Snat auprs des peuples qui voulurent bien l'ac de la part cueillir au moment de son exil 18 et que l'usage de la lettre, qui tmoigne d'actions passes, se retrouve dans la recommandation officielle, en 30 av. J.-C, au peuple de la cit de Rhosos, de Seleucos, qui avait servi Octave pendant la guerre navale 19. L'usage d'une recommandation caractre officiel s'est trans mis sans doute dans la chancellerie impriale. Le formulaire de la recommandation se retrouve au IIIe sicle ap. J.-C, grav excep tionnellement sur un support de marbre. C'est H. -G. Pflaum qui, le

15 Sur l'expression litterae commendaticiae chez Cicron, cf. la lettre C.Antonius, Fam. V, 5; sur l'expression grecque, cf. H. M. Cotton, Am. Journ. Phil. 106, 1985, p. 329, note 10. Sur les mots epistulae commendaticiae dans un papyrus du dbut du Ilme sicle ap. J.-C, P. Mich. VIII, 468 (lettre de Claudius Terentianus, cf. H. M. Cotton, Documentary Letters, p. 1). 16 Salluste, Jug. 9, sur lequel cf. P. Cugusi, Evoluzione e forme, p. 111. 17 Cf. R. Hercher, Epistolographi Graeci, p. 5, n 19, et p. 9, n 16. 18 Cf. Cic. Plane. 32, 78 et Sest. 60, 127. 19 Cf. P. Roussel, Un Syrien au service de Rome et d'Octave, Syria 15, 1934, p. 74 et FIRA, Leges, n 55; la 4me lettre, date de 30 av. J.-C, recommande le navarque ses concitoyens. C'est le verbe qui est utilis.

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premier, avait montr que l'offrande d'une statue T. Sennius Solemnis par le conseil des Gaules, dans sa cit d'origine (la cit des Viducasses, c'est--dire dans sa capitale, Vieux, Aragenua Viducassium), 18 ans aprs qu'il eut exerc la charge de grand prtre de Rome et d'Auguste l'autel de Lyon, avait une signification politique et indiqu tout l'intrt d'une lettre de recommandation rendue ainsi publique 20. La commendano avait t envoye par un ancien gouverneur de Lyonnaise un nouveau responsable romain pour lui prsenter Titus Sennius Solemnis le Viducasse comme un ami utile tous les gouverneurs. En effet, pendant l'administration de l'auteur de la lettre, des accusations contre le prcdent gouver neur,Claudius Paulinus, avaient t discutes dans l'assemble provinciale et c'est Solemnis, alors grand prtre de Rome et d'Au guste, qui avait modifi le comportement de l'assemble en affi rmant que, comme dlgu de sa cit, il n'avait reu aucun mandat pour mener l'accusation contre le gouverneur et qu'au contraire, ses concitoyens l'avaient charg d'en faire l'loge. Cette attitude lui avait valu l'amiti de ce gouverneur et de son prdcesseur 21. Mais la lettre de recommandation est beaucoup plus atteste par son usage priv dans les correspondances littraires, en parti culier celles de Pline le Jeune, Fronton, Symmaque, Libanius22. Elle s'adresse alors aussi bien l'Empereur qu' d'autres individus. La lettre de recommandation conserve aussi parfois le souvenir des

20 H. G. Pflaum, Le marbre de Thorigny, Paris, 1948. 21 Cf. CIL XIII 3162, face latrale droite. Claudius Paulinus rcompensa Titus Sennius Solemnis en lui offrant une charge de tribun semestriel dans l'a rme qu'il commandait en Bretagne. Sa lettre est grave sur le ct gauche de la base de la statue. Sur cette nomination, cf. chapitre 4 La recommandation, le patronage et la vie politique , (recommandation et accs un poste de com mandement militaire) p. 297 sq. 22 Les recommandations de Pline Trajan, Ep. 10, 4; 11-13; 26; 94; 120 sont assez formelles. D'autres, envoyes des amis, sont plus familires. Sur la correspondance de Pline, cf. A. N. Sherwin-White, The Letters of Pliny. A Histo rical and Social Commentary, Oxford, 1966 et la bibliographie rassemble par P. Cugusi, Evoluzione e forme, p. 17-19. Quelques recommandations de Fronton ont t tudies par H.-G. Pflaum, Les procurateurs questres sous le Haut-Empir eParis, 1950, p. 198 sq., qui a aussi men une enqute prosopographiromain, que sur les correspondants de Fronton, cf. Les correspondants de l'orateur M. Cornelius Fronto de Cirta, Hommages J. Bayet, coll. Latomus 70, Bruxelles, 1964, p. 544-560. Sur Fronton, cf. aussi la bibliographie de P. Cugusi, Evoluzione e forme, p. 20-21, et particulirement E. Champlin, Fronto and Antonine Rome, Cambridge, Mass. 1980. Sur Symmaque existent d'excellents commentaires de D. Vera, Commento storico alle relationes di Quinto Aurelio Simmaco, Pise, 1981 (le livre IX de Symmaque contient de trs nombreuses recommandations), d'A. Marcone, Commento storico al libro VI dell'Epistolario di Q. Aurelio Simmac o, 1983. Les lettres de recommandation de Libanius ont fourni une partie Pise, du matriel du livre de P. Petit, Les tudiants de Libanius, Paris, 1956.

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relations d'hommes plus modestes avec la hirarchie militaire. Les papyrus documentaires montrent tout l'usage qui pouvait tre fait de celle-ci dans le domaine de l'arme. La recommandation permet de solliciter une mutation ou une nomination. Souvent ces lettres sont crites en latin, langue officielle de l'arme, alors que leur auteur, dont la langue habituelle est le grec, ne matrise pas trs bien la langue du pouvoir romain 23. Rcemment, la dcouverte des tablettes de Vindolanda (Chesterholm) a encore mis en vidence cette fonction de la recommand ation. des tablettes de bouleau, crites avant l'poque d'Ha Une drien, apporte un complment notre information sur cette srie. L'interprtation en est difficile car le commendatus, Brigionus, ne porte qu'un seul nom; on ignore s'il tait citoyen romain et si la demande tait lie une matire civile ou militaire; mais ce per sonnage est recommand par un officier un autre officier, prfet de Vindolanda, qui lui demande d'intercder pour lui auprs d'un centurion d'une autre garnison (Luguualium, Carlisle) 24. Enfin, trs exceptionnellement, la recommandation se prsente sous la forme d'un pome l'Empereur. Il n'utilise pas le mot commendo, mais il reste trs traditionnel dans la formulation de la demande : un homme, Septimius, a pri Horace de le recommand er et de solliciter pour lui un poste; c'est avec beaucoup Tibre d'esprit et de tact qu'Horace utilise son crdit auprs de Tibre, en lui transmettant sa demande dans une pitre en vers qui commenc e nom du commendatus, comme il est de rgle 25. par le 2) Les lettres de recommandation de Cicron La srie des lettres de recommandation de Cicron a depuis longtemps attir l'attention. L. Gurlitt en avait entrepris le recense ment;il avait constat que le nombre des recommandations de Cicron dpassait la collection du livre XIII (pour lui 78 lettres sur les 79 du livre XIII; deux depuis ont t ddoubles en 6-6 A et 28-28 A) et qu'il devait inclure d'autres lettres : Fam. XI, 17; XI, 22; XII, 26; XII, 27; XII, 29 et les lettres Brutus : . I, 1; 7; 8. A cel-

23 Cf. G. R. Watson, The Roman Soldier, Londres, 1969, p. 37-38 et p. 167 et Documentation in the Roman Army, ANRW II, 1, 1974, p. 496. 24 Cf. A. K. Bowman et J. D. Thomas, Vindolanda : The Latin WritingTablets, Britannia Monograph Series, 4, 1983, p. 49 et p. 105 111 (lettre n22). 25 Horace, Ep. 1,9: Septimius est prsent avec des qualits qui le rendent digne de faire partie de la maison du prince : Scribe tui gregis hune et fortem crede bonumque ; dans le pome, le verbe commendare est remplac par laudar etradere. Sur la traditio du commendatus, cf. infra, p. 37 sq. et

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les-ci il proposait de rattacher la lettre . , 1526. Or la lettre B. I, 15, qui prsente Valerius Messalla M. lunius Brutus, est une introduction servant de prtexte une explication politique et la lettre B. I, 7 est crite par Brutus, qui recommande le fils de Bibulus Cicron. Elles ne seront pas retenues parce que la lettre B. I, 15 ne prsente pas les caractristiques d'une recommandation et que la lettre B. I, 7 s'adresse Cicron. Le corpus de cette tude est constitu uniquement par les lettres de recommandation envoyes par Cicron l'exclusion des autres qui ne seront voques que dans les mcanismes de l'change de services avec ses correspond ants. En 1901, H. Peter, qui examinait le contenu des lettres de Cic ron, dfinissait le livre XIII comme Buch der Zweck der Empfehl ung, mais il reconnaissait aussi comme lettres de recommandat ion 21, 26, 27, 29; Fam. I, 3; II, 14; VII, 21 et XI, 17 27. Fam. XII, P. Cugusi a repris cette mme liste dans Evoluzione e forme dell'epistolografia latine 2S, mais ni H. M. Cotton, ni A. Plantera, ni F. Trisoglio ne donnent de prcisions sur le nombre des lettres de recommandation de Cicron. Ils parlent seulement du livre XIII des Familires 29. Un article de R. Andrzejewski, paru en polonais dans Eos, qui comporte un rsum latin avec le titre quo modo Cicero commendandi doctrinam in epistulis servaverit avait four ni une liste plus large des lettres de recommandation de Cicron : le livre XIII des Familires ( l'exception de la lettre n 68), plus Fam. I, 3; II, 14; III, 1; V, 5; VI, 9; VII, 5, VII, 21; IX, 13; IX, 25; XI, 16; XI, 17; XI, 22; XII, 6; XII, 21; XII, 26; XII, 27; XII, 29; . 6; . 16; Q. Fr. II, 14 30. Le corpus constitu pour cette tude reprend les mmes lettres l'exception de B. 6; B. 16. la lettre Q. Fr. II, 14 peut sans doute tre considre comme identique Q. Fr. II, 12 de l'dition Tyrrell et Purser qui est la recommandation de M. Orfius d'Atella Quintus. Mais d'autres ont t ajoutes parce qu'elles prsentent la mme structure que les lettres de recommandation cites ci-dessus. Le chiffre de 111 lettres (80 lettres dans les Familires XIII et 31 dans les autres recueils) est atteint avec, en complment, les lettres

26 L. Gurlitt, Die Briefe an M. Brutus, Philologus, 1884, supplt. IV, p. 593 sq. 27 H. Peter, op. cit., p. 59, 66 et 79. 28 Op. cit., p. 112. 29 H. M. Cotton dans les ouvrages cits supra ; A. Plantera, Osservazioni sul le commendatizie latine da Cicerone, a Frontone, Annali della Facolt di magistero dell'Universit di Cagliari, 2, 1977-1978, p. 1-36; F. Trisoglio, La lettera di racc omandazione nell'epistolario ciceroniano, Latomus 43, 1984, p. 751-775. 30 Eos 63, 1975, p. 43-59.

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Atticus, AU. XI, 12; XV, 14; AU. XVI, 16 A, B, C, D, E, F; Quintus, Q. Fr. I, 2, 10, Brutus, . , 1 et . , 8, Curio, Farn. II, 6, Q. Cornificius, Fam. XII, 24. Ce corpus de lettres n'est pas trs diff rent de celui qui pourrait tre labor en rassemblant les donnes d'H. Bornecque, La prose mtrique dans la Correspondance de Cicron. Un des grands mrites de cet auteur est d'avoir, ds 1898, mis l'accent sur un important caractre des lettres de recommandation de Cicron, l'utilisation de la prose mtrique. En examinant les let tres envoyes aux diffrents correspondants de Cicron et par les diffrents correspondants de Cicron, il a mis en vidence celles dans lesquelles les lois de la mtrique taient suivies et les clausules mtriques utilises. Il a ainsi fait mention d'une srie de lettres qui se distinguent par l'utilisation de la prose mtrique ainsi que par le style. A ct des lettres officielles, il a introduit la notion de lettres exiges par les obligations mondaines dans lesquelles se retrouvent les recommandations, les lettres de consolation, les let tres d'encouragement aux exils, les lettres de felicitation31. Cette catgorie recouvre une trs grande partie des lettres de recommand ationCicron. de Les lettres destines Atticus et Quintus ne sont pas mtri ques en gnral, pas plus que quelques lettres particulires dans lesquelles Cicron s'exprime en toute libert. Certains billets du livre XIII sont trop courts pour qu'une tude des clausules mtri ques soit possible. H. Bornecque avanait l'ide que ceux-ci (Fam. XIII, 2, 3, 13, 20, 39, 40, 44, 45, 46, 47, 48, 51, 58, 59, 70, 74, 79) avaient t faits en prsence de ceux qui sollicitaient et que Cicron ne s'y tait pas beaucoup appliqu 32. Les lettres trs br ves peuvent aussi bien concerner des trs proches amis de Cicron, comme L. Egnatius Rufus {Fam. XIII, 44, 45, 47, 74), des fils d'amis trs intimes comme C. et M. Avianius {Fam. XIII, 79), des affran chis comme T. Ampius Menander et L. Nostius Zoilus (Fam. XIII, 70 et 46), des peregrins, comme Asclapon de Patras (Fam. XIII, 20), des Romains plus ou moins connus comme L. Custidius (Fam. XIII, 58), L. Castronius Paetus (Fam. XIII, 13), une le, Chypre, avec la ville de Paphos (Fam. XIII, 48). Il faut remarquer cependant qu'au cundes htes de Cicron n'est recommand de cette manire. Ceux-ci bnficient toujours d'une introduction par une lettre mt rique. L'tude d'H. Bornecque confirme ce que Cicron lui-mme affirmait C. Trebonius : il n'crivait pas de la mme manire les lettres destines seulement ceux qui il les envoyait et celles qui

31 H. Bornecque, La prose mtrique dans les lettres de Cicron, Paris, 1898, p. 125-126. 32 H. Bornecque, op. cit., p. 121.

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devaient tre lues par beaucoup d'autres33. Les lettres de recom mandation ont un caractre de lettre ouverte qui les rend sinon officielles, du moins semi-officielles. Ce sont celles qu'on continue transmettre, dit aussi Cicron, pour manifester publiquement que les relations entre deux personnes ne se sont pas altres34, et, enfin, celles qu'on n'hsite pas utiliser pour persuader, sinon pour imposer une dcision quand les circonstances l'exigent, une lettre manant d'un personnage officiel tel qu'un consul pouvant contribuer ter des scrupules 35. Il est difficile de savoir si la lettre tait remise celui qui en faisait la demande ou si elle tait transmise son destinataire. On ne connat avec certitude qu'une seule lettre apporte directement au correspondant par le commendatus, c'est celle de P. Cornelius, qui est prsent ainsi : P. Cornelius qui tibi litteras dedita, mais la prati que en a t reconnue chez d'autres auteurs et dans les papyrus grecs; le porteur est souvent la personne recommande elle-mme dans les papyrus 36. L'usage de remettre la lettre celui qui devait l'utiliser tait peut-tre plus rpandu qu'il n'y parat. Nous avons, dans la Correspondance de Cicron, plusieurs exemples de lettres qui se rpondent et un ensemble de trois lettres donnes, semble-t-il, au commendatus, pour qu'il puisse en faire usage trois moments diffrents. C'est en Cilicie que M. Fabius Gallus apprit que son frre entrait en querelle avec lui propos d'un domaine qu'ils poss daient en indivision en Campanie et que cette querelle allait entra ner procs. M. Fabius Gallus repartit sans doute pour l'Italie un avec trois lettres, l'une pour convaincre quelqu'un d'empcher le procs, une autre pour confier sa cause un dfenseur si un pro cs est ncessaire, une dernire pour lui faciliter l'accs auprs du prteur au moment du jugement. Les recommandations destines

33 Fam. XV, 21, 4 : aliter . . . scribimus quod eos solos quibus mittimus, ali ter quod multos lecturos putamus . Sur les diffrents types de lettres chez Cic ron, cf. H. Koskienniemi, Cicero ber die Briefarten, genera epistularum, Arctos, 1, 1954, p. 97-102 (Commentationes in honorem E. Linkomies). 34 Fam. V, 5, 1, C. Antonius : etsi statueram nullas ad te litteras mittere nisi commendaticias (non quo eas intellegerem satis apud te valere sed ne Us qui me rogarent aliquid de nostra coniunctione imminutum esse ostenderem) . 35 Dans la lettre qui introduit l'affaire de L. Mescinius Rufus Servius Sulpicius Rufus, Cicron conseille au gouverneur d'Achae d'utiliser, pour agir dans l'intrt du commendatus, une lettre que lui adresse le consul M. Lepidus, non comme un ordre, mais comme une recommandation, cf. Fam. XIII, 26, 3 : quod quo minore dubitatione facere possis, litteras ad te a M. Lepido consule, non quae te aliquid inherent (neque enim id tuae dignitatis esse arbitramur) sed quodam modo quasi commendaticias sumpsimus. 36 Cf. Fam. XIII, 6 A et H. M. Cotton, Documentary Letters, p. 5-6 ; A. Planter a, cit., p. 8-9. op.

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Ap. Claudius Cf., A. Caecina et M'. Curius sont associes des lettres o Cicron dit son correspondant, qui devient le commendatus de la seconde lettre, ce qu'il va faire pour lui. En 43, Cicron crit Appius qu'il va tout tenter pour le sauver et, vraisemblable ment, lui transmet la lettre dans laquelle il recommande Decimus Brutus de veiller sa scurit et la conservation de ses droits civi ques. En 45, Cicron, aprs avoir obtenu qu'A. Caecina puisse rester en Sicile, recommande son ami au nouveau gouverneur T. Furfanius Postumus. Comme Cicron allait voir le gouverneur qui tait un de ses amis, il pensait que la recommandation crite ne s'imposait pas; mais les proches de l'exil Rome ont souhait que Caecina puisse, en Sicile, prsenter une lettre au proconsul. Cicron crit donc et envoie son ami un exemplaire d'une lettre qui est brve et formelle, puisqu'elle n'est qu'une rponse une sollicitation. Enfin, quand M'. Curius demande Cicron de le recommander au gouver neur d'Achae, Cicron lui rpond en disant qu'il lui transmet un exemplaire de sa recommandation dans sa rponse 37. La caractre semi-officiel de la lettre de recommandation est confirm par l'absence de salut final. Pour ne prendre que l'exem ple Familires XIII, seules onze lettres de recommandation sont des accompagnes de celui-ci. Or, comme l'indique P. Cugusi, dans les lettres officielles, les formules de salutation manquent souvent. En revanche, on y trouve la date qui n'est gnralement pas indique dans les recommandations 38. 37 Cf. Fam. II, 14; Fam. IX, 25; Fam. XIII, 59 et M. Fabius Gallus, commendatus n 47 et le chapitre 3 : La recommandation, les intrts financiers et la pratique de la justice pour l'hypothse concernant la remise simultane des trois lettres au commendatus. Cf. Fam. X, 29; Fam. XI, 22 et Ap. Claudius Cf., commendatus n 30; Cf., pour A. Caecina, Fam. VI, 9, 2; Fam. VI, 8, 3 : ego etsi coram de te cum Furfanto ita loquar ut Ubi litteris meis ad eum nihil opus sit, tarnen, quoniam tuts placuit te habere meas litteras quae ei redderes, morem Us gessi. Earum litter arum exemplum infra scriptum est. A. Plantera, op. cit., note 19, pense que nous avons perdu le texte de la lettre ainsi crite. Je crois au contraire que la lettre Fam. VI, 9, 2, constitue l'exemplaire de la recommandat ion mentionne dans le texte de Fam. VI, 8, 3. Pour M'. Curius, les lettres concernes sont Fam. VII, 29 (la demande de Curius), Fam. VII, 30 (la rponse de Cicron qui dit introduire un exemplaire de la recommandation dans sa let tre : ad eum de te diligentissime scripsi eamque epistulam cum hac epistula coniunxi), Fam. XIII, 50 (la recommandation de M'. Curius M. Acilius). 38 Cf. P. Cugusi, Evoluzione e forme, p. 57 et 113. La lettre de recommandat ion doute parfois accompagne d'une nota. Mais une seule allusion tait sans est faite un signe marqu sur la lettre en respect d'une convention entre Cic ron et le destinataire : .qua re Cuspianorum omnium commendationis causant hac tibi epistula exponendam putavi, reliquis epistulis tarnen faciam, ut notant apponam earn, quae mihi tecum convenu, et simul significem de numero esse Cuspi amicorum, Fam. XIII, 6, 2. C. Iulius Victor, 448, Halm (p. 105), mentionn ait pourtant l'existence de ces notae dans les lettres de Cicron : soient etiam

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Quelques-unes d'entre elles cependant, suffisamment longues pour que l'usage de la prose mtrique puisse y tre dcel, ne pr sentent pas de clausules mtriques. Nous les reverrons au cours de l'expos sur les fonctions des lettres de recommandation de Cicron, car elles sont associes diffrentes demandes. Comme l'indique H. Bornecque, Cicron a t empch de les rendre mtriques, non parce que le temps lui manquait, mais parce que le sujet le gnait. La lettre non mtrique est parfois beaucoup plus nette et plus prci se la recommandation mtrique, conforme aux rgles officiel que les le cas de la lettre Fam. XIII, 28 (qui donne de l'affaire de : c'est L. Mescinius Rufus des dtails beaucoup plus prcis que Fam. XIII, 26), de la lettre Fam. XIII, 57 (qui accompagne une demande instant erenvoyer vers Cicron le lgat M. Anneius dj recommand de pour une affaire financire avec Sardes, Fam. XIII, 55), de la lettre Fam. XIII, 53 (qui sollicite pour L. Genucilius Curvus un transfert de juridiction en cas de procs), ainsi que de la lettre L. Plotius Plancus recense dans les lettres Atticus, Au. XVI, 16 A, seule let tre non mtrique parmi celles qui sont destines Plancus 39. Quelques recommandations prives, comme la lettre Fam. VII, 21, qui est une demande de conseil au jurisconsulte Trebatius Test a, ne sont pas mtriques. Celle-ci n'est d'ailleurs pas rpertorie par H. Bornecque comme lettre de recommandation. La lettre qui recommande M. Fabius Gallus Papirius Paetus (Fam. XI, 25) n'est pas mtrique non plus. Il est vrai que Trebatius Testa et Papirius Paetus n'exercent pas de fonction publique 40. C'est dans les fiches concernant les correspondants, destinataires de recommandations, que le caractre mtrique ou non mtrique des lettres (tel qu'il a t identifi par H. Bornecque) a t mis en vidence au mme titre que adresse des lettres de recommandation.

notas inter se secretiores pacisci quod et Caesar et Augustus et Cicero et alii plerique fecerunt. Cette nota pouvait donner lieu un jeu de mots: M'. Curius demande Cicron de le recommander de la meilleure faon au gouverneur d'Achae en utilisant l'expression de meliore nota, peut-tre d'ailleurs em prunte au vocabulaire du vin, cf. Fam. VII, 29 et commentaire de Tyrell et Purser la lettre n 677. 39 H. Bornecque, qui reconnat que la distinction entre les lettres mtriques et celles qui ne le sont pas est parfois difficile tablir, a quelque peu modifi sa liste dans une autre publication, Les clausules mtriques latines, Lille, 1907. Dans ce livre, il considre par exemple, la page 570, que la recommandation de M. Cluvius Q. Minucius Thermus est mtrique (Fam. XIII, 56). Malgr quel ques modifications de dtail, ses conclusions concernant les lettres de recom mandation ne sont pas transformes. 40 Sur ces deux personnages, cf. fiches des correspondants de Cicron n43 et 31.

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RECOMMANDATIONS, AMIS ET CLIENTS DE CICRON - L'objet des lettres de recommandation

1) La commendatio, la gratia et l'change de services La lettre de recommandation est Rome une des manifestat ions concrtes de l'amiti. C'est au plus clbre de ses amis recom mands, Atticus, que Cicron ddia son trait sur l'Amiti. L'amiti romaine, qui peut tre l'expression d'un sentiment dpourvu d'es prit de profit entre deux tres, est souvent conue comme un change de services, une rciprocit de bons offices 41. La recom mandation place l'change de services entre amis plusieurs ni veaux. Elle est au cur de tout un rseau de relations sociales. Cet teorganisation prive de Yamicitia favorise le dveloppement et le maintien de l'influence de l'homme politique. La recommandation institue une relation nouvelle entre le pro tg de Cicron, celui qui pourrait tre appel le commendatus, parce qu'il est l'objet de la commendatio mais qui n'est jamais dsign ainsi par Cicron, et le destinataire de la lettre. Elle engage la reconnaissance de celui qui est prsent lequel devra manifester sa gratitude l'gard de Cicron. Cicron s'tonne mme parfois de l'hommage rendu par ceux qui n'ont bnfici de sa part que de recommandations mdiocres : incredibile est enim, quas mihi gratias omnes agant, etiam mediocriter a me commendati*2. Elle ren force aussi les liens qui unissent Cicron et son correspondant. Cicron largit le cercle des amis de son correspondant. Il lui fait ainsi raliser un profit, quaestus^. Il offre aussi au destinataire de la lettre un moyen d'entretenir de bonnes relations avec celui qui se permet parfois de rappeler, plus ou moins discrtement, que les services rendus crent des obligations et que l'accueil favorable de la lettre de recommandation peut tre une occasion de manifes41 Cf. J. Hellegouarc'h, Le vocabulaire latin des relations et des partis politi ques Rome sous la Rpublique, Paris, 1963, l'expression concrte de Yamicitia : officium, beneficium, officium, meritum, p. 1 52 sq. Sur Yamicitia en gnral, cf. Cicron, De amicitia; R.Jansen, Doctrine de l'amiti chez Cicron, thse multigraphie, Lille, 1975, n'examine pas l'aspect politique de Yamicitia romaine, sur lequel met l'accent P. A. Brunt, Amicitia in the late Roman Republic, Proc. Camb. Phil. Soc. 11, 1965, p. 1-20; cf. aussi P. A. Brunt, The Fall of the Roman Republic, op. cit., p. 351-381. 42 Fam. XIII, 28. 43 Cf. Fam. XIII, 25 dans laquelle Cicron dit Cassius : en me donnant par ta recommandation M. Fabius comme ami, tu ne me fais raliser aucun profit; car, depuis bien des annes, il fait partie de mon avoir: M. Fabium quod mihi amicum tua commendatione das, nullum in eo facio quaestum; multi enim anni sunt, cum Me in aere meo est. L'expression in aere meo souligne aussi la mtaphore financire.

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ter de la reconnaissance pour ceux-ci. Cicron va jusqu' crire C. Cupiennius qu'il a beaucoup fait pour son pre quand il intro duitsa demande en faveur d'Atticus et de Buthrote. Dans une autre lettre, il affirme Curius que la necessitudo qui le lie Cicron lui impose de montrer autant de dfrence aux amis de Cicron qu'aux siens propres 44. Les bons sentiments rciproques que se portent Cicron et son correspondant trouvent dans la recommand ation moyen de s'exprimer. Il se peut d'ailleurs que Cicron un demande son correspondant de bien faire sentir, par son aide au commendatus, lui-mme objet de l'affection de Cicron, combien il est attach sa personne; c'est ainsi que peut s'interprter la phras e la recommandation de C. Avianius Flaccus : ut Avianius quode niarn se a me amari putat, me a te amari scit 45. Ces trois composantes participent la reprsentation de la recommandation chez Cicron. A la diffrence d'une lettre classi que,lien crit entre celui qui envoie et celui qui reoit, cette lettre particulire cre une relation triangulaire, triangulre Bezie hung, d'aprs F. Lossman46. Elle est donc, pour une tude de la sociabilit prive, plus large de perspectives que la recommandat ion qui prsente une personne une autre en lui demand moderne ant une faveur, mais ne prsuppose pas une amiti entre l'auteur et le destinataire de la lettre. Iulius Victor mettait dj l'accent sur ce caractre spcifique de la recommandation romaine : commendaticias fideliter dato aut ne dato; id fiet si amicissime dabis ad amicissimum47, puisqu'il soulignait que la lettre tait donne un ami trs proche en invoquant l'amiti. Selon la conception romaine, la recommandation, expression de la benevolentia, est gnratrice de gratitude. C'est Fronton qui en donne la meilleure dfinition : on dit que l'habitude de recom mander, commendandi mos, est ne de la benevolentia, quand cha cun voulait faire connatre son propre ami un autre ami et faire natre des bonnes relations entre les deux : quom suum quisque amicum alii amico suo demonstratum conciliatumque vellet48. Il n'est pas rare que Cicron reprenne la mme ide, mais en l'inver sant : c'est parce qu'il connat la benevolentia de son correspondant son gard que Cicron crit par exemple : quia non est obscur a

44 Cf. Ait. XVI, 16 D C. Cupiennius : sptrem tuum plurimum feci et Fam. XIII, 49, Curius : .cum omnes meos aeque ac tuos observare pro necessitudine nostra debeas. 45 Fam. XIII, 75. 46 Cf. F. Lossman, Cicero und Caesar im Jahre 54, Hermes Einzelschr. 17, 1962, p. 14. 47 Iulius Victor, 448, Halm (p. 106). 48 Fronton, ad Amie. 1, 1.

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tua in me benevolentia sic fit, ut multi per me Ubi velini commendar ti et multos ubi commendem necesse est, quoniam omnibus nota nostra necessitudo est tuaque erga me benevolentia 49. La recommandation est associe la gratitude : gratitude de Cicron envers le correspondant, du commendatus l'gard de Cicron ainsi que du destinataire de la lettre. La gratitude Rome n'est pas seulement conue comme un devoir personnel mais com meun devoir social fondamental50. Il est une tradition qui veut que celui qui a reu un beneficium soit gratia obligatus et que celui qui l'a oblig ait droit des officia : nullum enim officium referenda gratia magis necessarium est ou beneficio vinctus ingratus esse non possum51. Selon Publilius Syrus, recevoir un benefi cium, c'est aliner sa libert: beneficium accipere libertatem est vendere et surtout : beneficia donari aut mali out stulti putant , seuls les hommes mauvais ou stupides pensent que les beneficia sont donns sans contrepartie 52. C'est parce que, dans la ralit sociale romaine, les beneficia donnent droit des officia en retour qu'une expression comme : Acilius . . . maximo meo beneficio est est trouve dans la Corres pondance. M. Acilius Caninus a t dfendu deux fois par Cicron au tribunal; il lui doit beaucoup; Cicron peut donc lui envoyer une longue srie de 1 1 lettres de recommandation 53. Mme si les moralistes proclament que l'essence du beneficium est le sentiment d'affection, celui-ci est plus souvent conu comme une sorte d'i nvestissement en vue d'une manifestation concrte de reconnaissanc e. Ces auteurs refusent l'ide de comptabiliser les bienfaits, com me des prts intrts : demus beneficia, non feneramus et : ins crire ses bienfaits sur son livre de comptes (du ct des dpenses) c'est une forme d'usure indigne: turpis feneratio est beneficium expensum ferre54. Cependant certains textes montrent bien qu'on n'hsitait pas recenser les services et que l'change n'tait pas

49 Fam. XIII, 70; Fam. XIII, 71; cf. aussi Fam. XIII, 8 et Fam. XIII, 44. Il arrive aussi d'ailleurs que Cicron affirme qu'il se soumet lui-mme une obli gation de reconnaissance en recommandant quelqu'un : eum Ubi eum com mendo ut homines grati et memores bene meritos de se commendare debent, Fam. XIII, 60. 50 Cf. E. Wistrand, Caesar and Contemporary Roman Society, Acta Regia societatis scientiarum et litterarum Gothoburgensis, Humaniora 15, Gteborg, 1979, p. 11. Sur la gratia, cf. aussi E. Wistrand, Eranos 39, 1941, p. 17-26, G. Moussy, Gratia et sa famille, Paris, 1965 et J. Hellegouarc'h, Vocabulaire, p. 202-208. 51 Cf. Cic. Off. 1, 15, 47 et AU. X, 7, 1. 52 Publilius Syrus, n 61 et 93 d. Duff. 53 Fam. VII, 30, 3. 54 Snque, Ben. 1, 1, 9; 1, 2, 3; cf. aussi 4, 3, 3.

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sans analogie avec les rapports d'un dbiteur et d'un crancier. Dans la recommandation faite pour que Curion prenne en charge la candidature de Milon au consulat, une phrase est particulir ement intressante dans notre perspective: s'il n'y avait entre nous, Curion, que mes bons offices - dont tu te plais proclamer l'importance plus que je n'aime l'valuer - je serais plus rserv dans mes instances, au cas o j'aurais quelque grand service te demander; car lorsqu'on a de la dlicatesse, on ne demande pas volontiers quelque chose de considrable un homme que l'on est ime son oblig : on craint de paratre exiger plutt que solliciter, et considrer ce qu'on demande moins comme un service que comme une chose due55. Dans la morale prive comme dans la morale politique romain e, bienfaits et marques de reconnaissance impliquent ncessaire ment change : beneficium et gratiae relatio ultro citro ire un debent, affirme Snque, qui met l'accent sur la rivalit d'efforts, qualifie d'honestissima contentio, qui fait qu'on cherche dpas ser beneficia offerts par d'autres beneficia 56. Cet change affec les te personnes en cause mais aussi la reconnaissance sociale, les puisque Cicron affirme que le profit du bienfait vient du bnfi ciaire mais aussi de tous les autres : quod autem tributum est bono viro et grato, in eo cum ex ipso fructus est, turn etiam ex ceteris 57. En nous informant sur la rciprocit des services rendus par Cicron, ses correspondants et ses commendati, les lettres de re-

55 Fam. II, 6, 1 : ego si mea in te essent officia solum, Curio -tanta, quanta magis a te ipso praedicari quam a me ponderari soient -verecundius a te, si quae magna res mihi petenda esset, contender em; grave est enim homini pudenti petere aliquid magnum ab eo de quo se bene meritum putet, ne id quod petat exigere magis quam rogare et in mercedis potius quam beneficii loco numerare videatur. trad. L. A. Constans, Correspondance, HI, C.U.F., lettre nCLXXV. Sur les changes de services, cf. l'tude de J. Michel, La gratuit en droit romain, Bruxelles, 1962, spcialement p. 503 sq. o il s'interroge sur la nature des dations rciproques chez les Romains en les comparant d'autres donnes et hnographiques; cf. aussi E. Benveniste, Le vocabulaire des institutions indo-euro pennes,I, Paris, 1969, p. 63 : donner et prendre. C. Feuvrier-Prvotat, Don ner recevoir : remarques sur les pratiques d'changes dans le de Officiis de et Cicron, Dialogues d'histoire ancienne, 11, 1985, p. 257-290. Sur l'interprtation des cadeaux en termes d'obligations de contrepartie en retour, cf. G. Mac Cormack, Gift, debt, obligation and the real contracts, Labeo 31, 1985, p. 131-154. 56 Snque, Ben. 5, 11, 1 et 1, 4, 4: Ad hanc honestissimam contentionem beneficiis beneficia vincendi . Sur le beneficium, cf. J. Hellegouarc'h, Vocabul aire, 163-169. Sur le discours de la rciprocit, cf. M. Corbier, Le discours du p. prince d'aprs une inscription de Banasa, Ktma 2, 1977, p. 211-232. 57 Cicron, Off. 2, 18, 63. Sur le de Officiis de Cicron, cf. l'importante tu de de P. Fedeli, // de officiis di Cicerone. Problemi e atteggiamenti della critica moderna, ANRW, I, 4, 1973, p. 357-427.

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RECOMMANDATIONS, AMIS ET CLIENTS DE CICRON

commandation de Cicron sont rvlatrices de sa sphre d'influenc e, gratia entendue comme le crdit qu'il a pu accumuler par de sa ses bons offices. Le principe de rciprocit transforme des rela tions qui pourraient n'tre qu'occasionnelles en relations durables fondes sur la reconnaissance. L'obligation de restituer plus ou moins long terme est lie une stratgie qui permet d'accumuler un capital d'honneur et de prestige qu'il est possible de qualifier de capital symbolique58. Ce crdit d'honorabilit, difficile mesur er, renforce un rseau de relations tenu grce l'ensemble des tmoignages de gratitude, des actes de reconnaissance, des manif estations d'hommage et de respect. Il peut tre mobilis dans tou tes sortes de circonstances. La gratia ainsi comprise est un lment essentiel du pouvoir politique 59. 2) La commendatio et l'introduction dans un rseau d'amitis Une anecdote plaisante de Macrobe met bien en vidence l'acte de prsentation qu'est la recommandation. Il mentionne en effet la rponse que fit un jour Auguste un de ses nomenclateurs, la mmoire particulirement dfaillante, qui lui demandait s'il avait des commissions pour le Forum. Auguste lui proposa une recom mandation pour qu'il puisse y tre introduit parce qu'il n'y connaissait personne : accipe, inquit, commendaticias quia illic neminem nostt60. Les pistolographes grecs dfinissaient la recommandation en mettant l'accent sur le lien nouveau et sur la prsentation logieuse de quelqu'un quelqu'un d'autre : commendaticius est, quum pro alio ad alium scribimus, adiecta laude simul et qui prius ignotus fuerat in alicuius notitiam deducentes (le pseudo-Demtrius de Phalre)61. En complment, une phrase extraite d'une des lettres de recommandation de Cicron peut tre ajoute. L'introduction n'est pas seule en cause, la manire dont on est introduit a autant d'im portance, dit-il, car dans toute nouvelle relation, le premier 58 P. Bourdieu, Le sens pratique, Paris, 1980, p. 191-208 : le capital symboli que aussi p. 209-232 : les modes de domination. ; cf. 59 Cf. G. Moussy, Gratia et sa famille, p. 375. L'expression vir gratiosus signifie, chez Cicron, l'homme qui a rendu beaucoup de services et qui peut esprer en change une aide importante dans toutes sortes de domaines par des officia, cf. par exemple Plane. 47 : ut ego doceo gratiosum esse in sua tribu Plancium, quod multis benigne fecerit, pro multis spoponderit, in operas plurimos patris auctoritate et gratia misent, quod denique omnibus offidis per se, per patrem, per maiores suos totam Atinatem praefecturam comprehenderit ... . 60 Macrobe, Sat. 2, 4, 15. 61 Cf. Hercher, Epistolographi greci, p. 2 (traduction latine).

LES LETTRES DE RECOMMANDATION ET LES RELATIONS DE CICRON

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contact et la recommandation qui ouvrent les portes de l'amiti ont beaucoup d'importance. L'image de la recommandation comme porte de l'amiti est particulirement intressante : sed tarnen in omnibus novis coniunctionibus interest, qualis primus aditus sit et qua commendatione quasi amicitiae fores aperiantur62. Nous som mes en effet dans une socit de contact direct, de face face. Le contact avec celui qui possde l'autorit se fait sur une base per sonnelle. L'accs priv, aditus, auprs de celui qui exerce le pou voir politique est mme l'objet, comme nous le reverrons, d'une trs forte contrainte sociale. V aditus utilisait en priorit la saluta no matinale et nous savons que la disposition de la maison romaine avait t conue pour permettre l'accs des amis et des clients. La recommandation peut fournir l'occasion de renouer de vieilles amitis mais aussi de renforcer des liens. Cicron promit un jour un des destinataires de recommandations qui s'tait, dans d'autres circonstances, montr complaisant son gard, que son amiti lui procurerait plaisir et profit : s ullam in amicitia mea spem habes . . . et ipse spondeo . . . ex mea amicitia et ex tuo in me officio maximum te fructum summamque voluptatem esse capturum 63. La tradition romaine veut, semble-t-il, que la recommand ation le seul lien qui reste quand toute autre relation est rom soit pue entre deux anciens amis. Cicron crit en 61 C. Antonius, qui avait t son collgue au consulat de 63, qu'il a dcid de ne plus lui envoyer que des lettres de recommandation : etsi statueram nullas ad te litteras mittere nisi commendaticias, parce qu'il ne veut pas montrer ceux qui le sollicitent qu'il y ait pu avoir un quelconque refroidissement dans leurs rapports 64. La recommandation efface aussi, en principe, toute trace d'inimicitia entre le commendatus et le destinataire de la lettre. Quand Cicron essaie, en 44, d'intresser C. Ateius Capito la cau se d'Atticus et des habitants de Buthrote, il lui demande d'oublier que, dans un procs, Atticus avait soutenu un ami contre C. Ateius Capito lui-mme 65. Tout aussi remarquable, dans cette perspective, est la rponse que Cicron fit Papirius Paetus, propos d'une recommandation si pressante que Cicron se montrait dispos lui

62 Fam. XIII, 10, 4 (recommandation de M. Terentius Varr M. Iunius Brutus). 63 Fam. XIII, 50, M. Acilius, dont les amis avaient dj de l'affection pour Cicron : si me a tuis omnibus amari vides. 64 Fam. V, 5, 1 : .non quo eas intellegerem satis apud te valere sed ne Us, qui me rogarent, aliquid de nostra coniunctione imminutum esse ostenderem . 65 Att. XVI, 16 C : obliviscere mea causa, illum aliquando suo familiari, adversario tuo, voluisse consultum, quum illius existimatio ageretur. Hoc primum ignoscere est humanitatis tuae; suos enim quisque dbet tueri .

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rendre service mme si le commendatus de Paetus lui avait fait du tort : Rufum istum, amicum tuum, de quo iterum iam ad me scribis, adiuvarem quantum possem, edam si ab eo laesus essem 66. Dans cette perspective, mme des fautes politiques graves pou vaient tre pardonnes. Au moment des guerres civiles, les chefs espagnols qui avaient t pompiens, cherchrent, parmi leurs re lations, ceux qui, par leur recommandation, leur permettraient d'avoir un accs, aditus, auprs de Csar 67. Comme il s'agit de crer une relation nouvelle, la recommand ation concerne pas, en principe, ceux qui sont dj associs ne d'une manire ou d'une autre avec le correspondant. Quand M. Iunius Brutus s'adresse Cicron pour solliciter un sacerdoce pour trois candidats, la prsentation de la demande bnficie d'un tra itement diffrent : Domitius et Apuleius n'ont pas besoin d'tr