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Alain JOYEUX, Agrégé de géographie, professeur de géographie et géopolitique en classes préparatoires aux grandes écoles de commerce, lycée Joffre, Montpellier.
En Chine, l’environnement est-‐il encore sacrifié à la croissance ?
Le président de la République populaire de Chine prône désormais une « civilisation écologique » ; rappelons également que l’obtention par Pékin de l’organisation des jeux olympiques en 2008 s’est faite en échange d’une promesse d’amélioration significative de la qualité de l’air dans la capitale chinoise. Le développement durable a été aussi le thème central de l’exposition universelle de Shangaï en 2010. Ces préoccupations sont nouvelles dans un pays qui, pendant longtemps, a largement négligé les questions environnementales. Le Maoisme s’inscrivait en effet dans le cadre marxiste où l’homme doit dominer la nature, s’imposer à elle. Le décollage économique de la Chine, dans les années 1980 relevait d’un modèle de croissance quantitative et non qualitative. Actuellement, l’accès d’un nombre croissant de Chinois à la consommation de masse pose des enjeux environnementaux qui dépassent la seule échelle du territoire de l’Empire du milieu. Si chaque Chinois consommait annuellement et en moyenne autant de pétrole ou d’eau qu’un Américain ou un Européen de l’Ouest, il y aurait alors un problème grave de pénurie de ces ressources essentielles à l’échelle de la planète. Cependant, la Chine semble désormais faire preuve de volontarisme dans la recherche d’un nouveau modèle de croissance moins prédateur de l’environnement : le défi est colossal tant le bilan écologique de trente années de croissance effrénée est sombre.
La dégradation de l’environnement constitue l’une des menaces les plus sérieuses à la pérennité de la croissance et du développement de la Chine. Ce pays est devenu en 2008 le 1er émetteur mondial de gaz à effet de serre (GES) devant les Etats-‐Unis, avec environ 23% des émissions totales. Certes, en émission de GES par habitant, la Chine reste évidemment loin derrière les Etats-‐Unis. 750 000 décès prématurés par an seraient liés à la pollution de l’air et de l’eau. Selon le gouvernement chinois, 37% des villes ont une qualité de l’air insuffisante. Dans la province industrielle du Shanxi, les particules de l’industrie charbonnière entraînent des problèmes sanitaires dramatiques et certaines terres agricoles deviennent incultivables. Dans cette province, les autorités financent d’ailleurs des déménagements de population qu’on cherche à éloigner des sources majeures de pollution. L’ « Asian brown cloud », ce vaste nuage d’oxyde d’azote, de dioxyde de soufre et de suie qui flotte toute l’année au dessus de l’Est de l’Asie, concerne toute la partie orientale du territoire chinois. Le problème de l’eau est aussi particulièrement sensible comme en témoigne la sécheresse grave qui frappe le Nord de la Chine depuis 2009. Certaines régions septentrionales du pays sont déjà en état de stress hydrique (moins de 1700 m3 d’eau par an et par habitant). A l’échelle de la Chine, la quantité d’eau annuelle disponible par habitant est en 2009 quatre fois inférieure à la moyenne mondiale. 2/3 des villes chinoises manquent d’eau. Mais c’est aussi la qualité de cette ressource qui pose problème : 60% des cours d’eau sont pollués, 320 millions de paysans n’ont pas accès à l’eau potable. Ce problème affecte directement la sécurité alimentaire du pays : la pollution des eaux affecte les rizières dont au moins 10% des superficies sont touchées par les rejets industriels et de l’exploitation minière comme le cadmium (voir document 1).
La dégradation de l’environnement s’explique avant tout par la production et la consommation d’énergie, l’industrialisation, l’agriculture de plus en plus intensive, l’urbanisation et, d’une manière générale, l’occidentalisation des modes de vie. La Chine consomme 39% du charbon utilisé chaque année dans le monde. Le charbon fournit 68% des besoins énergétiques de la Chine et 80%
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de son électricité. Or les centrales thermiques au charbon sont en majorité anciennes et constituent de toute manière l’un des modes de production d’énergie des plus polluants qu’il soit. Jusqu’à la fin des années 1980, le développement de l’industrie lourde a souvent été privilégiée sans aucune préoccupation pour les normes environnementales. La Chine actuelle hérite donc de ces gigantesques combinats industriels d’Etat, obsolètes, non rentables et localisés au milieu de zones habitées. L’épuration des eaux usées comme le filtrage des rejets de gaz toxiques restent encore trop souvent inexistants, d’où une incidence dramatique sur la qualité de l’air et les nappes phréatiques. Ces problèmes sont particulièrement aigus dans la vieille région industrielle du Sud de la Mandchourie, au Nord-‐Est du pays. L’agriculture a quant à elle fait partie des « quatre modernisations » annoncées par Deng Xiaoping après son accession au pouvoir en 1978. Outre la décollectivisation des terres (marquée notamment par la fin des communes populaires), la modernisation s’est traduite par une volonté d’intensification de la production dans le cadre de la révolution agricole. La conséquence est une chimisation accélérée de l’agriculture avec l’utilisation massive d’engrais chimiques. Cette intensification de l’agriculture a pu localement aggraver les phénomènes d’érosion (du fait de la dégradation du couvert végétal au profit des cultures), problèmes particulièrement sensibles dans les plaines loessiques du Nord de la Chine, traditionnellement vulnérables à ce risque. 3,5 millions d’hectares de terres sont victimes de l’érosion. L’occidentalisation des pratiques alimentaires, corollaire du développement, entraîne quant à elle une augmentation de la consommation de viande, donc des élevages intensifs dans la périphérie des grandes villes. Or ce type d’élevage, majoritairement porcin en Chine, est vecteur de rejets de matières polluantes pour les cours d’eau, phénomène bien connu aussi ailleurs dans le monde. La transition urbaine accélérée (45% des Chinois vivent désormais en milieu urbain) impacte également sur l’environnement. Entre 2001 et 2007, alors que la population urbaine chinoise a augmenté de 30%, les surfaces urbanisées se sont accrues de 70% ce qui témoigne d’un mitage urbain problématique. En effet, l’expansion spatiale des villes se fait au détriment des terres agricoles. Or la Chine doit nourrir 20% de la population mondiale avec seulement 10% des terres arables de la planète. L’urbanisation constitue donc une menace claire à la sécurité alimentaire du pays. La réponse à ce problème peut passer par un surcroît d’intensification agricole (plus de 3 millions d’hectares de terres sont déjà plantées en OGM), des fronts pionniers agricoles vers l’Ouest du pays mais, surtout, par l’achat et la location de terres agricoles à l’étranger. Près de 30 millions d’hectares de terres agricoles sont ainsi contrôlées hors de Chine par des firmes chinoises, majoritairement en Afrique subsaharienne, dans des pays comme Madagascar ou le Kenya qui peinent pourtant déjà à assurer leur propre sécurité alimentaire.
La question de l’environnement se pose avec d’autant plus de gravité que le territoire chinois est soumis à un certain nombre d’aléas naturels. La pression des hommes et des activités économiques sur l’environnement aggrave la vulnérabilité face aux risques d’origine naturelle. L’aléa sismique se transforme par exemple en catastrophes souvent meurtrières : le séisme de Tangshan en 1976 a fait plus de 400 000 victimes tandis que celui du Sichuan en mai 2008 a entraîné la mort de plus de 70 000 personnes. La multiplication des constructions de mauvaise qualité dans les villes en croissance trop rapide, comme à Chengdu, la capitale du Sichuan (peuplée par plus de 4 millions d’habitants), très touchée par le séisme de 2008. Des inondations dramatiques frappent aussi régulièrement les plaines agricoles de l’Est et du Sud-‐Est de la Chine. Ces inondations ont provoqué plusieurs milliers de victimes dans plusieurs provinces chinoises (dont le Guizhou) pendant l’été 2010. Elles sont parfois liées à la mousson mais, le plus souvent, à la fonte des neiges hivernales et à la
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fonte des glaciers liée au changement climatique. Mais ces catastrophes sont aggravées par le mauvais entretien des digues séculaires qui protègent les terres agricoles dans les régions à risque. Ce problème s’explique notamment par le fait que les moyens affectés normalement à l’entretien des digues se sont progressivement réduits depuis plusieurs décennies au profit de la construction de barrages : la Chine compte en effet environ 87 000 barrages en fonctionnement. Outre l’érosion déjà évoquée, le Nord de la Chine est également menacé par les phénomènes de désertification provoqués en particulier par les vents de sable qui soufflent depuis la Mongolie intérieure et le désert de Gobi. Mais, là encore, la responsabilité des hommes est engagée. La diminution des ressources en eau du fait de l’agriculture et de la croissance urbaine ainsi que la déforestation ne font qu’aggraver le problème. En 1987, un incendie a détruit 1,3 million d’hectares de forêt dans le Nord-‐Est du pays. La déforestation est un fléau qui touche aussi fortement le Sud et l’Est du pays . La diminution constante des superficies forestières aggrave les risques de tempêtes de sable, mais aussi d’inondations et d’érosion des sols (voir document 2).
La construction du barrage des Trois gorges, sur le Yangzijiang, a été décidée par le gouvernement chinois en 1992. Il symbolise le volontarisme des autorités pour domestiquer la nature et l’environnement. Ce projet répond à 4 objectifs : lutter contre les crues en régularisant le débit du fleuve ; produire de l’hydroélectricité dans un pays qui a soif d’énergie du fait de sa croissance ; améliorer la navigabilité du fleuve, notamment en amont de l’ouvrage ; accroître les transferts d’eau vers le Nord de la Chine, dont la région de Pékin qui est en situation chronique d’insuffisance hydrique. Il est cependant net que les objectifs économiques ont été privilégiés dans la décision de construire ce barrage. En effet, il a entraîné le déplacement de plus de 1,2 millions de personnes auquel s’joutent les modifications de l’écosystème local. Précisons que le barrage se situe dans une région à risque sismique élevé d’où un risque supplémentaire pour les régions en aval. Enfin, certains experts doutent que les 23 ouvertures basses prévues au pied du barrage soient capables de laisser passer la masse de sédiments qui vont s’accumuler dans le lac de retenue.
Une meilleure gestion de l’environnement semble désormais être une priorité du « développement harmonieux » qui est défendu par le président Hu Jintao. Le Xème plan quinquennal (2006-‐2011) place la question du développement durable au cœur des politiques économiques. L’objectif est de réduire de 4% par an la consommation d’énergie par unité de PIB et de 2% les émissions de dioxyde de souffre. Plus de 100 milliards d’Euros ont été prévus pour mieux gérer l’eau : construction ou modernisation des égouts, des circuits de distribution et de traitement des eaux. L’objectif est de multiplier par 20 la production d’électricité éolienne d’ici 2020. Déjà, la Chine est devenue en 2010 le 1er marché mondial pour les équipements éoliens dont 70% doivent être à terme fabriqués en Chine, selon les objectifs affichés par le plan. Une impulsion très forte est donnée à la recherche, notamment dans les « technologies propres » : les constructeurs automobiles chinois sont en pointe dans la recherche sur les moteurs hybrides et électriques. BYD auto (Buy Your Dream) a ainsi produit un premier véhicule hybride en 2008 (la F3DM). Great Wall Motor, un constructeur automobile de Shangaï, a sorti en 2009 un véhicule à propulsion totalement électrique, la GWKulla. Notons que ces innovations sont largement financées par des crédits publics. Les autorités chinoises cherchent à imposer de plus en plus des normes environnementales à travers la SEPA (Agence nationale chinoise de protection de l’environnement) : celle-‐ci peut infliger des amendes à des entreprises qui ne respecteraient pas les normes. En 2008, a été créé pour la première fois un ministère de l’environnement au sein du gouvernement central.
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Le bilan de ces efforts est difficile a établir faute de suffisamment de recul dans le temps. Mais la transition énergétique post-‐charbon ne peut être que très lente (milieu du XXIème siècle ?) et les amendes infligées par la SEPA sont peu dissuasives. De plus, ces amendes sont parfois décidées contre des entreprises étrangères dans le cadre d’un protectionnisme déguisé pour réduire la concurrence vis-‐à-‐vis des entreprises chinoises. La sincérité environnementale des amendes infligées par la SEPA est donc parfois douteuse. Sur le plan politique, les caciques provinciaux du parti communiste considèrent trop souvent que seul le respect, voir le dépassement, des objectifs quantitatifs du plan leur garantira une carrière prometteuse. Les règles environnementales sont donc fréquemment négligées ou ignorées. D’ailleurs, le plan de relance économique de 2009, suite à la crise économique venue des Etats-‐Unis, a eu tendance à provoquer un certain retour en arrière dans la logique quantitative de l’économie chinoise.
En fait, c’est le marché qui peut orienter la Chine vers un modèle de croissance plus soucieux de l’environnement : c’est d’ailleurs la stratégie qui est retenue par le gouvernement. La Chine se classe comme la première bénéficiaire des mécanismes de développement propres (MDP) prévus par le protocole de Kyoto que la Chine n’a pourtant pas ratifié. Rappelons que ces MDP permettent à une entreprise qui finance des technologies propres dans un pays en développement d’obtenir quasi gratuitement des crédits carbone. En 2006, 70% des investissements « propres » financés par des firmes multinationales l’ont été en Chine. Un véritable « green business » se développe actuellement dans l’Empire du milieu. China Guodian Corporation est en 2010 le N°3 mondial pour la production d’électricité avec de énergies renouvelables. Sinovel se classe à la 3ème place mondiale pour la construction de turbines éoliennes : 2 autres constructeurs chinois apparaissent aujourd’hui dans le top 10 des constructeurs mondiaux. Enfin, comme dans le reste du monde, les villes chinoises se livrent à une compétition de plus en plus forte pour attirer les capitaux, qu’ils soient chinois ou étrangers. La qualité de l’environnement devient un vecteur d’attractivité. C’est pourquoi de nombreuses villes cherchent à adopter un modèle d’urbanisme « propre », à l’image de Wuhan, agglomération de près de 10 millions d’habitants, dans la province du Hubei, au centre-‐Est du pays.
Si l’environnement a longtemps été sacrifié à la croissance, il ne peut plus l’être aujourd’hui. Malgré l’attitude ambigüe et discrète de la Chine lors de la conférence de Copenhague de décembre 2009 (qui devait préparer l’après protocole de Kyoto), les autorités chinoises intègrent désormais le développement durable dans les objectifs des politiques publiques. Mais il s’agit d’une véritable rupture vis-‐à-‐vis des pratiques antérieures. L’émergence d’un modèle chinois de développement durable ne peut qu’être très progressive. Outre la question énergétique déjà évoquée, il ne peut pas y avoir de développement durablement harmonieux sans une réduction forte des inégalités spatiales (provinces littorales / provinces intérieures, villes / campagnes) et sociales qui marquent la Chine contemporaine. La réduction de ces déséquilibres est affichée comme une priorité par les autorités mais les phénomènes d’inertie de toute nature, dont la bureaucratie et la corruption, risquent de ralentir fortement le passage des discours aux réalisations.
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Document 1. Source, Harold Thibault. « En Chine, la pollution industrielle gagne les rizières » Le Monde, 4 mars 2011.