2
Gastroentérologie Clinique et Biologique (2010) 34, e17—e18 LETTRE À LA RÉDACTION Embolie gazeuse veineuse massive mortelle au cours d’une endoscopie biliaire Fatal venous air embolism during biliary endo- scopy Introduction De nombreuses observations ont décrit la survenue d’une embolie gazeuse portale après une endoscopie digestive [1]. Nous rapportons le cas rare d’une embolie gazeuse pulmo- naire après une endoscopie digestive. Une malade âgée de 78 ans était hospitalisée en sep- tembre 2008 pour le traitement d’une lithiase biliaire en amont d’une sténose d’une anastomose biliodigestive. Dans ses antécédents, on notait une pancréatite aiguë en sep- tembre 2005 qui avait conduit à mettre en évidence une tumeur intercanalaire papillaire et mucineuse du pancréas (TIPMP) céphalique des canaux secondaires avec présence de nodules muraux suspects de malignité. Il n’existait aucune comorbidité contre-indiquant une exérèse. Une duo- dénopancréatectomie céphalique avait été effectuée en novembre 2005. L’anastomose pancréatique avait été faite avec la face postérieure de l’estomac. L’anastomose biliodi- gestive avait été faite sur une anse montée, au fil PDS 5/0 au niveau de la partie basse du canal hépatique, après avoir refendu verticalement la face antérieure du canal hépa- tique. Les suites opératoires avaient été compliquées d’une gastroparésie et d’une fistule de l’anastomose pancréati- cogastrique traitée médicalement, le traitement consistant en une nutrition par sonde nasojéjunale et la prescription d’antibiotiques. Elle avait regagné son domicile un mois après l’intervention. L’examen anatomopathologique avait confirmé la TIPMP des canaux secondaires de la tête du pancréas avec présence de foyers de carcinome in situ. La malade avait été régulièrement suivie cliniquement et par échographie, sans aucune anomalie détectée. Depuis novembre 2007, elle décrivait des épisodes douloureux intermittents de l’hypochondre droit et des frissons évoca- teurs d’accès d’angiocholite. Le bilan biologique hépatique montrait une cholestase anictérique avec des phosphatases alcalines à six fois la limite supérieure de la normale (N) et la gamma glutamyltransférase à 7 N. L’échographie montrait une dilatation des voies biliaires et une image hyperécho- gène avec cône d’ombre sus-anastomotique, évocatrice de calcul ce que confirmait la cholangiographie par résonance magnétique. La taille du calcul était évaluée à 12 mm. Une endoscopie haute avec un appareil à vision axiale permettait d’atteindre l’anastomose biliodigestive qui était sténosée (diamètre inférieur à 3 mm). La mise en place d’un cathéter d’opacification montrait un calcul, situé juste en amont de l’anastomose. La malade était adressée en milieu chirurgical pour la prise en charge de cette lithiase. Le bilan anesthé- sique ne montrait aucune contre-indication à un traitement endoscopique ou chirurgical. Une cholangiographie rétro- grade endoscopique en décubitus dorsal, malade intubée et ventilée était débutée, à l’aide d’un gastroscope à vision axiale. L’anastomose biliodigestive était atteinte facile- ment en passant par l’anse afférente, 10 à 15 cm au-delà de l’anastomose gastrojéjunale. L’anastomose biliodiges- tive était effectivement sténosée avec un calibre admettant juste le cathéter d’opacification qui butait sur un obstacle calculeux avec rétrodilatation des voies biliaires d’amont. Un fil guide Térumo ® était glissé en amont du calcul dans les voies biliaires intrahépatiques droites et une dilatation hydrostatique était effectuée à l’aide d’un ballonnet max force Microvasive ® de 8 mm, le pôle supérieur du ballonnet butant sur l’obstacle calculeux qui gênait un bon posi- tionnement du ballonnet. La dilatation ne permettait pas d’obtenir un calibre supérieur à 5 mm. Le geste était compli- qué d’un très minime saignement sans déchirure notable. Cette dilatation permettait cependant de voir le calcul. Un premier épisode de désaturation en oxygène condui- sait à arrêter l’insufflation et à aspirer l’air intestinal. La reprise de l’insufflation pour effectuer une nouvelle dilata- tion était interrompue par la survenue d’un nouvel épisode de désaturation en oxygène, avec disparition du CO 2 dans le gaz expiré alors que la sonde d’intubation était en bonne place puis apparaissait une inefficacité circulatoire avec dissociation électromécanique fatale. L’examen écho- cardiographique transthoracique ne montrait pas d’images gazeuses intracardiaques visibles. Une origine embolique était néanmoins fortement suspectée. L’autopsie pratiquée le lendemain a comporté, après l’ouverture de la paroi thoracique, un examen échocardiographique montrant la 0399-8320/$ – see front matter © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.gcb.2009.12.006

Embolie gazeuse veineuse massive mortelle au cours d’une endoscopie biliaire

  • Upload
    b

  • View
    214

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Embolie gazeuse veineuse massive mortelle au cours d’une endoscopie biliaire

Gastroentérologie Clinique et Biologique (2010) 34, e17—e18

LETTRE À LA RÉDACTION

lugcmed(dlpsegvamdtjcUlhfbtdqCUsrtdlbac

Embolie gazeuse veineuse massive mortelle aucours d’une endoscopie biliaire

Fatal venous air embolism during biliary endo-scopy

Introduction

De nombreuses observations ont décrit la survenue d’uneembolie gazeuse portale après une endoscopie digestive [1].Nous rapportons le cas rare d’une embolie gazeuse pulmo-naire après une endoscopie digestive.

Une malade âgée de 78 ans était hospitalisée en sep-tembre 2008 pour le traitement d’une lithiase biliaire enamont d’une sténose d’une anastomose biliodigestive. Dansses antécédents, on notait une pancréatite aiguë en sep-tembre 2005 qui avait conduit à mettre en évidence unetumeur intercanalaire papillaire et mucineuse du pancréas(TIPMP) céphalique des canaux secondaires avec présencede nodules muraux suspects de malignité. Il n’existaitaucune comorbidité contre-indiquant une exérèse. Une duo-dénopancréatectomie céphalique avait été effectuée ennovembre 2005. L’anastomose pancréatique avait été faiteavec la face postérieure de l’estomac. L’anastomose biliodi-gestive avait été faite sur une anse montée, au fil PDS 5/0 auniveau de la partie basse du canal hépatique, après avoirrefendu verticalement la face antérieure du canal hépa-tique. Les suites opératoires avaient été compliquées d’unegastroparésie et d’une fistule de l’anastomose pancréati-cogastrique traitée médicalement, le traitement consistanten une nutrition par sonde nasojéjunale et la prescriptiond’antibiotiques. Elle avait regagné son domicile un moisaprès l’intervention. L’examen anatomopathologique avaitconfirmé la TIPMP des canaux secondaires de la tête dupancréas avec présence de foyers de carcinome in situ.La malade avait été régulièrement suivie cliniquement etpar échographie, sans aucune anomalie détectée. Depuisnovembre 2007, elle décrivait des épisodes douloureux

intermittents de l’hypochondre droit et des frissons évoca-teurs d’accès d’angiocholite. Le bilan biologique hépatiquemontrait une cholestase anictérique avec des phosphatasesalcalines à six fois la limite supérieure de la normale (N) et

gélt

0399-8320/$ – see front matter © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits rdoi:10.1016/j.gcb.2009.12.006

a gamma glutamyltransférase à 7 N. L’échographie montraitne dilatation des voies biliaires et une image hyperécho-ène avec cône d’ombre sus-anastomotique, évocatrice dealcul ce que confirmait la cholangiographie par résonanceagnétique. La taille du calcul était évaluée à 12 mm. Une

ndoscopie haute avec un appareil à vision axiale permettait’atteindre l’anastomose biliodigestive qui était sténoséediamètre inférieur à 3 mm). La mise en place d’un cathéter’opacification montrait un calcul, situé juste en amont de’anastomose. La malade était adressée en milieu chirurgicalour la prise en charge de cette lithiase. Le bilan anesthé-ique ne montrait aucune contre-indication à un traitementndoscopique ou chirurgical. Une cholangiographie rétro-rade endoscopique en décubitus dorsal, malade intubée etentilée était débutée, à l’aide d’un gastroscope à visionxiale. L’anastomose biliodigestive était atteinte facile-ent en passant par l’anse afférente, 10 à 15 cm au-delàe l’anastomose gastrojéjunale. L’anastomose biliodiges-ive était effectivement sténosée avec un calibre admettantuste le cathéter d’opacification qui butait sur un obstaclealculeux avec rétrodilatation des voies biliaires d’amont.n fil guide Térumo® était glissé en amont du calcul dans

es voies biliaires intrahépatiques droites et une dilatationydrostatique était effectuée à l’aide d’un ballonnet maxorce Microvasive® de 8 mm, le pôle supérieur du ballonnetutant sur l’obstacle calculeux qui gênait un bon posi-ionnement du ballonnet. La dilatation ne permettait pas’obtenir un calibre supérieur à 5 mm. Le geste était compli-ué d’un très minime saignement sans déchirure notable.ette dilatation permettait cependant de voir le calcul.n premier épisode de désaturation en oxygène condui-ait à arrêter l’insufflation et à aspirer l’air intestinal. Laeprise de l’insufflation pour effectuer une nouvelle dilata-ion était interrompue par la survenue d’un nouvel épisodee désaturation en oxygène, avec disparition du CO2 danse gaz expiré alors que la sonde d’intubation était enonne place puis apparaissait une inefficacité circulatoirevec dissociation électromécanique fatale. L’examen écho-ardiographique transthoracique ne montrait pas d’images

azeuses intracardiaques visibles. Une origine emboliquetait néanmoins fortement suspectée. L’autopsie pratiquéee lendemain a comporté, après l’ouverture de la paroihoracique, un examen échocardiographique montrant la

éservés.

Page 2: Embolie gazeuse veineuse massive mortelle au cours d’une endoscopie biliaire

e

pte

D

AgSpocndt[9rubdmdapshlOolcss[dpiflodg

êguvllgt

cLemtdp

C

A

R

[

[

[

[

[

[

[

18

résence d’une grande quantité de bulles d’air dans les cavi-és cardiaques droites. L’examen autopsique a confirmé unembolie gazeuse massive.

iscussion

près une endoscopie digestive peut survenir une embolieazeuse portale, systémique artérielle ou pulmonaire [1].’il existe de nombreuses observations d’embolie gazeuseortale en particulier après sphinctérotomie biliaire [2],u plus rarement artérielles systémiques et en particulierérébrales [3], la survenue d’une embolie gazeuse pulmo-aire massive est une complication très rare et gravissimee l’endoscopie digestive. Environ 15 cas ont été rappor-és depuis 1966, dont six au cours d’une endoscopie biliaire4,5]. Dans la littérature, le taux de mortalité est d’environ0 %. Une lésion muqueuse digestive est un facteur favo-isant (ulcération spontanée ou iatrogène comme aprèsne sphinctérotomie ou la mise en place d’une prothèseiliaire). Une embolie gazeuse veineuse portale, cardiaqueroite et pulmonaire a été décrite après sphinctéroto-ie biliaire endoscopique suivie de l’extraction d’un calcule la voie biliaire principale [4]. Une anse montée avecnastomose biliodigestive est une circonstance favorisanteouvant mettre en rapport le contenu intestinal riche en air,ans évacuation facile de cet air et la circulation veineuseépatique très proche [5]. Dans cette dernière observation,’abord endoscopique de l’anse montée était transpariétal.n peut rapprocher de ce contexte les embolies veineusesbservées après endoscopie d’anse de Kasai [6]. La réa-isation d’une biopsie hépatique quelques jours avant unholangio-pancréatographie rétrograde endoscopique avecphinctérotomie endoscopique a été jugée en partie respon-able d’une embolie biliaire et gazeuse pulmonaire fatale7]. Dans notre observation, une simple et très incomplèteilatation d’une sténose anastomotique biliodigestive a puermettre le passage d’air dans le système veineux. Unensufflation assez longue sur une anse montée où l’air insuf-é ne pouvait facilement s’échapper, associée à un calculbstructif faisant clapet a pu entraîner une hyperpression’air dans les voies biliaires contribuant à une embolieazeuse massive.

Le diagnostic d’une embolie gazeuse pulmonaire doittre évoqué devant la survenue d’une désaturation en oxy-ène associée à une disparition du CO2 dans l’air expiré et àn collapsus cardiovasculaire avec élévation de la pression

eineuse centrale. L’examen radiographique peut montera présence d’air au niveau des veines hépatiques ou danse cœur droit [4]. L’échocardiographie transthoracique enrande urgence peut monter la présence d’air dans les cavi-és droite. Une désaturation en oxygène inexpliquée doit

Lettre à la rédaction

onduire à envisager l’arrêt de la procédure endoscopique.e traitement de l’embolie pulmonaire gazeuse massive, sille est reconnue ou fortement suspectée, repose sur laise en place en grande urgence d’un cathéter veineux cen-

ral poussé dans les cavités droites pour aspirer l’air. En cas’inefficacité, une ponction à l’aiguille du cœur droit a étéroposée.

onflit d’intérêt

ucun.

éférences

1] Muth CM, Shank ES. Gas embolism. N Engl J Med 2000;342:476—82.

2] Barthet M, Membrini P, Bernard JP, Sahel J. Hepatic portalvenous gas after endoscopic biliary sphincterotomy. GastrointestEndosc 1994;40:261—3.

3] Gottumukkala S, Raju GS, Bendixen BH, Khan J, Summers RW.Cerebrovascular accident during endoscopy: consider cerebralair embolism, a rapidly reversible event with hyperbaric oxygentherapy. Gastrointest Endosc 1998;47:70—3.

4] Kennedy C, Larvin M, Linsell J. Fatal hepatic air embolism fol-lowing ERCP. Gastrointest Endosc 1997;45:187—8.

5] Herron DM, Vernon JK, Gryska PV, Reines HD. Venous gas embo-lism during endoscopy. Surg Endosc 1999;13:276—9.

6] Desmond PV, Mac Mahon RA. Fatal air embolism following endo-scopy after portoenterostomy. Endoscopy 1990;22:236.

7] Siddiqui J, Jaffe PE, Aziz K, Forouhar F, Sheppard R, Covault J,et al. Fatal air and bile embolism after percutaneous liver biopsyand ERCP. Gastrointest Endosc 2005;61:153—7.

F. Mala,∗

A.-D. Chourya

V. De Castrob

C. Christidis a

D. Carbognani c

P. Validired

B. Gayeta

a Département de pathologie digestive, institut mutualisteMontsouris, 75014 Paris, France

b Département d’anesthésie, institut mutualisteMontsouris, 75014 Paris, France

c Département de réanimation, institut mutualisteMontsouris, 75014 Paris, France

d Département d’anatomopathologie, institut mutualisteMontsouris, 75014 Paris, France

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (F. Mal).

Disponible sur Internet le 18 fevrier 2010