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432 RECUEIL 74 (1955) 545.82 : 577.1 EMPLOI DES RAYONNEMENTS, ET EN PARTICULIER DE L'INFRAROUGE, DANS L'IDENTIFICATION DES MOLECULES EN BIOLOGIE PAR MARCEL GUILLOT (Professeur de Physique a la Faculte de Pharmacie de Paris, Pharmacien des Hapitaux) . On trouvera un grand nombre de renseignements techniques utiles sur toutes les methodes dont il est question dans cette conference dam: Physical Methods of Organic Chemistry, vol. I, Part I1 de A. Weiss- berger; Interscience Publishers Inc., New-York, 1949. En ce qu concerne en particulier l'infrarouge, on lira l'article de W. West dans l'ouvrage precedemment indique. p. 1332 a 1371. Sur l'emploi general de l'infrarouge pour l'identification des molecules, on pourra lire la revue d'ensemble de A. Berton, ,,hs spectres infrarouges en biologic et en pharmacie",Annales pharmaceutiques franqaises, 11, 129, (1953). Enfin, l'ouvrage de J. Lecomte, ,,Le Spectre infrarouge", Edit. de la Societe ,,Journal de Physique"; Les Presses universitaires, Paris, 1928, reste classique, bien que deja depasse. Au sujet des methodes d'analyse immediate utilisables, on pourra consulter avec profit le volume V du meme ouvrage de Weissberger, qui a et6 redige par H. G. Cassidy (1951). On trouvera dans ces differentes publications une bibliographie complete de ces questions, bibliographie qui est trop vaste pour que nous puissions la fournir ici. L'importance des methodes physiques appliquees h la biochimie clinique s'est beaucoup accrue dans ces dernikres decades: c'est la continuation d'un mouvement qui est commun h toutes les disciplines de laboratoire depuis une trentaine d'annees, mais qui est particulikre- ment sensible dans celui qui nous intkresse ici. La physionomie de la biochimie medicale se modifie chaque jour, et meme, quand on ne prend en consideration que le travail de routine strictement applicable h la clinique, on est frappe de voir que le caractere scientifique et hautement specialis6 des techniques s'affirme chaque jour, de sorte que chaque jour les methodes utilisables Cchappent davantage aux possibilites normales du clinicien hi-meme. I1 y a trente ans, le r61e du 'biochimiste clinicien Ctait, en effet, simplement de faire la caracterisation qualitative de certaines sub- stances pathologiques (pigments biliaires dans l'urine, par exemple) , ou la determination quantitative de substances biologiques dans les

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545.82 : 577.1

EMPLOI DES RAYONNEMENTS, ET EN PARTICULIER DE L'INFRAROUGE, DANS L'IDENTIFICATION DES

MOLECULES EN BIOLOGIE PAR

MARCEL GUILLOT (Professeur de Physique a la Faculte de Pharmacie de Paris,

Pharmacien des Hapitaux) . On trouvera un grand nombre de renseignements techniques utiles sur

toutes les methodes dont il est question dans cette conference dam: Physical Methods of Organic Chemistry, vol. I, Part I1 de A. Weiss-

berger; Interscience Publishers Inc., New-York, 1949. En ce qu concerne en particulier l'infrarouge, on lira l'article de W. West

dans l'ouvrage precedemment indique. p. 1332 a 1371. Sur l'emploi general de l'infrarouge pour l'identification des molecules, on

pourra lire la revue d'ensemble de A. Berton, ,,hs spectres infrarouges en biologic et en pharmacie",Annales pharmaceutiques franqaises, 11, 129, (1953).

Enfin, l'ouvrage de J . Lecomte, ,,Le Spectre infrarouge", Edit. de la Societe ,,Journal de Physique"; Les Presses universitaires, Paris, 1928, reste classique, bien que deja depasse.

Au sujet des methodes d'analyse immediate utilisables, on pourra consulter avec profit le volume V du meme ouvrage de Weissberger, qui a et6 redige par H. G. Cassidy (1951). On trouvera dans ces differentes publications une bibliographie complete

de ces questions, bibliographie qui est trop vaste pour que nous puissions la fournir ici.

L'importance des methodes physiques appliquees h la biochimie clinique s'est beaucoup accrue dans ces dernikres decades: c'est la continuation d'un mouvement qui est commun h toutes les disciplines de laboratoire depuis une trentaine d'annees, mais qui est particulikre- ment sensible dans celui qui nous intkresse ici. La physionomie de la biochimie medicale se modifie chaque jour, et meme, quand on ne prend en consideration que le travail de routine strictement applicable h la clinique, on est frappe de voir que le caractere scientifique et hautement specialis6 des techniques s'affirme chaque jour, de sorte que chaque jour les methodes utilisables Cchappent davantage aux possibilites normales du clinicien hi-meme.

I1 y a trente ans, le r61e du 'biochimiste clinicien Ctait, en effet, simplement de faire la caracterisation qualitative de certaines sub- stances pathologiques (pigments biliaires dans l'urine, par exemple) , ou la determination quantitative de substances biologiques dans les

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humeurs, encore le nombre de ces substances i doser etait-il limite: glucose, uree, cholesterol et ses esters, acide urique, et quelques rares autres molecules.

I1 me semble que le premier type d'especes chimiques qui est venu compliquer ce travail de chimie analytique applique a la biologie, a ete le groupe des porphyrines. Dans une suite de beaux travaux, Dherk, vers 1930, s'est attache a caracteriser individuellement les differentes porphyrines qui peuvent exister dans le sang ou dans l'urine, et, a cette epoque. c'est seulement le fait que ces substances etaient fluorescentes, et que le spectre de fluorescence presentait des bandes caracteristiques, qui a permis l'identification differentielle. Pour la premiere fois, une methode physique permettait de discriminer des molecules de structures tr&s voisines et de r6lcs biologiques pour- tant tres diffkrents.

Aujourd'hui les cas de ce genre se sont multiplies. Un exemple extraordinairement frappant est celui des stkroi'des. Toute une foule immense de substances comportent le mCme squelette architectural, sur lequel viennent se greffer plusieurs groupements fonctionnels dont les positions peuvent varier de telle maniere qtfe le nombre des mole- cules differentes concevable est considerable. Or il se trouve que, parmi celles-ci, les molecules d'importance biologique reelle sont si nom- breuses qu'on peut presque se demander si toutes celles qui peuvent exister n'existent pas, en fait, dans l'organisme humain. Or, elles sont douees de r6les biologiques multiples et d'importance fondamentale: action sup les appareils mdles et femelles de la generation, metabolisme de l'eau, coordination des equilibres hormonaux, stimulation generale de la defense de l'organisme, etc . . . I1 est de toute evidence que I'isolement, la caracterisation qualitative, et le dosage de chacune de ces molecules stkroi'des presentent et presenteront de plus en plus, dans I'avenir, une grande importance. I1 en sera de mCme vrai- sembablement des amino-acides. et de toutes leurs combinaisons poly- peptidiques et protC?ques, dont le nombre est infini. Enfin, le groupe des lipides lui-mCme nous promet d'egales difficultes: rien que la discrimination des phosphoaminolipides posera des problemes d'iden- tification d'une extrcme difficult&, et pourtant ces problemes devront Ctre abordes, le jour oit on commencera a pouvoir jeter quelque lumiere sur les phenomenes si complexes d'inhibition des thrombo- plastines et de la thrombine dans le processus des coagulations sanguines normale et pathologique.

Je n'aborde meme pas le probleme de l'etude constitutive des coenzymes: leur complexite architecturale parait telle qu'aucune methode physique, jusqu'ici, ne peut avoir la pretention de fournir un

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moyen de les identifier chacune dans son ensemble. C'est ainsi que nous nous trouvons aujourd'hui, dans la pratique de

la biochimie clinique courante, obliges de recourir, chaque fois que les possibilites d'equipement nous le permettent, aux methodes physiques les plus modernes pour discriminer et identifier des substances biologiques importantes.

Mais en quoi les conditions de ce travail different-elles de celles qui sont usuelles dans la Recherche pure, qu'elle soit physiologique ou biochimique? Le premier point important est que les prises d'essai doivent ttre aussi petites que possible. Autrefois, une determination biochimique &ant exceptionelle, il etait possible de pratiquer, h cette occasion, soit une saignee copieuse du malade, soit un preleve- ment d'un volume important d'urine. Mais aujourd'hui il n'est pas rare d'avoir effectuer sur les .humeurs du malade un grand nombre d'examens simultanes, de sorte qu'on est presque toujours dans l'obli- gation de pousser le plus loin possible l'konomie d'utilisation du liquide preleve, m b e quand il s'agit d'urine. Cela introduit une diffi- cult6 supplementaire dans nos techniques, qui doivent Ctre capables, non seulement de distinguer entre des molecules de structures tres voisines, mais encore d'effectuer cette distinction sup une quantite de matiere extrCmement faible.

Le deuxieme point particulier est que, pour ainsi dire, nous n'aurons jamais affaire, en matiere de biochimie clinique, a un produit isole pur; les liquides de prelevement ont toujours une composition tres complexe et assez variable, inconnue dans son detail a priori. Toute recherche fine devra donc Zitre precedee d'une purificafion, ou, dans les cas les plus simples, d'une defecation, c'est-%dire d'une simple elimination des protGnes, mais en gheral , contrairement a ce qui se produisait il y a une trentaine d'annees, la defecation ne suffira pas, et c'est h une veritable analyse immkdiate que nous devrons proceder d'abord pour isoler du contexte la molecule que nous cherchons.

Le troisieme facteur particulier a la biochimie medicale moderne est que le resultat de l'examen doit toujours &re fourni dans un laps de temps aussi court que possible. On est libre, en physiologie animale de prendre le temps qu'on juge necessaire pour effectuer une deter- mination. On n'en est pas libre en biochimie clinique quand l'etat du malade est grave et que le chirurgien ou le clinicien charges de la therapeutique attendent le resultat pour preciser l e u diagnostic et juger de ce qu'ils doivent faire. Ainsi donc, les methodes envisagees doivent permettre de distinguer entre des substances extrCmement voisines, de les identifier et de les doser apres qu'elles ont ete isolees dans un Ctat de purete aussi grand que possible, et cela dans un temps

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aussi court que possible. C'est dire qu'aucun domaine de la technique de laboratoire n'a des exigences aussi grandes que le netre, et que. par consequent, il ne faut pas s'etonner si les appareillages les plus convenables sont aussi les plus cocteux et les plus difficiles a manier. Je signale, en passant, que tout esprit raisonnable doit comprendre ou menent ces constatations: h l'inevitable conclusion qu'un travail fruc- tueux exige desormais une collaboration etroite des cliniciens purs avec des hommes de laboratoire hautement specialisks, et en particulier avec des physiciens. Vouloir le nier, et pretendre que les medecins doivent rester les directeurs exclusifs de recherches de ce genre, c'est se cramponner aux conditions de travail qui existaient il y a plusieurs dizaines d'annees, mais qui sont perimees aujourd'hui.

Je ne m'arrcterai pas longtemps a l'emploi des rayonnements en chimie minerale appliquee a la biochomie. Le photometre de flamme est bien connu de tous les biochimistes. Son principe est tres simple. Si on vaporise dans une flamme incolore, dont la temperature est, par exemple, de l'ordre de 1000°, une solution aqueuse d'ions mineraux, chacun des cations va se trouver vaporis6 par l'ekvation de la temp@- rature, et il en resultera une emission de radiations de longueur d'onde caractkristique, constituant ce qu'on appelle le ,,spectre de flamme" de l'ion. La temperature de la flamme doit Ctre fixee invariablement pour que la proportion des ions gazeux de charge diffkrente formes par le meme element reste invariable. Dans le cas des metaux alcalins seulement, le spectre engendre comprend un petit nombre de radiations, et l'une d'entre elles peut servir h la caracterisation et au dosage: a condition que la temperature de la flamme et les modalites de la pulverisation restent invariables, le flux lumineux emis pour la radiation consideree est proportionnel h la concentration de I'element dans la solution. On effectue la mesure de ce flux avec une cellule photo-electrique, et on elimine les autres radiations a l'aide d'un ecran selectif dont la bande de transparence se trouve situee dans la mCme region spectrale que la radiation emettrice choisie. Cette methode est interessante parce qu'elle repond aux desiderata que j'ai indiques plus haut: la separation de l'element a doser d'avec les autres est effectuee par le dispositif selectif spectral. La necessite d'une prise d'essai minime est satisfaite, parce que la sensibilite de la mkthode est extreme, et que pour doser, par exemple, le sodium dans une urine par ce procede, il faut operer par comparaison avec des solutions contenant quelques milligrammes par litre. Enfin, la condition de rapidite est remplie. une mesure exigeant approximativement un temps de 10 secondes,

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On peut citer egalement en chimie minerale, comme exemple du mCme genre, l'emploi de la diffraction de rayons X pour identifier un calcul vesical urinaire. L'echantillon pulverise, et agglomtre en un bbtonnet, n'exigera que quelques milligrammes de produit. Place sur le parcours d'un mince pinceau de rayons X, il va permettre d'obtenir une figure de diffraction de Debye et Scherrer qui, en quelques minutes, et avec un appareil puissant, permettra d'identifier l'espece minerale dont il s'agit, avec une entiere certitude.

Mais j'en arrive tout de suite aux substances organiques non ionisables, qui sont de beaucoup celles qui nous interessent le plus ici, celles qui correspondent aux exemples que j'ai deja donnes plus haut. Ici tous les domaines de radiations electromagnetiques vont t tre utili- sables, mais particulierement les domaines suivants:

L'ultraviolef a ete longtemps seul employe pour identifier les molecules organiques par leurs spectres d'absorption. Tous les corps qui possedent sur leur squelette hydrocarbone des groupements fonctionnels quels qu'ils soient (double liaison ethylknique, triple liaison acetylenique, liaison benzenique, fonction oxygenee ou azotee, etc. ) , ainsi que tous les maillons htterocycliques, provoquent l'apparition de bandes d'absorption situees dans la region facilement explorable dans l'air a l'aide d'un spectrographe a optique de quartz dans l'intervalle 2000- 4000 A. Cette methode presente pourtant de grands inconvenients, qui limitent son emploi en biochimie clinique. Tout d'abord, elle exige une particulierement grande purete des substances h identifier. I1 est frequent que la presence, dans un compose organique, d'une autre substance h la concentration de 1 pour mille suffise a modifier le spectre d'absorption ultraviolet. Or des purifications aussi poussees ne sont possibles que quand on dispose d'une grande quantite de produit. I1 est presque inconcevable d'obtenir de tels taux de purification en biochimie clinique. NCanmoins, dans jbien des cas, et en particulier quand on a af faire h certains steroides, le pouvoir d'absorption du compost interes- sant est tel que la presence d'impuretb devient moins gtnante, et qu'on peut proceder a une identification, ou h un dosage, sur un extrait grossierement purifie.

I1 est beaucoup plus rare qu'on ait h effectuer une spectrophotomktrie dans la region visible du spectre, c'est-&-dire dans l'intervalle 4000-8000 A. On est ramen6 alors simplement h la colorimetrie ordinaire, et je n'en parlerai pas ici. Un cas neanmoins important h signaler est celui auquel j'ai fait allusion plus haut, de la photometrie de fluorescence. Certaines substances organiques, irradiees par l'ultra- violet proche, s'activent, c'est-h-dire que la molecule absorbe un quantum de la radiation incidente pour prendre un &tat tnergetique nouveau, qui

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sera suivi d'un retour A l'equilibre, mais en deux temps: un premier photon d'energie moindre que le photon absorb6 etant d'abord Cmis - ce sera le photon de lumiere de fluorescence -, le reste de l'hergie sera emis ensuite sous forme d'infrarouge, c'est-h-dire d'knergie degradee.

En general, les composes organiques qui se comportent de cette maniere emettent dans un tres large intervalle spectral: c'est le cas de la quinine, par exemple, dont le spectre de fluorescence s'etend sur pres de la moitie du spectre visible. Mais il arrive que ce spectre com- porte, au contraire, des bandes etroites, et c'est le cas des porphyrines. De plus, la nature du spectre change quand la molecule est en solution dans un solvant ou dans un autre, B un pH ou B un autre. L'identifica- tion peut se faire alors non seulement par la forme de la courbe spectrale d'Cmission fluorescente, dans des conditions determinees. mais par la manitre dont cette courbe se modifie quand le milieu lui-mCme se modifie. C'est de cette facon que Dherk a montre qu'on pouvait caracteriser les porphyrines, et distinguer en particulier celles qui appartiennent au groupe I et celles du groupe I11 en comparant les spectres, en solution aqueuse chlorhydrique, en solution chloroformique neutre. et en solution dans la pyridine.

Plus que tous les autres rayonnements, l'infrarouge a vu son emploi se generaliser de plus en plus en chimie organique, d'abord, et en biochimie. maintenant. On va proceder schematiquement comme en spectrometrie visible, c'estd-dire qu'un spectre continu va gtre emis dans un domaine explorable, qui correspond 5 des valeurs de la longueur d'onde allant de 1 p 5 16 p environ. Un monochromateur isolera une bande mince, et un dispositif photometrique permettra de mesurer la densite optique de la solution pour chaque longueur d'onde. La difficult6 vient ici de ce qu'aucune cellule photoelectrique ne permet les mesures photometriques. On est oblige de recevoir le pinceau lumineux, dont on veut mesurer l'intensite, sur une pile thermoelec- trique: une force electromotrice va naitre, qui engendrera un tres faible courant dans un circuit, et c'est ce courant qui devra Ctre module et amplifik pour Ctre mesure. Dans les appareils modernes, le courant h amplifier actionne directement un dispositif inscripteur, qui va tracer sur un papier millimetrique la courbe d'absorption, directement. I1 est necessaire, bien entendu, que le taux d'amplification soit rigoureuse- ment invariable, et qu'il y ait proportionnalite directe des ordonnees et de la courbe aux intensites lumineuses considerees. Mais la partie la plus delicate de l'appareil est dans le servo-mecanisme, qui realise la mesure photomktrique elle-meme. On a, en effet, dans un tel appareil deux faisceaux lumineux d'intensite Cgale, dont l'un est le faisceau de

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comparaison, et dont l'autre va traverser la solution a examiner. Apres cette traversee, on devra mesurer le rapport d'intensite I/I, des deux faisceaux. Le servo-mecanisme realise aufomatiquemenf une diminution d'intensite du faisceau de comparaison, a l'aide d'un dispositif de diaphragmes, de maniere que les deux intensites soient &gales, ce qu'un appareil de zero constatera. Et c'est la modification qu'il a ete neces- saire d'imposer au systeme de diaphragmes, pour realiser cet equilibre par un procede mecanique, qui va permettre de mesurer le rapport I/Io. On concoit qu'un tel genre d'appareil pose des problemes Clectro- niques difficiles, mais l'industrie a livre, depuis plusieurs annees, des dispositifs parfaits a ce point de vue. Les plus connus sont ceux de Parkin-Elmer, et de Baird; 1:un et l'autre peuvent Ctre a simple faisceau: c'est le cas de I'appareil que nous venons de decrire, ou a double faisceau, auquel cas le faisceau de comparaison traverse une cuve identique a la cuve contenant la solution examinee. Dans cette cuve de comparaison, on peut placer le mtme solvant. La diminution d'intensite du faisceau ayant traverse la solution sera due alors uniquement l'absorption du corps dissous qu'on desire doser. Le faisceau de compa- raison aura traverse exactement les mCmes substances refringentes, dont seul le corps a doser sera absent. On peut mCme en theorie, dans ce cas, placer dans la cuve de comparaison un liquide biologique complexe comme l'urine, s'il a cte possible d'en &miner, par adsorption ou par tout autre procede, la substance qu'on desire etudier. En realitt, cet emploi du double faisceau est un peu illusoire, parce que la sensi- bilite de la methode se trouve reduite lorsque 90 %, par exemple, de la radiation sont absorbes par le milieu de comparaison. On prefere souvent enregistrer la courbe d'absorption globale, et la comparer ii la courbe du solvant pur. Encore faut-il, dans l'une ou l'autre des techni- ques (simple ou double faisceau) que le solvant utilise ne soit pas frop absorbant dans l'infrarouge, et il se trouve, malheureusement, que de tous les solvants, le plus absorbant est l'eau, de sorte qu'il est impos- sible de l'employer: or, en biologie, l'eau est le solvant par excellence, et la necessite de ne faire des determinations que sup des extraits rigoureusement anhydres restreint considerablement les possibilites d'emploi de la mkthode. D'autre part, les seuls solvants qui conviennent sont ceux dont le nombre de bandes infrarouges est petit. I1 faut, pour cela, que la molecule soit peu substituee et trks symetrique. Le tetra- chlorure de carbone convient bien, ou certains hydrocarbures satures comme le cyclohexane ou l'hexane normal: mais des corps tels que le benzene sont inutilisables, a cause de l'intensite de leurs bandes, et des solvants oxygenes comme l'alcool ethylique. ou l'ether, doublement inutilisables a cause de leurs spectres propres, et a cause des traces

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d'eau dont on n'arrive pas facilement a les debarrasser. Pour ces raisons, les techniques infrarouges sont seulement justi-

ciables de l'identification d'une molecule organique quand on a pu extraire la substance 2 l'efat de pureti, en la separant de toutes les substances voisines, et en l'amenant sous forme cristallisee. Avec des appareils du modele habituel, comme le Baird double faisceau, la quantite minimum necessaire est de 5 mg environ. Si le corps est soluble dans le tetrachlorure de carbone, c'est ce solvant qu'on emploie en solution a 1 %, par exemple, dans une cuve mince a paroi de sel gemme. Si le produit est insoluble, on pulverise finement les cristaux dans un petit mortier d'agate, et on en fait une bouillie dans une huile de paraf fine speciale tres pure. Cette derniere mCthode est peut-Ctre celle qui donne les meilleurs resultats. I1 faut toutefois remarquer que souvent un compose organique cristallise pur, dissous dans une trace d'un solvant comme l'acetone, quand il y est tres soluble, donne, par eva- poration rapide, une sorte de vernis qui refuse de cristalliser. On peut alors, par cet artifice, obtenir, par evaporation sur une lame de sel gemme, une couche d'epaisseur uniforme, tres mince, de produit pur amorphe, sans trace de solvant etranger. Ces conditions sont les meilleures pour obtenir un spectre, et on a parfois alors des enregistre- ments remarquablement fins: c'est ce qui nous est arrive A la Faculte de Pharmacie, dans des recherches faites, a la demande de M. Raoul, sup des steroi'des apparent& aux vitamines D.

L'interpretation physique d'un spectre infrarouge pose toujours des probkmes difficiles. La notion elementaire de frequences caracteris- tiques de chaque groupement fonctionnel n'est pas tout a fait exacte. En realite, on retrouve, d'une part, dans la region des grandes longueurs d'ondes, de 1 h 3 p, par exemple, des bandes caracteristiques des groupements fonctionnels existant dans la molecule, mais leur position varie legerement en fonction du reste de la structure. I1 se peut, d'autre part, si deux bandes d'absorption sont voisines, qu'il y ait un mecanisme de couplage, avec fusion des deux en une seule. En outre, la region lointaine de 10 2 15 ,u montre des bandes beaucoup plus caracteristiques de la structure totale-de la molecule, mais alors le ntoindre changement dans l'agencement moleculaire peut entrainer de grandes differences dans le spectre. On retrouvera, par exemple, que I'allure spectrale est totalement modifiee quand on passe d'un sterol ti ses esters, et d'un de ceux-ci a un autre, ou encore d'un amino-acide a son amine de decarboxylation, de sorte qu'il ne faut pas s'attendre a reconnaitre du premier coup d'oeil des molecules apparentees. Ce qui est seulement tout a fait invariable, c'est l'allure du spectre, pour une espece chimique definie, quand rien n'est modifit? dans la molecule. Ce spectre constitue

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donc une fiche d’identitk absolument sfire, a condition qu’on soit certain d’avoir toujours en main le produit sous la mCme forme chimique. Cela suffit a faire comprendre qu’il est tres difficile de distinguer entre la deformation subie par un spectre, par un lkger changement chimique ( isomerisation, tautomkrie, ou autre) et la presence d’une impurete. Dans bien des cas, on peut seulement dire qu’il s’est passe quelque chose, sans pouvoir preciser quoi.

Neanmoins, lorsque des etudes prkalables ont permis d’isoler un grand nombre de substances voisines dans un groupe chimique, on peut constituer un atlas de tous les spectres correspondant a ces differentes formes, et l’identification d’une substance devient alors facile, si elle se trouve au nombre de celles qui figurent deja dans l’atlas de reference. C’est de cette maniere qu’on est en train, en ce moment, de dresser une table generale de tous les spectres des steroi’des d’intertt biologique. Dobriner, en particulier, a accompli la une tdche considerable.

Comme je l’ai dejh dit, cette identification infrafouge suppose une separation prealable des corps voisins, quand on a affaire h un melange, de sorte qu’en mgme temps que les techniques d’enregistrement spectrometrique se perfectionnaient, il a fallu perfectionner aussi les methodes d’analyse immediate correspondantes. A l’heure actuelle, les meilleures de ces methodes paraissent ttre, dans l’ordre d’importance, la chromatographie sur colonne, l’extraction par solvants selectifs a contre-courant, la distillation moleculaire, la distillation fractionnee. Je crois que, dans 1’Ctat actuel de la technique, l’obstacle reel a une generalisation d’emploi des methodes spectrales en biologie medicale, est l’imperfection des procedes de purification. C’est sur ce point que les efforts des chercheurs doivent se concentrer, a mon avis.

Je signale, en terminant, une nouveaute technique qui est peut-6tre appelee a fournir des outils d’une grande utilite: le laboratoire de magneto-optique du Centre National de la Recherche Scientifique, a Bellevue, a recemment, sous la direction du Professeur Jacquinot, mis au point un appareil destine a travailler dans le domaine du visible, et qui, gradue en longueurs d’onde, se met en equilibre spontanement, en quelques secondes, avec une substance colorCe, de maniere h indiquer la longueur d’onde exacte du maximum d’adsorption de la substance. On a donne cet appareil le nom de maximetre. La determination est faite a quelques angstroems pres. Une mesure demande 5 ti 6 secondes, et elle permet, par exemple dans le cas du sang, de deceler le moindre deplacement de la position d’une des bandes, c’est-a-dire de doser I’hemoglobine oxycarbon6e par la methode spectrophotometrique de Balthazard. I1 semble que, par ce procede, le dosage de l’oxyde de carbone puisse ttre fait en serie, raison de 10 ou 20 par minute. Le

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procede est encore a I'Ctude, en liaison avec mon laboratoire: mais il est probable que si on peut construire des appareils analogues fonction- nant dans l'infrarouge et dans l'ultraviolet, on aura la possibilite de suivre les legeres variations de position d'une seule bande d'absorption due ii un groupement fonctionnel sous l'influence de l'ensemble de la structure moleculaire. Des travaux de recherches, effectues surtout en Allemagne, semblent indiquer deja que cette voie, dans le cas de l'infrarouge, sera fructueuse.

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