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Éloi LAURENT (OFCE/Sciences-po) [email protected] Université d’été “Le capitalisme en crises” Université de Montréal, 1 er juillet 2010. Un capitalisme durable est-il possible ? « Croissance verte », indicateurs de soutenabilité, justice environnementale

Éloi LAURENT (OFCE/Sciences-po) [email protected] Université dété Le capitalisme en crises Université de Montréal, 1 er juillet 2010. Un capitalisme

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Éloi LAURENT (OFCE/Sciences-po)

[email protected]

Université d’été “Le capitalisme en crises”Université de Montréal, 1er juillet 2010.

Un capitalisme durable est-il possible ? « Croissance verte », indicateurs de soutenabilité, justice environnementale

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Problématiques

Les trois âges de l’écologie ;

« Croissance verte » ? « Emplois verts » ? « Economie verte » ? ;

Mesurer c’est agir : au-delà du PIB, de nouveaux indicateurs de développement ;

La « nouvelle écologie politique » ;

La justice environnementale et les inégalités environnementales ;

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Les trois âges de l’écologie

Les termes « croissance verte » et « emplois verts » se sont imposés dans le débat public mondial à la faveur de la publication par le programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) et le Bureau International du travail (BIT), à l’automne 2008, du rapport Green Jobs: Towards decent work in a sustainable, low-carbon world (Emplois verts : vers le travail décent dans un monde bas carbone soutenable). Ce rapport marque l’entrée résolue des pays développés et émergents dans le troisième âge, économique, de l’écologie.

Dans la période contemporaine, la préoccupation environnementale s’est en effet d’abord cristallisée dans un âge mystique, de la publication de Nature en 1836 par le philosophe Ralph Waldo Emerson jusqu’au combat de John Muir, épaulé par le Président Théodore Roosevelt, pour la création des premiers parcs nationaux aux Etats-Unis dans le cadre du mouvement  « conservationiste », dont les racines étaient européennes.

Le deuxième âge de l’écologie, l’âge civique, se développa également aux Etats-Unis, à partir de la publication de Silent Spring par Rachel Carson en 1962, pamphlet contre l’usage du DDT, interdit dix ans plus tard sur le territoire américain.

L’avènement de l’âge économique de l’écologie peut être situé au début des années 1990, lorsque les gouvernements des pays développés ont réalisé qu’ils devraient réduire leurs émissions de gaz à effet de serre pour contrer la menace du changement climatique. Ce nouvel âge est parvenu à maturité à l’automne 2008, dans le contexte de la crise globale, lorsque le PNUE a lancé l’idée de sa « nouvelle donne verte » (« Green New Deal ») destinée à relancer, mais aussi et surtout à changer les économies.

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La nouvelle donne verte (« Green new deal »)

Le principe de la « nouvelle donne verte », repris depuis lors notamment par l’OCDE, est le suivant : la crise globale fournit l’occasion d’accélérer la transition structurelle des économies vers une croissance faiblement intensive en carbone.

Le PNUE a ainsi appelé les Etats depuis septembre 2008 à investir dans l’efficacité énergétique, à développer les énergies renouvelables, à mettre en œuvre de nouveaux modes de transport (véhicules hybrides, trains à grande vitesse) ou encore à favoriser l’agriculture soutenable ;

L’organisation s’est également livrée à une comptabilité « verte » des politiques de relance, classant les pays développés et émergents selon la nature des investissements promus dans leur politique budgétaire.

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Source : HSBC, PNUE.

La « nouvelle donne verte »

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La nouvelle donne verte (« Green new deal »)

En dépit de cette comptabilité apparemment précise et plus généralement de la qualité des documents produits par le PNUE pour cerner « l’économie verte », un flou assez grand demeure sur les notions et les politiques que l’organisation entend promouvoir ;

Le PNUE lui-même a donné différentes définitions du périmètre de la croissance verte, ce qui appelle une question simple : que recouvre précisément la « croissance verte », de même que la notion voisine « d’emplois verts » ?

Comment s’engager non seulement dans la voie d’une nouvelle croissance économique mais surtout d’un nouveau mode de développement ?

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« Croissance verte » ? Différentes définitions, plus ou moins extensibles, de la « croissance verte » et des

« emplois verts » coexistent aujourd’hui. Selon l’OCDE, « la croissance verte est la voie à suivre pour passer de l’économie actuelle à une économie durable. Elle consiste à promouvoir la croissance et le développement tout en réduisant la pollution et les émissions de gaz à effet de serre, en limitant le plus possible la production de déchets et le gaspillage des ressources naturelles, en préservant la biodiversité et en renforçant la sécurité énergétique… la croissance verte implique de faire de l’investissement environnemental une nouvelle source de croissance économique. »

Mais pour le Ministère de l’écologie français par exemple, la « croissance verte » est une notion beaucoup plus large, une « économie qui, à long terme, utilise moins ou mieux la ressource énergétique et les matières premières non renouvelables et qui émet beaucoup moins de gaz à effet de serre ; qui privilégie les écotechnologies (l’ensemble des technologies dont l’emploi est moins néfaste pour l’environnement que le recours aux techniques habituelles répondant aux mêmes besoins) ; qui pratique la production et la consommation responsables, pense les productions en termes de cycle de vie ; où les transports sont raisonnés, les villes durables, les territoires pensés et gérés globalement selon un mode de développement durable ; qui protège et rétablit les services écosystémiques rendus par l’eau, les sols, la biodiversité ; qui met les hommes et les femmes au centre de l’entreprise et du projet social ; qui promeut la participation de chacun à la décision et s’enrichit de la différence ; qui respecte les cultures, les patrimoines ; qui évalue les effets des décisions sur les générations futures. »

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« Emplois verts » ?

Le Rapport du PNUE et du BIT de 2008 définit les emplois verts comme des emplois qui réduisent l’impact sur l’environnement des entreprises et des secteurs économiques, pour le ramener à des niveaux viables. Les « emplois verts » sont ainsi des emplois dans l’agriculture, l’industrie, les services et l’administration qui contribuent à la préservation ou au rétablissement de la qualité de l’environnent. Le rapport précise : « on trouve des emplois verts dans un grand nombre de secteurs de l’économie, depuis l’approvisionnement énergétique jusqu’au recyclage et depuis l’agriculture jusqu’à la construction et les transports. Ils contribuent à diminuer la consommation d’énergie, de matières premières et d’eau grâce à des stratégies d’amélioration du rendement, à réduire les émissions de carbone dans l’économie, à minimiser ou à éviter totalement toutes les formes de déchets et de pollution et à protéger et restaurer les écosystèmes et la biodiversité. »

C’est cette acception qui est privilégiée par Eurostat (2009) dans son rapport sur « les biens et services environnementaux », définis comme un ensemble hétérogène de production de technologies, de biens et de services qui empêchent ou réduisent la pollution et minimise l’usage des ressources naturelles. Les activités environnementales sont regroupées en deux grandes catégories : la protection de l’environnement et la gestion des ressources naturelles.

Les emplois verts, qui ne sont pas explicitement définis par Eurostat, seraient dans cette optique des emplois environnementaux au sens où ils relèveraient de l’un ou l’autre de ces secteurs d’activité. La « croissance verte », de même, serait la croissance de ces activités environnementales également appelées « éco-industries ».

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« Emplois verts » ?

On perçoit dès lors que le caractère parfois vague des notions de « croissance verte » et « d’emplois verts » ne vient pas de leur caractère évanescent mais de leur aspect dynamique : il s’agit à la fois de développer de nouveaux secteurs de production de biens et services environnementaux, mais aussi de « verdir » les secteurs existants à mesure que s’imposent les nouveaux impératifs écologiques (lutte contre le changement climatique, préservation des écosystèmes et de la biodiversité), notamment par la « dé-carbonisation » (en réduisant l’usage du carbone contenu dans les énergies fossiles) et plus généralement d’améliorer leur gestion des ressources naturelles.

De même, le périmètre des « emplois verts » doit prendre en compte les effets induits du développement de ces secteurs sur le reste de l’économie. GHK et al. (2007) estiment ainsi que le total des emplois dans les éco-industries dans l’UE 27 atteint 4,6 millions en 2000, divisés en 2,4 millions d’emplois directs, 1,3 millions d’emplois indirects et 0,9 millions d’emplois induits (c'est-à-dire dépendant des ressources investies dans les emplois directs et indirects).

Si on étend la définition des éco-industries, au-delà de la définition d’Eurostat, aux activités qui dépendent de ressources environnementales (comme l’agriculture, l’exploitation des forêts ou l’éco-tourisme), le total atteint plus de 10% de l’emploi dans l’Europe des 27, et même 17% si les emplois indirects et induits sont ajoutés. Selon cette comptabilité large, 1 emploi sur 6 en Europe serait plus ou moins « vert ».

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Source : GHK, 2007.

« Emplois verts »

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Les “emplois verts” : transports et bâtiment

Source: Nations Unies et BIT (2008)

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Les “emplois verts” : l’énergie renouvelable

Source: Nations Unies et BIT (2008)

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Les “emplois verts”: l’Allemagne

Source: Nations Unies et BIT (2008)

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Vers un capitalisme durable ?

Mais on peut, et à vrai dire on doit, pousser plus loin le raisonnement. Ne s’agit-il pas plus fondamentalement de changer de mode de développement et pas seulement de revigorer la croissance du PIB et de l’emploi ? Dès lors, les critères du « vert » ne doivent-ils pas être élargis pour faire droit à de nouvelles exigences inspirées par le développement durable, à commencer par l’amélioration du bien-être individuel et la justice sociale ?

C’est pourquoi, selon la large définition du PNUE, une « économie verte est une économie dans laquelle les liens vitaux entre l’économie, la société et l’environnement sont pris en considération et dans laquelle la transformation des processus de production et des structures de consommation et de production, tout en contribuant à réduire la quantité par unité produite de déchets, de pollution et d’usage des ressources, matériaux, énergie revitalisera et diversifiera l’économie, en créant de nouvelles opportunité d’emplois décents (« le travail décent résume les aspirations des êtres humains au travail - leurs aspirations à accéder à un emploi et à une juste rémunération, à jouir de droits, de moyens d‘expression et de reconnaissance, de justice et d’égalité entre les sexes. ») promouvant le commerce soutenable, réduisant la pauvreté, améliorant l’équité et la distribution du revenu ».

Le Rapport Brundtland (1987) a en effet défini le développement durable comme « un développement qui répond aux besoins des générations du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ». Les dimensions sociale et environnementale sont donc bien imbriquées dans la notion de développement durable.

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Vers un capitalisme durable ?

Il convient dès lors de distinguer deux exigences, la « croissance verte » et le « développement durable ».

La première vise à développer des secteurs de l’économie qui, tout en créant de l’emploi, peuvent limiter l’impact des activités humaines sur l’environnement (climat, écosystèmes, biodiversité).

La seconde, plus ambitieuse, consiste à redéfinir la notion même de développement en insistant davantage sur sa dimension humaine (soutenabilité environnementale, égalité, santé, éducation) pour dépasser la seule dimension économique (croissance du PIB par habitant).

Dans la première optique, il faudra que la puissance publique donne un prix au carbone, favorise le financement de l’innovation et la recherche à visée écologique et investisse dans la formation pour permettre le développement des métiers de l’écologie.

Dans la seconde optique, il faudra aussi développer de nouveaux indicateurs de pilotage de l’action publique centrés sur le bien-être individuel et social, mettre en œuvre des politiques « social-écologiques » qui articulent les dimensions sociale et environnementale et poser clairement la question des inégalités environnementales.

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Les indicateurs de soutenabilité

Le Rapport sur le développement humain des Nations Unies de 1990 a marqué, à partir des travaux d’Amartya Sen, un renouveau dans la conception du développement : « Ce que nous appelons développement humain est le processus qui élargit l'éventail des possibilités offertes aux individus : vivre longtemps et en bonne santé, être instruit et disposer de ressources permettant un niveau de vie convenable, sont des exigences fondamentales ; s'y ajoutent la liberté politique, la jouissance des droits de l'homme et le respect de soi. ». Sen résume cette approche en une superbe formule qui définit le développement « comme un processus d’expansion des libertés réelles dont jouissent les individus ».

De ces réflexions sont nés trois indicateurs principaux de « développement humain » : l’indice de développement humain (IDH, qui repose sur trois dimensions : l’espérance de vie, l’éducation et le revenu par habitant) ; l’indice de développement humain lié au genre (qui ajoute à l’IDH les inégalités entre hommes et femmes) ; enfin l’indice de pauvreté humaine (qui mesure la pauvreté non pas sous forme monétaire, mais selon les dimensions de l’IDH).

Mais ces indicateurs ont d’abord été construits pour mesure les progrès des pays en développement, et demeurent, en tout cas pour le principal d’entre eux, l’IDH, trop corrélé au PIB. Il s’agit donc à présent de poursuivre la réflexion en améliorant notre compréhension du progrès humain et en proposant de nouveaux indicateurs pour les pays développés.

Le Rapport Stiglitz-Sen-Fitoussi (2009) dessine pour ce faire trois directions. Une première voie consiste à modifier le cadre comptable existant pour qu’il prenne mieux en compte les évolutions de l’économie et de la société : inégalités, sécurité, services publics (santé, éducation, etc.). Un certain nombre de phénomènes qui déterminent le bien-être des populations n’étant pas mesurés par notre appareil statistique, pour l’essentiel ceux relatifs à l’environnement (qualité de l’air, de l’eau, etc.), une seconde direction de recherche consiste à tenter d’en proposer des mesures acceptables. Enfin, nous ne disposons pas vraiment d’indicateurs de la qualité de la vie, même si de nombreux travaux s’y sont essayés (bonheur, « capabilités », loisir, libertés, participation à la vie de la cité, etc.).

Ces trois directions se recoupent en de nombreux aspects et définissent le champ de recherche qui s’ouvre pour les décennies à venir dans le but de parvenir à une redéfinition des instruments de l’action publique.

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Ethique de la soutenabilité

Un autre levier d’action vers ce nouveau mode de développement consiste à redéfinir non seulement les indicateurs, mais la philosophie des politiques publiques en matière d’environnement.

L’approche économique standard des questions d’environnement, qui met logiquement l’accent sur les instruments économiques (taxes, marchés de permis d’émissions, réglementation), révèle en effet que la « science de l’efficacité » sur laquelle elle repose (le calcul coûts-bénéfices), qui se voudrait autonome, est en fait lourdement tributaire de considérations éthiques.

Le calcul du taux d’actualisation social dont dépendent par exemple les résultats les plus déterminants des modèles de simulation du changement climatique n’a rien de neutre : il suppose des choix précis en matière de justice entre les générations et au sein de celles-ci (égalité inter-générationnelle et intra-générationnelle).

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La « nouvelle écologie politique »

L’approche de la « nouvelle écologie politique » (Fitoussi et Laurent, 2008) vise précisément à rendre explicite le lien entre écologie et inégalités, entre question sociale et impératif écologique, qui est inscrit au cœur de la problématique du développement durable. Elle propose de réserver la première place au principe de justice dans les débats environnementaux.

Le lien entre justice sociale et écologie a en effet un sens théorique et empirique simple : les inégalités sociales sont parmi les causes les plus importantes des problèmes environnementaux contemporains tandis que les problèmes environnementaux contemporains affectent avant tout les plus démunis dans toutes les sociétés humaines (Laurent, 2009).

L’étude des rapports entre démocratie et soutenabilité, les liens entre pauvreté et dégradations environnementales, la correspondance entre montée des inégalités de revenu et affaiblissement des politiques environnementales, doit donc être approfondie.

La question des « inégalités environnementales » est en particulier pressante.

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La justice environnementale

La pauvreté et les inégalités de revenu jouent un rôle déterminant dans les crises écologiques contemporaines. Mais ces inégalités de revenu et de pouvoir sont déjà cristallisées sous la forme de nouvelles inégalités, procédant des inégalités sociales mais relevant d’une nouvelle grille d’analyse : les inégalités environnementales. Afin d’en prendre la mesure, il convient de procéder à un bref rappel de la notion de justice environnementale.

Même si elle est apparue comme une préoccupation publique dès 1820 2 la notion de «justice environnementale» est vraiment née aux États-Unis à la fin des années 1970, dans le contexte du progrès racial et de l'activisme civique pour désigner à la fois les inégalités dans l’exposition aux risques environnementaux (pollutions, déchets, inondations) et la mise à l’écart des minorités raciales, en particulier des Africains-Américains, des Hispaniques et des Indiens, dans la conception et la mise en œuvre des politiques environnementales. Il s’agissait notamment alors de dénoncer la pratique visant à déverser des déchets chimiques toxiques dans les quartiers africains-américains pauvres.

L'épisode déterminant du mouvement en faveur de la justice environnementale est intervenu dans le comté de Warren, en 1982, lorsque les résidents africains-américains de ce district de la Caroline du Nord s'opposèrent à la construction d'une décharge de déchets toxiques à proximité de leur lieu de résidence. Cette protestation a déclenché la mise en œuvre d’une enquête publique dans d'autres communautés du Sud à propos des situations similaires puis la publication d'un rapport fédéral en 1987 explicitement intitulé « Déchets toxiques et race aux Etats-Unis », première étude empirique visant à documenter à une échelle nationale le lien entre race (au sens américain) et caractéristiques sociales des communautés à proximité de sites de déchets toxiques (l'étude a conclu que les non-Blancs étaient beaucoup plus exposés aux dangers environnementaux que les Blancs).

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Les inégalités environnementales

Les inégalités d’exposition et d’accès : cette catégorie désigne la répartition inégale de la qualité de l'environnement entre les individus et les groupes. Il peut s’agir soit d’une définition négative (l’exposition à des impacts environnementaux néfastes) soit d’une définition positive (l’accès à des aménités environnementales telles que les espaces verts et les paysages) ; dans cette catégorie d’inégalités est incluse la question de la vulnérabilité aux catastrophes social-écologiques et le risque d’effet cumulatif des inégalités sociales et environnementales, les inégalités environnementales n’étant ni indépendantes les unes des autres ni indépendantes des autres inégalités sociales (revenu, statut social, etc.)  ;

Les inégalités de participation aux politiques publiques : il s’agit de l'accès inégal à la définition des politiques environnementales qui déterminent les choix touchant à l’environnement des individus.

Les inégalités distributives des politiques environnementales : il s’agit de l’inégal effet des politiques environnementales selon la catégorie sociale, notamment l’inégale répartition des effets des politiques fiscales ou réglementaires entre les individus et les groupes selon leur place dans l’échelle des revenus ; : Les différentes catégories sociales n’ont en effet pas le même impact sur l'environnement ; certains chercheurs qualifient cette catégorie « d’inégalités écologiques » (voir Emelianoff, 2006) ;

Les inégalités de participation aux politiques publiques : il s’agit de l'accès inégal à la définition des politiques environnementales qui déterminent les choix touchant à l’environnement des individus.