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THÈSE
Pour obtenir le grade de
Docteur de l’Université Jean Moulin Lyon 3
en Sciences de Gestion
Présentée et soutenue publiquement
Septembre 2004
Oyaya Kalitou Lydie
“ Management stratégique et systèmes d’information. Une
analyse contingente et structurelle de la gestion des
entreprises africaines liée aux spécificités culturelles dans les
actes de pilotage stratégique d’entreprise : l’exemple des
firmes gabonaises ”
2
Sous la direction du Professeur Ahmed SILEM
Jury
Rapporteurs : Jacques BRASSEUL, Professeur des Universités, Université de Toulon et du Var
Jean-Paul METZGER, Professeur des Universités, ENSSIB
Suffragants : Robert PATUREL, Professeur des Universités, Université de Toulon et du Var
Ahmed SILEM, Professeur des Universités, Université Jean Moulin Lyon 3
Véronique ZARDET, Professeur des Universités, Université Jean Moulin Lyon 3
REMERCIEMENTS
À notre directeur de recherche,
Le Professeur Ahmed Silem. Pour les conseils qu’il nous a prodigués, la patience mais aussi
l’impatience légitimes avec lesquelles il nous ont poussé vers l’aboutissement de ce travail.
À sa collaboratrice,
Mme Violette Kerrien, pour la spontanéité, la gentillesse et la mesure avec lesquelles elle
encadre les projets et les membres de l’École Doctorale MIF.
Aux acteurs des entreprises sollicités,
J’exprime ma reconnaissance et ma gratitude. Que ce travail soit l’accomplissement de leur
engagement.
À ma famille, et particulièrement à ma mère,
Pour le soutien moral et la confiance indéfectibles qu’elles m’ont apportés.
À tous ceux qui m’ont aidé durant ce parcours,
Je dédie ce travail.
4
Introduction générale
0.1. Thématique et exposé de la problématique
Entreprendre une réflexion contingente sur les problèmes de gestion dans les entreprises
africaines est une tâche ardue à plus d’un titre. Tout d’abord, en raison de l’étendue et de la
diversité du champ d’investigations, en l’occurrence celui du management stratégique des
organisations qui constitue à lui seul un paradigme, tant il recourt à une diversité d’approches.
Cette pluralité, dont témoigne la littérature sur la question, lui confère un statut
épistémologique d’intersciences au carrefour d’influences et d’horizons hétéroclites qui
contribuent à la richesse de ses analyses et de ses interprétations. Aux confluents de la
sociologie des organisations, des sciences de gestion et de l’information et de la
communication, cette mixité nous servira dans le cadre de la présente étude, pour décrypter le
fonctionnement des organisations en analyse.
Si l’on s’en tient au contexte économique et mondial actuel, l’Afrique apparaît désormais de
plus en plus fragilisée et en marge du commerce international. Cette situation, tributaire d’une
multitude de faits, dont la concurrence des Pays de l’Est, de l’Asie (cf. Forum pour le
Développement de l’Afrique1), et la construction d’un espace économique et monétaire
européen constituent les phénomènes les plus apparents. Cependant, ce même contexte
commande de se mettre au diapason des avancées de la mondialisation2 et de la société de
l’information3.
En outre, le milieu d’investigations constitue une gageure supplémentaire, si l’on s’en tient à
la faiblesse des études relatives au management des entreprises africaines ; et de surcroît à
celles s’intéressant au tissu économique gabonais, délimité ici à quelques firmes, pour les
1 Forum pour le Développement de l’Afrique,. www.bellanet.org/partners/aisi/adf99docs/infoeconomyfr.htm,
2 Pour Adeya et Cogburn, c’est « un phénomène mis à jour à travers une série de processus sociaux,
économiques, politiques et culturels mondialement interdépendants par lesquels les événements, les décisions et
les activités dans différentes parties du monde se conjuguent pour exercer des effets importants sur les individus,
les communautés, les entreprises et les structures politiques dans des régions du monde éloignées les unes des
autres », « La mondialisation de l’information : enjeux et perspectives pour l’Afrique »,
www.bellanet.org/partners/aisi/adf99docs/infoeconomyfr.htm 1999, p.2.
5
motifs qui seront détaillés dans la troisième partie de ce travail. Il nous est d’ailleurs apparu, à
la lumière de nos lectures que les entreprises africaines obéissent particulièrement bien -pour
ne pas dire « résistent »- particulièrement bien à la logique de ce que Luc Boltanski et
Laurent Thévenot appellent « la cité domestique » dans De la justification. Les Economies de
la grandeur [1991].
Selon cette logique, les rapports entre les individus reposent sur des systèmes d’équivalence
partagés, des grandeurs communes qui permettent aux acteurs de retrouver les repères qui
vont guider leurs relations dans une situation donnée. Ces systèmes d’équivalence ou
grandeurs se donnent à lire dans des mondes régis par la cohérence des principes qui y sont
activés et qui correspondent à des formes idéales-types parmi lesquelles les auteurs
distinguent : le monde de l’inspiration, le monde domestique, celui de l’opinion, et enfin les
mondes civique, marchand et industriel.
Dans le monde domestique qui retient ici notre attention, ce sont les figures de la famille, de
la tradition et des anciens qui prédominent. L’état de grandeur s’y mesure en fonction du
respect de l’échelle hiérarchique et des traditions. Dans le cadre de notre étude, nous nous y
arrêterons plus particulièrement, par opposition aux mondes marchand et industriel parce que
ces trois mondes véhiculent des idéologies pertinentes à la compréhension d’un management
spécifique adaptable aux entreprises africaines lato sensu et à celles faisant l’objet de nos
investigations stricto sensu.
Si le monde domestique est assimilé par ses détracteurs à un monde désuet où prédomine la
survivance du passé, et dans lequel se distinguent des organisations économiquement peu
efficaces, les mondes marchand et industriel font eux directement référence à des
organisations compétitives et performantes, reposant davantage sur l’esprit individualiste
plutôt que communautariste. Les échelles de grandeur de ces trois mondes : prégnance des
liens affectifs et du tissu social, rationalité économique et managériale., constituent en effet le
socle autour duquel se cristallise la problématique de notre recherche sur les contingences
d’un management adaptable aux firmes gabonaises de note corpus.
Ces contingences qui sous-tendent également les perspectives de recherche dans ce domaine
[Diagne, 2004 ; Hernandez, 1997-2000 ; D’Iribarne, 1987-2003 ; Kamdem, 2002 ; Mutabazi,
3 Adeya et Cogburn la définissent comme « une forme spécifique d’organisation sociale dans laquelle la
production, le traitement et la diffusion d’informations sont les sources fondamentales de productivité et de
puissance », op. cit., p.5.
6
2001], nous permettrons à travers ce projet de parvenir à la lumière de nos investigations, à la
constitution d’un modèle de management où les relations sociales tiennent une place de choix,
sans obérer pour autant les exigences d’efficacité économique. Cette ambition part de l’idée
que la conception d’un management stratégique africain ne peut se concevoir sans avoir à
l’esprit deux réalités : l’Afrique et ses spécificités d’une part, et les contraintes et les logiques
du management d’entreprise, d’autre part.
Notre démarche, à partir de ce facteur culturel fortement structurant, est de savoir :
« Comment tirer avantage de la réalité et de l’impact des réseaux sociaux, pour instaurer un
modèle de management stratégique conciliant rationalité économique et rationalité sociale à
l’ère de l’avènement de la société de l’information » ?
C’est cette conciliation, apparemment, difficile à établir qui fonde notre perspective de
recherche et nos hypothèses de base sur la nécessité d’une approche contingente indispensable
à l’instauration d’un modèle de management qui tienne compte de cette cohabitation. Ces pré
requis établis, nous formulons une hypothèse centrale gouvernant l’ensemble de notre
problématique à savoir que dans le contexte des entreprises ici étudiées, il existe un lien de
consubstantialité entre management et structures organisationnelles, elles-mêmes étant
influencées par l’imbrication de contenus sociétaux extérieurs à l’entreprise. C’est cette
hypothèse centrale qui nous permet de formuler les deux hypothèses suivantes :
- Hypothèse 1 : la performance d’une entreprise est en corrélation avec le degré de
cohérence entre rationalité managériale et rationalité culturelle.
- Hypothèse 2 : le ratio performance économique et sociale/logiques individuelles est un
élément essentiel à la compréhension et au fonctionnement de ces organisations.
Ce modèle aurait l’ambition d’aboutir à un canevas où il n’y aurait pas de ruptures entre les
valeurs de la société de ces individus et le monde de l’entreprise. Sur cette base, l’approche du
sociologue américain Amitaï Etzioni mérite le détour, parce qu’elle voit dans les
communautés une alternative à la domination des sociétés par le marché et l’État. Cette
approche établit ainsi un mode de fonctionnement similaire à celui du monde de la cité
domestique développé par Luc Boltanski et Laurent Thévenot, dans la mesure où elle associe
à ces trois piliers : l’État, le secteur privé et les communautés, des univers auxquels les
individus adhèrent en fonction de valeurs auxquelles ils se rattachent.
7
Cette acceptation de règles ou « compliance », tenant pour l’auteur à la mixité des substrats
idéologiques suivants : la contrainte, l’intérêt, les valeurs qui sont les piliers de trois types
d’organisations : coercitive (les institutions par exemple), utilitaire (les entreprises) et
normative (les communautés religieuses par exemple). Mais le fait majeur de cette théorie,
c’est surtout qu’elle repose sur une dynamique du changement prenant racine dans
l’expression même de ces communautés. Celles-ci établissent une « troisième voie », pour
reprendre le titre d’un de ses essais, dont l’idée forte ressort à travers le passage suivant :
« Une société ne peut pas être fondée uniquement sur l’échange et le pouvoir, le marché et
l’État, le commerce et les institutions. Toute vie sociale repose aussi sur des normes, des
règles morales, des liens d’affection et de solidarité, une culture commune »4.
Cette croyance est à la base du mouvement dit du « communautarisme »5, enraciné dans le
contexte d’action de la société américaine, et qui est plus largement tributaire du mouvement
plus global de la socio-économie6. Le communautarisme veut ainsi établir un modèle de
société, « societal guidance » ou « théorie de la guidance sociétale » qui voit la mobilisation
des collectivités comme une source majeure de leur transformation et de la transformation de
leur relation aux autres unités sociales.
Selon cette perspective, les choix des individus ne sont pas uniquement motivés par des choix
rationnels. À côté d’eux coexistent une interaction complexe de motifs et de logiques
d’appartenance, qui font dire à l’auteur que le fonctionnement d’une économie suppose de
prendre en compte l’encastrement des logiques marchandes, institutionnelles et sociales.
C’est cet aspect transformatif des communautés qui fait de la mobilisation des collectivités
une source majeure de leur transformation, et de la transformation de leur relation aux autres
unités sociales par le principe de « compliance », que nous transposerons dans l’analyse des
firmes gabonaises de notre corpus. En effet, tout comme les effets pervers de la
mondialisation et des programmes d’ajustement structurel, la pratique du management dans
les entreprises africaines relève d’une aventure à la fois préoccupante et complexe. À la fois
4 Etzioni (A.), « Comment reconstruire la société ? » Propos recueillis par Jean-François Dortier et Martha
Zuber, Sciences humaines n°112, janv.2001, p.38-41. 5 Mouvement de pensée qui s’oppose à l’individualisme excessif de la société américaine et prône la
reconstruction des communautés comme groupes d’appartenance et de reconnaissance. 6 Par ce courant, s’exprime une tradition de pensée qui cherche à articuler l’étude des formes économiques à
celles des structures sociales.
8
singulière et plurielle, si l’on s’en tient à l’ensemble des contributions parues sur la question
[cf. Hernandez (1997 ; 1998 ; 2000), D’Iribarne (1987, 1989, 1990, 1998, 2003)].
0.2. Justification théorique
C’est pourquoi le concept de « cité domestique » issu des écrits de Boltanski et de Thévenot7
offre une alternative à l’adéquation de ces valeurs dans le monde de l’entreprise dans un
premier temps. La « théorie de la guidance sociétale » d’Etzioni, tributaire du mouvement de
socio-économie dans un second temps, nous semble compléter cette première approche, dans
la mesure où elle inclut les communautés, c’est-à-dire les individus dans la dynamique des
relations entre l’État et le marché. En effet, ces deux théories permettent d’établir une forme
de mixité et d’équilibre entre les exigences et les objectifs de rationalité économique, sans
pour autant négliger les logiques d’appartenance sociale auxquelles se réfèrent les individus.
C’est pour cette raison que l’un des pré-requis que nous avons posé, au vu de la perspective
retenue est de considérer d’une part, l’Afrique et ses spécificités comme paramètre d’analyse
à part entière, indissociable de l’appréhension des structures organisationnelles. Pierre
Dupriez notamment, [1999, « Le management interculturel : mode éphémère ou réalité
d’entreprise ? »] l’a fort bien appréhendé, à travers le paradigme du management
interculturel. Celui-ci manifestant les interactions existant entre la pratique du management et
la réalité des cultures et des lieux d’implantation.
Dès lors, comme le soulève Kanyi O’Cloo8 ou Philippe D’Iribarne
9 dans leurs propos, on peut
s’interroger sur la pertinence de l’universalité de méthodes et de théories managériales
appliquées en dehors de leur contexte d’action à obtenir des résultats satisfaisants, sans
quelque adaptation. Le tout étant bien sûr de savoir comment y parvenir, chaque entreprise
ayant une âme et des environnements particuliers en fonction de sa taille, de sa structure, de
sa culture, de son mode d’organisation, etc.
7 Boltanski (l.), Thévenot (L.), De la justification. Les économies de la grandeur, 1991.
8 O’Cloo (K.), « Spécificités culturelles pour un management stratégique africain ». Mémoire de DEA, sous la
direction de Michel Kalika, 1991. 9 D’Iribarne (P.), « Ce qui est universel, et ce qui ne l’est pas », Revue française de gestion, 1987, p.6-9.
9
Cela revêt d’autant mieux d’importance que c’est cette cohabitation (d’un contexte socio-
culturel indissociable du monde de l’entreprise) qui est en partie ou en totalité responsable des
difficultés de gestion patentes dans la plupart des entreprises publiques des États africains.
Mais au-delà de l’impact de ce facteur fortement structurant, nous nous demanderons si c’est
un entrelacement de facteurs hétérogènes, que nous tenterons de décrypter sur le terrain, qui
perturbent et projettent dans leur ensemble ces entreprises dans des gouffres financiers et
organisationnels, conduisant à des campagnes de restructuration/privatisation.
C’était notamment le projet de Mouhamed El Bachir10
, dans sa thèse consacrée aux
procédures de contrôle et au degré de décentralisation dans les groupes français implantés en
Afrique. Sa réflexion a comme point d’ancrage la crise des années 1970, qui marque en effet
le tournant des problèmes de compatibilité relevant des méthodes de gestion, ainsi que la
médiocrité des performances des entreprises publiques, dont les problèmes et déficits majeurs
sont imputables à une absence de rigueur et de contrôle.
C’est pourquoi, le titre générique de notre recherche insiste sur le caractère contingent de nos
investigations, en mettant en relief la mise en œuvre du management stratégique des systèmes
d’information comme vecteurs de performances. Autrement dit, nous voulons à partir de la
réalité de nos observations sur le terrain, expérimenter les facteurs clés de succès ou d’échec
de la politique générale d’entreprise, en soulignant la place accordée aux pratiques et
politiques informationnelles du système d’information dans les actes de pilotage stratégique.
Une « bonne » stratégie doit en effet pouvoir reposer sur une vision juste et s´appuyer sur des
objectifs concrets et précis. Pour épauler l’équipe dirigeante dans ses choix et son suivi, il
existe des outils permettant d´établir des indicateurs de performance (gestion des stocks, flux
des ventes et de la production, etc.), grâce à l´analyse des données du système d´information,
établie sur la base des calculs de ses indicateurs. Le « Business Process Management »
évoqué par Pierre Barreaud11
, est l’un de ces systèmes de pilotage permettant de définir a
posteriori des indicateurs de performance et de suivi des objectifs.
Le système d´information constitue en effet pour nous un moyen d’évaluer l’impact de ce
type de management à l’intérieur de ces firmes. Au vu des possibilités offertes, non seulement
10
El Bachir (M.), « Autonomie et procédures de contrôle dans les groupes français implantés en Afrique ». Sous
la direction de Daniel Gouadain, Octobre 1995. 11
Barreaud (P.), « Pilotage stratégique : le SI au service du management »,
http://www.indexel.net/doc.jsp?id=1914
10
par les développements de la société de l’information, mais aussi en raison des opportunités
que ces technologies sont susceptibles d’offrir pour bénéficier d’avantages compétitifs
durables. Ce qui nous porte de plain-pied vers la prépondérance de l’économie de
l’immatériel, en tant que facteur permettant d’optimiser la décision informée [Bounfour,
1998 . Davenport et Marchand, 1999 ; Du Tertre ; Epingard ; Portnoff].
Ainsi, l’économie de l’immatériel ou management des ressources immatérielles, ne se réduit
pas seulement à la société de l’information, mais correspond davantage à « une rupture entre
une économie fondée sur des ressources physiques critiques et une économie où les facteurs
immatériels sont devenus déterminants, en raison de l’explosion des connaissances
disponibles et de la complexité des situations à traiter »12
. Ce management a pour objet
d'optimiser les liaisons entre les ressources technologiques, les ressources humaines et
l'ensemble des systèmes de l'entreprise afin d'accumuler et de valoriser les savoirs internes de
l'entreprise en liaison avec ceux existants et offerts à l'extérieur [cf. Bounfour 1998 ;
Epingard ; Du Tertre ].
Grâce au décryptage du système stratégique de ces firmes, nous allons ainsi pouvoir
déterminer les dysfonctionnements ou les phénomènes qui président ou ont présidé à leurs
performances. L'analyse des aspects organisationnels relevant de la dimension socio-culturelle
d’une part. Et d’autre part, celle de la gestion des risques liée à l’activité de ces firmes, à la
lumière des opportunités offertes par le management des ressources immatérielles (MRI)
notamment, nous permettra d’éclairer le fonctionnement et les contraintes inhérentes à
l’action organisée au sein des firmes retenues.
Concrètement, il s’agit pour nous de savoir s’il existe ou non une volonté d’intégrer dans les
processus décisionnels clés de ces firmes, le système d’information tel que nous nous le
sommes approprié, en tant qu’interface hommes/machines, en élément-ressource du pilotage
stratégique. Cela présuppose de tenir compte des logiques de management de ces entreprises
en tant que facteur clé de succès ou d’échec des spécificités et des stratégies déployées.
0.3. Méthodologie de la recherche
Le décryptage du système stratégique de ces firmes nous permettra ainsi de distinguer les
organisations performantes, notamment par leur capacité à intégrer le management des
12 Portnoff (André-Yves), « Comment tenir compte de l’immatériel ? », http://www.i-km.com/immateriel.htm
11
ressources informationnelles dans le dispositif global d’intelligence13
. Mais cette intégration
constitue surtout pour nous le moyen de jauger l’adaptativité et la compétitivité de ces firmes,
par rapport aux conditions et aux évolutions de leur environnement et du marché. En effet, les
problèmes de coordination, de coopération et d’adhésion constituent indéniablement les
ingrédients moteurs/catalyseurs du pilotage stratégique d’entreprise, car ils sont au cœur de la
mise en œuvre des processus qui conditionnent leurs succès ou leurs échecs.
Notre perspective de recherche ayant une visée exploratoire, nous analyserons le
fonctionnement de ces organisations aux fins de recueillir les données indispensables pour
mener au mieux nos investigations. Cela présuppose de façon sous-jacente de s’appesantir
quelque peu sur l’acception et la portée de l’idée de performance dans la poursuite et le
maintien d’avantages compétitifs durables.
Ainsi, à partir de l’idée de performance, terme polysémique ou « concept-valise »,
s’appliquant à tout ou presque dans des domaines divers, pour reprendre l’expression
d’Annick Bourguignon14
, pourrons-nous, risquer des interprétations sur le style de
management et le type de structure organisationnelle. Cette tripartition prend notamment en
compte l’acception de la performance en tant que représentation de la réussite économique
des organisations, déclinée au singulier.
La seconde définition renvoie aux notions d’efficience (un ratio productif), de compétitivité
(le souci d’adaptation et de réactivité permanent) et d’efficacité (l’atteinte des objectifs
poursuivis), grâce à la mise en valeur des savoir-faire et expériences, sources des core-
competence évoqué par Gary Hamel et C.K. Prahalad15
. Le résultat de ces actions pouvant
être relié à la combinaison de processus ad hoc tributaires de convictions personnelles, mène
à la troisième acception. Celle-ci intègre à l’idée de performance les substrats idéologiques,
identitaires, et/ou culturels que les individus peuvent lui donner. Elle est plus idéologique et
subjective, car elle renvoie directement aux représentations qu’en ont les individus. Elle nous
intéresse en ce sens qu’elle désigne à quoi se rattache la notion de performance pour telle ou
telle catégorie d’individus par exemple.
13
Il s’agit bien entendu de la capacité d’une organisation à adopter une configuration organisationnelle qui soit
en adéquation avec les objectifs stratégiques poursuivis. 14
Bourguignon (A.), “Définir la performance: une simple question de vocable?”, Performances et ressources
humaines, 1996, p.18-31. 15
Hamel (G.), Prahalad (C.K.), La conquête du futur, 1995.
12
Cette troisième et dernière acception peut être rapprochée de celle du concept d’« espace
social » d’Hamid Bouchikhi16
, faisant référence à « un ensemble de règles formelles ou
informelles, de ressources matérielles ou symboliques, de schémas cognitifs partagés par un
certain nombre de personnes, parce qu’ils représentent le contenu dans lequel ces derniers
agissent et interagissent ». Il ressort de ces différentes acceptions que le concept de
performance est un terme chargé de valeurs, dont les enjeux se situent à des niveaux
d’interprétation divers comme en témoigne le passage suivant :
« C’[l’idée de performance] est un moyen parmi d’autres pour comprendre des résultats ou
des processus d’action. On les évalue par rapport à des attentes, ce qui aide à prendre des
décisions. C’est aussi un cadre idéologique pour organiser le réel et le justifier, en mobilisant
les individus à partir des discours opérationnels qui en sont tirés. Derrière une image de la
performance, on peut introduire une théorie sur les hommes (X, Y, Z), glisser une
interprétation du management (hiérarchisé, participatif, contractuel) ou imposer un style de
communication (par persuasion, débat conflictuel ou consensus programmé)»17
.
Pour l’auteur, cette polysémie remplit une fonction politique, idéologique et sociale identique
à celle du management. Autrement dit, la performance, essentiellement contingente, est un
terme qui prend la valeur que ses utilisateurs veulent bien lui attribuer. L’intérêt de
l’acception idéologique, est de marquer le degré d’implication et/ou de motivation des
individus dans l’organisation, car cela facilite la compréhension et l’interprétation des
problèmes qui ont cours au sein de ces organisations.
Il répond à notre souci d’aider à la compréhension du management des entreprises africaines,
singulièrement à celui des entreprises gabonaises de notre corpus d’études. Les phénomènes
qui rythment la vie des organisations ne se comprennent que partiellement si l’on oublie de
prendre en compte ces interactions, dont la première acception régule les deux autres au
niveau de l’activité d’une organisation. Mais de manière générale, la performance est bien le
résultat d’une action quelle soit individuelle ou collective, en conformité avec les valeurs et
les objectifs poursuivis par les acteurs d’une organisation [Thévenet 1992, Nifle 2001].
Sa portée n’est donc pas dénuée d’intérêts. Elle nous permettra d’effectuer des analyses
comparatives, à partir desquelles seront dégagées les compétences-clés à l’origine de ces
16
Bouchikhi (H.), « Structuration des organisations et compétitivité : un point de vue constructiviste »,
Management stratégique et compétitivité, 1995, p. 379-394. 17
Bourguignon (A.), op. cit., p.5.
13
performances. Cela nous permettra ainsi de dégager des catégories-structures permettant de
comprendre d’éventuels dysfonctionnements, dont le système d’information contient des
traces. Les échanges que nous aurons avec les membres des équipes dirigeantes de ces firmes,
ces derniers ayant la lourde et délicate tâche de définir la politique générale, nous éclaireront
sur la vision stratégique qu’ils ont de leur environnement.
Pour ce faire, nous nous appuierons sur les théories des organisations, notamment l’approche
contingente, parce qu’elle repose sur un ensemble de facteurs de nature à rendre compte de la
structuration des organisations. Il s’agit donc pour nous d’analyser et d’interpréter des
politiques managériales sur la base de résultats en corrélation étroite avec la réalité du
management des systèmes d’information de ces entreprises. Cela présuppose pour nous qu’au
niveau de leurs processus stratégiques, les entreprises doivent savoir anticiper d’éventuels
changements de leur environnement. Et le cas échéant, pouvoir se doter de moyens d’actions
pour ne pas être dépassés, notamment par une remise en cause des schémas habituels
d’élaboration et de mise en œuvre de leurs stratégies.
Les principes de « contingence » et du « fit »18
d’Éric Delavallée qui lient l’efficacité du
système à une adéquation entre ses variables (d’efficacité) et une situation donnée pour le
premier ; et « le principe du fit » qui lie l’efficacité du système à une cohérence entre ses
différentes variables, nous fournissent une grille de lecture pertinente pour analyser les
phénomènes à l’œuvre dans les organisations. On y trouve en effet des variables adaptées à
l’élaboration d’hypothèses, nous permettant a posteriori de valider ou d’invalider le fait que
les performances d’une organisation sont en étroite corrélation avec les interactions entre la
structure interne, ses acteurs, et l’environnement externe.
18
Delavallée (E.), « Pour ne plus gérer sans la culture », Revue française de gestion n°110, 1996, p.2-16.
14
En effet, comme nous aurons l’occasion de le voir, la performance et le management de ces
entreprises résultent d’interactions multiples chargées de valeurs idéologique, politique et
sociale. Ces deux postulats renvoient à deux hypothèses centrales développées par Henry
Mintzberg [1996] sur l’analyse des configurations organisationnelles : « l’hypothèse de
congruence » qui implique que l’efficacité d’une structure soit en adéquation avec sa situation
(ses environnements) ; et « l’hypothèse de configuration » qui implique un minimum de
cohérence interne entre les différents paramètres de conception des tâches.
Dans sa théorie, il les recoupe en une seule : « l’hypothèse élargie de configuration » qui lie
l’efficacité d’une structure à la cohérence des variables internes, ainsi qu’aux facteurs de
contingence [cf. Mintzberg 1996, p.207-209]. Sur la base de ces hypothèses, notre étude vise
ainsi à mettre en relief, à partir de l’investigation de ces entreprises, les facteurs de réussite ou
d’échec imputables à leur politique générale au niveau du management de leur structure
organisationnelle, et plus singulièrement de leur système d’information.
Nous aurons l’occasion de le démontrer au cours de l’analyse-terrain des firmes retenues à cet
effet, afin de marquer le caractère contingent et idéologique du management. Nous pourrons
ainsi justifier des difficultés de gestion que peuvent rencontrer les entreprises, dans le cas qui
nous occupe. Grâce au décryptage de ces phénomènes, dont témoigne le concept de
« catégories-structures » d’Alain Degenne et de Michel Forse19
, nous pourrons ainsi mettre
au jour des structures organisationnelles, à partir des relations établies entre les acteurs de
l’organisation et le système stratégique de leur entreprise20
.
Cette proximité structurale nous permettra ainsi de « définir » a posteriori des modèles de
gestion et de gouvernement des hommes, au vu de l’interprétation que nous ferons des
observations sur le terrain, que l’on recoupera avec certains préceptes des théories de la firme.
Celles-ci envisagent en effet la firme comme un ensemble de contrats qui établissent une
certaine structure , et lui permettent à la fois de profiter des avantages de la spécialisation et
d'assurer un système d'incitation et de contrôle efficace. [cf. Armen Alchian et Harold
Demsetz 1972 ; Masahiko Aoki 1984 ; Harvey Liebenstein 1987].
19
Degenne (A.), Forse (M.), Les réseaux sociaux. Une analyse structurale en sociologie, 1994, 288 p. 20
Ce concept a une portée double, puisqu’il témoigne d’une part du réseau de filiales d’une entreprise qui repose
sur un ensemble d’unités et de services interreliés. Le second aspect qui se situe au niveau du champ stratégique,
se concentre sur les relations que peut développer une entreprise en nouant des alliances stratégiques par
exemple. Pour notre part, nous limiterons cet aspect au triptyque produits/services, compétences et marché. Ce
sont ces deux aspects qui constituent le système stratégique d’une entreprise dans l’ouvrage d’Yvan Allaire et de
Mihaela Firsirotu [1993, p.17].
15
Nous inspirant des thèses de Robert Paturel21
, notre étude procèdera d’une approche clinique
hypothético-déductive à visée illustrative. Cette dernière étant bien entendu guidée par les
hypothèses issues des éléments de théorie permettant d'asseoir un raisonnement particulier
dont la confirmation ou l'infirmation est obtenue par l'expérimentation. Cette démarche de
recherche dite empirico-formelle nous portera vers cet objectif.
En effet, l’entreprise à laquelle nous nous attelons nécessite d’analyser le fonctionnement de
ces organisations à partir du recueil de données effectué. Ce type d'observations n'impliquant
pas obligatoirement que le chercheur soit immergé dans l'organisation, cela se traduira
concrètement pour nous par des entretiens approfondis de durée substantielle. Ces entretiens
s’appuyant sur l’élaboration d’un questionnaire avec des interlocuteurs privilégiés, occupant
des postes de direction dans ces entreprises.
Fort de cette stratégie, nous nous en servirons alors pour tirer parti de ces interactions dans
une perspective illustrative. Cette dernière correspondant à une argumentation éclairant le
sujet grâce aux faits recensés, susceptibles d'accentuer la valeur du point de vue exposé, aussi
bien au plan explicatif que démonstratif. Si notre intention première était d’effectuer une
étude de cas, les contingences matérielles et spatio-temporelles nous ont hélas contraint à
nous limiter à une étude clinique. En effet, cette dernière portant sur l’analyse d'un type de
phénomènes s'étant réalisés au sein d'une ou de quelques organisations précises en nombre
nécessairement limité, il nous était matériellement plus aisé d’aller en ce sens.
Notre approche-terrain visant à vérifier les hypothèses émises se basera pour l’essentiel sur la
pratique d’entretiens de recherche. Ces derniers permettant d’un point de vue méthodologique
d’aboutir à la compréhension et à la recherche de sens [cf. Blanchet et al., 1998, p.84-85].
D’utiliser ces entretiens comme champ expérimental, où l’enquêteur cherche la validation ou
la non-validation des hypothèses préalablement constituées [Blanchet et al., p.125], notre
tâche consistant à rechercher les facteurs contingents susceptibles d’expliquer les problèmes
de gestion dans ces entreprises. Au regard du contexte environnemental gabonais, l’approche
contingente trouve ici son sens, car elle a le mérite de relier l’efficacité d’une structure
organisationnelle, à l’adaptation et à la cohérence de concepts théoriques et sans matérialité
apparente à la réalité du terrain.
21
Paturel (R.), « Management stratégique », Papier de recherche disponible sur www.iae.univ-
nantes.fr/recherch/travaux/these/coordpaturel.html
16
0.4. Plan de la recherche
L’organisation de notre travail comporte trois parties subdivisées en sept chapitres. Les deux
premières parties sont consacrées à l’examen théorique des thèmes de la recherche, tandis que
la dernière porte sur les aspects méthodologiques privilégiés, ainsi que sur l’interprétation et
l’extrapolation des résultats obtenus. Dans la première partie, le premier chapitre se consacre
notamment à l’évolution des courants majeurs de la pensée stratégique, pour insister sur la
complexité et l’aspect contingent des théories développées dans leur évolutivité.
Le second chapitre, compte tenu de l’évolutivité des théories issues des écoles normatives et
processuelles que nous avons ressorties, va s’attarder sur les conditions de congruence
(économiques, structurelles, environnementales, etc.) nécessaires à la dynamique d’entreprise.
Il s’agit à travers ce chapitre d’insister sur les mécanismes qui peuvent influencent et interagir
sur les environnements externe et interne des entreprises, pour leur assurer un potentiel de
compétences-ressources capable de répondre aux exigences et aux conditions du marché.
Par ce biais, nous cherchons à ébranler la thèse de l’universalité des pratiques de
management, pour privilégier celle de la complexité, proche des analyses contingentes et
structurelles. Celles-ci mettent en effet davantage l’accent sur les relations entre la stratégie,
l’environnement et les structures organisationnelles, relevant d’une multiplicité de facteurs
tributaires d’une construction/reconstruction de l’environnement stratégique.
C’est une interface cognitive essentielle entre l’environnement, l’organisation et les
performances, qui conditionne les processus mis en œuvre à cet effet, tout en accompagnant le
changement organisationnel lorsqu’il s’avère nécessaire. D’où l’importance des processus mis
en œuvre dans les actes de pilotage stratégique, en raison de la part accrue des investissements
et du management des ressources immatérielles.
La deuxième partie de notre exposé, solidaire de la précédente est consacrée aux effets du
management stratégique des systèmes d’information. Cet intérêt qui se justifie par la part
croissante des investissements immatériels, et de leur participation aux processus participant
de la décision informée est l’objet du quatrième chapitre. Nous y développons notamment les
aspects contribuant à l’intelligence organisationnelle, à travers les stratégies d’intelligence
économique et concurrentielle.
17
Étant donné le choix de notre corpus, le troisième chapitre est donc axé sur la confrontation
des éléments de théorie issus de la pratique du management stratégique et des réalités de la
rationalité managériale africaine. À travers les éléments de théorie et les modèles conceptuels
qui en ressortent, nous montrerons que les logiques/grandeurs évoqués par Boltanski et
Thévenot acquièrent leur sens dans la construction et la pertinence des stratégies et du
management de ces firmes.
Tout comme dans la première partie, une fois l’examen des théories du management des
systèmes d’information achevé, nous en avons marqué l’intérêt dans le cinquième chapitre
consacré aux enjeux de ces mutations dans le contexte africain. Étant donné que la croissance
économique y est compromise en raison notamment de la pertinence des choix effectués, nous
y entrevoyons les bénéfices des TIC et du management des ressources immatérielles de
manière générale, pour les firmes de notre corpus.
La troisième partie à travers les deux derniers chapitres s’intéresse aux aspects
méthodologiques et analytiques de l’enquête, à travers l’exploitation et l’extrapolation de ses
données. Nous y aboutirons ainsi à la confirmation ou à l’invalidation des hypothèses
préalablement émises.
Partie I : Le management stratégique face aux
contraintes de l’action organisée
19
Chapitre Ier : Aperçu sommaire de l’évolution de la
pensée stratégique
Ce chapitre consacré à l’évolution de la pensée stratégique est un détour paradigmatique
effectué au cœur des théories des organisations. Il a pour effet d’examiner les grands courants
constitutifs de l’analyse stratégique, à partir de leur évolution. Le but étant de montrer que
comparativement à l’évolution des théories de la pensée stratégique, les approches
managériales à l’œuvre dans les entreprises de notre corpus, doivent elles aussi faire l’objet
d’adaptations et de mesures contingentes aux réalités et aux spécificités de leur contexte
d’action.
Section I : Les écoles normatives
Cet examen se base pour l’essentiel sur les travaux de Mintzberg et al. [1999]. Sous ce label
se retrouvent trois mouvements précurseurs de la pensée stratégique. Tous les courants de
pensée évoqués ici se focalisent davantage sur la manière de concevoir des stratégies, plutôt
que sur leur constitution effective. Cet aperçu est important pour nous, car il nous permet de
démontrer que les théories managériales, elles non plus ne doivent et ne devraient pas être des
modèles de gestion figées. À leur image, elles doivent suivre des processus et des contextes
de formulation seuls capables de les aider à se constituer.
La première d’entre elles, l’école de la conception correspond à ce que l’on pourrait appeler le
degré zéro de l’édification de la pensée stratégique. Son origine remonte aux années soixante
avec des concepteurs tels que Alfred Chandler [1989, Stratégies et structures de l’entreprise]
qui ont contribué à lui donner les contours que nous décrirons plus longuement par la suite. À
20
sa suite, l’école de la planification qui a connu son apogée dans les années soixante dix, s’est
développée en apportant à cette première mouture une dimension formelle se traduisant par la
programmation des stratégies que l’école de la conception se bornait jusqu’à lors à concevoir
de façon plus ou moins informelle. La dernière, l’école du positionnement s’inscrit carrément
dans une logique économique en faisant la part belle au marché, et en négligeant de fait les
processus d’élaboration de la stratégie.
21
Ces trois écoles sont aux sources de l’analyse stratégique et de ses développements futurs.
Même si aujourd’hui on peut leur reprocher leur « dogmatisme » par rapport aux écoles dites
processuelles, il n’en est pas moins vrai qu’elles ont œuvré à la construction de la forteresse
« management stratégique ». On peut même dire que ces prémisses ont mené à l’émergence
des processus du tournant paradigmatique des écoles dites « processuelles ». Dans un article
relatif à l’évolution des discours sur la stratégie d’entreprise, Alain-Charles Martinet22
en
arrivait déjà aux mêmes conclusions, en adoptant une typologie différente. Cela se traduit par
la classification qui apparaît dans le tableau suivant :
APPROCHE CLASSIQUE APPROCHE RENOVEE
L’entreprise est un organisme technico-
économique
L’entreprise est simultanément :
un agent de production
une organisation sociale
un système politique
L’environnement de l’entreprise est
essentiellement le(s) marché(s) sur
le(s)quel(s) s’affrontent des concurrents.
« L’entreprise est en marché(s)
2. L’environnement est constitué de tous
les acteurs en relation (effective et
potentielle) avec l’entreprise – « les parties
prenantes » - et l’ensemble « résiduel »
(groupes d’opinion, relais,…) qui
influencent les attitudes et comportements
des premiers.
« L’entreprise est en société »
22
Martinet (A.-C.), “Les discours sur la stratégie d’entreprise”, Revue française de gestion, 1988, p.49-59.
22
La stratégie est celle de l’entreprise en lutte
(et accessoirement en coopération) avec les
acteurs intervenant sur le(s) marché(s).
3. La stratégie est d’abord celle que le
« groupe dirigeant » choisit pour
l’institution dont il a la garde, en lutte-
coopération avec les acteurs internes et
externes concernés. Elle devient celle de
l’entreprise lorsqu’elle est prise en charge
par son corps social.
La stratégie consiste à allouer les
ressources de telle sorte que soit modifiée
le système concurrentiel à l’avantage de
l’entreprise.
La stratégie consiste à créer les conditions
de congruence – économiques, techniques,
sociales, politiques – entre
l’environnement et l’entreprise de sorte
que celle-ci dispose d’un potentiel
maximal de performances.
L’essentiel de l’effort de réflexion
stratégique est dédié au choix d’un
positionnement judicieux sur le(s)
marché(s).
L’analyse stratégique peut se cantonner
à la formulation, à la mise en œuvre
ultérieures traitant tactiquement les
facteurs de freinage ou d’accélération.
L’effort de positionnement stratégique
porte sur le choix d’un positionnement
judicieux de l’entreprise dans
l’environnement ET sur les conditions de
son acceptation par les acteurs internes,
externes et « résiduels ».
L’analyse stratégique, récusant la
séparation formulation/mise en œuvre,
porte ex ante sur la compatibilité du projet
avec les éléments frein et moteur.
23
Les contraintes et opportunités de
l’environnement, les forces et faiblesses de
l’entreprise sont perçues selon une logique
des facteurs (par exemple : le « facteur »
travail.
La rationalité stratégique est de type
technico-économique.
Ces éléments sont envisagés selon la
double logique des facteurs et des acteurs
(par exemple : quantité et qualité de travail
et comportements/pouvoirs des
« travailleurs ».
La rationalité stratégique est de type
mixte (technico-économique et
sociopolitique).
Tableau 1 : Fondements théoriques des approches stratégiques. D'après Alain-Charles
Martinet, “Les discours sur la stratégie d’entreprise”, p..57.
Dans ce tableau, transparaît clairement le passage d’une économie industrialisée à une
économie dominée par le fonctionnement et le recours à des réseaux techniques et socio-
économiques. De la première à la dernière étape symbolisée, on voit d’un côté un mode
d’organisation et de fonctionnement rigide ne tenant a priori pas compte de l’interaction issue
du jeu des acteurs. De l’autre, un mode de fonctionnement réticulaire et organique reposant
sur la combinaison des facteurs de production et des stratégies déployées par des acteurs qui
participent à l’édification de la stratégie d’entreprise.
1.1. L’école de la conception : l’élaboration de la stratégie en tant que processus
de conception
1.1.1. Présentation sommaire
Pour cette école, le processus d’élaboration de stratégies renvoie à une expérimentation
coercitive et analytique des potentialités de l’organisation, en adéquation avec la ligne
budgétaire et la politique générale de l’entreprise. Pour ce faire, elle s’arrime à un socle de
préceptes où l’élaboration de stratégies suit un processus délibéré de réflexion résultant d’un
processus faisant appel aux connaissances détenues par le « concepteur- stratège » qui
s’apparente généralement au chef d’entreprise.
24
Ce dernier se basant sur un canevas précis d’étapes à poursuivre pour extraire « la meilleure
stratégie ». De fait, c’est moins le contenu des stratégies que le processus de leur élaboration
qui retient ici l’attention. C’est seulement après leur formulation que ces stratégies, uniques,
mûres, explicites et simples peuvent être appliquées. Ce principe fait référence à la
dichotomie qu’effectue l’école de la conception entre formulation et mise en œuvre de la
stratégie, et qui sous-tend le précepte selon lequel la structure suit la stratégie. Cette
dichotomie formulation/mise en œuvre de la stratégie est le principal grief à l’encontre de
cette école, outre l’omnipotence du manager-stratège dans la vie de l’entreprise et l’absence
de prise en compte des expériences passées.
1.1.2. Examen critique des préceptes de l’école de la conception
Au lieu de tirer parti du cadre général d’élaboration de la stratégie qu’elle a instauré, l’école
de la conception s’est réfugiée dans un créneau défini : la stricte poursuite des stratégies
arrêtées lors de la phase de formulation. Par ailleurs, la dichotomie effectuée entre pensée
(formulation de la stratégie à adopter) et action (mise en œuvre) contribue à l’enfermement de
la stratégie en un cycle réducteur de conception individualisée et simpliste où le manager-
stratège dicte sa loi aux autres composantes de l’organisation. De plus, l’aspect
incrémentaliste qui n’est pas pris en compte lors de l’élaboration de la stratégie mine l’aspect
émergent et la prise en compte de facteurs antérieurs.
L’élaboration de la stratégie est moins un processus d’apprentissage que de conception
« originale » reposant sur une idée maîtresse : la pensée est indépendante de l’action, avec
toute l’abstraction que cela représente en matière de construction de stratégies. Celles-ci se
limitant au diagnostic établi par des managers loin des réalités du terrain. Ce qui nous amène
à faire état d’une maxime chère à Alfred Chandler : « la stratégie doit précéder et déterminer
la structure ».
Ce à quoi Mintzberg et al. [1999] rétorquent : « le travail stratégique est un système intégré et
non une suite arbitraire d’actes ». Ce postulat laisse présumer l’idée selon laquelle
l’élaboration de la stratégie primerait sur le capital acquis par l’entreprise au cours de son
existence, niant ainsi l’impact de l’environnement tant interne qu’externe. Au lieu
qu’expériences et stratégies se soutiennent mutuellement, l’école de la conception privilégie
unilatéralement la conception de stratégies délibérées.
25
Au-delà de ces critiques, l’apport de l’école de la conception à l’édification de la pensée
stratégique reste indéniable. L’inconvénient majeur à l’épanouissement de ce courant réside
dans l’idée même de la conception, qui repose sur les connaissances d’un concepteur
« génial » disposant de la panacée à tous les avatars susceptibles de se produire (prétention à
l’universalisme) au sein de l’organisation. En outre, ce modèle de conception de la stratégie,
s’il peut parfaitement s’appliquer à certaines situations reste insignifiant dans d’autres cas.
Dans leur appréciation de l’apport du modèle de la conception, Mintzberg et al. expriment
cette idée de la façon suivante :
« Notre critique ne vise pas à contester en bloc l’école de la conception mais seulement ses
prétentions à l’universalité, l’idée qu’elle représenterait la « voie royale » vers l’élaboration
de la stratégie. En particulier, nous jugeons son modèle inapplicable dans toutes les situations
où l’élaboration de la stratégie doit mettre l’accent sur l’apprentissage, notamment à caractère
collectif et où règne l’incertitude et la complexité »23
.
Voilà qui préfigure déjà des théories contingente et configurationnelle. Comme nous le
verrons plus tard au niveau des différents paradigmes de l’approche contingente, ces derniers
préconisent d’adapter la structure de l’organisation aux aléas de ses environnements (externe
et interne). Nous rapprochant des critiques émises par Mintzberg et al. [1999] sur la prétendue
universalité de la méthode de conception de stratégies en tant que panacée, nous y voyons là,
à l’instar des détracteurs de la thèse de l’universalité des pratiques managériales, une source
d’échecs avérés dans la plupart des entreprises africaines.
Ceux-ci se traduisant dans le cas d’espèce par des performances insatisfaisantes à tous points
de vue au niveau de la gestion financière et de la gestion des ressources humaines qui restent
calamiteuses. En dépit de cette critique, le modèle de l’école de la conception s’applique
particulièrement bien aux entreprises en difficulté dans deux contextes :
1. Le premier cas de figure fait référence à des entreprises nécessitant un changement de cap
radical, soit parce que la stratégie préconisée jusqu’à lors se révèle inappropriée, ou
qu’elle est susceptible d’instaurer un climat de stabilité de nature à permettre à l’entreprise
concernée de se remettre sur les rails.
2. Le second cas de figure peut s’appliquer aux entreprises qui débutent, les fameuses
« start-up ». L’élaboration de la stratégie dans ce contexte suppose une orientation claire
par rapport aux stratégies des concurrents, qui sont très souvent le fait de l’initiateur du
projet.
23
Mintzberg (H.), Ahlstrand (B.), Lampel (J.), Safari en pays stratégie. L’exploration des grands courants de la
pensée stratégique, 1999, p.53.
26
En dépit de ces inconvénients, l’école de la conception reste le modèle fondamental de
référence de la pensée stratégique et de son développement, à travers son credo fondé sur
l’adéquation entre les opportunités extérieures et les capacités intérieures de l’entreprise.
D’ailleurs, il sert aujourd’hui encore de base à l’analyse stratégique et a laissé son empreinte
dans les processus d’élaboration de stratégies de l’école du positionnement dont nous
parlerons ultérieurement.
1.2. L’école de la planification ou l’élaboration de la stratégie comme plan
Apparue au même moment que l’école de la conception, l’école de la planification stratégique
connaît son apogée dans les années soixante dix avec la publication de Igor Ansoff24
. Bien
qu’ayant bénéficié d’une littérature prolifique, cette école va s’essouffler victime des revers
de ses succès d’antan.
1.2.1. Présentation sommaire
Le modèle dominant de cette école repose sur la fixation d’objectifs en amont et sur la
programmation de plans budgétisés en aval. En lieu et place de la réflexion menée par l’école
de la conception, les tenants de l’école de la conception ont développé des procédures
détaillées d’explications et aussi souvent que possible, de quantification des buts de
l’entreprise. Cette première étape franchie, les deux suivantes consistent à évaluer la situation
interne et externe de l’entreprise par un audit.
Ce modèle est plus en phase avec les réalités d’un « management à l’africaine », compte tenu
du taux élevé d’analphabétisation au niveau de la base de ces entreprises, dont les équipes
dirigeantes sont à la fois sources et moteurs de la politique générale et des initiatives à mener.
De plus, la manière de concevoir les stratégies sur la base de plans d’actions, si tant est que
ces derniers soient modulables et respectés au gré des contextes d’action et des
environnements de l’entreprise, leur conviendrait davantage. Le modèle de base de cette école
24
Ansoff (I.), Stratégie de développement de l'entreprise, 1989.
27
est conceptualisé ci-après par Mintzberg et al. [1999] d’après le profil de George Steiner
[1969, Top Management Planning].
Figure 1 : Modèle de base de la planification stratégique de Steiner
29
1.2.2. Les griefs à l’encontre de l’école de la planification stratégique
Le grief principal fait à l’école de la planification concerne l’illusion de la prédétermination
stratégique. En effet, les concepteurs de ce mouvement se focalisaient davantage sur l’analyse
de stratégies à adopter plutôt que sur l’efficacité que celles-ci devaient apporter. Comme le
suggère le modèle de Steiner, la planification stratégique se focalise sur trois grandes étapes :
la définition d’objectifs à atteindre à partir de données chiffrées, l’évaluation des forces et
faiblesses de l’entreprise à partir de l’audit externe et interne. Enfin, l’étape finale consiste à
mettre en œuvre les plans arrêtés en respectant scrupuleusement les quotas budgétaires alloués
à chaque plan. On peut également dire de cette école qu’elle a pêché par défaut de procédures.
En effet, dans ce système, les critiques fondamentales convergent sur trois points :
L’illusion de la prédétermination qui fait référence au postulat de prévisibilité et de stabilité
de l’environnement à partir de données analytiques devant conduire à l’élaboration de la
stratégie ;
L’illusion du détachement qui se réfère à la dichotomie pensée/action et qui marque le
décalage entre formulation et mise en œuvre de la stratégie. Tout comme l’école de la
conception, elle institue un système de cloisonnement entre les concepteurs et les applicateurs
de stratégies;
L’illusion de la formalisation qui fait référence à l’utopie d’instituer les données analytiques
comme modèle stratégique viable au lieu de privilégier la rencontre avec le terrain.
Le pêcher de la planification stratégique consiste à reproduire des schémas tactiques où la
démarche analytique saborde l’approche synthétique, au lieu de tirer parti de la fixation et de
la définition d’objectifs pour faire valoir les stratégies arrêtées. Elle se confond par là avec la
démarche de l’école de la conception dont elle se rapproche au niveau méthodologique. Dans
30
ce contexte, il paraît difficile de l’appréhender en tant que système d’élaboration de la
stratégie, mais plutôt comme un moyen d’étayer les stratégies arrêtées. La stratégie, les
principes de son élaboration sont en effet des matériaux beaucoup plus complexes que la
simple programmation de plans et de rapports savamment ficelés. C’est notamment ce qui
transparaît à travers le passage suivant :
31
« l’élaboration de la stratégie est une entreprise très complexe, elle met en jeu des processus
cognitifs et sociaux éminemment complexes, subtils et parfois inconscients. Ces deniers font
appel à des données de nature diverse […]. Ces processus ne suivent aucun modèle
prédéterminé, aucune trace préétablie. La stratégie efficace arbore toujours certaines qualités
émergentes et, même lorsqu’elle est en grande partie délibérée, elle semble souvent relever
moins d’un plan structuré que de la vision informelle. Surtout l’apprentissage par à coups, les
découvertes faites à partir d’événements fortuits et l’identification de schémas inattendus
jouent un rôle fondamental, si ce n’est le rôle fondamental, dans le développement de
stratégies nouvelles »25
.
À travers ce passage, c’est tout un système d’élaboration et de conception de processus
stratégiques qui est remis en cause. D’ailleurs, toutes ces critiques portent moins sur le fait
que la planification stratégique échoue à insérer ses plans dans un processus de formalisation
ad hoc que sur l’élaboration de stratégies assimilables à une structure rigide de programmes à
appliquer à la lettre. On le voit encore ici à travers cette école, l’élaboration de stratégies, et
par voie de conséquence de politiques managériales sont des activités contingentes ne se
prêtant guère à des programmations et à des plans d’action édictés ex nihilo.
C’est donc le caractère inflexible d’une théorie bâtie à partir de « plans », reposant sur une
démarche structurée et formelle qui est ici remise en cause. Pour pleinement jouer son rôle,
l’élaboration de la stratégie doit se nourrir du principe de rétroaction. C’est-à-dire que les
stratégies adoptées doivent engager l’action, qui doit en retour fournir un matériau à
disposition de l’entreprise pour son apprentissage organisationnel. Autrement dit, il faut s’arc-
bouter sur un socle, en l’occurrence le contexte d’action et d’insertion de choix stratégiques
pour assurer le pilotage stratégique d’une entreprise et garantir son obligation de résultats,
c’est-à-dire sa survie.
Loin s’en faut, cette formalisation excessive traduit plutôt l’échec de la planification
stratégique à concevoir des stratégies intégrant la prise en compte de la complexité de
25
Mintzberg et al., op. cit., 1999, p. 83.
32
l’environnement [cf. Avenier, 1999], au profit de l’institutionnalisation de programmes dits
« stratégiques », faisant totalement abstraction de la part d’intuition agissante dans
l’élaboration d’une stratégie. Ce qui fait dire à Mintzberg et al. [1999] que le terme de
planification stratégique est une contraction, un oxymoron qui aurait dû s’appeler
« programmation stratégique », et être présentée comme un processus de formalisation ayant
sa justification à des périodes précises de la vie d’une entreprise, notamment dans les deux cas
cités plus haut.
En somme, c’est moins l’usage que la méthode préconisée par l’école de la planification qui a
contribué à son déclin. Pour Gérard Koenig [1996] notamment, la planification n’est pas une
mauvaise chose en soi, mais plutôt quelque chose qu’il faudrait manipuler avec délicatesse.
Pour lui en effet, il faut distinguer le plan qui cristallise à un moment donné l’action
stratégique et la démarche de planification qui permet de consolider le processus de stratégie
formelle (cf. p.19). Ce que l’auteur veut montrer par cette prise de position, c’est que le
management, ses pratiques et ses contingences, doivent pour s’exercer dans de bonnes
conditions faire l’objet d’un savant dosage entre tous les éléments dont il se nourrit. C’est ce
qui transparaît notamment dans ce passage :
« Le management stratégique vit de processus qui sont à la fois contradictoires et
complémentaires. La pensée stratégique doit être à la fois analytique et compréhensive,
logique et intuitive, cohérente et critique. Le paradigme stratégique doit pouvoir donner lieu à
des visions nouvelles pour éviter que l’accumulation d’expérience ne ruine la capacité
d’adaptation et d’innovation de l’entreprise [...]. Le management stratégique est profondément
dialogique » (p.85).
Appliquée à notre problématique, on comprend d’autant mieux les échecs d’application d’un
management voulant s’affranchir du contexte et des réalités spécifiques des entreprises
africaines. Comme le rappelle Gérard Koenig [1996], « le management stratégique est une
activité essentiellement dialogique. Il s’accommode mal de visions uniformisées, car de
nature contingente, il trouve sa pleine mesure au contact des réalités du terrain dont il se
33
nourrit de façon inter et rétroactive ». Notre démarche s’inscrira dans cette perspective, loin
du formalisme des conceptions normatives de stratégies des écoles de la conception, et de la
planification, en recherchant les éléments de dysfonctionnement, et pourquoi pas de succès
observés dans les entreprises gabonaises de notre échantillon.
1.3. L’école du positionnement : l’élaboration de la stratégie comme processus
analytique
Tributaire de l’école de la conception, l’école du positionnement, dernier mouvement de
l’école normative, se distingue par une approche de la stratégie à dominante économique.
Néanmoins, elle gagne en maturité par rapport à cette dernière en adoptant des stratégies non
pas uniques et sur mesure, mais en s’appuyant sur des données analytiques limitées (les
stratégies génériques) en phase avec les conditions du marché dans un secteur d’activités
donné.
1.3.1. Présentation générale
Comme l’école de la conception et celle de la planification, l’école du positionnement établit
la prééminence de la stratégie sur la structure de l’organisation. Ce postulat fondé sur
l’élaboration de la stratégie en tant que processus maîtrisé et conscient permet de mettre en
place des stratégies « clés en main ». Ici, la nuance se situe au niveau du choix même de ces
stratégies qui se limite à des stratégies génériques. Celles-ci permettent de répondre aux aléas
de l’environnement, en dépassant la stricte définition des plans coordonnés et programmés
comme ce fut le cas pour l’école de la planification.
Elles comportent notamment des éléments sur la position occupée par une entreprise dans son
secteur d’activités, à partir de l’évaluation de ses forces et de ses faiblesses par le manager-
stratège. Le « planificateur » constitue à ce titre un élément clé du système puisque tout
l’édifice repose sur la justesse de ses analyses concernant les ressources de la concurrence et
du secteur d’activité dans lequel il se situe. L’élaboration de ces stratégies repose sur les
éléments suivants :
34
- La domination par les coûts, par la pratique de prix compétitifs impliquant de surcroît une
organisation flexible et à forte productivité ;
- Les stratégies de différenciation qui reposent sur ce que Phillip Selznick [1957] appelait déjà
les compétences distinctives ;
- La chaîne de valeur qui fait référence aux activités primaires d’une entreprise et aux
activités subsidiaires qui se rattachent à ce noyau, sans pour autant être dénuées
d’importance ;
- La concentration des activités de l’entreprise sur un segment clé de marché où elle possède
des atouts certains pour faire face aux concurrents du secteur. Cette stratégie a notamment
été critiquée par Miller26
qui y voit là une façon étroite de délimiter le champ d’action et
d’activités d’une entreprise.
Les éléments qui transparaissent à la lecture de ces stratégies génériques marquent leur
ancrage dans le domaine de la guerre économique, dans la mesure où ils s’appuient sur des
avantages concurrentiels acquis par une entreprise dans son domaine d’activités stratégiques.
Ils sont directement inspirés par la volonté de maintenir ou d’accroître une position acquise
sur le marché, par rapport aux concurrents du secteur, sur la base de stratégies génériques.
C’est l’édiction de telles stratégies qui caractérise la structure du marché gabonais, comme
nous le montrerons dans l’approche-terrain. Ainsi, l’intérêt de cette école par rapport à celle
de la conception est de positionner la structure de l’entreprise par rapport à des stratégies
dictées par la loi du marché, par rapport à son contexte d’action.
Cette école, nourrie principalement par les écrits de Michael Porter [1982, 2003] s’est
construite autour de trois grands mouvements. En première instance, on retrouve les préceptes
des tactiques de la guerre économique issus des ouvrages de Sun Tzu (ou Zi) (- 400 avant J.-
C.)27
et de Carl Von Clausewitz (1780-1831)28
. Ces préceptes sont en effet directement
inspirés des stratégies militaires qui ont encore toute leur actualité de nos jours,
26
Miller (D.), “The Generic Strategic Trap”, Jounal of Business Strategy, 1992, p. 37-41. 27
Tzu (ou Zi) (S.), L’Art de la guerre, 2001, 272 p. 28
Clausewitz (C. V.), De la guerre, 1998, 759 p.
35
singulièrement à propos de la surveillance de « l’ennemi » et de l’opportunité d’une attaque
en fonction des alliés présents sur le terrain. Comme disait en son temps Lavoisier [1789],
« rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ».
Chez Sun Tzu, ces stratagèmes (cf. les 36 stratagèmes) se révèlent être des procédés de veille
stratégique avant la lettre, qui définissent les conditions génériques favorables ou non aux
stratégies à mettre en œuvre sur le terrain. Nous avons relevé certains de ces préceptes pour en
démontrer la pertinence et l’actualité à travers quelques morceaux choisis :
Ne combats pas en terrain dispersif, ne t’arrête pas en région frontalière.
En terrain de concentration, fais alliance avec les États voisins ; en terrain profond pille.
Si tu es dix fois plus fort que l’ennemi, cerne-le. À cinq contre un, attaque-le. À deux contre
un, divise-le. À égalité, engage le combat. Si tu es plus faible numériquement, prépare-toi au
retrait. Et si tu es à tous égards inférieur, sois capable de l’éviter.
En général, qui occupe le premier le champ de bataille et attend son ennemi est tranquille ;
qui entre en scène le dernier et se précipite au combat est épuisé.
Ces préceptes édictés dans le contexte précis de batailles et de conquêtes guerrières se prêtent
à merveilles au contexte actuel de la mondialisation et de la globalisation des marchés
caractérisé par le fusionnement de groupes, pour s’assurer le leadership dans un ou plusieurs
secteurs d’activités stratégiques. Tel qu’ils se donnent à lire, ces préceptes révèlent bien que
Sun Tzu était un fin stratège. Il a en effet su appréhender l’élaboration de stratégies en tant
que processus cognitif complexe nécessitant un apprentissage et une observation fine du
terrain à conquérir, de même que l’évaluation des forces en présence, afin de s’y adapter et de
disposer de capacités suffisantes pour vaincre « l’ennemi ».
Bien sûr, des rectifications peuvent être opérées, notamment au niveau du dernier précepte
dans le contexte actuel, où l’on n’est pas à l’abri de se faire ravir la vedette par un concurrent
plus rusé, si l’on s’endort sur un leadership considéré comme acquis. Les stratégies mises en
place par les dirigeants de la BGFI, de la BICIG et de CELTEL correspondent bien à la prise
en compte de ces préceptes comme nous aurons l’occasion de le voir par ailleurs. En effet,
toutes ces entreprises issues du secteur privé évoluent dans un secteur d’activités fortement
36
concurrentiel. Chacune d’entre elle a à cœur de conserver et de consolider ces acquis, en
misant sur la croissance de son activité pour se positionner de façon stratégique sur le marché.
Hormis Sun Tzu, l’Europe a elle aussi connu un grand stratège en la personne de Carl Von
Clausewitz (1780-1831). Sa théorie, nettement inspirée des stratégies de conquêtes
napoléoniennes consista à établir une conception nouvelle de « l’art de la guerre » par une
reconception des procédés jusqu’à lors en cours. Ainsi paru De la guerre en 1889, traité très
largement réédité depuis cette date. Cet ouvrage condense un échantillon des tactiques de
guerre, depuis le renseignement jusqu’aux positions d’attaques et de défenses.
37
Tout comme les stratégies génériques valorisées par l’école du positionnement, Clausewitz va
insister sur la constitution de « blocs de construction » à combinaison variable pour faire face
aux assauts de l’ennemi. La constitution de ces blocs va fortement alimenter la théorie
élaborée plus tard par Michael Porter. En effet, les stratégies génériques qu’il conceptualise
sont basées sur deux types d’avantages concurrentiels qui leur sont redevables : la maîtrise
des coûts et les stratégies de différenciation.
1.3.2. Critique et apports de l’école du positionnement
Ce qui fait défaut à l’école du positionnement tient à la focalisation excessive de la stratégie
sur des valeurs quantifiables de l’économie et à leur analyse au détriment d’éléments tels que
le social, ou les jeux des acteurs, qui eux aussi ont leur importance et peuvent influencer
l’élaboration de stratégies. Dans un tel contexte, l’élaboration de stratégies y est pertinente en
environnement stable car il permet aux analystes de « fixer » la stratégie de positionnement à
adopter vis-à-vis du marché.
Ce choix découle directement d’une prédilection affichée pour les causes externes au
détriment des causes internes et tangibles. Au lieu de servir l’édification de la stratégie, cette
méthode peut aveugler les possibilités d’analyse des données chiffrées sur lesquelles elle
s’appuie, quand elle s’y enferme. L’apport conceptuel indéniable des stratégies génériques
optionnelles à mettre en œuvre en fonction des conditions du marché, est ainsi minimisé
quand il manque de prendre en compte la nature dynamique et chaotique de l’environnement
et de l’élaboration de stratégies.
La gestion chaotique des entreprises publiques, par rapport aux entreprises du secteur privé
dans le cadre de notre étude, est révélatrice des limites de ces stratégies à assurer des
avantages compétitifs pérennes, lorsque l’on s’y enferme. Si l’on considère les cas de la
compagnie nationale de navigation aérienne AIR GABON, et de GABON TELECOM,
l’opérateur de téléphonie récemment privatisé, cela apparaît de manière flagrante. Ces deux
entreprises, soumises à un programme de restructuration et de privatisation imposé par le FMI
(Fonds Monétaire International) ont pour caractéristique commune de détenir le monopole au
niveau de l’exploitation des ressources de leur domaine d’activités stratégique respectif sur le
marché gabonais.
Ce monopole, même s’il est quelque peu bousculé par l’arrivée de nouveaux concurrents,
n’entame en rien cette situation, au vu des dérogations dont bénéficient ces entreprises. Par
38
contre, dans les entreprises privées qui tirent parti de leur leadership, pour accroître leur
potentiel et être encore plus exigeantes avec elles-mêmes, ce positionnement s’inscrit dans
une logique de différenciation stratégique. Àl’inverse des entreprises des secteurs public et
parapublic, les entreprises privées jouissent mieux de cet acquis, car elles font interagir des
interfaces stratégiques efficaces et efficientes combinant les aspects socio-psychologiques,
ainsi que ceux liés à la gestion des risques.
Ces interfaces associent ainsi à la détermination et à la poursuite de stratégies, l’implication et
la motivation du personnel à la vie de l’entreprise par des actions diverses, parmi lesquelles
les primes de motivation et la sécurité sociale occupent une bonne place. Cette différenciation
stratégique correspond à la revalorisation de la fonction ressources humaines que nous aurons
l’occasion de détailler plus avant. Elle s’apparente au « contrat social » dont parlent Yvan
Allaire et Mihaela Firsirotu [1993], parce qu’elle établit entre les individus et l’organisation à
laquelle ils appartiennent, des valeurs de confiance et d’engagement mutuel permettant
d’assurer le développement économique de leur entreprise.
Le tableau suivant regroupant des pensées des auteurs défendant une conception économiste
ou humaniste des relations entre individus et organisation fait la démonstration de deux
visions du monde, de deux styles de management complémentaires. Étant donné le contexte
concurrentiel dans lequel évoluent désormais les entreprises, elles peuvent osciller entre ces
deux pôles pour atteindre leurs objectifs stratégiques. Le premier qui est abrupt et correspond
à la réalité de l’environnement concurrentiel, est toutefois incomplet s’il ne prend pas en
compte la richesse et la complexité de la conception humaniste.
39
CONCEPTION « ECONOMISTE » CONCEPTION « HUMANISTE »
L’individu par ses compétences et son savoir-
faire, est une ressource stratégique dont il faut
optimiser la valeur nette pour l’entreprise.
(Barney, Nelson, Beer et al.
L’individu est soumis à de fortes limites
cognitives (bounded rationality) qui
restreignent sa capacité analytique en
situation de complexité et de prise de
décisions.
(March, Simon et al.)
L’individu est fondamentalement mû par la
recherche de son intérêt personnel. En
l’absence de contrepoids, les comportements
opportunistes sont la norme plutôt que
L’individu par sa participation à
l’organisation cherche à satisfaire des besoins
d’appartenance, de sécurité économique, de
maîtrise de sa destinée et de réalisation de soi.
(Maslow, McGregor et al.
L’individu, par l’apprentissage intense et
passionné d’une activité, développe des cartes
cognitives et des schémas mentaux qui lui
procurent une flexibilité, ainsi qu’une capacité
d’adaptation et de prévision. La pensée
configurale transcende les limites de la pensée
analytique.
(Hampden-Turner, Edelman et al.)
L’individu est capable, et même désireux
d’engagement non calculé dans son
fonctionnement en milieu social et
organisationnel. L’émergence d’un climat
d’opportunisme et de calcul intéressé au sein
de l’organisation est la manifestation d’une
carence de leadership et d’incompétence
40
l’exception. La combinaison d’opportunisme
et de capacités cognitives limitées constitue le
principal enjeu pour la structuration et la
gestion des grandes organisations.
(Williamson et al.)
L’individu n’hésite pas à maximiser son
intérêt personnel même en sachant que si tous
les membres de l’organisation se
comportaient comme lui, le résultat global
serait déplorable. L’individu cherchera à
tricher et à bénéficier du travail des autres et
de leur observation des régles et des valeurs
de l’organisation (free-rider). Si ces
comportements se multiplient sans
contrepoids ni punition, la grande
organisation deviendra un système
ingouvernable de relations intéressées et de
calculs opportunistes.
(Schelling et al.)
Toute relation de mandant-mandataire
suppose des coûts pour établir une symétrie
d’informations et contrôler les risques de
comportements contraires aux intérêts du
mandant.
(Jensen et Meckling, Pratt et Zeckhauser
administrative.
(Etzioni et al.)
L’individu veut participer à une organisation
dont les intérêts et ses intérêts propres
convergent à long terme. La socialisation au
système de valeurs de l’organisation lui
inculque une préoccupation pour le bien-être
de l’ensemble et l’incite à contrôler les
propensions opportunistes chez lui et chez ses
collègues. (Peters et Waterman, Moss-Kanter
et al.)
Dans une organisation fondée sur les
connaissances et l’expertise que chacun
apporte aux fins de l’organisation, les
relations mandant-mandataire sont
inexistantes. Elles sont remplacées par des
relations de partenaire et d’associé entre les
membres de l’organisation.
41
et al.)
L’individu est foncièrement mû par son
besoin de puissance et de conquête. Ses
relations avec les autres membres de
l’organisation sont empreintes de rivalité et de
recherche de domination.
(Hobbes, Maccoby et al.)
(Drucker et al.)
L’individu mis en situation de relation en
vient à comprendre que la coopération
constitue la stratégie optimale dans ses
rapports avec les autres membres de
l’organisation.
(Axelrod, Wilson et al.)
Tableau 2 : Conception "humaniste" et "conception "économiste" de la relation individu-
organisation
Ces deux conceptions de la relation individu-organisation établissent la jonction entre les
aspects socio-psychologiques et économiques, liés au champ d’activités stratégiques d’une
entreprise. Elles réconcilient l’école du positionnement, telle qu’elle a été popularisée par
Michael Porter29
, à celle des ressources et compétences stratégiques dont les écoles dites des
relations humaines, de la culture et du pouvoir fournissent les jalons. Ce sont évidemment des
formes idéales-types, dont les manifestations concrètes peuvent être plus diversifiées.
L’approche de Allaire et Firsirotu [1993], établit ainsi à partir du concept de « système
stratégique », un canevas d’actions soumis aux interactions entre les réalités du terrain
(environnement interne et externe compris) et les stratégies édictées dans le cadre du champ
d’actions stratégiques d’une entreprise.
Ce « système stratégique » implique pour toute organisation, des choix stratégiques équilibrés
à effectuer entre rationalité économique et rationalité culturelle au niveau de la structure
29
Porter (M.E.), L’Avantage concurrentiel, 2003, 664 p. 1986 pour l’édition originale.
42
organisationnelle. Il s’articule autour de diverses variables (sociales, individuelles, culturelles,
etc.) contextuelles à l’analyse dudit système. D’où la distinction fondamentale opérée par ces
auteurs entre la firme -en tant qu’entité organisationnelle constitutive de l’entreprise vouée
principalement, si ce n’est essentiellement à la réalisation des aspects économiques- et la
firme, en tant que système social imprégné des valeurs et des relations qui lient les membres
de ces organisations.
La firme-organisation est cette entité nourrie des interactions et des valeurs de la société dont
elle est imprégnée, que ce soit au plan historique, politique, culturel ou social en interaction
non seulement avec l’histoire d’une organisation (sa culture et ses valeurs, son mode de
fonctionnement), ses contingences liées à son activité (évolution technologique, concurrence,
etc.), mais aussi et surtout ses membres parce qu’ils sont moteurs et sources des stratégies
édictées par les comportements et les attitudes qu’ils adoptent. Ce distinguo symbolise un
ensemble de processus et d’interactions entre la firme et ses diverses composantes (filiales,
structures organisationnelles, individus, etc.) que Yvan Allaire et Mihaela Firsirotu ont
schématisé de la façon suivante :
Figure 2 : Représentation de la firme et de l'organisation. D'après Allaire et Firsirotu,
L’Entreprise stratégique, 1993, p. 8.
43
Quand on regarde ce schéma, on voit distinctement deux entités qui interagissent visiblement
l’une sur l’autre. En nous penchant plus particulièrement sur l’entité organisation, on voit que
c’est une entité à trois composantes (la culture, l’organisation en tant que structure, et les
individus) interreliées, qui sont également soumises aux interactions de leur environnement
socio-historique, ainsi qu’aux contingences techno-économiques et concurrentielles. En nous
penchant plus particulièrement sur l’entité organisation, on voit que c’est une entité à trois
composantes (la culture, l’organisation en tant que structure, et les individus) interreliées, qui
sont également soumises aux interactions de leur environnement socio-historique, ainsi
qu’aux contingences techno-économiques et concurrentielles.
Au niveau des interactions qui se produisent entre ces trois composantes de l’organisation,
c’est la structure en tant que support de l’action organisée, concernant les aspects formels et
tangibles, à travers leur mode de fonctionnement et de gestion qui cristallise ces phénomènes.
Elle met également au jour les relations formelles et hiérarchiques de travail entre les
individus, ainsi que les objectifs officiels et les stratégies explicites affichées.
La culture englobe quant à elle les présuppositions, les valeurs et les coutumes propres à une
organisation, et qui peuvent influencer les actes et les décisions de ses membres. Dans
l’entreprise, cette culture dite organisationnelle renvoie à un ensemble de mécanismes de
contrôle et d’appartenance – projets, recettes, règles, slogans, etc. – sensés conditionner les
comportements de ses membres. Certes, disent les auteurs en se référant aux travaux de
Geertz [1973], mais ce qu’il ne faut pas perdre de vue, c’est que : « la culture n’est pas une
force, une entité à laquelle on peut directement et simplement attribuer événements,
comportements, processus et institutions : la culture est un contexte, une réalité au sein de
laquelle ces phénomènes acquièrent leur pleine signification » (p.14).
Cette nuance appréhende le fait que derrière les aspects institutionnels ou expressifs, que les
auteurs appellent un « système collectif de significations symboliques » s’exprimant à travers
les mythes, les idéologies et les valeurs de ses membres, coexistent des aspects affectifs
individualisés qui se nourrissent de diverses influences. Effectivement, les individus dans une
organisation agissent en fonction de leurs expériences, de leurs attentes, de leurs valeurs, ou
de leur statut vis-à-vis de ce « folklore organisationnel ».
44
Tout comme leur entreprise peut être conditionnée par l’environnement sociétal à divers
niveaux, par exemple au niveau de la réglementation des activités De même leurs membres
peuvent l’être. Il apparaît clairement ici que l’organisation est une « unitas multiplex . au cœur
des principes dialogiques qui animent la dynamique des processus organisationnels, que
révèleront davantage les écoles processuelles.
En somme, malgré l’apport des stratégies génériques, l’école du positionnement manque à
établir la stratégie comme dynamique de relations complexes entre le marché et l’entreprise,
tant au plan externe qu’interne. Parce qu’elle se réfugie comme les analystes de l’école de la
planification dans des statistiques au lieu de s’immiscer de façon plus intime dans les réalités
du terrain, elle dissocie formulation et mise en œuvre de la stratégie. En dépit de ces
manquements, on note toutefois la volonté de cette école de fonder des stratégies par rapport à
une situation donnée, en l’occurrence les signaux émis par le marché sur la base de données
chiffrées.
C’est cette volonté d’inférer l’analyse d’une situation à un contexte particulier qui nous
intéresse, dans la mesure où notre problématique de recherches et nos hypothèses sont basées
pour l’essentiel sur la contextualisation des méthodes de management stratégique en fonction
des réalités du terrain. C’est ce qui enrichit l’apport d’Yvan Allaire et de Mihaela Firsirotu
[1993], par rapport à la théorie de Michael Porter. De façon générale, ce premier courant de la
pensée stratégique, à travers l’apport conceptuel de l’école du positionnement, va permettre le
passage d’une conception normative et idéale de l’élaboration de stratégies à une conception
contingente et multilatérale, dont l’école entrepreneuriale constitue l’entre-deux. Avant de les
aborder, nous allons quelque peu nous attarder sur les facteurs externes qui influencent
l’organisation, à travers le détail des éléments de la figure 3.
45
Figure3 : Le modèle organisationnel d'Allaire et Firsirotu, L'Entreprise stratégique, p. 385
Ce schéma d’interactions constructives qui marque l’approche de Allaire et Firsirotu,
manifeste une dynamique de relations complexes entre l’entreprise, ses différentes
composantes et leurs environnements respectifs. Il renforce pour nous l’intérêt d’une analyse
contingente et structurelle à effectuer dans les entreprises de notre échantillon, pour
éventuellement apporter cohérence et signification aux stratégies mises en place. Il marque
par extension l’articulation nécessaire à effectuer entre l’élaboration de stratégies et les
spécificités de leur contexte d’action.
46
Les performances économiques que l’on peut retrouver dans une organisation sont donc
tributaires de ces interactions. Elles sont à la base du système stratégique de l’entreprise, dont
la pertinence dépend de tout un ensemble de relations entre les différentes composantes de
l’organisation (culture, structure, individus) et de l’entreprise par le biais de son champ
stratégique (produits/services, marché, compétences). Ainsi, les contingences inhérentes au
fonctionnement de ces organisations, sont profondément influencées par les contextes
présents. Dans le cas des firmes de notre corpus, on examinera la nature de ces contingences,
dont la forme de propriété (publique/privée) et l’impact des technologies d’information et de
communication, ressortant de l’usage du système d’information à des fins stratégiques,
constituent des éléments d’analyse.
Ce schéma est particulièrement représentatif des interactions qui sous-tendent notre
perspective de recherche, dans la mesure où il synthétise les composantes de l’organisation
qui nous permettront d’établir un diagnostic sur la performance de ces entreprises, issues de la
dynamique managériale. Les cadres référentiels si chers à Grégory Bateson dans ses écrits
[1981, 1984] et dont Gareth Morgan révèle les champs d’application dans Images de
l’organisation [1991], présument au demeurant de ce qui se dégagera de manière tangible de
la productivité d’une organisation. C’est cette alchimie qui donne du sens à la politique
générale édictée par les dirigeants d’entreprise, et qui se répercute forcément sur son
management et son pilotage stratégique.
47
À partir du système stratégique d’une entreprise, Allaire et Firsirotu [1993] établissent ainsi
une dynamique organisationnelle que la théorie de Michael Porter [2003] a manqué de
valoriser. Elle nous apporte un éclairage utile sur l’analyse des phénomènes se jouant au cœur
des organisations, grâce au décryptage du système stratégique, qui se rapporte grosso modo à
son positionnement stratégique, par rapport aux réseaux de firmes, de compétences, de
marchés, de savoir-faire, ressources individuelles, économiques, culturelles, etc., dont une
organisation sait tirer parti pour améliorer ses performances économiques.
Ce système est plus en phase avec le second grand tournant de l’évolution de la pensée
stratégique qui associe aux éléments théoriques des différentes approches que nous venons de
voir, une vision contingente qui s’attache à ne pas opérer de ruptures entre les processus de
formulation et la mise en œuvre de la stratégie. Voici de façon macroscopique ici détaillé les
composantes du champ stratégique, qui couplées aux aspects organisationnels déterminent la
performance d’une entreprise.
Figure 4 : Le champ stratégique de l'entreprise. Adapté de Allaire et Firsirotu, op. cit. p. 11 et
17
48
Section II : Les Ecoles processuelles
Bien que se penchant sur les aspects spécifiques de l’élaboration de stratégies, notamment la
façon dont elles se forment et le cheminement qu’elles suivent, elles s’intéressent moins à la
formulation d’une stratégie type qu’à la description des processus conduisant à son
élaboration. Autrement dit, les écoles que nous verrons dans ce second mouvement de
l’évolution de la pensée stratégique incarnent davantage pour nous une façon consensuelle
d’approcher et de mettre en œuvre l’analyse des organisations. Elles s’attacheront davantage à
intégrer les éléments contextuels nécessaires à l’édification d’une stratégie, plutôt que de se
focaliser sur les aspects formels ayant présidé à son élaboration.
À la différence des écoles normatives, ces dernières se défendent d’instituer des normes de
fonctionnement et de procédures devant servir les actes de management et de pilotage
stratégiques des entreprises. Elles s’inscrivent plus volontiers dans une logique d’adaptation et
de refonte avec les contextes environnementaux réels de la vie des entreprises. Les deux
premières que nous évoquerons sommairement confirment cette intentionnalité.
2.1. Les écoles entrepreneuriale et cognitive : l’élaboration de la stratégie
comme processus visionnaire et mental
2.1.1. Présentation et perspectives des écoles entrepreneuriale et cognitive
Ces deux écoles ne rompent pas encore avec les écoles précédentes, notamment avec celle de
la conception, du point de vue de l’élaboration de la stratégie qui repose ici encore sur les
connaissances, l’intuition et les expériences du manager-stratège. Processus que l’on retrouve
également chez les tenants de l’école de la cognition en ce sens que « le patron » bâtit sa
vision de l’entreprise et son environnement stratégique, à partir de convictions qui lui sont
propres, et à partir desquelles il opère des choix. Ces derniers étant faits à partir de la capacité
du manager-stratège à définir une orientation stratégique de projets sur la base de visions et de
49
perspectives qui lui sont intimes. On parle généralement de « vision » pour souligner l’aspect
intuitif et créatif de l’élaboration de stratégies.
L’Union Gabonaise de Banque (U.G.B.) est représentative de cette école de pensée. En effet,
au cours de notre séjour dans cette institution, nous avons remarqué que la structure
organisationnelle et les grandes orientations stratégiques de cette banque étaient sous la
surveillance des recommandations du siège social français, comme nous l’a précisé le
Directeur Central de l’Exploitation avec qui nous nous sommes entretenu. Les attributions du
Comité de direction local, consistant surtout à appliquer les directives venues du sommet, en
les adaptant dans la mesure du possible aux réalités du terrain.
Au plan théorique, l’école cognitive se différencie de l’école entrepreneuriale car elle n’insiste
pas sur la manière dont le processus d’élaboration de stratégies s’effectue. Elle est de ce fait
moins une école de pensée qu’un axe de recherches sur les procédés d’élaboration de la
connaissance. Elle a permis de mettre au jour les mécanismes qui peuvent présider à
l’émergence de prises de décisions, contrairement à l’école entrepreneuriale qui se bornait à
l’acte décisionnel lui-même, à partir des connaissances glanées par le leader-manager, en
l’occurrence, le Comité de direction.
À ce titre, l’école cognitive constitue une passerelle entre les écoles à prédominance objective
de la conception de stratégies (écoles de la conception, de la planification, et du
positionnement) et celles à prédominance subjective (écoles entrepreneuriale, de
l’apprentissage, culturelle, environnementale) qui constituent l’autre pan de ce voyage au
cœur de la pensée stratégique. Elle procède ainsi d’une double articulation entre
connaissances issues de l’expérience individuelle -fruit de cartes et de schémas intériorisés
dans divers champs (économique, social, éducatif, etc.)- qui vont en retour alimenter les
expériences et la formation de stratégies futures, et vice-versa (cf. les trois principes de la
complexité développés par Edgar Morin dans Introduction à la pensée complexe [1990].
Cette articulation procède de deux visions du monde : une vision objective de la réalité
empirique dont le courant positiviste s’est fait le chantre. Celle-ci donnant à lire le réel
comme une donnée objective et extérieure à l’individu qui l’observe : une re-création, qui de
fait peut être déformée par la représentation et l’angle sous lequel on l’analyse. Cette lecture
du réel est objectivée par la théorie de la rationalité limitée de James March et Herbert Simon
[1999].
50
Une vision constructiviste ou subjective qui analyse le réel comme une construction
individualisée de l’esprit qui peut l’interpréter de façon aussi diverse que variée. C’est un acte
de création introspectif alimenté par diverses cartes cognitives dans lesquelles nous puisons
pour donner sens à l’interprétation du réel que nous observons. Dans son approche de la
question, Grégory Bateson, [1955, A Theory of Play and Fantasy] attribuait à cette
construction la notion de « cadres ».
Un cadre pouvant être considéré comme la réponse appropriée à une situation donnée, le
cadre psychologique permettant par exemple de résoudre l’ambiguïté entre les sensations
intérieures et extérieures. Gareth Morgan en a établi une application judicieuse dans Images
de l’organisation [1991] où l’auteur propose différentes acceptions de l’entreprise en tant que
machine, en tant qu’organisme, en tant que cerveau, etc.
L’hypothèse centrale qui sous-tend cette vision du monde repose sur une opposition
systématique entre une conception active (constructiviste) et une conception passive
(positiviste) de la réalité, selon laquelle elle participerait d’une vaste reconstruction
symbolique. Mais comme on le verra plus tard en évoquant les relations nées de la dynamique
entre information et stratégie, il n’y a pas de cloisons étanches entre ces deux approches. Le
tout, relevant de la façon de se représenter une situation, et d’agir face à cette contrainte.
2.1.2. Critique et apports des écoles entrepreneuriale et cognitive
Le point fort de l’école entrepreneuriale est également son point faible, car il est difficilement
concevable qu’un individu, fusse-t-il extrêmement doué puisse à lui seul parvenir à surmonter
tous les problèmes relatifs à la gestion et au management d’une entreprise, fusse-t-elle de
petite dimension, à partir de simples visions, de rêves, pourrait-on dire. L’autre critique
marque quant à elle le non fondement des procédés et méthodes par lesquels se forment les
stratégies édictées, que l’école cognitive mettra au jour.
À toutes ces insuffisances, l’école cognitive palliera en insistant sur le processus de formation
de stratégies menant à la prise de décisions. On peut lui reconnaître le mérite de s’être
penchée sur l’élaboration de la stratégie en tant que processus créatif complexe, contrairement
51
à ce qui avait cours jusqu’à lors dans les écoles normatives. Somme toute, l’apport de ce
mouvement, au-delà des querelles d’école est de souligner l’importance de l’environnement et
de la perspective recherchée dans l’élaboration de stratégies par rapport aux buts que se fixent
les membres de l’organisation. Dans le cas d’espèce, il s’agit en général de se résoudre à
appliquer des principes de saine gestion et de management, en tenant compte des pesanteurs
et des substrats socio-culturels qui s’amalgament aux processus de mise en œuvre de plans
stratégiques, et les contrarient.
Pour notre part, il est indéniable que l’école cognitive introduit la notion de complexité en ce
sens qu’elle se place aux sources mêmes des mécanismes qui alimentent la prise de décisions.
Cette perspective est intéressante dans la mesure où la complexité que l’on entrevoit au
niveau du processus de la prise de décisions, laisse transparaître pour nous la velléité
d’instaurer une pensée unique dans l’application des théories du management stratégique, au
niveau de leur pratique et de leur impact. Rejoignant en cela les partisans d’un anti-
universalisme de l’application des principes et théories de la pensée stratégique, nous ne
dirons jamais assez que c’est une activité contextuelle et non universelle. Un outil
d’adaptation de la gestion (financière, humaine, logistique, etc. au service des organisations.
2.2. L’école de l’apprentissage : l’élaboration de la stratégie comme processus
émergent
Cette école constitue en quelque sorte un condensé de tout ce que nous avons pu relever
jusqu’à présent, et de ce que nous verrons par la suite sur les processus d’élaboration de la
stratégie. Elle préconise en effet l’élaboration de la stratégie comme accumulation de savoirs,
de savoir-faire, de compétences et de métier dont le savoir-faire unique permet de faire la
différence avec les concurrents du secteur. C’était déjà l’idée de Phillip Selznick [1957] et
plus tard de Hamel et Prahalad dans La conquête du futur [1995] avec le concept de
« capacités dynamiques ».
Dans cette dynamique, nous situons des entreprises comme la BGFI, la BICIG, l’U.G.B. et
CELTEL, car l’exploitation de leur activité, respectivement la banque commerciale et les
télécommunications pour la dernière, s’est développée grâce à l’expertise et au savoir-faire de
52
leurs métiers respectifs. Dans la présentation que nous ferons ultérieurement, nous aurons
l’occasion de détailler ces points.
2.2.1. Perspectives de l’école de l’apprentissage
Ici, c’est moins la formulation que la manière dont émergent les stratégies qui intéresse les
tenants de cette école, comme l’atteste les travaux de Charles Lindblom [1968, « The Science
of Mudddling Thought »]. Ces derniers posent les jalons de l’apprentissage organisationnel à
partir du concept d’« incrémentalisme décousu » qui considère la prise de décisions comme
un phénomène marginal et graduel.
Mais c’est James Brian Quinn30
qui par la suite, critiquant l’aspect « décousu » de
l’incrémentalisme, va introduire l’idée d’« incrémentalisme logique » pour parler des actions
entreprises de façon « éparses » et « désordonnées », par ce qu’il appelle les « sous-
systèmes ». Il s’agit des parties constitutives du système que peut représenter une entreprise.
Mises bout à bout, celles-ci forment un tout cohérent par le fait qu’elles tendent à canaliser
l’action des sous-systèmes en vue d’améliorer l’ensemble du système.
Cet aspect « logique » de l’apprentissage organisationnel est repris dans la théorie
évolutionnaire de Richard Nelson et Sidney Winter [1982, An Evolutionary Theory of
Economic Change]. Selon les préceptes de cette théorie, ces changements sont davantage le
fait des interactions quotidiennes des éléments du sous-système, plutôt que celui du résultat de
l’action des dirigeants eux-mêmes. En d’autres termes, l’élaboration de stratégies ne se
construit pas uniquement avec des cadres logiques, il y a aussi une part d’irrationalités qui
permet des avancées notables [cf. Stacey, 1992].
Le choix de notre approche-terrain ne nous a pas permis de rester suffisamment plongé dans
ces organisations pour nous risquer à émettre un avis en ce sens. D’une part, par la démarche
de recherche préconisée et les contingences spatio-temporelles. Et d’autre part, par le manque
de coopération observé chez certains de nos interlocuteurs. Mais ce qui nous semble utile
d’aborder ici, c’est la manière d’édicter des stratégies à partir de la capitalisations des
ressources de quelque nature qu’elles soient.
30
Quinn (J.B.), « Strategies for Change: Logical Incrementalism », Sloan Management Review, 1978, p.7-21.
53
Outre cet aspect « désordonné » devant intervenir dans la formation de stratégies, un autre pan
du courant de l’apprentissage organisationnel s’est lui davantage penché sur l’acquisition et la
création de savoirs. Son point de départ peut être attribué à l’ouvrage de Richard Cyert et
James March [1963, A Behavioral Theory of the Firm]. Pour eux, l’apprentissage peut être
assimilé à de la création et à de la capitalisation de savoirs. Dans ce cas, il s’agit de
l’interaction et du management quotidiens des savoirs entre connaissances explicites (fruits de
l’apprentissage et des compétences liées au domaine d’activités stratégiques) et connaissances
implicites (fruits de l’expertise de ce background).
Dans cet esprit, l’essence de la stratégie consiste à développer les capacités organisationnelles
nourrissant le potentiel de création et de diffusion de stratégies nouvelles Cette approche
développée par Hamel et Prahalad [1995] se base sur l’idée que les succès d’une entreprise
sont tributaires des apprentissages, eux-mêmes dépendant des compétences acquises dans le
métier. Le management stratégique dans cette optique est un processus d’apprentissage
collectif visant à stimuler, et à rentabiliser les compétences-clés de l’entreprise.
Dans le contexte d’action des entreprises gabonaises, l’école de l’apprentissage a un certain
poids au niveau du rôle particulier dévolu à la structure dirigeante, étant donné le peu de
qualification observable au niveau de la base de ces entreprises. Celle-ci pourrait être le
catalyseur de ces entreprises, pour mener à bien les objectifs qui sont les leurs au niveau de la
politique générale.
2.2.2. Critique de l’école de l’apprentissage
La critique principale formulée à l’endroit de cette école concerne la focalisation sur
l’apprentissage, surtout quand celui-ci au lieu de stimuler les performances de l’organisation
constitue au contraire une entrave. Cette critique que soulevait déjà Ralph Stacey [1992] porte
sur le risque d’enfermement du changement organisationnel, lorsque ce dernier repose sur des
positions acquises induites par une confiance et une focalisation aveugles dans
l’apprentissage. Au-delà de ces objections, ce qu’il faut retenir de cette école, c’est qu’elle
fournit un contrepoids de taille en matière d’élaboration de stratégies en bannissant l’idée du
tout rationnel. Mais surtout, elle entrevoit l’apprentissage comme un champ
d’expérimentations issu d’apprentissages diachroniques.
54
Cela étant, l’apprentissage n’est pas pour autant la panacée : il faut savoir conjuguer savoir et
exploitation de ressources, surtout dans des organisations de type professionnelle où il
importe d’être au fait des techniques et procédés du moment pour être compétitifs et avant-
gardistes. Concernant les firmes gabonaises de notre corpus, l’apprentissage s’apparenterait
plutôt ici à une forme de capitalisation des stratégies et aléas survenus ou susceptibles de
survenir au sein de l’organisation, pour consolider une position acquise sur le marché.
Ce que cherchent à montrer les tenants de ce courant de pensée, c’est que la vie des
organisations fourmille de multiples et complexes phénomènes, dont l’apprentissage ne révèle
qu’un infime aperçu. Grâce aux écoles du pouvoir et de la culture, nous aurons un autre
éclairage insistant particulièrement sur la diversité des dynamiques qui peuvent altérer ou
améliorer ces apprentissages.
2.3. L’école du pouvoir : l’élaboration de la stratégie comme processus de
négociation
2.3.1. Présentation générale
Cette école renouvelle le processus d’élaboration de la stratégie en révélant l’empreinte et
l’impact des actions produites par les acteurs dans la vie des organisations, concomitamment
aux aspects « rationnels » qui interviennent dans les actes de management stratégique. À la
différence des écoles normatives qui s’attelaient à élaborer des procédures codifiées et
formalisées, l’école du pouvoir se concentre sur les zones « obscures » de la vie des
organisations, les zones présumées réelles ou apparentes de détention du pouvoir, qui
influencent le comportement des individus, et même l’ensemble de la structure
organisationnelle dans un sens ou dans l’autre.
L’existence de ces zones réelles ou apparentes de détention du pouvoir trouve une
signification particulière dans le contexte des sociétés africaines, où comme nous l’avons déjà
signalé dans notre propos introductif, les structures sociales cohabitent et influencent
considérablement la vie des organisations. Dans l’univers des entreprises gabonaises, il serait
intéressant de connaître l’ampleur de ces interactions sur la gestion et la prise de décisions
quotidiennes. Perspective non négligeable, puisque nous cherchons à saisir les éventuelles
causes de dysfonctionnement qui perturbent le management et par conséquent la gestion
stratégique de ces entreprises.
55
Au sein de ces organisations, les acteurs sont en effet amenés à adopter des stratégies
(individuelles ou collectives) pour conserver ou défendre au mieux leurs intérêts. Ceci, pour
atteindre des objectifs personnels ou au contraire pour concourir à l’édification d’une œuvre
collective dans l’intérêt de l’organisation. Ces stratégies pouvant contrer ou favoriser la
politique générale sensée être poursuivie par tous les acteurs, et principalement par ceux de
l’équipe dirigeante au bénéfice de l’organisation (cf. tableau 2).
2.3.1.1. L’Approche dite de la coalition
Dans leurs théories, Lindblom [1968] et Quinn [1978] avaient déjà esquissé un profil des
enjeux autres que rationnels que les acteurs pouvaient entretenir, en montrant que les
membres de l’équipe dirigeante étaient amenés à coopter l’adhésion des acteurs du sous-
système de l’entreprise pour parvenir à un consensus satisfaisant pour l’ensemble de
l’organisation. Plus tard, Bolman et Terence Deal31
, parvenaient à des conclusions similaires
en affirmant que l’école du pouvoir éclairait les rapports de nature interne se jouant dans les
entreprises (cf. p.163). Tout comme nous le déplorions précédemment, nous n’avons pas été
suffisamment au contact de l’organisation pour déceler la réalité de ces zones de pouvoir,
mais les propos de nos interlocuteurs ont eux permis de révéler leur existence.
Ces rapports peuvent être scindés en deux branches. La première stipule que toute
organisation comporte des acteurs dotés de motivations et d’intérêts qui conditionnent leur
implication ou leur non implication à la politique et aux objectifs généraux. L’ouvrage de
Michel Crozier et d’Erhard Friedberg, L’Acteur et le système32
fournit un exemple exhaustif
des stratégies et des manœuvres qu’activent les acteurs pour atteindre leur(s) objectif(s) au
sein d’une organisation de type bureaucratique.
La seconde branche s’attache davantage à relever les phénomènes d’interdépendance qui se
créent entre une organisation et son environnement externe. Cela englobe aussi bien les
relations avec des partenaires tels que les fournisseurs, les clients, les syndicats, etc. que les
relations avec le pouvoir politique ou judiciaire concernant le respect des lois et de la
réglementation en vigueur. Ainsi, l’école du pouvoir va-t-elle permettre de mettre au jour la
part d’irrationalité qui intervient dans les logiques « rationnelles » que déploient les acteurs
31
Bolman (L.G.), Deal (T.), Repenser les organisations. Pour que diriger soit un art, 1998. 32
Crozier (M.), Friedberg (E.), op.cit.
56
dans leurs prises de décisions quotidiennes. Ces jeux (d’acteurs) sont notamment sous-tendus
par les hypothèses suivantes de Bolman et Deal [1998, p.163] :
1 - Les entreprises sont des coalitions entre divers individus et groupes d’intérêt.
2 - Entre les membres d’une coalition, il existe des différends durables concernant les valeurs,
les croyances, l’information, les intérêts et la perception de la réalité.
3 - Les décisions les plus importantes impliquent l’allocation de ressources rares. (qui aura
quoi ?).
4 - La rareté des ressources et la permanence des différends donnent au conflit le rôle
essentiel dans la dynamique de l’entreprise, et font que le pouvoir est la ressource principale.
5 - Les objectifs et les décisions émergent du marchandage, de la négociation et de l’intrigue
entre les diverses parties concernées.
Cette manière de concevoir l’organisation se rapproche assez des termes de la
thermodynamique qu’on peut recadrer ici pour dire qu’un minimum de désordre (principe de
neg-entropie) est nécessaire pour dynamiser l’organisation (principe d’entropie). Elle
révolutionne la pensée stratégique, car elle invite désormais à concevoir l’organisation comme
une structure réticulaire et interactive, dont les ramifications peuvent perturber le bon
fonctionnement de l’entreprise. Mieux encore, elle renonce définitivement à la notion
d’homogénéité en établissant le rapport de force -ou du moins, l’influence- induite par la
notion de coalition d’acteurs, qui introduit la complexité des intérêts de ces derniers dans
l’organisation.
2.3.1.2. L’Approche psychanalytique
57
Dans cette perspective, l’élaboration de la stratégie consiste moins à trouver la stratégie la
meilleure, qu’à prendre en compte le sociogramme33
(structure informelle des réseaux de
coalition et d’opposition mises en œuvre par les acteurs) de l’organisation au niveau de
l’existence réelle des zones de pouvoir, plutôt que de s’arrêter à l’organigramme (squelette de
la structure de l’organisation assignant un rôle et des prérogatives « définies » aux acteurs,
comme l’indique le point 4 ci-dessus relatif aux zones réelles de détention du pouvoir.
Dans un article où il adopte une orientation psychanalytique, Eugène Enriquez34
montre
comment l’occultation de la notion de pouvoir et les désirs des individus peuvent affecter les
organisations. D’après lui, seule la prise en compte des affects, des désirs et des conflits de
pouvoir permet de dépasser positivement l’aliénation produite par les valeurs
entrepreneuriales, pour propulser l’entreprise dans une logique de perfectionnement et de
performances. À son grand regret cependant, les désirs (de pouvoir, de reconnaissance,
d’initiatives, de réalisation, etc.) des individus sont souvent étouffés, s’ils ne sont carrément
pas manipulés.
Cette occultation tient pour lui au fait que contrairement aux gouvernants qui disposent du
« monopole de la violence légitime », tel que Max Weber en a fait usage dans ses écrits ; et
donc de la capacité « d’obliger » leurs concitoyens à entreprendre des actions en cas de conflit
armé, les dirigeants d’entreprise n’ont qu’une relation contractuelle à opposer vis-à-vis de
leurs salariés, cette dernière s’exerçant a priori dans le strict respect des engagements
contractés de part et d’autre.
Dès ce moment, l’auteur se demande pourquoi les entreprises ont intérêt, ou du moins croient
qu’il est de leur intérêt de saper la montée en force des désirs individuels. Ses observations
l’amènent à évoquer deux séries d’arguments. Premièrement, cette occultation procède de la
peur de voir s’exprimer le pouvoir des désirs individuels, et par conséquent de voir s’accroître
le risque de multiplication des conflits à l’infini.
Par voie de conséquence, cela est de nature à contrarier les objectifs de rationalité économique
si chacun en vient à donner libre cours à ses pulsions, d’autant qu’il situe l’essence du désir
33
On peut se reporter à l’étude effectuée par Annie Bartoli dans Communication et organisation pour une
politique générale cohérente, [1990] où elle montre bien que pouvoir et communication sont liés et influencent
de fait le sociogramme au détriment de l’organigramme. 34
Enriquez (E.), “Pouvoir et désir dans l’entreprise”,. Sciences humaines, 1998, p.30-33.
58
dans les contradictions et les pulsions qui l’animent. L’entreprise essaie donc autant que faire
se peut de canaliser ces pulsions vers la satisfaction de ses objectifs, et de limiter l’émergence
de désirs velléitaires tels que l’appartenance à un mouvement syndicaliste, davantage
susceptible de contrecarrer ses projets. Par ailleurs, les dirigeants d’entreprise voient dans le
développement de ce type d’expressions, une entrave à l’idée (légitime ?) qu’ils cultivent de
l’entreprise en tant que système destiné à la production de biens et de services à partir de
procédés et de mécanismes de coordination, sous le contrôle d’une ligne hiérarchique relevant
de l’autorité « légitime » d’une poignée d’individus [cf. Mintzberg, 1996].
Autrement dit, ils y voient la fin de l’entreprise en tant que lieu de travail rationnel valorisant
la création de richesses (cf. p.31). Ce qui paraît utopique et infondé à l’auteur, puisque la lutte
de pouvoirs relative à la satisfaction des désirs individuels est une réalité omnipotente des
conflits qui secouent la vie des organisations, et heureusement d’ailleurs nous dit-il, puisque :
« L’image d’une entreprise harmonieuse – perturbée uniquement par des conflits d’intérêts,
donc des conflits rationnels – où chacun est à sa place et accomplit sa tâche avec vaillance est
un mythe. L’entreprise n’est pas cet endroit incolore et sans saveur, dont nous parlent les
consultants d’organisations. Elle est pleine de bruits et de fureurs et dans ce sens elle est à la
fois espace de vie et espace de mort » [Enriquez, p.31].
2.3.1.3. Les perspectives liées à l’analyse de ces deux approches
Les deux arguments développés précédemment, et qui sont corroborés par la présente citation
montrent bien la complexité régnant au sein des organisations. Par ce biais, Eugène Enriquez
dénonce l’attrait de la logique institutionnelle vers laquelle se portent de plus en plus
d’entreprises, en plus de la logique contractuelle. Logique dénoncée par l’auteur, car elle se
situe dans une optique de pure rationalité économique répondant à une logique de profits,
comme Renaud Sainsaulieu35
le montre dans l’une de ces analyses. Cette volonté (ou plutôt ce
désir) est en corrélation étroite avec les nouvelles formes d’organisation, tendant de plus en
plus vers la dématérialisation des activités et l’instauration de processus flexibles.
Elle justifie le recours à des compétences professionnelles précises sur lesquelles la fonction
gestion des ressources humaines est chargée de veiller. Elle se sert de cette dynamique pour
59
manipuler les désirs de ses membres, notamment les désirs de pouvoir et de reconnaissance
qu’ils idéalisent par leur fierté et leur sentiment d’appartenance à une entreprise commune,
dans un monde où la précarité est vécue comme une perte d’identité. Pour dénoncer cette
manipulation, l’auteur use du concept de « totalitarisme démocratique » sous le contrôle de
Erving Goffman pour stigmatiser l’évolution subversive de la relation que les uns exercent sur
les autres par le biais de valeurs et de l’autorité qui légitiment ces manipulations de désirs.
35
Sainsaulieu (R.), « La construction des identités au travail », Sciences humaines, p.40-43.
60
Si l’on décèle dans cette approche des relents psychanalytiques, il n’en reste pas moins que sa
subtilité est d’envisager au sein des organisations la présence des désirs (individuels) comme
facteurs motivants ou immotivants non seulement la dynamique organisationnelle, mais aussi
par extension ses performances. Pour nous résumer, nous pouvons dire de l’école du pouvoir
qu’elle a ouvert l’ère du réseau et de la négociation interactifs au sein des organisations. Bien
sûr, elle n’a pas réinventé la roue, mais elle a permis de consigner et de théoriser sur des
phénomènes omniprésents dans n’importe quelle organisation, même si ces derniers n’étaient
pas explicitement pris en compte auparavant au niveau de l’élaboration de stratégies.
2.3.2. Critique de l’école du pouvoir
Si l’école du pouvoir renouvelle la conception des stratégies dans l’organisation sous l’angle
des rapports de coalition et d’intérêts manifestés par les acteurs [cf. Nizet et Pichault, 1995,
Comprendre les organisations : Mintzberg à l’épreuve des faits], elle pêche néanmoins au
niveau de la focalisation sur ces seuls aspects. S’il est que les jeux politiques constituent ici la
clé de l’édification de la stratégie, notamment en matière de changement organisationnel, la
notion de culture mise en exergue par l’école du même nom est également un élément à ne
pas négliger, comme nous le verrons. Elle intègre en effet un noyau de valeurs communes
partagées en totalité ou de façon partielle par les membres d’une organisation.
2.4. L’école culturelle : l’élaboration de la stratégie comme processus collectif
Longtemps demeurée propriété intellectuelle et paradigmatique de l’anthropologie, la culture
s’est progressivement orientée vers la littérature en matière de management stratégique pour
refléter la face cachée de la dimension politique de l’entreprise. Si l’école du pouvoir se
bornait aux stratégies déployées par les acteurs en vue de contrer ou de favoriser l’émergence
d’une entité plus forte, l’école culturelle plonge plus finement vers les motivations qui sous-
tendent la formation de telles coalitions qu’elles soient individuelles ou collectives.
2.4.1. Présentation et perspectives de l’école culturelle
Plutôt que de procéder à un long épanchement, nous avons choisi en guise de propos
liminaire, cette citation de Mintzberg et al. [1999] qui marque bien le distinguo, ou plutôt la
61
complémentarité à effectuer entre école du pouvoir et école culturelle à travers le passage
suivant :
« Le pouvoir s’empare de l’entité appelée entreprise et la fractionne ; la culture tisse une
collection d’individus en une entité intégrée qu’on appelle entreprise. En fait, le premier
s’attache d’abord à l’intérêt personnel, la seconde à l’intérêt commun […]. La première traite
du rôle de la politique interne dans la promotion du changement stratégique, la seconde traite
surtout du rôle de la culture dans le maintien d’une stratégie stable, voir, quelquefois, dans la
résistance active au changement » (p. 268).
Selon les termes de ce passage, l’école du pouvoir et l’école culturelle sont les deux faces
cachées d’une même réalité. L’une ancrée dans les logiques d’intérêts d’ordre individuels.
L’autre au service d’une idéologie collective, renvoie de façon générale à la contingence
culturelle qui recense toutes les études consacrées aux contraintes culturelles qui influencent
la vie des organisations. Ces contraintes peuvent être regroupées sous deux formes rendant
compte de deux perspectives à la fois antagonistes et complémentaires.
La première qui se manifeste par l’instauration d’une culture d’entreprise, comme mode
d’action chargé de fédérer les membres de l’organisation autour de valeurs, ou d’une image
identifiables, permet d’optimiser les potentialités d’une organisation. C’est du moins une idée
largement répandue chez les défenseurs de la culture organisationnelle [cf. Thévenet, 1992].
La seconde manifeste davantage l’enracinement à des valeurs individuelles relevant
généralement de substrats socio-culturels, qui apparaissent sous la forme d’une résistance
active au changement : c’est l’approche des particularismes identitaires [cf. Hernandez, 1997-
2000 ; Mbargane, 1995].
Telle qu’envisagée par ces deux perspectives, l’élaboration de la stratégie renvoie à « un
processus duel enraciné dans une force sociale » à la fois singulière (dans la capacité des
individus à se l’approprier) et collective (par le partage de valeurs référant à des liens d’ordre
social). C’est dans les années quatre-vingt que le concept de culture prend son envol au
niveau de la pensée stratégique, en se penchant sur l’impact de cette variable dans la vie des
62
organisations. On dénombre ainsi de multiples approches de l’étude du phénomène dans les
organisations, dont témoignent les analyses ci-dessous.
2.4.1.1. L’approche institutionnelle
Elle permet de rendre compte, de la manière la plus objective possible de l’attitude des
individus face à la promulgation d’une idéologie se rapprochant généralement des champs
économique et social. Elle véhicule dans ce cadre, l’idée d’une « dérive institutionnelle » à
laquelle faisait référence Eugène Enriquez [1998] à travers le concept de « totalitarisme
démocratique » sous le contrôle de Erving Goffman, pour stigmatiser l’évolution subversive
de la relation que les uns exercent sur les autres par le biais de valeurs et de l’autorité qui
légitiment ces manipulations. Pour l’auteur, elles s’exercent dans le seul but de servir les
intérêts et la logique de profits des entreprises, à travers l’idée très répandue d’une culture
d’entreprise, ou culture organisationnelle fédérative.
Dans ce cas précis, il s’agit d’une approche contextuelle des particularismes observés au
niveau du management stratégique d’une entreprise, et des valeurs qu’elle est susceptible de
véhiculer. Ce qui se traduira par l’étude des identités au travail dont Renaud Sainsaulieu36
a
largement contribué à éclairer les perspectives dans ses écrits. Il a ainsi développé une
approche institutionnelle qui part de l’idée que l’entreprise est en tant que structure,
productrice de sociabilités, d’identités et de valeurs capables d’agir non seulement sur ses
membres, mais sur la société environnante. La dimension culturelle de l’entreprise suppose
dans ce cas précis des niveaux d’identification reconnaissables au sein des équipes, des
établissements, de la profession, etc.
Cette approche, fait référence de façon plus restreinte à celle de la sociologie des groupes de
travail et des professions qui se consacre volontiers à des groupes de métiers ou à des
communautés de travail plus réduites (atelier, service,…). Elle tente ainsi de mettre au jour les
63
micro-cultures, facteurs de solidarités et d’esprits spécifiques conditionnant l’adhésion ou le
rejet des membres aux valeurs et aux intérêts de leur organisation (cf. les études consacrées à
la question développées par Yvan Barel [1997] et Sandra Bellier-Michel [1998].
36
Sainsaulieu (R.), L’Identité au travail. Les effets culturels de l’organisation, 1985.
64
Dans le cas présent, la mise en exergue d’une culture organisationnelle, au-delà de son
caractère manipulatoire, a au moins le mérite de fixer un cap à partir d’objectifs et de missions
sensés être partagés par les membres de ces organisations, d’une part. D’autre part, d’arriver à
faire cohabiter cette culture commune avec celles plus spécifiques des individus, pour en faire
quelque chose de productif : en quelque sorte « une arme culturellement stratégique » au
service de l’entreprise. C’est la thèse défendue par Éric Delavallée37
, et qui va à l’encontre du
concept de « totalitarisme démocratique » défendu par Eugène Enriquez [1998].
À travers cette position, c’est l’évolution subversive de la relation que les uns exercent sur les
autres par le biais de valeurs, ainsi que l’autorité (légitime) des uns sur les autres qui est
remise en cause. Si le concept de culture d’entreprise fait l’objet d’une littérature prolifique
[cf. notamment les écrits de Thévenet 1992], il en est tout autrement de l’appropriation de ce
concept en matière de management stratégique. Partant de ce paradoxe, Éric Delavallée
[1996] a procédé à une redéfinition du concept aux yeux des objectifs de gestion, en
s’intéressant aux relations entre la culture d’entreprise et certaines variables clés qui
interviennent ou influencent souvent les données en matière d’évaluation des performances :
la rationalité, l’efficacité et le changement organisationnel.
Ainsi, l’auteur révèle-il que derrière l’apparente antinomie qui lie les notions de culture, de
rationalité et d’efficacité, se cache au contraire une relation de proximité. Cela se conçoit
aisément, si l’on admet que la culture est assimilable à la « rationalité » qui gouverne
l’entreprise, et qui peut l’influencer dans un sens ou dans l’autre, à la manière d’une politique
managériale. Partant de là, cette antinomie apparente se rapporte aux objectifs se trouvant
derrière chacun des termes employés. La rationalité supposant un comportement calculé sur la
base d’intérêts de type économique ou politique, tandis que la culture recouvre au sens large
un réservoir de réponses toutes faites dans lequel les individus peuvent puiser en fonction de
leurs valeurs et de leurs convictions, de leur appartenance38
.
37
Delavallée (É.), « Pour ne plus gérer sans la culture », Revue française de gestion, sept.-oct. 1996, p.5-16. 38
Elle se rapporte à la dichotomie effectuée par M. Weber (1971, Economie et société) entre “rationalité en
finalité” et “rationalité en valeur”.la rationalité en finalité étant le propre d’individus agissant en confrontant les
moyens et la fin de façon rationnelle pour faire valoir leurs intérêts. Au contraire, la rationalité en valeur comme
son nom l’indique fait état des valeurs qui guident l’action des individus.
65
2.4.1.1.1. Lien entre culture et rationalité
Dans « Culture d’entreprise : la contribution de Herbert Simon », Éric Delavallée [1996],
montre que cette antinomie est dérisoire, parce que la culture d’une entreprise n’est ni plus ni
moins que la somme des évidences qui la composent et qui agissent comme des « frontières »
à la rationalité en faisant intervenir un mécanisme de sélection « naturelle ». Ces frontières
agissent à la manière d’un filtre pour apporter le consensus, c’est-à-dire finalement des
repères cognitifs permettant aux membres de l’organisation de puiser dans ce réservoir de
connaissances et de savoirs pré-encodés. Il dit d’ailleurs à ce propos :
« ces « frontières à la rationalité » préstructurent plutôt qu’elles ne déterminent la rationalité
et la capacité de choix des individus dans l’organisation. Elles limitent l’éventail des solutions
– et rendent par là même le choix possible – mais n’éliminent pas pour autant toute possibilité
de choisir. À cet égard, moins que de déterminer mécaniquement le comportement des
individus dans l’entreprise, la culture influence les possibilités de réponse à un problème
donné »39
.
Ce que laisse entrevoir ce passage, c’est que la culture, en tant que réservoir de valeurs dans
lequel puisent les individus, peut contribuer à la dynamique d’une organisation dans la mesure
où elle sert d’options stratégiques. Ces options pouvant être le fruit d’apprentissages et/ou
d’expériences individuelles ou professionnelles, sont une réalité, des « évidences » dont il
serait vain de nier la présence. D’où la difficulté d’instaurer des politiques managériales
tangibles en dehors de la réalité de leur contexte d’action. Par conséquent, au lieu de
condamner la juxtaposition des réseaux sociaux et leurs effets pervers dans les entreprises
africaines, il vaudrait mieux à l’instar des développements de Émile-Michel Hernandez
[1998] ou d’Emmanuel Kamdem [2002], les structurer en procédures de gestion
individualisées à part entière. Le passage suivant en témoigne fort à propos :
39
Delavallée (É.), op. cit., p.10.
66
« Il ne s’agit plus dès lors de s’interroger sur les liens entre les techniques de gestion et la
culture, donc de considérer les évidences qui la composent comme des contraintes à prendre
en compte dans la mise en place des conditions de l’efficacité de l’entreprise, mais de
considérer la mise en évidence de la culture comme une véritable technique de gestion »
[Delavallée, op. cit., p.16].
Loin de restreindre les potentialités d’une organisation, l’auteur veut au contraire montrer que
ces « frontières » permettent de les diversifier. Confrontés à une situation quelconque, les
managers ont ainsi la possibilité de piocher dans ce réservoir pour y tirer des effets bénéfiques
à leur organisation, grâce aux choix que leur offre ce réservoir culturel, qui institue en quelque
sorte un cadre de références stables nécessaire à la structure pour piloter en environnement
incertain notamment. Autrement dit, la culture possède une rationalité qui lui est propre et
pré-structurée par des cadres, ou les catégories- dans lesquels son pouvoir s’exerce [cf.
Degenne et Forse, 1994], tout comme l’activité managériale répond à des cadres théoriques et
contextuels qui sont confrontés aux contraintes de l’action organisée.
2.4.1.1.2. Culture et efficacité
Pour ce qui est du concept d’efficacité, l’auteur situe le débat sur l’impact de la culture
d’entreprise dans les actes de pilotage stratégique, et dans la définition de la performance. Par
conséquent, il s’agit d’apprécier l’efficacité comme une forme de culture. Il insiste davantage
sur le rôle de celle-ci en tant que variable capable de conditionner l’efficacité d’une entreprise
suivant « le principe de contingence » qui lie l’efficacité du système à une adéquation entre
ses variables (d’efficacité) et une situation donnée. Dans le cadre de notre étude, nous aurons
l’occasion d’éprouver cette comparaison dans les entreprises de notre corpus.
67
Ce principe tient davantage aux conditions de l’adaptation des entreprises par rapport aux
conditions du marché et à leur environnement stratégique, tandis que le second, « le principe
du fit », lie l’efficacité d’une organisation au degré de cohérence entre ses différentes
variables. Tous deux s’appliquent indifféremment à la variable culture ou à la variable
efficacité, étant donné que dans un cas comme dans l’autre, l’incohérence par rapport à une
situation donnée peut perturber la rationalité des décisions prises, par rapport au système de
référence habituel, en provoquant un décalage entre les objectifs poursuivis et ceux pratiqués.
Ce sont les interactions de ces principes qui contiennent les sources de la transformation de
l’efficacité culturelle d’une organisation, car elles touchent à la perspective du changement
organisationnel comme l’ont par ailleurs souligné Mintzberg et al. [1999, p.268].
68
Au niveau du premier principe, la culture sert de cadre à la prise de décisions, donc au
pilotage stratégique d’entreprise. Cette conception se rapproche de l’idée de performance en
tant que substrat idéologique prenant la valeur que lui donnent les individus. Dans le second
cas, elle permet de faire converger l’ensemble de l’organisation par voie de consensus vers
une dynamique de groupe et d’actions coercitives. La relation entre culture et efficacité,
montre qu’il est nécessaire d’avoir un minimum de cohérence entre les différentes variables
d’un système pour qu’il atteigne un niveau d’efficacité acceptable pour maintenir sa survie et
ses exigences propres.
En somme, ces principes servent dans le premier cas de figure de levier d’action aux actes de
pilotage stratégique. Ces derniers prennent en effet racine dans des variables aussi diverses
que le domaine d’activités stratégiques ou l’élaboration de stratégies, en nous invitant à
comprendre que l’efficacité d’une entreprise est liée d’une part à son adéquation aux
contraintes de ses environnements tant interne qu’externe. Et d’autre part, d’envisager
l’adéquation de ces contraintes avec les différentes variables qui constituent le système
stratégique, car elles peuvent modifier sa stabilité et sa performance.
L’idée qui transparaît derrière ces assertions est que dans le fonctionnement courant des
relations de travail dans une entreprise, des habitudes plus ou moins rationnelles, conscientes
et/ou inconscientes gouvernent l’action des membres de ces organisations. Ainsi la notion de
« corporate culture » ou de « culture organisationnelle » ou encore de « culture
d’entreprise », révèle des valeurs communes et propres au fonctionnement interne des
entreprises, et par translation, une forme de management par les ressources humaines
[Thévenet 1992], qui se retrouve dans la définition suivante de la culture :
« ensemble des postulats de base que le groupe a inventés, découverts ou développés en
résolvant ses problèmes d’adaptation externes et d’intégration interne, et qui se sont avérés
69
efficaces et donc peuvent être enseignés aux nouveaux membres comme étant la bonne façon
de percevoir, penser et ressentir la relation avec ces problèmes » 40
.
2.4.1.1.3. Culture et changement organisationnel
L’approche sociétale qui attribue quant à elle une place déterminante aux effets conjoints des
structures d’éducation, des pratiques syndicales, des représentations du personnel et des
structures politiques sur les rapports de travail dans l’entreprise constitue le prolongement de
l’approche institutionnelle. En effet, elle se matérialise par des différences qui ne caractérisent
pas des cultures nationales mais bien des styles d’entreprises liés à la société environnante :
elle est liée à une approche spécifique de la société fondée sur l’interaction des substrats
idéologiques et cognitifs des individus.
Au niveau de notre questionnaire, les questions relatives à la recherche de ces aspects,
manifestent bien une volonté au niveau des directions générales de ces entreprises, de porter
l’énergie et les compétences de leurs membres vers le partage de telles valeurs. Soucieux de la
qualité de son image et de la vulgarisation d’un esprit de corps au sein de ses équipes de
travail, la Direction Générale du groupe BGFI, a ainsi initié sous l’égide de la Direction des
Ressources Humaines des Affaires Générales et de la Communication, la formalisation de
cette identité d’appartenance et de valeurs, que nous avons consigné en annexes.
Dans la mesure où l’existence de la culture d’une entreprise s’entrevoit comme une forme de
rationalité managériale, elle tient donc moins à une volonté décrétée, qu’à l’acceptation par
les individus de règles et de valeurs partagées. Il faut que les acteurs de ces organisations
40
Thévenet (M.), Vachette (J.-L.), Culture et comportements, 1992, p.192.
70
intègrent et respectent ces modalités, le changement organisationnel devenant alors
changement de l’organisation système social, et non une simple modification de la
structuration de l’organisation. GABON TELECOM est représentative de ce cas de figure, car
si cette entreprise s’est dotée d’un nouveau statut juridique, elle fonctionne encore avec les
avatars et les pesanteurs qui déstabilisent le fonctionnement « normal » des entreprises
publiques.
Si l’on tient compte des considérations épistémologiques ici abordées, les perspectives
découlant de l’approche institutionnelle correspondent davantage à des réalités et à des
systèmes de valeurs ancrés dans la lutte des classes, tant elles se recoupent dans des logiques
d’appartenances à des systèmes idéologiques, de pensée et de modèles économiques qui leur
sont rattachées. C’est cet ancrage qui fait qu’elles ne cadrent pas tout à fait avec les logiques
de fonctionnement des individus dans les entreprises africaines, en raison de « l’extériorité »
historique liée à leur perception dans l’imaginaire collectif africain. Youssouph Mbargane
[1995], Baye Ibrahima Diagne [2004] et Paul René Ollomo [1987], l’ont à suffisance
démontré dans leurs écrits.
Si l’on s’en tient notamment compte des propositions de Youssouph Mbargane [1995], ces
dysfonctionnements relèveraient davantage d’un décalage avec les mœurs et les réalités des
populations où l’on greffe des politiques managériales qui ont du mal à s’appliquer sur le
terrain. C’est le même constat que fait Émile-Michel Hernandez [1998, 2000] à travers le
modèle d’action de l’entreprise informelle africaine, sur lequel nous nous étendrons plus
avant. Ce qui ne veut bien entendu pas dire que des logiques d’appartenance au métier ou au
groupe ne se rencontrent pas. Dans ce contexte, elles sont voilées et reléguées au second plan
à cause des logiques d’appartenance claniques ou ethniques. C’est pour les combattre que
dans les entreprises du secteur privé, les comités de direction instituent des valeurs partagées,
pour limiter les méfaits de ces expressions sur les logiques de rationalité économique.
2.4.1.2. L’approche interculturelle
71
Dans le second cas, c’est moins la constitution des identités au travail, que l’approche
contextuelle des particularismes observés au niveau du management stratégique qui nous
importe. En effet, l’une de nos préoccupations étant de vérifier que c’est l’interaction des
contraintes extérieures, notamment celle des réseaux sociaux, à travers les contingences et les
substrats sociologiques qui déstabilise le bon fonctionnement de ces entreprises au plan de
l’efficacité économique, et de la mise en valeur des compétences-ressources de manière
générale. Si l’on s’en tient aux propositions émises par Youssouph Mbargane [1995], ces
dysfonctionnements relèveraient davantage d’une mauvaise application des principes de
management, que ne font qu’amplifier les décalages entre le monde de ces individus et celui
de l’entreprise.
Pour lui, mais également pour Ollomo [1987] et Diagne [2004], le monde de l’entreprise, à
l’instar de l’État ou du management sont des émanations imposées aux africains et avec
lesquelles ils composent. Ce qui fait que c’est davantage la société (de traditions,
d’appartenance au groupe, à l’ethnie, à la tribu, etc.) qui reste fortement encastrée dans la vie
de l’entreprise, et qui altère souvent ses capacités. Notre objectif de base consistant à
rechercher les conditions de l’efficience du management stratégique à travers les difficultés de
gestion observables dans les entreprises gabonaises sélectionnées, l’association judicieuse des
approches institutionnelle et interculturelle enrichira certainement la texture de nos analyses,
en cas d’interférences entre ces deux approches.
Dans la recherche de la manifestation de cette interculturalité, il peut s’agir de facteurs
historiques, professionnels, régionaux, nationaux, etc. dont Geert Hofstede [1987], s’est
notamment appliqué à valoriser les influences dans ses travaux. De fait, l’approche dite
interculturelle s’intéresse par définition aux différences de culture qui ont une incidence sur
les relations de travail à l’intérieur et à l’extérieur de l’entreprise [cf. Dupriez, 1999]. En
pratique, elle s’intéresse aux différences entre cultures nationales, voire entre aires de
civilisation comme Geert Hofstede en a longuement fait état dans ses diverses contributions.
72
Dans un autre ouvrage co-écrit avec Daniel Bollinger, Geert Hofstede41
montre comment la
culture d’un pays détermine de façon implicite un modèle de management. C’est également le
projet de Philippe D’Iribarne dans La Logique de l’honneur [1989], dont l’objectif visé est de
décrire les principales dimensions culturelles qui différencient les groupes humains, et d’en
projeter les conséquences au plan du management des hommes et des styles de gestion.
De ces travaux, il ressort que la culture constitue le niveau collectif de la programmation
mentale que nous partageons au niveau macroscopique avec d’autres membres d’une nation,
ou de façon parcellaire avec ceux d’une région ou de notre famille. Se limitant à l’approche
des cultures nationales, c’est-à-dire des modes de pensée partagés par la majorité des
habitants d’un État, les auteurs vont montrer comment les traits culturels peuvent constituer
des traits saillants influençant les pratiques managériales et organisationnelles.
Il s’agit ici de mettre en avant l’existence de stéréotypes nationaux qui rendent ces réalités
opaques, difficiles à comprendre. Ainsi, dans une étude au sein d’une multinationale, Geert
Hofstede42
a-t-il établi à travers la cartographie des employés de cette firme des pratiques
culturelles (relativité culturelle) marquant les grands traits d’une culture nationale, afin de
réfléchir sur la prétendue universalité des pratiques de gestion fondée sur « l’hypothèse de
convergence ». La figure ci-après montre la stratification issue des niveaux communautaires
et individualisés de nos programmations mentales telles que décrits par Geert Hofstede.
41
Bollinger (D.), Hofstede (G.), Les différences culturelles dans le management. Comment chaque pays gère-t-il
ses hommes?, 1987, 270 p. 42
Hofstede (G.), “Relativité culturelle des pratiques de gestion et théories de l’organisation”, Revue française de
gestion, 1987, p.10-21.
73
Figure 5 : Pyramide du degré de programmation mentale des individus. D’après Geert
Hofstede, “Relativité culturelle des pratiques de gestion et théories de l’organisation”, 1987,
p.22.
À la base, le niveau universel marque le patrimoine génétique. C’est la partie de l’information
génétique commune à toute la race humaine qui se manifeste notamment à travers diverses
attitudes expressives : rires, pleurs, etc. Le niveau intermédiaire, le niveau collectif concerne
un nombre plus réduit de personnes appartenant à un même groupe, et qui permet de les
différencier des autres : langage, façon de concevoir les activités humaines avec des rites
voulus, habitudes vestimentaires, etc. C’est le seul niveau entièrement appris, siège des
valeurs transmises par notre communauté d’appartenance qu’elle soit sociale ou religieuse.
Seul le niveau individuel est vraiment la partie unique de la programmation humaine qui fait
la part des choses entre les niveaux universel et collectif. Mais les frontières ne sont pas
étanches d’un niveau à l’autre, on peut en effet trouver de l’universel dans l’individuel, par le
phénomène de l’hérédité notamment. Le point focal des études interculturelles est ainsi de
mettre en avant l’existence de stéréotypes nationaux qui rendent plus aisés la compréhension
des dysfonctionnements liés aux problèmes de management stratégique. C’est un projet de
74
recherche ambitieux qui peut s’avérer intéressant dans le cadre de l’analyse des interprétations
concernant l’influence des aires culturelles sur les comportements, et par extension, les types
de management observés.
2.4.1.3. Les perspectives issues de l’analyse des approches institutionnelle et interculturelle
Ces deux grands systèmes d’investigation de l’école culturelle, sont intéressants dans la
mesure où, dans le premier cas nous retrouvons la trace des contraintes externes issues de
l’environnement qui viennent peser sur la structure des organisations. Elles « obligent » pour
ainsi dire les dirigeants d’entreprise à rechercher des voies et moyens susceptibles de canaliser
les efforts des uns et des autres, afin de porter leurs actions vers la réalisation d’objectifs
communs, sous la forme d’idéologies et de valeurs partagées.
Dans le second cas, ces contraintes sont le fait des réseaux sociaux qui « infestent » la vie des
entreprises, s’y superposent par le biais des individus en une infra-structure qui mènent bien
souvent à des résultats inverses à ceux attendus en termes d’efficacité et de performance
économique au plan du management stratégique de ces entreprises. Ainsi l’école culturelle
est-elle le lieu du foisonnement de nombre de courants qui manifestent autant de perspectives
de recherches que d’approches sur l’impact de la culture dans la vie des entreprises, qu’elle
soit institutionnelle ou interculturelle.
Cette diversité des approches fait que l’on parle volontiers d’approches culturelles des
organisations. Elles témoignent d’une volonté de la sociologie des organisations de prendre en
compte, outre les facteurs contingents « classiques » (l’environnement, la technologie, etc.)
que nous aurons l’occasion d’aborder par ailleurs, la dimension culturelle des organisations
issue des interactions qui s’exercent entre les membres de l’organisation, l’entreprise et leur
environnement. Ainsi, la culture organisationnelle ou culture d’entreprise43
se décline sous
43
Il existe plusieurs précurseurs du concept de culture d’entreprise ou « corporate culture » (Chester
Barnard1938, The Functions of the Executive ; Philip Selznick, 1957, Leadership and Administration), mais c’est
véritablement Elliot Jacques (Intervention et changement dans l’entreprise, Dunod, 1972) qui a contribué à lui
donner la facture qu’il connaît de nos jours à travers la définition suivante : « La culture d’entreprise, c’est son
75
diverses formes et peut prendre autant de figures qu’il existe d’entreprises ou de type de
management.
mode de pensée et d’action habituel et traditionnel plus ou moins partagé par tous les membres, qui doit être
appris et accepté, au moins en partie, par les nouveaux membres ».
76
Cette diversité nous montre de fait la prétention et l’utopie qui résultent de l’imposition de
modèles à caractère universaliste. Elle nous montre l’intérêt d’une mise en adéquation des
particularismes identitaires et culturels avec les marchés investis. C’est la prétention du
« management interculturel » encore dénommé « approche interculturelle », qui désigne « un
état de faits prenant en compte les comportements, les opinions et les déterminants culturels
qui guident l’action des membres de l’organisation », par opposition à la culture d’entreprise
qui désigne essentiellement quelque chose que les dirigeants ont à charge de définir et de
modifier [Journet 1998, p. 52].
2.4.2. Critique de l’école culturelle
L’intérêt de l’école culturelle est sans aucun doute d’apporter des cadres explicatifs
permettant d’envisager la culture comme une variable capable de situer les cadres référentiels
auxquels recourent les individus dans l’exercice de leurs fonctions. Elle trouve ainsi son sens
dans la corrélation directe avec l’école du pouvoir, car elle permet de déceler les logiques qui
sous-tendent la constitution de coalitions d’acteurs individuels ou collectifs. Elle apporte ainsi
au processus d’élaboration de stratégies la dose de phénomènes et de comportements sociaux
que les écoles normatives avaient jeté aux orties en privilégiant une approche rationnelle et
unidimensionnelle du management.
Elle nous renforce dans l’idée que l’élaboration de stratégies repose sur un substrat de valeurs
rationnelles et irrationnelles dont l’homme est le moteur44
, sans pour autant qu’il existe de
recettes toutes faites à appliquer, chaque entreprise devant trouver sa voie. Elle témoigne du
consensus à mettre en œuvre au sein des organisations pour mieux les piloter, tout en tenant
compte de la complexité des phénomènes et des logiques qui s’y jouent. Autrement formulé et
pour reprendre une expression chère à Henry Mintzberg [1999], la culture peut agir comme
des œillères et contrer l’élaboration de stratégies, car elle s’appuie sur des données acquises
qu’il est parfois difficile de défaire dans le cadre d’un environnement concurrentiel et
dynamique.
77
44
Cf. Centre des Jeunes Dirigeants d’Entreprise, Pour l’entreprise, l’homme est capital, 1998, 157 p.
78
La prise en compte de ces aléas ressort plus particulièrement des préoccupations des tenants
de l’école environnementale. Pour cette école, l’élaboration de la stratégie est vue en tant que
processus de réaction obéissant aux principes de « contingence » et du « fit » développés par
Éric Delavallée [1996]. Dérivée de la théorie de la contingence, elle se soucie de
l’environnement en tant qu’élément de nature à contrarier ou à favoriser l’existence des
entreprises tant au plan externe qu’interne. Dans ce contexte, l’environnement répond à une
construction de l’esprit pour désigner les contraintes, les forces et les situations susceptibles
de gêner leur action.
2.5. Perspectives issues de l’analyse des écoles processuelles
L’objet de ce développement est d’étayer les perspectives issues des courants majeurs du
second mouvement de l’évolution de la pensée stratégique au regard de notre axe de
recherche. Il nous importe en effet de démontrer qu’à l’image de celui-ci, la recherche de
moyens susceptibles d’aider à résoudre les problèmes de gestion des entreprises passe
également par la mise en place et la gestion de processus en conformité avec leur contexte
d’action. Au niveau de l’école de l’apprentissage par exemple, l’intérêt se situe pour nous au
niveau de la valorisation des expériences acquises pour améliorer le pilotage stratégique
d’entreprise. Ici, l’enjeu est de parvenir à intégrer stratégies délibérées et stratégies
émergentes, au niveau de l’élaboration du plan d’actions stratégiques.
Quant aux théories des écoles du pouvoir et de la culture, elles sont tout à fait en phase avec
notre préoccupation centrale, à savoir que la résolution des problèmes de management
observable dans les entreprises africaines ne peut se faire si l’on ne tient aucun compte de la
part d’irrationalités qui imprègnent la structure de ces organisations, et qui se répercutent
finalement sur la politique générale d’entreprise. Au sein de ces organisations, les acteurs sont
en effet amenés à adopter des stratégies (individuelles ou collectives) pour conserver ou
défendre au mieux leurs intérêts, ceci, pour atteindre des objectifs personnels ou au contraire
pour concourir à l’édification d’une œuvre collective dans l’intérêt de l’organisation.
79
80
Si l’école du pouvoir situe son approche au niveau des stratégies individualisées des acteurs,
l’école culturelle propose en complément de cette approche le niveau collectif, avec à la base
une multitude d’approches rendant compte des interactions et de la complexité produites dans
la vie des organisations. Comme le dit Éric Delavallée, « il ne s’agit plus dès lors de
s’interroger sur les liens entre les techniques de gestion et la culture, donc de considérer les
évidences qui la composent comme des contraintes à prendre en compte dans la mise en place
des conditions de l’efficacité de l’entreprise, mais de considérer la mise en évidence de la
culture comme une véritable technique de gestion » [1996, p. 14]. Cette dernière étant
susceptible de pallier les insuffisances avérées sur le terrain.
De tous les mouvements issus des écoles processuelles, ce sont ces trois là qui collent
particulièrement bien aux exigences de notre problématique. Bien sûr, l’école de
l’environnement même si nous ne l’avons que sommairement abordé n’est pas en reste,
puisqu’à travers les principes de « contingence » et du « fit », ce sont les éléments de contexte
externe et interne qui sont évalués au plan global dans l’organisation, à la manière d’un
écosystème. En somme, il s’agit ici de rechercher les lieux et les moyens par lesquels peuvent
être réunies les conditions de l’efficacité des entreprises de notre échantillon à partir de ce que
Mintzberg regroupe sous le paradigme de « l’hypothèse élargie de configuration » qui lie
l’efficacité d’une structure à la cohérence des variables internes et aux facteurs de
contingence.
2.6. Conclusion du chapitre
Ce tour d’horizon de la pensée stratégique est révélateur de la complexité du management
stratégique. Nous avons pu voir à travers cette évolution, que d’un axe normatif, elle s’est
orientée vers plus ou moins de flexibilité, déjà avec l’école cognitive, mais de façon plus
tangible, avec les écoles du pouvoir, de la culture et de l’environnement. Comme le soulignait
Gérard Koenig, « il faut un juste équilibre entre stratégies délibérées et stratégies
81
émergentes. C’est tout l’art du management stratégique, et ce n’est pas des moindres, de
vivre de processus qui sont à la fois contradictoires et complémentaires »45
.
Le but étant de montrer que comparativement à l’évolution des théories de la pensée
stratégique, les approches managériales à l’œuvre dans les entreprises de notre corpus,
doivent elles aussi faire l’objet d’adaptations et de mesures contextuelles aux réalités et
spécificités de leur contexte d’action. Si dans un premier temps, tous les courants de pensée
évoqués au niveau des écoles normatives se sont focalisés sur la manière de concevoir des
stratégies, ceux des écoles processuelles s’évertueront davantage à la description effective des
processus sous-tendant cette conception.
Autrement dit, les écoles que nous avons présentées dans ce second mouvement de
l’évolution de la pensée stratégique incarnent davantage pour nous, une façon consensuelle
d’approcher et de mettre en œuvre les phénomènes se jouant à l’intérieur de ces organisations.
Cette rupture paradigmatique consacre un changement de perspectives, permettant
d’envisager l’entreprise non plus seulement comme un organisme technico-économique, mais
surtout comme un agent de production doté d’une organisation sociale et d’un système
politique.
Elles s’inscrivent plus volontiers dans une logique d’adaptation et de refonte avec les
contextes environnementaux réels de la vie des entreprises. Rendue possible par les
perspectives de recherche de l’école cognitive qui a introduit la notion de complexité,
également à l’œuvre en ce qui concerne les écoles de l’apprentissage et de l’environnement. Il
s’agit ainsi de permettre à la stratégie de développer les capacités organisationnelles à partir
de la capitalisation de savoirs et d’expériences [cf. Hamel et Prahalad, 1995]. Cette idée
repose sur le fait que les succès d’une entreprise sont tributaires des apprentissages, eux-
mêmes dépendant des compétences acquises dans le métier, qui génèrent en retour de la
productivité.
45
Koenig (G.), Management stratégique. Paradoxes, interactions et apprentissages, 1996, p.85.
82
Cette dynamique va se confirmer pour l’école du pouvoir et celle de la culture, en révélant
l’empreinte et l’impact des actions produites par les acteurs dans la vie des organisations.
Cette dernière manifestant l’élaboration de stratégies à partir de processus à la fois singuliers
(dans la capacité des individus à se l’approprier) et collectifs (par le partage de valeurs
référant à des liens d’ordre social), car elles renouvellent le processus d’élaboration de la
stratégie.
Piloter stratégiquement une organisation, revient dans ces conditions à créer les conditions de
congruence (économiques, techniques, sociales, politiques, etc.) entre l’environnement
externe et l’entreprise, de sorte que celle-ci dispose d’un potentiel de compétences-ressources
capables de répondre aux exigences de ses environnements. Par conséquent, nos
investigations vont se reporter sur des études consacrées à l’éclairage des aspects
organisationnels dans les entreprises africaines qui battent en brèche le principe d’universalité
consacré par l’approche traditionnelle, qui y montre ses limites. Mais au préalable, nous
allons rechercher d’autres éléments d’investigation dans les théories des organisations pour
parfaire la thèse de la complexité et non de l’universalité, concernant plus particulièrement les
entreprises de notre corpus.
83
Chapitre II : Approches contingentes et processus
stratégiques
L’examen des théories managériales ici abordé a pour objectif de mettre en parallèle la
complexité des phénomènes à l’œuvre dans les organisations à partir des processus qui en
déterminent la portée. Au cœur de ces processus, nous situons notamment l’approche
contingente, car notre idée de départ et nos hypothèses de travail se fondent dans cette
perspective. L’approche contingente nous permet en effet de mieux nous positionner, car elle
est une théorie de l’action basée sur la complexité et l’interaction des situations dans un
environnement donné, par opposition à l’approche universaliste.
Section I : Fondements et analyse de la pensée contingente
1.1. Aux sources de la théorie de la contingence et de ses développements
L’intérêt de l’approche dite contingente par rapport à notre objet d’étude est d’établir à la fois
une rupture paradigmatique et une ouverture sur l’entreprise et son environnement, au niveau
de la perception des phénomènes se jouant au sein des organisations. Mais surtout, elle rompt
avec la prétention universaliste et fonctionnaliste du modèle taylorien. Aspect central pour
nous au niveau du management des entreprises africaines, et plus particulièrement des
entreprises gabonaises auxquelles il convient de trouver des voies spécifiques, comme l’ont
laissé entrevoir des auteurs comme Émile-Michel Hernandez [1997-2000] et Kanyi O’Cloo
[1991] dans leurs écrits.
84
L’approche contingente a en effet ceci de particulier qu’elle décrit les rapports entre certaines
dimensions de l’environnement (le secteur d’activité, les concurrents du secteur, le marché,
les ressources humaines, matérielles et financières) et les attributs ou contingences spécifiques
à une organisation. En l’occurrence l’environnement stratégique des entreprises, leurs
maîtres-mots et leur souci étant dorénavant de veiller à maintenir une adaptativité, une
réactivité et une flexibilité constantes pour être compétitifs.
1.1.1. L’approche par les déterminismes structurels
Pour les tenants de ce courant, c’est l’influence de l’environnement qui détermine le
fonctionnement des organisations à travers les interactions qui existent entre variables
internes à l’organisation d’une part [Burns et Stalker, 1961 ; Woodward, 1965] et variables
externes à l’organisation [Emery et Trist, 1965 ; Lawrence et Lorsch, 1969]. Mais ce sont
davantage les travaux de Tom Burns et G.M. Stalker46
qui préfigurèrent des développements
actuels de la, ou plutôt des théories contingentes. Dans leur approche, ils situent en effet ces
travaux au niveau du lien de dépendance entre la nature de l'environnement et l’organisation
de façon globale.
Burns et Stalker47
découvrirent de façon tout à fait fortuite que certaines entreprises situées
dans un environnement stable étaient performantes lorsqu’elles adoptaient un fonctionnement
« mécaniste » (standardisation et spécialisation des procédés de travail et des modes de
production, structure fortement hiérarchisée,…). Alors que d’autres, situées dans un
environnement turbulent s’avéraient performantes en adoptant un mode de fonctionnement
« organique » (organisation de type transversal privilégiant l’autonomie des acteurs, la
communication et les échanges informels, le travail en équipe au plan vertical et
horizontal,…).
À leur suite, c’est Joan Woodward48
qui mit au jour les liens de dépendance entre structure,
mode de direction et système technique de l’entreprise à partir d’une étude comparative. Mais
c’est à partir de l’approche de Frederick Emery et Eric Trist49
qu’un tournant va être pris,
reposant sur une approche dynamique et complexe de l’environnement par rapport à la
structure et au fonctionnement de l’organisation. Ces derniers vont s’appuyer sur la théorie
46
Burns (T.), Stalker (G.M.), The Managemrnt of Innovation, London, Tavistock publications, 1961. 47
Idem. 48
Woodward (J.), Industrial Organization : Theory and Practice, Oxford, Oxford University Press, 1965.
85
économique et sur ce qu’ils observent de l’environnement organisationnel, pour définir quatre
états d’environnement organisationnel conduisant à deux dimensions d’analyse : stabilité
versus dynamisme et simplicité versus complexité qui influent sur la stratégie des entreprises
se trouvant dans l’un ou l’autre de ces États.
L’apport de Emery et Trist [1965] est d’autant plus dynamique qu’il nous place d’emblée
dans le contexte d’action des entreprises de notre corpus et de notre problématique. Loin de la
vision mécaniste des précurseurs de la pensée contingente, il introduit la complexité en tant
que principe organisateur des phénomènes qui rythment la vie des organisations.
Effectivement, cette théorie prend davantage en compte les effets induits par l’interaction des
dynamiques organisationnelles, et l’environnement de façon globale. Autrement dit, c’est une
vision complexe et dynamique des phénomènes se jouant au cœur des entreprises, que nous
adapterons à la compréhension et à la spécificité des actes de management stratégique des
entreprises gabonaises de notre corpus.
S’inscrivant dans le même courant, Paul Lawrence et Jay Lorsch50
quant à eux vont s’inspirer
du concept d’incertitude lié à l’environnement de Burns et Stalker [1961], et de son impact
sur la forme et le fonctionnement des organisations, au niveau des sous-environnements
auxquels sont confrontés les acteurs dans leur quotidien. Cette étude approfondie va les
amener à dégager les concepts clés de « différenciation » et d’« intégration » qui régulent le
fonctionnement des groupes appartenant à des environnements différents.
Le concept de différenciation s’exprimant au point de vue formel, marque la différence de
nature entre départements et entre individus au sein de l’organisation. Le concept
d’intégration lui est défini comme « la qualité de la collaboration qui existe entre les
départements qui doivent unir leurs efforts pour satisfaire aux demandes de
49
Emery (F.E.), Trist (E.L.), “The Causal Texture of Organizational Environment”, Human Relations 18, p.21-
32, 1965. 50
Lawrence (P.R.), Lorsch (J.W.), Adapter les structures de l’entreprise : intégration ou différenciation, Paris,
Interéditions, 1973, traduit de l’anglais Organisation and environment : managing differnciation and
integration, Irvin, Homewood, 1969.
86
l’environnement »51
. Il passe par la résolution efficace des conflits nécessitant la mise en place
de rôles de coordination et de liaison.
Même si ces concepts s’appliquent dans des cadres techno-économiques, ils peuvent s’étendre
de façon judicieuse dans la dynamique des jeux des acteurs. On peut par exemple les lier aux
hypothèses de contingence et de congruence émises sous le contrôle de Henry Mintzberg à
travers « l’hypothèse élargie de configuration », car ils montrent l’interdépendance existant
aussi bien entre les éléments internes qu’externes d’un système, et leur impact sur celui-ci.
Transférés dans le contexte d’action des entreprises gabonaises, il s’agit de faire la part des
choses entre ce qui est susceptible de perturber, ou au contraire de galvaniser la dynamique
d’ensemble de l’organisation. En effet, il faut toujours avoir à l’esprit que l’organisation de
telles structures, ici au niveau de leur management stratégique, ne s’appréhende que
partiellement, si l’on excepte à la compréhension des phénomènes qui s’y jouent, l’analyse
des réseaux sociaux de l’entreprise [Mutabazi, 2001].
D’un point de vue strictement théorique, cette approche montre que dans une organisation les
différentes entités peuvent ne pas absorber l’incertitude52
de la même manière, puisqu’elles ne
sont pas nécessairement confrontées au même type d’environnement dans la réalisation de
leurs tâches quotidiennes. Les concepts de différenciation et d’intégration mettent ainsi en
valeur deux forces contradictoires et complémentaires à prendre en compte dans la structure
d’une organisation : le besoin de différenciation et la nécessité d’intégration qui contribuent,
loin de la disloquer à la performance d’une organisation.
En effet, c’est le degré de coercition et de cohérence des actions menées dans les différentes
branches de l’entreprise qui entérine la différenciation souhaitable, au sein des différentes
51
Idem. 52
Galbraith (J.), Organization design, Reading Mass, Addison Wesley, 1977. Le concept d’incertitude
définissant la différence entre la somme d’information requise par la tâche et la somme d’information déjà
87
unités à l’échelle globale de l’entreprise. C’est cette différenciation qui permet de créer de la
valeur dans l’entreprise, si tant est que les dirigeants parviennent à la transformer en une
synergie bénéfique au pilotage stratégique, et par conséquent à l’exercice même du
management stratégique.
Pour Paul Lawrence et Jay Lorsch53
, le besoin d’intégration n’est pas directement lié au
besoin de différenciation, car « l’état de différenciation d’une entreprise efficace doit être
compatible avec chacun des secteurs d’environnement, tandis que l’état d’intégration atteint
doit être compatible avec l’exigence d’interdépendance de l’environnement ». Ce qui en
d’autres termes veut dire que la différenciation dans un département, par exemple le
département « recherche-développement » doit être compatible avec les exigences de travail
et de structure (organique de préférence) de ce département, tout en tenant compte
parallèlement du fait que l’intégration est nécessaire à l’organisation pour assurer la
cohérence de la politique générale.
Par leur analyse, ils procèdent d’une démarche moins mécaniste que celle de Tom Burns et
G.M. Stalker [1961] ou de Joan Woodward [1965], grâce à leur modèle de conception de
l’organisation. Celui-ci établit les modalités de réponse que peut faire valoir une organisation
face à l’incertitude à laquelle elle est confrontée. La première modalité concerne la réduction
de cette incertitude par la réduction globale des surcapacités de l’entreprise, résultant de
l’adoption d’un mode de production en « juste-à-temps » par exemple.
La seconde modalité quant à elle, fait référence à l’accroissement des capacités de l’entreprise
pour gérer cette incertitude. Il se réalise sous forme d’investissements en systèmes
d’information, grâce à des investissements dans la mise en œuvre de structures transversales
dans l’organisation, et en instaurant un système de partenariats, pour mieux gérer l’incertitude
interne, et pouvoir ainsi mieux affronter celle venant de l’extérieur.
détenue par l’organisation. La somme d’information requise étant elle-même fonction de la diversité de
production, de la forme de division du travail choisie et du niveau de performance requis.
88
S’aventurant plus loin dans son analyse, Jay Galbraith54
va aller au-delà des développements
de Lawrence et Lorsch [1973] en définissant de façon précise les différentes façons de
favoriser les relations latérales dans l’entreprise. Ceci, dans le but de mieux gérer
l’information et sa diffusion, en évitant la surcharge des échelons hiérarchiques. Nous
reviendrons plus avant sur les effets de la mise en place d’un système d’information
stratégique concernant les firmes de notre corpus, à travers les différents points et théories que
nous aborderons dans la partie suivante.
À cette première vision des interactions organisation/environnement basée sur la qualité et la
complexité de l’environnement, va succéder une autre vision basée sur l’analyse de
l’environnement comme porteur de risques, de menaces et de potentialités. Jeffrey Pfeffer et
G.R. Salanick55
et par la suite John Aldrich56
, vont ainsi montrer le degré de dépendance de
l’organisation vis-à-vis de certaines ressources, en faisant état du pouvoir relatif d’une
organisation à se procurer certaines ressources nécessaires à son fonctionnement. C’est de la
rareté de ces ressources que peut survenir une source d’incertitude et de vulnérabilité
préjudiciables à l’entreprise vis-à-vis de l’extérieur à terme. Une autre approche qu’il nous a
paru important de relever concerne la contribution de Charles Perrow57
. Ce dernier présenta
pour sa part une analyse de l’influence de la technologie sur la conception de l’organisation, à
partir de deux dimensions :
La variété, qui concerne à la fois la diversité des tâches d’une unité et les changements
prévisibles ou inattendus intervenant avant ou pendant le processus de transformation.
53
Lawrence (P.R.), Lorsch (J.W.), Adapter les structures de l’entreprise : intégration ou différenciation, Paris,
Interéditions, 1973. Traduit de l’anglais Organisation and environment : managing differnciation and
integration,Irvin, Homewood, 1969. 54
Galbraith (J.), Organization design, Reading Mass, Addison Wesley, 1977. 55
Pfeffer (J.), Salanick (G.R.), The Externals Control of Organizations: A Resource Dependance Perspective,
New York, Harper & Row, 1978. 56
Aldrich (J.H.), Organisation and Environment, Englewoods Cliffs, Prentice Hall, 1979 57
Perrow (C.), “A Eramework for the Comparative Analysis of Organisations”, American Sociology Review 32,
1967, p.194-208.
89
L’analysabilité, qui fait référence au degré de maîtrise et de compréhension du processus de
transformation lui-même.
L’approche par les déterminants structurels, à travers les contributions sommaires que nous
avons présenté, montre les phénomènes contingents à la fois internes et externes qui
influencent la vie des organisations. Nous avons ainsi vu que par une évolution conceptuelle,
l’analyse de ces déterminants structurels s’est enrichie dans une seconde période de la
complexité des points de vues suscitée par des auteurs comme Frederick Emery et Eric Trist
[1967]. D’autres auteurs se sont également penché sur la nature des relations qui pouvaient
exister entre l’entreprise et ses environnements à travers le prisme des relations techno-
économiques, dont nous allons dresser un bref aperçu.
1.1.2. L’approche par les déterminismes techno-économiques
Outre le déterminisme structurel qui présupposait qu’à un type d’environnement donné (stable
ou complexe) correspond une structure organisationnelle (bureaucratique ou organique), les
déterminismes technologiques et économique participent des interactions qui animent la vie
des organisations. En effet, à côté de la structure organisationnelle, le choix des technologies,
leur coût et leur appropriation par les membres de l’organisation, engagent à plus ou moins
longue échéance la stratégie et le style de management portés par une entreprise.
La contribution de James Thompson58
, ce dernier mettant en évidence cette interaction, en
étudiant l’interdépendance technologique qui lie entre eux différents départements, va nous
servir de fil conducteur. Il met ainsi en exergue le fait que le degré de dépendance
technologique (faible, fort, possible) d’une unité à l’autre, pour accomplir une tâche varie en
fonction de l’interdépendance qui peut exister entre différents départements. Grosso modo,
l’approche par les déterminants techno-économiques analyse le lien entre l’entreprise et ses
environnements, à partir des choix technologiques ou techniques émanant des entités de
l’entreprise.
58
Thompson (J.D.), Organizations in Action, New York, McGraw Hill, 1967.
90
1.1.3. En guise de synthèse
En somme, ces deux approches mettent en exergue l’influence conjointe de l’environnement
sur la structure organisationnelle et les choix technologiques. Les travaux de Paul Lawrence et
Jay Lorsch [1969], de Jay Galbraith [1977], Charles Perrow [1967] et James Thompson
[1967] se complètent dans la mesure où ils apportent chacun un éclairage singulier sur les
interactions produites par les effets conjoints des structures organisationnelles, des choix
technologiques et de leur coût/rentabilité pour l’organisation à plus ou moins long terme.
S’ils permettent d’accéder à la complexité des relations qui influencent la vie des
organisations, les approches par les déterminants structurels et techno-économiques, ne
rendent pas suffisamment compte du rôle des acteurs dans l’analyse de ces phénomènes. C’est
pour pallier ces insuffisances que les approches néo-contingentes vont pour ainsi dire prendre
le relais. Ces approches vont ainsi revisiter la prégnance des seuls déterminismes structuro-
technico-économiques, exercée au détriment du jeu des acteurs. Regroupées sous le sceau du
courant néo-contingent, ces approches intègrent à l’analyse des facteurs purement techniques,
la dynamique résultant du jeu des acteurs comme facteurs déterminant et influençant les
performances d’une organisation.
1.2. La pensée néo-contingente
Loin du déterminisme techno-économique, critique fondamentale adressée aux théoriciens de
la théorie contingente et structurelle, l’approche néo-contingente va pallier les insuffisances
de cette dernière en y associant l’action des acteurs comme médiateurs entre l’environnement
et l’organisation. Michel Crozier et Ehrard Friedberg [2000] reprochent notamment aux
tenants de l’approche contingente une vision « mécaniste » des rapports que l’entreprise
entretient avec son environnement.
91
1.2.1. De la critique de l’argument mécaniste…
La critique majeure adressée aux tenants de ce courant se rapporte à une vision qui délimite la
perception de l’environnement à une donnée objective. Celle-ci, en instaurant une relation
univoque relevant uniquement de facteurs structurels et techno-économiques conditionne les
performances et l’environnement des entreprises à ces seuls déterminants. Ils critiquent ainsi
le fait que les rapports humains soient relégués au second plan, tout en reconnaissant l’apport
des travaux de ces chercheurs sur les interactions existant entre les entreprises et leur
environnement. Crozier et Friedberg exposent d’abord les limites du courant techno-
économique :
« Méconnaissant l’autonomie et les contraintes propres du construit humain sous-jacent à une
organisation, une telle optique technicienne est liée à un mode de raisonnement dont les
présupposés déterministes sous-jacents aboutissent en fin de compte à réduire le changement
organisationnel à un processus quasi mécanique d’adaptation unilatérale »59
.
Plus tard , Friedberg adoucit cette critique en insistant sur son aspect positif
« L’apport de la théorie contingente et structurelle a permis de souligner utilement
l’importance de l’environnement et du contexte (surtout technologique) des organisations
pour la compréhension de leurs processus internes (…). Les programmes de Burns et Stalker
et de Lawrence et Lorsch ont notamment fait progresser de façon notable quoique incomplète
la compréhension entre une organisation et son environnement »60
.
Si ces critiques sont fondées, il est que des traces résultant du jeu des acteurs apparaissent à
certains points notamment dans les théories de Emery et Trist [1965], de Galbraith [1977] et
59
Crozier (M.), Friedberg (E.), L’Acteur et le système, 2000. 60
Friedberg (E.), Le pouvoir et la règle, 1993.
92
de John Child [1972]. Dans leur article sur la trame causale de l’environnement, Frederick
Emery et Eric Trist [1965] mettent ainsi en valeur l’existence de réactions d’acteurs dans
certains types d’environnement qui permet de contraster cette critique.
1.2.2. … À l’organisation de la riposte
Jay Galbraith [1977] entrevoit ainsi la possibilité de nuancer l’argument mécaniste et
déterministe qu’opposent les tenants du courant néo-contingent par la mise en œuvre de
parades pour faire échec aux aléas de l’environnement. Ces parades constituant autant de
choix stratégiques et de possibilités de négociations avec certains acteurs de l’environnement
(politiques, entreprises, etc.). À cela, John Child [1972], ajoute que plus que l’environnement,
c’est la stratégie de l’entreprise, c’est-à-dire les choix opérés par les dirigeants ou coalition
dominante qui façonnent la structure.
Mais c’est véritablement Karl Weick61
qui le premier va permettre de répondre à cette
absence de médiations des acteurs entre l’environnement et l’entreprise, qui sera plus tard
reprise par John Child [1972]. Il montre à cet effet que la conception de l’organisation n’est
plus la résultante d’une vision objective, impersonnelle et univoque, mais bien le fruit d’une
interprétation, c’est-à-dire le fruit d’une vision subjective d’une réalité ambiguë et équivoque :
l’environnement interprété par les acteurs. Dès lors, parler d’absence de médiation des acteurs
c’est faire preuve d’ostracisme.
Pour lui, les dirigeants d’entreprise ou coalition dominante interprètent les signaux émis par
l’environnement sur la base de leurs systèmes de valeurs (préférences, connaissances,
expériences personnelles, etc.). C’est cette interprétation qui va conduire à une vision de l’état
de l’environnement non ambiguë et non équivoque (enacted environment). En interaction
avec cet état, une organisation sera définie pour faire face à cette incertitude. On voit bien par
cette analyse que le fait de considérer la prééminence des déterminants structurels et
technologiques, n’occulte en rien celle des autres acteurs de l’organisation. C’est plutôt un
61
Weick (K.E.), The Social Psychology of Organizing, Reading Mass/ Addison Wesley, 1969.
93
choix de perspective, qui fait que l’accent n’est pas ici prioritairement porté aux processus
cognitifs auxquels font appel les individus pour réduire l’incertitude de leur environnement.
Ce qui va dans le sens de la thèse de Robert Duncan62
, qui à la suite de Karl Weick va
reprendre le concept d’incertitude abordé dans les approches de Lawrence et Lorsch [1969] et
de Galbraith [1977], en le redéfinissant en termes de perception des membres de
l’organisation. Il établit ainsi que « l’incertitude et le degré de complexité et de dynamisme de
l’environnement ne devraient pas être considérés comme des traits constants dans une
organisation. Ils dépendent plutôt de la perception des membres de l’organisation et ainsi
varient dans leur incidence suivant le degré auquel les individus diffèrent dans leurs
perceptions »63
.
Raymond Miles et Charles Snow64
qui s’appuient à la fois sur les travaux de John Child
(approche des choix stratégiques et coalition dominante) et de Karl Weick (environnement
décrété) vont quant à eux élaborer une typologie d’adaptations organisationnelles liées à des
orientations stratégiques déterminées. Ils mettent ainsi en valeur le processus d’adaptation
organisationnel résultant de l’appréciation des managers, à partir de choix stratégiques
imposés par la situation de leur environnement.
Raymond Miles et Charles Snow [1978] veulent ainsi montrer que le processus d’adaptation
organisationnelle n’est ni un phénomène incontrôlé, ni un processus impliquant un choix
parfaitement rationnel. C’est plus qu’un processus mécaniste, puisqu’il requière la
confrontation d’un ensemble de décisions managériales prenant corps et consistance dans le
temps. Il conduit à la formation d’une image organisationnelle basée sur une cohérence
globale entre environnement réel et environnement perçu pour asseoir la stratégie et la
performance de l’entreprise.
62
Duncan (R.), “Characteristics of Organizational Environments and Perceived Environment Uncertainty”,
Administrative Science Quaterly 17, 1972, p.313-327.
94
La nuance apportée à la critique mécaniste des déterminants structurels, technologiques et
économiques, permet d’établir par ce biais une théorie de la contingence basée sur la
perception des décideurs. De cette perception, naîtra une configuration structurelle de
l’organisation (conception défensive ou proactive) qui va induire une vision de
l’environnement et de l’organisation pouvant être considérée comme une forme de culture
organisationnelle avant la lettre.
De cette perception/interprétation de l’état de l’environnement découle la formulation d’un
type de stratégies qui vont déterminer la structure organisationnelle la mieux adaptée. Par voie
de conséquence, ces choix sont révélateurs du type de management à l’œuvre dans une
organisation, et pointent vers la problématique du changement organisationnel, comme nous
le verrons chez Roger Tsafack Nanfosso dans son « Essai de clarification du concept de
flexibilité offensive » [1996].
1.3. Perspectives issues de l’analyse des préceptes de la pensée contingente
En somme, les théories issues des approches contingente et structurelle mettent l’accent sur
les relations entre la stratégie, l’environnement et la structure organisationnelle, relevant de la
perception et des valeurs des individus. Cette perception relève d’une construction de
l’environnement stratégique des entreprises basée sur l’intuition et les valeurs des dirigeants
d’entreprise. Elle met en relief une interface cognitive essentielle entre l’environnement et
l’organisation qui conditionne les processus mis en œuvre à cet effet. Car les individus
interprètent l’environnement à partir de leurs expériences et de leurs préférences pour édicter
des stratégies capables de soutenir et d’accompagner le changement organisationnel.
Cette interprétation est d’autant plus nécessaire que l’environnement est une réalité ambiguë
et équivoque qui modèle dans la durée l’organisation et ses dirigeants pour aboutir à un
63
Duncan (R.), op. cit. 64
Miles (R.E.), Snow (C.), Organizational Strategy, Structure and Process, New York, Mac Graw Hill, 1978.
95
véritable paradigme organisationnel. Appliqué à notre problématique, il s’agirait de mettre en
relation le type de management, la performance globale de l’organisation en étude, et
l’implication des individus au travail. Notre projet étant, faut il le rappeler, de mettre au jour
les facteurs contingents susceptibles de miner le pilotage stratégique des firmes de notre
corpus, et par conséquent, leur management stratégique.
La pensée néo-contingente rompt ainsi avec la critique déterministe et mécaniste d’adaptation
unilatérale à l’environnement par l’absence d’acteurs, en apportant une infinité de logiques à
faire prévaloir dans le fonctionnement des organisations. À cela, il faut intégrer l’idée que la
structure des organisations quelles qu’elles soient, est en réalité bien plus complexe que ne le
laisse apparaître les éléments de théorie ébauchés çà et là. Il s’agit de se rapprocher de la
vision du réel que l’on cherche à décrire ou à construire, et nullement un moyen de déterminer
de façon catégorique le fonctionnement des organisations.
96
Par son évolution épistémologique, la pensée contingente se rapproche de l’évolution des
courants de la pensée stratégique. Dans leur cheminement respectif, on voit ainsi se dégager
une vision mécaniste des rapports qui rythment la vie des organisations, qui est peu à peu
suppléée par une approche plus consensuelle. Cette dernière intègre à la détermination
mécaniste des phénomènes étudiés, une dynamique de phénomènes complexes relevant du jeu
des acteurs et de leur implication dans la dynamique d’entreprise.
Cela est d’autant mieux vérifié que l’organisation en tant que système est traversée par des
flux de toutes sortes. Les flux de communication informelle notamment, font l’objet de flux
parallèles aux circuits de communication réguliers qui contournent bien souvent les processus
de décision du système régulé [cf. les travaux de Crozier et Friedberg 2000]. Mais aussi
contradictoires que cela peut apparaître, ces liens sont nécessaires au bon fonctionnement de
la partie formelle de l’organisation et constituent le sociogramme65
, c’est-à-dire une carte
décrivant « qui communique avec qui » dans l’organisation indépendamment des circuits de
communication formels.
Dès lors, la conception classique de la structure organisationnelle prit une nouvelle
dimension. Jusque là, la pensée dominante consistait à assimiler la structure à un ensemble de
relations de travail prescrites et standardisées couplées à un système strict et fortement
hiérarchisé d’autorité formelle. De plus en plus, les rapports informels se retrouvent propulsés
au devant de la scène, et comptent tout autant que les considérations économiques, financières
et matérielles devant servir les actes de pilotage stratégique66
.
Cette manière d’aborder les dynamiques organisationnelles mises au jour par la sociologie des
organisations nous importe dans la mesure où, comme nous le laissions entendre dans les
prémisses de notre exposé, les entreprises, et plus particulièrement les entreprises africaines
sont traversées par des flux informels qui cohabitent avec les flux et systèmes formels, et
peuvent en perturber le fonctionnement. L’activité stratégique de ces entreprises peut donc
65
D’après la terminologie édictée par Annie Bartoli, op.cit., p.117. 66
À ce propos les travaux de François Pichault [1995] fournissent des perspectives intéressantes sur le poids de
la “politique” dans la conduite du changement et dans la gestion des entreprises de façon générale.
97
être considérablement affectée par l’imputation de tels phénomènes. Ce qui nous amène
auparavant à nous pencher sur le concept majeur de stratégie et de son rôle dans le pilotage et
le management stratégique d’une organisation à partir des processus qui le constitue.
Section II : La stratégie : fondements et processus
Le contexte concurrentiel mondial et les avancées spectaculaires de la science appliquées aux
technologies de l’information et de la communication imposent de nouvelles exigences de
gestion aux organisations, et plus particulièrement aux entreprises. Ces dernières sont de
plain-pied happées par cette vague déferlante, et sont désormais condamnées à une remise en
question de leurs structures organisationnelles, aux fins de s’adapter à la complexité
croissante de leur environnement tant interne qu’externe.
Au regard de l’incertitude et de la complexité qui prévalent désormais, tendant à réduire
(voire à effacer) les frontières nationales au profit de réseaux planétaires de transactions
monétaires, d’échanges et de circulation de l’information, les entreprises soucieuses de leur
survie doivent intégrer à la poursuite de leurs objectifs une gestion stratégique de l’ensemble
de leurs ressources (informationnelles, organisationnelles, humaines, financières, etc.). Cette
gestion stratégique, en accord avec la définition qu’en donnent Patrick Joffre et Gérard
Koenig a pour objet « d’assurer la compétitivité et la sécurité de l’entreprise »67
.
Cette compétitivité et cette sécurité s’inscrivant pour nous sur un ensemble de démarches et
de processus plaçant la stratégie, ou plutôt les processus stratégiques au cœur de la
performance, et donc de la longévité des entreprises. D’où les interrogations suivantes qui
fondent ce type de démarches : « Quelle est la nature de l’entreprise, sa raison d’être ? Quel
rôle jouent les compétences dans la dynamique de la stratégie ? Comment les acteurs
fabriquent-ils la stratégie ? À quels processus cognitifs font-ils appel dans ce cas ? » [cf.
Hervé Laroche et Jean-Pierre Nioche, 1998, p.3].
67
Joffre (P.), Koenig (G.), Gestion stratégique. L’entreprise, ses partenaires-adversaires et leur univers, 1992, p.1.
98
Ce qui fait dire à Emmanuel-Arnaud Pateyron [1998, La veille stratégique] que l’objectif
véritable de la stratégie d’une entreprise est de savoir anticiper l’avenir et de se doter des
moyens nécessaires pour y jouer un rôle actif (p.7). Les entreprises sont ainsi plongées dans
un environnement stratégique qui requière des revirements permanents. Tout comme Gary
Hamel et C.K. Prahalad [1995] l’ont dit, en fonction de ces paramètres, les stratégies des
entreprises peuvent s’identifier à ces trois étapes :
La perception de leur environnement stratégique (concurrents, partenaires, clients, etc.).
La perception des objectifs à atteindre, ainsi que le suivi de l’élaboration de plans d’actions à
mener à plus ou moins long terme. Il s’agit de donner une réalité à ce plan d’actions par la
mise en œuvre d’actions diverses ou ponctuelles, qu’il appartient aux entreprises de définir.
Une fois les mesures préventives et offensives cernées, il faut à présent maintenir ces
avantages vis-à-vis de la concurrence.
Dans l’ouvrage collectif qu’ils consacrent à l’évolution et aux processus de la pensée
stratégique, Mintzberg et al. [1999] apportent des réponses à ces interrogations en fixant les
cadres nécessaires à l’intégration de tels processus. La première utilité qu’ils donnent à la
stratégie consiste à fixer une orientation et des objectifs à atteindre ou à ne pas dépasser, parce
qu’elle favorise un certain degré de cohérence dans la coordination des actions. L’essentiel
étant bien entendu que ces orientations ne limitent pas la vision périphérique qui laisse
supposer des recadrages constants pour ne pas s’y laisser enfermer. De plus, elles donnent une
image de l’identité et de l’activité des entreprises à partir de leurs « compétences-métier . Tout
cela, en permettant de réduire l’incertitude environnementale, en maintenant un minimum de
cohérence et d’homogénéité entre les éléments clés du système dans leur ensemble.
99
L’exploration de la portée de la stratégie nous montre que ce concept « organise » les logiques
d’actions des acteurs dans les organisations, qu’elles soient individuelles ou concertées. Mais
pour que ces actions rencontrent un réel succès, elles doivent reposer sur des processus
flexibles et sur une vigilance accrue de l’environnement. C’est pour cette raison que nous
allons dans un premier temps, tenter de nous réapproprier ce concept en remontant aux
sources de sa genèse. Puis, nous en évaluerons la portée au cœur de la dynamique stratégique
des entreprises.
2.1. Les fondements conceptuels : la genèse
D’origine grecque, le concept de stratégie s’applique d’abord au domaine militaire pour
désigner l’art de conduire les armées ou de commander en présence de l’ennemi. Plus
précisément, l’action du stratège consiste à planifier la destruction de ses ennemis par un
usage efficace des ressources [Desreumaux 1993, p.7].
100
Si l’on considère cette définition générique, Sun Tzu et Clausewitch étaient des stratèges
avant la lettre comme nous l’avons déjà fait ressortir par ailleurs. En effet, leurs traités
respectifs servent encore de nos jours à la pratique d’un nouveau type de guerre : la guerre
économique qui se caractérise par l’usage de variables diverses (capacité d’innovation,
avancées technologiques, notamment dans les secteurs de l’information et de la
communication, réactivité, flexibilité, etc.) qui ont une incidence directe sur le style de
management, la compétitivité et les performances des entreprises. Cette idée transparaît
notamment dans les lignes suivantes :
« En tant qu’ensemble d’actions spécifiques devant permettre l’atteinte des buts et objectifs et
s’inscrivant dans le cadre des missions et politiques de l’entreprise, le cœur de la stratégie
comporte plusieurs composantes fondamentales relevant à la fois de l’étendue des activités et
des modes de déploiement des ressources de l’entreprise. Les inventaires varient d’un auteur à
l’autre, mais se recoupent largement autour de trois composants majeurs : le domaine ou le
portefeuille d’activités, le mode de développement de l’entreprise et l’agencement des
moyens ou des ressources »68
.
Ainsi, au cours d'une histoire très brève, la stratégie d'entreprise a-t-elle connu de profondes
évolutions de définition et de cadre théorique. En s'inspirant des stratégies militaires et des
principes de la guerre, la stratégie d'entreprise fût d'abord définie comme l'art de combattre
sur le champ de la concurrence. Dans ce contexte, elle visait à obtenir un avantage sur un ou
plusieurs concurrents par des manœuvres stratégiques : confrontation, partage, dissuasion ou
évitement du combat.
Il s'agissait alors essentiellement de stratégies de positionnement basées sur le choix du terrain
à occuper, celui des adversaires et des alliés, et du calendrier, d'une part. D’autre part, de
stratégies d'allocation de ressources reposant sur la nature et l’importance des ressources
allouées aux manœuvres stratégiques. Cette opération de conquêtes/allocation de ressources
nous montre bien qu’au cœur de tout dispositif stratégique se trouvent des processus : ce sont
68
Desreumaux (A.), Stratégie, 1993, p.33.
101
eux qui déterminent le maillage du chaînon stratégique sur la base des objectifs fixés et du
domaine d’activités stratégique de l’entreprise [Desreumaux, 1993 ; Mintzberg, 1999].
Désormais, pour coller aux exigences d’un contexte concurrentiel plus mouvant et incertain,
la conception dominante de la stratégie concerne l'acquisition et la maîtrise de ressources et
compétences permettant aux entreprises de se différencier de leurs concurrents. De déployer
leurs activités, d'innover ou de disposer d'une flexibilité suffisante pour s'adapter aux
évolutions de l'environnement ou aux stratégies des concurrents. Dans un tel contexte, il
devient de plus en plus incertain de maintenir un positionnement viable à long terme, la
stabilité des entreprises résultant des mouvements stratégiques d'un positionnement à un autre.
Ce sont les ressources possédées, ou plus généralement les ressources mobilisables qui
permettent de se différencier par le biais de ce que l’on pourrait appeler un « espace
stratégique ». Ce sont donc ces ressources qui sont à l'origine des performances stables des
entreprises [Davenport et Marchand, 1999 ; Lorino et Tarondeau, 1998 ; 1999]. Ainsi, le
concept de stratégie accompagne-t-il divers attributs : la gestion, le management, l’activité,
etc.).
Ces acceptions se rejoignent cependant toutes sur un point : il s’agit de désigner un ensemble
d’actions coordonnées ou de manœuvres pour atteindre un objectif, quelque soit la nature et le
domaine d’activités. Cette adjonction de l’attribut « stratégique » à un certain nombre
d’activités fait que ce concept, tout comme celui de performance peut être qualifié de « mot-
valise » ou « mot-éponge », parce que tout ou presque relève du domaine stratégique.
Regrettant cette dilution du concept de stratégie à tout ou presque rien, les écrits de ces
auteurs convergent vers la définition d’un cadre conceptuel fondant la stratégie sur les
processus stratégiques.
Cette approche plus en adéquation avec le contexte de mouvance et d’incertitude qui prévaut
dans des environnements complexes permet aux entreprises de répondre aux aléas de leur
102
environnement. En étant réactives et anticipatives par rapport à leurs concurrents, et en
adoptant une attitude proactive. Mintzberg et al. définissent ainsi le concept de processus
comme « un ensemble d’activités organisé en réseaux, de manière séquentielle ou parallèle,
combinant et mettant en œuvre de multiples ressources, des capacités et des compétences
pour produire un résultat ou output ayant de la valeur pour un client externe »69
.
69
Mintzberg (H.) et al., op. cit.,1999, p.11.
103
En somme, c’est l’ensemble des moyens que se donne une entreprise pour faire face aux aléas
de son environnement. Cette approche insiste elle aussi sur l’importance des processus dans la
définition d’un axe stratégique. En tant que réponse au degré d’incertitude et de complexité de
l’environnement des entreprises, ces processus traduisent une volonté d’infléchir ou de
modifier ce dernier, grâce à la mobilisation de deux inputs : les ressources au sens
économique du terme, pouvant faire l’objet de transactions ; et les ressources-compétences,
réservoir de savoir-faire, de potentialités et d’innovations au service des entreprises.
Ces dernières étant définies comme « une aptitude à combiner des ressources pour mettre en
œuvre une activité ou un processus d’actions déterminées »70
. Ce que Hamel et Prahalad
[1995] nomment « core competence », c’est-à-dire le noyau des compétences centrales d’une
entreprise qui combine les résultats d’apprentissages collectifs, organisationnels et structurels
qui de surcroît la distingue des autres.
Les entreprises sont donc au premier chef soumises à l’adoption d’un « système stratégique »
viable, tel qu’il a été défini par Allaire et Firsirotu [1993], pour se donner les moyens de
maintenir et/ou de poursuivre les objectifs qu’elles se sont assignés. Dans notre
problématique, ce système stratégique est fortement lié à l’association des réseaux informels
qui agitent la vie des entreprises, notamment les réseaux sociaux, qui entament la dynamique
du management stratégique de ces entreprises.
Mais quoiqu’on en dise et quelles que soient les définitions retenues, la nature et le domaine
d’application, la stratégie se rapporte à l’utilisation de moyens, d’actions coordonnées ou de
manœuvres pour atteindre un objectif [Martinet 1983, 2000 ; Desreumaux, 1993 ; Mintzberg,
1999]. Alain Desreumaux va même plus loin en disant « qu’une entreprise sans stratégie est
analogue à un individu sans personnalité », c’est-à-dire une organisation sans buts internes ni
externes et sans véritable organe de direction. Ce qui importe donc dans l’élaboration de
stratégies, ce n’est pas tant de résoudre un problème que de structurer une situation de façon à
rendre les problèmes émergents solubles [Desreumaux, p.15].
70
Mintzberg (H.) et al., op. cit.,1999 p.12.
104
105
Dans ce cas précis, la véritable stratégie à opérer dans les entreprises africaines de manière
générale, serait de mettre en place un système stratégique qui permette de combiner au
système de valeurs et de référence des individus de ces organisations, l’instauration d’un
cadre d’actions bénéfiques à la poursuite des intérêts de la collectivité. Autrement dit, de
réconcilier tradition et modernité dans le cadre de politiques managériales en phase avec leur
contexte d’action. Préoccupations dont les travaux d’Émile-Michel Hernandez rendent
parfaitement compte.
On l’a vu, la stratégie n’est nullement un élément isolé. Son efficacité procède au contraire de
l’interaction de variables diverses. C’est pour faire valoir cet éclectisme que Pierre Tabatoni
et Pierre Jarniou concevaient déjà la stratégie comme « un choix de critères de décisions dites
stratégiques parce qu’elles visent à orienter de façon déterminante et pour le long terme, les
activités et structures de l’organisation »71
.
Autrement dit, ce sont les dirigeants d’entreprise, puisque ce sont eux qui en ont la charge qui
déterminent l’avenir stratégique de leur organisation, pour peu qu’ils en assument les
tensions, les paradoxes et les spécificités, qui rendraient autrement l’atmosphère bien terne au
sein de leur structure organisationnelle. D’ailleurs, depuis le début des années quatre-vingt-
dix, on assiste au déclin des approches dites concurrentielles issues de l’économie industrielle
dont Michael Porter était le porte-drapeau, au profit d’approches par les ressources plus
consensuelles. Ce type d’approches, en adéquation avec l’évolution de la pensée stratégique
tend à substituer à une approche par le contenu, des approches par les processus plus éclatées
et intégratives.
Elles regroupent pêle-mêle les courants de la sociologie, des sciences politiques, de la
psychologie ou de l’anthropologie, conférant au concept de stratégie un statut
épistémologique autonome nourri de ces diverses influences [cf. Desreumaux 1993 ; Joffre et
Koenig 1992 ; Martinet 2000 ; Mintzberg et al. 1999], qui articulent tout à la fois formulation
et mise en œuvre, contenu et processus, délibéré et émergent. L’approche évolutionnaire par
71
Tabatoni (P.), Jarniou (P.), Les systèmes de gestion. Politiques et structures, 1975.
106
les processus ou dépendance de sentier (path dependancy se base ainsi sur l’idée que les
caractéristiques des processus ont un impact indéniable sur les performances. Ce dont nous
allons présentement discuter à travers la mise en œuvre de la stratégie, ou plutôt des processus
stratégiques à partir de différentes variables.
2.1.1. La stratégie : élément déterminant de la compétitivité dans les actes de
management stratégique
Parlant de la stratégie, Philippe de Woot préfaçant l’ouvrage de Marc Ingham [1995] établit
un parallèle entre stratégie et organisation pour montrer la corrélation que l’on peut établir
entre ces deux variables. Il fait ainsi remarquer que la stratégie renvoie à une certaine idée de
mouvement, d’initiative, et d’innovations nécessaires pour être réactif, tandis que
l’organisation suggère davantage une certaine stabilité, un ordre, des rôles clairement définis
et une permanence suffisante des structures, des comportements, des relations sans que cela
n’entraîne d’immobilisme.
Cette perspective marque la concomitance de deux principes au cœur de l’existence de toute
organisation : les principes d’entropie et de neg-entropie qui opposent à une logique
dynamique (la stratégie), une logique de stabilité (l’organisation). C’est la coexistence de ces
deux phénomènes qui instaure une dynamique positive ou négative au sein des entreprises,
notamment au niveau de leur pilotage et de leur management stratégique. La stratégie peut
ainsi contribuer à la compétitivité des entreprises, et à l’amélioration des performances
économiques pour peu que la logique dynamique et la logique de stabilité fassent « bon
ménage ».
2.1.1.1. La compétitivité « ex-post »
Ainsi, le concept de compétitivité si souvent employé en matière de gestion et de management
stratégique fait dans sa globalité référence à la capacité pour une entreprise d’offrir le meilleur
107
rapport qualité/prix et de services en contrepartie de la rentabilité qu’elle pourrait en attendre,
par rapport aux pratiques des concurrents en termes de productivité, d’investissements, de
marge bénéficiaire à long terme. Plus généralement, la compétitivité est liée aux objectifs
stratégiques et managériaux et fait directement référence aux notions d’efficacité et
d’efficience. Cette compétitivité se situe au niveau macroéconomique et fait référence aux
indicateurs et agrégats de cette échelle. Elle renvoie directement aux résultats obtenus sur le
terrain, par exemple en termes de positionnement stratégique et de compétitivité.
2.1.1.2. La compétitivité « ex-ante »
Elle renvoie aux sources de compétitivité et d’avantages compétitifs internes liés notamment à
la structure et aux membres de l’organisation. Par exemple, la compétitivité de type
microéconomique permet de situer une entreprise à un moment donné de son évolution ; ce
par rapport aux compétences distinctives acquises [cf. Ingham, 1995, p.2]. Ces deux sources
de compétitivité renvoient à deux perspectives. La première, la compétitivité statique consiste
à considérer la position sur le marché à un moment donné. La seconde, la compétitivité
dynamique s’appuie sur la capacité de maintenir durablement cet avantage sur la base de
procédés et de procédures dont elle dépend. Le schéma suivant rend compte de ce
bicéphalisme de la notion de compétitivité.
108
Figure 6 : Schéma de la compétitivité. D'après Marc Ingham. Management stratégique et
compétitivité, 1995, p. 3.
D’après cette figure, on voit clairement se dessiner les facteurs clés de succès influençant la
compétitivité des entreprises. À la prise en compte des facteurs internes directement issus des
choix stratégiques opérés par les dirigeants d’entreprise, viennent se greffer des facteurs
externes relevants de l’état de l’environnement des entreprises à un moment donné. Ces deux
sources de compétitivité leur permettent ainsi d’obtenir des positions et des avantages
concurrentiels qui se traduisent en termes de performances sur le schéma au niveau de la
compétitivité « ex post ». Différents systèmes ont ainsi été élaborés pour montrer comment la
stratégie détermine la compétitivité d’une entreprise, comme illustré à travers les exemples
suivants.
109
2.1.2. Plate-forme et système stratégiques
2.1.2.1. La plate-forme stratégique
Avec sa « plate-forme stratégique », Gilbert Milan72
préconise la mise en place d’un système
permettant aux entreprises de se prémunir contre la croissance d’instabilité de leur
environnement face à deux phénomènes : l’érosion des segments produits-marché
traditionnels et l’adoption de stratégies de positions. Cette plate-forme stratégique devant
servir les actions menées au sein des entreprises, à partir de la définition de leurs activités et
de leur champ concurrentiel, se décline pour l’auteur comme « l’ensemble des compétences-
métier et des capacités organisationnelles dont la combinaison assure la compétitivité de
l’entreprise et sur laquelle prennent appui les différentes activités de son portefeuille
d’activités »73
.
Pour les entreprises de notre corpus, la combinaison des compétences-métier et des capacités
organisationnelles doivent s’intégrer à un axe stratégique où les représentations sociales des
individus ne doivent pas être minorées, car ce sont elles qui motivent ou immotivent en partie
les performances globales de l’organisation. C’est notamment le constat effectué par Nabil
Rifai74
à travers l’examen de différents types d’organisation, où il montre que celles-ci sont
des structures construites à partir de liens sociaux et affectifs qui touchent directement leurs
performances. Face à ce constat, il tire les conclusions suivantes :
1- L’analyse d’une organisation montre que celle-ci est traversée par des conflits conscients
et inconscients dont les causes et les enjeux sont à la fois d’ordre psychique, sociologique,
économique, culturel, idéologique.
72
Milan (G.), “La plate-forme stratégique dans un environnement instable”, Revue française de gestion, 1991, p.57-60. 73
Milan (G.), idem., p.57. 74
Rifai (N.), L’Analyse des organisations. Démarches et outils sociologiques et psychologiques d’intervention,
1996.
110
2- Les structures n’existent pas en soi dans le vide, elles sont toujours habitées, façonnées par
des hommes qui dans leur action les font vivre, les modèlent et leur donnent signification.
3- Les personnes investissent fortement une organisation et se fusionnent en elle lorsqu’il y a
une congruence avec leurs aspirations et leur personnalité. Autrement dit, il existerait une
certaine correspondance entre l’organisation et les désirs, la psyché et les pulsions de la
personne.
4- Les stéréotypes ou « cartes cognitives » des individus influencent les relations inter-
individuelles et les rapports de travail au sein des organisations (p.24-30).
Cette plate-forme, pour être efficiente doit ainsi retenir l’adhésion de l’ensemble des
composantes de l’organisation autour du projet d’entreprise, et être sous-tendue par des
compétences-métier solidement ancrées. Ces dernières correspondent « aux expertises
qu’elles [les entreprises] ont pu développer dans leurs différentes activités. Elles représentent
un atout majeur pour exploiter des opportunités de croissance dans un environnement
concurrentiel rendu instable par la globalisation de la concurrence, l’accélération des cycles
de vie des produits, l’érosion des segments produits-marché »75
.
L’instauration d’une telle plate-forme correspond davantage à une phase de premier niveau
dans l’élaboration de processus stratégiques, puisqu’elle repose sur l’adoption de stratégies de
positionnement. Pour des entreprises évoluant dans des secteurs d’activité à forte complexité,
il n’est pas vraiment adapté, dans la mesure où il n’intègre pas suffisamment la mobilisation
des ressources-compétences, comme dans le modèle de Marc Ingham76
.
75
Milan (G.), op.cit., p.59. 76
Cf.. supra, p.94.
111
Cependant, il peut bien s’appliquer au contexte d’action des entreprises en étude, parce que
globalement, elles évoluent dans un environnement plus ou moins stable, se limitant
davantage à l’adoption de stratégies de positionnement. Bien sûr les évolutions de leur
environnement peuvent les amener à opérer des changements, mais cela reste ponctuel.
L’adoption de stratégies défensives, plutôt que proactives est davantage en phase avec la
nature de leur environnement local.
2.1.1.3. Le système stratégique
Abordant la question à leur manière, Yvan Allaire et Mihaela Firsirotu [1993] parlent du
« système stratégique » comme système référentiel du positionnement stratégique des
entreprises et du réseau dynamique d’interrelations et d’échanges récurrents entre ses
différentes composantes. Ainsi, ce système s’apparente-t-il grosso modo, au système
(d’action) stratégique d’une entreprise. Ce système représenté à travers la figure ci-après
répond davantage que le précédent à la réalité du contexte concurrentiel des entreprises
gabonaises. Mais avant de justifier ce choix, nous allons d’abord présenter ce modèle qu’il
faut rapprocher de celui de la figure 2.
112
Figure 7 : Cadre d'analyse et de conception du système stratégique d’une entreprise. D'après
Allaire et Firsirotu, op.cit., 1993, p.17.
Ce que l’on voit, d’après ce schéma, c’est que la performance économique d’une entreprise
s’articule autour de deux aspects : la gestion des risques et de l’incertitude, couplée à celle de
l’organisation au plan structurel et socio-psychologique. Seulement, pour atteindre ce niveau
d’efficacité et de performances, le système stratégique de l’entreprise doit veiller à
l’adéquation de son champ stratégique, par la cohérence des actes ressortant du triptyque offre
de produits/services, gestion des compétences-ressources et positionnement sur le marché.
Au niveau de la gestion des ressources humaines par exemple, l’usage stratégique de la
gestion des personnels au plan du recrutement et du niveau de qualification concernant leur
affectation pertinente est un élément clé du système stratégique dans une entreprise. Cette
intégration stratégique des ressources humaines dans les actes de pilotage stratégique
d’entreprise concerne d’une part la formulation de la stratégie au niveau des objectifs
généraux à atteindre, et d’autre part, le contexte d’action dans lequel la stratégie de
l’entreprise est édictée, notamment au niveau de la cohérence entre la gestion du personnel et
la prise en compte de la situation financière de l’entreprise.
113
Nous nous étendrons plus largement sur cet aspect concernant la transformation de la fonction
ressources humaines dans le plan d’action stratégique des entreprises. Au regard des
entreprises publiques et parapubliques gabonaises, c’est visiblement l’un des points
d’achoppement de la politique générale d’entreprise. Ce n’est pas tant la qualité du niveau de
formation des managers qui fait défaut, mais plutôt une convergence problématique entre les
potentialités de ces entreprises et leurs effectifs pléthoriques.
La gestion des ressources humaines, compte donc tout autant que celle des ressources
financières ou informationnelles. Elle suppose une cohérence entre la gestion du personnel et
les mesures stratégiques arrêtées au niveau global par le sommet stratégique d’une part. Une
cohérence entre les différents départements pour qu’il y ait une correspondance entre la
gestion des ressources humaines et la politique générale d’entreprise, insufflée par les
conditions du marché d’autre part. La figure ci-après rend compte de cette synergie.
114
Figure 8 : Lien entre GRH et compétitivité. D'après Marc Ingham. Management stratégique
et compétitivité, 1995, p.375.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’élaboration de stratégies repose sur des processus
complexes et interactifs qui influencent à terme les performances des organisations. Par le
biais du rôle de la stratégie dans les actes de pilotage stratégique et de la gestion des
ressources humaines, nous avons quelque peu délimité ses champs d’intervention
115
pragmatique. Concernant les entreprises de notre corpus, cela ne fait que renforcer davantage
pour nous la nécessité d’allier aux contraintes de l’action organisée, les vicissitudes des
réalités du terrain au niveau des actes de pilotage et de management stratégiques.
Ces deux exemples de mise en œuvre de processus stratégiques marquent le caractère
systémique de l’élaboration de stratégies. Ils vont tous deux dans le sens d’une pratique du
management stratégique en tant que processus et moyen d’actions de l’entreprise sur son
environnement. À ce propos, la maîtrise de la ressource information dans les actes de
management stratégique constitue un moyen supplémentaire et un atout indéniable pour
asseoir la compétitivité et la sécurité d’une entreprise à long terme.
Cette recherche d’adaptations s’accompagne en général d’une vision nouvelle de
l’organisation des entreprises basée sur la constitution de réseaux (internes et externes), et de
processus transversaux77
, qui obligent les entreprises à chercher davantage de flexibilité. Ceci
pour assurer leur développement et leur pérennité à long terme. Aspect que nous développons
à présent par l’intermédiaire de la mise en œuvre concrète des processus stratégiques.
2.2. Les processus stratégiques
Pour Philippe Lorino et Jean-Claude Tarondeau78
, on ne peut parler de stratégie que si l’on
tient compte des processus qui la sous-tendent. Pour asseoir cette corrélation, ils remontent
aux confins des origines de la stratégie qui puise ses racines dans le champ militaire, en
ressortant trois principes fondamentaux édictés par Foch :
77
“Il y a développement de la transversalité dans l’organisation lorsque la stratégie de l’entreprise est mise en
œuvre par des unités horizontales d’organisation appelées processus plutôt que par des unités verticales, qu’il
s’agisse de fonctions, de divisions ou de départements. Verticalité et horizontalité n’étant dans le contexte des
organisations que relatives, nous dirons qu’un processus est transversal en ce sens qu’il “traverse” (ou fait appel
à plusieurs entités verticales”. D’après J.-C. Tarondeau et R.W. Wright, “La transversalité dans les
organisations ou le contrôle par les processus”, Revue française de gestion, juin-juil.-août 1995, p. 112. 78
Lorino (P.), Tarondeau (J.-C.), “De la stratégie aux processus stratégiques”, Revue française de gestion, janv.-
fév. 1998, p. 5-17.
116
« La concentration des forces consistant à attaquer le point faible de l’adversaire en
mobilisant des forces de telle sorte que la victoire soit assurée ;
L’économie des moyens qui consiste à n’exposer dans l’action que les ressources nécessaires
et suffisantes pour atteindre les objectifs fixés ;
Le principe de mobilité qui a pour but de préserver la liberté d’action, c’est-à-dire le choix du
lieu, du moment et de l’opportunité de combattre » 79
.
Ces trois principes correspondant à ce que l’on pourrait appeler un stade 1 de la stratégie ; Ils
sont calqués sur les préceptes militaires et consistent pour l’essentiel en des stratégies de
positionnement (choix du terrain, des alliés, des adversaires,…) et d’allocation de ressources à
mobiliser pour permettre à l’entreprise de se démarquer de ses concurrents. On peut d’ailleurs
établir des parallèles avec les préceptes de Sun Tzu dont nous avons déjà fait état
antérieurement.
La conception de stratégies s’assimile aisément à l’acquisition et à la maîtrise de ressources et
compétences permettant aux entreprises de se différencier de leurs concurrents. De déployer
leurs activités, d’innover ou de disposer d’une flexibilité suffisante pour s’adapter aux
évolutions de l’environnement. La cohérence et la pertinence des différents processus à
l’œuvre dans les organisations sont au cœur de leur réussite. Pour en témoigner, nous nous
penchons à présent sur la manière dont ces processus influencent le pilotage ou le
management stratégique au sein des entreprises.
2.2.1. Processus stratégiques et organisation
79
Idem., p.5.
117
Dans les définitions de la stratégie auxquelles nous avons précédemment fait état, il est fait
référence aux processus qui permettent d’assurer les options stratégiques de manière
récurrente. Ces derniers sont donc aux principes de l’élaboration de stratégies. C’est pourquoi,
dans un article consacré à l’impact et au rôle des démarches stratégiques par rapport à la
prévisibilité des événements et des stratégies à venir, Michel Villette80
se penche sur leur
importance, notamment parce qu’elles permettent aux dirigeants d’affiner leurs stratégies en
cas de besoin.
Cette réflexion le conduit à assimiler ces démarches à des rituels à manifestations variables.
Elles agissent au même titre que les rituels observables dans les sociétés dont les
anthropologues et les sociologues rendent compte dans leurs travaux. Par analogie à ces
rituels, l’auteur assigne un rôle structurant aux démarches stratégiques, car elles semblent en
apparence désuètes, mais pertinentes après-coup sur le long terme.
Ce rôle est conforté par les éléments de définitions de la stratégie qui peuvent être ramenés à
une intention : ce qu’il va falloir faire, et à une trajectoire : le chemin qui a été effectivement
suivi. En somme, ce qu’il faut retenir, c’est que les processus stratégiques répondent à une
démarche de formulation rituelle à l’issue de laquelle les dirigeants d’entreprise disent ce que
pourra être le devenir de leur entreprise concernant l’atteinte des objectifs. Que par ailleurs
dans ces démarches interviennent nombre de procédés et de processus flexibles qui permettent
de réactualiser ou de changer de stratégies de façon radicale.
Dans son approche de la dynamique stratégique des entreprises en environnement complexe,
Marie-José Avenier81
lie l’adoption de stratégies à deux phénomènes interdépendants : le
compliqué et la complexité. Ainsi nous dit-elle, on qualifie de compliqué, « une situation
perçue comme comportant de multiples paramètres imbriqués, qu’il est néanmoins possible
de démêler, de comprendre, avec le temps et de l’expertise » (p.15). L’acquisition d’une
80
Villette (M.), Sociologie du conseil en management, 2003. 81
Avenier (M.-J.), « La complexité appelle une stratégie chemin faisant », Gestion 2000, 1999, p.13-33.
118
technique par exemple peut demander du temps et de l’expertise, tandis que la compréhension
d’un phénomène social nécessite bien plus que du temps et de l’expertise.
On qualifiera donc de complexe, « un phénomène dont les représentations sont perçues
inéluctables à un modèle fini, aussi compliqué, sophistiqué que soit ce modèle, quelle que soit
sa taille, le nombre de ses composants, l’intensité de leurs interactions » (p.15). La notion de
complexité induit par conséquent celle d’imprévisibilité et d’émergence de variables
opportunes à la compréhension et à l’analyse du phénomène étudié.
Par analogie au contexte d’action de notre étude, cette distinction manifeste bien la
complexité régnant dans les entreprises africaines où la survivance et la prééminence des
structures sociales pèsent particulièrement dans la gestion quotidienne. D’où la difficulté de
faire prospérer des théories managériales, ou de faire appliquer des programmes d’ajustement
structurel. D’ailleurs, Daniel Etounga Manguele82
s’est demandé à juste titre dans son ouvrage
si ce n’est pas plutôt d’un programme d’ajustement culturel dont les entreprises africaines
auraient besoin plutôt que de programmes d’ajustement structurels.
2.2.2. Impact de la flexibilité sur les processus stratégiques
Le concept de flexibilité est un concept multiforme apparu au cours de ces vingt dernières
années pour satisfaire aux exigences imposées par la mondialisation et les développements
rapides d’une société informationnelle, constituée en réseaux multidimensionnels. Plus
simplement, il répond aux exigences d’un environnement de plus en plus complexe
nécessitant des réadaptations constantes au regard des stratégies déployées par la concurrence.
82
Etounga Manguele (D.), L’Afrique a-t-elle besoin d’un programme d’ajustement culturel ?, 1991.
119
D’ailleurs, les développements du concept décrivent cette complexité, si l’on en croit les
différentes recherches s’y rapportant, et qui toutes esquissent autant de voies pour y répondre
favorablement. Comme nous l’avons vu à travers l’illustration de processus stratégiques83
.
Aucun de ces systèmes ne peut être viable sans un minimum de cohérence et d’adéquation
entre les paramètres de conception des tâches, les composantes de l’organisation, et tout
naturellement l’environnement externe. Ce qui demande des ajustements rendus possibles par
un minimum de flexibilité entre la prise en compte des aspects psycho-sociologiques et
structurels de l’organisation, d’une part. Et d’autre part, par l’objectivation des plans d’actions
stratégiques entre les différentes variables du système.
2.3. Approches et formes de la flexibilité84
Nous allons ici examiner différentes manifestations du concept de flexibilité à travers des
points de vue, mais aussi des modèles organisationnels.
2.3.1. Quelques approches du concept
Comme nous l’avons dit plus haut, la flexibilité est un concept multiforme donnant lieu à des
approches aussi riches que diverses dans le champ des études relatives au management
stratégique des organisations. De façon générale, le concept désigne l’aptitude d’un système à
se transformer pour améliorer son insertion dans l’environnement pour qu’il puisse accroître
sa probabilité de survie. Autrement dit, c’est savoir faire montre de réactivité [Kalika, 1991 ;
Tarondeau, 1999].
Robert Reix85
complète cette définition de la flexibilité comme moyen d’atteindre les
objectifs poursuivis par l’entreprise, en l’assimilant à un instrument d’apprentissage des
83
Cf. les approches de Gilbert Milan [1991] et de Yvan Allaire et de Mihaela Firsirotu [1993].
120
organisations leur permettant de répondre aux exigences nouvelles de leur environnement.
Pour lui, elle s’apparente à une valeur d’options pour les entreprises, surtout pour celles qui
évoluent dans un environnement à forte incertitude, car elle leur permet d’optimiser leurs
marges de manœuvre et de réactivité. Bref, elle traduit une aptitude de l’entreprise à répondre
aux modifications de l’environnement, ce que Jean-Claude Tarondeau traduit en ces termes :
« La flexibilité d’un système placé dans un environnement incertain se définit et se mesure
d’une part par le nombre des états qu’il est susceptible de prendre de façon à atteindre les
finalités qui lui sont prescrites, et d’autre part par le coût et le temps consommés lors des
changements d’états »86
.
Cette acception introduit le critère de réactivité et lie la flexibilité à trois variables : une
variable d’étendue, mesurant le champ des possibilités qui s’offrent aux entreprises sur la
mise en place de stratégies à long terme ; et deux variables mesurant les coûts et les délais de
changement. La valeur d’options attribuée par Robert Reix à la flexibilité se matérialise
surtout en situation d’incertitude. L’entreprise pour y faire face pouvant mettre en œuvre
divers types de flexibilité axés au plan qualitatif (sur le niveau et l’étendue des qualifications
des employés, ainsi que leur degré d’autonomie dans l’organisation) ou quantitatif (en jouant
sur les variations du nombre d’employés, leurs horaires et leurs rémunérations).
Dans son essai de clarification du concept de flexibilité, l’appréciation qu’en donne Roger
Tsafack Nanfosso87
va dans le même sens, puisqu’il pose quatre préalables indispensables à la
saisie du concept et à sa mise en œuvre. Ces propositions sont les suivantes :
84
D’après un article de J.-C. Tarondeau, Revue française de gestion, mars-avril 1999, p.66-70. 85
Reix (R.), « Technologies de l’information et stratégies de partenariat ». Papier de recherche, 1984. 86
Tarondeau (J.-C.), “Approches et formes de la flexibilité », Revue française de gestion, 1999, p.66. 87
Tsafack Nanfosso (R.), “La flexibilité offensive de l’entreprise: essai de clarification théorique”, Gestion
2000, 1996, p. 45-64.
121
La politique de flexibilité écarte les entreprises qui font preuve de « souplesse totale » (c’est-
à-dire les entreprises qui changent complètement la nature de leur activité principale) et
peuvent donc difficilement maintenir des objectifs préalablement fixés.
La flexibilité est une aptitude à l’adaptation. Cela signifie que l’environnement se modifie
d’abord, et ce n’est qu’ensuite que l’on actionne les leviers qui commandent la flexibilité.
La globalisation se matérialise par un contexte concurrentiel de type monopolistique
consacrant la différenciation des produits.
La flexibilité n’est pas seulement un moyen de surmonter des crises, elle peut également
être une réaction offensive.
Le management stratégique, et plus singulièrement celui des firmes gabonaises de notre étude
comporte des spécificités et des contraintes qui influencent peu ou prou leur gestion au
quotidien. Ces particularités, pour ne pas dire ces particularismes doivent, de même que la
flexibilité bénéficier d’ajustements, selon les situations, et de cadres de référenciation
susceptibles d’être assimilés par l’organisation dans son ensemble pour ne pas affecter son
pilotage stratégique.
C’est dans cet esprit que ces propositions ont été élaborées, notamment sous le contrôle des
thèses issues des travaux d’Igor Ansoff [1989] et de Robert Boyer [1986] en fournissant à
l’auteur le cadre conceptuel et méthodologique à partir duquel il va élaborer sa vision du
concept de « flexibilité offensive ». Robert Boyer en tant que principal fondateur de la théorie
de la régulation, apparue au milieu des années soixante-dix, part de l'analyse du capitalisme
pour poser une question centrale : celle de la variabilité dans le temps et l'espace des
dynamiques économiques et sociales.
122
Cette caractéristique le conduit à une critique radicale des théories néoclassiques qui postulent
le caractère autorégulateur des économies de marché. Allant à l’encontre de ce postulat, il
établit ainsi que l'étude de la régulation du capitalisme ne peut pas être uniquement fondée sur
la recherche de lois économiques pures et abstraites. Il s'agit également pour lui d'étudier la
transformation des rapports sociaux créant des formes nouvelles à la fois économiques et non
économiques. Des formes organisées en structures, et reproduisant une structure déterminante
agissant sur le mode de production.
Tirant parti de cette argumentation, Roger Tsafack-Nanfosso montre que la « flexibilité
offensive » se réalise plus fréquemment dans des environnements turbulents, et non plus
seulement comme pour la flexibilité défensive et/ou adaptative pour répondre aux
modifications de l’environnement, en assurant le maintien des objectifs et en évitant des
catastrophes. Cette définition générale du cadre conceptuel et du champ d’application de la
flexibilité offensive implique une transformation radicale de l’organisation, de sa vision de
l’innovation et de sa culture organisationnelle, par ce que Roger Tsafack-Nanfosso appelle
l’esprit « flex-offensif ». Cet esprit reflétant pour lui …
… « un système de valeurs qui devient progressivement système de croyances. Il désigne en effet le
ciment psychologique qui découle de l’intégration d’un ensemble de valeurs fondamentales formées
par ce que défend l’entreprise en tous lieux et en tous temps, et qui donne le plus de fierté à chacun
dans l’organisation […]. L’esprit « flex-offensif » traduit ainsi une certaine apologie de
comportements non conformistes mais efficaces » 88
.
En somme, la flexibilité offensive correspond à une vision dynamique et active des mutations
de l’environnement des entreprises, et non plus seulement à une vision spectatrice, comme
dans le cas de la flexibilité défensive. Le tableau suivant résume ces deux conceptions du
phénomène.
88
Tsafack Nanfosso (R.), “La flexibilité offensive de l’entreprise: essai de clarification théorique”, Gestion
2000, 1996, p.53.
123
Tableau 3 : Flexibilité défensive versus flexibilité offensive. D'après R. Tsafack Nanfosso,
“La flexibilité offensive de l’entreprise: essai de clarification théorique”, p.51.
Quoi que très instructive et riche d’enseignements, la clarification du concept de « flexibilité
offensive » émise par Roger Tsafack Nanfosso, comme il le démontre aisément par le cas de
Microsoft, acquière tout son sens et sa pertinence pour des entreprises situées en position de
leadership, et possédant des ressources matérielles, financières, technologiques et humaines
conséquentes. Elle serait difficilement applicable à des entreprises de moindre échelle comme
celles que nous nous proposons d’étudier qui se situent davantage au niveau de la flexibilité
défensive. Par contre, l’esprit flex-offensif correspondant à un état d’esprit faisant l’apologie
de comportements individuels et organisationnels efficacas, est adaptable à tous types
d’entreprises.
Pour Christophe Éveraere89
, l’approche du phénomène de flexibilité cultivant également cette
variabilité, est analysée à partir de l’antinomie inhérente aux concepts de stratégie et de
flexibilité cultivent, du fait de leurs objectifs et de leur contexte d’action respectifs. La
stratégie a trait à la définition de choix et d’options qui définissent le devenir de l’entreprise,
89
Éveraere (C.), “Stratégie et flexibilité: des compromis possibles”, Gestion 2000, 1997, p. 60-79.
124
tandis que la flexibilité se situe dans un contexte d’incertitudes qui implique une réactivité et
une capacité d'action immédiates.
Il faut cependant noter que cette antinomie se situe dans le cadre d’une acception de la
stratégie associée à l’idée de planification stratégique, telle que développée par Henry
Mintzberg [1994, Grandeur et décadence de la planification stratégique] avec tout ce qu’elle
peut renfermer de rigidités. Dans un tel contexte, l’auteur privilégie une voie médiane, afin
d’éviter les distorsions entre la détermination de stratégies initialement faites, et celui plus
lointain et potentiellement différent du contexte dans lequel elles continuent de s’appliquer et
qui peut invalider la pertinence des choix faits initialement. Pour asseoir cette quasi
antinomie, il s’appuie sur une réflexion d’Henry Mintzberg où il tient les propos suivants :
« La stratégie est une force qui s’oppose au changement, un handicap, une camisole de force ;
la stratégie en tant que construit mental peut aveugler l’organisation et l’empêcher de se
percevoir dans son environnement. En bref, la stratégie est à l’entreprise ce que les œillères
sont au cheval »90
.
À travers cette citation ce n’est pas la stratégie que l’auteur remet en cause en tant que telle,
mais plutôt une définition de la stratégie s’opposant à l’adoption de stratégies émergentes.
C’est-à-dire une conception de stratégies délibérées, parce qu’elles opèrent difficilement des
recadrages, lorsque les objectifs poursuivis ne sont plus en phase avec le contexte
concurrentiel. Il envisage alors un compromis entre stratégie et flexibilité par le biais de ce
qu’il appelle une « stratégie flexible », cette dernière s’accomplissant dans le triptyque : choix
des activités de l’entreprise, innovation et choix technologique.
Ces choix allant dans le sens d’une évolution paradigmatique et environnementale marquant
le passage de la planification stratégique au management stratégique, tout comme la stratégie
cède le pas, ou mieux préconise la mise en place de processus flexibles. À ce propos, l’auteur
125
s’appuie sur les travaux de Marie-José Avenier [1988] où elle montre l’évolution du concept
de stratégie d’abord appréhendé vers les années 1965-1970 comme un plan d’utilisation et
d’allocation de ressources ; qui dans les années 1970 a évolué vers un ensemble de règles
pour prendre des décisions stratégiques, pour être assimilée aujourd’hui à des stratégies de
niveau 3. C’est-à-dire à un potentiel de ressources permettant d’exercer un pilotage de
l’entreprise en phase avec l’incertitude croissante de l’environnement.
Le concept de stratégie flexible renvoie ainsi à un ensemble de processus prédisposant les
entreprises à rechercher les moyens d’une adaptation et d’une réactivité constantes, tout en
s’appuyant sur un socle organisationnel et structurel capable de répondre aux exigences et aux
modifications éventuelles susceptibles de se produire. C’est ce que l’on peut retenir de la
diversité des approches effectuées ici, concernant l’entendement de la stratégie en tant
qu’ensemble de processus et de procédés permettant sa mise en œuvre effective.
Ce qui caractérise la flexibilité à travers les différentes approches que nous avons présenté
semble bien se recouper derrière la définition qu’en donne Robert Reix [1994], en tant que
valeurs d’options adaptables au contexte d’action et à l’environnement des entreprises. La
nécessité de cette adaptation et de ce redéploiement permanents n’est pas sans conséquences
sur la structure organisationnelle, puisqu’elle s’accompagne en général de modifications pour
faire face à de telles situations. Ces deux phases, identifiées par Jean-Claude Tarondeau
[1999] en tant que « flexibilité stratégique » et « flexibilité opérationnelle » seront plus
amplement développées au point suivant.
2.3.2. « Flexibilité et modes d’organisation »91
De façon générale, la mise en œuvre de processus flexibles obéit à deux grands canevas
regroupés sous ces deux appellations génériques : la flexibilité stratégique et la flexibilité
90
Mintzberg (H.), cité par Christophe Éveraere, op. cit., p.62.
126
opérationnelle. Ce sont ces deux grandes classifications qui fournissent matière à diverses
représentations dont nous allons à présent rendre compte.
2.3.2.1. Les manifestation du concept de flexibilité
Comme nous le soulignions précédemment, cette classification se rapporte aux deux aspects
suivants :
- La flexibilité stratégique repose sur la combinaison judicieuse des entités de l’entreprise
afin d’œuvrer au maintien de l’entreprise dans son secteur d’activités. Elle s’apparente à une
valeur d’options, telle que définies par Robert Reix, fondées sur la combinaison des
ressources, des compétences et des différentes fonctions que compte l’entreprise,
proportionnellement à ses besoins et aux exigences de l’environnement.
- La flexibilité opérationnelle désigne quant à elle les moyens concrets d’application de la
flexibilité stratégique au niveau des processus auxquels elle a recours. Elle permet de
s’adapter et de modifier rapidement, des paramètres si la situation l’exige. [cf. Jean-Claude
Tarondeau, 1999, p.68]:
Ces deux phases de mise en œuvre de la flexibilité sont des instruments de réactivité et
peuvent par analogie être assimilées aux phases délibérées et émergentes de l’élaboration de
stratégies qui s’exercent moins de façon isolées que complémentaires. Comme le résument
91
. D’après un article de Patrick Cohendet et Patrick Llerena, « Flexibilité et modes d’organisation », Revue
française de gestion, 1999, p.72-79.
127
Janusz Bucki et Yvan Pesqueux, « la flexibilité est une capacité d’accommodation réversible
à la situation par opposition à l’évolution qui elle est irréversible »92
.
Pour être encore plus explicite, nous dirons que la flexibilité et les processus auxquels elle
recourt sont là pour permettre d’effectuer des recadrages stratégiques nécessaires à la
poursuite des finalités « générale »93
et « factorielle »94
de l’entreprise. Ces derniers
interviennent surtout pour des entreprises situées en environnement complexe où l’incertitude
est une donnée quasi permanente. Dans le cadre de notre recherche, ces recadrages nous
invitent à opérer la même démarche concernant les choix stratégiques des entreprises. Au
regard des spécificités déjà évoquées, et que nous répercuterons plus densément dans les
chapitres à venir, il s’agira de faire état des possibilités et des manifestations d’un type de
management stratégique adaptable aux contextes d’action particulier de ces entreprises.
Dans leur article relatif aux modes d’organisation induits par la recherche et la pratique de
processus flexibles, Patrick Cohendet et Patrick Llerena95
insistent notamment sur la
corrélation existant entre les types de flexibilité et les modes d’organisation. À partir de ce
lien, ils établissent l’évolution des modes de production auxquels doivent faire face les
entreprises, ces derniers étant eux-mêmes assujettis aux aléas de l’environnement, et à la
présence de concurrents. À titre d’exemple, le modèle de standardisation ou modèle taylorien
se caractérise par un mode de production uniformisé relayé par une demande homogène dans
un environnement stable où il n’y a pas de place pour l’imprévisibilité. Il implique une
mécanisation des processus et une organisation fortement hiérarchisée et fonctionnalisée,
reposant sur la division des tâches.
92
Bucki (J.), Pesqueux (Y.), “De la flexibilité stratégique à la flexibilité dynamique”, Revue française de
gestion, 1992, p.20. 93
La finalité générale englobe l’ensemble des objectifs que l’activité est susceptible de reconnaître et d’assumer.
Pour une entreprise par exemple, il s’agit de produire des biens et d’en tirer des profits pour sa continuité. 94
La finalité factorielle est un sous-ensemble d’une finalité générale. Elle insiste sur la spécificité de l’activité
dont il est question. 95
Cohendet (P.), Llerena (P.), « Flexibilité, formes et modes d’organisation », Revue française de gestion, 1999,
p.72-79.
128
À l’inverse, le modèle de réactivité fonctionnant dans des environnements complexes et à
forte incertitude s’illustre par « une capacité de reconfigurer rapidement ses ressources de
production et la capacité de répondre rapidement aux exigences des consommateurs »96
. Il est
donc en rupture avec le modèle de production et d’organisation traditionnelles précédent,
rendant l’entreprise dépendante des moindres aléas de son environnement. Ce constat les
amène à dresser la typologie suivante -voisine de celle de Janusz Bucki et d’Yvon Pesqueux
[1992]- marquant le lien entre le type de flexibilité et le type d’environnement :
une flexibilité statique, « potentielle et présente à tout moment » dans l’entreprise. Elle relève
de l’existence à un moment donné d’un ensemble plus ou moins vaste d’opportunités. Elle est
une réponse à une qualité particulière d’environnement caractérisée par la présence de
surcapacités, afin de pouvoir faire face à d’éventuels aléas. Elle correspond davantage au
modèle d’organisation de type taylorien (p.74-75).
une flexibilité dynamique. Elle caractérise une capacité à gérer dans le temps l’adéquation de
l’entreprise à son environnement et se subdivise en deux catégories :
a)- une flexibilité dynamique réactive correspondant à « une capacité à réagir continûment
dans le temps aux variations de l’environnement » ;
b)- une flexibilité dynamique proactive ou d’initiative qui repose sur « une capacité de
création et d’anticipation par rapport à l’environnement, où c’est l’entreprise qui intervient
pour « modifier » certaines caractéristiques de l’environnement par un comportement
innovateur » (p.75).
Le lien entreprise/environnement/organisation établi dans cet article conforte l’impact de la
structure organisationnelle sur les performances économiques d’une entreprise [1996]. Face
96
Cohendet (P.), Llerena (P.), op. cit. , p.74.
129
au contexte de la mondialisation et de la globalisation des marchés, les entreprises doivent
s’adapter toujours plus vite à un environnement complexe et à une concurrence éclectique,
pour accroître leur probabilité de survie. Ces changements se répercutent en général sur la
morphologie des entreprises, qui adoptent des modes d’organisation tendant à la transversalité
des processus et au bannissement des structures hiérarchiques traditionnelles [Tarondeau,
Wright, 1991, p.113-121].
2.3.2.2. Flexibilité et modes d’organisation
Le développement des organisations de type transversal obéit à une nouvelle donne de
l’interaction entreprise/organisation/environnement. Ce développement induit de nouveaux
modes organisationnels, où la transversalité et la remise en question du concept de pouvoir en
tant qu’instrument et lieu de la détention et du filtrage de l’information distillée dans
l’organisation sont revisitées pour favoriser la culture du partage. Il s’agit en effet désormais
de faire-valoir les compétences individuelles, en les coordonnant autour des activités et des
objectifs de l’entreprise. D’aplanir sans totalement les bannir les niveaux hiérarchiques entre
l’équipe dirigeante et les autres membres de l’organisation.
De ces différentes mises en valeur de processus flexibles et de leur impact sur la structure des
organisations, nous pouvons retenir grosso modo que leur mise en œuvre répond à une vision
« intelligente » de la saisie des mutations de l’environnement par l’entreprise. Elle intervient
directement sur la problématique du changement organisationnel, puisqu’elle repose sur une
dynamique d’adaptations et de recadrages permanents imposés par le contexte concurrentiel.
Comme nous l’avons vu pour l’évolution de la pensée stratégique, la dynamique des
processus flexibles requiert une certaine adéquation entre les contraintes de l’organisation, les
valeurs et les motivations de ses membres, et les états de l’environnement auxquels il
convient de s’adapter à des moments précis. Les apports croisés des théories de la pensée
stratégique dans lesquelles nous ressortons à présent le rôle des processus flexibles dans
130
l’élaboration de stratégies et dans le pilotage stratégique des entreprises, intègrent en quelque
sorte cette différenciation qui fait cruellement défaut au niveau des aspects tangibles des
performances organisationnelles et économiques des entreprises africaines de manière
générale.
131
Ces difficultés sont-elles inhérentes au manque de flexibilité et de décentralisation nécessaires
à la poursuite de telles actions ? Seule l’analyse des modes et structures de fonctionnement de
ces organisations nous permettra in fine de le déterminer. D’ores et déjà, nous pouvons
suggérer en accord avec Michel Kalika97
que ces interrogations se rapportent au degré et à la
capacité de réactivité des organisations.
Dans son analyse du phénomène, il opte en effet pour la prise en compte du paramètre de
réactivité par rapport aux soubresauts de l’environnement, et à la capacité de modifications
des entreprises suite à ces derniers. Ce qui le conduit à mesurer la réactivité de l’entreprise à
travers sa vitesse de réaction, comparativement au rythme de changement de l’environnement.
Il s’agit par le biais de ces variables de déterminer la capacité de réactivité d’une organisation
par rapport à différents processus liés aux contraintes et aux évolutions de l’environnement,
grâce à la flexibilité qu’elle est capable de générer.
Mais cette notion de réactivité est à relativiser car c’est un phénomène qui n’a de substance
que s’il est corrélé à la vitesse de réaction de l’organisation, faisant elle-même référence à la
notion de « vitesse relative de réaction » (V.R.R.), et au rythme de changement de
l’environnement (R.C.E.). Ces variables permettant de mesurer le rapport entre la vitesse de
réaction de l’entreprise i(VRi) et la moyenne des vitesses de réaction des principaux
concurrents. D’où cette précision : « l’organisation réactive est celle qui réagit aux
stimulations de l’environnement, au moins aussi vite que ses concurrents »98
.
Si ce jargon apparaît ardu, il suggère simplement que la capacité de réactivité d’une
organisation ne peut s’entendre que comparativement à une autre variable ou à tout autre
phénomène qui entre en compte dans son domaine d’activités stratégiques. Par exemple, les
contradictions et les critiques à l’égard de la capacité des entreprises africaines à instaurer des
politiques managériales efficaces sont sous-tendues par l’observation et la comparaison avec
des systèmes de gestion jugés plus efficaces.
97
Kalika (M.), “De l’organisation réactive à l’organisation anticipative”, Revue française de gestion, nov.-déc.
1991, p.46-50. 98
Idem., p.46.
132
133
L’un des facteurs qui rend difficilement opportune l’estimation de cette capacité de réactivité
concerne le rapport au temps tel qu’il a notamment été appréhendé par Mamadou Dia99
dans
ses travaux, par rapport à l’absence de rigueur temporelle des africains de manière générale.
Si l’intérêt de la flexibilité est de rendre les organisations plus performantes et davantage
réceptives aux mutations de leur environnement, l’accomplissement de ces transformations
n’est pas sans conséquences sur les pratiques de gestion.
Dans un article consacré aux paradoxes inhérents aux nouvelles pratiques de gestion, suite
aux bouleversements induits sur la morphologie des organisations, Éric Milliot100
dénombre
une multitude de paradoxes que nous avons condensés et recensés ici. Ces paradoxes sont le
fruit des développements d’une société informationnelle impliquant un mode de
fonctionnement organique, fondé sur la réduction du formalisme procédural et la
décentralisation de la prise de décisions. Ceci pour favoriser et faciliter le flux des échanges
internes, réduire la ligne hiérarchique et faciliter le développement d’organisations de type
transversal dont fait état ce premier paradoxe.
Paradoxe 1 : le besoin accru d’informations pour faire face aux exigences du marché accélère
le changement organisationnel. Par conséquent, cela demande aux entreprises une capacité
d’adaptabilité et de réactivité de plus en plus croissante. Ainsi, plus l’entreprise est
décentralisée et adopte une structure aplanie, plus les actions menées en interne ont de
chances d’être coordonnées et efficaces.
La société informationnelle engendre l’émergence de « l’entreprise pluri-culturelle »
caractérisée par le développement de firmes multinationales. Celles-ci se caractérisent par
l’intégration de nouveaux processus de production, pour s’adapter à la spécificité et aux
particularismes des consommateurs et des marchés où elles s’implantent.
99
Dia (M.), « Développement et valeurs culturelles en Afrique subsaharienne », Problèmes économiques
n°2281, juin 1992, p.28-32. 100
Milliot (É.), “Typologie des mutations managériales : réflexion sur la nature paradoxale des nouvelles
pratiques d’entreprise”, Gestion 2000, mars-avril 1997, p.17-35.
134
Paradoxe 2 : dans le cadre de la mondialisation et de la globalisation, il faut savoir être
citoyen du monde et membre d’une culture nationale, régionale,…
L’émergence d’entreprises réticulaires caractéristiques d’une recherche de flexibilité, du
développement de la société informationnelle et de la globalisation conduisent à
l’identification du troisième paradoxe.
Paradoxe 3 : apprendre à utiliser des ressources de plus en plus dispersées pour le bénéfice
d’organisations sans frontières.
Le développement de l’entreprise transversale caractérisée par une plus grande place laissée
aux processus d’activités organisées autour de l’information permet de mettre davantage
l’accent sur les processus d’apprentissage (collectif) que sur le contrôle de la ligne
hiérarchique traditionnelle.
Paradoxe 4 : cette reconfiguration de l’organisation, au lieu d’affaiblir le pouvoir de
l’entreprise donne en principe plus d’autonomie et de responsabilités aux équipes de travail.
Mais elle peut également entraîner un manque de cohérence organisationnelle et susciter des
effets contraires aux résultats attendus, si le consensus nécessaire à la poursuite des activités
de l’entreprise n’est pas réalisé.
Par ailleurs, les contraintes exercées par l’environnement sur l’entreprise peuvent avoir des
effets « antinomiques » pour reprendre la terminologie de Christophe Everaere [1997] entre
stratégie et flexibilité.
Paradoxe 5 : rendre compatible la mise en place de bases solides pour assurer la pérennité de
l’organisation et un type de management en reconfiguration permanente.
Le développement de la société informationnelle entraîne la formation d’un nouveau type
d’entreprise prenant position dans les débats qui rythment l’évolution de notre monde,
notamment en matière de luttes anti-pollution. Cela se traduit par l’engagement des
entreprises dans des champs et des contextes d’action qui paraissent éloignés de leurs
135
préoccupations habituelles (mécénat, parrainage, luttes anti-pollution, etc.), pour se donner
une image d’entreprises citoyennes, engagées dans les problèmes et les débats de sociétés.
Ces nouvelles pratiques managériales font ressortir la dialectique
entreprise/organisation/environnement caractéristique d’un contexte économique et
environnemental complexe, nécessitant l’apparition d’organisations réactives et flexibles, qui
justifient l’existence des paradoxes ci-dessus énoncés. Tout cela, parce que les entreprises
sont désormais condamnées à gérer des masses d’informations dans des délais toujours plus
courts. Doivent s’adapter à la concurrence et aux particularismes des marchés d’implantation,
tout en préservant leur identité. Arriver à décentraliser les organes de décision afin de
répondre aux enjeux de la mondialisation, tout en s’impliquant dans les débats qui rythment
l’évolution de la société, dont témoigne la problématique actuelle du développement durable.
Cette recherche d’adaptation constante se traduit chez Amélie Seignour et Pierre- Louis
Dubois101
par une démarche de « marketing interne », s’entendant comme un moyen
d’activation de la performance des entreprises et de leur adaptabilité, à partir de la
reconnaissance et de la prise en compte des ressources humaines comme avantage
concurrentiel. Ainsi, la démarche « marketing interne » consiste-t-elle à « importer en interne
dans un espace structuré sur des liens de subordination et par des rapports de pouvoir
spécifiques, le modèle de l’échange marchand » (p.19).
101
Seignour (A.), Dubois (P.-L.), “Les enjeux du marketing interne”, Revue française de gestion, mars-avril-mai
1999, p.19-29.
136
Elle est symptomatique de ce contexte environnemental turbulent, et correspond à une
adaptation de l’entreprise aux mutations socio-économiques et technologiques, tendant à
privilégier l’entreprise de type aplanie plutôt que fonctionnelle. Ce type d’entreprises,
fortement hiérarchisé, reposant sur l’établissement de règles inverse à celle des entreprises de
type aplanie, où la réduction des intermédiaires entre chaque niveau de la ligne hiérarchique
est privilégiée pour stimuler la communication entre le sommet stratégique et les autres
composantes de l’organisation. À cette première définition, Christian Michon ajoute :
« le marketing interne est une démarche de marketing à l’intérieur de l’entreprise permettant à
celle-ci de concevoir et de promouvoir des idées, des projets ou des valeurs utiles à
l’entreprise, de communiquer par le dialogue avec les salariés pour qu’ils puissent s’exprimer,
choisir librement et en fin de compte favoriser ainsi leur implication dans l’entreprise »102
.
À la lecture des arguments exposés par ces différents auteurs, l’émergence de ce type de
management est symptomatique du contexte concurrentiel actuel assujetti aux mutations
socio-économiques et technologiques qui influencent directement la structure
organisationnelle des entreprises. Pour y faire face, les entreprises, surtout celles qui se situent
en environnement complexe, répondent à ces mutations de leur environnement stratégique par
l’adoption de différents processus flexibles.
2.4. En guise de synthèse
Après avoir évoqué les fondements conceptuels de la stratégie, nous nous sommes attelé à
dégager l’importance des processus qui permettent d’assurer leur mise en œuvre. Ceci, pour
montrer à quel point ils alimentent et conditionnent les plans d’actions stratégiques arrêtés au
niveau des équipes dirigeantes dans les entreprises. Il nous importait en effet de ressortir les
102
Michon (C.) [], « Le marketing interne, un système de marketing à part entière », Revue française de
marketing, 1988, p.11-20.
137
possibilités offertes par les processus stratégiques pour le pilotage d’une organisation, afin
d’en mesurer l’impact sur les firmes de notre corpus.
138
S’adaptant à l’évolution et aux enjeux de ce contexte, la stratégie concerne de plus en plus
l’acquisition et la maîtrise de ressources et compétences permettant aux entreprises de se
différencier de leurs concurrents. C’est donc de plus en plus la mobilisation de ressources
pour s’assurer un positionnement stratégique sur le marché qui importe, et qui s’illustre par un
ensemble d’actions coordonnées pour réaliser cet objectif. Les processus stratégiques
traduisent cette volonté d’infléchir ou de modifier l’environnement grâce aux compétences-
ressources des entreprises. Cela peut se faire en recourant à une flexibilité de type offensive
ou défensive pour reprendre la terminologie de Roger Tsafack-Nanfosso [1997].
En effet, l’activité stratégique, tout au moins les processus qui régissent leur exercice, sont
pour nous primordiaux dans l’accomplissement des objectifs fixés par les acteurs dans une
organisation. S’ils ne se manifestent pas forcément par les processus ici évoqués, leur intérêt
est d’appréhender un cadre stratégique capable d’aider les organisations dans ce sens. Les
différents éléments conceptuels et théoriques présentés avaient ainsi pour objet d’identifier le
noyau stratégique ressortant des différents modèles présentés, en tant que capacités permettant
à une entreprise donnée de réagir et de s’adapter aux aléas de son environnement.
Appliqué à notre perspective de recherches, la stratégie par le biais des processus auxquels
elle recourt, consiste à mettre en place un système stratégique répondant aux particularismes
des entreprises étudiées. Dans ce cas précis, il devrait permettre de combiner au système de
valeurs et de références des acteurs de ces entreprises, l’instauration d’un cadre d’actions
permettant de concilier rationalité économique/managériale et rationalité culturelle/sociale.
Nous allons à présent appréhender l’impact des processus stratégiques au cœur de la
dynamique information/stratégie.
Section III : Stratégie et dynamique d’entreprise
Définir une entreprise à partir de la gestion de son portefeuille de ressources/savoirs implique
de profonds bouleversements dans la structure et les modes de détermination de la stratégie.
139
Ainsi le problème n’est plus seulement de savoir comment organiser efficacement la
production, mais aussi de savoir comment s’organiser efficacement pour prendre des
décisions stratégiques sur la base des informations émises et captées dans son environnement.
Ces nouvelles tactiques de guerre économique, rendent compte de ce qu’il est convenu
d’appeler management stratégique de l’information. C’est à dire l’utilisation de l’information
à des fins stratégiques, dans le but d’en tirer des avantages substantiels pour le
fonctionnement et la prospérité de l’entreprise par rapport aux concurrents [Michel, 1999 ;
Reix 2003 ; Yolin, 1999].
Contrairement à ce que nous avions vu précédemment, le rôle de l’information en tant que
ressource capable d’optimiser les performances d’une organisation n’apparaissait que
subrepticement, à travers les informations émanant de l’environnement de ses entreprises. Il
s’agit à présent de rendre davantage compte de la relation entre information et stratégie, à
partir des opportunités qu’elle peut faire naître. Cette manière spécifique d’envisager
l’environnement des entreprises, et leur rapport aux autres organisations renouvelle la
conception de stratégies, car elle intègre la prise en compte de phénomènes liés à la
globalisation et à la complexité de l’environnement qui en découle [Drucker, 1993, 1996,
1999, 2000 ; Lesca, 1989, 1997].
Elle permet de réaliser en quelque sorte une stratégie d’entreprise élargie au cœur du triptyque
environnement/stratégie/structure. Ce qui fait dire à Prahalad103
que l’on peut considérer la
stratégie comme le fil conducteur qui guide le processus d’acquisition et de développement de
ressources présentant un caractère stratégique (p.4).
3.1. Le nouveau paysage concurrentiel ou la dynamique information/stratégie
103
.. Prahalad (C. K.), Le nouveau paysage concurrentiel,www.lesechos.fr
140
On peut sans hésiter affirmer que l'approche par les savoirs a considérablement renouvelé
l'analyse stratégique à différents points de vue. Les entreprises désireuses de s’adapter aux
évolutions de leur contexte concurrentiel par exemple, ont dû recourir à de nouvelles formes
d’organisation requérant plus de flexibilité et de transversalité. Cette dynamique a ainsi
permis d’impulser à l'acquisition et à l'exploitation de la décision informée, des avantages
concurrentiels plus ou moins pérennes pour peu qu’elles apprennent à maintenir, entretenir et
conserver ce capital [Davenport et Marchand 1999 ; Malone et Laubacher 1999 ; Tarondeau,
1998].
Robert Solow104
le faisait déjà remarquer lorsqu’il disait que les leaders économiques de
demain, ceux qui survivront, seront ceux qui tireront les meilleurs bénéfices de la gestion de
la connaissance, notamment par le biais de nouvelles formes organisationnelles, et de la
surveillance de leur environnement. Selon son modèle, la croissance économique s’explique
par trois paramètres : un accroissement des deux principaux facteurs de production, à savoir le
capital ou équipement et les heures de travail, et les progrès technologiques. Dans ce contexte,
développer une stratégie consiste pour une entreprise donnée à choisir un ensemble d’actions
qui exploite au mieux les spécificités de son portefeuille de ressources/compétences [Day et
Reibstein, 1999 ; Fréry et Laroche, 1999].
Ce dernier n’étant ni plus ni moins qu’une façon de faire état des différences de performances
entre entreprises qui exerçant dans des domaines d’activités stratégiques et des
environnements similaires, ne tirent pas parti de leurs ressources de la même façon. Aussi,
importe-t-il dans la stratégie d’une entreprise de bien tenir compte de la gestion de
l’information comme potentiel de compétitivité à part entière.
3.1.1. L’ouverture de l’espace stratégique et concurrentiel
104
Solow (R.), Growth Theory: An Exposition, Oxford University Press, 2000
141
L’utilisation de l’information à des fins stratégiques se situe dans un contexte où l’élaboration
de stratégies est soumise non seulement à l’élargissement de l’espace stratégique et
concurrentiel, mais aussi à l’adoption de structures organisationnelles aptes à répondre aux
aléas de ce type d’environnement. Prenant en compte ces bouleversements, Prahalad105
les a
regroupé derrière ces trois phénomènes majeurs :
L'augmentation de l'espace stratégique disponible. Les entreprises, même si elles gardent
une assise locale, ne sont pas pour autant exonérées des effets de la mondialisation sur leur
champ d’action et d’intervention stratégique.
La réactivité comme atout indispensable et solidaire de cette ouverture stratégique. Face à la
nature des changements concurrentiels, la vitesse de réaction sera un élément clé de la
stratégie. Elle va de pair avec l’instauration d’organisations plus flexibles. C’est aussi un
élément d’appréciation de la capacité des membres de l’organisation à s’approprier des
savoirs. À les transformer par la suite en actifs stratégiques pour qu’ils deviennent sources
d’avantages concurrentiels.
L'innovation comme source d'avantage concurrentiel. Si elle est, et a toujours été
considérée comme une source d'avantage concurrentiel, le débat reste ouvert quant à sa
capacité réelle à susciter de la valeur (cf le problème macroénomique momentané du paradoxe
de Solow dans les années 1980 : on voit des ordinateurs partout mais pas de gains de
productivité). Tout comme l’innovation, l’exploitation du capital humain en tant qu’actif
stratégique est elle aussi source de controverses.
L’aléa environnemental introduit une incertitude faisant que de plus en plus souvent, la
stratégie des entreprises doit être sans cesse réajustée. Elle se scinde ainsi désormais en deux
grandes phases : celle de l'analyse externe où sont explorés les facteurs environnementaux
structurels, et l'analyse interne où les ressources propres aux entreprises sont évaluées et
105
Prahalad (C.K), « Le nouveau paysage concurrentiel », www.lesechos.fr
142
comparées à celles des principaux concurrents. Les savoirs constituent de la sorte des actifs
stratégiques, dont la mise en valeur permet réellement de se distinguer de la concurrence.
Cette manière spécifique d’envisager l’environnement des entreprises, ainsi que le rapport aux
autres organisations renouvelle la conception de la stratégie. Elle permet de réaliser en
quelque sorte une stratégie d’entreprise élargie au cœur du triptyque environnement, stratégie
et structure. En tant que fil conducteur qui guide le processus d'acquisition et de
développement des ressources présentant un caractère stratégique, comme le dit Prahalad.
Face à tous ces changements survenus dans le paysage concurrentiel, il pense que le concept
de stratégie et les processus stratégiques eux-mêmes sont appelés à changer, et que les
anciennes approches ne suffiront plus. Cela est d’autant plus vrai que la mondialisation des
économies s’est accompagnée d’un climat de défiance et d’une crise de valeurs d’autant
mieux ressentie dans le monde de l’entreprise, qu’elle accroît la précarité de l’emploi. Pour
Jean Simonet106
, cette situation se traduit par ce qu’il appelle « le management stratégique de
l’incertitude », plus en phase avec ce contexte de mouvance et de précarité, propre aux
entreprises engagées dans la guerre économique. En un mot, c’est la fin des certitudes pour
paraphraser le titre d’un ouvrage de Ilya Prigogine107
.
Avec ces pratiques de guerre économique, les entreprises sont de plus en plus constamment
soumises à l’ajustement configurationnel des ressources qu’elles détiennent, par rapport à
l'évolution du contexte concurrentiel. Être stratégique, c'est justement avoir la capacité de
s'adapter rapidement dans le cadre d'une orientation globale fixée par avance, mais susceptible
de modifications selon les contextes d’action. Au total, la stratégie adoptée par une entreprise
est la somme des stratégies délibérées et émergentes, résultant souvent d’événements
prévisibles et imprévus.
106
Simonet (J.), Les stratégies de l’éphémère. Guide du nouveau management, 1998, 132 p. 107
Prigogine (I.), op. cit., 1996.
143
Compte tenu de ces nouvelles règles, le modèle « top-down » apparaît désuet du fait de
l’instauration de cette dynamique, dans les organisation sujettes à l’élargissement de leur
espace stratégique et concurrentiel. Par exemple, la répartition des rôles dans la hiérarchie
traditionnelle où seuls les hauts dirigeants avaient le monopole des clés de l’élaboration de
stratégies, laisse de plus en plus de place à des acteurs dont le rôle, la fonction et les
compétences sont de fait revalorisés. Le concept de stratégie émergente de Mintzberg [1999],
s’inscrit dans ce contexte d’adaptabilité, d’innovation et d’apprentissages [cf. l’article de
Patrick Barwise dans L’Art du management de l’information, p.637-647].
Pour pleinement jouir de la dynamique information/stratégie, les entreprise qui veulent rester
durablement compétitives doivent repenser leurs modes d’élaboration stratégiques. C’est bien
pourquoi nous allons à présent aborder cette reconception, non plus d’un point de vue
méthodologique, mais épistémologique. Nous allons appréhender comment s’organise ce
renouveau stratégique, essentiellement à partir des représentations du lien entre stratégie et
information, effectué par Nathalie Schieb-Bienfait108
et Donald Marchand109
.
3.1.2. La stratégie comme représentation de la « réalité stratégique » des organisations
Engagé dans un environnement en mutations constantes, où les innovations technologiques
sont également très présentes, les entreprises se dotent de systèmes d’information stratégique
(SIS) pour capitaliser en actifs stratégiques les compétences et ressources dont elles disposent.
Au cœur de ce redéploiement stratégique, la ressource information occupe une place de choix
ressortant de l’impact de son usage. Envisager la conception de processus stratégiques sur la
base des représentations que s’en font les individus touche indéniablement à la manière
d’appréhender cette « réalité stratégique ».
108
Schieb-Bienfait « Plaidoyer en faveur du repositionnement des relations information/stratégie », Gestion
2000, juil.-août 1999, p.69-89. 109 Marchand (D.), « Quelle culture de l’information », L’Art du management de l’information, 1999, p.384-390.
144
Si l’on se réfère à la nature de l’information dans les processus stratégiques, la ressource
information est effectivement au cœur de la représentation stratégique qu’ont les individus
pour les mettre en œuvre. Pour Humbert Lesca, [1989], ce comportement est une somme de
processus dont témoigne la définition suivante : « c’est le processus par lequel l’entreprise
s’informe sur elle-même et son environnement et par lequel elle informe son environnement ».
À partir de cette définition, on peut aisément imaginer que c’est la détention de ces
informations qui va rejaillir sur la perception de l’environnement stratégique des entreprises et
en organiser la représentation. Ce qui est fondamental pour mieux percevoir la relation entre
information et stratégie, puisqu’il s’instaure de ce fait une relation d’interdépendance. En
fonction de la finalité qui lui est attribuée, l’information motive ou non la perception de
l’environnement stratégique. Il faut donc qu’elle soit utile, c’est-à-dire nécessaire à la
réalisation des objectifs stratégiques poursuivis par les entreprises, afin que les acteurs qui
l’utilisent puissent extraire l’information critique de l’information fatale.
3.1.2.1. La représentation de l’information dans les modèles stratégiques : entre le donné et le
construit
Nathalie Schieb-Bienfait [1999] se propose ainsi de réévaluer l’impact du binôme
information/stratégie, sur la base de représentations propres aux concepteurs de modèles
stratégiques. En ce qui concerne la stratégie, elle la considère à l’instar d’Alain-Charles
Martinet110
comme un « processus dans un univers changeant, jamais totalement compris,
c’est-à-dire cheminement et non chemin à suivre ».
De la confrontation, ou plutôt de l’interaction de ces deux univers sur la dynamique
stratégique, l’auteur touche à un modèle d’élaboration de stratégies motivé par les
représentations que s’en font les acteurs des organisations. Il peut ainsi naître une pluralité de
visions stratégiques en fonction des jeux et des motivations des uns et des autres, au sens
145
puissamment crozérien. La dynamique information/stratégie s’apparente alors à un couplage
au centre duquel s’organisent les activités des individus à partir de leurs approches de la
réalité (positiviste ou constructiviste). Elles-mêmes faisant appel à divers champs culturels,
relationnels, intellectuels, etc. comme symbolisé à travers le schéma suivant :
Figure 9 : Le concept de représentation sur le continuum épistémologique
D'après Nathalie Schieb-Bienfait, « Plaidoyer en faveur du repositionnement des relations
information/stratégie », 1999, p.79.
En tant que tel, la perception du réel est le fruit d’une construction ou interaction dynamique
entre la perception de cette réalité dont est issu le sujet, qui le constitue autant qu’il peut la re-
constituer entre l’approche positiviste ou constructiviste. Cette approche nous amène ainsi à
établir le lien entre les adeptes de stratégies à caractère délibérées, et celles à caractère
émergent qui se fondent sur la cohérence entre variables internes et externes à l’organisation.
Le principe de contingence, qui lie l’efficacité du système à une adéquation entre ses variables
(d’efficacité) et une situation donnée ; et le principe du « fit » qui lie l’efficacité du système à
une cohérence entre ses différentes variables, s’insèrent bien sur cet axe en tant que variables
capables de conditionner l’efficacité des stratégies déployées au sein d’une entreprise.
Replacées dans le contexte de la dynamique information/stratégie, ces deux approches de la
réalité stratégique soulignent le fait que le traitement de l’information, et par conséquent le
choix de stratégies, doit tenir compte d’une complexité d’abondance de données et de
situations, auxquelles il faut répondre le mieux possible. C’est-à-dire que selon les cas, les
individus s’en tiennent au niveau des choix à opérer à une logique d’optimisation faisant
appel au concept de « rationalité limitée » de Herbert Simon. Ce qui se matérialise du point
de vue positiviste par une recherche et un traitement d’informations devant être en adéquation
110
Martinet (A.-C.), « Stratégie et pensée complexe », Revue française de gestion, 1993, p.64-72.
146
avec les objectifs généraux que se fixent l’organisation. La figure 10 tente de reproduire cette
vision.
Figure 10 : De la complexité computationnelle à la complexité informationnelle
Cette représentation est caractéristique de la distinction effectuée par Thomas Davenport dans
Privilégier l’information sur la technologie111
et plus généralement de la problématique de
l’économie de l’attention dont témoignent les écrits de Michael H. Goldhaber. Dans cet
article, Thomas Davenport établit ainsi que nous sommes dans une société caractérisée par
une surabondance de données, qui occulte le discernement de l’information stratégique. Il faut
pouvoir ressortir de cette complexité computationnelle de l’information stratégique, pour
faciliter l’élaboration des stratégies à mettre en œuvre et capables d’y faire face.
Le sens né de la représentation de l’environnement stratégique s’opère donc sur la base d’un
processus allant de la complexité d’abondance à la complexité de sens. En tant que reflet de la
réalité stratégique des entreprises issu de l’action des décideurs, cette représentation préjuge
ainsi de la capacité d’adaptation d’un système d’information à développer des stratégies
opportunes au pilotage stratégique de l’organisation. Potentiellement, le couple
information/stratégie joue un rôle déterminant dans la capacité des organisations à développer
des modèles d’actions que l’on peut rapprocher des trois champs d’application suivants :
111
Davenport (T.), « Privilégier l’information sur la technologie », www.lesechos.fr
147
1- Le premier, decision making tiré des écrits de Simon aide à la recherche et à l’évaluation des
informations collectées pour le pilotage stratégique, en adoptant la perspective la moins mauvaise
possible dans cette complexité d’abondance.
2- Le second, construct meaning, fait référence à la manière dont l’organisation construit son
environnement stratégique sur la base des signaux captés, et qu’elle va par la suite interpréter
pour qu’ils soient cohérents avec la stratégie à adopter.
3- Le troisième, knowledge building, est le lieu de la capitalisation des savoirs, savoir-faire et
expériences issus des champs précédents. C’est ici que l’organisation tire les ressources
nécessaires pour créer, organiser et traiter les informations (individuelles ou collectives) dont
elle pourra se servir par ailleurs pour répondre à d’autres besoins.
Le fait que la dynamique information/stratégie soit rattachée à ces trois champs montre bien
que la représentation qu’adopte un individu, suit un processus qui le mène de l’existence
d’une surabondance d’informations, à l’exploitation d’une information stratégique pour aider
à la prise de décisions. Cette relation est sensée s’exercer dans l’organisation par un système
de traitement de l’information à rationalité limitée, dans lequel les acteurs sont les processeurs
d’information leur permettant de réduire l’incertitude, naissant de cette complexité
d’abondance (cf. p.82). Elle sert particulièrement bien dans le premier champ défini
précédemment qui concerne la prise de décisions.
À travers la conceptualisation de la réalité stratégique d’une entreprise, c’est la complexité de
l’acte de la prise de décisions qui transparaît à partir de la représentation/interprétation de la
relation information/stratégie. En somme, cette dynamique information/stratégie est une
dynamique de la construction de l’espace stratégique des entreprises. Autrement dit, c’est un
reflet des pratiques managériales des entreprises, lors de la recherche d’informations à
caractère stratégique, et de la prise de décisions qui s’ensuit.
148
En ce sens, le management stratégique d’une entreprise témoigne d’une
construction/recréation de son univers stratégique, d’une complexité de sens à une complexité
d’abondance. Ce redéploiement permanent de l’arbre des compétences des entreprises repose
sur des processus flexibles, nécessaires pour adapter la capacité et l’outil de production aux
contraintes de l’environnement.
3.1.2.2. La stratégie en tant que reflet de la culture informationnelle
Dans « Quelle culture de l’information ? »,Donald Marchand112
se penche sur le couple
information/stratégie à partir du mode de traitement de l’information. Ce mode qui définit la
culture informationnelle de l’entreprise symbolise pour lui « les valeurs, les attitudes et les
comportements qui influencent la manière de percevoir, de collecter, de structurer, de traiter,
de communiquer et d’utiliser l’information ». Dans la dynamique information/stratégie, cette
culture est révélatrice de l’importance accordée au traitement et à la gestion de l’information
en tant qu’actif stratégique.
À la différence de l’approche de Nathalie Schieb-Bienfait [1999], ici le mode de
représentation/construction de l’environnement qu’articule la dynamique
information/stratégie, se concentre davantage sur la complexité de sens. En effet, cette
approche se focalise davantage sur l’importance que l’on va donner à l’information par le
biais de la culture informationnelle.
112
Article paru dans L’Art du management de l’information, 1999, p.384-390.
149
Ici, la représentation de l’environnement stratégique, sur la base de la relation
information/stratégie, ne se limite pas seulement à une manière de concevoir et/ou de
percevoir son environnement stratégique par un individu. C’est par dessus tout la valeur
dominante de l’organisation dans son ensemble, puisque l’organisation/redéploiement de cette
information rejaillit sur le management stratégique de l’entreprise.
De ce point de vue, la dynamique, information/stratégie s’apparente ici à la culture de
l’information, en tant que moteur de l’action stratégique. L’auteur envisage cette relation
comme la manière de façonner les valeurs, les attitudes et les comportements qui influencent
la manière de percevoir, de collecter, de structurer, de traiter, de communiquer et d’utiliser
l’information. Ce mouvement n’acquiert son sens que s’il s’inscrit dans un processus
d’actions collectives, dont les individus restent le maillon sensible de la chaîne. Il distingue
ainsi quatre types de culture de l’information au cœur de cette dynamique :
1- La culture fonctionnelle. Elle conçoit l’information comme un moyen de pression et
d’influence exercé par un individu ou un groupe d’individus sur les autres. En un mot, c’est
un instrument d’influence et/ou de pouvoir.
2- La culture du partage désigne quant à elle un mode de gestion de l’information plus
souple instaurant un niveau de confiance suffisant pour que l’information soit utilisée à des
fins compétitives pour améliorer les processus et les performances de l’entreprise.
3- La culture du questionnement ou culture proactive est une culture de l’information
proactive reposant sur l’anticipation des tendances à venir, notamment par le couplage
veilles/intelligence économique.
4- La culture de la découverte caractérise les entreprises qui vont à contre-courant et qui
adoptent par conséquent des stratégies de rupture.
150
Sur le terrain, toutes ces stratégies peuvent évoluer ou se grouper en fonction du contexte pour
répondre à ses exigences. Il est intéressant de voir également que chacune de ces cultures
réfléchit un modèle d’organisation. Par exemple, on peut aisément associer la culture
fonctionnelle à la culture des organisations de type bureaucratique. Les cultures du partage, du
questionnement et de la découverte, moins soucieuses du respect de la ligne hiérarchique
reflétant le modèle d’organisations de type aplani, qui mettent davantage l’accent sur des
processus flexibles pour asseoir leurs stratégies.
151
On le voit ici, la prise en compte de la culture informationnelle dans les actes de management
stratégique est un point de démarcation pour établir un profil entre les entreprises qui veulent
se donner les moyens de répondre à la complexité d’un monde en mutations, et les autres.
Cela signifie entre autres process qu’il faut savoir capitaliser ces données et se doter des
moyens nécessaires à leur rentabilité. C’est dans cette perspective qu’Emmanuel-Arnaud
Pateyron, dans La veille stratégique [1998] signalait que la compétitivité des entreprises dans
un tel contexte passe par des comportements économiques nouveaux au sein desquels les
technologies de l’information et de la communication jouent un rôle majeur.
Si l’importance des technologies de l’information et de la communication dans l’amélioration
de la qualité des prestations offertes à l’intérieur et à l’extérieur des organisations à travers le
management des ressources immatérielles est reconnue, Michael Goldhaber soutient que la loi
classique de l'offre et de la demande ne tient plus dans une société caractérisée par la
surabondance d'information, où les sources ne cessent de se multiplier. D'après lui, cette
effervescence de sources et de contenus informationnels masque désormais la recherche d'une
"zone d'attention" capable de nous préserver du fléau de la prédominance des données
transactionnelles, au détriment de l’information critique [cf. Davenport113
].
Ce déficit d’attention dont témoigne cette formule d’Herbert Simon : « l’abondance
d'information crée une pauvreté de l'attention » attire pour le moins l’attention sur le
recentrage nécessaire à effectuer sur l’attention. C’est cette capacité, dans le flux continu
d’informations dans lequel baignent particulièrement les décideurs d’entreprise, qui
surdéterminera l’enjeu stratégique de la ressource information, dans le pilotage stratégique
des organisations. Le passage suivant qui reprend le problème évoqué par Simon en
témoigne :
« Alors que la technologie et la production d'informations accroissent fortement le volume et la
disponibilité des données, la capacité d'attention, elle, est constante, et notre aptitude à la
mobiliser n'est en rien affectée par les progrès techniques. Aussi, pour que les informations les
plus importantes ne soient pas noyées dans la masse, les entreprises doivent appliquer
une gestion de l'attention pertinente […]. De fait, certains observateurs se demandent si les
152
hommes d'affaires ne sont pas de plus en plus victimes du « syndrome du déficit d'attention », étant
donné que l'avalanche d'informations limite notre capacité à nous concentrer sur tel ou tel élément »114
.
À leur manière, Frantz Rowe115
et Éric Brousseau116
abordent la question de la relation entre
information et stratégie, à partir du ratio disproportionné de la relation entre information et
attention. Prenant prétexte des problèmes structurels et de flux liés à la production et à
l’accessibilité de l’information, ils démontrent qu’au cœur de ces problèmes, c’est bien
l’homme utilisateur, interface et traducteur de l’information encodée qui lui donne du sens.
D’où le second volet de la théorie de Frantz Rowe qui s’appuie sur la théorie de l’agir
communicationnel d’Habermas.
C’est bien la valeur d’usage d’une information, et donc sa pertinence dont dépend le
traitement qui lui sera accordé. C’est moins une affaire de vitesse de traitement, qu’une
question de pertinence intuitive sur la circuits qu’emprunte l’information entre les différents
protagonistes. Sachant que le lien entre information et stratégie repose sur le couplage étroit
entre la phase de capture et celle de son exploitation, ces deux aspects de la dynamique
information/stratégie sont contenus dans les interrogations suivantes d’Anthony Hopwood117
:
1.- Quels sont les facteurs qui freinent le développement d'une véritable base informationnelle
pour la formulation de la stratégie ?
2.- Quels éléments sont nécessaires pour que les processus d'information et d'élaboration de la
stratégie oeuvrent ensemble de manière productive ?
113
Davenport (T.), « L’attention, prochaine frontière de l’information », www.lesechos.fr 114
Idem. 115
Rowe (F.), « Productivité de l’information et design organisationnel, accessibilité aux données et agir
communicationnel », L’Entreprise et l’outil informationnel, 1997, p.23-39. 116
Brousseau (É.), « Technologies de l’information et de la communication, gains de productivité et
transformation des dispositifs de coordination », L’Entreprise et l’outil informationnel, 1997, p.41-65. 117
Hopwood (A.), « S’informer pour s’ouvrir au monde », www.lesechos.fr
153
La dynamique d’une entreprise au niveau de la relation entre information et stratégie est
corrélée à la dimension du management des hommes d’une part. Et d’autre part, à la
cohérence et à la coordination des processus qui fondent ce type de stratégies. Lorsque le pont
entre la détermination de stratégies et la gestion de l’information n’est pas jeté, pour quelque
raison que ce soit, il se crée ce que Jean Simonet [1998] appelle une rupture paradigmatique.
Robert Reix, dans ses différentes contributions [1984, 1987, 2003] s’est penché sur la
question, en examinant les enjeux stratégiques des technologies de l’information et de la
communication et des systèmes d’information. Il y montre notamment comment, sur la base
d’un système d’information organisationnel (S.I.O.) reposant sur la mise en commun de
matériels, procédures et données, des organisations communiquent entre elles pour
coordonner leurs actions stratégiques. Il en découle deux conséquences : la nécessité explicite
du développement des systèmes d’information ; et la prise en compte systématique dans
l’instauration de cette plate-forme stratégique, des potentialités offertes par les technologies
de l’information et de la communication pour le pilotage stratégique. Ce qui renforce et
consacre bien l’idée d’un couplage étroit entre information et stratégies.
À travers les perspectives issues de la dynamique information/stratégie, nous avons pu
explorer la complexité et l’importance que peut revêtir la décision informée, pour le
management et le pilotage stratégique des organisations. Nous avons notamment pu
appréhender les facteurs qui peuvent freiner le développement d'une véritable base
informationnelle pour la formulation de la stratégie. Et d’autre part, déterminer les éléments
nécessaires aux processus d'information dans le cadre de l'élaboration de stratégies.
3.2. Une société en mutations
Avec le développement des TIC, et de la société de l’information, l’outil informationnel a
acquis une nouvelle dimension dans l’organisation des entreprises. Ainsi, la conception et la
production traditionnelles de marchandises, se mesure de plus en plus en raison de la part
154
croissante de ces technologies, par la production de marchandises/connaissances
économiquement utiles au moyen de ressources intangibles [Bounfour, 1998 ; Drucker 1996,
1999, 2000 ; Reix, 2003 ; Tarondeau, 1998].
L’activité des entreprises s’en trouve donc profondément affectée, ce qui génère une
révolution en soi, puisque ces modifications renouvellent de façon inédite la conception de
stratégies. En effet, celles-ci ne se limitent plus seulement au choix d’un domaine d’activités
requérant une bonne adéquation entre environnement, stratégie et structure pour atteindre le
niveau de performances visé. Désormais, il s’agit d’asseoir la stratégie de l’entreprise sur ses
compétences-métiers et la gestion de son portefeuille de savoirs118
.
Au demeurant, cette création de valeur nécessite de disposer des savoirs nécessaires et de les
exploiter au mieux, chaque organisation ou portefeuille de savoirs, présentant des caractères
distinctifs par rapport aux autres organisations, même lorsque celles-ci sont engagées dans les
mêmes activités. C’est d’ailleurs un facteur discriminant permettant de dire qu’une
organisation est plus compétitive qu’une autre, si l’on intègre à son pilotage, la qualité du
management des ressources immatérielles.
S’inspirant des écrits de Peter Drucker, Jean-Claude Tarondeau119
fait lui aussi remarquer que
la société actuelle est dominée par l’ère du savoir. Il souligne ainsi le fait que cette
domination se ressent au niveau de la structure organisationnelle des entreprises sous formes
d’actifs stratégiques. C’est-à-dire que la prise en compte de la gestion des savoirs en tant que
ressource à part entière, au niveau de l’organisation et de la stratégie de ces entreprises est de
nature à créer de la valeur.
118
Cf. le concept d’ «arbre de compétences » de Marc Giget, Véronique Hillen et Michel Godet dans La
dynamique stratégique de l’entreprise, Dunod, 1998, 346 p. 119
Tarondeau (J.-C.), « Le management des savoirs et le renouveau de la pensée stratégique », Humanisme et
entreprise, 1999, p.97-115.
155
Cette reconception de la dynamique stratégique des entreprises, en phase avec un contexte
concurrentiel mouvant, se fonde sur l’acquisition et la maîtrise de ressources et compétences
permettant de se différencier des concurrents au niveau de processus d’activités flexibles.
Autrement dit, cela correspond au management stratégique des savoirs, ou management des
organisations basé sur la gestion des savoirs. Elle concerne davantage des organisations
évoluant en milieu instable, et dont les performances et les avantages concurrentiels reposent
sur l’harmonisation des connaissances formelles et/ou informelles détenues par leurs
membres.
Ainsi le problème n’est plus seulement de savoir comment organiser efficacement la
production, mais aussi de savoir comment s’organiser efficacement pour prendre des
décisions stratégiques. Les choix stratégiques des entreprises consistent ainsi à créer, exploiter
et maintenir ce portefeuille de savoirs, aux fins de s’assurer un avantage concurrentiel
durable. Pour Peter Drucker [1993, 1996, 1999, 2000], cela a une conséquence majeure : le
passage de l’organisation commandement-contrôle, à celui de l’organisation basée sur
l’information.
156
Dans ce nouveau paradigme stratégique, ce sont « les organisations de base » (départements,
unités, équipes de travail, etc.) -pour reprendre l’expression de Pierre Romelaer120
, parce que
se sont elles qui sont sources et bases des gains de productivité induits. Dans cette optique, la
stratégie des entreprises est revisitée, car les savoirs y constituent davantage des actifs
stratégiques, dont la mise en valeur permet de se distinguer de la concurrence.
Au demeurant, cette création de valeur nécessite de disposer des savoirs nécessaires et de les
exploiter au mieux, chaque organisation ou portefeuille de savoirs, présentant des caractères
distinctifs, même lorsque celles-ci sont engagées dans les mêmes activités. Ce contexte
concurrentiel sur fond de mutations technologiques et de globalisation, a résolument fait
entrer les entreprises et les sociétés dans un cycle de révolutions structurelles qui font de la
détention de connaissances et de l’information des actifs et des ressources stratégiques à part
entière.
3.2.1. Des organisations apprenantes et flexibles
L'émergence des organisations apprenantes est due à des facteurs économiques (la
globalisation des marchés), sociaux (la part croissante des technologies de l’information et de
la communication) et humains (le besoin de formation pour élargir son champ de
compétences et suivre l’évolution des techniques) qui tous se rapportent au nouveau
paradigme stratégique et concurrentiel, dont la ressource information modélise les activités.
On a déjà souligné les profondes transformations de l'environnement économique à l'origine
du changement de paradigme stratégique. Ce sont elles qui ont contribué à l’émergence
d'organisations flexibles, c'est-à-dire des organisations capables de percevoir les changements,
potentiels ou réels d'environnement, de se transformer, et pourquoi pas de les transformer,
pour améliorer leur insertion présente ou future dans l’élaboration de stratégies.
120
Romelaer (P.), « Les organisations de base, lieux stratégiques des évolutions managériales à venir », Le
157
La réalisation de ces processus flexibles commande la poursuite d’objectifs multiples. Par
exemple, elle doit agréger des activités répondant à des logiques locales en un tout
globalement efficient. Engendrer des besoins de communication et d'interaction d'autant plus
importants que les systèmes techniques sont mieux intégrés, et que l'environnement est plus
mouvant. Autrement dit, plus l’environnement est complexe et instable, plus y faire face
implique de recourir à des organisations où le pouvoir est décentralisé, c’est-à-dire en fait
partiellement délocalisé.
Corollaires du développement de la société de l’information, l'émergence des organisations
apprenantes correspond à cette manière nouvelle d’appréhender la stratégie « chemin faisant »
des entreprises comme dirait Marie-José Avenier121
. En effet, ces nouvelles formes
d’organisation tributaires d’un contexte environnemental complexe demandent de s’adapter
en permanence, notamment en « installant » des organisations flexibles au niveau de leurs
divers processus d’activités.
Ces modifications de l’environnement d’un contexte économique et concurrentiel stable à un
contexte économique et concurrentiel indéterminé par avance, ont eu pour effet de susciter
des structures capables d’y répondre. L’organisation flexible, c'est-à-dire une organisation
capable de percevoir les changements potentiels ou réels, d'environnement et de se
transformer pour améliorer son insertion présente ou future poursuit cet objectif.
Au registre des processus flexibles, les attributs de l'organisation apprenante les plus souvent
mentionnés sont l'ouverture et l'autonomie se traduisant dans les faits par une faible
formalisation des règles et des procédures. Cela touche directement aux modes de
coordination et de hiérarchisation, dont Henry Mintzberg a largement rendu compte dans ses
différents ouvrages sur le management stratégique [1996, 1999].
management aujourd’hui, théories et pratiques. Actes de forum sous la direction de Philippe Cabin et de Jean-
Claude Ruano-Borbalan, 1999, p.43-53. 121
Avenier (M.-J.), « La complexité appelle une stratégie chemin faisant », Gestion 2000, 1999, p.13-33.
158
La structure la plus usitée concerne les organisations de type aplanie où le recours à des
communications latérales pour résoudre les problèmes rencontrés reste la caractéristique
dominante. Cela leur permet de s’adapter aux aléas de l’environnement par leur capacité à
intégrer la diversité de leurs ressources en une synergie efficiente, prévenant ou agissant
même en cas d’événements imprévus.
159
Pour Éric Milliot122
qui s’est lui aussi penché sur ces bouleversements, les perspectives
apportées en termes de dynamique organisationnelle, que ce soit par rapport à la prise de
décisions stratégiques ou à la réduction des lignes hiérarchiques, se répercutent sur la
structure des organisations qui se réforment. On assiste par conséquent à l’émergence
d’organisations de type transversal reposant toutes sur la constitution de réseaux internes et
externes. Ce sont des organisations mues par l’interaction des modes organisationnels
réticulaire et pluriculturel comme montré dans la figure 13.
Fort de cette conviction, il s’appuie dans son approche sur l’articulation de la structure
organique de ces organisations qui favorise une circulation et une bonne diffusion de
l’information. La dimension réticulaire et enfin, le caractère pluriculturel des organisations,
s’appuyant sur le réseau d’échanges de données sur lequel elle repose. C’est ce triangle qui
permet d’apprécier la dynamique des organisations informationnelles.
3.2.2. La capitalisation des actifs stratégiques
Par analogie au savoir individuel qui peut se rapporter à l'ensemble des croyances d'un
individu sur un phénomène donné, Jean-Claude Tarondeau définit le savoir organisationnel
comme « l'ensemble des croyances partagées au sein d'une organisation sur les relations
causales entre phénomènes ». L’un comme l’autre sont à la base des actifs stratégiques sur
lesquelles comptent les organisations pour valoriser leur portefeuille de ressources. Ce savoir
détenu par les uns et géré par les autres, de par son application dans l'action est au fondement
des capacités et des compétences que détient une organisation.
Il intègre par conséquent le patrimoine d’une entreprise en tant qu’actif stratégique utile au
déploiement et à la formation de stratégies. Il est tout à la fois constitué de ressources, de
compétences et de capacités susceptibles d’aider les entreprises à maintenir ou à préserver des
122
Milliot (É.), « Les modes de fonctionnement de l’organisation informationnelle », Revue française de gestion,
1999, p.5-19.
160
acquis. Ces ressources regroupent ainsi tout ce que l'entreprise peut mobiliser pour générer un
avantage concurrentiel, autrement dit, de la valeur. Cette définition très vaste, intègre pêle-
mêle les ressources comme les facteurs de production, la réputation, les systèmes
d'information et les qualifications du personnel, les savoir-faire individuels et collectifs, etc.
Les compétences sont davantage exploitées dans des actions intentionnelles et finalisées, où
elles se construisent et s'enrichissent par apprentissage diachronique. C’est notamment
l'accumulation de savoirs individuels et collectifs, et l'apprentissage obtenu de leur mise en
action qui génèrent les aptitudes, les capacités et les compétences, fruits de l'accumulation des
savoirs individuels et collectifs, et de l'apprentissage issu de leur mise en action. Pour réaliser
cette vision, l'entreprise doit maîtriser des «key strategic capabilities», combinaison singulière
de capacités technologiques, structurelles et de compétences individuelles et collectives,
constituées en avantage concurrentiel.
Mais cette combinaison singulière n’est optimisée que si les individus adhèrent au projet
collectif, au niveau de la mise en oeuvre des processus stratégiques. Pour pleinement disposer
de ces ressources, les entreprises doivent parvenir à les transformer en actifs stratégiques. Ces
derniers, comprennent tout ce qu'une entreprise peut utiliser dans ses processus pour créer,
produire et/ou offrir des produits ou services sur un marché.
C’est pourquoi nous les assimilions aux savoirs détenus par les acteurs de l’organisation, car
cette valeur provient de la mobilisation des ressources de l’organisation et de ses
compétences, qui en feront des actifs stratégiques. Ces derniers pouvant être tangibles,
physiques ou matériels. Intangibles ou immatériels et « impalpables », si l’on considère ici
des notions telles que l’aptitude, la capacité, le savoir, la réputation, l’information, les
compétences, les droits de propriété intellectuelle, etc. L’information devient ainsi un moteur
de projet à titre offensif et prévisionnel, non seulement au sein de l’organisation par la
circulation fluide et ciblée des informations. Mais aussi, un moyen de contrer les attaques
d’éventuels concurrents par ailleurs.
161
C’est en ce sens que Jean-Claude Tarondeau parle du management des savoirs pour
« matérialiser » cette nouvelle forme d’intelligence caractérisée par la maîtrise des savoirs au
sein d’organisations bâties et fonctionnant sur le mode réticulaire123
. Pour cela, il faut pouvoir
donner toute sa place à l'expérience comme moyen de développement du savoir, telle que
l’école de l’apprentissage l’entrevoit.
Ce sont les membres de l’équipe dirigeante qui doivent porter ce projet en faisant émerger ces
aspirations en actions concrètes. Pour aller dans cet esprit, il conclut son analyse de la
manière suivante : « Pour développer des organisations performantes, il faut des leaders
modestes, ayant oublié les figures imposées qui les ont propulsé au sommet des organisations,
avides d'apprendre et de partager le savoir des autres ». L’analyse de ce passage nous éclaire
à la fois sur l’ambivalence de l’information en tant que ressource stratégique et sur le rôle que
peut avoir la technologie dans ce processus.
Elle nous interpelle sur le paradoxe de la productivité de l’information, dont parle Robert
Solow [2000] dans sa théorie de la croissance économique, par rapport au déterminisme
positif qui existerait entre le management stratégique de cette ressource et l’apport de gains de
productivité systématique. Cela est d’autant plus vrai que nous sommes dans une société
croulant sous l’abondance d’informations. Ce qui peut rendre cette information stratégique, et
donc productive, c’est l’attention, en tant que ressource permettant d’extraire l’information
critique, grâce au travail des individus et au système de collecte/exploitation mis en œuvre
[Davenport, Goldhaber, Levet et Paturel, Portnoff, Du Tertre].
C’est cette capitalisation des données que ne saurait remplacer aucun logiciel, fut-il doté
d’une technologie avancée qui permet de constituer des actifs stratégiques, en ce sens qu’ils
constituent un socle de potentialités stratégiques. Cela sous-entend qu’il ne suffit hélas pas de
se doter des meilleurs outils technologiques pour atteindre de bons résultats. Il faut encore et
surtout gérer ses activités de telle sorte qu’elles soient coordonnées et organisées avec
123
À ce sujet, on peut se reporter au modèle de l’organisation informationnelle développé par Éric Milliot que
nous avons reproduit dans notre énoncé.
162
cohérence et efficience. Pour cela, il faut impliquer les individus, en faisant en sorte qu’ils
coopèrent et adhèrent au projet collectif. Il en est ainsi de la valorisation de certains actifs qui
sont spécifiques à une entreprise, parce que développés par elle et protégés de toute diffusion
à des tiers par des brevets.
Au vu des éléments ici détaillés, on peut se risquer à dire que les actifs stratégiques reflètent
une image de l’activité, des ressources, et vraisemblablement le style de management d’une
entreprise. En tous les cas, c’est le reflet de son potentiel offensif. En somme, l'approche par
les savoirs renouvelle le dispositif d'élaboration de stratégies de façon restrictive, et le
management stratégique de façon générale. Engagées dans ce mouvement, les entreprises ne
se laissent pas passivement modeler par leur environnement comme dans le modèle dominant
de l’école de la conception, le modèle SWOT (acronyme de Strengh Weaknesses
Opportunities Threats ou Forces, faiblesses, opportunités et menaces).
Si les actifs stratégiques permettent réellement de faire la différence entre des entreprises
compétitives et réactives, et celles qui le seraient moins, tout le génie réside dans la qualité
même de cette exploitation sur le terrain. En effet, à l’image des technologies de l’information
et de la communication sensées apporter des gains de productivité, le management des savoirs
prête lui aussi à polémiques, concernant les gains de productivité qu’il est sensé apporter.
C’est tout le propos de Robert Solow à travers le paradoxe de la productivité de l’information
dans sa théorie de la croissance économique.
Cette polémique se base sur la corrélation (positive) existant entre l’investissement en
technologies d’information et de communication, et les performances et les gains de
productivités réalisés. Par exemple, qui pourrait savoir quelle stratégie serait mieux
appropriée à tel portefeuille de savoirs, et inversement savoir si elle permet réellement de
créer de la valeur ? Ou tout simplement, savoir si une stratégie est toujours source et élément
de compétitivité ? Autrement dit, la relation entre la détention d’un portefeuille de savoirs et
la détermination de stratégies n’est pas toujours si évidente à établir.
163
Tout cela pour dire que l'approche de l'organisation par les savoirs repose sur une croyance :
celle qui suppute que les entreprises les plus performantes dans un environnement largement
imprévisible, seront celles qui développeront et exploiteront mieux que les autres leurs savoirs
et leur compétences en tant qu’actifs stratégiques. Au demeurant, l’un des bénéfices tangibles
et incontestables de cette croyance s’observe au niveau des opportunités en termes de
coopération et de partage d’information naissant de la constitution d’organisations de type
organique et réticulaire. L’une de ses manifestations concrète concerne le travail en équipe
qui permet aux membres de l’organisation de s’épanouir en se réalisant dans un projet
collectif.
Ce sont donc les individus qui peuvent tout autant fragiliser ou consolider cette chaîne. Cela
est d’autant plus vrai dans le contexte actuel, qu’il y règne une précarité de l’emploi, telle que
défiance rime avec crise de confiance [Gratton, 1999]. Cette situation tributaire des effets de
la mondialisation qui réclame encore et toujours plus de flexibilité influe sur les motivations
et les stratégies développées par des acteurs hésitants à faire montre d’un dévouement
inconditionnel, quand le spectre de la perte de leur emploi est omniprésent.
Des individus inquiets pour leur emploi, menacés dans la conscience de leur utilité sociale, et
engagés dans une compétition quasi permanente avec leurs collègues, mobiliseront davantage
leur intelligence au service de leurs intérêts personnels ou catégoriels, plutôt qu’aux bénéfices
de la collectivité. Les stratégies personnelles de défense de territoire ou de statut par rétention
d'informations dans ces cas là, l'emporteront sur les stratégies de partage et de déploiement
des compétences, comme nous le verrons à travers l’exemple donné par Wanda Orlikowski124
Il va sans dire que la performance des organisations ne repose pas seulement sur la structure
et la technologie d’une mécanique bien huilée par des processus flexibles. Il faut encore
pouvoir faire coïncider efficacité et implication des membres [cf. Moisdon, « Le poids de
l’acteur dans l’organisation », L’Art du management de l’information, p.240-245). Le
124
Orlikowski (W.J.), “L’utilisation donne sa valeur à la technologie »,
www.lesechos.fr/formations/manag_info/articles/article_8_5.htm.
164
paradoxe, c’est bien que les individus qui sont au cœur de ces processus peuvent également
les défaire. D’où le scepticisme admis par Jean-Claude Tarondeau, et qui se reflète également
dans l’analyse de Lynda Gratton et de Jean-Claude Moisdon sur l’instauration d’un contexte
de défiance.
3.2.2. La revalorisation du facteur humain
Dans un marché mondialisé, le niveau de concurrence et d'instabilité entraîne un besoin
croissant de flexibilité au sein des entreprises. Dans ce contexte, le facteur humain, par
définition plus statique que les capitaux ou que l'information, apparaît souvent comme un
frein à la mise en oeuvre de la stratégie. Cela tient à divers phénomènes d’ordre technologique
ou structurel fortement liés aux motivations des individus [cf. Jean-Michel Saussois, « Les
implications de la gestion du savoir »,L’Art du management de l’information, Les Echos,
1999, p.VI].
Ainsi, le rôle du facteur humain dans l'accomplissement de l’exercice stratégique devient
primordial, dans la mesure où il s’apparente à l’alpha et à l’oméga des actions qui rythment
l’efficacité du système stratégique des entreprises. Dans un article marquant le caractère
stratégique de cette variable dans la course à la compétitivité que se livrent les entreprises,
Philippe Plagnes et Daniel Giffard-Bouvier125
font ainsi remarquer que plus de la moitié des
opérations de restructuration lourde (fusion, diversification) n'atteignent pas les résultats
escomptés, du fait de points de blocage liés aux facteurs humains et sociaux. Cette situation
fait que le facteur humain se transforme rapidement en conditions du succès, traduisant
l’impact de la gestion des ressources humaines, tant au plan qualitatif que quantitatif.
Cette tendance a des répercussions qui entachent le lien entre facteur humain et stratégie,
confortant l'émergence de nouveaux modes d’organisation, et plus profondément d’enjeux de
125
Plagnes (P.), Giffard-Bouvier (D.), « La nouvelle place du facteur humain dans la stratégie »,
www.lesechos.fr .
165
management en phase avec le contexte concurrentiel. C’est moins la possession d’une
infrastructure matérielle que l’accent mis sur le facteur humain qu’il s’agit d’équilibrer.
Thomas Davenport126
l’a fort bien souligné en disant qu’il ne suffisait pas de se doter
d'outils informatiques puissants. Mais que pour mieux gérer leurs informations, les
entreprises devaient davantage mettre l'accent sur le facteur humain, et éviter ainsi
l'écueil de l'obsession technologique.
Ces tendances donnent ainsi lieu à l'émergence de nouveaux enjeux de management, dont la
transformation de la fonction Ressources Humaines dans les entreprises est symbolique. C’est
pour mieux cerner cette transformation que Philippe Plagnes et Daniel Giffard-Bouvier127
ont
initié une réflexion de synthèse sur cette problématique et qui est résumée à travers ces deux
étapes :
La rupture dans l'exercice stratégique qui place désormais le facteur humain au cœur de la
stratégie.
Dans un environnement incertain, les processus stratégiques ne peuvent plus seulement
consister en une démarche « top-down » purement séquentielle entre l’élaboration et la
conception de stratégies d’une part, et leur stricte application d’autre part. Il faut qu’il y ait
davantage d’interactivité, en ce sens que la complexité et l'instabilité de l'environnement ne
permettent plus de donner l'exclusivité aux stratégies élaborées « en chambre ». Ce qui veut
dire apprendre à responsabiliser les individus, en favorisant le passage d'une culture
hiérarchique à une culture coopérative, pour dépasser le modèle d’action SWOT de l’école de
la conception.
Les enjeux du management des ressources humaines qui permettent de répondre à ce
nouveau contexte concurrentiel aux plans interne et externe.
126
Davenport (T. H.), « Privilégier l’information sur la technologie », www.lesechos.fr
166
Il s’agit ici de montrer que la fonction ressources humaines est en corrélation étroite avec le
positionnement et l'orientation dominante de l'entreprise sur son marché. Ainsi, les nouvelles
pratiques concurrentielles engendrent des réflexes sur la pratique et la gestion du capital
humain, en réalisant notamment un diagnostic du capital humain à la fois aux plans quantitatif
et qualitatif. Par exemple, savoir quels besoins en compétences clés génèrent la vision
stratégique de l'entreprise. Déterminer à partir de là, les compétences critiques nécessaires à la
réalisation et au succès des orientations stratégiques, à partir de ces deux axes pour le moins
stratégiques.
Le premier concerne le diagnostic quantitatif et qualitatif du capital humain, il s’agit selon le
contexte de tirer profit des compétences individuelles pour les transformer en compétences
collectives. De les valoriser en tenant compte des profils individuels qui en sont la source. En
somme, cela revient à identifier et à faire fructifier le portefeuille des compétences
individuelles. De se tourner vers l’extérieur lorsque le portefeuille interne de compétences ne
permet pas de répondre à la demande exprimée. Le second axe, solidaire du précédent permet
d’optimiser et de mobiliser ces ressources, à partir des besoins en compétences de l'entreprise
et du potentiel des individus.
Cette culture est illustrée par l'approche dite du « vide contrôlé », qui vise à laisser aux
salariés une marge de manœuvres dans la traduction et la mise en oeuvre, à leur niveau, de la
vision globale du projet d’entreprise. Dans notre étude, cette valorisation du portefeuille de
compétences est davantage le fait des entreprises du secteur privé. Cela se traduit au niveau de
la BGFI par l’identification aux valeurs et au projet d’entreprise que tente d’inculquer le
Directeur des Ressources Humaines de cette société, par diverses batteries de mesure. Elles
passent aussi bien par des politiques d’intéressement, que par l’octroi de primes diverses pour
motiver le personnel.
127
Plagnes (P.), Giffard-Bouvier (D.), « La nouvelle place du facteur humain dans la stratégie »,
www.lesechos.fr
167
Le perfectionnement et l’acquisition de nouvelles connaissances est également assuré dans
des centres de formation où les agents peuvent bénéficier de stages. On retrouve la même
formule aussi bien à la BICIG qu’à l’U.G.B., mais c’est véritablement la BGFI qui s’illustre
le mieux dans ce domaine, comme en témoigne le projet d’entreprise fourni en annexes.
Toutes ces mesures incitatives sont en rapport immédiat avec ce contexte concurrentiel et
environnemental mouvant, qui demande toujours plus de flexibilité pour s’y adapter.
Plus que jamais, on peut dire que les entreprises qui survivront dans cette nouvelle guerre
économique auront à leur actif la valorisation des acteurs/ressources internes pour mieux
affronter les aléas de l’environnement externe. L’une des clés de ce renouvellement de la
fonction ressources humaines passe par le degré de confiance q'un leader aura su établir au
sein de son organisation. Le second point sensible, une fois ce lien établi, consiste à gérer
efficacement la constitution d’équipes travaillant en réseaux, fondée sur la capitalisation de
savoirs et d’expériences.
Ainsi, les dirigeants d’entreprises qui pratiquent cette politique d'auto-renouvellement sont
bien conscients de la nécessité d'accroître le potentiel de leurs salariés, et d'investir dans la
formation du personnel, en créant un environnement d'apprentissages qui leur sera d'une
manière ou d’une autre bénéfique. Autrement dit, de simple composante du patrimoine de
l’entreprise, le facteur humain s’apparente davantage à un outil et à un ingrédient essentiel de
la production de valeurs.
Dans tous les cas, l'entreprise doit disposer d'un référentiel de compétences aligné sur ses
préoccupations et enjeux stratégiques. La question centrale est ici de faire émerger ce que
Jean-Christian Fauvet128
appelle des organisations «holomorphes». C’est-à-dire des
organisations dans lesquelles les projets locaux reproduisent la vision d'ensemble (à la
manière d'un hologramme), et créent les conditions de la motivation.
128
Fauvet (J.-C.), L’Élan sociodynamique, 2004.
168
Ce sont ces transformations dans la nature des actifs stratégiques, dans les choix stratégiques
et dans les formes d'organisation qui caractérisent les stratégies fondées sur les savoirs. Ce qui
n’est pas sans rappeler la formule de Thomas Davenport consacrant la primauté de l’individu
sur la technologie : « Il ne suffit pas de se doter d'outils informatiques puissants. Pour
mieux gérer leurs informations, les entreprises doivent éviter l'écueil de l'obsession
technologique et mettre l'accent sur le facteur humain ».
3.3. Conclusion du chapitre
Ce chapitre consacré aux développements de la pensée contingente et du concept de stratégie
dans la dynamique d’entreprise, s’appuie sur le principe de causalité. En effet, tout comme les
développements de la pensée contingente le font apparaître, l’analyse des phénomènes
organisationnels se donne à lire par l’interaction de liens de causalité dont « l’hypothèse
élargie de configuration » d’Henry Mintzberg [1996] et les « principes de contingence et du
fit » d’Éric Delavallée [1996] nous servent de grille de lecture pour la validation des
hypothèses admises concernant le management stratégique des firmes gabonaises en étude.
Dans sa lecture des phénomènes qui influencent et interagissent sur les organisations,
l’approche contingente va distinguer dans une première période l’approche par les
déterminants structurels. Celle-ci, part du principe que la nature de l’environnement
(stable/instable) conditionne la nature de la structure organisationnelle (bureaucratique vs
organique). À cette approche, va succéder une autre vision du phénomène privilégiant
l’impact des déterminants techno-économiques. Cette dernière porte sur les relations entre les
choix technologiques et leur impact au sein des différentes composantes d’une organisation,
par les liens d’interdépendance qui peuvent naître de ces choix.
À l’influence et à l’impact des déterminants structurels et techno-économiques, va succéder
de nouvelles approches dites néo-contingentes. Ces dernières vont prendre le relais en
s’écartant quelque peu de la voie du déterminisme structurel et techno-économique, pour
169
privilégier le jeu des acteurs dans l’organisation en tant que médiateurs pouvant faciliter ou
contrer les effets structurels ou techno-économiques [Child 1972, Crozier et Friedberg 2000,
Duncan 1972, Weick 1969].
Il ressort de l’analyse de l’influence de toutes ces variables que le contexte environnemental
et concurrentiel des entreprises s’exerce au sein des organisations par des pressions aussi
diverses que singulières. Soumises à ces pressions, les entreprises sont pour ainsi dire
condamnées, avec la mondialisation galopante, à adapter leur structure organisationnelle à ces
mutations. De fait, les entreprises qui veulent s’adapter ou gérer au mieux cette complexité et
les mutations de leur environnement, sont amenées à adopter un ensemble de démarches et de
processus flexibles [cf. les concepts de flexibilité offensive et défensive de Roger Tsafack-
Nanfosso, 1996} sur lesquelles reposent leurs stratégies.
En tant que réponse au degré d’incertitude ou d’adaptabilité de leur environnement, les
processus stratégiques traduisent une volonté d’infléchir ou de modifier cet environnement
par la mobilisation des ressources/compétences de l’entreprise. Ce que Christophe Éveraere
[1997] appelle une « stratégie flexible », car de plus en plus d’entreprises « intelligentes »
capitalisent ces ressources-compétences en actifs stratégiques, à travers le management des
ressources immatérielles notamment. Ce dernier s’entendant comme tout ce que l'entreprise
peut utiliser pour créer, produire et/ou offrir des produits ou services sur un marché, par la
mobilisation des ressources et des compétences qu’elle détient.
Ces savoirs peuvent donc être assimilés aux connaissances détenues par les acteurs de
l’organisation, car ce sont eux qui sont à la base du potentiel des actifs stratégiques. Dans
cette perspective, la décision informée en tant que pendant du management des connaissances,
passe par une reconfiguration des structures organisationnelles. La revalorisation de la
fonction ressources humaines qui repose sur une adéquation entre les besoins internes au
niveau des effectifs, par rapport au contexte concurrentiel, participe à l’émergence de ces
nouvelles formes organisationnelles. Elle s’apparente à un mode d’optimisation et
d'affectation du capital humain, car elle prend en compte, à la fois les besoins en compétences
170
de l'entreprise et le potentiel des individus. De plus, elle a un rôle de régulation interne qui
peut s’avérer salutaire dans des situations de restructuration imposant des redéploiements
complets d'effectifs.
La relation entre information et stratégie liée à ces mutations de l’environnement économique,
social et concurrentiel des entreprises, marque la prise en compte de la décision informée dans
les actes de management stratégique. Pour Jean Simonet [1998], la prise en compte et
l’interaction de tous ces phénomènes traduit bien ce qu’il appelle le « management
stratégique de l’incertitude ». Il fait en sorte que dans la gestion d’une entreprise, le
portefeuille de ressources/savoirs, occupe une place stratégique dans la structure et les modes
de détermination des processus stratégiques.
Ce dernier fait que la stratégie adoptée par une entreprise, est en fait la somme des stratégies
délibérées et émergentes résultant souvent d’événements imprévus ou anticipés. À ce titre, la
dynamique information/stratégie peut être considérée comme le reflet plus ou moins fidèle
d’une structure organisationnelle, dans le sens où elle participe du processus
d’élaboration/construction de cette dynamique. D’ailleurs Donald Marchand [1999] l’assimile
à la « culture informationnelle » de l’organisation, parce qu’elle donne une image de
l’importance accordée au traitement, à la gestion, à la communication et à l’exploitation des
informations issues de ce processus.
Adaptée à nos perspectives de recherche, la stratégie telle qu’elle ressortira de notre approche-
terrain, s’apparentera davantage à l’adoption de stratégies de positionnement. Celles-ci, sous-
tendues par le système stratégique à l’œuvre dans les entreprises retenues, s’attachent à
combiner au système de valeurs et de références des individus, l’instauration d’un cadre
d’actions permettant de concilier rationalité économique/managériale et rationalité
culturelle/sociale.
171
C’est ce que démontre notamment Nabil Rifai [1996], lorsqu’il dit que les organisations se
construisent à partir des liens sociaux et des affects qui déterminent leurs performances. En ce
sens, l'économie traditionnelle limite considérablement les possibilités d'analyse du
fonctionnement de la firme. dont relèvent les écoles normatives, car elle manque de saisir la
complexité pouvant régner dans une entreprise. Cette pertinence est biaisée par le fait que la
firme y est appréhendée comme une « firme automate » dotée de réactions parfaitement
prévisibles, qui transforme mécaniquement les facteurs de production (matières premières,
capital et travail) en un produit fini.
En situation de concurrence pure et parfaite ces théories ont leur sens, mais elles s’altèrent
dans des environnements complexes, à partir du moment où l'entreprise est considérée comme
un véritable acteur pesant sur le cours des choses, comme c’est le cas avec les écoles
processuelles. Dans leurs approches, la firme est devenue un objet à part entière remettant en
cause les hypothèses du modèle de l’économie industrielle qui lui donnaient une image
complètement passive.
172
Armen Alchian [1984] voit notamment dans la spécificité des actifs, la raison essentielle de
l'existence de la firme. Cette approche rénovée considère davantage la firme comme un
ensemble de contrats qui établissent un type de structures avec des prérogatives bien définies
au niveau de l’activité et de la propriété (société anonyme, publique, à responsabilité limitée,
etc.), pour lui permettre à la fois de profiter des avantages de la spécialisation et d'assurer un
système d'incitation et de contrôle efficace.
Ces caractéristiques donnent lieu à l’émergence et à la qualification de différents types
d'entreprise en fonction de la théorie privilégiée, sur lesquels nous nous appesantirons au
cours de l’analyse-terrain notamment. Pour l’heure, nous allons évoquer de plain-pied les
manifestations des approches contingentes à travers une série d’études confrontant rationalité
managériale et spécificités des contextes d’action des univers stratégiques africains.
173
Chapitre III : Approches contingentes et rationalité
managériale africaine
Le présent chapitre est exclusivement consacré à la manière dont différentes sensibilités
d’auteurs ont appréhendé les problèmes de management spécifiques au contexte et à
l’environnement africains. La première partie de notre exposé situera dans un premier temps
les éléments de justification théoriques apportés par ces auteurs au niveau des difficultés et
des impasses de la gestion chaotique de ces entreprises. Suite à cela, nous examinerons les
solutions qu’ils envisagent et leur pertinence par rapport à notre corpus et à nos perspectives
de recherche.
Section I : Fondements conceptuels
La présente section va s’étendre sur les modalités d’analyse des problèmes de gestion des
entreprises africaines, à partir des théories qui nous ont servi de base pour élaborer nos
hypothèses de travail, et qui fondrent les perspectives de recherche en la matière.
1.1. L’emprise de la cité domestique
L’intérêt des perspectives abordées par Boltanski et Thévenot129
porte sur la production des
accords et la réalisation des coordinations entre personnes, à partir de l’histoire des idées du
monde occidental et des diverses philosophies politiques qu’ils retiennent comme essentielles.
129
Boltanski (L.), Thévenot (L.), Des économies de la grandeur, De la justification, 1991.
174
De là découlent des principes qui fondent les équilibres de la cité (grandeur vs petitesse) et qui
peuvent s’appliquer au monde de l’entreprise.
Dans cet univers, tout comme dans celui de la cité, les rapports entre les individus reposent
sur des systèmes d’équivalence partagés, des grandeurs communes qui permettent aux acteurs
de retrouver les repères qui vont guider leurs relations dans une situation donnée. Ces
systèmes d’équivalence ou grandeurs se donnent à lire dans des mondes régis par la cohérence
des principes qui y sont activés et correspondent à des formes idéales-types parmi lesquelles
ils distinguent : le monde de l’inspiration, le monde domestique, celui de l’opinion, ainsi que
les mondes civique, marchand et industriel.
Dans le monde de l’inspiration, l’échelle de la grandeur se mesure au génie créateur vs les
comportements routiniers et la banalité. Dans le monde domestique ce sont les figures de la
famille, de la tradition et des anciens qui prédominent. L’état de grandeur s’y mesure en
fonction du respect de l’échelle hiérarchique et des traditions. Le monde de l’opinion est
gouverné par l’étendue de la renommée de tierces personnes, tandis que le monde civique
repose sur la prééminence de l’application de la loi ; une loi valable et équitables pour tous les
membres de la communauté. Dans les mondes marchand et industriel, l’échelle de grandeur se
mesure respectivement à une logique de compétitivité et de productivité où les performances
techniques sont capitales.
Concernant notre problématique de recherche, nous allons nous focaliser sur les mondes
domestique, marchand et industriel, parce que se sont ces mondes qui articulent la pertinence
de nos hypothèses de recherche. Il n’en demeure pas moins que ces six types-idéaux ne sont
pas opaques et peuvent bien entendu se retrouver jumelés au sein d’une organisation : ce sont
les spécificités du contexte qui révèleront la primauté ou le jumelage d’un monde sur l’autre.
Ainsi, dans le cadre de notre étude, nous arrêterons nous plus particulièrement sur le monde
domestique par opposition aux mondes marchand et industriel, parce que ces trois mondes
véhiculent des idéologies pertinentes à la compréhension d’un management spécifique
175
adaptable au contexte d’action des entreprises africaines lato sensu, et à celles faisant l’objet
de nos investigations stricto sensu.
Si le monde domestique est assimilé par ses détracteurs à un monde désuet où prédomine la
survivance du passé, et où se distinguent des organisations économiquement peu efficaces, les
mondes marchand et industriel font directement référence à des organisations compétitives et
performantes, reposant davantage sur l’esprit individualiste plutôt que communautaire. Les
échelles de grandeur de ces trois mondes constituent en effet le socle autour duquel s’articule
la problématique de notre recherche sur les contingences d’un management adaptable aux
firmes gabonaises de note corpus, et qui de plus fondent les perspectives de recherche dans ce
domaine.
176
Nuançant ce type d’approches car elles se focalisent sur des liens de causalité déterministes et
mécanistes, la contribution d’Alain Degenne et de Michel Forse130
se base sur l’analyse des
structures sociales, en l’enrichissant de la pluralité des phénomènes qui peuvent justifier ce
déterminisme. Les auteurs partent ainsi de l’idée que si les comportements ou les opinions des
individus dépendent des structures dans lesquelles ils s’insèrent, ces derniers construisent la
réalité sur la base des catégories et des relations qui correspondent aux canons des
représentations de leurs différents cadres référentiels.
Ce postulat est sous-tendu par l’idée selon laquelle la structure ne serait qu’un ensemble
d’attributs individuels, et que les individus partageant les mêmes attributs sont proches
« structuralement » (p.6). Autrement dit, ceci revient à considérer que le comportement social
est normativement orienté. Les normes traduisent alors les effets de la situation structurale des
individus ou des groupes, car elles permettent de déterminer les opportunités et les contraintes
qui pèsent sur l’allocation des ressources, à l’intérieur d’une organisation (p.7).
Cette perspective apporte un éclairage pluridimensionnel, permettant de considérer davantage
que les individus appartiennent et sont régis tout autant par des catégories que par des
relations ou des réseaux. Ces catégories sont le reflet de relations structurales qui les lient a
priori, à partir de l’étude de l’ensemble des relations qu’ils entretiennent entre eux. Une
structure comporte donc un ensemble d’éléments liés les uns aux autres par des relations
diverses. Dans une entreprise, c’est notamment l’organigramme qui définit de façon formelle
l’attribution des tâches, que peut renforcer ou contrecarrer le sociogramme.
Par la combinaison des relations et des régularités de comportements dégagés dans une
structure, ainsi que par les groupes ou statuts qui présentent ces régularités de façon inductive,
on peut ainsi dégager des groupes pertinents a posteriori, et comprendre comment la structure
contraint les comportements tout en faisant émerger des interactions (p7). Cela est d’autant
mieux vrai que le concept de réseaux sociaux sert à décrire et à expliquer des réalités sociales
aussi diverses que la parenté, le pouvoir, la communication, etc. Nous allons ainsi montrer
130
Degenne (A.), Forse (M.), Les réseaux sociaux. Une analyse structurale en sociologie, 1994, 288 p.
177
sans pour autant remettre en cause l’apport de Boltanski et de Thévenot [1991], la diversité
des phénomènes que permettent de révéler l’analyse des réseaux sociaux, à partir des
éléments théoriques et conceptuels qui suivent.
1.2. Une conciliation difficile à établir
Il ressort des difficultés de gestion et de gouvernement des hommes spécifiques aux
entreprises africaines, qu’elles tiennent en partie, si ce n’est exclusivement le cas aux
problèmes de cohabitation de deux univers : la société traditionnelle avec ses valeurs sociales
dominantes d’une part. Les exigences de la société moderne, dont la rentabilité économique
est l’une des facettes, d’autre part.
Ainsi, allons nous toucher à la cohabitation de deux mondes aux valeurs antagonistes, sous
l’angle de deux approches complémentaires : celle qui prend racine dans l’histoire des
sociétés africaines, marquant une surdétermination du milieu sociétal sur les logiques
d’entreprise. Et celle plus actuelle, au cœur des logiques d’entreprise qui analyse ces
phénomènes dans le contexte économique et concurrentiel actuels.
Ce dernier, est dominé par les effets plus ou moins porteurs de la mondialisation, car il
contribue à la fragilité de l’équilibre entre rationalité culturelle/sociale et rationalité
économique/managériale. D’ailleurs les différentes études relatives au management des
entreprises africaines qui répercutent cette ambivalence en témoignent. Elles constatent toutes
à la source des maux qui empêchent l’instauration d’un minimum d’objectivité dans la
conduite des affaires, le fait que les entreprises soient installées dans une logique où les
difficultés de gestion semblent être devenues une de leurs caractéristiques, comme cela
transparaît notamment dans le passage suivant :
« La lecture des rapports d’experts chargés de porter un diagnostic sur la gestion de telle ou
telle entreprise d’Afrique noire a quelque chose de lassant par la répétitivité des constatations
178
faites : une centralisation abusive, une absence de définition précise des responsabilités, une
faible motivation des agents trop tenus en bride, une imbrication excessive de l’entreprise et
de l’environnement rendant difficile la mise en place d’une gestion attentive à un bon
fonctionnement interne »131
.
131
D’Iribarne (P.), « Face à l’impossible décentralisation des entreprises africaines »., Revue française de
gestion, 1990, p.28.
179
L’argumentaire de ce passage montre un aspect intangible au niveau des problèmes de gestion
dans les entreprises africaines, que l’on retrouve indiféremment dans la diversité culturelle et
épistémologique des approches de ces différentes études. Le moins qui apparaisse, c’est que
cette gestion défectueuse des entreprises africaines tient à des décalages structurels et
organisationnels qui ont du mal, ou plutôt qui cohabitent difficilement avec les exigences
d’efficacité et d’objectivité des procédures de management à l’occidentale [Agier 1995,
Mbargane 1995 ; O’Cloo 1991]. Ce qui fait que l’installation de ces phénomènes acquière une
dimension complexe que ne dément ni leur actualité, ni leurs manifestions dont témoignent
les deux courants majeurs que nous avons dégagé.
1.2.1. L’approche historiciste
Paul René Ollomo132
, dans son approche de la question situe l’origine des maux des
entreprises africaines au constat d’échec humain et économique des modèles de
développement occidentaux en Afrique qui s’enchaînent depuis la période coloniale. Période
au cours de laquelle les occidentaux ont subverti le mode communautaire -basé sur des
transactions rituelles (mariage, initiation, esclavage,…)- des sociétés placées sous le joug de
leur domination, en introduisant le salariat. En effet, dans la société traditionnelle, l’économie
a un rôle secondaire par rapport au social : elle est encastrée dans les relations sociales alors
que dans la société moderne, les relations sociales sont encastrées dans le système
économique [cf. Hernandez, 1998, p.49].
Ce cadre référentiel subverti a eu pour effet de déprécier le travail en lui apportant une
dimension déshumanisante et contraignante, que l’importation de la fonction publique et des
entreprises privées ont contribué à asseoir. Ces deux institutions symbolisant pour les
autochtones, le prolongement et le reflet des valeurs impersonnelles véhiculées par le système
colonial. Il y déplore notamment le plaquage sur le tissu industriel « naissant » de ces
entreprises, des principes et des méthodes de gestion inadaptés, parce qu’ils tiennent rarement
132
Ollomo (P.R.), “Comment concilier tradition et modernité dans l’entreprise africaine”, Revue française de
gestion,, sept;-oct. 1987, p.91-101.
180
compte des réalités et des modes de fonctionnement spécifiques au contexte d’action de ces
structures. Dans ce contexte, les individus ne trouvent pas d’identification et de symbole vis-
à-vis de la chefferie dans la relation individu/autorité établie, ainsi que dans les relations entre
tiers qui sont plus impersonnelles dans le monde de l’entreprise.
Cette perte d’identification a eu pour conséquence de difficilement recueillir l’adhésion des
membres aux valeurs de l’entreprise, parce qu’ils ne se reconnaissaient pas dans la figure du
leader qui en avait la charge pour des raisons diverses : appartenance ethnique, clanique,
tribale, etc. au-delà des compétences et de la personnalité que ce dernier pouvait avoir. Cette
situation se traduit bien souvent dans les faits par des tensions révélatrices de la prééminence
du sociogramme sur l’organigramme. Ce qui fait que cette relation identitaire échappant aux
logiques fonctionnelles et impersonnelles de l’administration publique notamment, est un
échantillon représentatif et symptomatique de l’inadaptation des modèles de gestion importés
dans ces entreprises, en dehors d’un minimum de « collages » aux contextes d’action locaux.
La majorité des dysfonctionnements observables dans les entreprises africaines sont
imputables à la survivance du système traditionnel, à son rythme particulier qui cohabite très
souvent de façon néfaste avec les contraintes de la rationalité et des exigences économiques.
Cela est particulièrement vrai pour les entreprises publiques, à l’inverse des entreprises
privées, où l’esprit des méthodes et des principes de saine gestion sont mieux appliqués, et
concilient avec efficacité ces deux univers, comme nous le démontrerons. À partir de ce
problème d’identification, Paul Ollomo [1987] montre ainsi la nécessité de développer un
type d’organisation spécifique, passerelle entre les références culturelles du monde villageois
et celles des réalités de l’entreprise moderne, afin de donner aux individus l’opportunité de se
faire-valoir dans leur activité professionnelle.
La démarche de Baye Ibrahima Diagne133
s’inscrit dans la même perspective que celle de
Paul Ollomo [1987], puisqu’elle traite de la question de l’inadaptabilité des outils et des
modes d'organisations importés et plaqués sans remodelage, donc sans ancrages socioculturels
dans les entreprises et les sociétés africaines. Cette coexistence calamiteuse du système
133
Diagne (B.I.), « L'Ajustement culturel des entreprises africaines »,
http://fr.allafrica.com/stories/200401290619.html
181
traditionnel et du management occidental témoigne pour lui de la résistance des pays sous-
développés à toute forme de modèle universaliste qui nierait la prise en compte des
particularismes sociétaux locaux. Pour lui, le fait est que :
182
« Les facteurs historiques ont fait que le modèle universel de management dans sa forme
courante est inapplicable aux pays du Tiers-monde. Les pratiques managériales semblent
réussir non pas en copiant le modèle occidental mais en intégrant la culture du Tiers-monde et
ses besoins environnementaux, ce qui doit nous pousser vers l'ajustement culturel du
management de nos entreprises » Diagne [2004].
La préoccupation identitaire qui ressort de ces deux approches, permet d'appréhender la
distance culturelle qui sépare l'entreprise des sociétés africaines, et qui s’exprime également à
travers le concept d’« extériorité » développé par Émile-Michel Hernandez [1998]. D'où la
nécessaire reformulation par Ibrahima Diagne, d'une identité nouvelle qui passe
immanquablement par l'adaptation des modèles organisationnels et managériaux au contexte
d’action des lieux d’implantation. Effectivement, comme nous le disions dans notre
introduction générale, l’Afrique, son management et ses spécificités, ne se comprennent que
partiellement si l’on occulte les substrats socio-culturels présents dans la vie des institutions et
des sociétés.
Tout comme Paul Ollomo, il montre que pour comprendre les dysfonctionnements des
entreprises africaines, il est nécessaire de se référer à leur structuration, c'est-à-dire à leur
historicité. Ainsi part-il de la naissance de l'entreprise africaine, pour montrer comment cette
naissance a marqué de façon indélébile la structure mentale du salarié africain. En tant que
structure importée, il considère que l'entreprise a été dès le début de son implantation « un
corps étranger qui ne s'est pas greffe dans les structures sociales et économiques africaines,
mais elle est restée à la périphérie de l'économie endogène, et en plus elle fut un lieu
d'oppression et d'exploitation ».
Pour Ibrahima Diagne [2004], l'association de ces deux constats : la préoccupation identitaire
et la naissance de l'entreprise africaine a toujours fait de l'entreprise africaine, une « affaire
non africaine ». Effectivement, cette association marque l’absence de relais d’un monde
(traditionnel) à l’autre (moderne) qui est ici remise en cause par ces deux auteurs, parce
qu’elle pénalise in fine les stratégies de développement des pays africains de manière
183
générale, et de leurs entreprises plus particulièrement. Pour Paul Ollomo [1987], la résolution
de ces maux doit se traduire par une nouvelle dynamique managériale. Celle-ci devant passer,
non seulement par la formation massive de cadres africains aux techniques de gestion, mais
davantage par une redéfinition des modèles organisationnels imprégnés d’identitarismes, pour
favoriser le sentiment d’appartenance à l’entreprise. Mais par dessus tout, ce qu’il
recommande, c’est d’établir une passerelle tangible à la coexistence du monde traditionnel et
du monde moderne dans la gestion de ces entreprises.
Cette confrontation des logiques identitaires à la rationalité économique dans les entreprises
africaines s’exprime à travers cette interrogation : « Comment amener des groupes ou des
individus fortement imprégnés de traits culturels locaux à coopérer et à s’investir totalement
dans un projet commun de production ? » [Ollomo, 1987, p.92]. La réponse ou les remèdes à
apporter ne vont pas de soi, et sont loin d’être simples. En effet, outre le mal identitaire lié à la
transposition du monde traditionnel dans les structures héritées du colonialisme, et la
constitution de ces entreprises, l’autre mal de l’Afrique découlant des deux précédents, réside
dans les innombrables mutations industrielles qu’elle a opéré par mimétisme et non par étapes
successives.
La structure du tissu économique gabonais est symbolique de cette défaillance. En effet, le
boom pétrolier des années 70, au lieu de favoriser la diversification de l’économie, et de
soutenir le développement agro-industriel, n’a pas su pour divers motifs que nous ne
développerons pas ici, impulser des stratégies de développement viables à long terme. Ces
défaillances qu’accentue la crise actuelle des secteurs bois et pétrole, principales ressources
du pays, si elles ont autrefois permis l’émergence d’un tissu industriel dont les performances
étaient dopées par ce boom économique, s’avèrent aujourd’hui contrastées. Cette idée est
résumée à travers le passage suivant :
« Une des particularités de l’Afrique est qu’elle a, en moins d’un demi siècle, franchi toutes
les étapes de l’industrialisation. Elle a cru faire l’économie d’une révolution industrielle, mais
de ce fait n’a pas connu le stade de la petite entreprise familiale où se forment l’esprit, les
184
pratiques et les symboles qui caractérisent encore aujourd’hui les grands noms de l’industrie
européenne. Certes, l’Afrique a eu ses artisans, mais l’absence de véhicule et la sacralisation
de leur art ont circonscrit les limites du rayonnement du savoir ainsi accumulé au noyau
familial, au clan »134
.
L'analyse qu’apporte Ibrahima Diagne [2004] au cumul des dysfonctionnements observables
au sein des entreprise africaines, fait le lien avec les développements de l’approche que nous
qualifierons d’« économiste », parce qu’elle tire argument de ces faiblesses pour promouvoir
un mode de management crédible dans le contexte économique et environnemental actuel,
dominé par les effets plus ou moins bénéfiques de la mondialisation. Cette crédibilité est
considérée comme acquise pour lui, lorsque la place de ce management est acquise dans les
esprits des acteurs d’une organisation, avant de réussir dans les bilans. Or, là encore en
Afrique nous dit-il, le constat est unanime : les entreprises éprouvent toutes les difficultés à
maîtriser la variable «management».
Ce phénomène s’exprime à travers les relations complexes entre les africains et le travail
moderne qui fait de l’entreprise africaine, une structure hétéronome, parce qu’elle est au
moins biculturelle du fait de la présence en son sein de deux blocs liés à l’entrelacement et à
la cohabitation des rationalités culturelle et économique. La non-responsabilisation ou le
défaut de reconnaissance des uns et des autres, sont des formes de marginalisation que nous
avons relevé dans la plupart des entreprises publiques de notre corpus. Elles sont la source
d'une certaine frustration et de la démotivation qui semblent caractériser les membres de ces
organisations, et freinent le développement de leur entreprise, en installant davantage ce
biculturalisme.
Les origines de cette démotivation tiennent tout autant à des causes internes qu'externes. Les
premières sont repérables à travers les comportements des salariés et constituent le « bloc
visible ». Les secondes, constituées des valeurs occidentales, parce qu'elles renferment les
principes de fonctionnement de l'entreprise, à travers ses outils de management renvoient à ce
134
Ollomo (P.R.), op. cit., 1987, p.93.
185
que l’auteur appelle un « cliché ». La complexité de ces relations, dont témoignent les cadres
explicatifs ébauchés au niveau de l’approche historiciste montre que les causes externes
comptent tout autant que les causes internes, et est vraisemblablement liée au problème
d’adaptation des outils et des méthodes de management.
Comme nous le faisait remarquer l’un de nos interlocuteurs au cours d’un entretien, le
problème en Afrique, c’est qu’il n’y a pas d’existant. Les méthodes de management qu’ils
appliquent ont été conçues et expérimentées dans des contextes qui n’ont pas grand chose à
voir avec le lieu de leur transfert dans le contexte particulier des sociétés africaines. Comme
pour le transfert de technologies, la vente est assurée mais le service-après-vente laisse à
désirer. Pour Émile-Michel Hernandez, [1997, 1998] tous ces problèmes d’adaptation tiennent
à une vision caricaturale des univers africains, ressortant à trois postulats majeurs qu’il tire
d’une lecture de Mamadou Dia135
:
une conception mécaniste et linéaire de l’histoire du développement ;
une approche technologique de la gestion partant de l’idée que la modernisation passe
obligatoirement par l’assimilation des méthodes et techniques de gestion occidentales ;
une approche ethnocentrique de la culture fondée sur l’idée que toute société tend in fine à
épouser les mêmes valeurs que les pays développés, et que le refus de les partager est
synonyme de sous-développement.
Pour ces auteurs, le défi des entreprises africaines dans ce contexte n’est évidemment pas de
se complaire dans cette nostalgie identitaire, mais de prendre appui sur le mode de
fonctionnement du système traditionnel pour « réinventer les valeurs, vertus et symboles
135
Dia (M.), « Développement et valeurs culturelles en Afrique subsaharienne », Problèmes économiques°2281,
juin 1992, p.28-32.
186
constituant le fond culturel commun aux groupes humains concernés. Leur donner un idéal et
des raisons de coopérer » [Ollomo, 1987, p.93], tout en tenant compte d’autres facteurs aussi
importants que le déterminisme culturel : l’étroitesse des marchés, les structures financières
inadéquates, l’absence de stratégies ou de cohérence des moyens et des finalités mises en
œuvre, qui constituent autant de freins à l’épanouissement et aux potentialités économiques et
sociales des entreprises africaines.
Au niveau de la BGFI par exemple, ce pari se traduit par une politique d’intéressement des
salariés au capital de l’entreprise et depuis peu, par l’objectivation de valeurs sensées
gouverner l’action de chacun des membres de l’organisation. Dans son approche de la
question, Émile-Michel Hernandez, [1997, 1998] tout en reconnaissant la prédominance des
rapports sociaux dans l’entreprise montre que les problèmes de gestion sont davantage
consécutifs à l’extériorité majeure des membres de l’organisation par rapport à l’entreprise.
Extériorité provenant du décalage causé par la perte de repères entre les valeurs du monde
traditionnel et du monde moderne.
187
L’entreprise y est en effet perçue comme une émanation de l’Occident et de ses valeurs, avec
lesquelles les logiques des acteurs et leur vision du monde s’entrechoquent [cf. Diagne 2004,
Ollomo, 1987]. Si la vision des dirigeants, ou du moins celle des cadres est différente, parce
qu’ils ont acquis des compétences au niveau de leur formation pour faire abstraction de ce
type de considérations, c’est malheureusement le cas pour les agents d’exécution. Dans cette
optique, l’auteur suggère que la conception de modèles de management devrait davantage
obéir à une logique communautaire plutôt que sociétaire, dans laquelle les liens sociaux ne se
limiteraient pas seulement à l’instauration de liens contractuels, mais comporteraient aussi des
liens affectifs ou moraux. Cela pourrait par exemple favoriser le travail en équipes construit à
l’image des rapports de travail opérés dans l’entreprise informelle.
Il fait ainsi état du concept de « culture appliqué à l’entreprise » qui situe le débat sur la
prédominance ou l’entrecroisement de « l’homo oeconomicus » et de « l’homo culturalis », à
partir du modèle théorique issu des écrits de Luc Boltanski et de Laurent Thévenot [1991],
dont Gilles Herreiros et Yves-Frédéric Livian136
ont par ailleurs dressé l’importance pour
l’activité de gestion. Ce constat apparaît également dans l’analyse de Youssouph Mbargane137
qui montre à travers le prisme des relations travail/hors travail, comment la reproduction des
réseaux (claniques, ethniques, religieux,…) s’insère dans la dynamique d’entreprise. Il y
insiste par ailleurs sur le poids et l’impact de ces réseaux sur l’organisation en général, à partir
de la reproduction des logiques associatives à l’intérieur comme à l’extérieur de l’entreprise.
Ces logiques constituant de fait des « cordons » sociaux doublés de réseaux aux interférences
multiples, se prolongeant au sein des entreprises par le maintien des rapports de solidarité et
d’entraide, qui font qu’il est d’autant plus difficile de sévir en cas de faute et d’imposer la
rigueur. Ce que Michel Agier138
nomme « codification ethnique des relations sociales et
économiques ». La conciliation de ces deux systèmes alliant la primauté de l’économique sur
le social (société moderne) et la primauté du social sur l’économique (société traditionnelle)
136
Herreiros (G.), Livian (Y.-F.), “L’apport des économies de la grandeur: une nouvelle grille d’analyse des
organisations ?, Revue française de gestion, 1994, p.43-59. 137
Mbargane (Y.), “De l’atelier à la société. Les ouvriers de l’huilerie Sonacos de Dakar”, Salariés et entreprise
dans les Pays du Sud. Contribution à une anthropologie politique, 1995, p.133-151. 138
Agier (M.), « Espaces et tensions de l’anthropologie du travail. Un itinéraire de recherche », Salariés et
entreprise dans les Pays du Sud. Contribution à une anthropologie politique, 1995, p.440-445.
188
entraîne pour Paul Ollomo [1987], par analogie aux logiques ressorties par Luc Boltanski et
Laurent Thévenot [1991], la prédominance d’une logique communautaire ou de la relation,
comme caractéristique majeure des entreprises africaines.
Cette logique permet d’asseoir le concept de « gestion écosociale des ressources humaines »,
par opposition aux modèles occidentaux de management, valorisant davantage les individus
par leur place dans la société. Cette place étant déterminée par la possession d’un contrat de
travail : c’est lui qui fait la valeur d’un individu dans la société, et qui conditionne le regard
que les autres portent sur lui, et sur sa condition. D’ailleurs, le courant de pensée baptisé
socio-économie sous l’impulsion du sociologue américain Amiltaï Etzioni privilégie ce type
de rapports économiques.
La majorité des dysfonctionnements observables dans les entreprises africaines sont
imputables à la survivance du système traditionnel, à son rythme particulier qui cohabite très
souvent de façon néfaste avec les contraintes de la rationalité et des exigences économiques.
Cela est particulièrement vrai pour les entreprises publiques, à l’inverse des entreprises
privées, où l’esprit des méthodes et des principes de saine gestion sont mieux appliqués, et
concilient avec efficacité ces deux univers, comme nous le démontrerons.
À partir de ce problème d’identification, Paul Ollomo [1987] montre ainsi la nécessité de
développer un type d’organisation spécifique, passerelle entre les références culturelles du
monde villageois et celles des réalités de l’entreprise moderne. Cela, afin de donner aux
individus l’opportunité de se faire-valoir dans leur activité professionnelle.
La préoccupation identitaire qui ressort de ces deux approches, permet d'appréhender la
distance culturelle qui sépare l'entreprise des sociétés africaines, et qui s’exprime également à
travers le concept d’« extériorité » développé par Émile-Michel Hernandez [1998]. D'où la
nécessaire reformulation par Ibrahima Diagne d'une identité nouvelle, qui passe
immanquablement par l'adaptation des modèles organisationnels et managériaux au contexte
d’action des lieux d’implantation. Effectivement, comme nous le disions dans notre
introduction générale, l’Afrique, son management et ses spécificités, ne se comprennent que
189
partiellement si l’on occulte les substrats socio-culturels présents dans la vie des institutions et
des sociétés.
190
Cette façon de considérer les liens unissant les salariés à leur entreprise n’est pas seulement
spécifique à l’Afrique. Tous les salariés sont a priori mus par des intérêts à défendre, des
enjeux à surmonter, des stratégies personnelles à élaborer, tout comme leur institution. Dans
ce cadre, on peut dire qu’ils sont d’abord des acteurs en situation, avant d'être membres d’une
communauté.
Cette primauté de l'universalité de l'humain sur le contexte socioculturel mise en avant par
Ibrahima Diagne [2004], met en garde contre ce qu’il appelle l’« autisme culturel , en tant que
cadre explicatif restrictif et unilatéral. Tout cela pour faire entendre que si le contexte
socioculturel permet d’améliorer la compréhension de ces phénomènes, il ne doit pas pour
autant empêcher d’autres lectures périphériques.
« Le mal africain » est trouvé et a même été bien appréhendé dans les différents cas de figures
où s’illustrent les difficultés des entreprises africaines : c’est davantage la cohabitation de
deux univers aux valeurs antagonistes (sens de la communauté vs sens de l’individualisme)
qui reste problématique, parce que la passerelle a été imparfaitement fixée. Si Diagne [2004]
reconnaît que la culture, ou du moins l'hétéronomie qui caractérise l'entreprise africaine,
s'explique par l'absence de syncrétisme entre ces deux modes de gestion, il pense également
qu’il serait tout aussi illusoire de considérer qu'il suffit d'intégrer la culture dans le
management des entreprises africaines pour que les dysfonctionnements disparaissent.
Faire ce choix reviendrait à occulter certains invariants qui sont méta-culturels. Par exemple,
ce n’est pas qu’il n’existe pas de cultures endogènes dans ces entreprises, le problème vient
peut-être de leur mode de diffusion trop formalisé, par rapport à la cooptation du plus grand
nombre. Cet exemple est à lui seul révélateur des micro-climats qui perturbent la vie de ces
organisations, hormis les problèmes externes.
Cela explique en partie certaines incohérences et l’inefficacité constaté dans la majorité de ces
entreprises, et qui proviennent certainement de l'allogénéité des outils de gestion utilisés.
191
C’est pour cette raison que l’auteur préconise l’adoption d’un « management intégral », c'est-
à-dire un mode de management dans lequel les micro-modes de gestion des relations de
travail tiennent compte des macro-modes de gestion des relations sociales de l'aire culturelle
de l'entreprise.
Pour que la culture ne soit pas un frein, mais le moteur d'un management intégré [cf.
Delavallée 1996], il faut vraisemblablement en passer par là. Cela est devenue une nécessité
rendue paradoxalement légitime par la mondialisation, car les entreprises sont de fait
devenues des objets transculturels.
La mondialisation a effectivement accéléré le mouvement de restructuration/privatisation des
entreprises publiques, et une tendance à l'universalisme économique encouragée par les
organismes et les institutions internationaux. Ceci, afin d’y promouvoir un type de modèle
économique et de développement soutenu par la société de l’information. Il serait par
conséquent insensé de vouloir diriger des groupes humains dans une logique de performance
économique, en faisant fi de la logistique culturelle indispensable à son adhésion, pour
faciliter la mise en oeuvre des stratégies définies.
Les acteurs sont par essence des êtres «culturels», parce qu’ils se définissent tout autant par
des catégories-structures à la fois singulières et collectives, leur donnant le sens des actions
qu’ils posent [cf. Degenne et Forse, 1994]. Tout cela pour dire qu’ils sont porteurs de normes
et de valeurs sociales dont dépendent leur façon de penser et d'être. D’où la problématique de
la culture et de l'action dans l'entreprise que nous verrons à travers les développements de
l’approche économiste. Elle montre ainsi qu’il serait hasardeux, voire imprudent de mener
une quelconque réflexion sur le management des entreprises africaines, en l'absence des
substrats culturels qui sont le véhicule de l'action tant individuelle que collective [Kamdem
2002, Mutabazi 2001].
192
1.2.2. L’approche économiste
L’approche économiste met davantage l’accent sur la capacité du management à impulser au
cœur des entreprises africaines, un potentiel de gestion et d’organisation tenant compte de son
hétéronomie. Les différents travaux que nous examinerons ici, s’appuient sur l’impact de la
mondialisation et de l’économie de marché, pour considérer l’importance de la culture, que ce
soit à l’échelle d’une nation ou d’un individu, en tant que force motrice. Dans cette
perspective, Évalde Mutabazi139
s’est penché sur les nombreux échecs des projets de
développement, des programmes d’ajustement structurel, et autres restructurations
d’entreprises menés en Afrique, pour pointer la part de mésestimation des enracinements
culturels, religieux et ethniques qui agit manifestement sur les performances de ces
organisations.
Il préconise ainsi un « modèle circulatoire » qui définit l’unité d’une identité africaine, dans la
diversité de ses expressions par l'existence de traits communs, parce qu’elle constitue un socle
culturel commun où se combinent des rapports singuliers au temps, au travail, à l’entreprise et
aux autres. À travers les études de Philippe D’Iribarne140
et de Guy Desaunay141
sur les
rapports entre expatriés et autochtones dans des entreprises africaines, nous avons des
exemples pathologiques de la prégnance de cet enracinement.
Dans son étude, Guy Desaunay [1987] mettait en évidence les clivages culturels entre salariés
expatriés et locaux. La distance culturelle qui existe entre ces deux catégories de personnel,
est pour lui symbolique de la confrontation de deux visions du monde et du rapports aux
autres qui s’y projette. Ces visions du monde et ces points de vue antagonistes, à partir de
l’appréciation de la notion de rendement, montre comment cette appréciation contribue à
l’enlisement des difficultés de gestion.
139
Mutabazi (É.), « Multiculturalisme et gouvernement des sociétés africaines », Sociologies pratiques, 2001,
p: 95-118. 140
D’Iribarne (P.), “Face à l’impossible décentralisation des entreprises africaines”, Revue française de gestion,
1990, p.28-39. 141
Desaunay (G.), “Les relations humaines dans les entreprises ivoiriennes”, Revue française de gestion, 1987,
p.95-101.
193
Effectuée sur la base de la distinction entre bien public et bien privé entre ces deux catégories
de personnel, elles justifient de part et d’autre le malaise relatif au statut des uns et des autres
dans l’entreprise. Pour les salariés autochtones notamment, la faiblesse de leur rendement
provient du fait qu’à diplôme équivalent, les expatriés bénéficient d’avantages et de
rémunérations plus élevés, en plus d’un statut social et professionnel de privilégiés. Les
expatriés quant à eux, critiquent le rendement des salariés autochtones, parce qu’ils estiment
que leurs attitudes dans l’entreprise n’est pas compatible avec les exigences de rigueur et du
manque de crédit dont ils les accablent. Ces critiques se retrouvent dans les trois logiques
suivantes :
« une logique du retard, essentiellement un retard de développement lié au retard culturel ;
une logique du vide, les sociétés africaines étant alors conçues comme manquant d’un certain
nombre d’éléments d’ordre intellectuel (conception du temps par exemple) ou moral (sens de
la responsabilité) ;
une logique de la différence, avec une recherche de ce qui dans les sociétés africaines pourrait
expliquer que les comportements dans certaines circonstances soient différents des
comportements européens et évidemment moins efficaces » (p. 96).
Concernant ces reproches, nous les avons effectivement nous-même entendu chez les deux
directeurs expatriés exerçant dans des entreprises privées au Gabon. Ce qui montre bien que
derrière la diversité culturelle qu’on peut observer dans ces pays, on retrouve bien un socle
commun de valeurs/clichés qui définit l’unicité de l’identité africaine dont parle Évalde
Mutabazi [2001]. Pour Guy Desaunay [1987], l’intensité relationnelle que critiquent les
expatriés, et que font prévaloir les travailleurs locaux dans l’entreprise, marque les écarts
194
d’incompréhension de leurs univers respectifs, et la survivance du monde traditionnel dans
l’entreprise.
Au lieu de la proscrire et de la condamner, il propose de la formaliser en procédures de
gestion du personnel, en y précisant alors clairement les droits et les devoirs, le rôle et les
statuts de chacun, aux fins d’arriver à un résultat satisfaisant au plan social et économique.
Philippe D’Iribarne [1990] en arrive également aux mêmes conclusions, mais en abordant la
difficulté sous l’angle des problèmes inhérents à la décentralisation (des pouvoirs, des
compétences, des individus, de l’organisation, etc.), pour montrer l’inadaptation des méthodes
de gestion classiques au contexte culturel africain de manière générale.
Mésestimer l’impact des enracinements socio-culturels, à l’heure de la mondialisation, c’est
sous-estimer leur impact sur les performances économiques d’une entreprise. Cela est
d’autant mieux vrai que Ibrahima Diagne [2004] a dans son analyse, démontré que les
entreprises africaines étaient biculturelles, et qu’on pouvait difficilement les dissocier de leur
environnement politique, économique et socioculturel. Avec la mondialisation, les entreprises
si elles exercent et restent arrimées à une réalité et à un environnement local, n’en restent pas
moins confrontées et soumises aux logiques de la société globale.
195
Cette ambivalence qui complique l’équation entre rationalité culturelle, caractérise également
les travaux de Kanyi O’Cloo [1991], à travers la question de l’adaptation ou de la non
adaptation des techniques de gestion occidentales aux contingences des entreprises africaines.
Ce dernier fonde ainsi son analyse sur une redéfinition de la conception et des conditions
d’existence des entreprises en Afrique, tout comme les perspectives des travaux regroupés
sous le label Salariés et entreprises dans les Pays du Sud sous la direction de Robert Cabanes,
Jean Copans et Monique Selim [1995], dont est extrait l’article de Youssouph Mbargane. Ces
deux interrogations accréditent cette problématique :
« Est-ce la logique de la société globale qui par les formes de solidarité qu’elles peuvent
déployer donne le ton des rapports sociaux dominants, réduisant les efforts des logiques
d’entreprise ? Où…
Est-ce à l’inverse les logiques d’entreprise qui créent lentement et sûrement les sociétés à
deux vitesses, rapprochant celles du monde « développé » des pays « en développement »,
permettant de penser l’articulation de l’entreprise avec son environnement sociétal » ?
(p.12).
Nous pouvons esquisser comme réponse en nous appuyant sur une idée de Philippe
D’Iribarne que : « la gestion d’une entreprise, loin de relever seulement ou même d’abord
d’un ensemble savant de procédures et de ne faire appel qu’à l’intérêt et à la raison possède
une dimension fondamentalement morale. Les hommes en effet ne coopèrent volontiers à une
œuvre commune que s’ils sont traités conformément aux valeurs auxquelles ils croient »
[1989, p.201]. Autrement dit, pour nous et conformément au caractère formateur et interactif
que nous attribuons aux perspectives de recherche en matière d’organisation et de
management stratégique, ces deux interrogations ne sont nullement exclusives, bien au
contraire. Seulement, elles occultent le poids des acteurs en tant que leviers d’action de ces
différents dispositifs.
196
C’est également la tendance développée par les membres du Réseau Cultures», une O.N.G.
s’intéressant à l’analyse des cultures locales et à leurs dynamiques par rapport à la vie
économique. Leurs travaux s’attaquent ainsi à la remise en question des modèles
universalistes, à partir de la prise en compte des besoins et des situations réels. Thierry
Verhelst]142
dans ce cadre part du présupposé que, contrairement à la pensée économique et
politique dominantes, les peuples ne répondent pas partout, et de la même manière, à la même
logique de maximisation du profit individuel.
Ce que dénie ici l’auteur, c’est la logique implacable et dominatrice du capitalisme symbolisé
par la globalisation des marchés. Car sur le terrain, elle se combine et/ou se confronte à
d’autres rationalités, attentes, intérêts, valeurs, codes et modèles de comportements qui ne
veulent pas forcément se soumettre à son ordre. Cette logique effrénée vers le développement
conduit à ce qui est apparu sous le terme de « développementalisme » ou logique perverse de
la croissance, du productivisme, de l’individualisme, de l’accumulation, de la maximisation
du profit (p.9).
Elle va dans le même sens que les préoccupations abordées par Pierre Dupriez et Solange
Simons143
, qui préconisent de favoriser le management interculturel car il permet de
reconnaître et d’intégrer les cultures locales, tout en s’efforçant de coordonner cette diversité
au sein d’une politique d’entreprise. Emmanuel Kamdem144
, dans son essai sur les pratiques
managériales et les cultures africaines tente de construire un édifice théorique et conceptuel
qui apporte un éclairage de plus sur l'entreprise africaine, en mettant en valeur les liens qui
existent entre les logiques sociales en Afrique et les pratiques du management.
À partir de l'observation des structures sociales, l’auteur tente ainsi de concilier enracinement
traditionnel et efficacité organisationnelle et économique. Son modèle d’action ayant pour
finalité de constituer les éléments de la « culturalité » des sociétés africaines, comme des
142
Verhelst (T.), « Organisation économique et structures locales : éclairages sur l’enchâssement de la vie
économique locale », sur www.globnet.org/horizon-local/cultures/localfr.html . 143
Dupriez (P.), SimonS (S.), La résistance culturelle. Fondements, applications et implications du management
interculturel, 2000, 358 p.
197
leviers pour le décollage des entreprises en Afrique, il propose donc la construction d’un
management sur la base de cette « culturalité ». Parce que l’observation des entreprises et les
sociétés africaines attestent encore, loin s’en faut, que leurs structures sont dominées par
l’emprise des grandeurs de la cité domestique de Boltanski et Thévenot [1991], son modèle
compte sur la compétitivité et l'épanouissement des individus, pour restituer les rationalités
sociales au cœur des processus stratégiques. Ce qui nous amène à évoquer l’intérêt des
théories de la firme, car elles véhiculent des modèles explicatifs à la base de la classification,
de l’évolutivité et des performances repérables dans les entreprises.
1.3. L’intérêt des théories de la firme
1.3.1. La construction du paradigme
Dans leur ensemble, les théories de la firme appréhendent l’entreprise comme un ensemble de
contrats qui établissent les droits de propriété d’une structure organisationnelle (société
anonyme, parapublique, etc.), combinée à une forme d'organisation-contrôle efficiente du
travail en équipe. Celle-ci doit lui permettre à la fois de profiter des avantages de la
spécialisation et d'assurer un système d'incitation et de contrôle efficaces.
Ces théories qui s’inscrivent dans le champ du courant des écoles processuelles, témoignent
d’une volonté de dépasser les limites de la théorie néo-classique. C’est grâce à l'hypothèse de
Simon qui va substituer la théorie de la rationalité substantive à celle de la rationalité limitée,
en mettant en avant l'imperfection de l'information en tant que frein à la résolution des
problèmes d’environnement interne et externe qui va introduire ces bouleversements. Ce
changement de perspective aura pour effet d’entrevoir la firme comme une organisation
complexe nécessitant une organisation et des modes de production spécifiques [Adolf
Augustus Berle et Gardner Coit Means 1932, Michael Jensen et Meckling 1976].
144
Kamdem (E.), Management et interculturalité en Afrique. Expérience camerounaise, 2002, 454 pages.
198
Ces contingences vont alors susciter l’instauration de processus internes de décisions
justifiant la logique de fonctionnement adoptée. La théorie des droits de propriété et de
l’agence qui établissent le noyau contractuel et composite des intérêts divers des agents de la
firme, va ainsi montrer comment la répartition de ces droits influence le comportement des
agents [Alchian et Demsetz 1972, Cyert et March 1963]. La théorie de la transaction qui
découle de l’existence de la firme et de ses intérêts se justifie donc parce que le marché est
imparfait et que sa régulation fait l’objet de transactions.
Ces dernières générant des coûts qu’il s’agit de limiter, la croissance de la firme ne peut être
assurée que si les coûts d'organisation interne sont inférieurs aux coûts des transactions
qu’elle effectue sur le marché [Ronald Coase 1987, 1988 ; Oliver Williamson 1981, 1985].
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Alfred Chandler [1989] insiste sur l'importance des
innovations organisationnelles et de la coordination des activités et des flux de ressources,
selon un ensemble de procédures administratives pour apporter des gains de productivité.
La nature des droits de propriété, la spécificité de l’activité et l’évolutivité des entreprises
permettent ainsi d'analyser et de distinguer les firmes. Cette évolutivité n'est donc pas
aléatoire, puisqu’elle est déterminée en fonction des compétences et de l’expérience
accumulées [Alchian et Demsetz 1972, Nelson et Winter 1982], qui font que la répartition des
actifs et l’organisation sont des facteurs d’efficience qui animent les théories centrales que
nous présentons ci après.
1.3.2. Les théories centrales
La théorie de Harvey Liebenstein, ou « théorie de l’efficacité X » est centrale pour arborer
l’impact des autres théories et la classification à laquelle nous parviendrons au cours de
l’interprétation et de l’extrapolation des résultats de l’enquête. Cette théorie a en effet pour
199
point de départ un grand nombre d'observations ayant mis en évidence que des firmes aux
caractéristiques techniques identiques pouvaient avoir des différences de coût de production
très importantes.
Il préfère privilégier les composantes de la firme, notamment les individus dont la rationalité
est limitée, pour expliquer cette contradiction d’intérêts. Ce point de vue permet d’entrevoir la
firme comme le résultat des actions des différents agents qui la composent, le « X » de la
théorie marquant son caractère non allocatif. Étant donné que notre grille de lecture du
management et des performances des firmes de notre corpus se construit sur la base du
caractère structurant des facteurs socio-culturels dans la vie de ces organisations, nous voyons
dans cette théorie un moyen de comprendre et de justifier les écarts de productivité entre
entreprises publiques et privées.
Cette divergence d’intérêts et de résultats se confirme à travers la théorie des entreprises
publiques et de la réglementation, qui légitiment l’implication de l’État vis-à-vis des
défaillances du marché. Ces théories montrent en effet les carences des entreprises publiques
qui cherchent à concilier l'objectif de service public avec celui de profit à travers différentes
approches, parmi lesquelles : l’école publique normative [Arthur Pigou, 1932] et celle de
l’économie positive de la réglementation [George Stigler, 1971].
200
Cette finalité des missions et des contrats que génèrent les théories de la firme se retrouve
dans la théorie des firmes « A » et « J » de Masahiko Aoki. Son analyse se concentre sur la
structure même de l'entreprise et sur sa performance sans reconsidérer la question de son
existence. En fonction des conditions du marché et des opportunités technologiques
notamment, chacune d’elles adopte une structure d'échanges de l'information, à laquelle la
firme de type « A » (pour américain) est moins bien préparée, à cause de sa structure rigide et
de ses règles de fonctionnement peu propices en univers instable.
Au contraire, la firme de type « J » (pour japonais) a une organisation du travail souple, qui
lui permet d’être plus réactive et de s’adapter aux conditions du marché. Pour Aoki, si l’on se
réfère à l’hypothèse de la rationalité limitée, « J » est donc la forme d'organisation la plus
efficiente : la coordination horizontale entre unités opérationnelles, le partage des
informations obtenues à travers l'expérience acquise et la hiérarchie des grades (par niveau de
salaire et non par fonction) sont pour lui une meilleure garantie pour résoudre et affronter la
masse des informations et des situations adaptables au contexte d’action et à l’adhésion des
différentes composantes de l’organisation.
1.4. En guise de synthèse
L’examen des postulats théoriques ici évoqués fait apparaître à travers l’exposé des
contributions présentées, la confrontation de deux logiques qui ressortent autant de l’approche
historiciste, que de l’approche économiste. Ces deux logiques trouvant leur sens pour nous
dans la théorie de Boltanski et de Thévenot [1991], à travers les grandeurs/logiques des
mondes domestique marchand et industriel.
En effet, que ce soit l’approche de Paul Ollomo [1987] sur les problèmes d’identification et de
conciliation entre la société traditionnelle et la société moderne, qui se répercutent au sein des
entreprises. Ou celle de Évalde Mutabazi [2001] sur la prise en compte de l’enracinement des
rapports sociaux au sein des entreprises, une constante demeure : c’est la
201
cohabitation/confrontation de deux univers aux valeurs antagonistes qui s’affrontent avec plus
ou moins de dommages.
Si l’ancrage socio-culturel permet de mieux comprendre les dysfonctionnements des
entreprises africaines, Ibrahima Diagne [2004] nous invite néanmoins à être attentif au risque
d’« autisme culturel » qui guettent les analystes qui s’enferment dans la lecture de ces seuls
cadres explicatifs. Voilà pourquoi il fait valoir la primauté de l'universalité de l'humain sur le
contexte socioculturel, comme en témoigne le passage suivant :
« Certes, on ne peut sortir l'entreprise de son environnement politique, économique et socioculturel,
les rapports sociaux dans l'entreprise prennent leur source dans ceux de la société globale […]. Le
salarié africain a des intérêts à défendre, des enjeux à surmonter, des stratégies personnelles à élaborer,
dés lors il est acteur avant d'être africain. Cette primauté de l'universalité de l'humain sur le contexte
socioculturel doit nous interdire de placer l'acteur africain (il en est de même pour l'entreprise
africaine) dans une altérité infranchissable, voire un autisme culturel » Diagne [2004].
L’ensemble des théories exposées, notamment les théories de la firme nous montre la
complexité des situations et des réalités observables à l’intérieur des entreprises. Pour ne pas
sombrer dans l’autisme culturel dont parle Ibrahima Diagne, nous nous appuierons au cours
de l’interprétation des résultats de l’étude sur les piliers des théories de la firme, dont les
thèses d’Aoki [1984] et de Liebenstein [1987] nous fourniront la matière.
Section II : Modèles conceptuels et rationalité managériale africaine
S’il est un point où se rencontrent les différents éléments de théories relatifs au management
stratégique des entreprises africaines, c’est bien l’inadaptation des schémas de pensée locaux
aux exigences de rationalité économique de la gestion des entreprises. Pierre Dupriez145
l’a
fort bien expliqué, puisque son analyse rend particulièrement bien compte des problèmes
202
soulevés par le management des entreprises, notamment en situation interculturelle, c’est-à-
dire lorsqu’il est confronté à d’autres cultures ou à d’autres aires géographiques.
Pour lui en effet, l’interaction entre management et culture est une réalité omniprésente
quelque soit le contexte d’action. Cette interaction qui imprègne l’évolution même de la
pensée stratégique, est issue d’un contexte historique et social propre à l’évolution des
sociétés occidentales. En effectuant ce parallèle, on voit donc bien que le management est lui
aussi pétri de substrats historiques et sociaux, et par conséquent d’une culture qui alimente la
construction de ses concepts.
De fait, l’interaction entre management et culture est une réalité omniprésente dans les
organisations quelque soit le contexte. Dès lors, le terme générique de management
interculturel renvoie à une forme de management qui reconnaissant l’existence de cultures
locales, tente d’intégrer les valeurs qui les fondent dans l’exercice des différentes fonctions
d’entreprise, et de les coordonner au niveau du pilotage stratégique, à côté des impératifs
stratégiques auxquels elles doivent répondre.
Réfléchissant à la question de l’adaptation ou de la non adaptation des techniques de gestion
occidentales aux contingences des entreprises africaines, les arguments développés par les
spécialistes en la matière se rencontrent sur la nécessité d’adapter ces outils au contexte
d’action des entreprises africaines, et de ne surtout pas déconsidérer les effets socio-culturels
[cf. Diagne 2004, Kamdem 2002, Mutabazi 2001].
L’enjeu de ces réflexions est de redéfinir la conception universaliste des théories managériales
guidées par le diktat du libéralisme économique, aux fins d’agir sur les facteurs qui perturbent
le fonctionnement normal et les performances de ces entreprises. C’est cette redéfinition des
145
Dupriez (P.), « Le management interculturel : mode éphémère ou réalité d’entreprise », Gestion 2000, 1999,
p.61-77.
203
conditions d’existence des entreprises en Afrique, qui va alimenter l’ensemble des travaux
que nous présentons ici, et qui s’orientent vers deux perspectives : adapter ou s’adapter.
2.1. Adapter ou s’adapter ? : La légitimité de l’approche interculturelle
Pour reprendre l’explication fournie par Kanyi O’Cloo146
ou Philippe D’Iribarne147
, il s’agit
de s’interroger sur la pertinence de l’universalité de méthodes et de théories appliquées en
dehors de leur contexte d’action à obtenir des résultats satisfaisants sans quelque adaptation.
À l’image de la théorie de Pierre Dupriez [1999] sur la proximité entre management et
culture, nous allons montrer ici comment peut se manifester cette adaptation. Le tout étant
bien sûr de savoir comment y parvenir, chaque entreprise ayant une âme et des
environnements particuliers en fonction de sa taille, de sa structure, de sa culture, de son
mode d’organisation. Bref, de ses environnements.
Ce que nous avons constaté sur le terrain, c’est que dans leur pratique quotidienne, les
managers sont effectivement amenés à établir un consensus, traduisant une forme
d’adaptation inhérente aux contraintes de l’action organisée. Cette adaptation correspond à la
réalité du management interculturel : il convient donc pour l’analyse de chaque cas
particulier, d’étudier les contours qui correspondent le mieux à la gestion et au management,
en tant qu’activités contingentes. Émile-Michel Hernandez148
l’a fort bien perçu puisque pour
lui, la clé des difficultés de la gestion des entreprises africaines réside moins dans la
reproduction des schémas classiques de gestion des entreprises « officielles », que dans le
développement des structures de fonctionnement des entreprises du secteur informel.
146
O’Cloo (K.), « Spécificités culturelles pour un management stratégique africain ». Mémoire de DEA sous la
direction de Michel Kalika, 1991. 147
D’Iribarne (P.), Le Tiers-monde qui réussit. Nouveaux modèles, 2003, 273 p. 148
Hernandez (É.-M.), “La gestion des ressources humaines dans l’entreprise informelle africaine”, Revue
française de gestion, 1998, p.49-57.
204
Celui-ci constitue l’une des nombreuses voies de sortie ébauchées par l’auteur. Il est
révélateur de la complexité et de l’adaptabilité d’un management correspondant aux
spécificités des entreprises africaines. Il a en effet été établi pour ne pas se limiter à calquer
des méthodes de management importées hors de leur périmètre, mais plutôt des méthodes qui
prennent en compte les spécificités locales, afin d’y adapter les outils de la gestion des
entreprises « officielles ». Ce modèle a été établi par l’auteur après de nombreuses
confrontations avec la littérature dans le domaine, qui tourne autour d’un constat essentiel :
c’est l’occultation des valeurs et de la culture de ces pays qui est responsable des échecs
économiques constatés. En effet, la réussite du secteur informel constitue pour lui une voie
royale à l’élaboration d’un type spécifique de management africain.
D’une part, parce que ce dernier concilie à la culture et aux valeurs africaines, les exigences
d’efficacité et de rationalité économiques. Et d’autre part, parce qu’une autre clé de la réussite
de ce secteur tient à la mise en œuvre de stratégies marketing implicites parfaitement adaptées
à la demande des populations. Cela dénote d’une forme de flexibilité reposant sur la confiance
et les relations d’affaires qu’entretiennent les acteurs de ce secteur. Cette voie de structuration
vers un management stratégique à l’africaine par le développement du mode de
fonctionnement de l’entreprise informelle, est également préconisé par Taoufik Ben
Abdallah149
.
Pour lui également, le salut de l’Afrique passe par le développement et le mode de
fonctionnement du secteur informel. Ce dernier est en effet plus en phase avec les réalités
locales, plutôt qu’avec les privatisations intempestives et les programmes d’ajustement
structurel imposés sans succès dans leur ensemble, par les organismes et organisations
internationales aux États africains. Doutant de la justesse de tels plans de développement pour
l’Afrique, l’auteur conteste l’efficacité de tels modèles de développement et d’intégration à
l’économie-monde.
149
Ben Abdallah (T.), “Politiques internationales. Réalités africaines. L’Afrique entre ajustement structurel,
mondialisation et croissance durable », www.africapolicy.org
205
Au regard notamment des politiques de privatisation massives qui ont davantage eu pour
conséquence de brader le patrimoine national de ces États, plutôt que de les sortir du marasme
économique, il y voit là un moindre mal. Dans un autre article co-écrit cette fois-ci avec
Philippe Engelhard150
, il parle d’une osmose à effectuer entre l’ensemble des systèmes et des
processus économiques et sociaux du secteur informel, et les cultures ambiantes comme
contribution directe au succès de ces entreprises.
En deux mots, la réussite de ce secteur tient à l’intelligence des entrepreneurs qui dans leur
gestion quotidienne, parviennent à concilier deux conceptions opposées : la primauté de
l’économique sur le social (société moderne) et la primauté du social sur l’économique
(société traditionnelle). Ce qui revient à distinguer les grandeurs de la théorie de Boltanski et
Thévenot [1991], entre les mondes marchand, industriel et le monde domestique. Dans son
article, Jean-Louis Laville151
réfléchissant à la contextualisation de cette économie mixte dans
le cadre des sociétés occidentales, lui préfère le terme d’« économie solidaire » pour parler de
cette combinaison synergique entre les aspirations individuelles et les contraintes collectives.
2.2. De la théorie à la réalisation de modèles conceptuels
Après avoir rappelé les obstacles inhérents à l’instauration d’un management stratégique
africain efficient, nous allons à présent voir comment cette vision s’est matérialisée à partir
des modèles de conception dits « paternaliste » et de Direction Par les Objectifs
« contingent », par opposition au modèle de DPO classique, dressés par Émile-Michel
Hernandez. La construction de ces modèles repose sur l’observation du terrain et des
pratiques organisationnelles qui y réussissent le mieux, comme nous le verrons.
2.2.1. Le modèle paternaliste
150
Ben Abdallah (T.), Engelhard (P.), “Quel avenir pour l’économie populaire en Afrique ? », Revue Quid Pro
Quo, 1990, p.14-17.
206
Dans le cadre de sa contribution à l’élaboration d’une réflexion sur les conditions de mise en
place d’un management stratégique africain, Émile-Michel Hernandez152
remet au goût du
jour le modèle paternaliste largement imprégné des figures dominantes de la cité domestique
de Boltanski et Thévenot [1991]. Ce modèle a comme axe stratégique l’émergence d’un
modèle de management où les relations sociales occupent une place de choix.
Pourquoi ce choix ? Parce que le modèle paternaliste y tient, ou du moins peut avoir sa place
au sein des entreprises africaines, car il repose sur la légitimité et la consolidation des liens
sociaux. À l’instar du modèle nippon, il n’établit pas de ruptures entre les valeurs de la société
et le monde de l’entreprise. S’appuyant sur une définition donnée par Michel Pinçon et Pierre
Rendu153
, il définit le paternalisme de la manière suivante :
« un rapport social dont l’inégalité est déviée, transfigurée par une métaphore sociale, qui
assimile le détenteur de l’autorité à un père et les agents soumis à cette autorité, à ses enfants.
Cette métaphore tend à transformer les rapports d’autorité et d’exploitation en rapports
éthiques et affectifs, et le devoir et le sentiment se substituent au règlement et au profit »
(p.98).
Ce modèle, fondé sur un certain partage du pouvoir réparti entre la figure du père (le
patron/manager) et ses fils (les employés) s’effectue sur la base d’un échange plus ou moins
équilibré des prestations entre les deux parties. Chacune d’elle est d’autant mieux légitimée,
qu’elle occupe la place qui lui sied « naturellement ». Par conséquent, l’attribution et la
coordination des tâches s’effectuent plus sereinement, le père pouvant légitimement sévir en
cas de dérapages. Pour Hernandez, ce modèle du « père protecteur », en opposition avec celui
du modèle du « père abusif », devrait permettre aux entreprises du circuit formel de renforcer
leur rôle, face à des structures telles que le clan, l’ethnie ou la famille, par le partage de
valeurs contenues dans le projet d’entreprise, comme symbolisé dans le tableau ci-après :
151
Laville (J.-L.), « L’économie solidaire : une réponse à la crise », Lien social et politiques, Article consulté
dans Problèmes économiques n°2365, 1994, p.14-19. 152
Hernandez (É.-M.), « Afrique : l’actualité du modèle paternaliste », Revue française de gestion, 2000, p.98-106. 153
Pinçon (M.), Rendu (P.) « Un patronat paternel », Actes de la recherche en sciences sociales, 1995, p.95-102.
207
Modèle du « père protecteur »
Modèle du « père abusif »
Le pouvoir est au service de ceux sur
qui il s’exerce : pouvoir altéro-centré
Recherche d’un échange équilibré
Acceptation du modèle par la majorité
qui en perçoit les bénéfices
Paix sociale, efficacité économique
Négociation interne visant au
consensus
Le pouvoir est au service de ceux qui le
détiennent : pouvoir prédateur autocentré
Echange inégal, peu équitable
Rejet du modèle par la partie perdante qui
s’estime injustement brimée
Contestation sociale, grèves, luttes de classes,
perte d’efficacité économique
Mise en place de contre-pouvoirs
208
Maintien du modèle
Protection par l’entreprise
Motivation de la base
Evolution vers un modèle bureaucratique
impersonnel
Protection sociale par l’État
Manque de motivation de la base
Tableau 4 : Les deux conceptions du paternalisme. D'après É.-M. Hernandez, « Afrique :
l’actualité du modèle paternaliste », p. 101.
La répartition de ce tableau nous place dans le contexte de la répartition des entreprises de
notre corpus. Du côté gauche, on distingue plus volontiers les entreprises privées et de l’autre,
les entreprises publiques et para-publiques. Cette répartition correspond en réalité à deux
modèles de gouvernement des hommes qui se côtoient avec des rendements et une
productivité proportionnelle au type de management et de protection sociale préconisés. Les
résultats de notre approche-terrain que nous détaillerons plus tard, confirment en effet cette
corrélation entre la structure organisationnelle, le management observable et les performances
réalisées dans ces firmes.
209
Ce modèle s’inscrit donc autant dans l’actualité des perspectives de recherche d’un
management stratégique adaptable au contexte d’action des entreprises africaines, qu’à celui
plus particulier des entreprises gabonaises que nous avons étudiées. Dans le cas du « père
protecteur », cela est susceptible d’amener les employés à ne plus considérer l’entreprise
comme quelque chose d’extérieur, mais davantage comme une entité à laquelle ils peuvent
« s’identifier », en contribuant pleinement à son efficacité. D’ailleurs, les composantes de ce
modèle : maintien du modèle, protection par l’entreprise, négociation interne visant au
consensus, sont des traits typiques de l’organisation sociale en Afrique.
C’est tout le mérite de la réflexion portée par Pierre Dupriez [1999], quand il parle des
interactions entre management et culture, comme d’une réalité omniprésente des contextes
historique et social. Dès lors, le terme générique de management interculturel prend tout son
sens, parce qu’il renvoie à une forme de management qui reconnaissant l’existence de cultures
locales, tente d’intégrer les valeurs qui les fondent dans l’exercice des différentes fonctions
d’entreprise, et de les coordonner au niveau du pilotage stratégique, à côté des impératifs
stratégiques auxquels ces entreprises doivent répondre.
À l’instar de Philippe D’Iribarne dans La Logique de l’honneur, il lie pratiques managériales
et phénomènes culturels à l’œuvre dans un pays. Dès lors, tout management se trouve en
situation interculturelle du moment qu’il entre au contact de cultures étrangères à son
domaine d’application « naturel » comme en témoigne le passage suivant :
« Tout management est culturel, et entre culture et management peuvent se développer des
interactions fécondes. Dès lors que le management rencontre des cultures différentes, il se
trouve en situation de devenir interculturel » Dupriez, 1999, p.72.
2.2.2. Le modèle de D.P.O. contingent
210
Outre le modèle paternaliste, Émile-Michel Hernandez avait déjà étudié la possibilité d’un
système conciliant la culture et les valeurs africaines, aux exigences d’efficacité et de
rationalité économiques dans la gestion des entreprises. Cette option coïncide avec la
perspective du modèle de D.P.O. ou Direction Par les Objectifs. Ce modèle, à partir de
l’observation du terrain et des pratiques organisationnelles qui y réussissent, comme
l’intégration du substrat social au substrat économique, va aboutir à l’élaboration d’un modèle
de D.P.O. contingent par opposition au modèle de D.P.O. classique que nous présentons ci-
après :
211
Figure 11 : Modèle de DPO classique
D'après É.-M. Hernandez, Le management des entreprises africaines, 1997, p.108.
Ce modèle dont la paternité incombe à Peter Drucker154
repose sur un contrôle cybernétique
de l’organisation. Il envisage un système de direction permettant de susciter et d’harmoniser
consciemment les efforts individuels des membres d’une organisation en vue de lui faire
154
Drucker (P.), Au-delà du capitalisme, 1993.
212
atteindre ses objectifs. Ces derniers peuvent être quantitatifs (croissance du chiffre d’affaire
par exemple) ou qualitatifs (préservation de l’image de marque de l’entreprise), l’essentiel
étant qu’ils parviennent à terme à être associés à la stratégie de l’entreprise.
Ces contrôles qui doivent s’échelonner sur différentes périodes reposent sur des plans d’action
individuels et/ou collectifs sanctionnés par une évaluation des résultats entre les objectifs
visés et ceux atteints. On peut imaginer sur les lignes ressortant en pointillés l’influence des
substrats socio-culturels dont sont imprégnés les individus, et qui se répercutent au sein de
l’organisation en termes de résultat/récompense ou de résultat/sanction.
En Afrique plus particulièrement, la D.P.O. devra s’adapter à la donne culturelle ambiante
pour réussir, en favorisant l’implication et la responsabilisation des membres de
l’organisation. Elle devrait servir à dégager et à développer la dimension communautaire pour
mieux servir les intérêts de l’entreprise, sur la base d’un consensus et de valeurs partagées
accréditant la survivance du modèle paternaliste dans ce type de structures. En effet, l’un des
obstacles majeurs à l’épanouissement d’un tel modèle repose sur la relation au temps, et à
l’extériorité vécue par rapport à la détermination et au respect des objectifs fixés d’une part.
Et d’autre part, au système de sanction-récompense dont il relève à l’origine, et qui
s’appliquerait difficilement dans ce contexte, pour de multiples raisons tenant à l’imbrication
des réseaux sociaux au sein des entreprises.
L’environnent et le contexte sociétal africains faisant que les motivations des individus sont
souvent reliées au contexte social, un modèle de D.P.O. adaptable dans ce contexte tire sa
légitimité du consensus dégagé par les acteurs de l’organisation. La proposition d’un tel
modèle repose sur l’adaptation aux contraintes d’un milieu où l’entreprise est ressentie
comme un corps étranger « émanation de l’homme blanc ». C’est dans cette perspective
qu’est établi le modèle de D.P.O. contingent, pour apprendre à intégrer les valeurs et les
aspirations individuelles aux contraintes et aux logiques de la rationalité économique. Voici
ce modèle tel qu’il a été remanié par Émile-Michel Hernandez.
213
Figure 12 : Modèle de D.P.O. pour l'Afrique.D'après É.-M. Hernandez, Le management des
entreprises africaines, 1997, p.105.
Dans ce modèle, on voit que la relation en filigrane entre individus, organisation et contexte
socio-culturel se dessine clairement, tandis que la présence de sanction/récompenses, cède la
place à une politique d’apprentissages et de recyclage des connaissances. L’auteur a ainsi
contextualisé un modèle de gestion en le confrontant aux réalités du lieu d’implantation. Ce
qui se ressent au niveau du système de résultats sanctions/récompense par l’adoption d’un
214
système plus conciliant basé sur le modèle de l’organisation apprenante. Autre point positif, la
refonte des attentes et des objectifs individuels en objectifs collectifs.
Tous ces éléments peuvent s’accorder sur ce que déclarent les membres du « Réseau
Cultures » quand ils disent : « En méconnaissant la dynamique culturelle comme fondement
implicite de toutes actions et façons de s’organiser socialement et économiquement, on
aboutit à l’échec des projets de développement, à l’anémie des grands programmes d’union
économique et politique »155
.
C’est également le souci de Mokhtar Ben Henda156
qui partant des disparités Nord/Sud en
matière d’information et de communication, renvoie davantage ces disparités à un manque de
ressources, et à la marginalisation de l’Afrique sur la scène décisionnelle internationale. À
cela, il ajoute l’inefficacité des programmes et modèles qui lui sont greffés, qui font peu de
cas des particularismes propres aux structures des Pays du Sud de manière générale. En effet,
force est de constater que paradoxalement, ce ne sont pas seulement les infrastructures qui
font défaut, mais la précarité de leur usage dans le sens de l’optimisation du rendement.
C’est bien là notre souci d’aider à l’optimisation du pilotage stratégique des entreprises de
notre corpus. Comme le fait justement remarquer Mokhtar Ben Henda157
, il s’agit pour nous
de rechercher « le maillon perdu d’une chaîne qui apparemment regroupe toutes les
composantes pour ériger l’Afrique à l’état de partenaire à part entière dans la métamorphose
universelle que connaît le monde de l’information et de la communication ».
155
Réseau Cultures, www.globnet.org/horizon-local/cultures 156
Ben Henda (M.), « Les réseaux électroniques d’information en Afrique. À la recherche du maillon perdu »,
www.chez.com/benhenda/publicat/afrque.fr 157
Iidem.
215
2.3. Conclusion du chapitre
Il ressort des différents éléments de théorie et des modèles conceptuels présentés que la
rationalité managériale des entreprises en Afrique est indissociable du contexte socio-culturel.
Mais cette situation spécifique, comme nous le rappelle Pierre Dupriez [1999], n’est pas que
le fait des entreprises africaines, car le management prend non seulement racine dans le
contexte dans lequel il a été élaboré : les sociétés occidentales. Mais en plus, il acquière une
dimension interculturelle par essence, dès lors qu’il se trouve confronté à d’autres cultures ou
à d’autres aires géographiques.
À partir de ce point de vue, et en sachant que notre travail se base sur les grandeurs/logiques
évoquées par Boltanski et Thévenot [1991], c’est bien l’entrecroisement de deux univers
antagonistes par les objectifs et les valeurs qu’ils défendent auxquels l’ensemble des
contributions présentées ici tente d’apporter une réponse. Cette manière d’entrevoir les
phénomènes se jouant dans les entreprises africaines, nous a permis de dégager deux
approches majeures, que nous avons regroupé sous le sceau des approches historiciste et
économiste, en fonction du point de vue sur lequel elles s’appuyaient pour étayer leur
argumentaire.
Les modèles conceptuels fournis par Émile-Michel Hernandez [1997], notamment le modèle
paternaliste et celui de D.P.O. contingent apportent un éclairage significatif sur la nécessité de
construire des modèles de management qui tiennent compte de la prégnance des relations
sociales et de leur mode de structuration. C’est dire que finalement, un modèle n’est pas
davantage à privilégier qu’un autre, puisqu’en l’occurrence, ils s’avèrent être
complémentaires. En effet, dans le modèle paternaliste, on retrouve des valeurs et une
organisation qui ne créent pas de ruptures, dans la mesure où les individus peuvent s’identifier
et se projeter dans une telle structure, sans qu’elle leur apparaisse pour autant éloignée.
216
217
En complément du modèle paternaliste qui légitime le rôle et les attributions des acteurs de
l’organisation, le modèle contingent de D.P.O. va permettre de réaliser la satisfaction des
objectifs et des missions de l’entreprise, tout en participant à l’épanouissement et à l’adhésion
des membres au projet d’entreprise. Incontestablement, le management est une activité
contingente par essence, comme nous nous efforçons de le démontrer à partir de l’évolution
des théories de la pensée stratégique, et à présent avec l’éclairage particulier du management
stratégique dans les entreprises africaines.
Nous allons à présent nous étendre sur la seconde partie de notre argumentation. Nous allons
notamment y situer les enjeux du management stratégique de l’information, ou plus
exactement des systèmes d’information, au cœur des organisations en analyse. Il s’agit pour
nous de situer l’impact des efforts consentis au niveau des actes de management stratégique,
par le biais de la décision informée dans une société dominée par les développements de la
société informationnelle. Dans cette perspective, notre approche-terrain s’est intéressée à la
pratique du management stratégique des systèmes d’information des entreprises en étude, en
soulignant notamment la place accordée aux pratiques et politiques informationnelles dans le
dispositif global d’intelligence.
218
Partie II : Le management stratégique de
l’information face aux contraintes de l’action
organisée
La seconde partie de notre thèse, va situer les enjeux du management stratégique de
l’information, ou plus exactement des systèmes d’information au cœur des organisations en
analyse. Si nous avons d’abord présenté les paradigmes fondateurs de la pensée stratégique,
c’était pour mieux situer notre angle d’approches, mais surtout pour parler sous le contrôle de
théories et de postulats affirmés en matière de management et de gestion des organisations.
Cela nous permettra pour la suite de notre travail, et concernant notamment la présente partie,
d’avoir toujours à l’esprit le caractère contingent de notre étude. Ici, nous allons à partir de
l’exposition des théories relatives au management stratégique de l’information, déterminer
dans quelle mesure les systèmes d’information peuvent concourir à la réalisation de
performances, à la lumière des opportunités offertes par les développements de la société de
l’information, pour renforcer les perspectives de management interculturel, telles que présenté
par Pierre Dupriez [1999].
Cette façon nouvelle d’envisager l’intégration des technologies de l’information et de la
communication à la gestion stratégique des organisations, au préalable domaine réservé des
seules technologies de l’information, dessine par extension le paradigme de la « nouvelle
économie ». C’est-à-dire, « une nouvelle manière d’envisager l’économie en prenant en
compte l’importance acquise par l’ensemble des secteurs qui produisent ou utilisent des
technologies de l’information et de la communication au niveau de la conception, de la
production ou de la commercialisation ».
Pour faire face aux mutations d’un environnement nécessitant une adaptativité et une
réactivité constantes, les entreprises évoluant en milieu complexe qui souhaitent être en phase
219
avec les aléas de ce type d’environnement, sont peu ou prou obligées d’instaurer de nouveaux
modes d’organisation en interne. Ces nouvelles formes d’organisation sont rendues
nécessaires pour maintenir des avantages concurrentiels, ou pour contrecarrer des stratégies
concurrentes. Effectivement, plus que par le passé, les desseins stratégiques des entreprises
sont liés à la gestion de leurs processus informationnels. Ils forment et définissent ainsi un
type nouveau de management stratégique au cœur duquel se trouve la ressource information.
Marc Giget158
notamment, a parfaitement ressenti ces mutations de l’environnement
stratégique des entreprises, puisqu’il utilise le concept de « l’arbre de compétences », somme
des actifs, valeurs, compétences, savoir-faire, etc. dont disposerait une entreprise pour faire
face à cette complexité. Autrement dit, cet arbre serait en quelque sorte un rempart
stratégique : un outil permettant de saisir des opportunités stratégiques grâce à la
formalisation d’un outil spécifique d’organisation et d’évaluation des informations pertinentes
[cf. p. 263].
Ce mode de gestion de l’information comme ressource stratégique intervenant dans la prise de
décisions est souvent matérialisé par des systèmes d’information stratégique (S.I.S.). Plus
généralement, le management stratégique de l’information, ou des systèmes d’information,
car il opère de manière réticulaire, désigne « l’utilisation de l’information à des fins
stratégiques dans le but d’en tirer un avantage concurrentiel par rapport aux autres
concurrents » [Pateyron, La veille stratégique, 1998, p.8]. Chaque élément du système étant
solidaire des autres, l’arbre des compétences fournit une vision de l’arsenal stratégique des
entreprises dans lequel il se déploie. Il permet d’apprécier la « fertilité » de cet arsenal
stratégique, à savoir s’il est plutôt offensif ou défensif.
Ce déploiement des technologies de l’information et de la communication, couplé à celui de
la mondialisation des économies dessine une infrastructure mondiale de l’information et de la
communication (I.M.I.C.), qui n’est pas sans rappeler la justification d’un Nouvel Ordre
158
Giget (M.), Hillen (V.), Godet (M.), La dynamique stratégique de l’entreprise. Innovation, croissance et
redéploiement de l’arbre de compétences, 1998, 346 p.
220
Mondial de l’Information et de la Communication du rapport de Sean Macbride, lors de la
conférence de l’UNESCO tenue en novembre 1976 à Nairobi en faveur d’un rééquilibrage de
l’information entre le Nord et le Sud.
Ce contexte économique et concurrentiel nouveau nous interpelle sur la capacité des
entreprises en analyse à intégrer la dimension stratégique du management des systèmes
d’information. Comme nous le verrons plus en détail, cela peut se réaliser par l’adoption de
nouveaux schémas tactiques. Ou plus simplement peut-être, en adoptant une attitude basée sur
« l’attention » comme revendiqué dans un article de Thomas Davenport159
, et qui s’exprime
plus largement à travers le paradigme de l’économie de l’attention.
159
Davenport (T.H.), « L’attention, prochaine frontière de l’information », www.lesechos.fr .
221
Chapitre IV : De l’économie matérielle a une société du
savoir
Ce chapitre précise les enjeux du management stratégique de l’information dans une
économie-monde dominée par l’intégration et l’usage stratégique de l’information à des fins
compétitives. Dans cette nouvelle économie, les systèmes d’information sont valorisés pour
permettre aux organisations, et plus particulièrement aux entreprises de disposer au mieux de
leurs actifs immatériels (gestion des connaissances de façon générale) à coté des actifs
traditionnels que sont le capital humain, financier ou structurel par exemple.
Cette façon nouvelle d’envisager l’intégration des technologies de l’information et de la
communication à la gestion stratégique des organisations, au préalable domaine réservé des
seules technologies de l’information et de la communication, dessine par extension le
paradigme de la nouvelle économie. Il ressort de l’interaction de ces divers phénomènes que
les desseins stratégiques des entreprises sont intimement liés à la gestion de leurs processus
informationnels.
Ce mode « nouveau » de gestion, par opposition à ce qui avait cours jusqu’ici, marque le
règne des organisations basées sur le savoir. Celles-ci vont redonner un souffle nouveau aux
schémas classiques d’élaboration de stratégies, en mettant au cœur des activités des
entreprises l’emprise et l’impact de la ressource information dans le processus décisionnel.
Dans cet environnement là, la stratégie, pour les entreprises évoluant en milieu complexe,
consiste de moins en moins à se positionner dans l'espace d'un secteur d'activité donné, mais
de plus en plus à influencer cet environnement de manière à se créer un espace stratégique, et
à lui imposer ses règles.
222
L’activité des entreprises s’en trouve donc profondément affectée, ce qui génère une
révolution en soi, puisque ces modifications renouvellent de façon inédite la conception de
stratégies. En effet, celles-ci ne se limitent plus seulement au choix d’un domaine d’activités
requérant une bonne adéquation entre environnement, stratégie et structure pour atteindre le
niveau de performances visé. Désormais, il s’agit d’asseoir la stratégie de l’entreprise sur ses
« compétences-métiers » et la gestion de son portefeuille de savoirs160
.
Section I : Le management stratégique de l’information : enjeux,
définitions et perspectives
Pour répondre aux enjeux nouveaux suscités par le management stratégique de l’information,
Éric Milliot161
a édicté des modes de fonctionnement de ce type d’organisations, dont la
stratégie repose davantage sur la gestion de la ressource information. Cette particularité fait
que le modèle idéal d’organisation de ce type de structures s’appuie sur la tripartition des
modes organique (ou transversal favorisant davantage les communications de type latéral),
réticulaire (par le jeu d’interactions et d’interconnections entre l’entreprise et ses partenaires)
et pluriculturel (car il accompagne le phénomène de globalisation des biens, des personnes et
des marchandises). L’articulation de ces trois axes permettant d’apprécier la dynamique à la
base de l’émergence et du développement de telles sociétés.
Ainsi, l’organisation basée sur l’information peut se définir comme « une entité dont la
structure, le fonctionnement et la stratégie se fondent sur la collecte, le traitement, la
diffusion et l’utilisation de données internes et externes pour en faire de la connaissance et
répondre aux conditions évolutives du marché » [Milliot 1999, p.5]. Cette entité repose sur
une dialectique gérée, structurée et se développant par et grâce à l’information.
160
Cf. le concept d’ « arbre de compétences » de Marc Giget dans La dynamique stratégique de l’entreprise. 161
Milliot (É.), « Les modes de fonctionnement de l’organisation informationnelle », Revue française de gestion,
1999, p.5-18.
223
1.1. La société de l’information ou l’instauration d’une nouvelle économie
Par « société de l’information », on entend une forme spécifique d’organisation sociale dans
laquelle la production, le traitement et la diffusion d’informations sont les sources
fondamentales de productivité et de puissance (cf. FDA 1999, p.5.). C’est une société dans
laquelle la structure économique est dominée par la production de biens et de services
d’information qui jouent un rôle non négligeable dans la création de richesses et d’emplois.
Elle symbolisait en effet à l’origine le boom économique des États-Unis, au début des années
90 sur fond de capitalisation boursière et d’innovations technologiques concentrées dans le
domaine des technologies de l’information et de la communication, comme nouveau moteur
de croissance. Désormais, elle s’entrevoit comme une nouvelle manière d’envisager
l’économie en prenant en compte l’importance acquise dans les années 60-70, par l’ensemble
des secteurs qui produisent ou utilisent des TIC au niveau de la conception, de la production
ou de la commercialisation de leurs produits ou ressources.
C’est effectivement sa caractéristique fondamentale, puisqu’elle s’appuie et repose sur
l’utilisation des technologies de l’information et de la communication et d’une infrastructure
mondiale d’information et de communication, (cf. la tripartition d’Éric. Milliot) qualifiée de
nouvelle économie, par opposition à des formes plus classiques de production et d’échanges
économiques [cf. FDA 1999, p.6], comme indiqué dans le tableau ci-après :
Caractéristiques Economie industrielle Economie de l’information
Sources d’avantages
compétitifs
Terre, main-d’œuvre et
capital Savoir
Mode de production Autorités hiérarchiques
Innovation à travers les
services et les réseaux
224
Champ d’intervention Local/régional Mondial
Classification industrielle Distincte ; multiple Diffuse ; Architectures
Tableau 5 : Les caractéristiques de l'économie industrielle et de l'économie de l'information",
FDA 1999, op. cit., p.7.
Bien que les termes d’« économie de l’information » et d’« économie du savoir »r soient
interchangeables pour Adeya et Cogburn, ils soulignent néanmoins que le premier se rapporte
davantage aux « contributions économiques d’un nombre limité d’industries », alors que le
second inclut « l’ensemble du tissu industriel de l’économie » [FDA, p.6].
Pour revenir à la typologie de ce tableau, la distinction fondamentale entre ces deux types
d’économie réside au niveau des sources d’avantages compétitifs qu’elles génèrent. Ces
avantages sont liés à l’importance prise par la gestion des ressources immatérielles, ainsi
qu’aux mutations de l’environnement économique, technologique et social qui se
caractérisent par une transition fondamentale marquant le passage d’une société industrielle à
une société de l’information [cf. Drucker, 1993,1996, 1999, 2000].
Dans la nouvelle économie, toujours par opposition à la traditionnelle, l’information et le
savoir constituent les facteurs de production essentiels. Ils se caractérisent notamment par ce
que Richard Kenney et Martin Florida162
appellent Innovation-Mediated Production (IMP) ou
production au moyen d’innovations (technologiques). Elle privilégie l'information dans
l'entreprise en mettant l'accent sur l'utilisation du savoir et de l'information susceptibles d'être
intégrés dans les biens et services matériels et non matériels. Ce passage a instauré un nouvel
ordre, qui a détruit au passage la règle des trois unités : de lieu (local vs mondial), de temps
(production en temps réel, en juste-à-temps) et d’action (élaboration de stratégies délibérées
vs stratégies émergentes).
162
Kenney (R.), Florida (M.), « La mondialisation et l’économie de l’information: enjeux et perspectives pour
l’Afrique », http://www.uneca.org/adf99/infoeconomyfr.htm
225
Comme symbolisé dans le tableau précédent, l’une de ses caractéristiques essentielles est de
battre en retraite le modèle taylorien d’organisation, en tant que modèle d’organisation
inadapté à l’émergence d’une organisation basée sur l’information. Si la production de
richesses et la conception de stratégies restent dominées dans ce modèle par les ressources
immatérielles, elles n’ont tout de même pas définitivement relégué l’importance des sources
traditionnelles de compétitivité que sont les ressources humaines, les capitaux ou les biens
immobiliers. Il s’agit seulement d’insister plus que par le passé sur le pouvoir de la ressource
information comme élément de nature à procurer des avantages concurrentiels, par sa capacité
à intégrer les processus ; non seulement au niveau de l’élaboration de stratégies, mais aussi
dans la conception de produits.
En somme, il s’agit de mettre l’information au service du développement des entreprises en
l’intégrant dans les processus de gestion (S.I.A.D.) ou de production (C.A.O., P.A.O.). Dans
la nouvelle économie, l’information devient l’outil-maître au service du développement et de
la stratégie des entreprises, car elle leur permet de bénéficier a priori de gains de temps et
davantage d’opportunités pour conquérir des marchés nouveaux.
En un mot, l’articulation entre mondialisation et technologies de l’information et de la
communication a révolutionné l’univers stratégique des entreprises. Cela, tant au plan
organisationnel, technologique qu’humain, par l’amélioration des conditions et de l’outil de
travail. Dans les organisations qui intègrent cette ressource à des fins stratégiques,
l’information constitue un atout à part entière de la vie, et parfois même de la survie des
entreprises, lorsque celles-ci sont en environnement à forte incertitude.
Ainsi, Robert Valantin163
, y voit là un instrument au service du développement des
entreprises, grâce à la gestion stratégique de l'information. Grâce à cet engouement, il y voit
un scénario de nature à redonner une nouvelle chance aux P.E.D., leur permettant de réduire
le fossé les séparant des nations développées, si comme Taoufik Ben Abdallah164
l’a laissé
163
Valantin (R.), , « L’information : une ressource mondiale », www.idrc.ca/books/reports/f234-02.html 164
Abdallah (T.B.), « L’Afrique entre ajustement structurel, mondialisation et croissance durable »,
www.africapolicy.org/rtable/tao0001f.htm
226
entendre, ce sont moins les infrastructures que l’usage parcimonieux des moyens existants qui
font défaut.
Dans cette perspective, l’accès à l’information utile aux acteurs économiques est à la source
de potentiels bénéfices à réaliser par les entreprises, en leur permettant non seulement de se
démarquer des concurrents, mais surtout de se constituer « un arsenal stratégique » dans la
nouvelle guerre économique qu’elles se livrent. Dans un article se rapportant aux
développements de la société de l’information, et à l’ensemble des combinaisons auxquelles
elle fait appel, Éric Milliot [1999] construit ce qu’il appelle « la dynamique stratégique de
l’information ». Celle-ci établit une jonction interactive entre les modes organique, réticulaire
et pluriculturel, qui sont interdépendants et forment la dialectique de ce que l’auteur appelle
« l’organisation informationnelle » comme indiqué dans la figure ci-après.
Figure 13 : La dynamique triangulaire de l'organisation informationnelle. Par Éric Milliot,
« Les modes de fonctionnement de l’organisation informationnelle », 1999, p.17.
227
Au cœur de la dynamique stratégique de l’organisation informationnelle, le système
d’information permet de coordonner et d’établir des dispositifs de collecte, de capitalisation et
de restitution d’informations à caractère stratégique, dont l’enjeu théorique est d’apporter des
gains de productivité. Précisément, le management stratégique de l’information a pour
ambition d’aider les différents acteurs dans les organisations à atteindre cet objectif. Le
modèle d’action triangulaire de l’organisation informationnelle développé par Éric Milliot
[1999] appuie ce management, parce qu’il repose sur une logique organisationnelle favorisant
l’émergence de procédés réticulaires, transversaux et contingents.
Comme pour les démarches de veille ou d’intelligence économique, sur lesquelles nous nous
appesantirons ultérieurement, l’usage de l’information dans cette perspective sert à se
procurer des avantages concurrentiels, tout en participant à la prospérité des entreprises et à la
prise de décisions. Pour cela, un minimum de cohérence entre variables internes et externes
doit être établi, parmi lesquelles le degré de motivation et/ou d’adhésion au projet collectif,
par une culture soutenue de l’information au sens de Donald Marchand [1998], et
l’adéquation entre cette culture, la logistique et les objectifs stratégiques poursuivis.
Le management stratégique de l’information repose donc sur l’ensemble des combinaisons
que nous venons de voir. Il nécessite l’interaction des modes organique, réticulaire et
pluriculturel qui sont interdépendants et forment la dialectique de ce que Éric Milliot appelle
« l’organisation informationnelle », comme nous le rappelle la figure 13. C’est ce triangle qui
permet d’apprécier la dynamique des organisations informationnelles. Cela se traduit ici par
un fonctionnement de type organique et réticulaire visant à rendre la ligne hiérarchique la plus
courte possible, ainsi qu’à favoriser le travail en équipes.
Que ce soit en termes purement épistémologique : la rupture avec le modèle taylorien
d’organisation et d’élaboration de stratégies, ou méthodologique : l’usage de la ressource
information à des fins concurrentielles, l’information a acquis une dimension nouvelle au sein
des dispositifs stratégiques mis en place dans les entreprises. Plus que les autres, elle concerne
davantage les entreprises évoluant dans des secteurs d’activité à forte instabilité et hautement
228
technologique. C’est d’ailleurs surtout pour ce type d’entreprises que l’intégration stratégique
de l’information par le biais de systèmes d’information stratégiques est la plus répandue, et la
plus recherchée.
1.2. Les systèmes d’information
Apparu avec les premiers ordinateurs qui permirent le traitement de l’information et la
mémorisation des données en fusionnant des tâches, le concept de système d’information est
une réalité multiforme pouvant s’appréhender comme : « un système intégré homme-machine
qui fournit des informations pour supporter les opérations, la gestion et la prise de décisions
dans une organisation » [Monnoyer-Longé 1997, p.108].
Ce qui apparaît de prime abord à la lecture de cette définition, c’est l’interface intégré
hommes/machines autour de laquelle sont coordonnées les activités et la gestion de
l’entreprise dans son ensemble. Cette définition générique, nous l’avons retrouvé formulée de
diverses manières dans les écrits de Humbert Lesca [1989, Information et adaptation de
l’entreprise], Robert Reix [2003, Systèmes d’information et management des organisations]
et de Bernard Lamizet et Ahmed Silem [1997, Dictionnaire encyclopédique des sciences de
l’information et de la communication] notamment.
Toutes ces approches circonscrivent de manière implicite le rôle majeur des TIC, non
seulement pour la constitution d’un tel système, mais aussi pour aider au pilotage stratégique
des organisations. Parce qu’il véhicule la trace des activités de l’entreprise, le système
d’information devient « l’outil du contrôle qu’exerce le système de pilotage sur le système
opérant, de manière à veiller et à gérer sur l’allocation de ressources, tout en respectant les
objectifs globaux définis » [Monnoyer-Longé 1997, p.109]. En un mot, il s’apparente au
système de pilotage de l’organisation, lorsqu’il est utilisé à des fins stratégiques dépassant la
simple finalité d’une informatique de gestion, de manière à mieux gérer l’allocation de
ressources et à respecter les objectifs globaux définis.
229
C’est donc bien un moyen de jauger l’activité d’une entreprise, entre autres finalités, à partir
du lien qu’il établit entre les différentes composantes de l’organisation. Par les flux
d’information qu’il génère, il est le reflet de la structure organisationnelle et de l’intérêt porté
à l’usage stratégique de l’information dans la dynamique stratégique d’une entreprise, pour
parodier le titre de l’ouvrage de Marc Giget et al. [1998]. C’est la raison pour laquelle Jacques
Mélèse165
parle du lien indissociable entre systèmes d’information et organisation, car ce lien
engage les rapports qu’entretiennent les membres de ces organisations, à partir des flux
(circulation, répartition, traitement) d’informations qu’ils échangent.
Dans la conception élargie qu’elle en donne sur la base de la définition établie par Jacques
Mélèse [1990], Nathalie Schieb-Bienfait166
définit le système d’information comme
« l’ensemble interactif de toutes les situations informationnelles, autrement dit le jeu
complexe de tous les échanges d’information signifiantes » (p.70). Cela est notamment rendu
possible par l’intelligence qu’a le système de la capitalisation des informations collectées.
Avec la notion de système d’information organisationnel (S.I.O), c’est également à ce jeu de
relations interactif entre la structure d’une organisation, son système d’information et sa
stratégie par rapport au contexte d’action, que se référait Jean-Louis Le Moigne [1986] pour
évoquer ce lien. Lien marquant l’articulation du système de coordination permettant in fine de
faciliter la prise de décisions, à partir de ces deux dimensions :
leur capacité à traiter, stocker, et à diffuser les flux d’information au sein des organisations ;
165
Mélèse (J.), Approches systémiques des organisations, 1990. 166
Schieb-Bienfait (N.), « Plaidoyer en faveur du repositionnement des relations information/stratégie », Gestion
2000, 1999, p.69-89.
230
leur capacité à soutenir les objectifs poursuivis en aidant à la prise de décisions et à
l’amélioration de la qualité du travail167
.
Dans la thèse de doctorat qu’elle a consacré au lien entre systèmes d’information et
performances d’entreprises, Véronique Zardet168
y montre comment ces deux capacités
permettent de gérer respectivement les informations opérationnelles (celles qui concourent à
l’amélioration et à la réalisation des tâches à accomplir au quotidien) et fonctionnelles (ce
sont des informations plus élaborées qui engagent les processus stratégiques. Elle matérialise
ces capacités en un processus dynamique allant du SIOF au SIOFIS, ce dernier étant
l’aboutissement de l’efficacité et de la performance d’un système d’information dynamique,
marquant la cohérence des actions menées par les membres de l’organisation au niveau du
pilotage stratégique des entreprises. Par l’intermédiaire du schéma qui suit, nous avons une
représentation de ce processus.
Figure 14 : Essai de typologie des systèmes d'informations opérationnelles et fonctionnelles.
D'après Véronique Zardet, « Contribution des systèmes d’information stimulants à l’efficacité
des entreprises. Cas d’expérimentations »,1986, p.56.
167
Le Moigne (J.-L.), « Vers un système d’information organisationnel », Revue française de gestion, 1990. 168
Zardet (V.), « Contribution des systèmes d’information stimulants à l’efficacité des entreprises. Cas
d’expérimentations », Thése de doctorat en Sciences de gestion, Université Lyon 2, 1986.
231
Au vu des différentes étapes de ce schéma, on peut dire que le SIOF correspond au degré zéro
du processus de captage et de collecte des informations. En effet, c’est une étape où les
informations arrivent au sein des organisations. À l’étape suivante, il y a une intégration
stratégique des informations collectées, qui seront finalement mises en valeur par les actions
engagées. D’où l’adjonction de l’attribut « stimulantes » entre l’étape 2 et l’étape 3. L’intérêt
de ce système se situe au niveau de son évolutivité, qui constitue un moyen flexible
d’aménagement du système d’information en un système de valeur d’options stratégiques.
Le point commun à toutes ces analyses ressort de l’interprétation effectuée par Jean-Louis Le
Moigne [1986] qui assimile le système d’information des entreprises à une entité s’articulant
en trois systèmes : le système opérant (O), le système d’information en lui-même (I), et le
système de décision (D). Ce qui va tout à fait dans le sens progressif et transformationnel du
SIOF en SIOFIS, comme indiqué ci-après :
- Le système opérant (O). Il permet de traiter les flux d’informations qui vont se concrétiser
en actions.
- Le système d’information en lui-même (I). Son modèle varie en fonction de la taille, des
moyens et des objectifs poursuivis par les acteurs Dans une organisation.
- Le système de décision (D) ou de pilotage. Il réalise la synthèse entre le système opérant et
le système d’information pour aider à la prise de décisions et au pilotage stratégique de
l’entreprise.
Autrement dit, le système d’information en lui-même est quasiment sans intérêts. Pour qu’il
acquière cette dimension stratégique, il faut pouvoir lui insuffler une dynamique d’actions que
seule la volonté des individus, plus que la technologie peut permettre d’instaurer. Pour que
cela se fasse, la gestion stratégique de l’information, apparaît désormais comme
232
incontournable en fonction de la finalité qu’on lui assigne. Né de la nécessité pour les
entreprises de répondre et de s’adapter à la complexité et aux aléas de leur environnement, le
pilotage stratégique, concept imagé renvoyant aux méthodes de management des
organisations permet de déboucher sur des actions nourries des interactions de ce système.
C’est cet usage qui somme toute déterminera ou non des gains de productivité. Effectivement,
la corrélation positive entre technologies de l’information au sens large, et systèmes
d’information à une moindre échelle n’apparaît pas toujours évidente, comme nous le verrons
concernant le paradoxe de la productivité de l’information, symbolisant la remise en questions
des technologies d’information et de communication a toujours suffire et permettre d’obtenir
des gains de productivité. L’analyse de Peter Weill et de Marianne Broadbent169
sur ce thème,
que nous aurons l’occasion d’aborder est significative de cet usage.
L’impact d’un système d’information, au vu des différents éléments dont nous venons de
rendre compte, est donc attaché d’une part, à la qualité du pilotage stratégique, étant donné
que c’est lui qui détermine à plus ou moins long terme d’éventuelles retombées positives pour
l’organisation concernée. D’autre part, au degré d’implication de ses utilisateurs, par l’usage
et les finalités qu’ils lui assignent.
La pertinence d’un système d’information se rapporte donc à son usage dans une perspective
stratégique. Analysant ce phénomène, Dorothy Leidner et Sven Carlsson170
ont établi le
modèle de base suivant permettant de comprendre la pertinence de ce lien à l’intérieur du
milieu d’implantation. À travers le concept de culture, ils montrent l’importance de cette
variable par rapport aux schémas de compréhension et d’interprétation des individus, car elle
influence sensiblement les différentes étapes de sa mise en oeuvre. Ainsi, cette modalité va se
répercuter à la fois sur le système d’information et sur les perspectives d’usage de ses
utilisateurs en termes de résultats attendus, comme indiqué sur la figure ci-après.
169
Weill (P.), Broadbent (M.), « Un système d’information pour être compétitif », www.lesechos.fr 170
Leidner (D.), Carlsson (S.), « Les bénéfices des systèmes d’information pour dirigeants dans trois pays »,
Revue Systèmes d’information et management, 1998, p.5-27.
233
Figure 15 : Modèle conceptuel de recherche entre systèmes d'information et culture. D'après
Dorothy Leidner et Sven Carlsson , op. cit., p.8.
Dans le même ordre d’idées, Sabine Carton Bourgeois171
, fait état de difficultés similaires, en
raison de l’influence potentielle de la culture (nationale) sur le processus d’implantation dudit
système. Ce processus d’implantation désignant une étape du cycle de vie du système
d’information marquée par sa mise en œuvre, une fois la phase de recueil des besoins,
d’analyse de la situation et de conception du système d’information effectuée.
Ce modèle conceptuel prévaut pour des entreprises en situation de management interculturel,
afin de leur permettre d’établir une approche endogène du système d’information, basée sur
les besoins de ses utilisateurs. Elle définit ainsi un système d’information international (S.I.I.)
171
Carton Bourgeois, « Systèmes d’Information Internationaux et culture nationale; influence de la dimension
culturelle contrôle de l’incertitude sur le processus d’implantation », Revue Systèmes d’information et
management, 1999, p.5-25.
234
comme système contribuant à la réussite d’une stratégie globale pour les entreprises engagées
sur le mode pluriculturel.
Ce système repose sur l’usage de plates-formes intégrées en technologies de l’information
pour collecter, stocker, transmettre et manipuler les données à travers les environnements
culturels et stratégiques, pour lesquels il se destine. Cette perspective met ainsi l’accent sur le
nécessaire alignement entre les stratégies édictées, les structures et le milieu d’implantation de
l’organisation, à partir d’éléments tels que le rôle des utilisateurs dans le processus
d’implantation ; l’expérience de l’équipe chargée de la mise en œuvre dudit système, et
l’adéquation de la technologie à implanter.
Cela sous-entend un minimum de flexibilité organisationnelle, ayant pour conséquences de
favoriser un accès partagé à l’information, du fait du fonctionnement en réseau. Mokhtar Ben
Henda a rendu compte de la nécessité d’adaptation des outils et des technologies à destination
des PVD, en s’insurgeant contre les paradoxes et les aberrations des politiques de
développement et des plans d’ajustement structurel, qui y sont greffés sans amendements
particuliers. Il y a là, nous dit-il, un chaînon manquant, un maillon perdu qu’il appartient aux
acteurs de ces organisations de ressouder. Le passage suivant témoigne de cette absence :
« Le problème ne réside aucunement dans le manque de ressources ou de moyens
informationnel dans les PVD. Il s’agit plutôt d’un problème de gestion, d’organisation et de
structuration d’un secteur qui souffre encore d’une marginalisation généralement due à des
implications d’ordre politique, culturelle et sociale. L’Afrique constitue dans ce sens là, un
exemple très parlant de l’inefficacité des projets, programmes et modèles qui lui sont souvent
« greffés » au nom de la mondialisation et de l’inopérabilité des mesures descendantales qui
omettent souvent les particularités propres aux structures socioculturelles des pays du
Sud ».172
235
Robert Reix173
montrait lui aussi déjà, à partir des développements des technologies de
l’information et de la communication, leur impact au sein des entreprises. Impact relevé
notamment comme base potentielle de nouveaux choix stratégiques, au-delà de l’amélioration
de l’efficience interne d’un système lié à son usage. Ce potentiel se répercute sur la valeur de
l’information, la faisant passer du statut de « variable entraînée » conditionnée par les choix
stratégiques préalables, à celui de « variable motrice » conditionnant, au moins partiellement
lesdits choix. Ce qui n’est pas sans rappeler le concept de « valeur d’options ».
Il exhortait ainsi la mise en place de Système d’Information Organisationnel. (S.I.O),
« ensemble de matériels, logiciels, procédures et données à travers lequel deux ou plusieurs
organisations, gérées de façon indépendante communiquent automatiquement (de mémoire à
mémoire), sans le transfert d’un support physique pour atteindre des objectifs opérationnels
ou stratégiques grâce à des échanges électroniques de données, de la messagerie
électronique et/ou le partage de bases de données communes » (p.9).
Dans un autre article co-écrit avec Michel Chokron174
il s’était déjà penché sur les évolutions,
les progrès et les développements de ces technologies au bénéfice des entreprises. Il y
préconisait de superposer à la détermination des objectifs stratégiques des entreprises, la
planification implicite ou explicite des systèmes d’information, afin d’y maximiser les
bénéfices de ces technologies.
Se proposant de dépasser la polémique sur le concept de planification et les divergences
d’acception du concept de systèmes d’information en tant que système informatique stricto
sensu ; et à celui de systèmes d’information en tant que système de gestion englobant les
problèmes de finalisation, d’organisation, voire d’animation lato sensu (p.13), il propose
plutôt de se positionner sur l’usage et les objectifs qu’on leur assigne. Cela peut se traduire
172
Henda (M.B.), "Les réseaux électroniques d’information en Afrique : à la recherche du maillon perdu »,
www.chez.com/benhenda/publicat/afrique.htm 173
Reix (R.), « Technologies de l’information et stratégies de partenariat », Papier de recherche, 1984.. 174
Reix (R.) Chokron (M.), « Planification des systèmes d’information et stratégie de l’entreprise », Revue
française de gestion, 1987, p.12-21.
236
par l’usage du système d’information en tant qu’instrument de support et de coordination des
processus de gestion pour produire des résultats tangibles.
Cela peut également se faire en l’utilisant comme instrument de communication. Comme
support de la connaissance détenue par les membres de l’organisation. Comme instrument de
liaison avec l’environnement. Dans ce contexte, la planification renvoie davantage à un
mécanisme d’allocation rationnelle de ressources pour le développement des systèmes
d’information en réponse à deux objectifs principaux :
- la cohérence et la juxtaposition entre le développement des systèmes d’information et la
stratégie de l’entreprise ;
- la cohérence entre les stratégies des micro-unités, des micro-projets à celle plus globale de
l’entreprise en intégrant les dimensions économique et humaine nécessaires à la réalisation de
ces projets.
Pour être pleinement efficace, une telle planification doit comporter un schéma directeur ou
liste de projets par ordre d’importance stratégique basée sur la pertinence des micro-projets de
l’organisation, ainsi qu’un plan de développement visant à échelonner les stratégies, les
structures et les investissements à développer. Pour mettre en œuvre cette planification, il
existe un panel de méthodes telles que l’approche par les processus, par les facteurs clés de
succès, par l’analyse concurrentielle, qu’il propose.
Elles peuvent être complémentaires ou se juxtaposer les unes aux autres. Bref, l’intérêt de la
mise en œuvre d’un système d’information à des fins stratégiques, ressortant des contributions
ci-avant exposées, nous allons à présent montrer comment les démarches de veille entrent en
compte dans l’accomplissement de telles performances.
237
1.3. Les démarches de veille : de l’utilité de la veille stratégique
La veille stratégique concerne différents types de veilles que peuvent entretenir les entreprises
pour tirer profit d’informations captées dans leur environnement. On peut ainsi déceler en
pratique la veille technologique, la veille commerciale, la veille juridique, la veille
économique et sociale, la veille sectorielle, etc. comme autant de formes et de procédures
d’une réalité multiforme répondant aux contextes et aux besoins stratégiques des entreprises
qui la pratiquent. À titre d’exemple, la veille technologique est « l’observation et l’analyse de
l’environnement scientifique, technique et technologique et des impacts économiques présents
et futurs, pour en déduire les menaces et les opportunités de développement » [1992,
Jakobiak].
L’adjonction de l’attribut stratégique au concept de veille est notamment là pour rappeler que
les opérations de veille ne se confinent pas à des tâches quotidiennes et répétitives, mais
davantage à des opérations de captage et de traitement des informations récoltées, susceptibles
de modifier les comportements, les objectifs stratégiques et même l’avenir des entreprises [cf.
Lesca, 1997]. Le développement de la société de l’information et le contexte économique et
concurrentiel des entreprises marqués par de nombreuses incertitudes, ne peu laisser
indifférent quant à l’utilité de ces démarches d’un point de vue stratégique.
238
Les démarches de veille rendent ainsi la ressource information plus indispensable
qu’auparavant dans la réussite des projets menés au sein des entreprises. Ce rôle stratégique
se retrouve à travers les différentes approches qui témoignent de la recherche de
l’information, grâce à une vigilance permanente de l’environnement à des fins stratégiques.
Là aussi, comme pour l’intelligence économique, on retrouve de multiples définitions, dont
on peut retenir que la veille stratégique s’apparente à « une méthode d'observation et
d'analyse de l'environnement suivie de la diffusion bien ciblée des informations sélectionnées
et traitées, utiles à la prise de décision stratégique ». Ces informations peuvent être de nature
scientifiques, techniques, réglementaires, concurrentielles ou commerciales.
1.3.1. Des acceptions consensuelles…
Pour Emmanuel-Arnaud Pateyron [1998], la veille stratégique désigne « la recherche de
l’information grâce à une vigilance constante et une surveillance permanente de
l’environnement pour des visées stratégiques. La dimension stratégique de la veille se situe
dans le triptyque « réception-interprétation-action » (p.13). Il précise d’ailleurs que ce type
de démarches correspond davantage à des organisations de grande taille, situées en
environnement complexe. Ce que souligne le triptyque « réception-interprétation-action de
ces démarches et que réitère la définition suivante d’Humbert Lesca :
« La veille stratégique est le processus informationnel volontariste par lequel l’entreprise
recherche des informations à caractère anticipatif concernant l’évolution de son
environnement socio-économique dans le but de se créer des opportunités et de réduire ses
risques liés à l’incertitude […]. C’est une expression générique qui englobe plusieurs types de
veilles spécifiques telles que la veille technologique, la veille concurrentielle, ou la veille
commerciale par exemple »175
.
175
Lesca (H.), Veille stratégique. Concepts et démarches de mise en place dans l’entreprise, 1997, p.3.
239
Par ce biais, il s’agit de mettre au service de l’entreprise et de sa stratégie un capital
d’informations et de données pouvant acquérir de la valeur au cours de son exercice
d’activité. De plus, comme mentionné ci-avant, elle est particulièrement opportune pour des
entreprises de taille importante de type multinationale, dont les activités se situent au cœur de
marchés, de secteurs ou de concurrents multiples.
1.3.2. … à l’établissement de modèles conceptuels
L’utilité des démarches de veille, de façon générale, demeure au niveau de la sécurité et de la
préservation du patrimoine des entreprises d’une part, mais également de leur pérennité. Ces
démarches leur permettent de disposer d’un potentiel informationnel alliant recherche
d’informations, interprétation et utilisation de l’information pour créer et entériner une vision
stratégique : c’est-à-dire une source d’avantages concurrentiels permettant d’être à la fois actif
et proactif. Elles nécessitent par conséquent de faire appel à des sources et à des supports
d’information diffus en fonction des pratiques, des moyens, des catégories d’entreprises et des
rapports de partenariat/coopération qui peuvent naître de ces besoins.
Dans sa réflexion, Humbert Lesca assigne deux objectifs aux informations récoltées dans ce
but : tout d’abord, un rôle d’anticipation à travers les informations précoces, se traduisant par
la suite par la mise en valeur des capacités dégagées au niveau des informations de potentiel
comme indiqué ci-après :
Les signaux d’alerte précoce de faible intensité à caractère anticipatif. Ils sont généralement
qualitatifs car ils acquièrent du sens et de la valeur après coup. Ce sont des bruits, des indices
et des pistes qu’il faut savoir interpréter au moment opportun, d’où la nécessité de mettre en
place un dispositif d’écoute de ces signaux, afin de les consolider et de les capitaliser au sein
des actes de pilotage stratégique.
240
Les informations de potentiel sont des informations qui comme l’indique leur nom
renseignent sur les capacités de mise en œuvre d’un projet à partir des informations détenues.
[Lesca, 1997, p.6].
Ces deux aspects distinguent les opérations de veille des opérations quotidiennes et répétitives
concernant le fonctionnement courant des entreprises. Ce caractère stratégique est porté par
l’auteur à travers le schéma conceptuel d’élaboration d’un dispositif de veille stratégique qui
symbolise l’articulation entre le captage de signaux et leur affectation future en informations
de potentiel. Il cumule ainsi les étapes de la recherche d’informations, jusqu’à leur
interprétation et à leur utilisation pour créer une vision de l’environnement dans lequel
l’entreprise doit se tailler une place de choix. La figure ci-après en donne une image.
241
Figure 16 : Modèle conceptuel du processus de veille stratégique. D’après Humbert Lesca,
Veille stratégique. Concepts et démarches de mise en place dans l’entreprise, 1997, p. 8.
Ce schéma conceptuel s’appuie grosso modo sur les opérations suivantes :
L’opération de sélection/ciblage en adéquation avec la cohérence des dispositifs et des
objectifs stratégiques repose sur le ciblage de l’information recherchée. Il s’agit de rendre la
veille stratégique la plus efficace possible en délimitant à la fois la partie de l’environnement
à surveiller et les attentes du moment par une traque d’informations stratégiques.
L’opération de remontée ou de diffusion, consiste à faire revenir des informations récoltées
auprès des personnes susceptibles d’en user à des fins stratégiques dans l’intérêt de
l’entreprise. Elle peut se faire par un filtrage avant redistribution des informations utiles aux
acteurs concernés.
Le traitement de l’information récoltée permet d’effectuer des opérations de mises à jour par
rapport à la réalité de l’environnement et/ou des expériences pour des bénéfices immédiats ou
à venir.
La diffusion efficace auprès des acteurs clés au niveau micro ou macro structurel.
Les informations doivent donc être capitalisées par un tri sélectif ou ciblage, entre ce qui peut
être utile et ce qui l’est moins. Cette étape est l’une des plus importantes, car c’est elle qui
conditionne l’efficacité de la veille en fonction des signaux captés dans l’environnement tant
en interne qu’en externe. Elle est donc susceptible de modifications en fonction de la réalité
de l’environnement, en fonction des éléments qui épousent les intérêts de l’entreprise. Elle
242
réclame tout particulièrement une bonne remontée des informations au niveau des acteurs
concernés.
Ce schéma est davantage une vue de l’esprit sur une manière d’appréhender l’environnement
stratégique d’une entreprise. Il montre ce que devrait comporter les principales opérations
d’une démarche de veille stratégique. Il ne s’agit là que d’une représentation. Au demeurant,
l’approche peut être plus ou moins formelle, plus ou moins complexe en fonction des moyens,
des objectifs et de la taille de l’entreprise concernée. De ce point de vue, l’approche de Jean-
Louis Levet et de Robert Paturel176
apporte une fraîcheur par rapport au modèle de Humbert
Lesca, qui peut être qualifié de modèle standard en comparaison.
Pour eux, la veille stratégique découle d’une prise de conscience, au sein des entreprises et
des « Unités d’Information » de la mise en place d’une nouvelle forme de gestion de
l’information tournée avant tout sur des notions de qualité et non plus de quantité. Elle
nécessite donc de conférer à l’information récoltée une plus-value en vue de l’élaboration de
produits stratégiques (dossiers, synthèses, rapports, etc.), dans une société croulant sous la
surenchère d’informations. Cette surabondance brouille la pertinence des informations dont
ont besoin les décideurs pour extraire l’information critique indispensable à l’action et à la
décision informées.
C’est un processus de surveillance actif de l’environnement, qui comme chez Lesca comporte
deux étapes cycliques : une surveillance de l’environnement et l’exploitation des informations
pour servir l’action. Cette surveillance est marquée en amont par la recherche d’informations
(localisation et choix des sources d’information, des outils et de l’allocation des ressources à
affecter à la cible) et la définition des axes stratégiques de surveillance qui donnent lieu à une
classification précise en fonction de l’axe à privilégier. L’information formelle ou information
blanche correspondant à des sources d’information privilégiant des bases de données comme
Internet. L’information grise engrangée lors de congrès ou de salons par exemple est orientée
176
Levet (J.-L.), Paturel (R.), « La veille stratégique. Les yeux et les oreilles de votre entreprise ? » ,
www.veille.guerreco.com/la veille_strategique.pdf
243
sur la capture des signaux de l’environnement. Enfin, l’information informelle ou information
noire est collectée par le biais de sources périphériques, dont la provenance est rarement
dévoilée.
En aval, cela se traduit par la validation des informations récoltées nécessitant la prise en
compte de leur fraîcheur, de leur exhaustivité, de leur fiabilité au vu de la pertinence des
données récoltées. Cette analyse s’appuie sur la vision et l’appui d’experts capables de
répercuter ces informations aux acteurs stratégiques de l’organisation, pour entériner des
décisions ou des actions. Cela présuppose de parvenir à retrouver cette information validée à
tout moment, notamment par la mise en place d’un dispositif de stockage et d’archivage des
données ainsi validées.
L’intérêt de la démarche de Paturel et de Levet par rapport à celle de Lesca, repose sur la
spécificité de la phase d’exploitation qui influence l’axe stratégique de recherche (cible et
enjeux). Cela permet d’effectuer un compartimentage de la veille en catégories distinctes. La
veille ponctuelle correspondant à un besoin ou à une analyse à un moment donné, le plus
souvent matérialisé par des études de marché. La veille occasionnelle concerne quant à elle
une surveillance organisée sur des thèmes-cibles. Les entreprises qui la pratiquent ont
généralement déjà acquises l’intérêt des démarches de veille.
La veille périodique est plus routinière que les précédentes, parce qu’elle sert en général à
consigner le bilan d’activités d’une entreprise à travers les rapports annuels notamment. C’est
la forme de veille la plus usitée dans les firmes de notre étude, concernant plus
particulièrement l’activité des firmes du secteur bancaire. La dernière catégorie, la veille
permanente permet de capter et de trouver les signaux épars d’information de
l’environnement, par le biais d’un dispositif d’alerte, que l’on retrouve également chez Lesca.
En dépit de ces divergences formelles, ce que l’on doit retenir des démarches de veille, c’est
qu’elles apportent une alternative stratégique à la surabondance d'informations, permettant
244
aux dirigeants d’entreprises de dégager les données dont ils ont besoin. Cette alternative
servant à extraire de l’information stratégique génératrice de décisions et d’actions sur
l’environnement socio-économique, pour ne pas être pris de court par ce que Igor Ansoff
appelle « le paradoxe de la surprise stratégique ».
Ce paradoxe intervient lorsque règnent l’improvisation et l’absence de coordination interne. Il
montre la vulnérabilité d’une entreprise face aux événements extérieurs, lorsque celle-ci
dispose paradoxalement des informations permettant d’agir son environnement stratégique,
mais n’en tire pas profit parce que ces informations sont disséminées, et surtout ne sont pas
partagées.
Mais quelque soit le modèle ou l’environnement stratégique retenu, une chose reste vitale :
ces opérations ne servent à rien sans un minimum de coordination et de coopération. Par
exemple d’un point de vue logistique, cela peut être évité par l’acquisition de logiciels, ou de
services chargés de la surveillance, de la collecte, ou du traitement et de la redistribution des
informations glanées. Mais cela passe également par l’apprentissage du travail en équipes et
du partage d’informations, éléments sur lesquels l’analyse de Paturel et de Levet se distingue
de celle de Lesca.
Somme toute, les démarches de veille, à travers le processus cyclique de surveillance actif et
d’exploitation stratégique des informations validées, s’apparentent à ce que Jean Michel177
appelle de la veille informative. C’est-à-dire :
« un dispositif organisé, intégré et finalisé de collecte, traitement, diffusion et exploitation de
l’information qui vise à rendre une entreprise, une organisation, quelle qu’elle soit, capable de
réagir, à différents termes, face à des évolutions de son environnement. Que l’on parle de
veille stratégique, de veille technologique ou de veille concurrentielle ou même encore
d’intelligence économique, le concept de base reste le même, c’est-à-dire la veille informative
177
Michel (J.), « Veille informative, veille stratégique, intelligence économique… Mais au fond, qu’est-ce que la
veille », ? Communication faite lors de la journée d’information « Outils de veille pour l’entreprise »,
www.paris.encpc.fr
245
finalisée et décisionnelle. Il s’agit d’obtenir les informations pertinentes et utiles qui
permettent une bonne réactivité face à des menaces externes ou face à des évolutions
significatives de son environnement ».
Cette évolutivité peut nécessiter des pratiques coopératives telles que des alliances, ou des
partenariats etc. Elle préfigure de façon plus large des actions d’intelligence économique et
stratégique qui s’inscrivent dans une dynamique réticulaire et pluriculturelle que nous
abordons à présent.
1.4. L’intelligence économique
Elle désigne grosso modo les pratiques collectives de gestion de l'information stratégique utile
aux acteurs économiques que ce soit au plan micro ou macro organisationnel, parce qu’elles
interviennent indifféremment dans divers secteurs d’activité. C’est l’ancêtre de l’espionnage
et du renseignement militaire, que l’actualité de la guerre économique a remis au goût du jour.
Elle met en oeuvre une organisation en réseaux, un traitement de l'information par un
processus adapté, dans le but d'alimenter la réflexion et l’action stratégiques [cf. Levet et
Paturel, 1996 ; Lesca, 1997].
1.4.1. Définitions et perspectives stratégiques
Dérivée du terme américain « Competitive intelligence », l'expression française a perdu la
connotation de « renseignement » pour aller vers celle de l'utilisation intelligente de
l'information pour encadrer la stratégie. Du moins, c’est la perspective qui ressort dans les
prémisses de son impact et de sa reconnaissance à travers le rapport Martre. En cela, elle est
héritière en premier lieu de la veille technologique, où prévaut la recherche de la maîtrise de
246
l'avantage technologique, mais aussi de l’analyse concurrentielle dont témoignent les écrits de
Michael Porter.
Ainsi, l'intelligence économique est un terme générique. Un concept qui désigne l'ensemble
des activités destinées à améliorer les performances d’une organisation, par une meilleure
connaissance de son domaine d’activités stratégiques, et des opportunités qui s'offrent à elle.
Contrairement aux activités de veille qui servent ses actions, elle apparaît plus englobante et
plus offensive dans son rapport à l'environnement. Elle se base en effet sur une application
spécifique à la stratégie globale de l'entreprise, tout en intégrant les aspects informationnels et
humains qu'elle recouvre et qui transparaissent notamment dans la définition suivante :
« L'intelligence économique est un outil de management au service de la stratégie qui permet,
par l'analyse de la problématique, de la définition des besoins, la recherche systématique, le
traitement et l'exploitation d'informations à très haute valeur ajoutée, d'alimenter la réflexion
des dirigeants, de faciliter et d'orienter la décision, de préconiser et d'accompagner la mise en
oeuvre des solutions tactiques retenues »178
.
Cette définition de l’intelligence économique témoigne du caractère protectionniste des
démarches qu’elle initie, car elles consistent à se protéger efficacement des agents extérieurs
en protégeant le patrimoine informationnel de l’entreprise, à l’aide d’une batterie de mesures
diverses. C’est « le principe de la minijupe » évoqué par Jean-Michel Yolin179
qui consiste à
en montrer assez pour attirer l’attention, mais pas trop, pour cacher ce qui doit l’être. Il faut
donc trouver le juste équilibre entre ces deux pendants, en instaurant les articulations
nécessaires entre les différentes étapes de ce dispositif.
Avec le même esprit que celui qui anime la rédaction du rapport Martre, Jean-Louis Levet et
Robert Paturel180
vont assigner quatre fonctions à l’intelligence économique : la maîtrise du
patrimoine scientifique et technologique et des savoir-faire, la détection des opportunités et
178
Henry (V.), « Élaboration d’une méthodologie et d’une plate-forme de gestion de l’information technique et
stratégique », Thèse de doctorat, Lyon 2, 2001. 179
Yolin (J.-M.), “Intelligence économique, Internet et stratégie globale de l’entreprise”,
http://www.yolin.net/inteleco.html
247
des menaces, la coordination des activités et la pratique d’influence. Ces quatre fonctions se
situent au cœur des mutations des logiques productives des entreprises qui entérinent les
dynamiques organisationnelles de sociétés fonctionnant de plus en plus sur les modes
réticulaire et pluriculturel.
La première fonction témoigne donc d'un glissement progressif et d’une modification de la
nature des activités de la firme, d’une logique exclusive de rendement techniciste à une
logique de compétences et d'apprentissages. Une fois assurée la préservation de ce patrimoine,
la détection des menaces et des opportunités, à travers l’analyse concurrentielle des forces en
présence et d’éventuelles menaces, constitue la seconde étape pour pouvoir assurer la
coordination des stratégies. L’ultime étape, celle de la mise en oeuvre de pratiques d'influence
perçoit l'influence comme un instrument à part entière de la stratégie d'entreprises, dans la
mesure où elles peuvent s’en servir pour agir sur leur environnement.
Ce que l’on peut retenir de ces différentes fonctions, c’est que l'intelligence économique se
rapporte essentiellement au système d'information externe à l'entreprise, même si certaines
sources peuvent être internes à la firme. Elle correspond à une surveillance immédiate et
prospective de l'environnement global des entreprises, dont la prise de conscience officielle en
France remonte à celle du rapport Martre, réalisé à cet effet pour sensibiliser les acteurs
économiques à l’importation et à l’exercice de telles pratiques, comme l’indique la définition
suivante :
« ensemble des actions coordonnées de recherche, de traitement et de distribution en vue de
son exploitation, de l'information utile aux acteurs économiques [...]. La notion d'intelligence
économique implique le dépassement des actions partielles désignées par les vocables de
documentation, de veille (scientifique et technologique, concurrentielle, financière, juridique
et réglementaire) [...]. Les défis ne sont jamais présentés sous l'angle de la compétition mais
180
Levet (J.-L.), Paturel (R.), « L'intégration de la démarche d’intelligence économique dans le management
stratégique ». 1Vè Conférence Internationale de Management Stratégique, Lille, les 13-14-15 mai 1996,
www.veilledulendemain.com/fichiers/com
248
traitent de la manière de passer d'une individualisation de la gestion de l'information à un
processus d'actions collectives ” [Henri Martre, CGP, 1994].
Cette acception méthodologique des finalités de l’intelligence économique est remise en
cause par le rapport Carayon181
qui reconnaissant sa valeur pionnière, lui reproche sa naïveté.
Parce que la mise en oeuvre de cette intelligence se focalise trop sur l’analyse concurrentielle
au détriment des besoins et des attentes des entreprises, Bernard Carayon préconise de réaliser
« trois mariages et un enterrement » : le mariage entre les administrations publiques, le
mariage entre le public et le privé et le mariage de l’information blanche avec celle qui l’est
un peu moins. L’enterrement étant celui des naïvetés, faisant de l'intelligence économique un
prolongement et non un substitut des méthodes de management de l'entreprise.
Bernard Carayon se propose d’aller plus loin dans la définition de ce concept, en mettant
l'accent d'une façon plus explicite sur l'action stratégique proprement dite, car elle constitue le
sens même d'une démarche d'intelligence économique. Il s'agit ainsi de passer d'une prise en
compte relativement passive à une organisation active, voire proactive de la surveillance de
l’environnement, considérant cet environnement et l'information comme des variables
stratégiques sur lesquelles l'entreprise peut agir.
L’intelligence économique peut ainsi être légitimement considérée comme une variante
particulière de la veille informative. C’est pour cette raison que Jean Michel182
considère à
juste titre, que c’est la rencontre de trois perspectives managériales : celle du management de
l’information, du management de l’organisation et du management de la compétitivité.
Bernard Carayon envisage ainsi l’intelligence économique comme « un patriotisme
économique » qui se défend d’être un vague concept ou une idéologie, mais davantage une
politique sociale cherchant à concilier objectifs opérationnels et objectifs stratégiques grâce à
des moyens organisationnels et techniques.
181
Carayon (B.), « Intelligence économique, compétitivité et cohésion sociale ». Rapport de mission disponible
sur le site http://www.bcarayon-ie.com/html/rapport/0000.pdf.
249
Cette conciliation opérant le mariage des institutions publiques avec celui du secteur privé,
doit pour cela agir sur une mise en parallèle des notions d'intelligence tactique (orientation à
court terme) et d'intelligence stratégique (prospective à long terme) ; deux activités
complémentaires dont l’efficacité repose sur l’interconnectivité des réseaux de compétences
et d’information. Cela implique de savoir mobiliser l’intelligence organisationnelle pour
assimiler et interpréter cette information, afin de l’intégrer aux processus décisionnels, donc à
l’action.
Répondant à la critique du rapport Carayon sur l’absence des finalités de l’intelligence
économique pour ses utilisateurs, Philippe Baumard183
qui a activement participé à
l’élaboration du rapport Martre admet volontiers que si le rapport Carayon fait le bon
diagnostic, sa démarche trop centrée sur la sphère politico-administrative pêche au niveau des
solutions retenues. Il fait ainsi état du nombrilisme et du tropisme politico-administratif,
révélateurs de la culture française et de l’incompréhension mutuelle entre le public et le privé
qui se manifestent dans la structuration du rapport.
Son atout indéniable consiste à poser les bases d’une culture d’intelligence économique aussi
bien chez les cadres du secteur public que ceux du secteur privé. Par contre au niveau
offensif, Philippe Baumard pense que le bilan de compétences en la matière mériterait
davantage d’être axé sur un dispositif d’intelligence reposant sur un réseau de PME/PMI, non
seulement pour minimiser les coûts, mais surtout pour instaurer des fronts communs de
recherche et de partage de l’information stratégique. Parce que ce sont elles, et non les
cénacles institutionnels, qui sont les plus exposées et les plus immédiatement concernées, ce
rapport croule sous le poids de l’institutionnel au détriment de l’opérationnel, ce qui pour lui
est un diagnostic en soi.
182
Michel (J.), « Veille informative, veille stratégique, intelligence économique… Mais au fond, qu’est-ce que la
veille », ? Communication faite à la journée d’information « Outils de veille pour l’entreprise »,
www.paris.encpc.fr 183
Baumard (P.). Entretien paru dans la Lettre sentinel n°7/2003 et sur le site
www.infosentinel.com/info/article_07_baumard.php
250
Au cours de nos investigations sur le terrain, nous avons constaté sans aucune exception chez
nos interlocuteurs que le concept d’intelligence économique, leur était totalement étranger. En
revanche, nous nous sommes très vite aperçu en discutant avec eux, et en leur apportant une
ébauche de définition, qu’ils pratiquaient des actions en ce sens principalement axées sur des
pratiques de veille commerciale et concurrentielle. La prise de conscience de l’impact de
l’intelligence économique est subordonnée à la logique productiviste et tactique sur le court
terme, en raison des problèmes de gestion de ces entreprises qui concernent plus
spécifiquement les firmes publiques.
La mise en relief des perspectives de l'intelligence économique au management stratégique
qui ressort des rapports Martre et Carayon, au-delà de leurs divergences, réside
essentiellement dans la prise en compte de la valeur d'usage d'informations participant à la
prise de décisions engageant l’action. Les entreprises établissent ainsi une relation nouvelle
avec leur environnement en tant que composante active de la stratégie. Leurs performances
résident moins dans la capacité à s'adapter aux transformations de leur environnement, mais
davantage à considérer ces changements comme variable dynamique de leur propre évolution.
Ce qui nous permet de nous pencher précisément sur des dispositifs d’intelligence.
1.4.2. L’intelligence économique : une démarche de renseignement active menant à
l’instauration de cellules d’intelligence
Pour Donald Marchand184
, il s’agit de considérer l’intelligence économique moins comme une
fonction, que comme un processus capable d’aider et de guider l’action, tout en lui permettant
de produire de la valeur au sein d’une entreprise. Cela peut se traduire par le développement
d’une culture de questionnements, d’apprentissages et d’anticipation des grands changements
qui se profilent au sein même de la structure organisationnelle. Dans ces cas-là, on assiste en
général à l’émergence d’organisations décentralisées de type aplanie pour mieux favoriser la
circulation de l’information.
184
Marchand (D.), « Quelle culture de l’information ? », L’Art du management de l’information, 1999, p.384-
390.
251
252
Mais en fin de compte, « la démarche choisie par l’entreprise en matière d’intelligence
économique dépend fortement de sa vision de la gestion des processus, de ses processus
d’organisation, de son attitude envers l’apprentissage et de ses valeurs fondamentales »
[Marchand 1999, p. 383]. Elle est intimement liée à la façon dont l'entreprise s'organise par
rapport à son environnement (stable/instable), et au crédit qu'elle porte à de telles démarches
pour son pilotage stratégique.
Comme pour les composantes de l’intelligence économique, elles se décomposent en
différentes entités en fonction des besoins, des stratégies, du domaine d’activité stratégique ou
même encore des concurrents du secteur. C’est la raison pour laquelle nous allons voir
comment l’information peut se révéler être une ressource stratégique pour les entreprises,
dans la mesure où elle acquiert une valeur économique.
C’est dans cet esprit que Maryse Salles185
s’est consacrée dans sa recherche sur l'ingénierie de
systèmes d'information pour l'aide à la décision, à développer une méthode de conception de
systèmes d’information pour aider à la prise de décisions. Elle assimile à cet effet le système
d'information à un moyen de gestion de la connaissance de l'entreprise, principalement axé
sur la gestion de l'information environnementale (intelligence économique).
Sur cette base, toute l’originalité de la démarche de recherche consiste à développer un
système de gestion ayant pour point de départ le besoin des clients (implicite et explicite) à
deux niveaux différents : celui de l'entreprise dans sa globalité (niveau du système), puis celui
d'un décideur particulier (niveau du produit). À partir de là, l’auteur aboutit à la proposition
d’une méthode de conception de systèmes d'intelligence économique, reposant sur les deux
niveaux précédents : le premier correspondant à un niveau stratégique de schéma directeur du
système d'intelligence économique dans sa globalité. Et le second s’en tenant à la conduite
spécifique d'un projet en particulier (par exemple la réalisation d'un produit).
253
Ainsi, la méthode du schéma directeur propose un cycle d'abstractions, construit autour de ces
deux niveaux, et bâti sur l’analyse de l’environnement. À partir de la cartographie des sources
existantes et potentielles d’informations, et d'autre part du diagnostic de l'adéquation des
connaissances actuelles de l'entreprise sur son environnement par rapport à sa position et à sa
stratégie, l’auteur va intégrer le système d'intelligence économique dans le système
d'information global de l'entreprise. À sa manière, Bruno Vanasse186
a lui aussi aidé à la
matérialité d’un système d’intelligence économique, en préconisant des conseils utiles à la
mise en oeuvre d’une telle cellule. Ces conseils sont les suivants :
1. L'Intelligence économique requiert le leadership des dirigeants.
L'implantation d'une cellule d'intelligence économique, pour avoir un impact réel sur la
compétitivité de l'entreprise, demande le soutien du dirigeant de l'organisation. Celui-ci, en
soulignant son importance et en allouant les ressources nécessaires, envoie un signal clair et
fort sur la valeur économique et concurrentielle de l’information, en tant qu’élément vital à la
survie et à la prospérité de l'entreprise.
2. Il faut choisir un spécialiste et former une équipe solide.
Cela implique de sélectionner un individu talentueux, crédible et enthousiaste pour être le
maître d'œuvre de ce système. Selon le secteur d'activité, ce dernier peut-être un généraliste
ou un spécialiste. Il est souvent préférable de choisir un employé en interne, mais s'il n'existe
aucun candidat adéquat, on peut faire appel à quelqu’un d’extérieur. La constitution idéale
d’une telle équipe inclurait la combinaison de spécialistes dans le secteur d'activité et de
professionnels de l'information pour exploiter les sources d'informations. Enfin, un
professionnel des technologies de l'information et de la communication ne serait pas de trop
pour gérer les applications réseaux.
3. Identifier les besoins en intelligence économique.
185
Salles (M.), "Méthode de conception de systèmes d'intelligence économique », Thèse de doctorat en
informatique-automatique, Lyon 3, 1999.
254
Il faut avant tout définir ce que l’on attend de cette cellule, pour diriger tout le processus.
Identifier les usagers/décideurs, le type et l'étendue du renseignement requis. Le « QUI,
QUOI, QUAND, OÙ, POURQUOI et COMMENT » doivent être les maîtres-mots.
4. Effectuer un audit de renseignement.
Ceci permettra d'effectuer la cartographie des sources d'informations et de renseignements, à
l'intérieur et à l'extérieur de l’organisation. Les réseaux de contacts, le savoir-faire et
l'expertise doivent être enregistrés dans une banque de données afin de planifier la cueillette
de renseignements de façon idéale.
5. Impliquer et motiver les collaborateurs.
En fonction du contexte d’action dans lequel elles se situent, la création d’une cellule
d'intelligence économique est peu ou prou nécessaire à la stratégie d'entreprise. Mais elle ne
peut y parvenir qu’en réussissant à faire participer toute l’organisation. C'est une tâche à
laquelle le spécialiste désigné et son équipe doivent accorder beaucoup d'attention. Ceux-ci
doivent animer, coordonner et supporter la recherche, le partage d'informations et du savoir
pour capitaliser sur l’investissement informationnel consenti. Par exemple, en instaurant des
systèmes de récompenses, en organisant des séminaires de sensibilisation ou de formation
spécialisée en intelligence économique, etc.
6. « L'information est brute; le renseignement est raffiné ».
Le renseignement est l'information traitée. La mission n'est pas d'accumuler des archives ou
de bâtir une bibliothèque, mais de trouver les informations pertinentes, afin d’avoir du
renseignement utile qui peut guider le processus décisionnel.
7. Le renseignement est une ressource partagée
Une fois traitée, l’information doit être diffusée à la bonne personne, dans le bon format et au
bon moment. Plus que l'information encore, le renseignement, c'est le pouvoir. Il est donc
normal que les gens veuillent le conserver. Il est alors important d'instaurer une culture et des
systèmes qui permettront au personnel d'obtenir plus de pouvoir en partageant les
186
Vanasse (B.), “10 conseils pour établir une cellule d’intelligence économique », www.humansource.com
255
informations qu’ils détiennent, plutôt que de les garder secrets. Par exemple, l’intranet est un
vecteur idéal.
8. L'approche comptable: un piège à éviter.
Il est important d'évaluer la performance de la cellule d'intelligence économique et son réseau,
pour pouvoir les améliorer et les rendre plus pertinents. Il est cependant impossible d'évaluer
le retour sur investissement de la fonction d'intelligence économique. C’est davantage une
démarche qualitative que quantifiable ou comptable qui devient fructueuse à long terme.
9. Avoir un esprit d’ouverture.
Laisser librement travailler la cellule d'intelligence économique. C’est une unité dont la
maturité se révèle à plus ou moins long terme.
10. Dernier mais non le moindre: sécurité et éthique.
Il faut être vigilant aux actions des concurrents, afin d’éviter des fuites. Une bonne politique
de sécurité peut aider à éviter cette situation par l’instauration d’un code d'éthique pour guider
les activités du personnel dans ce cadre précis.
Ce passage de l’information au premier-plan est tributaire du passage de l’économie
matérielle à l’économie du savoir. Elle se manifeste notamment dans la capacité à savoir
distiller, distribuer ou retenir des informations au regard du contexte d’action, mais également
de l’importance de l’organisation. Cette intelligence s’intègre donc tout naturellement par
l’interconnectivité des réseaux auxquels elle recourt au concept d’intelligence stratégique.
1.5. L’intelligence stratégique
De plus en plus aujourd'hui, la maîtrise de l'information conditionne et détermine la prise de
décisions stratégiques des entreprises engagées dans des secteurs d’activité hautement
concurrentiels. Pour être novateur, compétitif et adaptatif, il faut disposer de moyens
d'information efficaces et savoir faire tourner ses « stocks d'intelligence ». Irriguée et vivifiée
par l'écoute de son environnement, l'entreprise est alors capable d'anticiper, de réagir et de
saisir les opportunités de développement qui se présentent à elle. Qu'il s'agisse de développer
un produit nouveau, de moderniser l'outil de production ou d'accéder à un marché étranger,
l'information est devenue un passage obligé. Pour prendre les bonnes décisions stratégiques et
256
saisir les opportunités qui se présentent, il faut connaître le plus tôt possible tous les
événements susceptibles d'influer l'activité de l'entreprise [cf. www.innovation128.com].
L’intelligence stratégique -variante de l’intelligence économique- est à l’intelligence
économique, ce qu’est la veille informative pour les démarches de veille. Elle permet aux
entreprises d’avoir une meilleure connaissance et une meilleure compréhension de leur
environnement. Dans un sens large, elle vise même à contrôler ce dernier pour qu’elles ne
soient pas vulnérables face à des changements imprévus. En plus des démarches de veille et
d’intelligence économique, l’intelligence stratégique associe des actions -de nature
précisément stratégique- davantage axées sur les aspects techniques de la mobilisation de
l’intelligence collective qui, par d’autres voies visent les mêmes buts187
.
Au-delà de toutes considérations idéologiques, « le besoin de pratiquer un minimum
d’intelligence stratégique est un pré-requis pour permettre à l’entreprise d’affiner ses
stratégies en connaissance de cause. En fait, en tant que partie intégrante de la démarche
stratégique, c’est une obligation permanente pour tout chef d’entreprise moderne. On
pourrait dire que c’est la nouvelle façon de nommer l’étude de l’environnement pour y
déceler les menaces et les opportunités » [cf. Éthique et intelligence stratégique].
Si l’intelligence stratégique est un mal nécessaire, le danger d’un recours excessif à ce type de
management peut entraîner des dérives dont il appartient au dirigeant d’entreprise d’assumer
les contre-coups. Ainsi, face à certaines situations nouvelles créées par des actions adverses
elles aussi d’un type nouveau, le chef d’entreprise peut être amené à s’interroger à la fois sur
les limites et les opportunités d’un tel management. À ce titre, les recommandations de
Véronique Henry188
nous éclairent sur les perspectives de l’usage de la ressource information
à des fins stratégiques.
1.5.1. Problèmes et défis à relever
Tout comme pour l’intelligence économique, des difficultés existent pour établir des actions
d’intelligence stratégique. On y trouve également des problèmes d’ordre organisationnel
relevant à la fois de la gestion de processus tant informationnels qu’humains, liés aussi bien à
la nature même de l'information, à la mobilisation des individus, qu’à l'organisation mise en
187
Éthique et intelligence stratégique, http://strategique.free.fr
257
place. Ainsi, plus l'organisation de l'entreprise est traditionnelle (de type hiérarchique et
fortement centralisé), plus la vie d'un réseau d'intelligence technique et stratégique est
compromise. À l’inverse, une organisation de type organique, est plus apte à instaurer ce type
de management, même si, cela n’est pas systématique.
En fait, cela ressort davantage de l’interconnexion et de la coordination des processus
humains et organisationnels, que de l’adoption de tel ou tel type de management. Ces
problèmes peuvent être résolus si l’on procède aux ajustements nécessaires suivant la
structure de l'organisation, les motivations des individus et les moyens à disposition. Au cœur
de ces réajustements se trouvent l'équilibre de la vie du réseau d'intelligence stratégique, qui
tient en fait à une alchimie entre la personnalité de l'animateur-coordinateur, le degré
d'implication de la direction, et l'adoption de certains outils et méthodes de travail.
L'information diffusée doit ainsi cibler le plus précisément possible les centres d'intérêt des
personnes concernées (en l’occurrence les décideurs), en se demandant ce qu'ils vont faire de
l'information fournie, pour mieux évaluer leurs attentes. Ce qui n'est pas une chose facile au
demeurant, car mesurer l'efficacité de l'intelligence stratégique ne peut s’avérer « rentable »
qu’à long terme. Certes, il existe un certain nombre d'indicateurs quantitatifs (nombre de
clients, de produits diffusés, coût de l'information, etc.) qui peuvent servir de support
d'évaluation, mais l'analyse qualitative s'avère bien plus intéressante. Il peut s'agir par
exemple d’enquêtes de satisfaction après un délai choisi, afin de permettre non seulement
d'évaluer le travail réalisé. Mais aussi de continuer à motiver les personnes qui en ont la
charge.
1.5.2. Mettre en perspective information et connaissance
Pour que le système d’intelligence stratégique opère avec le moins de dysfonctionnements
possibles, Véronique Henry [2001] aboutit dans sa recherche à l’élaboration d’un prototype
permettant de mettre en perspective l'information externe et l'information et les connaissances
internes, dans une volonté affichée d’agir de façon concrète sur l’environnement. Pour cela, le
moyen le plus tangible reste pour l’auteur de parvenir à faire adhérer les membres de
188
Henry (V.), « Elaboration d'une méthodologie et d'une plate-forme de gestion de l'information technique et
stratégique », Thèse de doctorat, Septembre 2001. sous la direction du Professeur Richard Bouché et de Diane
Boucher, Septembre 2001.
258
l’organisation à ce projet, en faisant converger réseaux humains et réseaux technico-
structurels ; réseaux informels et formels. Elle propose ainsi un prototype, une plate-forme
stratégique « idéale », configurée à partir des besoins réels de ses utilisateurs, dont le schéma
ci-après montre le mouvement d’ensemble.
Figure 17 : La plate-forme stratégique. D’après Véronique Henry, « Élaboration d'une
méthodologie et d'une plate-forme de gestion de l'information technique et stratégique »,
2001.
La plate-forme proposée a donc pour objectif d'établir une interface entre les différentes
phases du processus d’intelligence stratégique, grâce à des outils et à des fonctionnalités
accessibles ici par le biais d’un portail web. Pour en arriver là, l’auteur détaille sur la figure
suivante les étapes qui y mènent.
259
Figure 18 : Les étapes de la mise en place d’une plate-forme d’intelligence stratégique.
D’après Véronique Henry, op.cit., 2001,
Au niveau de la structuration de ce schéma, on voit nettement se dégager au niveau des étapes
1 et 2, l’analyse de l’environnement et la détermination des objectifs à atteindre, à l’aide de
plans d’actions stratégiques. Puis, les étapes 3 à 6 symbolisent la mise en œuvre de cette
plate-forme, qu’il appartiendra par la suite aux acteurs de pérenniser l’existence dans les
organisation, en fonction de leur contexte d’action. Voici de façon succincte, comment
l’auteur dégage la substance de ces étapes :
La première étape concerne la définition des objectifs :
pourquoi et pour qui réaliser ce travail ?
quelle stratégie adopter : quelles méthodes et personnes impliquer ?
quelles évolutions du système faut-il prévoir ? En effet il doit pouvoir être modifié facilement
et s'enrichir de nouvelles fonctionnalités.
260
La seconde étape, l’analyse de l'existant se réfère aux outils déjà disponibles ou en cours de
réalisation qui pourraient servir.
L’identification des besoins et des attentes, par le biais de l'enquête et de l'audit, se base
notamment sur de nombreuses discussions informelles avec les personnes impliquées.
Il s’agit ici de tester et de valider le choix des sources et des outils.
Tout au long de la conception, on procède à des ajustements et à des adaptations, pour
vérifier régulièrement que ce qui est fait correspond bien aux objectifs.
La phase d'implantation devra faire l'objet d'un suivi particulier, entre la détermination des
besoins, le plan d’actions stratégiques et l’édification de la plate-forme stratégique en elle-
même.
Pour l’auteur, cette plate-forme permet de fournir une méthodologie servant de support à un
processus permettant de faire converger objectifs, méthodes et système stratégique. Pour gérer
au mieux cette plate-forme, la méthode choisie et le système utilisé doivent nécessairement
être adaptés pour correspondre aux objectifs spécifiques de chaque organisation. Plus qu'un
système de gestion de l'information stratégique, il s'agit de s'intéresser à la gestion des réseaux
humains, techniques et structurels pour l'information stratégique des entreprises. Parce que ce
qui est important ce n'est pas de connaître l'information en soi, mais de maîtriser les moyens
de se la procurer, de la faire circuler et de la valider.
Dans ce contexte, il apparaît que la gestion linéaire de l'information, vue comme un ensemble
de données indépendantes, ne permet pas d'assister directement la prise de décisions
stratégiques. C’est tout l’intérêt de cette plate-forme que d’envisager une interface et un outil
261
d’aide à la décision. Car, comme l’a dit Philippe Baumard, il faut : « savoir pour prévoir afin
de pouvoir ».
On peut dès lors considérer que les systèmes d'intelligence stratégique offrent une dimension
supplémentaire, en ce sens qu'ils intègrent des modèles d’analyse de l’environnement
permettant d'affecter le futur. Au delà de l'information et du diagnostic de situation, ils
incluent des fonctionnalités telles que l'explication de l'état de l'environnement, en permettant
d'anticiper sur les effets d'éventuels changements sur l'organisation. Par ce moyen, il s'agit en
fait d'assister « le prévoir ».
Section II : Management stratégique de l’information et performances
d’entreprise
À travers le management stratégique des systèmes d’information, c’est l’information comme
marché à part entière qui est mis au goût du jour [cf. l’article de Georges Henault, Renald
Lafond et Martha Mélesse189
, Ainsi, de façon implicite ou explicite, les systèmes
d’information, à l’image de la stratégie des entreprises doivent être articulés aux orientations
stratégiques pour manifester leur pertinence [cf. Chokron et Reix, 1987 ; Reix, 2003].
2.1. L’information, une ressource stratégique pour les entreprises
À une vitesse spectaculaire, un certain nombre d'évolutions commencent à modifier la
manière de considérer, de gérer et d'utiliser l'information comme un outil stratégique. Cette
tendance offre d'immenses possibilités pour modifier la façon dont l'information imprègne la
vie des entreprises au niveau de leurs activités, et de la détermination de stratégies, comme
189
Henault (G.), Lafond (R.), Mélesse (M.), « L’accès à l’information utile »; La création d’entreprise en
Afrique : l’accès à l’information utile, www.refer.mg/textinte/cre_entr/chap7.htm.
262
nous en avons perçu les manifestations concernant les développements d’une société acquise
au management des savoirs.
Cette approche nouvelle, par la dynamique et les processus qu’elle met en œuvre, a au moins
le mérite de réconcilier concepteurs et utilisateurs de l'information [cf. Anthony Hopwood,
« S’informer pour s’ouvrir », www.lesechos.fr], par le fait que le projet d’entreprise tire sa
validité de la mise en commun et de la capitalisation de l’ensemble des actifs stratégiques. Si
l'information était autrefois l'apanage du comptable ou du spécialiste des technologies de
l'information et de la communication, la réalité des entreprises engagées dans un tel
processus, est au contraire de favoriser sa diffusion de façon beaucoup plus large, et
interactive.
Cette dynamique nouvelle introduit de profonds changements, permettant aux entreprises
d'aller de l'avant, en faisant apparaître l’information comme une ressource stratégique. Cette
intégration de la ressource information aux actes de pilotage stratégique implique une
triangulation entre l'information, les stratégies et les actions qu’elles engendrent. Au cœur de
cette dynamique, les nouvelles technologies jouent un rôle majeur, même si elles ne font que
fournir un potentiel, qui doit être reconnu et exploité, sans pour autant négliger l’importance
du capital humain.
2.1.1. Les tendances émergentes
L'information introduit ainsi une dynamique de changements considérables permettant entre
autres effets d’optimiser l’élaboration de stratégies. Pour marquer cette révolution, Jean-
Claude Tarondeau dans Le management des savoirs [1998] a établi le constat suivant : « La
conception dominante de la stratégie concerne l’acquisition et la maîtrise de ressources et
compétences permettant à la firme de se différencier de ses concurrents, de déployer ses
activités, d’innover ou de disposer d’une flexibilité suffisante pour s’adapter aux évolutions
de l’environnement ou aux stratégies des concurrents » (p.103).
263
Désormais les entreprises ne s’attendent plus seulement à ce que leur environnement leur
dicte les règles du jeu : ce sont elles maintenant qui prennent des initiatives par des offensives
destinées à déstabiliser les concurrents. [cf. George Day et David Reibstein, « Anticiper sur la
concurrence », L’Art du management de l’information 1999, p.678-681]. En un mot, il s’agit
pour elles, dans un tel contexte concurrentiel de s’adapter ou de construire leur espace
stratégique et vital [cf. Frédéric Fréry et Hervé Laroche, « Stratégie : s’adapter ou
construire ! », L’Art du management de l’information 1999, p.682-685].
Ce nouvel environnement dominé par l’usage stratégique de la ressource information s'attache
davantage à transformer l'avenir sectoriel et concurrentiel en rendant les protagonistes/acteurs
responsables de la survie de leur entreprise. Dans ce contexte, l'information est nécessaire
pour agir sur le monde, donc sur ses environnements, par le biais de pratiques d’intelligence
notamment. C’est cette nouvelle dynamique axée sur l'action et vouée à la culture de
l'information qui fait qu’à présent, l'information, la stratégie et l'action vont de pairs (cf. le
concept de culture informationnelle de Donald Marchand).
La question de base sera de moins en moins « Comment positionner ma société et gagner un
avantage concurrentiel dans un type de jeu et d’environnement connus par avance (la
structure d'un secteur d'activités par exemple) », et deviendra de plus en plus « Comment
deviner le profil de la structure changeante d'un secteur d'activités et, de ce fait, les règles de
participation dans un nouveau jeu qui lui aussi évolue » ? [Tarondeau, 1998]. En effet, les
secteurs d'activité présentent un tel hétéromorphisme du fait de l’entrecroisement des savoirs
à la base du domaine d’activités stratégique, que désormais les règles ne s'écrivent qu'au
moment où les entreprises et leurs dirigeants testent et adaptent leurs approches de la
concurrence.
Ce qui fait la valeur de l’information dans un tel environnement, c’est d’être utilisée et
échangée au moment opportun. Par conséquent, la constitution de réseaux n’est pas du tout
superflue dans ce monde soumis à la loi de la domination des échanges économiques et
264
culturels et du décloisonnement des marchés nationaux, rendue possible grâce aux progrès des
TIC. Ce que George Yip190
faisait remarquer en admettant que la société du savoir engendrait
un processus de transformations encourageant la standardisation des besoins et la
globalisation des marchés. Ce redéploiement repose pour lui sur les quatre clés suivantes :
- L’uniformisation du marché que traduit la formule : « Penser local, agir global » ;
- Les coûts dus aux économies d’échelle issues des innovations-produits ;
-Les politiques décidées au niveau des États en faveur du libre-échange et de
l’uniformisation de la réglementation en matière de commerce ;
- La mondialisation de la concurrence intensifiée par les TIC qui permettent d’aller chercher
la matière première et de conquérir les marchés au-delà des frontières nationales.
2.1.2. Un dispositif essentiel au pilotage des entreprises
La résonance prise par l’intégration stratégique de la ressource information aux actes de
pilotage stratégique est le fait d’une rupture paradigmatique. C’est celle d’une transition
fondamentale de notre société que l’ensemble des contributions sur la question analyse
comme le passage d’une société industrielle à une société de l’information. Au passage, elle a
détruit la règle des trois unités de temps, de lieu et d’action, pour adopter un registre plus
actuel et conforme aux réalités du terrain et aux conditions du marché [Drucker 1993-2000,
Tarondeau 1998, 1999].
190
Yip (G.), « Global Strategy In a World of Nations”, Sloan management review; 1989, p.29-41.
265
266
Dans ce dispositif, la circulation aisée de l’information nécessite un traitement optimal, et par
conséquent un usage plus judicieux [cf. Lesca, 1989, Information et adaptation de
l’entreprise]. À travers le concept de design organisationnel, Frantz Rowe191
fait état d’une
réflexion en ce sens, touchant à la productivité des systèmes d’information des organisations
en termes de diffusion et de circulation de l’information. Il y mentionne d’ailleurs le concept
d’« idéologie démocratique du pouvoir » pour qualifier une situation où les systèmes
d’information permettent de capitaliser les processus d’apprentissage organisationnel, tout en
laissant aux individus le choix de développer des connaissances nouvelles, ou de les
approfondir dans la perspective d’actions stratégiques présentes ou à venir.
Cette théorie intègre l’homme utilisateur, interface et traducteur de l’information qu’il utilise.
Le « design organisationnel », vise ainsi « une économie de la circulation de l’information
dans l’organisation […] à partir des choix de traitement des unités de production
(standardisation par exemple), d’organisation, de contrôle et de répartition des tâches »
[Rowe 1997, p.25], tout cela en adéquation avec les environnements interne et externe des
entreprises. Il s’agit donc d’une approche contingente fondée sur le triptyque
information/stratégie/environnement qui s’organise à l’aide des capacités de traitement, de
coût et de circulation efficaces de l’information, dont les acteurs sont sensés tirer le meilleur
profit dans le cadre de leur activité.
Selon ce concept, issu du modèle de Galbraith [1977] et de la Théorie de l’agir
communicationnel de Jurgen Habermas [1987], l’accent est mis sur les choix organisationnels
qui s’alignent sur les coûts et la vitesse de réception/diffusion de l’information d’une part.
D’autre part, ces choix s’appuient sur des codes communs et, sur le sens accordé à une
information donnée par des individus pour qu’elle détermine une action (stratégique) par
ailleurs. Ce qui signifie que le caractère stratégique d’une information est corrélé pour Frantz
Rowe à la façon dont elle sera traitée. Mais par la suite, c’est finalement le sort qui lui sera
fait par les individus qui révèlera son importance.
191
Rowe (F.), « Productivité de l’information et design organisationnel, accessibilité aux données et agir
communicationnel », L’Entreprise et l’outil informationnel, 1997, p.23-39.
267
Pour valoriser le design organisationnel, les processus et les flux d’information doivent donc
être capitalisés au niveau des systèmes d’information, car comme eux, ils s’appuient sur des
codes qui correspondent à ce que Jean-Louis Paucelle appelle « un langage de communication
de l’organisation construit consciemment pour représenter de manière fiable et objective,
rapidement et économiquement, certains aspects de son activité passée ou à venir […]. Les
mécanismes de représentation propres à ce type de langage prennent leur efficacité dans la
répétitivité des actes des organisations »192
.
Ce qui fait que la productivité de l’information est ici liée à son accessibilité, à sa diffusion et
à sa réutilisation au sein de l’organisation dans un premier temps. Puis, intervient l’autre
source de productivité qu’il ne faut pas manquer de prendre en compte : le jeu des acteurs.
Celui-ci, à la base du redéploiement ciblé de l’information est la garantie manifeste des
processus d’intercompréhension nécessaires à l’action collective pour résoudre non seulement
des problèmes internes, mais aussi pour faire face aux exigences d’un environnement de plus
en plus complexe. Dans cette perspective, l’accès à l’information utile aux acteurs
économique est à la source de potentiels bénéfices à réaliser par les entreprises.
Comme nous l’avons fait remarquer plus haut, les démarches de veille et d’intelligence
économique induites par cette mise en valeur et cette recherche de gains de productivité,
permettent grâce à ce mode de gestion de l’information de s’assurer une « valeur d’options
stratégiques » pour reprendre l’expression de Robert Reix. La mise en valeur de la ressource
information à travers les systèmes d’information stratégique (S.I.S.), constituant la seconde
étape de ce processus. Il s’agit donc à partir de l’acception et des contours dont on charge le
concept de systèmes d’information d’établir des dispositifs de collecte, de capitalisation et de
restitution d’informations à caractère stratégique, dont l’enjeu théorique est d’apporter des
gains de productivité.
192
Paucelle (J.-L.), Les systèmes d’information : la représentation, 1981, p.24-25.
268
2.2. Le paradoxe de la productivité de l’information : paradigmes et perspectives
Si l’information peut être valorisée dans les entreprises par le biais des systèmes
d’information et de son management stratégique, il reste que cette valorisation, sans vouloir
porter une antithèse stérile, n’a de chance de s’effectuer que sous certaines conditions. Ainsi,
allons nous à présent voir sur la base des analyses traitant du paradoxe de la productivité de
l’information, montrer pourquoi et comment cet apport systématique de gains de productivité
peut être remis en cause.
2.2.1. La problématique du paradoxe
La surabondance d’informations ainsi que les progrès technologiques ont accru la capacité de
traitement des données transactionnelles dans les entreprises, sans pour autant que cette
surenchère ne s’accommode dans les mêmes proportions de la capacité d’attention nécessaire
au décryptage de ces informations. Ce constat effectué par Thomas Davenport193
, et dont
témoignent plus généralement les travaux sur l’économie de l’attention, a le mérite de resituer
le débat moins sur l’investissement technologique, que sur la pertinence des informations
récoltées.
Si la technologie est utile au stade intermédiaire du cycle de vie de l'information (captage,
stockage, et diffusion), elle ne l'est pas réellement à celui de l'exploitation. La puissance de la
technologie est telle que l'émergence de la nouvelle économie a favorisé le déterminisme
causal entre investissements massifs en TIC et l’apport de gains de productivité. Par analogie
avec la définition du concept de système d’information, de Christine Monnoyer-Longé
[1997], la technologie est une réalité multiforme. Une interface hommes/machines [cf.
Monnoyer-Longé 1997].
Autrement dit, la maîtrise de la gestion de l'information est avant tout une tâche humaine qui
est dans le contexte de l’économie de l’information, appuyée par des systèmes interactifs
193
Davenport (T.), “Privilégier l’information sur la technologie », www.lesechos.fr
269
d’aide à la décision (S.I.A.D.). Il ne faut pas sombrer dans une euphorie réductrice faisant de
l’acquisition de technologies, un argument infaillible, permettant d’assurer de façon mécaniste
des gains de productivité dans une organisation. Cela ne doit pas pour autant masquer les
dérives dont nous sommes les spectateurs quotidiens : manipulation médiatique, lobbying des
professionnels du secteur, disparités entre « inforiches » et « infopauvres », etc. qui sont
autant de sources de disparités contribuant à la mauvaise valorisation de l’information, ou en
tout cas à un traitement inapproprié.
L’investigation du paradoxe de la productivité de l’information, telle qu’il ressort des
différentes contributions que nous exposerons, rend compte de la difficulté d’établir de façon
systématique une corrélation positive entre investissement technologique et gains de
productivité. La formulation de ce paradoxe tient à un constat effectué par Robert Solow, qui
s’interrogeant sur le rapport entre les innovations et la croissance économique (gains de
productivité), faisait remarquer que l’utilisation intensive d’ordinateurs ne se traduit pas dans
les faits par une hausse de la productivité.
2.2.2. Les perspectives paradigmatiques
Amené à rechercher les raisons de ce paradoxe, Solow va établir ce constat : « l’informatique
se voit partout sauf dans les statistiques ». Il en arrive à la conclusion que les effets de ce
paradoxe tiennent à ce qu’il appelle « l’endogénéité du progrès technique ». Cette formule
savante rend compte du décalage de temps nécessaire entre l’acquisition d’une technologie et
son usage optimal. De fait, la présence d’un ordinateur ne suffit pas à améliorer la
productivité d’une organisation. Il faut aussi des connaissances obtenues grâce à une
formation adéquate. Des logiciels adaptés aux besoins des utilisateurs, et si nécessaire
repenser l’organisation de l’entreprise, en associant l’usage des TIC à l’organisation de la
production.
270
C’est la même position qu’adopte Sylvain Allemand194
quand il montre qu’à l’évidence les
analystes avaient tout bonnement négligé un fait : la présence d’un ordinateur dans un atelier
de production ne permet pas d’améliorer la productivité. Elle peut même produire l’effet
inverse en occasionnant des pannes et des dépenses supplémentaires de maintenance. Pour
qu’elle produise pleinement de l’effet, il faut que les employés se l’approprie et que les
entreprises repensent l’organisation en conséquence. Ce sont ces raisons qui ont motivées
Alain Rallet [1997] à s’interroger sur la dynamique réelle des TIC à susciter des gains de
productivité dans les entreprises, comme en témoigne le passage suivant :
« Quelle que soit l’explication retenue, le paradoxe de la productivité nous semble désigner
un réel problème : le recours aux technologies de l’information et de la communication
prennent une place prépondérante sans que leur impact sur les performances des firmes soit
facilement lisible » [Alain Rallet, 1997, p.95].
194
Allemand (S.), « La nouvelle économie », Sciences humaines n°112, 2001, p.42-43.
271
L’approche d’Andrew Sharpe195
, tout comme celle de Wanda Orlikowski196
, mettent
également en évidence ce paradoxe de la productivité de l’information, par le fait que des
structures organisationnelles inadéquates empêchent d'utiliser efficacement les TIC. Cette
explication, même si elle n'est pas dénuée de fondements, n'est pas suffisante pour expliquer
entièrement le paradoxe de la productivité. C’est pourquoi ces deux auteurs vont examiner de
façon plus approfondie la relation entre les structures organisationnelles, les TIC et la
productivité, à partir des obstacles organisationnels qui nuisent à leur utilisation efficace, et en
préconisant des mesures pour abolir ces obstacles.
De ces deux contributions, nous avons préféré privilégier l’analyse de Wanda Orlikowski,
parce qu’elle est moins parcimonieuse que celle d’Andrew Sharpe. Celle-ci part du constat
que l’un des facteurs primordiaux d'efficacité pour éviter ce paradoxe, réside dans la
manière dont on se sert de ces technologies. Pour elle, une partie du problème tient peut-
être précisément à ce que l'on se repose exclusivement sur ces technologies pour amener de la
productivité, et très rapidement une certaine rentabilité. L’autre aspect du problème tient au
fait que l’on s’attarde moins aux retombées de l'utilisation des TIC. En d'autres termes, les
TIC ne peuvent pas, en elles-mêmes, accroître ou baisser la productivité : seule leur utilisation
le peut.
Sur la base d’une étude réalisée au sein de diverses entreprises en Europe et aux États-Unis,
l’auteur va étudier l'adoption, puis l'utilisation d'une technologie pionnière : Lotus Notes, un
logiciel de travail en groupe conçu pour faciliter la collaboration entre les individus. Ce
logiciel suscita un intérêt d’autant plus considérable, qu’il permettait de libérer les acteurs des
contraintes temporelles, d'espace et de domaine de compétences, par le partage des
connaissances. Dans les entreprises qui ont opté pour ce choix, c’était l’argument imparable
de la direction pour faciliter son implantation.
195
Sharpe (A.), “Organizational Structure, Information Technology and Productivity: Can Organizational
Change Resolve the Productivity Paradox?”, http://www.hrdc-drhc.gc.ca/sp-ps/arb-
dgra/publications/research/1999docs/abr-98-6f.shtml. 196
Orlikowski (W. J.), “L’utilisation donne sa valeur à la technologie »,
www.lesechos.fr/formations/manag_info/articles/article_8_5.htm.
272
Lotus Notes devait à terme transformer le lieu, le mode et le temps de travail. Or sur le terrain,
à quelques exceptions près, ces entreprises ont rarement réussi à faire de ce projet une réalité,
malgré sa pertinence et le degré de maturité avéré de la technologie proposée. L’échec ne
tenait pas davantage à des erreurs de mise en œuvre, mais au fait que la direction avait négligé
un détail : la manière dont les bénéficiaires/utilisateurs allaient s'en servir au quotidien.
Omettre cette interface, c'est admettre les suppositions suivantes :
Si le personnel dispose de la technologie, il l'utilisera forcément.
Il l'utilisera dans le sens où elle a été conçue.
Cette utilisation produira automatiquement les résultats attendus.
il ne suffit pas toujours de dénicher les bons outils, d'implanter des interfaces plus conviviales
et d'améliorer la formation et le soutien du personnel, pour que l'utilisation (telle qu'elle est
prévue) débouche sur les résultats attendus. Par analogie avec les théories de Chris Argyris et
de Donald Schon, dans le domaine de l'apprentissage organisationnel, qui distinguent les «
théories d'adhésion », ce que nous disons sur notre manière d'agir ; et les « théories d'usage »,
ce que nos actes révèlent sur notre manière d'agir, Wanda Orlikowski va bâtir une approche
intéressante sur l’acquisition d’une technologie, et la structure de l’organisation où elle doit
être implantée.
Or, l’un des aspects fondamentaux de l'apprentissage consiste à reconnaître l'existence de
cette divergence et à agir en conséquence. Partant de là, Wanda Orlikowski établit le même
décalage entre les « technologies d'adhésion » (celles que nous achetons et que nous
installons dans nos bureaux, ou nos maisons) et les «technologies d'usage» (celles que nous
utilisons effectivement).
Les technologies d'adhésion, désignent ainsi « des modules intégrés de matériels et de
logiciels qui comportent un ensemble de caractéristiques prédéfinies ». Les technologies
d'usage correspondent quant à elles « aux caractéristiques spécifiques auxquelles nous faisons
273
appel d'une manière particulière, en fonction de nos compétences, de nos activités, de notre
attention et de nos objectifs ».
Ainsi, l'une des entreprises sur lesquelles l’auteur a enquêté était une agence internationale de
conseil désireuse de faciliter le partage du savoir entre ses consultants. Les responsables qui
achetèrent le logiciel Lotus Notes qui devait permettre d’atteindre cet objectif s’étaient
uniquement focalisés sur la sophistication technique d’une «application révolutionnaire»
capable de modifier radicalement l'approche de l'ordinateur. Cependant, en dépit des efforts
consacrés pour intégrer Notes dans l'infrastructure de leur entreprise et sur le PC de chacun de
leurs consultants, ces responsables eurent tôt fait de constater des résultats inverses à ceux
attendus.
Ils ne d’étaient guère préoccupés de la réception et de l'usage qui allaient être réservés à cet
outil, à savoir ce que les consultants faisaient réellement de Notes dans leur travail quotidien.
Ils auraient pu découvrir s’ils n’avaient faits l’économie de cette démarche, qu’ils n'utilisaient
pas le logiciel pour partager des connaissances.
Pire encore, une partie d’entre eux ne s'en servaient pas du tout, et les autres n'y recouraient
que pour transférer des fichiers, envoyer des notes ou accéder à des bulletins d'information.
Ce qui a encore facilité l’échec de cette implantation, c’est que la pression de la rentabilité
exercée sur les consultants privilégiait la culture du « chacun-pour-soi » et la
rentabilité/promotion individuelle, qui allaient manifestement à l’encontre des perspectives de
la technologie importée.
À travers cet exemple, on peut retenir l’ampleur du déterminisme causal entre technologies
d'adhésion et technologies d'usage qui accentue la confusion entre les potentialités d’une
technologie et son usage effectif. En fin de compte, il ne suffit pas de se contenter de
consacrer de l'énergie à la seule gestion de la technologie, il faut aussi en dégager pour les
utilisateurs.
274
Mais même en s’attachant à cette valeur d’usage, il faut encore pouvoir acquérir et mettre en
place des technologies appropriées, tout en prenant à bras le corps la question de l'utilisation.
Elle incombe aux dirigeants qui doivent veiller à affecter les ressources nécessaires pour aider
les utilisateurs à acquérir des habitudes d'usage efficaces, liées aux aspects informels
concernant le mode d'utilisation de ces technologies.
Il s’agit de parvenir à un équilibre entre de tels investissements, le capital humain et le retour
sur investissement attendu pour maintenir ou améliorer des gains de productivité, tout en
restant compétitif. L’enjeu reste dans cette société dominée par le savoir, d’aménager ses
structures pour être capable de s’adapter aux aléas de la situation.
Il convient surtout de posséder également en interne, le savoir adéquat pour évaluer les
nouveaux développements technologiques dans le secteur d’activités, afin de les adapter aux
exigeances de l’environnement, comme nous le verrons au niveau des solutions proposées. On
peut donc dire du paradoxe de la productivité qu’il exprime un doute relatif à la difficulté de
mesurer l’efficacité des TIC, et des gains de productivité qu’ils sont sensés générer. De façon
plus étendue, c’est une remise en cause de la course à la technologie motivée par le seul luxe
de se doter de la dernière sensation technologique du moment.
Dans son approche de la question, Alain Rallet197
va quant à lui se reposer sur l’évolution et le
développement des TIC, qui vont de pairs avec les investissements massifs qu’elles suscitent
et le cycle d’évolution rapide des produits dans ce secteur. À partir de la relation qu’il établit
entre l’évolution de ces technologies dans la société et leur périodisation, il montre comment
on peut arriver à des situations où cet investissement n’est pas toujours synonyme de gains de
productivité.
197
Rallet (A.), « L’efficacité des technologies de l’information et de la communication à l’étape des
réseaux », L’Entreprise et l’outil informationnel", 1997, p.85-105.
275
Il dénombre ainsi trois types de phénomènes susceptibles de générer le paradoxe de la
productivité : les problèmes de mesure, les problèmes économiques et sociologiques liés à
l’évolution de ces technologies. En premier lieu, les problèmes de mesure de variables telles
que l’amélioration de la qualité de service, l’amélioration de la qualité des produits, ou la
satisfaction des clients sont des données difficilement mesurables. Elles se rapportent au plan
qualitatif à la difficulté d’évaluer des bénéfices en termes de qualité et de quantité de travail.
Un autre aspect et non des moindres, concerne la mesure du retour sur investissement en TIC
(achat de logiciels, formations, etc.). Au cours de cette période matérialisée par le règne de
l’informatique de gestion, va se substituer l’informatique de production concernant
l’amélioration de la qualité des tâches à effectuer au quotidien. Les gains de productivité
constatés au cours de cette période sont dus à l’automatisation des tâches, qui sont
contrebalancés par les investissements consentis à cet effet. En clair, l’impact sur les
performances des entreprises n’apparaît pas dans l’immédiat.
276
Au cours de la seconde période, qu’il associe au boom des TIC, l’auteur montre que le
développement d’interfaces hommes/machines s’accélère et qu’il se généralise. Les gains de
productivité issus de l’automatisation se démultiplient, en même temps que naît un décalage
entre les investissements préalablement effectués à court terme, et la difficulté de conserver
cet avantage sur le long terme.
Ce décalage tient à des raisons d’ordre économique, et se solde par un bilan mitigé de
l’efficacité des technologies de l’information à apporter des gains de productivité. L’auteur va
ici s’appuyer sur les thèses de Donald Wilson notamment [1995], pour montrer que ce sont les
effets du décalage temporel qui justifient après-coup de l’impact d’une technologie. Par
analogie, les TIC sont souvent victimes du décalage temporel relevant de facteurs variés tels
que l’assimilation et la diffusion de technologies, la structure du marché, la mentalité des
acteurs/utilisateurs de ces technologies.
Pour Wilson, ce décalage temporel entre investissements et gains de productivité tient au
décalage entre le moment de l’apprentissage et celui de l’acquisition effective de la maîtrise
de la technologie. C’est au même constat que parvient Wanda Orlikowski, et que Erik
Brynjolfsson [1993] associait déjà à des erreurs de management relevant de l’incapacité de
mesurer l’impact économique de ces technologies, d’autant que ce qui devrait y être évalué,
c’est moins la performance que l’usage issu de leur appropriation.
Si les motifs de rentabilité économiques sont mis en avant au cours de cette période, la trace
des motivations individuelles transparaît également. Elle sera davantage évoquée au cours de
la troisième période. C’est celle des réseaux caractérisée par le partage de l’exploitation du
potentiel d’informations détenu. Cette période où l’auteur met davantage en avant les critères
sociologiques, tient pour l’essentiel aux motivations des acteurs. Pour Peter Attewell [1992],
ce décalage tient au souci de rentabilité qui peut s’avérer incompatible du fait des intérêts
divergents que peuvent avoir les acteurs de l’organisation.
277
Au cours de la troisième période, il ne s’agit plus d’aménager des relations existantes ou de
modifier les circuits de circulation de l’information, mais d’instituer des relations nouvelles
basées sur le couplage de fonctions autrefois isolées. Cela se matérialise par la mise en
commun et le partage d’informations entre différents acteurs pour améliorer la productivité
globale de l’organisation, et l’aider dans les actes de pilotage stratégique.
Claudio Ciborra [1993] parle de « mediating technology » pour symboliser le passage d’une
informatique de gestion chargée d’améliorer la productivité des tâches à exécuter de façon
isolée, à une informatique réticulaire. Ici, les technologies de l’information et de la
communication s’imprègnent du mode de fonctionnement en réseaux entre différents
processus d’activités organisationnelles et humaines pour créer de la valeur.
À travers l’évolution des TIC, Alain Rallet parvient finalement aux mêmes conclusions que
Wanda Orlikowski : le paradoxe de la productivité se justifie à cause des problèmes de
décalages entre technologies d’adhésion et technologies d’usage. Autrement dit, le paradoxe
de la productivité n’a a priori pas lieu d’être dans des organisations basées sur l’information,
car les technologies de l’information et de la communication y améliorent davantage
l’efficacité des mécanismes de coordination. L’auteur défend cette thèse en se basant sur les
hypothèses suivantes :
Les TIC appliquées aux mécanismes de coordination améliorent davantage la performance
des organisations centralisées que décentralisées.
Les organisations décentralisées bénéficient d’un avantage compétitif dans la conjoncture
économique actuelle contemporaine de l’étape de la mise en réseau.
2.2.3. Les alternatives proposées
Dans l’élaboration de leurs stratégies de croissance, les entreprises sont souvent amenées à
développer des approches-types pour faire face aux contraintes de leur environnement
stratégique. L’approche de la « gestion par les principes », par opposition à « la gestion par
la transaction » pour décider des investissements dans les systèmes d'information en est une.
278
Ces décisions vont de l'absence totale de services d'infrastructure informatique dans une
entreprise, à l'offre de services étendus disponibles, y compris dans les unités opérationnelles,
auprès des fournisseurs ou des clients.
Les principes commerciaux et informatiques évoqués par Peter Weill et Marianne
Broadbent198
incarnent les stratégies que peuvent mettre en œuvre les entreprises, entre les
acteurs techniques et les acteurs stratégiques comme les commerciaux. Autrement dit, il s’agit
de faire coïncider les besoins et les attentes des commerciaux avec les compétences des
spécialistes de l'informatique, afin qu’ensembles ils déterminent un modus vivendi permettant
aux agents du service informatique de bâtir un aperçu des futures orientations commerciales
de l'entreprise. Celles-ci sont évidemment sujettes à modifications en fonction de leur
environnement stratégique.
Les principes informatiques sont particulièrement importants dans la formulation du dispositif
stratégique des entreprises, dans la mesure où ils définissent l'approche qu’elles ont du rôle
des technologies de l'information et de la communication, en termes de parts
d'investissements consacrés à ces dépenses d’une part. Et d’autre part, parce qu’ils sont le
reflet des modes de traitement des transactions (standardisation, interfaces communes ou
adaptation locale) mis en œuvre. Ainsi, le jumelage des principes commerciaux et
informatiques, permet aux acteurs d’unités différentes d’identifier ensemble des «principes»,
qui décriront comment leur entreprise doit déployer son informatique pour relier, partager et
structurer l'information dont ils disposent. Ils décideront, par exemple de :
-« prendre les devants ou suivre le mouvement sur le déploiement de l'informatique dans leur
secteur d'activité (être le pionnier, emboîter le pas ou utiliser les applications standardisées ;
- traiter électroniquement les transactions ;
198
Weill (P.), Broadbent (M.), “Un système d’information pour être compétitif », www.lesechos.fr
279
- relier et partager les sources de données entre les différentes unités ».
Outre les principes commerciaux et informatiques, l’infrastructure informatique peut
être bâtie au niveau de l’approche par l'infrastructure et les services informatiques. Ce
titre générique définit les moyens qu’ont les entreprises de choisir l'une des quatre approches
suivantes en matière d'infrastructure informatique. Selon qu’elles y prêtent plus ou moins
d’attention, on distingue : l’absence, l’utilité, la dépendance et le développement. Ces quatre
types symbolisant le degré d’investissement en la matière, selon que l’on se trouve confronté
à une « absence d'infrastructure informatique à l'échelle de l'entreprise », ou au contraire face
à « un programme de développement ». L'essentiel de ces décisions d’investissements
consistant à choisir des solutions qui soutiendront la gamme des applications/services requis à
l'avenir.
Aucune de ces quatre approches n'est la meilleure en soi. Par contre, chaque entreprise peut
trouver celle qui lui convient le mieux, en fonction de son environnement stratégique, de ses
moyens et de ses principes commerciaux et informatiques. Dans le contexte de l'approche de
l’« utilité » par exemple, les investissements dans l'infrastructure informatique sont considérés
avant tout comme une façon de réduire les coûts par les économies d'échelle dégagées. Dans
l'approche de la « dépendance », les investissements dans l'infrastructure répondent avant tout
à des stratégies spécifiques existantes. Ils sont basés sur des « business plans » qui spécifient
et induisent les besoins en information et en technologie. Les entreprises qui adoptent cette
approche essaient d'équilibrer coûts et flexibilité.
Enfin, l'approche du « développement » exige un surinvestissement dans l'infrastructure
informatique par rapport aux besoins présents. L'objectif est d'assurer une certaine flexibilité
pour la réalisation d'objectifs à long terme, au risque de se retrouver avec du matériel
obsolète. Ainsi, les changements de principes commerciaux en fonction des contextes
d’action obligent les entreprises à modifier leur approche, et donc à augmenter ou à réduire
leurs investissements en conséquence. D'où l'importance d’actions conjointes entre
280
commerciaux et informaticiens. Ces différentes options s’appuient sur les possibilités
suivantes :
1– La mise en place de services d'infrastructure à l’échelle d’une entreprise. Par exemple,
une base de données clients partagée.
2– Un rayon (d’actions) capable de désigner les sites et les personnes que l'infrastructure est
capable d’interconnecter. Elle va des liaisons au sein d'une seule division opérationnelle,
jusqu'au stade ultime qui consiste à relier tout le monde, indépendamment de la situation
géographique.
Dans les entreprises qui tirent réellement de la valeur de leurs investissements informatiques,
l'étendue de la capacité de l’infrastructure est clairement liée aux principes commerciaux et
informatiques qu'elles ont définis, et à l'approche qu'elles ont choisies pour leur infrastructure.
Cette approche suppose que les commerciaux et les spécialistes de l'informatique travaillent
de concert au mieux des intérêts de l'entreprise, afin que l’infrastructure retenue serve de base
à des systèmes d’information stratégiques. À partir du moment où une entreprise opte pour la
voie des principes, les quatre approches relatives à l'infrastructure sont envisageables et
n'importe laquelle peut convenir en fonction du contexte d’action stratégique.
Cette palette déjà considérable d’options en matière d’infrastructures est complétée par la voie
de la transaction. Cette approche se focalise sur les besoins plus immédiats de chaque unité
opérationnelle. Dans les entreprises qui prennent ce parti, les directeurs de l'informatique
discutent avec tous les directeurs d'unité, souvent dans le cadre d'un cycle de planification,
afin de comprendre leurs besoins informatiques actuels et de pouvoir les confronter aux
stratégies commerciales. À l'issue de ces discussions, ils font des recommandations sur
l'infrastructure la plus opportune à l'échelle de l’entreprise, sur la base des exigences cumulées
dans toutes les unités.
281
Après en avoir estimé les coûts, ils se rendent dans chaque unité avec leurs propositions,
entament des négociations, discutent des coûts et des services d'infrastructure et parviennent à
une transaction : voie médiane entre les besoins particuliers des unités opérationnelles et ceux
de l’organisation dans son ensemble. Le cheminement tout en suivant les mêmes processus
d’établissement de la structure, adopte la démarche inverse : c’est à partir des besoins des
unités que l’on va déterminer ce que sera la couverture de l’infrastructure technologique de
l’entreprise. Pour ce faire, on part du contexte d’action stratégique et des unités
opérationnelles de l'entreprise, pour aboutir à la formulation et à l'articulation des principes
informatiques et commerciaux.
Ces principes sont un point de départ pour décider d'une approche au plan de l'infrastructure
informatique qui correspondra aux besoins de l'entreprise qui en fait le choix. Pour que
l'infrastructure de l'entreprise soit guidée par les objectifs commerciaux, il faut que le
personnel des services informatiques et celui des services commerciaux assument ensemble la
responsabilité de sa conception et de son développement.
Cela est possible si le clivage entre les aspirations des uns et des autres, permet au final
d'obtenir les capacités voulues en temps utile. Comme le préconise Alain Rallet199
, il faut aller
au-delà de la simple évaluation statistique, car il y a de multiples déterminants comme les
compétences et performances individuelles et collectives qui influent sur l’efficacité réelle
apportée par les technologies de l’information et de la communication. And last but not least,
l’influence de la culture organisationnelle et informationnelle.
2.3. L’intelligence organisationnelle
Il s’agit ici de montrer les dysfonctionnements que peuvent occasionner le mode de
commandement-contrôle d’une organisation, notamment lors de l’instauration de cellules
d’intelligence économique et stratégique, dans ce que Philippe Baumard200
appelle « la
199
Rallet (A.), « L’efficacité des technologies de l’information et de la communication à l’étape des réseaux »,
L’entreprise et l’outil informationnel, 1997, p.85-105. 200
Baumard (P.), « L’information stratégique dans la grande organisation », www.iae-aix.com
282
grande organisation ». À partir de faits concrets observés dans de grandes organisations, mais
aussi grâce à des apports théoriques, l’auteur va ainsi bâtir une théorie des
dysfonctionnements informationnels « pathologiques » [cf. Baumard 1996].
Si l’information est au cœur de la compétitivité des organisations, ses modalités d’application
et de performance apparaissent vite plus nuancées qu'une relation déterministe et positive
entre rente informationnelle et gain de parts de marché [Baumard 1991, p.74-78]. Ainsi, la
conviction que l’information mal maîtrisée, peu circulante et maladroitement utilisée est au
cœur des difficultés des entreprises, concernant la défense et l’accroissement de leurs parts de
marchés, est remise en cause par les apports empiriques que présente l’auteur. En somme,
c’est moins l'information dont dispose l’organisation, que sa capacité à donner du sens aux
stimulus qu’elle reçoit qui donne de « l’intelligence » à la fois à l’organisation et à
l’information [Weick 1995; Milliken et Starbuck 1988].
C’est notamment le cas au niveau des institutions bureaucratiques. Ce qui gangrène la gestion
optimale de l’information dans ce type d’organisations, tient au traitement hautement
centralisé des systèmes de commandement. Ils perpétuent en effet un modèle organisationnel
taylorien inadapté au contexte d’action d’une société fonctionnant en réseaux [cf. Baumard
1995]. À partir du paradoxe entre la structure de ces organisations et la fracture relevée au
niveau de la gestion optimale de l’information, l’auteur, s’appuyant sur diverses théories va
émettre des hypothèses explicatives pour rendre compte de l’ampleur de ces
dysfonctionnements.
Ainsi, à partir des travaux de Harold Wilensky [1967] consacrés à la relation entre
connaissance et politique générale des grandes organisations, il montre que cette relation est
en fait le reflet des relations entre les structures et la culture des grandes organisations, d'une
part. Et d'autre part, qu’elle dépend de la qualité de l'intelligence organisationnelle qui y
prévaut. Ce qui fonde la pertinence d’un tel système repose précisément sur « l’intelligence
organisationnelle », étant entendue qu’elle se rapporte comme l’intelligence économique à
283
« une capacité à interpréter et gérer des situations nouvelles en apportant des réponses
adaptatives ».
De ce point de vue, on peut considérer que l’intelligence organisationnelle est « le processus
qui fournit l’information stratégique à l'organisation, c'est-à-dire une information modifiant
durablement sa conception du monde, ses interactions avec l'environnement et conduisant à
la réorientation de ses intentions stratégiques ». Cette définition se rapproche de celle de
Daniel Levinthal et James March [1993], qui voient dans l’intelligence organisationnelle une
« activité cognitive permettant d'améliorer les fondements analytiques et informationnels de
l'action organisationnelle ».
Ces différentes définitions de l’intelligence organisationnelle impliquent deux acceptions :
l’intelligence en tant qu’information interprétée et en tant que capacité de compréhension,
rappelant le schéma interprétatif de Nathalie Schieb-Bienfait [1999]. On y retrouve à la fois
l'information élaborée appuyant les décisions stratégiques et courantes (c’est-à-dire
l'information stratégique), et les processus de remontée, de filtrage, d'expérimentation utilisés
pour produire cette information (c’est-à-dire le processus cognitif que suit l'information
interprétée). En ce sens, elle englobe l'activité de « problem solving » définie par March et
Simon [1958].
Dans sa démarche, Wilensky [1967], contrairement à March et Simon (1958), ne défend pas
la rationalité même limitée de l’activité de résolution des problèmes dans l’organisation. Il ne
pense pas que les composantes structurelles et fonctionnelles d’une organisation sont dérivées
des caractéristiques des processus liés à la résolution de problèmes, ni à celui des choix
rationnels et humains. Il préfère mettre en avant les attributs de la structure (hiérarchisation,
centralisation, spécialisation, etc.) et de la culture (les idéologies) qui transcendent la
psychologie individuelle qui relèvent davantage des « pathologies de l’information » propres
aux grandes organisations.
284
Ces pathologies sont enracinées dans les caractéristiques structurelles, idéologiques,
processuelles de ces organisations, faisant en sorte que l’information que reçoit un dirigeant
est biaisée par un ensemble de blocages liés à l’architecture du système décisionnel. Au total,
l'information que reçoit ce dirigeant pour faciliter sa compréhension des opérations internes et
l’analyse de l’environnement externe, est affectée par la forme des organisations qu’ils
dirigent, et par leur résistance aux pathologies de l’information ; elles-mêmes étant tributaires
de la structure organisationnelle.
On retrouve effectivement à travers ces pathologies, la description du syndrome de
l’« isomorphisme structurel » que nous décrirons dans les pages suivantes. En somme, pour
Wilensky [1967], c'est l'excès de centralisation qui engendre l'isolement de l'expertise, et le
développement de processus collatéraux, que l’on retrouve dans le premier cercle des proches
collaborateurs ; dans les cercles de détention du pouvoir. Cet isolement fait en sorte que les
managers de l’équipe dirigeante [le premier cercle] auront tendance à pratiquer une rétention
systématique d'informations pouvant les valoriser, et justifier ainsi leur maintien dans
l’organisation. Le tableau ci-après condense les effets induits par le poids de la structure sur
l’intelligence organisationnelle.
Attributs structurels
maximisant les distorsions et
blocages
Effets induits
sur l'intelligence organisationnelle
Trop d'échelons
hiérarchiques
Importance du rang
Longs délais de promotion
– Isolement de l'expertise
– Blocage des remontées
– Hommes de main endoctrinés et
complaisants
Excès de spécialisation
structurelle.
– La rivalité introduit une diversité de
perspectives
285
Dispersion géographique – Parochialisme ("chapelles")
– Experts trop distants de la politique
générale
Excès de centralisation
de l'information
stratégique
– Dirigeants surchargés
– Experts sur le terrain éloignés de la
décision
– Le jugement consensuel d'un petit
groupe peut encourager les fantasmes,
et donner l'illusion de validité.
Tableau 6 : L'impact des structures. Adapté de Wilensky, « Organizational Intelligence.
Knowledge and Policy in Government and Industry », 1967, p. 176-177.
286
Les méfaits des processus collatéraux, dommageables à la connaissance de l’environnement
stratégique du dirigeant soulève de façon implicite ceux de « la sociologie de la connaissance
des élites » abordée par Harold Wilensky dans son ouvrage [1967]. Elle se rapporte au degré
de connivence et de confiance qui s’instaure entre collaborateurs et qui biaise l’intégrité des
informations communiquées pour des raisons individuelles ou structurelles. Cela conduit à la
création de « chapelles » permettant de confier des missions à des individus faisant partie du
même cercle.
En échange de cette expertise, une certaine connivence s’installe et est entretenue. C’est cette
connivence qui introduit des biais importants dans la sollicitation et la diffusion de
l'information stratégique, si bien qu’elle va difficilement dans le sens contraire à celui désiré.
Ce qui fait que par ricochet, la culture (managériale) des dirigeants n'est pas étrangère aux
dysfonctionnements et à la fossilisation des canaux de communication leur fournissant leur
information stratégique dans ce type d’organisations. Ces défaillances relatives à l’usage
stratégique de l’information dans les grandes organisations vont amener l’auteur à émettre
quatre propositions explicatives.
« Proposition 1 : La mise en place de structures dédiées au traitement de l'information
stratégique dans la grande organisation institutionnalise des comportements organisationnels
déjà dysfonctionnels à l'égard de l'information.
Proposition 2 : Plus longue est l'expérience d'une grande organisation avec des structures
spécialisées et centralisées de traitement de l'information stratégique, plus l'organisation
marginale et adhocratique de l'information stratégique se renforce.
Proposition 3 : Dans des configurations de dépendance croissante à une information externe,
la centralisation des activités de détection et d'attribution de sens aux stimulus provenant de
l'environnement pousse le manager au cœur de ce dispositif à se réfugier dans des idéologies,
et menace l'intégrité de l'information ainsi produite.
287
Proposition 4 : Parce qu'issue d'isomorphes de l'existant, les structures centralisées
d'intelligence organisationnelle tendent à conforter l'organisation dans ses schémas établis,
entraînant avec le temps une incapacité croissante à générer des signaux facteurs d'une
réorientation de sa stratégie, et conformant l'organisation dans des changements de premier
ordre ».
Ces quatre propositions, nous les avons regroupées derrière deux paradigmes empruntés à
Philippe Baumard : « l’isomorphisme structurel » et « une heuristique du disponible », qui
renvoient aux pathologies fréquentes dans les organisations centralisées et dans celles
recourant à un mode organique. Mais les grandes organisations ne sont pas les seules à
connaître les méfaits des pathologies liées à l'information. Dans son étude, Walsch [1988]
révèle également des pathologies que l’on trouve dans des organisation ayant un mode de
fonctionnement organique. Il y montre, à partir du vécu de managers en MBA, comment en
dépit de ce choix organisationnel, on retrouve toujours cependant les mêmes travers avec des
apparats différents.
Ici, les pathologies liées au mauvais usage de l’information à caractère stratégique,
proviennent bien souvent des défaillances relevant de leur absence de prise en compte, ou de
l’absence d’expériences associée à la détection de cette information. C’est donc moins la
disponibilité que la richesse de l’expérience qui explique ici les défaillances d’organisations
davantage prédisposées à un management décloisonné et décentralisé. Si l’on déplore le
parochialisme lié à la structure des grandes organisations au sein du premier cercle, ici l’on
pêche davantage par immaturité, parce qu’on ne dispose pas toujours de l’expérience ou du
recul nécessaire à l’analyse d’une situation.
2.3.1. Le syndrome de l’isomorphisme structurel
288
L'ensemble des caractéristiques qui régissent la circulation de l'information stratégique au sein
de la grande organisation forment ainsi un "système" s'auto-regénérant parce qu’il reproduit
au niveau de la gestion stratégique de l’information, les défaillances observées au niveau de la
structure organisationnelle. La prévalence du « besoin de connaître » engendre des
cloisonnements qui assurent aux monopoles de la production d'information stratégique
concernée la pérennité de leur position, par le filtrage et la rétention d’informations qu’ils
opèrent. Cela limite nécessairement la portée de l'information stratégique dans l'organisation,
qui relèvent de préconceptions sur la supériorité des sources secrètes, et la nécessité du
cloisonnement décisionnel qu’elles engendrent.
La culture engendrée par cette circulation restreinte de l'information conforte les dirigeants
dans le recours à des sources et à des dispositifs ad hoc lorsque le besoin s'en fait sentir. Elle
ne provient pas, comme le montrent Wilensky, [1967], d’un désir de rationalité, mais d’une
volonté de protection du groupe dirigeant contre l’intrusion de tiers dans son processus
décisionnel. Dans ce cas, la culture dy secret est un moyen de distanciation qui renforce le
caractère élitiste et cloisonné du groupe en instituant la « valeur de rareté » au niveau de la
distillation des informations.
L’intérêt du décryptage de ces pathologies, est de différencier une connaissance réciproque
d’une connaissance unilatérale. En effet, si les cloisonnements sont facteurs d’unilatéralité de
la connaissance, de même les idéologies procèdent d’une dynamique de stabilité du système
décisionnel, qui s’effectue au détriment de l'intégrité et de la performance de la politique
informationnelle. L’isomorphisme structurel décrit ici procède par imitation-adaptation d’une
organisation concurrente à l’autre. En essayant de concevoir une structure optimale
d'intelligence organisationnelle similaire à celle adoptée par les concurrents du secteur comme
mode référentiel d'organisation, le risque est grand de copier et de reproduire les mêmes
avatars.
Philippe Baumard témoigne de ces exemples pathologiques d’imitation-adaptation avec les
cas de GENERAL ELECTRIC pour EDF, et celui de GENERAL MOTORS pour
289
RENAULT. Dans un tel contexte, les structures dédiées à l'information stratégique dans la
grande organisation apparaissent comme le produit d'imitations réciproques entre plusieurs
organisations. La résultante de cette imitation est l'isomorphisme des structures d'intelligence
économique dans les grandes organisations.
Au lieu d'en améliorer la productivité, et parce que les conditions initiales dans lesquelles
viennent s'insérer ces dispositifs ont été négligées, la mise en place de cellules d'intelligence
économique dans les grandes organisations peut sérieusement accroître ses
dysfonctionnements informationnels, en offrant un espace de légitimation à des pratiques
dysfonctionnelles [cf. Baumard, 1991]. Par analogie avec les technologies d’adhésion et
d’usage dont fait état Wanda Orlikowski201
, on peut dire de ce syndrome isomorphiste qu’il
s’apparente à une inadéquation entre « structures d’adhésion » : celles liées au mode de
commandement contrôle d’une organisation ; et « structures d’usage » : celles qui confinent
au mode de répartition informelle des fonctions au niveau du sociogramme.
Finalement, l'institutionnalisation de l'isomorphisme structurel correspond à une évolution
incrémentale de l'idéologie organisationnelle à travers sa culture décrite par Wilensky [1967],
et qui repose sur les éléments suivants :
La croyance dans une relation linéaire entre performance et rente informationnelle ;
L’adhésion non-questionnable à un cloisonnement selon le principe du "besoin de connaître"
;
La croyance naïve dans la supériorité de l'expertise discrétionnaire sur le savoir collectif.
290
2.3.2. Une heuristique du disponible
Dans les structures organiques, l'information stratégique pourrait se résumer à une alternative
entre ce que Amos Tversky et Daniel Kahneman [1973] auraient appelé une « heuristique du
disponible », parce qu’elle se fonde sur le recours à des processus ad hoc. Dans ces structures,
les pathologies observables sont le fait du manque de recul et d’appréciation par rapport à
l’analyse d’une situation donnée. Mais elles peuvent également provenir de leur non prise en
compte, ou de la pauvreté de l'expérience associée à la détection des signaux de
l’environnement, ou de l'information sensible.
L'importance de la richesse de l'expérience, en opposition avec l'idée d'une disponibilité
continuelle de l'information, permet d'expliquer les défaillances de mise en œuvre de systèmes
d'intelligence économique qu’on y rencontrent. « L'heuristique du disponible », c'est-à-dire la
construction d'interprétations à partir des éléments immédiatement disponibles, limite ainsi la
richesse de l'expérience. Ce qui reste d’autant plus préjudiciable que la diffusion et la collecte
discrétionnaire de l'information stratégique tend à accentuer ce phénomène.
Dans les organisations de grande taille, c’est également un facteur discriminant, dans la
mesure où il accentue davantage la manifestation de ces pathologies, en introduisant des
délais supplémentaires entre les initiatives des managers, et l’impact de leurs effets dans
l'environnement. De fait, les dirigeants manquent d’une certaine distance dans l’analyse et
l’interprétation de leur environnement stratégique, à partir des informations qu’ils détiennent,
pour pouvoir en évaluer la pertinence. Autre fait dommageable, la tendance de l'encadrement
à accorder plus d'importance aux stimulus provenant de leur supérieur hiérarchique directe,
plutôt qu'à ceux provenant d'environnements plus lointains. La notion de distance étant ici
relative, puisqu’il peut s’agir d’un département voisin ou d’un étage, qui peuvent se
transformer en « environnement lointain ».
201
Orlikowski (W. J.), “L’utilisation donne sa valeur à la technologie »,
www.lesechos.fr/formations/manag_info/articles/article_8_5.htm.,
291
Cette situation déplorable liée à la surabondance d'informations tend à diminuer sa
personnalisation et l'identification des sources par les individus qui en ont la charge. Ce qui
peut encore être aggravé par l’« institutionnalisation » de la cellule d'intelligence
économique», en ce sens que les acteurs auront tendance à modifier leur coopération vis-à-vis
de l'organisation et de leurs collaborateurs, en réduisant également la nécessité de se mettre
« en quête » d'une information plus valide. En somme, l'excès de confiance dans l'information
disponible devient un encouragement à l'absence de curiosité.
2.4. Synthèse du chapitre
De tous ces apports théoriques, il ressort que l’information a bien une valeur économique qui
prévaut dans le contexte d’action de mutations et de progrès constants, à travers les
différentes démarches et processus de recherche et d’exploitation de l’information stratégique
que nous avons détaillés. Le point focal de tous ces changements reste marqué par l’intérêt
dévolu à la ressource information, à la fois cause et source des déboires ou des succès de son
intégration aux actes de pilotage stratégique [Milliot 1999, Rallet 1997].
Si les évolutions technologiques permettent indéniablement d’améliorer les conditions de
travail, l’apport systématique de gains de productivité qu’elle sont supposées engendrer, est
plus contestée [cf. Davenport, Goldhaber, Orlikowski, Sharpe]. Le paradoxe de la productivité
redevable des travaux de Robert Solow traduit ainsi le scepticisme découlant de la croissance
des investissements en TIC à réellement apporter des gains de productivité. Ce paradoxe, s’il
reflète de manière générale le passage d’une informatique de gestion à celui d’une
informatique réticulaire, est lié à la mise en valeur de ce que Wanda Orlikowski a appelé les
« technologies d’adhésion » et les « technologies d’usage » qui caractérisent l’endogénéité de
la manifestation du paradoxe.
Cette endogénéité renvoient à trois caractéristiques selon que l’on privilégie la thèse du
surinvestissement technologique, relatif à la pression exercée par les équipementiers
292
notamment [Davenport, Goldhaber]. Celle du décalage temporel entre la
découverte/acquisition d’une technologie et sa maîtrise [Rallet, Orlikowski]. Et enfin, la thèse
du décalage structurel qui lie le paradoxe de la productivité à l’inadéquation entre le choix
d’une technologie et le mode de fonctionnement de la structure où elle est implantée
[Baumard, Orlikowski, Sharpe, Wilensky].
La manifestation de ce paradoxe est révélateur de la crise de l’attention consécutive à la
surabondance d’informations et à la surenchère technologique. Il existe néanmoins des
parades pour en atténuer les effets. Le jumelage des principes commerciaux et informatiques
en fonction de l’infrastructure informatique retenue, ou la voie de la transaction, constituent
des solutions alternatives, permettant d’instaurer une intelligence organisationnelle capable de
minimiser les effets de ce que Philippe Baumard appelle les pathologies de l’information.
293
Chapitre V : Technologies de l’information et de la communication et
stratégies de développement en Afrique : enjeux et perspectives à l’ère
de la société de l’information
Si l'on se place à l'échelle mondiale marquée par les développements des Technologies de
l’Information et de la Communication (TIC), eux-mêmes sous-tendus par ceux de la société et
des industries de l’information regroupant « tous les grands systèmes informatisés de
télécommunications et de gestion de données et d'informations publics ou privés, qui
s'adressent aux entreprises ou aux individus » [Roechlin 1995], et par ceux de la libéralisation
des économies et du libre-échange prôné par l’Organisation Mondiale du Commerce
(O.M.C.), l'Afrique apparaît relativement peu équipée et défavorisée comparativement aux
pays les plus avancés.
Cette faiblesse est révélatrice des obstacles socio-culturels et technologiques, liée à des
situations de développement contrastées qui reflètent des choix politiques et économiques
pour le moins problématiques. Avec la révolution informationnelle qui est en train de
supplanter les modes de gestion et de production traditionnels, s’ouvrent des défis nouveaux
pour l’Afrique. Coincée entre la nécessité de suivre ces évolutions et ses sempiternels
problèmes de stratégies et de choix de développement désormais rythmés par des programmes
d’ajustement structurel, l’Afrique doit pourtant s’arrimer à ces mutations, si elle ne veut pas
courir le risque de se voir définitivement marginalisée.
C’est par le biais de ces différents aspects que s’organise la réflexion en faveur d’une
insertion des TIC aux stratégies de développement dans les pays africains, dont témoigne le
NEPAD (Nouveau Partenariat pour le Développement Économique de l’Afrique). Cette
réflexion, est en cela nourrie par deux courants à la fois contradictoires et complémentaires,
entre défenseurs et sceptiques des TIC à assurer un développement viable en Afrique. Pour les
partisans de ce modèle, c’est un moindre mal dans la mesure où cela devrait permettre de
bénéficier des potentialités de ces technologies pour faire le bond technologique salvateur, et
294
se dispenser ainsi de la révolution industrielle, pour accéder immédiatement à celle de
l’économie et des industries de l’information.
295
Ainsi de nombreuses initiatives et projets pour la constitution d’une société africaine de
l’information, ont-ils vu le jour, à l’initiative de celui de ARISE/RESIA202
(Recherche sur
l’Emergence d’une Société de l’Information en Afrique) qui permettent au point de vue
africain de s’affranchir des diktats imposés par l’Occident, et pour se prendre en charge
concernant l’édification de la société africaine de l’information. À travers ce projet, c’est la
constitution d’une base de données de professionnels africains, de chercheurs et d'activistes
impliqués dans la construction d'une société de l'information qui a vu le jour.
Les objectifs visés par ce réseau consistent grosso modo à promouvoir la création d'un
répertoire de tous les chercheurs, académiciens, consultants et autres acteurs menant des
recherches sur les aspects sociaux du développement de la société de l'information en Afrique,
d’une part. La constitution d'un réseau de professionnels africains qui sera un cadre de
discussion sur les aspects fondamentaux d'une société africaine de l'information, ainsi que la
production d'un agenda africain de recherche sur la société de l'information, par ailleurs.
L’idée, sans être sectaire, et sur la base de la réflexion qui organise le débat de l’opportunité
des TIC à instaurer des stratégies de développement viables en Afrique, est de se reposer
avant tout sur des compétences et expertises afro-africaines pour que l'Afrique développe ses
propres réponses vis-à-vis de la société de l'information dont elle veut se pourvoir. Il s’agit
d’apporter des réponses crédibles aux problèmes auxquels elle est confrontée, plutôt que de se
contenter d'importer les idées d'autres pays, comme en témoigne le passage suivant :
« Une utilisation appropriée des nouvelles technologies de l'information est le résultat d'un
apprentissage local d'une technologie adaptée à nos besoins locaux. Une énorme expertise
existe déjà en Afrique ; mais celle-ci est souvent non reconnue ou ignorée : Le partage de
cette expérience et de cette expertise constituera une donnée capitale pour la création d'une
société de l'information conforme à l'image du continent africain »203
.
202
ARISE, http://www.ariseafrica.org/fran%E7ais/index_fr.html 203
Idem.
296
Ce souci est d’autant plus légitime qu’il n’y a pas si longtemps, la voix des Pays du Tiers-
monde avait été minorée lors de la revendication d’un Nouvel Ordre Mondial de
l’Information et de la Communication, entériné mais non abouti par le rapport Mac Bride. Il
est malheureusement à craindre que ce schéma se reproduise avec le développement de la
société et de l’économie de l’information, où l’Afrique en dépit de ses efforts, reproduit le
schéma d’une Afrique consommatrice de contenus et de technologies importés.
Forts de ces constats d’ordre général, nous allons à présent nous étendre sur les causes et les
remèdes à apporter à ce déséquilibre entre le Nord et les Suds, s’apparentant de plus en plus
en plus à un déséquilibre entre « inforiches » et « infopauvres » comme le suggère Xavier
Dumont (www.aedev.org/fichiers/travaux/xdumont/html) dans son étude consacrée aux
déséquilibres Nord-Sud de l'accès à l'information.
Section I : Aux sources du déséquilibre
Avec le développement de la société de l’information dans les systèmes de production, les
modes de vie, d’organisation sociale et les habitudes culturelles, c’est une nouvelle révolution
qui est en train de se jouer. Alors que les sociétés occidentales ont depuis longtemps réussi et
franchi les étapes d’un processus de développement endogène, prenant sa source depuis la
révolution agraire, jusqu’à celle de l’information, sans oublier celle de la révolution
industrielle, l’Afrique cherche toujours des modèles et des stratégies de développement
viables pour opérer les mutations nécessaires à son expansion socio-technico-économique.
1.1. La mondialisation et les nouvelles technologies d’information et de
communication : les causes du déséquilibre
Avec ce nouveau challenge, l’Afrique se trouve ainsi placée devant le défi d’avoir à négocier
et à réussir son insertion dans cette société mondiale de l’information. Son développement
297
dans les années à venir, est en effet désormais conditionné par sa capacité à s’inscrire dans le
processus de mutations constantes de cette société et de son économie. Tirant argument de ce
phénomène, associé à celui de la mondialisation, Willy Jackson204
s’est notamment intéressé
aux problèmes relatifs à l’articulation de la société de l’information et de la mondialisation.
Pour lui, si l’on considère que le modèle économique dominant et valorisé se réfère à celui de
la part de marché et à l’intégration dans l’économie mondiale, on peut s’interroger sur les
dialectiques existantes entre le phénomène de la mondialisation et celui du développement de
la société de l’information, à partir des interrogations suivantes : « Est-ce la société de
l’information qui a pour effet d’arrimer l’Afrique à la mondialisation ? Où, est-ce la
mondialisation qui définit désormais l’horizon souhaitable et indépassable du développement
africain » ?
Pour notre part, il ne peut y avoir de point de vue tranché. C’est sans doute un peu de tout cela
à la fois, car la société de l’information et la mondialisation sont pour nous soumises au
principe d’interactivité. Nous allons à présent ressortir quelques raisons majeures des
déséquilibres observables entre le Nord et le Sud à travers la problématique du déséquilibre
Nord-Sud de l’accès à l’information, et celui des effets d’une modernisation paradoxale qui
met en branle le rôle de l’État.
1.1.1. La thèse de la structuration des rapports macro-économiques et politiques
Pour Xavier Dumont205
dont nous nous inspirons pour relater cette thèse, les causes du
décalage entre le Nord et le Sud tiennent à une conception tronquée des relations
internationales. Celle-ci met en effet l’accent sur l’interdépendance et la coopération viciées
204
Jackson (W.), « Vers une société africaine de l’
information : un défi pour les organisations africaines de régionalisation
économique », Université Paris 7/CNRS, Laboratoire SEDET, http://www.uneca.org/adf99/worddocs/FDA'99-
jackson.doc.
205 Dumont (X.), « Le déséquilibre Nord Sud de l’accès à l’information. Contribution à l’analyse du
développement des autoroutes de l’information dans la Francophonie »,
http://www.aedev.org/fichiers/travaux/xdumont/html/deupartie_cha5.htm
298
des systèmes macro-économiques et politiques issus des deux grands blocs de la seconde
guerre mondiale. Pour contester cet ordre, les pays du Tiers-monde l’avaient vivement
dénoncé en récriminant l’analyse traditionnelle des causes du sous-développement, et en les
rattachant aux structures et aux modes de fonctionnement du système économique
international dominé par les pays industrialisés.
299
Dès ce moment, les pays du Tiers-monde réclamèrent l’instauration d’un nouvel ordre
économique international. Cet ordre devant être fondé sur une véritable souveraineté des pays
du Tiers monde et de leurs ressources naturelles, par une amélioration des termes de
l’échange, une réglementation des activités des sociétés multinationales, et la création de
conditions favorables au transfert de ressources financières et technologiques vers les pays en
voie de développement.
Malheureusement pour eux, la montée en puissance de la mondialisation, et ses nombreux
visages vont renforcer ces déséquilibres. Ainsi, pour Emmanuel Glaser206
qui a décrit ce
phénomène, on est passé de la définition de la mondialisation, essentiellement économique à
partir de l’évolution des entreprises dans les années soixante-dix, à celle d’une mondialisation
en tant que modèle global couvrant tous les champs de l’activité internationale au milieu des
années quatre-vingt-dix, comme évoqué dans le passage ci-après :
« Le terme recouvre des réalités tellement multiformes et imprécises qu’il en devient difficile
à cerner et qu’on lui prête facilement des vertus explicatives qu’il n’a pas toujours […]. La
mondialisation est tantôt vécue comme la source de tous les maux des sociétés
contemporaines, notamment dans les pays développés, tantôt utilisée comme l’alibi parfait de
l’impuissance des gouvernements, tantôt au contraire idéalisée, quand elle ne devient pas une
véritable idéologie. Pour certains, elle est une donnée incontestable et inévitable, ou voulue et
souhaitable, mais à laquelle il faut de toute façon s’adapter pour ne pas disparaître ; pour
d’autres, elle est un danger qu’il faut combattre parce qu’elle accroît les inégalités entre les
pays riches et les pays pauvres comme au sein de ces pays ».
Procédant d’une volonté semblable à celle de Xavier Dumont, de repérage et de
compréhension des déséquilibres entre le Nord et le Sud, Annie Chéneau-Loquay207
, dans le
cadre des travaux du projet et du réseau « Africa’nti », use d’une approche géographique pour
mettre au jour les méfaits de la valorisation inégalitaire des territoires qui accroissent les
206
Glaser (E.), Le nouvel ordre international, Paris, Hachette Littératures, Forum, 1998. 207
Chéneau-Loquay (A.), « Quelle insertion de l’Afrique dans les réseaux mondiaux ? », www.africanti.org .
300
inégalités de développement entre les zones urbaines et les zones rurales, au niveau de
l’Infrastructure Nationale d’Information et de Communication (I.N.I.C.) des États africains.
Ces disparités renforçant davantage la marginalisation de cette infrastructure par rapport à
celle de l’Infrastructure Mondiale d’Information et de Communication (I.M.I.C.).
L’objectif consiste à partir de cette inégalité d’infrastructures territoriale et extra-territoriale, à
observer les processus d'insertion des TIC et leurs impacts en Afrique, au cœur de territoires
structurellement déséquilibrés, où la prédominance du secteur informel est visiblement
incontestable. Ce projet est construit autour d'une problématique, celle d'une modernisation
paradoxale par les TIC, en relation avec les disparités territoriales de ces États, comme nous
allons le voir.
Ces disparités territoriales qui ne sont pas pour favoriser l’insertion de l’Afrique à l’I.M.I.C.
vont nous porter vers l’une des interrogations de notre étude, à savoir, comment tirer parti de
ce contexte pour permettre aux entreprises, et à la société africaine de manière générale de se
saisir des opportunités du développement de la société de l’information pour asseoir des
stratégies et des modèles de management viables, en phase avec leur contexte d’action. Plus
précisément, l’analyse-terrain nous apportera des réponses à ce sujet concernant les firmes
gabonaises retenues.
1.1.2. La thèse d’une modernisation paradoxale qui met en question le rôle de l'État208
Au regard des enjeux d’un contexte économique dominé par les effets de la mondialisation et
les développements de la société de l’information, il convient de se pencher sur la place de
l’Afrique face à cette bipolarisation inégalitaire des modèles de développement. En effet, elle
se trouve projetée dans les mailles interstitielles d'un système mondialisé et mondialisant,
particulièrement oppresseur pour les pays en recherche de développement. Ce système qui
s’appuie sur l'économie libérale et sur l'interconnexion de grands systèmes techno-
208
D’après un titre formulé par Annie Chéneau-Loquay, « Quelle insertion de l’Afrique dans les réseaux
mondiaux ? », www.africanti.org .
301
économiques, repose sur la maîtrise et la gestion de contenus informationnels qui y jouent un
rôle essentiel pour la détermination des processus stratégiques.
Aux deux extrêmes de cet environnement se situent les Nords, USA, Europe et Japon
hypermédiatisés. Et au sud, des Suds où l’on retrouve pêle-mêle l'Afrique des villages et des
villes champignons, qui échappe en partie à la structuration de l'espace et de la société par les
réseaux techniques, mais où par contre les réseaux sociaux jouent un rôle déterminant [cf.
Chéneau-Loquay 1999, 2001 ; Mbargane 1995 ; Mutabazi 2001].
Le constat auquel parvient l’auteur à partir de cette situation, c’est que l’Afrique ne dispose
pas des armes de ses partenaires-concurrents pour réussir son intégration dans la société
mondiale de l’information. Elle s’appuie pour argumenter son propos sur la qualité de
l’infrastructure nationale d’information et de communication de ces États pour mieux
souligner la démission/impuissance de politiques et de stratégies de développement vouées à
l’échec à cause de ces disparités criardes. Le passage suivant rend compte de ces
déséquilibres.
« Le contexte global d'un développement lacunaire où coexistent des zones urbaines,
connectées à des réseaux matériels modernes et des zones rurales isolées et dépendantes des
énergies locales renouvelables, reflète en Afrique la prolifération du secteur informel dans des
territoires mal contrôlés par les États […]. Cette dualité, obstacle de fond pour le
développement, est très peu prise en compte dans les projets où on ne perçoit pas le rôle
fondamental d'infrastructures et d'équipements interconnectés, en tant que système nerveux
d'un territoire ».
Face à cette disparité territoriale des équipements et des structures, il lui est difficile
d’envisager les TIC comme leviers de développement de stratégies économiques et sociales
durables, en l’absence de réseaux (informationnels, communicationnels, routiers, etc.)
302
interconnectés. Au cours d’un séminaire209
consacré à la relation entre les TIC et leur impact
dans les pays africains, elle a relancé le débat sur les opportunités de ces technologies, dans
un contexte où précisément elles suscitent des enjeux économiques considérables en relation
avec les innovations technologiques qui se succèdent à un rythme inédit, et l'introduction de la
concurrence dans des secteurs longtemps sous le contrôle de ces États.
Le désengagement progressif des États de ces pays dans des entreprises où ils détenaient
jusque là le monopole, laisse là aussi ouvert le débat sur les gages d’une déréglementation et
d’une libéralisation tous azimuts, imposées par les organismes et les bailleurs de fonds
internationaux. En effet, ces politiques d'ajustement structurel mettent en oeuvre le
désengagement de l'État et la privatisation de l'économie, pour faciliter le passage d'une
économie encadrée à une économie libéralisée. Cette transition pour le moins brutale
commande de s’interroger sur les bases d’un développement pérenne, si l’on ne détient pas les
cartes maîtresses du jeu d’une « mondialisation sous contraintes ».
Cette situation, peu prometteuse pour la promotion de politiques de développement viables,
n’est évidemment pas de nature à favoriser l'insertion des technologies d’information et de
communication sur la toile mondiale des échanges de données et d’informations, entre ces
pays et leurs partenaires-concurrents. Pour envisager cette insertion dans une perspective de
développement durable, il faudrait certainement d’abord rendre crédible l’infrastructure
nationale d’information et de communication (I.N.I.C.), souvent peu fiable. À partir de là, on
peut envisager que l’insertion dans le système mondial d'information et de communication
(I.M.I.C.) suscite l'immense espoir d'accomplir un saut technologique qui contribuerait à
résoudre les problèmes de développement jusqu’à lors accumulés.
Arc-boutée sur une « modernisation paradoxale », à cause des disparités territoriales qui
caractérisent son développement, et la faiblesse de sa représentativité dans les organismes
internationaux, l’Afrique manifeste pour Marie-Françoise Durand, Jacques Lévy et Denis
Retaille210
, qui en relèvent l’importance, les signes d’une « réinvention du capitalisme ». De
par son mode d’organisation sociale plus apte à rendre compte de la vie de relations, plutôt
209
Chéneau-Loquay (A.), « Développement africain par les TIC », http://ariane.rio.net/textes/enjeux, 210
Durand (M.-F.), Lévy (J.), Retaille (D.), Le monde espace et systèmes, 1993.
303
que de la logique effrénée de production (cf. les logiques/grandeurs évoquées par Boltanski et
Thévenot dans leur théorie), c’est la voie la mieux adaptée à une politique de développement
endogène.
Réfléchir à la question de l’insertion de l’Afrique dans les réseaux mondiaux d’information et
de communication, revêt d’autant plus d’importance que le développement de la société et de
l’économie de l’information, à l’image des progrès technologiques, véhicule le mythe de la
technologie toute puissante, moteur du changement social et économique. Cela est d’autant
mieux ressenti aujourd'hui, que l’une des caractéristiques de ces réseaux techno-économiques
est de favoriser la transparence, du fait du partage d’informations et de l'ubiquité qu’ils
favorisent [cf. Jean-François Bayart 1994, La réinvention du capitalisme. Les trajectoires du
politique]. C’est par cet état de développement contrasté que nous allons voir les conditions
de mise en œuvre d’une société africaine de l’information.
1.2. Quelle situation pour l'Afrique dans les réseaux mondiaux ? : chronique
d’une mal-insertion
L’idée d’une société africaine de l’information permettant de maintenir ou d’atteindre des
objectifs de développement viables, est l’idée maîtresse des initiatives qui ont vu le jour à
travers des projets comme AISI, AFTIDEV, INFODEV, RIO, RASCOM, etc. Il s’agit à partir
de ces initiatives de revoir les stratégies de développement menées jusqu’à lors, en
promulguant un redéploiement de ces stratégies, sur la base d’une intégration à
l’infrastructure mondiale de l’information et de la communication (I.M.I.C).
Ces modèles de développement, ayant eu jusqu’à présent la particularité de s’illustrer
négativement, parce qu’ils brisent les dynamiques locales, le pari de cette société africaine de
l’information est d’envergure. Il repose en effet sur l’idée forte que l’Afrique opérera un bond
technologique lui permettant de faire l’économie de la révolution industrielle, pour s’arrimer à
la révolution de la société de l’information. Le passage suivant révèle l’ambition de cette
304
initiative prônée dans l’intérêt conjoint du développement économique, technologique et
social des sociétés africaines :
« Le fondement de la société africaine de l’information est le développement et la
consolidation des plans et politiques de l’infrastructure nationale d’information et de
communication (INIC), qui sera la pierre angulaire de la réponse de l’Afrique aux défis de la
globalisation »211
.
Mokhtar Ben Henda212
l’avait déjà fait remarquer en liant cette avancée à celle de la volonté
politique des dirigeants africains. Étant donné le contexte environnemental mondial peu
favorable aux économies africaines qui ont une voix mineure, pour ne pas dire une absence de
poids décisionnel au niveau des organismes de régulation des échanges et du commerce
international, c’est vraisemblablement une occasion inédite de renverser la tendance. Ce
déséquilibre est aussi accentué par le fait que les économies africaines reposent davantage sur
des exportations de produits et de matières premières brutes, alors que leurs « partenaires » du
Nord se tournent de plus en plus vers des productions dématérialisées, comme le fait
justement remarquer Peter Drucker dans le passage suivant :
« Les activités qui occupent la place centrale ne sont plus celles qui visent à produire et à
distribuer des objets, mais celles qui produisent et distribuent du savoir et de l’information »
213.
Certes, les enjeux de la redistribution des cartes stratégiques des acteurs économiques ont été
considérablement modifiés depuis cette transition, mais sont-ils réellement opportuns pour la
société et l’économie africaines ? C’est ce qui ressort d’un rapport concernant l’opportunité
du réseau Internet dans les Pays En Développement (P.E.D.), effectué par Marie Piron214
(et
211
AISI, http://www.uneca.org/aisi/ 212
Henda (M.B.), « Les réseaux électroniques d’information en Afrique. À la recherche du maillon perdu »,
www.chez.com/benhenda/publicat/afrique.htm 213
Drucker (P.), Au-delà du capitalisme,1993. 214
Piron (M.), « Les opportunités du développement grâce aux N.T. : les enseignements du réseau Internet »,
www.ensea.refer.ci/sysinfo/sysinfo1.htm)
305
qui est au cœur de la controverse entre les TIC et l’instauration d’un nouvel ordre économique
et social en Afrique.
L’auteur fait ainsi valoir dans cet article la difficulté d’imputer de tels bénéfices aux
entreprises africaines en raison du manque d’études et de données fiables les concernant,
celles-ci étant davantage disponibles pour les pays industrialisés. Dans ce cas, la nécessité
d’un tel redéploiement n’a lieu d’être que dans la mesure où les concurrents ne bénéficient pas
de ces avancées. Adoptant une position plus nuancée, Robert Valantin215
, un chercheur du
CRDI (Centre de Recherches pour le Développement International), dans un article sur les
enjeux de l’information comme ressource mondiale, en montre certes l’utilité comme arme
efficace de développement, mais sous certaines conditions, dont il révèle l’ampleur dans un
ouvrage co-écrit avec John Howkins.
En effet, selon le discours dominant et l’ampleur pris par le développement des TIC, ces
technologies seraient réductrices d’écarts entre le Nord et le Sud, pour peu que des initiatives
de réseautage voient le jour, grâce à l’implantation d’une infrastructure de l’information et de
la communication capable de promouvoir des partenariats en ce sens. Dans cet ouvrage, il
creuse cette problématique en montrant l’impact des TIC sur les questions et les voies de
développement possibles des Suds.
215
Valantin (R.), « L’information : une ressource mondiale », www.idrc.ca/books/reports/f234-02.html et Le
développement à l’âge de l’information. Quatre scénario pour l’avenir des TIC, 1997, 88 p.
306
Il s’interroge notamment sur la manière dont ces technologies peuvent aider à répartir
équitablement le développement entre le monde « industrialisé » et le monde « en
développement », par la réduction ou l'élargissement des écarts entre ces deux mondes. Il se
reporte alors sur quatre scénarii développés sur cette question : la nef des fous, le cargo cult,
le réseau des blocs et le réseau mondial.
Les différents scénarii élaborés à ce sujet empruntent des chemins différents, tout comme ils
adoptent des mesures différentes dans les domaines de la coopération, du protectionnisme ou
de la planification de l’infrastructure mondiale d’information et de communication. Ils
relaient ainsi une vision contrastée et réaliste des rapports possibles entre les TIC, d'une part,
et les objectifs d'un développement mondial à la fois durable et équitable, d'autre part. De ces
points de vue, une constante demeure sur l’opportunité des TIC comme arme de
développement complexe opposable à l’accomplissement socio-culturel et techno-
économique des pays en développement.
Les TIC ne peuvent à elles seules accroître l'équité, la participation ou l'emploi de ces
technologies, sans une volonté politique et des partenariats entre les États, le secteur privé et
les organismes internationaux [Jackson, Dumont, Valantin]. Si la mise en œuvre d’un cadre
propice à l’exploitation de la société africaine de l’information reste problématique, l’intérêt
d’une telle société est d’amoindrir les écarts entre des populations, qui par leur statut social,
bénéficient d’un accès aisé à ces infrastructures d’information et de communication,
auxquelles les autres ont difficilement ou jamais accès.
Une chose est sure, c’est que la mondialisation et la société de l’information sont des réalités.
S’en soustraire ou s’en défaire, là n’est plus la question. Ce qu’il faut faire, précisément dans
le cas de l’Afrique, c’est développer des stratégies endogènes pour soutenir les infrastructures
nationales d’information et de communication, au risque pour ces pays d’être définitivement
largué. Le cadre d’élaboration de cette société africaine de l’information étant planté, nous
allons à présent nous étendre sur les principes et les débats qui agitent ce projet.
307
1.2.1. Principes et recommandations nécessaires à l’édification d’une société africaine de
l’information
Nous nous sommes ici reposé sur des initiatives axées sur le développement et l’instauration
d’une société africaine de l’information, essentiellement issues des propositions du groupe
africain dans le cadre préparatoire de la déclaration et du plan d’actions du Sommet Mondial
de la Société de l’Information (SMSI)216
, et de celle de l’AISI217
(l’Initiative de la Société
Africaine de l’Information), car ces organes fixent un cadre d’ensemble consensuel à
l’émergence et à la réussite de cette société.
Ainsi, dans le cadre préparatoire des travaux de ce sommet, les auteurs de ce rapport
envisagent cette société de l’information comme celle qui verra en Afrique, la réduction de la
pauvreté, la satisfaction des besoins fondamentaux, le renforcement de la démocratie, des
droits de l’homme et de la bonne gouvernance. Grâce à l’utilisation des TIC dans tous les
segments de la société, aussi bien par les entreprises et par le public d'une façon générale, que
par des groupes défavorisés comme les femmes et les jeunes, en particulier, ils estiment que
l’instauration de ce projet favorisera l’ensemble des projets énumérés.
Il ressort de ces recommandations que l’édification de cette société africaine de l’information,
ne pourra se réaliser sans un soutien conséquent à apporter à l’émergence d’un secteur
industriel fort, et l’appui d’une orientation politique tournée vers la production de services
touchant tous les acteurs de la vie économique et sociale. Elle devrait ainsi, permettre
d’asseoir les bases d’un développement durable où les acteurs de la société civile et du secteur
privé ont un rôle important à jouer, à coté de celui de l’action des gouvernements [cf.
Christian Huitema, 1995].
216
Propositions de l’AISI, .www.uneca.org/aisi/Bamako2000/Contribution_africaine.doc 217
AISI, CEA (Commission Économique pour l’Afrique), « Rapport relatif à l’initiative société africaine à l’ère
de l’information. Cadre d’action pour l’édification d’une infrastructure africaine de l’information et de la
communication », 1996, http://www.anais.org/ARTICLES/DOC73.HTML#top
308
Les principes généraux de cette société se fondent sur le concours du Nouveau Partenariat
pour le Développement de l’Afrique (NEPAD) qui vise une coopération africaine concertée et
soutenue avec le reste du monde. Plus spécifiquement, cette société de l’information devra se
faire en appui d’une infrastructure nationale d’information et de communication, arrimée à
celle de l’infrastructure internationale d’information et de communication, pour faciliter la
mise en place d’un mécanisme équitable de tarification et d’ouverture sur le monde.
Précédant ces recommandations, le rapport de l’AISI, portait déjà quant à lui, spécifiquement
sur le rôle de l'information, de la communication et des connaissances dans la création d'une
société africaine à l'ère de l'informatique, sur les défis et les nouvelles possibilités qu’elle
ouvre. Les auteurs de ce rapport préconisent ainsi que chaque pays africain détermine un plan
national relatif à une Infrastructure Nationale d'Information et de Communication (I.N.I.C.).
Ayant pour objectif le développement par une gestion de l'information, un tel plan doit être
conçu de manière globale et trans-sectoriel. avec pour finalité de favoriser la coopération
entre les États africains, notamment par des échanges d'expériences.
Les auteurs du rapport croient fermement que l'Afrique peut bénéficier de l'apport des TIC
dans tous les domaines. Certes, des investissements et des changements institutionnels, sinon
de mentalité, seront nécessaires pour s'adapter à l'ère de l'information, mais ils pensent que
ces investissements sont minimes, comparativement aux bénéfices qu’ils apporteront. Ils
envisagent ainsi ces bénéfices à travers la mise en valeur de quatre principaux éléments :
Le cadre institutionnel imparti à chaque gouvernement par la mise en place d’un environnement
propice aux TIC, et par la création d’un organisme chargé de la coordination du plan national entre
tous les acteurs concernés, à l’image de l’initiative des membres du réseau ARISE.
Une politique en ressources humaines insistant sur la valorisation des compétences par une politique
de formation appropriée.
309
La valorisation des ressources en informations ou « infostructures », par la qualité des informations
auxquelles elles permettent d’avoir accès, aux fins de mesurer les avantages apportés par l'Initiative
"Société africaine à l'ère de l'informatique".
Une politique axée sur les ressources et l’infrastructure technologique, « sous la forme d’ordinateurs,
de logiciels et de tous les éléments d’une infrastructure de télécommunication permettant le traitement
des données et de l’information ».
C'est principalement dans ce domaine que les TIC peuvent permettre, selon les auteurs de ce
rapport, à l'Afrique de sauter plusieurs étapes intermédiaires de développement. Comme nous
l’avons fait remarquer précédemment, il existe néanmoins des voix discordantes par rapport
aux bénéfices réels des TIC. Selon ces voix, cette expansion ne serait en fait qu’un prétexte à
l’instauration d’un marché de dupes [cf Moudjibat Daouda], renforçant le « techno-apartheid
mondial » entre « inforiches » et « infopauvres », selon l’expression consacrée par Petrella
[1994].
1.2.2. Le défi idéologique de la société de l’information : entre craintes et espoirs
S’il est incontestable pour nous que les TIC apporteront des bénéfices à l’Afrique en termes
d’amélioration de la qualité de travail, d’opportunités de formation et d’ouverture sur le
monde, grâce à l’arrimage à l’infrastructure mondiale d’information et de communication, la
thèse du bond technologique salvateur est davantage un sujet de controverses. Si l’on se réfère
à l’acception et à l’évolution du terme de mondialisation d’Emmanuel Glaser [1998], on
comprend mieux pourquoi. Il y montre en effet comment on est passé de la définition de la
mondialisation, essentiellement économique à partir de l’évolution des entreprises dans les
années soixante-dix, à celle d’une mondialisation galopante en tant que modèle global
couvrant tous les champs de l’activité internationale au milieu des années quatre-vingt-dix.
310
Dans l’ouvrage qu’il a coordonné et qui est consacré au développement de la société de
l’information, Robert Valantin et John Howkins218
partent du processus de développement de
la marche du monde en quatre périodes : le colonialisme, fondé sur le désir de contrôler les
autres ; la libéralisation, appuyée sur le désir de l'autorégulation ; le développement, suscité
par le désir de se mettre à niveau ; et la technologie, fondée sur la crainte de prendre du retard,
pour construire quatre scénarii marquant autant de trajectoires fictives relatives au
développement de la société de l’information.
Ce processus d’évolution, avec les disparités qu’il produit sur les blocs territoriaux, est à
l’image des scénarii mis en scène. Il manifeste en effet les rapport de coopération, les
tensions, les divisions, ainsi que les disparités qui caractérisent et accompagnent le
développement de la société de l’information. Cette ambivalence sur la manière dont les TIC
peuvent aider à répartir équitablement le développement entre le monde « industrialisé » et le
monde « en développement », par la réduction ou l'élargissement des écarts entre ces deux
blocs, fonde les perspectives de travail de cet ouvrage. Il manifeste autant de voies de
coopération que de divergences sur les moyens de parvenir à une société de l’information
équitable relaté à travers les scenarii ci-après.
Le premier scénario, « la nef des fous » repose sur le sectarisme de la communauté mondiale
qui pratique l'exclusion, et contribue à l’accroissement du fossé entre les pays riches et les
autres. Ce fait est avéré, car la plupart des pays en développement réagissent passivement face
à l'acquisition des TIC et à leur usage, parce qu’ils sont cantonnés dans un rôle de
consommateurs et de spectateurs passifs de la révolution qui se joue sous leurs yeux.
Les mesures forcément limitatives que la plupart de ces pays prennent pour contrer ces
« agressions », consistent à ériger des barrières protectionnistes comme des taxes à
l'importation. Mais ces protections sont peu efficaces, car ils ne mettent en œuvre aucune
politique pouvant engendrer une industrie nationale, capable de faire face à cette domination.
218
Valantin (R.), Howkins (J.), Le développement à l’âge de l’information. Quatre scénario pour l’avenir des
TIC, 1997, 88 p.
311
Le deuxième scénario, « le cargo cult », considère la mission dévolue à la communauté
internationale. Celle-ci se caractérise par un esprit universaliste et coopératif, en référence à
une image historique empruntée au peuple mélanésien au XIXè siècle, attendant passivement
et inlassablement l'arrivée de cargos étrangers. Ces derniers symbolisant l'apparition d'un
nouvel âge messianique annonçant le paradis sur Terre, les habitants de cette contrée
délaissèrent alors leur travail et arrêtèrent de cultiver la terre, délibérément encouragés dans
leur désamour par les missionnaires chrétiens qui entretenaient cette croyance.
Aujourd’hui, par analogie à cette dérive messianique liée au cargo cult, les partisans de ce
scénario considèrent que les TIC sont un moyen de contrôler les pays technologiquement,
économiquement, socialement et politiquement défavorisés par leurs nombreux handicaps
structurels. Ils considèrent que les multinationales occidentales qui détiennent les droits de
propriété intellectuelle sur ces services, ne s'intéressent guère aux questions relatives à l'équité
et à l'accessibilité, mais davantage à la rentabilité de leurs investissements sur le court terme.
Effectivement, les caractéristiques et les normes techniques des produits qu’ils promeuvent
sont définies presque exclusivement par des gouvernements et des sociétés rattachées à
l'OCDE, et par les organisations intergouvernementales qu'ils financent et contrôlent.
Ce scénario commence donc de la même façon que le précédent, car il entérine la toute-
puissance de l’Occident. On y assiste en effet à la domination écrasante des pourvoyeurs de
technologies et des régulateurs du commerce mondial, qui peuvent se permettre d’offrir des
services à bon marché, développés prioritairement dans des contenus à destination de leurs
sociétés. Il en résulte une frustration généralisée, qui en l’absence de réelle stratégie de
développement fait que la plupart des pays en développement ont obtenu l'accessibilité aux
autoroutes de l’information, au détriment de la maîtrise de leur contenu. Ils peuvent acheter
l'information, mais ne peuvent générer, pour ne pas dire qu’ils ne génèrent quasiment pas, leur
propre contenu informationnel.
312
Cette situation fait que ces pays qui restent encore attachés au modèle économique
traditionnel, n'ont pas réussi à établir de connexion entre information et développement : ils
reçoivent de l'information et s'attendent à recevoir avec le développement clé en main. Il ne
risque malheureusement pas d’arriver car ils ne travaillent guère beaucoup pour faire en sorte
que ce développement soit à leur image. Ce scénario peu glorieux pour les PED, nous mène
vers le troisième scénario relatif à la constitution de réseaux de blocs, ces derniers prolongeant
la constitution de réseaux territoriaux liés au partage de modes communs d’exploitation et de
gestion des TIC.
On voit ainsi distinctement se détacher les pays de l’OCDE et leurs partenaires-associés, les
« inforiches » et de l’autre, les « infopauvres » une communauté éparse, mais se retrouvant
dans un déficit structurel commun concernant leurs politiques d’information et de
communication. Cette première frontière entre ces deux grands blocs tend à s’estomper
manifestant des niches autant à l’intérieur de ces frontières qu’en dehors, par l’apparition de
groupes partageant une même culture et une même langue d'abord dans les villes, puis de plus
en plus à l'extérieur. Chaque groupe se démarquant des autres, par la coopération et les
partenariats qui les lient, renforçant ainsi l’exclusion de ceux qui n’ont pas de communautés
d’appartenance, parce qu’ils n’ont pas, ou ne disposent pas de ressources suffisantes.
Le dernier scénario, celui des « réseaux mondiaux », est plus consensuel. Il se caractérise par
une prise de conscience des pays de l’OCDE et de leurs partenaires-associés. Ces sociétés
commencent à prendre conscience de l'étendue de leur échec, face à la constitution de blocs et
de marchés nationaux saturés. La recherche de nouveaux débouchés les poussent à se
rapprocher de ces niches marginalisées, en nouant des relations avec des entreprises et des
institutions du monde en développement. Cet intérêt est motivé par le fait que la
marginalisation totale de ces pays peut leur être économiquement préjudiciable à terme, ce qui
les incitent à prendre l'initiative de faire pression sur leurs propres gouvernements pour qu'ils
détruisent ces barrières commerciales.
313
De leur côté, les pays en développement voient là une chance de collaborer avec des
entreprises mondiales pour mettre en place une société et une économie de l'information
nationales, conscients du fait qu’ils ne détiennent pas les outils pour y parvenir tout seuls. Le
scénario des réseaux mondiaux et celui de la constitution des blocs, apparaissent comme un
moindre mal, comparativement aux scénarii de « la nef des fois » et du « cargo cult ».
Si la constitution de ces scénarii remonte à 1997, ils sont aujourd’hui encore d’une étonnante
et brûlante actualité, dont témoigne l’élargissement de l’Europe. En effet, nombre de ces
problèmes non seulement relèvent de politiques publiques mais exigent des dispositifs
réglementaires équitables entre les pays riches et les pays en développement, pour ne pas
exclure davantage des pans géographiques structurellement dépourvus.
Ainsi, peut-on voir dans « la nef des fous » de nombreux symptômes de la situation actuelle,
parce qu’il est vrai que géographiquement et technologiquement des phénomènes concordants
tracent une frontière entre le Nord et les Suds. « Le cargo cult » est malheureusement une
réalité dans laquelle sont installés les PED. « Le réseau des blocs » est la traduction des
rapports controversés entre le Nord et les Suds, à propos de la détérioration des termes de
l’échange notamment. « Le réseau mondial » est souhaitable, mais les facteurs et les
circonstances qui pourraient le faire apparaître restent floues, parce qu’il est le théâtre
d’enjeux économiques et financiers d’envergure.
Devant l’échec de l’économie administrée, et aujourd’hui, de l’économie ouverte dans le
cadre de la mondialisation en Afrique, Willy Jackson219
, marque la nécessité pour cette
dernière d’envisager un nouveau départ, un autre type de développement, qui corrobore les
prémisses du scénario du réseau mondial afin de constituer des blocs capables d’impulser
l’énergie et la coopération nécessaires à l’émergence d’une société africaine de l’information
endogène. En effet, le mythe d’une libéralisation de l’économie permettant un partage
équitable des richesses et de l’accès à l’information, est pour les détracteurs, ou du moins les
219
Jackson (W.), « Vers une société africaine de l’information : un défi pour les organisations africaines de
régionalisation économique », http://www.uneca.org/adf99/worddocs/FDA'99-jackson.doc
314
sceptiques vis-à-vis de ce courant, contredit par les manifestations auxquelles se rapportent
les effets de la mondialisation sur le terrain.
Pour les partisans du développement tous azimuts de la société de l’information en Afrique,
c’est la libéralisation de l’économie en Afrique qui va permettre de faire l’économie des
révolutions antérieures, qu’elle a au passage rarement réussi, grâce aux investissements
massifs consentis pour se doter d’une I.N.I.C. capable de soutenir les projets de
développement locaux. Or, cette approche qui s’effectue à l’encontre des processus qui ont
assuré le développement de l’économie de l’information dans les pays occidentaux, est en
train d’être distillée dans le sens contraire en Afrique.
Dans les pays développés, l’expansion de l’économie de l’information a d’abord été associé
aux pouvoirs publics, qui ont peu à peu cédé le pas à des initiatives privées. En effet, comme
le soulignent Michel Elie220
, Pascal Renaud et Astrad Torres 221
, la conception et l’expansion
d’Internet aux États-Unis ont été prises en charge par des organismes publics et des
universités. Dans ces conditions, on peut comprendre les raisons qui poussent les détracteurs
de ce modèle de développement de la société de l’information à le contester, en tant
qu’argument de marketing.
Les partisans de cette approche voient en effet derrière les discours « missionnaires » de
développement économique et social, un moyen légal d’écouler les surplus de la société de
consommation des pays occidentaux, afin de leur assurer de nouveaux marchés (cf. scénario
4). Cela est d’autant mieux facilité par l’endettement de ces États, que cela les conduit à se
désengager des activités économiques le plus possible. Le risque de cette invasion de capitaux
privés, en plus de brader le patrimoine de ces États, est de
contribuerait à leur affaiblissement, ainsi qu’à celui de populations insolvables.
220
Elie (M)., « Internet et développement. Un accès à l’information plus équitable ? », Futuribles, n°214,
novembre 1996, p. 43-64. 221
Renaud (P.), Torres (A.), « Une chance pour le Sud.Internet l’extase et l’effroi », Le Monde diplomatique,
Manière de voir, numéro hors série, octobre 1996, p. 46-50.
315
Quoique l’on dise et que l’on en pense, c’est l’État le premier pourvoyeur d’emplois et de
projets de développements d’envergure dans ces pays. Dans un tel contexte, privilégier le
secteur privé et l’ouverture totale des économies de ces pays, correspond davantage à
l’aboutissement d’un scénario libéral et non-interventionniste, privilégiant des intérêts
économiques partisans, plutôt que les réalités locales. Cela conduira nécessairement à un
renforcement des inégalités, à l’intérieur de ces états, car la logique de parachutage, qu’elle
soit technologique ou économique, imposée par ce modèle profite rarement au public qu’elle
tente majoritairement de toucher.
Ce qui est d’autant mieux vrai que la démonstration des différents scénarii s’appuie sur la
toute-puissance des pays riches, qui disposent de l’infrastructure et des moyens financiers,
technologiques et intellectuels au-delà du nécessaire, engageant davantage l’effet d’un
véritable « colonialisme électronique ». C’est notamment le point de vue soutenu par Pascal
Renaud et Astrad Torres222
, qui rapportent que dans plusieurs pays africains, des opérateurs
commerciaux, appuyés par des groupes internationaux, mettent en place des infrastructures
dont les premiers bénéficiaires sont les multinationales, comme l’indique le passage suivant :
Il est certain que l’offre de nouveaux services fiables et bon marché de télécommunication
internationale ne peut que favoriser les relations commerciales entre le Nord et le Sud sans
pour autant modifier les termes de l’échange. Mais il est à craindre qu’une telle démarche ne
limite les bénéfices des nouvelles technologies à une clientèle solvable. Or celle-ci, dans les
pays économiquement les moins avancés, est souvent étrangère ou « exogène ». Cette
politique, si elle n’est pas associée à une action plus volontariste vers les secteurs non
commerciaux, notamment en termes de formation, a une faible probabilité de combler le fossé
tant redouté entre ceux qui sont et ceux qui ne sont pas dans la société de l’information ».
222
Renaud (P.), Torres (A.), « Une chance pour le Sud, Internet l’extase et l’effroi », Le Monde diplomatique,
Manière de voir, numéro hors série, octobre 1996, p. 46-50.
316
Le moins que l’on puisse dire, c’est que le développement de la société de l’information en
Afrique, est une entreprise complexe à laquelle font face les gouvernements des pays en
développement, au moment où chacun d'eux s'efforce d'élaborer des politiques en vue
d'accéder aux TIC et de les utiliser à des fins du développement. Si la participation de
l’Afrique à l’I.M.I.C. reste marginale, il faut néanmoins qu’elle prenne garde à adopter des
solutions endogènes à l’instauration de la société de l’information, au risque de reproduire les
erreurs du « copier-coller » de ses politiques de développement antérieures. De façon plus
radicale, Moudjibath Daouda223
y voit là une forme de colonialisme autorisée par les
institutions et les bailleurs de fonds internationaux, car elle permet aux anciennes
métropoles…
« jamais réellement parties et devenues entre-temps des pays développés systématiquement
opposés aux pays dits sous-développés, en voie de développement ou, pour faire plus
politiquement correct, pays du Sud ou pays émergents, de revenir proposer, à l’aube du
troisième millénaire, un nouveau type de collaboration aux États africains : le nouveau sentier
vers le développement pour l’entrée de l’Afrique dans le ‘’village global’’. Avec le
développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication, la
technologie a fourni une arme qui offre l’Afrique comme un plateau ouvert à une occupation
d’un nouveau genre ».
Pour l’auteur, la violence de ces propos conteste la justification effrontée d’un marché de
dupes déguisé en politiques d’appui et d’aide au développement, qui masque en réalité les
raisons profondes de ces initiatives, en dehors des objectifs généreux clairement affichés. Ce
qui laisse la voie ouverte au déversement du surplus des productions occidentales, sur le
marché africain, pour le transformer par la même occasion en un terrain d’enjeux
économiques importants. Ainsi, tout en offrant à l’Afrique une sorte d’ouverture sur
l’extérieur, les projets de création de réseaux et d’insertion à l’économie-monde, tels qu’ils
sont conçus aujourd’hui, ouvrent en même temps le continent à toutes sortes d’influences
extérieures par le biais de ces réseaux de communication.
223
Daouda (M.), « Les nouvelles technologies de l’information et de la communication en Afrique : un nouveau
marché de dupes ? », : www.aftidev.net .
317
Cette situation préjudiciable à l’Afrique car elle est davantage consommatrice vis-à-vis des
pays producteurs de technologie, plutôt que productrice de contenus accentue sa dépendance
culturelle. Étant donné ces dérives, la nécessité de définir de nouveaux paradigmes en matière
de développement en Afrique est primordiale. Dans la mesure où il apparaît que
contrairement aux promesses d’une ère de croissance, par les bénéfices d’une économie
libéralisée et acquise au développement de la société de l’information, la mondialisation se
caractérise surtout par une polarisation des richesses, et par l’accroissement des inégalités
Nord-Sud, aussi bien à l’intérieur de ces deux hémisphères, qu’au sein de chacun d’entre eux,
par la distinction que révèle les concepts d’« inforiches » et d’« infopauvres ».
Voir dans ce modèle un sésame pour le développement de l’Afrique semble excessif. Mythe
de la toute puissance technologique ou ultime recours de stratégies de développement viables,
les TIC, constituent en tous les cas une opportunité d’ouverture sur le monde, à défaut de se
substituer, ou de suppléer à la carence en matière de prospective stratégique des États
africains. Quelque soit la perspective retenue, la question des réseaux d’information et de
communication doit être resituée dans le contexte global d'une modernisation paradoxale qui
semble dédaigneuse de stratégies de développement endogènes [cf. l’approche développée par
Jérôme Erbin, lors du discours prononcé lors de la rencontre sur l'Afrique et les Nouvelles
Technologies de l'Information à Genève en 1996].
Parce qu’elle est au cœur d’enjeux économiques et de pouvoir considérables [Elkyn Chaparro,
Tidiane Sangare 1996], la société de l’information est susceptible de sortir l’Afrique de la
pente de la mondialisation dépendante dans laquelle elle est engagée, pour résolument la
tourner vers le cycle d’une mondialisation maîtrisée. C’est la position de Willy Jackson224
, en
dépit des paradoxes qui caractérisent le développement de cette société de l’information. Pour
cela, il préconise la consolidation de politiques de partenariats, et l’implication des États de
ces pays comme alternative et médiation plus équilibrée.
224
Jackson (W.), « Vers une société africaine de l’information : un défi pour les organisations africaines de
régionalisation économique », (http://www.uneca.org/adf99/worddocs/FDA'99-jackson.doc
318
Si les TIC peuvent être un vecteur de développement et d’expansion pour l’Afrique. Si elles
peuvent être une chance dans les pays du Sud, et plus particulièrement en Afrique, de
remédier aux carences en infrastructures de base, il faut être vigilant quant à l’assimilation
tous azimuts de ces invasions économiques et politiques. À travers ces critiques, ce n’est pas
la portée de ces technologies qui est remise en cause, mais plutôt une forme de « colonialisme
techno-économique » qui laisse à désirer. Les conclusions tirées de l'ouvrage de Robert
Valantin et de John Howkins [1997] montrent à suffisance que l’instauration de ce modèle de
société est complexe, comme l’attestent les différents scénarii exposés.
Au final, le scripte de ces scénarii montre qu’il est dans l'intérêt de chacun d'opter pour un
système mondial plus universel, parce qu’il s’inscrit dans un processus mondialisant, tout en
aménageant des équilibres qui ne pénalisent pas davantage les États structurellement
déficitaires. On peut donc s’accorder avec les conclusions de ce rapport pour dire qu’il vaut
mieux privilégier le scénario du « cargo cult » à celui de « la nef des fous ». celui du « réseau
mondial » à celui du « réseau des blocs ». Ce n’est pas que ces scénarii soient les meilleurs ou
les mieux adaptés, c’est juste qu’on peut considérer qu’ils sont un moindre mal.
319
Si l'avenir des TIC en Afrique paraît mitigé, cette incertitude cependant ne doit pas justifier
l'inaction, parce qu’elle fait plus de ravages que n’importe lequel des pires scénarii. La
priorité pour les PED, et plus singulièrement de l’Afrique, doit être de se construire une
société et une économie de l'information qui reflète sa culture et ses besoins, tout en étant
capable de choisir le meilleur rôle qui soit pour elle au sein de la communauté internationale.
La création de cette société de l'information doit dépasser la crainte d’une imposture techno-
économique, fut-elle justifiée.
1.2.3. Promouvoir les stratégies de réseautage : plaidoyer en faveur d’un nouveau
partenariat
Bien que les modalités de la mondialisation et du développement de la société de
l’information ne soient pas favorables à l’Afrique, celle-ci ne peut nier l’impact de ces
phénomènes, ni davantage en faire l’économie [Edem Kodjo, Tidiane Sangare, Elkyn
Chaparro, 1996]. La question n’est donc pas de savoir si l’Afrique doit s’engager dans ce
mouvement d’ensemble, mais plutôt comment elle doit tirer parti de ses potentialités pour
l’affronter de manière originale. Cette originalité présupposant le renforcement de partenariats
stratégiques, et d’une volonté politique affirmée par une vision claire des intérêts propres à
l’Afrique et à son développement [Guy-Olivier Segond 1996 ; Willy Jackson 1996, 1999].
Il s’agit notamment de privilégier des partenariats nouveaux, basés sur le renforcement des
capacités, et la transformation du lien entre bailleurs de fonds et bénéficiaires. Cette nouvelle
forme de partenariats insiste sur le fait que le bailleur de fonds doit réellement être un
partenaire stratégique, et non un bienfaiteur. C’est le vœu formulé par Peter Ballantyne,
Richard Labelle et Stephen Rudgard225
, et que l’on retrouve aussi dans la contribution de
225
Ballantyne (P.), Labelle (R.), Rudgard (S.), « Gestion de l’information : les défis lancés aux responsables du
renforcement des capacités », www.anais.org, 2000.
320
Patrick Viveret226
. Pour ce dernier, la question du partenariat relève moins d’une affaire
technique que de rapports humains.
En matière de solidarité, estime-t-il, l’Occident est en situation de sous-développement, car il
place les logiques économiques au-dessus des valeurs humaines. À travers cette prise de
positions, c’est le visage d’une mondialisation plaçant les intérêts économiques et financiers
au-dessus des individus qui est remis en cause. Le point d’orgue de cette critique prend son
paroxysme dans des mouvements contestataires comme ceux des alter-mondialistes, en tant
que reflet d’une crise aiguë de solidarité, aussi bien au Nord qu’au Sud, comme en témoigne
le passage suivant :
« La mondialisation telle que nous la connaissons actuellement est une mondialisation
sauvage, en ce sens qu’elle se fait non pas avec les êtres humains, mais contre les êtres
humains. On sait gérer les capitaux, on sait gérer les rapports aux objets mais les hommes, la
plupart du temps sont de trop par rapport aux techniques, et cela engendre le chômage. Ils
sont de trop par rapport aux nations, et cela engendre l’immigration ».
C’est pour contourner les effets pervers de la mondialisation que Willy Jackson227
privilégie
des stratégies de partenariats inter-régional en tant qu’issue favorable aux problèmes de
développement de l’Afrique, dans le cadre de la promotion de la société africaine de
l’information. En effet, les TIC peuvent servir d’instrument à la réalisation des politiques
communautaires de ces organisations en privilégiant l’intégration économique grâce à des
échanges et au partage d’expériences.
C’est malheureusement une réalité, à l’heure actuelle, seul le cadre communautaire offre aux
États africains la possibilité de faire face aux défis de la société de l’information. En effet,
226
Viveret (P.), « Partenariat et solidarité : pour une mondialisation civilisée », www.anais.org/ARTICLES/DOC63.HTML 227
Jackson (W.), « Vers une société africaine de l’information : un défi pour les organisations africaines de
régionalisation économique », (http://www.uneca.org/adf99/worddocs/FDA'99-jackson.doc
321
aucun de ces États ne pouvant faire face seul aux coûts induits par la mise en place d’une
société de l’information, il semble préférable, pour plus d’efficacité, que la mobilisation des
moyens (financiers, techniques, humains, etc.) se fasse à l’échelon régional. Comme le
suggère l’auteur, il existe divers procédés pour valoriser ces partenariats, avec notamment
comme mesures-phares :
L’institutionnalisation, au niveau de ces regroupements économiques d’une structure appelée
Infrastructure Régionale de l’Information et de la Communication (I.R.I.C.). Calquée sur le
modèle des I.N.I.C., elle aurait pour tâche de définir des programmes d’actions prioritaires et
de faire le bilan régulier de l’état d’avancement des actions décidées dans le cadre de l’entrée
de l’Afrique dans la société de l’information.
L’organisation de consultations régulières avec l’ensemble des acteurs sociaux et
économiques, dans le but de les associer à ces initiatives.
Dans une optique similaire, le Forum pour le Développement de l’Afrique (FDA) parvient
aux mêmes enseignements. Cela est répercuté dans le passage suivant :
« Les gouvernements doivent assurer un environnement porteur pour encourager le
développement de la technologie et des industries technologiques dans les économies
africaines. De toute évidence, il n’existe pas de solution toute faite aux problèmes qui se
posent aux pays africains. Toute formulation en matière de politique nationale doit être
conçue de manière à correspondre exactement aux objectifs nationaux clairement définis sur
la base des réalités des contraintes et des besoins locaux » [FDA, 1999, p.24].
Pour Willy Jackson, la solution réside dans le développement d’interfaces, c’est-à-dire des
« protocoles et des programmes de tout genre qui dans une multitude de systèmes et de
structures d’information actuels s’établissent comme garant d’une transparence de
communication et de flux de données entre systèmes hétérogènes ». Ces interfaces devraient
322
s’effectuer dans le but d’effectuer des partenariats viables de développement, et non
pérenniser des impasses de développement qui se matérialisent par des goulots
d’étranglement.
À ce sujet, il nous a paru important de relever les propositions faites par les rédacteurs de la
revue « Vif(s) »228
sur l’analyse qu’ils font de la reconception des territoires, face aux
pressions de la mondialisation galopante qui a progressivement façonné le monde et imposé
sa vision du monde et des rapports économiques et sociaux entre les individus. Pour satisfaire
et garantir ce modèle de développement des entreprises et des marchés, les particularismes
des sociétés et des territoires, constituant des barrières et des cloisons de toutes sortes, ont peu
à peu été remplacés par des espaces homogènes, largement ouverts au « progrès », avec des
spécialisations géographiques de production.
À partir de ce constat, les auteurs du rapport montre comment cette dynamique de
globalisation a désarticulé l'espace et la société, en faisant éclater la fonction intégratrice des
territoires et en affaiblissant les liens de cohésion sociales. Pour y faire face, ils proposent de
repenser. la gestion des territoires par une nouvelle manière de penser les rapports entre le
local et le global, en inventant localement des formes alternatives de développement.
Les auteurs préconisent à cet effet la revalorisation et l’enracinement territoriaux en tant que
système de relations entre les êtres humains, entre les organisations, entre la société et son
environnement. À la différence de la mondialisation, un territoire a une réalité historique,
culturelle, écologique, économique et relationnelle, avant d'avoir une réalité physique et
politique.
C'est la superposition de cette historicité et de ces relations qui engendre la conscience des
interdépendances et le sentiment d'appartenance que l’aspect matérialiste de la mondialisation
ne pourra jamais remplacer. Cette conscience doit permettre de réinventer les liens entre le
323
local et le global à partir de l'établissement de relations horizontales facilitant davantage les
communications et les échanges d'information, garanties par des règles communes et des
modes de gestion qui sont propres au territoire.
Les partenariats et les réseaux nés de ces alliances sont donc susceptibles de donner du sens
aux effets controversés de la globalisation, en y opposant des modèles et des initiatives locaux
mieux ciblés par rapport aux besoins des territoires. Le redéploiement endogène des
politiques de développement à partir des TIC, au delà des controverses, va dans ce sens, et
justifie l’optimisme des partisans inconditionnels des TIC en tant que vecteurs de
développement comme Tidiane Sangare229
.
Que ce soit au niveau des flux de transaction de capitaux, ou à celui des enjeux
technologiques organisés autour des choix en matière d’infrastructure et d’adéquation aux
priorités de développement, la bataille est engagée que l’Afrique s’y arrime ou qu’elle reste en
retrait. Quoiqu’il en soit, l’impact du développement de la société de l’information est une
réalité avec laquelle il faut compter, même si l’on peut être amené à en contester les
manifestations perverses. Nous allons à présent au vu des éléments de cette controverse, en
examiner les manifestations au sein du paysage économique et social gabonais.
Section II : Le Gabon à l’ère de la société de l’information
À l’initiative du gouvernement gabonais, le projet « Info-Com » qui a vu le jour en 1994 est le
fruit d’une étude intitulée « Gabon 2025 » avec le concours du Programme des Nations Unies
pour le Développement (PNUD) et la Commission Economique pour l’Afrique (CEA). Ce
programme initié pour permettre au Gabon de réussir son passage dans la société de
l’information, s’inscrit dans le cadre du nouveau partenariat de développement durable que
228
Vif(s), « Repenser les territoires », http://mypage.bluewin.ch/vifs/Archi/DF107.htm 229
Sangare (T.), « Mettre en valeur la richesse culturelle. État des lieux d’un pays qui dit oui sans naïveté »,
www.anais.org
324
veut désormais instaurer le NEPAD. Dans ce cadre, il répond à trois préoccupations
majeures : renforcer les institutions démocratiques, relancer l'activité économique et favoriser
l'entrée du Gabon dans la société de l'information.
S’intégrant dans le cadre du projet « Information et Communication pour le
Développement », le projet « Info-Com »230
, dont témoigne la contribution d’Annie Chéneau-
Loquay231
, s’est constitué autour de groupes de travail (média/culture ; éducation et
population ; enseignement supérieur/recherche scientifique ; commerce et industrie ;
informatique et télécommunications ; société civile ; bonne gouvernance et cadre
institutionnel) afin de poser les jalons d’une perspective socio-économique et politique.
À partir d’un recensement et d’un état des lieux de chacun des domaines préalablement
sélectionnés, les acteurs de ces différentes commissions de travail vont élaborer un plan
d’actions à mettre en œuvre pour favoriser et accompagner l’émergence du Gabon dans cette
société. Étant donné la perspective de notre travail de recherche, nous nous appuierons
essentiellement sur les travaux de la commission commerce et industrie pour témoigner de cet
engagement. En effet l’objectif de cette cellule est de parvenir à l’élaboration d’une stratégie
sectorielle pour le développement du commerce et de l’industrie à travers le développement
des TIC au Gabon, par la recherche de partenariats à part entière.
2.1. Définition des objectifs et perspectives
Ce projet, indissociable du contexte économique et environnemental gabonais, marqué par la
privatisation des entreprises publiques (transport, télécommunication, énergie) et la
rationalisation de la gestion de l'administration (réforme administrative), s’inscrit dans le
cadre des réformes imposées par les bailleurs de fonds internationaux pour redresser
230
« Information et communication pour le Gabon ». projet coordonné par M. Moussavou-Mabicka, www.f-i-
a.org/infocom, 2000.
325
l’économie gabonaise. Impulsé pour redynamiser la société gabonaise dans son ensemble, il
sert à établir un plan d’actions permettant de réussir le passage d'une économie reposant
principalement sur l'exploitation et l’exportation des ressources naturelles, à une économie
reposant sur la production de biens et services immatériels.
À partir de ces recommandations, le projet fournit aux décideurs de l'action publique un état
des lieux synthétique mais fidèle, des besoins en information et communication. Il permet
également de déceler les problèmes ainsi que les réponses apportées à ces besoins, à partir
d’un tableau de bord, précisant l’identification des groupes ayant un besoin prioritaire de
formation. Au final, ce tableau de bord conduira à l’élaboration d’un plan stratégique par
secteur et domaine d’activités retenus. Ainsi, les décideurs bénéficieront-ils grâce à ce tableau
de bord, d’un plan stratégique de développement proposant des priorités à court, moyen et
long terme propres à chacun des secteurs considérés, en matière de politique d’information et
de communication.
Étant donné les difficultés de fonctionnement des entreprises publiques gabonaises dans leur
mode actuel de gestion, l’idée de l’opportunité des TIC est de contribuer à l’amélioration de
leurs performances. Ces performances devant se refléter au niveau de la qualité de la
production, des services rendus, et des conditions de travail pour être compétitif à travers la
mise en œuvre des éléments suivants :
La mise en place d’une structure permanente de concertation, chargée non seulement
d’étudier les aspects relatifs au commerce électronique (juridique, commercial, fiscal -
douanier, etc. Mais également d’identifier les secteurs économiques prometteurs.
231
Chéneau-Loquay (A.), « Les usages et les besoins en communication au Gabon »,
http://ariane.rio.net/gabon/aloquay/
326
La création d’un « Trade Point » au Gabon pour permettre aux opérateurs économiques de
bénéficier des atouts des NTIC et, par la même occasion de doter le pays d’outils modernes
pour maintenir et développer sa compétitivité.
L’implantation de cybercafés dans tout le pays afin de favoriser le développement du
commerce électronique, et l’appropriation des NTIC par les nationaux à long terme.
La mise en place du " E-TOUCH " qui permet de vulgariser l’Internet également dans les
centres commerciaux. auprès des entreprises et des acteurs du développement par des
séminaires, des colloques, des publications diverses et la médiatisation sur toute l’étendue du
territoire.
Sur la base d’une enquête menée dans les principaux centres économiques du pays (Haut-
Ogooué, Ogooué-Maritime et Woleu-Ntem), exception faite de l’Estuaire qui abrite
Libreville, la capitale du Gabon. En tant que centre économique polarisant et centralisant
l’ensemble des activités économiques, elle a été abordée différemment, compte tenu du fait
que les principaux leviers économiques y sont concentrés et aux mains des investisseurs
étrangers pour la plupart. Ce qui constituait visiblement un frein par rapport à l’objet de
l’enquête, ciblée sur l’implication réelle des nationaux, et l’impact des technologies de
l’information et de la communication dans les entreprises nationales. Une trentaine
d’entreprises a ainsi été visitée, et a permis d’aboutir aux constats suivants :
90% des entreprises visitées ne disposent pas d’outil informatique. Cette situation est
tributaire de divers phénomènes, dont la plus manifeste reste liée au coût élevé de ce
matériel. Il y a aussi la modicité des ressources financières des opérateurs économiques
sélectionnés et la réticence face au changement, des personnes préférant conserver leurs
anciennes manières de travailler considérées comme plus sûres. De plus, le manque de
culture informatique, depuis la maternelle jusqu’à l’université, en passant par les centres de
formation professionnelle est flagrante, même au niveau de l’élite nationale.
327
75% d’entre elles ne disposent pas d’un téléphone. Les raisons sont multiples et concernent :
la non couverture nationale, la lenteur administrative pour obtenir une ligne, le coût très
élevé de la tarification. D’où la tendance effrénée à l’utilisation de la téléphonie mobile.
Moyen de communication le plus répandu actuellement au Gabon, la téléphonie mobile ne
peut cependant résoudre le problème du déséquilibre de la couverture de l’infrastructure
nationale d’information et de communication.
Une méconnaissance des TIC et une ignorance de leur impact stratégique. Elle tient au fait
que la plupart des entrepreneurs ignorent les technologies de l’information et de la
communication (TIC). Ils ne peuvent par conséquent, apprécier les multiples avantages qu’ils
peuvent tirer de leur usage.
Une absence de voies de communication fiables. Même si l’on privilégie le développement du
commerce électronique, cela présuppose tout de même qu’un minimum d’infrastructures
routière, ferroviaire, fluviale et aérienne adéquates existent. L’état actuel des voies de
communication ne répond pas aux besoins des populations, et encore moins à celui de
l’expansion des activités commerciales. À l’heure de la mondialisation, ce n’est pas de nature
à favoriser la compétitivité, si des efforts ne sont pas faits au niveau de l’amélioration des
voies de communication existantes.
Une volonté manifeste d’acquérir et d’intégrer l’outil informatique pour obtenir des
avantages compétitifs de ces entrepreneurs autodidactes pour l’essentiel.
Face à ce constat peu florissant, compromettant visiblement le pari fait d’intégrer le paysage
d’ensemble de la société et de l’économie gabonaise dans le système mondialisé des réseaux,
il convient de s’interroger sur les chances de réussite d’un tel projet, dans un pays où la
328
disparité des stratégies et des politiques de développement sont un fait problématique
récurrent.
C’est une véritable gageure à l’heure de la mondialisation et de l’instauration des programmes
d’ajustement structurel. Dans un rapport relatif aux « usages et aux besoins en communication
au Gabon », Annie Chéneau-Loquay (http://ariane.rio.net/gabon/aloquay/) tire des
conclusions similaires, qui ne sont pas sans rappeler les conclusions d’une autre étude menée
pour étudier « les verrous et goulots d'étranglement » naissant de la disparité de stratégies de
mise en valeur territoriale des États africains. Elle précise donc bien qu’il ne s'agit nullement
d'une étude exhaustive, mais plutôt d'une contribution s’inscrivant dans le cadre d’ensemble
de l'élaboration d'un état de la réflexion et de la problématique sur les bénéfices des TIC au
Gabon.
Il s’agit de permettre sur la base de cette réflexion, de favoriser des actions qui peuvent être
autre chose qu'un catalogue de bonnes intentions. Car pour l’auteur, si les intentions sont
louables, elle fait remarquer qu’il sera pour le moins difficile de mettre en œuvre la volonté
politique, et de combler le fossé qui existe entre le discours et les réalités concrètes du
quotidien. En effet, comme nous l’avons constaté tout au long de notre étude, c’est le déficit
de communication qui est un problème général prenant racine dans tous les secteurs
d'activités, avec des formes spécifiques dans chaque cas, comme en témoigne le passage
suivant :
« Ce qui caractérise surtout le Gabon est la disparité ; disparités spatiales, inégalités sociales
profondes entre villes et campagnes, et dans le tissu urbain. Le développement de la
communication dans le pays et avec l’extérieur peut-il inverser cette tendance ou faut-il en
prendre acte et choisir de privilégier les vecteurs les plus porteurs au risque d’accentuer ces
disparités »232
?
232
Chéneau-Loquay (A.), « Les usages et aux besoins en communication au Gabon », -
http://ariane.rio.net/gabon/aloquay/
329
2.2. L’état des lieux d’une modernisation paradoxale
Pour Annie Chéneau-Loquay, si le Gabon s'est longtemps distingué sur la scène africaine par
la faiblesse de sa taille, 267 670 km2,
, et de sa population, 1 200 000 000 habitants, c’est
surtout sa richesse qui le place au 38ème rang mondial dans la catégorie des pays à revenus
intermédiaires, qui a contribué à son « essor » économique dans les années 70-80. Pourtant, le
Gabon qui se caractérise par la prédominance d’une économie de rentes, n’a pas
véritablement tiré avantage de cette richesse pour asseoir une stratégie de développement
viable.
Cela se ressent davantage aujourd’hui que le pays est confronté à une crise économique et
financière qui remet considérablement en question les projets de développement du
Gouvernement, acculé par les pressions des organismes internationaux et par l’application de
leurs programmes d’ajustement structurels. Le paradoxe pour l’auteur, c’est que dans la
première phase de son développement, le cas du Gabon est exemplaire d'une intégration
territoriale réussie, grâce aux ressources nées de l'exploitation forestière et pétrolière, où la
construction de l'État nation est allée de pair avec l'organisation de l'espace.
Cependant, au niveau des plans de développement, on peut considérer que les premières
failles qui s’avèrent aujourd’hui compromettantes pour assurer une intégration équilibrée et
réussie du Gabon dans la société de l’information remontent à cette période. En effet, lors de
cette période faste, les priorités de développement sont allés vers l’aménagement des
équipements urbains et des industries extractives, tandis que le milieu rural est resté le parent
pauvre de cette croissance, sans parler des cultures locales qui ont été ignorées, ainsi que
l’insuffisance d’établissements de formation professionnelle. De cette situation va naître un
décalage croissant entre les villes concentrant les activités économiques et le reste du pays.
Dans le cas du Gabon, la priorité accordée au développement économique s’est révélée
contradictoire avec une politique d’aménagement du territoire. L’option privilégiée s’est axée
330
sur le développement de la ville capitale et des cités minières (Moanda et Mounana) et
portuaires (Port Gentil) qui font figure de véritables enclaves par rapport à un réseau urbain
très déséquilibré. L'espace gabonais a été organisé de ce fait autour de trois grands pôles, avec
une population à prédominance urbaine, où se concentrent les activités et où convergent les
flux de relations entre Libreville, Port-Gentil et le triangle Franceville-Mounana-Moanda,
comme matérialisé dans les figures ci-après :
Figure 19: Les trois grands pôles régionaux. D’après Edouard MVOME-NZE " Routes et
développement régional au Gabon ", thèse de Géographie, Université de Bordeaux III, juin
1999, 429 p.
Dans ces conditions, Annie Chéneau-Loquay s’interroge sur les chances des TIC de parvenir
à réaliser le bond technologique salvateur qui permettrait de " brûler les étapes ", selon le
discours promotionnel porté par les organismes internationaux. Ce scénario est difficilement
envisageable en l’état actuel de la situation exsangue de l’infrastructure des réseaux et ders
voies de communication du Gabon.
331
Pour l’auteur il est permis d’en douter, étant donné la situation indélicate du Gabon
actuellement, en impasses de stratégies de développement viables. Ce sera d’autant plus
difficile que la volonté politique dépasse difficilement le cap des bonnes intentions, qui
transparaissent dans l’idéologie politique dominante. Dans ce cas précis, le développement
des réseaux et des outils de communication à distance ne peut suffire à lui seul à inverser cette
tendance, car l’interconnection stratégique du territoire est imparfaite, comme l’illustrent les
deux cartes ci-après.
332
Figure 20 : Carte du réseau de télécommunicaions et de télévision. Source : Roland Pourtier,
" Le Gabon : Tome 2, État et développement, Paris, l’Harmattan 1989, 344p.
Figure 21 : Le réseau routier au Gabon en 1998. Source : Édouard Mvome-Nzé "Routes et
développement régional au Gabon", thèse de géographie, Université de Bordeaux III, juin
1999, 429 p.
Légende : 1-Ttronçons bitumés. 2- Routes modernes larges en latérite. 3- Routes modernes étroites
en latérite ; 4- Routes ordinaires en latérite. 5- Pistes aménagées. 6- Pistes et pistes ensablées.
333
Ce scepticisme se manifeste à travers les interrogations suivantes d’Annie Chéneau-Loquay :
« Quels sont les modes d'insertion [possibles] des technologies d'information et de
communication? Quel est le rôle de l'État et de ses partenaires ? Quel est l'impact social de ces
outils ? Comment l'accès au " cyberespace " s'articule-t-il avec l'espace physique et ses
contraintes ? Quelles formes de recompositions socio-spatiales peuvent induire les TIC ? Ne
risquent-elles pas d'accentuer les inégalités internes et la dépendance externe plutôt que de les
réduire » ?
Poursuivant son recensement, l’auteur insiste sur le fait qu’une stratégie de développement, en
particulier celle de la communication d’un pays, doit d’abord s’interroger sur la nature de ce
développement. Ce qui sous-entend pour nous d’effectuer au préalable un audit par secteur
d’activités, pour mieux cerner les problèmes et y remédier, comme préconisé dans le rapport
« Info-Com ». Ce déficit de voies et de réseaux de communication ne favorise guère le
Gabon, puisqu’il se trouve sous tutelle de la Banque Mondiale, avec les contraintes et les
marges de manœuvre réduites que cela implique pour l’État : une libéralisation de l’économie
capable de faire émerger, du secteur informel des gisements de solvabilité et de mobiliser des
capitaux privés dans tous les domaines.
En outre, depuis février 1997, date de l’accord conclu avec l’Organisation Mondiale du
Commerce (OMC) sur la libéralisation des échanges dans le domaine des télécommunications
de base, l’agrément en vigueur depuis février 1998, oblige les gouvernements à ouvrir l’accès
de leur marché aux compagnies étrangères. Chaque pays signataire, du fait de cet accord est
obligé d’ouvrir son marché à la concurrence, en traitant les sociétés étrangères de la même
façon que les opérateurs locaux. L'accord reste cependant ambigu sur le service universel
qu’entraîne cette ouverture à la concurrence, parce qu’il est loin de favoriser les entreprises du
Sud, dépourvues des moyens financiers et technologiques des pays du Nord comme indiqué
dans le passage suivant :
« Tout membre a le droit de définir le genre d'obligations en matière de service universel qu'il
entend maintenir. De telles obligations ne seront pas considérées comme anti-compétitives en
334
elles mêmes à condition qu'elles soient transparentes, non discriminatoires et neutres du point
de vue de la concurrence, et ne soient pas plus onéreuses que ce qui est nécessaire pour le type
de service universel défini par le membre ".
Dans les conclusions de leur rapport, le groupe de travail sur le projet relatif à l’état des lieux
de l’infrastructure national d’information et de communication, parvient au même scepticisme
concernant la situation précaire du pays en la matière de même qu’Annie Chéneau-Loquay,
comme l’indique le passage suivant : « Les moyens de communication actuels favorisent-ils
les échanges ? La création des cybercafés peut-elle être une solution pour développer les
activités industrielles et les services dans notre pays ? La privatisation du seul opérateur
public l’Office des Postes et Télécommunications ne va t-elle pas accentuer le déficit en
équipement téléphonique ?
2.3. Une stratégie de développement extravertie qui pénalise l’intégration
territoriale et régionale
Si l'Afrique se distingue par un niveau moyen du trafic international sortant, parmi les plus
élevés du monde, bien que présentant de profondes disparités, le Gabon est particulièrement
représentatif de cette Situation. On y observe en effet une faible proportion du trafic inter-
africain, ce qui est le signe d'une économie très liée à l'extérieur du continent, et un indice de
sa faible intégration inter-régionale. Comme nous l’avons vu au niveau de la stratégie de
développement en enclaves qui est organisée autour de trois pôles économiques, l’insertion
des TIC dans cette société, en plus de la disparité territoriale des voies de communication, est
en étroite corrélation avec celle des systèmes de pouvoir qui organisent la vie du pays [cf.
Chéneau-Loquay].
Pour appuyer ses dires, Annie Chéneau-Loquay tire argument du fait que depuis le milieu des
années quatre vingt, période de la crise pétrolière, c’est l’austérité économique et
l’immobilisme qui dominent au Gabon. En dépit des reconversions économiques annoncées et
nécessaires pour entériner des mesures adaptées à ce que l’on a appelé « l'après pétrole », les
335
manifestations concrètes sont peu visibles. Pourquoi ? La réponse qu’elle apporte tient à des
blocages essentiellement en rapport avec les mentalités, comme cela ressort dans le passage
suivant :
« Les retards tiennent à des réticences liées à un système de pouvoir autoritaire qui a
l’habitude de contrôler la société et qui engendre méfiance et immobilisme; "il y a peu de
communication, on s’observe." La communication apparaît encore comme un secteur
sensible, qui détient l’information détient un pouvoir, la partager c’est perdre une parcelle de
ce pouvoir. Le rapport à l’information est inséré dans " un soubassement psychologique qui
fait qu’ici divulguer l’information c’est perdre le pouvoir. "C’est ainsi que le métier de la
communication est mal perçu, il n’y a pas de réelle volonté politique pour donner aux
professionnels les moyens nécessaires car il subsiste une grande ignorance sur l’utilité de la
communication. La politisation extrême de la société pose des problèmes de rétention et donc
d’accès à l’information".
Tout se passe comme si le fonctionnement de la société et de l’économie gabonaise
attendaient un nouvel âge d’or de la manne pétrolière. Dans cette attente, c’est comme si les
institutions s’étaient réfugiées dans une nostalgie immobiliste, que les blocages sociétaux (la
culture du secret et la forte politisation de la société) entretiennent. En effet, à l’heure de la
société de l’information, et du partage de savoirs, la culture dominante dans ce pays est une
culture de rétention de l’information. Nous aurons l’occasion de faire état de cet aspect auquel
nous avons été confronté dans certaines entreprises, pour ne pas dire toutes, lors de notre
approche-terrain, ce qui explique en partie la faiblesse de l’échantillon retenu.
À cela, il faut rappeler l’importance du secteur privé dans l’économie gabonaise. En effet, ce
secteur qui est aux mains des firmes multinationales est puissant, et n’éprouve pas plus que
cela le besoin de communiquer. L’auteur fait également remarquer comme entrave à la
dynamique stratégique de ce pays, le poids des mentalités qui contribue à installer et même à
cultiver cette absence de communication, qui n’est pas vraiment perçu comme une nécessité.
De fait, les entreprises ne communiquent pas assez ou très peu, généralement à l’occasion de
336
mécénats. De surcroît, ces entreprises installées en situation de monopole sur le marché local,
même s’il existe dans certains domaines une faible concurrence, qui n’altère en rien leur
position dominante, ne voient pas la nécessité de communiquer.
2.4. Conclusion du chapitre
L’information, dans la société et l’économie qui la caractérisent est au centre du paradigme du
management stratégique de l’information et des connaissances, et de ses bénéfices
controversés. Cette controverse dont témoigne le paradoxe de la productivité de Solow,
émane du décalage entre l’accroissement des investissements en TIC et l’apport systématique
de gains de productivité. Par comparaison avec les manifestations de ce paradoxe, nous nous
sommes penché sur l’opportunité du management stratégique de l’information, permettant
d’aider les initiatives dédiées à l’émergence d’une société africaine de l’information.
L’enjeu est d’autant plus d’actualité que les modalités de cette société, s’avèrent une fois de
plus viciées par les enjeux économiques et technologiques qui entérinent la domination des
pays occidentaux. Si l’on se réfère à la situation du Gabon, l’état des lieux est encore aggravé
par le manque de prospective des secteurs plus traditionnels de l’économie dont il dépend
[Daouda, 1999 ; Elie, 1996 ; Erbin, 1996]. Dans ces conditions, le développement des TIC ne
peut faire l’impasse de ces manquements, car la mise en place d’une infrastructure nationale
d’information et de communication, fut-elle avant-gardiste, doit prendre appui sur des
infrastructures routières, maritimes, ferroviaires existantes (cf. le Rapport « Info-Com »).
Dans la situation de crise que traverse le Gabon, faire l’impasse de stratégies de
développement des secteurs économiques plus classiques, par opposition à celui du
développement de l’économie immatérielle serait, à notre sens, le choix de développement le
moins approprié. Le Gabon dispose de suffisamment d’atouts techniques pour pouvoir
pleinement participer à ce processus, sans pour autant qu’il soit nécessaire de faire l’impasse
des étapes de développement agro-industriel, pour piloter le développement économique et
337
social du pays vers l’instauration d’une société et d’une économie de l’information
endogènes.
C’est pourquoi, la suite de notre propos, après avoir longuement fait état de l’impact et des
opportunités des TIC, va à présent s’atteler à en déceler les effets au niveau des firmes qui ont
accepté de nous aider à explorer les contraintes de l’action organisée au niveau de leur
management et de leur pilotage stratégique.
Partie III : Méthodologie de l’enquête et
analyse-terrain
338
Chapitre VI : Cadre conceptuel et contextuel de l’étude
Réaliser une enquête, c’est prendre conscience d’un problème, vouloir y apporter des
solutions en récoltant des informations pour concrétiser une future prise de décisions ou
d’initiatives. Comme l’affirment Yannis Harvatopoulos, Yves-Frédéric Livian et Philippe
Sarnin233
dans leur ouvrage, identifier ce problème, ce n’est pas seulement le percevoir, mais
c’est aussi le définir par « l’analyse et l’identification de son champ dans un environnement
donné en précisant les causes et les limites qui le caractérise »t (p.3). C’est là notre objectif.
Nous allons à présent en rendre compte dans cette ultime partie.
Section I : Cadre conceptuel et méthodologique
1.1. Objectifs de l’étude
L’analyse et l’identification des problèmes relevés dans le cadre d’une enquête influencent
directement le cadre conceptuel de la problématique du sujet à traiter : le recueil de données et
l’analyse qui s’en suit sont intimement liés aux tenants et aux aboutissants de l’étude. En
l’occurrence, il s’agit pour nous de vérifier, c’est-à-dire de tester la validité des hypothèses
préalablement émises, à partir des sources d’informations secondaires apportées par notre
approche théorique. Celles-ci seront confrontées à celles des informations primaires issues de
l’approche-terrain, pour montrer si les éléments de théorie préalablement dégagés sont en
phase avec le contexte d’action des différents milieux investis.
233
Harvatopoulos (Y.), Livian –Y.-F.), Sarnin (P.), L’Art de l’enquête, 1989.
339
L’objet de notre étude étant de rechercher en regard du contexte environnemental actuel,
dominé par la mondialisation et le développement de la société de l’information, une
perspective de management viable dans les firmes ciblées. Il s’agit donc, sur la base d’un
management et d’un pilotage stratégique, intégrant l’information comme ressource à part
entière, de déterminer les effets induits par la qualité du management de ces entreprises, en
termes de performances, quand on sait l’emprise de ce que Luc Boltanski et Laurent Thévenot
[1991] ont appelé « la cité domestique ».
340
La méthode définit ainsi la manière dont on va répondre au problème posé, en précisant la
nature de l’enquête et le choix des sources d’informations, à savoir : « Comment tirer
avantage de la réalité et de l’impact des réseaux sociaux, pour instaurer un modèle de
management stratégique conciliant rationalité économique et rationalité sociale à l’ère de
l’avènement de la société de l’information » ? C’est cette conciliation apparemment difficile à
établir, qui fonde notre perspective de recherche et nos hypothèses de base sur la nécessité
d’une approche contingente indispensable à l’instauration d’un modèle de management qui
tienne compte de cette cohabitation.
Cette préoccupation, se réfère à l’actualité du modèle économique néo-libéral dominant à
prétention universaliste, qui s’érige en une espèce de « système unique vertueux » que
« vendent » les organismes de régulation de l’économie et du commerce mondial. Si ce
modèle a des vertus, il a également des vices au niveau des modalités de son application, qui
s’avèrent plus problématiques que vertueuses de l’aveu de certaines voix discordantes [Elie
1996, Daouda 1999].
L’ambition de notre travail ayant une double visée exploratoire et explicative, les questions
ouvertes y sont statistiquement supérieures à celles des questions fermées. Ce choix est
ostensible car nous avons pu constater à l’instar d’Hervé Fenneteau [2002, Enquête : entretien
et questionnaire] que les questions ouvertes fournissent des indications sur les schémas de
pensée des personnes interrogées. Elles sont particulièrement recommandée lorsque l’on
souhaite obtenir des réponses spontanées et des indications qualitatives complémentaires afin
d’expliciter les réponses obtenues à une question fermée, dont le strict usage ne permet pas de
connaître tous les aspects soulevés.
Mais surtout, ce recours est moins rigide que le cadre strict des questions fermées. Même si
cette flexibilité se traduit par un traitement plus incommode, au niveau du surcoût de
traitement qu’impose l’analyse des données, il ne nous a guère dissuadé. En effet, cela
implique de prendre en compte, une part plus importante de subjectivité au niveau de
l’interprétation des résultats obtenus, étant donné qu’il n’y a pas de règles en soi à appliquer.
341
342
Nous nous sommes donc appuyé sur le logiciel de traitement d’enquêtes Sphinx Plus pour
avoir une représentation des données statistiques de l’étude, mais davantage pour formaliser
nos tableaux de données. En sachant bien que l’analyse de ces données reste indissociable
d’une analyse complémentaire issue de l’extrapolation et de l’interprétation des résultats ainsi
obtenus.
Dans le cadre d’une démarche exploratoire, les questions de ce type apportent des
informations riches permettant de dévoiler des aspects nouveaux, originaux ou marginaux, car
elles s’attardent sur les représentations des individus, leurs attentes ou la signification qu’ils
ont et/ou donnent de certaines pratiques. De plus, cela est utile lorsqu’il n’existe pas de
données préalables permettant de cerner le problème avec précision. On peut à juste titre se
référer au schéma conceptuel suivant pour fixer le cadre d’élaboration de notre étude, si l’on
considère que c’est le cheminement/aboutissement partant d’une abstraction à la
conceptualisation d’un phénomène, au vu de l’interprétation et de la validité des résultats
obtenus qui guide notre action.
343
Figure 22 : Cadre conceptuel d’élaboration des études qualitatives. Source Jean-Pierre
Crauser, Yannis Harvatopoulos, ¨Philippe Sarnin, Guide pratique d’analyse des données,
1989, 140p.
À travers ce schéma se trouvent synthétisées les différentes étapes conduisant de la
délimitation du sujet d’investigation, à partir de la réalité, jusqu’à la phase de
conceptualisation qui permet in fine de révéler des informations ou des connaissances
permettant de valider les hypothèses de départ. Lors de traitements statistiques notamment, la
phase d’abstraction correspond au passage de la perception directe de la réalité observée à sa
consignation dans le tableau de données. C’est-à-dire à la classification des réponses obtenues
en fonction de leur similitude ou de leur différence.
De ce traitement dépendra la qualité des interprétations et des résultats obtenus pour valider
ultérieurement l’étude, et mettre sur pied un instrument d’analyses, en ayant présent à l’esprit
les étapes suivantes : les objectifs de l’étude, le choix des variables, le choix des individus et
le mode de recueil des données. En effet, pour être mieux définis, les objectifs de l’étude
doivent être clairement orientés et cadrés pour faciliter le choix des variables. C’est à partir de
ces données qu’il sera possible de confirmer certaines hypothèses, et pourquoi pas d’émettre
des recommandations et la construction d’un modèle.
Les résultats des études qualitatives soulèvent le problème de la difficulté de travailler avec
un échantillon comportant un nombre limité de cas (une dizaine au maximum). Cette faiblesse
pointe sur la pertinence à accorder à ce type d’études. Peut-on par exemple raisonnablement
considérer que les cas examinés sont bien représentatifs d’un univers plus vaste ? Ou encore,
on peut valablement se demander quel est le degré de « généralisabilité », c’est-à-dire de
crédit que l’on se doit d’accorder aux résultats d’analyses qualitatives. Ce à quoi Michael
Huberman et Matthew Miles rétorquent :
« La difficulté la plus sérieuse et la plus centrale de l’utilisation de données qualitatives vient
du fait que les méthodes d’analyse ne sont pas clairement formulées. Pour les données
quantitatives, il existe des conventions précises que le chercheur peut utiliser. Mais l’analyste
344
confronté à une banque de données qualitatives dispose de très peu de garde-fous pour éviter
les interprétations hasardeuses, sans parler de la présentation de conclusions douteuses ou
fausses à des publics de scientifiques ou de décideurs. Comment pouvons-nous être sûrs
qu’une découverte « heureuse », « indéniable », « solide », n’est pas en fait erronée ? » 234
En somme, il existe peu de canons reconnus dans l’analyse des données qualitatives, dans le
sens de règles de base acceptées par tous, pour établir des conclusions et en vérifier la solidité.
Pour contourner cette difficulté, l’analyste devra mettre à profit la richesse du phénomène
étudié. Il importe d’y considérer les formes des organisations, pour en déceler la pertinence.
L’analyse qualitative peut donc se concevoir comme l’analyse de données reposant sur des
mots et non des chiffres au sens strict, si l’on se réfère aux études quantitatives.
Ces données peuvent être recueillies de diverses manières : observations, entretiens, extraits
de documents, enregistrements. Bref, c’est un condensé de mots visant à la production d’un
discours sur une question donnée, et donnant lieu après coup à une analyse. Celle-ci passant
par la condensation des données, c’est-à-dire l’ensemble des processus de sélection,
abstraction, transformations, etc. de données brutes en « matière signifiantes ».
1.2. Méthodologie et déroulement de l’enquête
1.2.1. Méthodologie de l’enquête
Notre angle d’approches, par rapport au sujet, mais également du fait des difficultés d’accès
au terrain, nous a pour ainsi dire, naturellement porté vers la tenue d’entretiens en face-à-face
dans un nombre limité d’entreprises, en raison du temps et des moyens limités dont nous
234
Huberman (A.M.),. Miles (M.B.), Analyse des données qualitatives. Recueil de nouvelles méthodes, 1991,
p.23.
345
disposions. Pour ces principales raisons, mais aussi parce que notre étude a une double visée
exploratoire et explicative, nous avons opté pour le choix d’une étude qualitative.
Cela, en dépit des difficultés que cela peut comporter en termes de lisibilité d’analyse et
d’interprétation des résultats obtenus, du fait de la quasi-absence de méthodes en la matière.
Comme le font justement remarquer Michael Huberman et Matthew Miles, de telles carences
impliquent de s’interroger sur les points suivants : « Comment peut-on obtenir des
conclusions fiables à partir de données qualitatives ? Quelles méthodes d’analyse peut-on
utiliser qui soient à la fois pratiques, communicables et objectives ? » 235
.
235
. Huberman (A.M.), Miles (B.), op.cit.,p.21.
346
À ces interrogations qui sont du reste justifiées, nous disons que ce choix n’est guère
hasardeux. Il répond d’une part au cadre d’analyse fixé par la délimitation du sujet et de sa
problématique. Et d’autre part, nous ne visons pas la production d’un savoir quantitatif, mais
surtout la confrontation d’hypothèses émises a priori avec les réalités du terrain. Dans un tel
contexte, nous assumons parfaitement la fragilité de l’exercice, en établissant que la quête de
sens dépasse la seule restriction quantitative, mais ressort de l’interaction et de l’imbrication
des divers champs d’investigation.
En l’occurrence, la faiblesse de l’échantillon est en corrélation étroite avec la population
retenue, et liée à l’étroitesse et à la faible densité du tissu économique gabonais. Mais les
motifs majeurs de ce choix reposent sur notre option de départ : déterminer la « qualité » du
management dans les firmes représentatives de l’économie gabonaise dans les principaux
secteurs d’activités, à partir d’une zone d’action géographique circonscrite à Libreville. Ce
choix n’est évidemment pas anodin, puisque Libreville concentre la majeure partie des
intérêts économiques et financiers du Gabon d’une part. Et d’autre part, en raison du délai
(deux mois) dont nous disposions pour mener nos investigations, et des problèmes de
logistique.
Si nous avons privilégié une étude de type exploratoire, c’est bien évidemment en termes de
perspectives de recherche par rapport à la problématique de notre sujet. Si les procédés de
type descriptif ne sont pas mis en avant, ce n’est pas que nous les excluons de fait, mais plutôt
que nous avons privilégié un éclairage du phénomène étudié, à la lumière d’une approche
dont le terme se veut plus qualitatif que quantitatif. En effet, la nature de l’enquête induit trois
types d’approche : exploratoires, descriptives et explicatives. Sans être fatalement
antinomiques, elles peuvent être complémentaires pour l’étude du phénomène.
Prenons les enquêtes exploratoires par exemple. Leur objectif principal est d’identifier et de
formuler le problème de manière plus précise. Il s’agit en quelque sorte d’une pré-enquête
permettant de recenser les variables utiles à la clarification des hypothèses. Elles se basent
généralement sur la constitution d’un échantillon restreint et d’un guide d’entretiens
347
comportant des questions ouvertes. Ses limites concernent le manque d’analyse statistique et
la faiblesse d’extrapolation des résultats obtenus.
S’agissant des enquêtes descriptives, comme l’indique leur nom, il s’agit de décrire les
caractéristiques d’une situation donnée à partir de l’analyse des variables aux fins d’avoir des
estimations sur le résultat escompté par les différentes associations issues de ces variables.
Cela exige une connaissance préalable du sujet à traiter. Somme toute, la méthode
exploratoire recourt à l’analyse descriptive pour donner du sens à l’association de variables
isolées pour former des catégories. Ce qui aide à la validation des résultats obtenus à partir de
l’analyse statistique que l’on peut faire à l’issue de ces regroupements.
Enfin, les enquêtes explicatives, viennent en complément des enquêtes exploratoires
stigmatiser la nature des relations dégagées par la proximité ou l’éloignement de certaines
variables. Le but est ici de préciser et de contrôler les effets d’une cause donnée, dont
l’inconvénient, réside bien souvent dans l’incapacité à ne pouvoir démontrer l’existence d’une
relation stricte de causalité entre la cause et l’effet.
On le voit à travers cet aperçu, l’analyse de données est une activité complexe qui correspond
à « un ensemble de méthodes dont la fonction essentielle est de mettre en relief les structures
pertinentes de grands ensembles de données. L’analyse conduira fréquemment à situer des
objets les uns par rapport aux autres et à mesurer l’influence d’un certain nombre de
paramètres sur cette répartition » [Crauser et al. 1989, p 9], sans pour autant qu’il existe de
mode exclusif de traitement des données recueillies, ni de méthodologie strictes. Ce qu’il faut
surtout avoir à l’esprit, c’est que ce traitement est en étroite corrélation avec la problématique
de l’étude, ses hypothèses et les objectifs poursuivis. Mais surtout, il faut tenir compte de la
spécificité de l’enquête et du choix de la population visée.
Ainsi, en fonction du degré de directivité auquel recourt le chercheur dans sa quête de sens,
les différents types d’entretiens se classent comme suit :
348
L’entretien non directif ou libre. C’est un entretien au cours duquel l’interviewé développe
librement ce qu’il a à dire, l’enquêteur se bornant à le relancer.
L’entretien directif où l’on pose une série de questions pré-élaborées en soumettant les
réponses-types élaborées.
L’entretien semi-directif, à cheval entre ces deux types peut se composer d’éléments très
directifs et de passages libres ou ouverts auxquels l’interviewé peut répondre à partir de
réponses pré élaborées (d’après une typologie établie par Jean-Pierre Crauser et al., op. cit.,
p.41-42).
Nous avons retenu la dernière option, en raison de sa souplesse d’une part. et par ailleurs,
parce que nous avons fait le choix d’effectuer une étude qualitative, en dépit des
imperfections qu’elle peut comporter au niveau de l’interprétation des résultats. Le tableau ci-
après recense l’utilité de ces différents entretiens, en fonction des objectifs visés.
Buts
END ESD ED
Contrôler des informations
précises
Vérifier des hypothèses
Explorer un sujet nouveau
+
+
+
+
+
349
Tableau 7 : Les différents types d'entretien. Source J.-P. Crauser, Y. Harvatopoulos, P. Sarnin,
Guide pratique d’analyse des données, 1989, p.42.
1.2.2. Le déroulement de l’enquête
Comme nous le disions au préalable, nous avons opté pour la tenue d’entretiens semi-
directifs, car il nous importait de recueillir l’avis de la population de notre échantillon : les
managers des firmes, avec lesquels nous nous sommes entretenu. C’était au-delà de leur
implication, une façon de « légitimer » les conclusions de notre discours a posteriori, par leur
prise de parole. En effet, comme le dit Hervé Fenneteau236
dans son ouvrage,
« l’administration d’une recherche en face-à-face comme l’indique son nom, a le mérite
d’avoir son interlocuteur en vis-à-vis. La personne sollicitée se sent impliquée dans le travail
demandé, et facilite la libre expression lors de questions ouvertes et le dialogue, en limitant
d’éventuels quiproquos ».
Ce choix porté sur l’entretien comme modalité de recueil d’informations, est également
important pour nous, étant donné les nombreuses barrières à l’entrée et la prédominance de la
236
Fenneteau (H.), Enquête :entretien et questionnaire, 2002.
Enquêtes exploratoires
Enquêtes descriptives
Enquêtes explicatives
350
culture du secret auxquelles nous avons été confronté. Annie Chéneau-Loquay (2000),
soulignait cette difficulté de mener des études dans une société où, visiblement on
communique peu, et où prédomine la culture du secret. Ces contraintes, avec lesquelles nous
avons dû composer caractérisent l’ensemble des firmes où nous nous sommes rendu, même si
nous n’avons pas rencontré le même succès à chaque fois. Avoir l’avis, donc l’assentiment
d’un de ces responsables, était pour nous un signe manifeste d’intérêts, ou du moins de
curiosité, par rapport à la démarche préalable de demande d’entretien, à laquelle nous avons
été systématiquement soumis.
Pour confronter nos hypothèses et les théories engrangées à la réalité du terrain, notre choix
s’est porté sur un total de quatorze (14) entreprises, étant entendu qu’elles sont considérées
comme représentatives de l’activité économique du Gabon, et qu’elles ont des infrastructures,
et très souvent leur centre décisionnel à Libreville. Ce choix a été fixé à dessein, car les autres
entreprises de la place, qui disposent de ressources financières et humaines moindres, en
comparaison des entreprises sélectionnées, s’excluaient de fait de notre corpus.
Mais même avec cette pré-sélection, au fil de l’avancée du terrain, nous avons été obligé de
renoncer à certaines autres pour divers motifs. Les deux firmes représentatives de la
principale source de revenus de l’économie gabonaise par exemple : les sociétés pétrolières,
en raison de la délocalisation de leur centre décisionnel en dehors de Libreville. Nous nous
sommes donc heurté à l’impossibilité de poursuivre nos investigations, malgré les contacts
pris qui se sont avérés infructueux.
Puis, nous avons dû faire face à un autre type de filtres : celui du refus courtois, où nous
avons bien été reçu par le responsable vers lequel nous avons été orienté, mais au demeurant,
sans suites, en dépit de nos relances. On compte parmi ces marginaux l’entreprise de gestion
du réseau hydroélectrique, de transport ferroviaire, ainsi que deux opérateurs de téléphonie
mobile. Ce qui fait un total de six (6) entreprises. Exception faite de l’une des entreprises de
téléphonie mobile, nous avons bien été en contact avec la personne vers laquelle nous avons
été orienté.
351
En définitive, notre dossier a vraisemblablement été classé sans suites, car malgré nos
relances, nous nous sommes vu opposé un poli mais tranchant « respect de la ligne
hiérarchique qui interdit la communication de toute information, sans l’aval de l’autorité de
tutelle », en guise de fin de non recevoir. Fort heureusement pour nous, cela n’a pas été le cas
partout ! Nous avons ainsi, après moult acharnements, pu mener nos investigations avec les
responsables des firmes qui constituent le cœur de l’analyse que nous allons présenter dans les
pages à venir.
Nous nous sommes donc appuyé sur l’élaboration d’un questionnaire comme guide
d’entretien regroupant les grands thèmes de notre problématique, pour donner un fil
conducteur à la trame de l’entretien. Ce questionnaire, outre des renseignements sur l’activité
de l’entreprise et la fonction de notre interlocuteur, comportait un nombre élevé de questions
ouvertes pour aller dans le sens de la liberté de parole et de la spontanéité des réponses
privilégiées par notre type d’enquête à visée exploratoire et explicative.
Concernant le cadre de l’interview proprement dite, elle se déroulait au siège de l’entreprise
concernée dans le bureau de notre interlocuteur. Cet entretien avait une durée minimale d’une
heure. Il est arrivé qu’il se déroule en deux séances, en fonction des impératifs de notre
interlocuteur. Il disposait ainsi, avec notre lettre d’introduction, d’un exemplaire du guide
d’entretien confectionné, en l’occurrence le questionnaire, pour s’imprégner des thèmes y
figurant, et se préparer en conséquence.
Ce qui est enrichissant dans les études qualitatives, et c’est la raison pour laquelle nous avons
fait ce choix, c’est que notre interlocuteur, en fonction de la « passion » qui l’animait
débordait du cadre prévu pour enrichir le débat par des anecdotes ou des documents. Nous
avons ainsi condensé des informations symboliques de cet intérêt. Ces « débordements »
consignés sur une fiche de synthèse d’entretien, nous ont permis de ne pas disperser des
informations supplémentaires susceptibles d’enrichir l’analyse et l’interprétation à venir.
352
1.3. Le traitement en aval : recommandations liées à l’analyse et à
l’interprétation des résultats
Le problème de la recherche qualitative, comme le soulignent Huberman et Miles [1991],
c’est qu’elle travaille avec des mots, et non pas des chiffres. Ce corpus spécifique implique
d’effectuer un codage des données ou des notes de terrain renvoyant à des « catégories » qui
donnent matière à « classification » au niveau des phrases ou des paragraphes transcrits. Ces
mots, ou segments transcrits constituent ainsi le cœur de l’analyse, qui pourra donner lieu
après-coup à un traitement statistique. Ce dernier permettant de justifier de l’interprétation
issu de la ramification/dissociation des résultats obtenus. On peut le relever dans le passage
suivant :
« Le code est un élément astringent en ce sens qu’il nous signale un thème qui rend compte
d’un vaste éventail d’autres données, qui les rend intelligibles, suggèrent des liens de
causalité, et fonctionne comme un facteur statistique en regroupant des éléments disparates en
un tout plus significatif et plus inclusif […]. Les codes sont des catégories. Ils découlent
généralement des questions de recherche, hypothèses, concepts-clés ou thèmes importants. Ce
sont des outils de recouvrement et d’organisation permettant à l’analyste d’identifier
rapidement, d’extraire puis de regrouper tous les segments liés à une question, une hypothèse,
un concept ou un thème donnés » [Huberman et al. 1991, p98-99]..
Mais on peut aussi pré-codifier les données, et attendre l’analyse après-coup pour étudier la
façon dont elles fonctionnent, ou s’intègrent dans le contexte. C’est l’approche enracinée
issue du modèle de Glaser [1978, Theoretical sensitivity, Mill Valley, CA, Sociology press].
On est ici plus proche d’un « code en pratique » que du « code générique tous usages » issu
d’une liste de départ préfabriquée. L’inconvénient c’est que les premiers segments risquent
d’avoir des codes différents des suivants. Mais cela peut se rectifier dès l’émergence de
données empiriques par une lecture globale préalable.
353
À mi-chemin entre ces deux possibilités, il existe la possibilité de créer un cadre général de
codage qui ne soit pas lié au contenu, mais indique les grands domaines dans lesquels les
codes devront être inductivement conçus. Il existe ainsi un panel de méthodes sur lesquelles
on peut se pencher pour aboutir à la recherche de sens. Parmi ces méthodes, l’analyse du
contenu du discours. Elle permet en insistant d’abord sur ce qui a été dit, puis sur la manière
dont cela a été formulé de s’intéresser à l’analyse du contenu manifeste et du contenu latent
issu d’un ensemble de significations et d’associations faites au cours du discours manifeste
[cf. Harvatopoulos, Livian, Sarnin 1989, p88].
C’est la phase d’élaboration/vérification des données qui condense les éléments analysés, puis
résumés pour tirer des conclusions finales. La présentation des données consiste ainsi en un
« assemblage organisé d’informations qui permet de tirer des conclusions et de passer à
l’action […]. Leur lecture nous permet de comprendre une situation et de faire quelque chose
(nouvelle analyse ou action) basé sur cette compréhension » [Huberman et Miles 1991, p
35]. Ce qui est sûr, c’est qu’il s’agit tout au long de l’étude d’un entrelacement de
phénomènes qui permet de donner du sens.
L’analyse du discours part ainsi de l’hypothèse que le discours tenu par quelqu’un se fait en
fonction d’un certain processus et que l’analyse de ce processus peut aussi renseigner sur le
discours produit. Un autre procédé consiste à avoir à l’esprit que l’analyse de discours a pour
but de mieux connaître l’interviewé, alors que l’analyse de contenu n’a pour but que de
comprendre ce sur quoi il est amené à se prononcer. Pour notre part, nous nous en tiendrons à
l’analyse du contenu manifeste du discours produit.
En effet, notre but n’est pas de nous attacher à la personnalité des interviewés, mais plutôt de
comprendre à partir du discours produit, la façon dont ils appréhendent, conduisent et gèrent
le management stratégique de leur entreprise. Même s’il est vrai que la personnalité peut
influencer la réponse faite à une question, nous allons nous limiter à cet aspect, tout en tenant
compte aussi bien des ressources humaines, matérielles, qu’immatérielles. Il existe ainsi
354
diverses méthodes d’analyse de contenu ici résumées [Harvatopoulos, Livian, Sarnin, 1989,
p.88].
Le post-codage des réponses libres pour pouvoir procéder au traitement statistique, comme
s’il s’agissait de questions fermées. Pour ce faire, il faut au préalable lire un échantillon de
réponses, puis les codifier. Par la suite, on se reporte à l’ensemble des réponses faites à une
question ouverte. On y repère les réponses proches, et l’on définit ainsi des catégories ou
variables permettant de les regrouper.
L’inconvénient de ce procédé est d’appauvrir la substance des réponses formulées. Cela
rime à une séance de rattrapage qui remet en cause au final le choix de l’élaboration du
questionnaire avec des questions ouvertes. Ce résultat nécessaire pour avoir une image
parlante du phénomène décrit en mettant en relation les réponses recueillies, n’impose pas
pour autant une grille d’analyse aux personnes interrogées.
L’analyse thématique. Elle consiste à dégager les thèmes principaux des discours recueillis.
Le thème désignant alors une « unité de signification pertinente par rapport au sujet et qui
structure les propos tenus. C’est une sorte de « noyau de sens » qui n’est pas d’ordre
linguistique » (p90).
Concrètement, on peut procéder de la manière suivante : d’abord lire les entretiens les plus
représentatifs pour pouvoir élaborer une grille thématique provisoire. On analyse ensuite
systématiquement tous les autres entretiens à partir de cette grille en comptant les fréquences.
Une bonne grille d’analyse doit être suffisamment exhaustive et fidèle au texte. Pour effectuer
des comparaisons, il faut ajouter au comptage global (fréquence des thèmes), l’analyse des
réponses en fonction des occurrences chez la personne interviewée.
À cette fin, on devra affecter à chaque entretien un numéro ou un code qui figurera sur
l’analyse thématique. Ca sera par exemple : « on retrouve la spécification n°8 du thème X
355
pour illustrer la restitution des résultats ». Cette analyse n’a de valeur que si elle est aussi
rigoureuse que possible et que la codification et le dénombrement ne sont pas le résultat de
l’imagination mais bien la prise en compte des énoncés recueillis.
Cette analyse permet ainsi de repérer les thèmes et leur fréquence, en indiquant la catégorie de
la population qui exprime ce message. La limite, c’est que « rien ne garantit qu’un thème
fréquent est nécessairement un thème important ou à l’inverse qu’un thème peu souvent
évoqué n’est pas en relation avec une représentation essentielle mais réprimée ou
difficilement verbalisable » [d’après Rodolphe Ghiglione et Alain Blanchet, L’Analyse de
contenu, 1991].
La recherche de typologie et l’étude de cas issus de l’analyse thématique ont le mérite
d’étudier les différences de discours entre les catégories de répondants. On peut ainsi essayer
de construire une typologie des différentes attitudes ou opinions récurrentes. Il s’agira d’une
typologie qui n’est qu’empirique, comparée à celles que permettent d’obtenir des techniques
statistiques. Elle permet également de saisir les différents ensembles cohérents qui se
dégagent de l’ensemble des données recueillies. Cela donne lieu à des ramifications du genre :
« ceux qui tiennent le propos A sont aussi ceux qui tiennent le propos B et la caractéristique
commune X ».
L’étude approfondie d’un cas, révèlera ainsi, à travers des entretiens choisis comme
représentatifs, l’analyse que l’on aura faite en reliant ou en différenciant les propos tenus
[Harvatopoulos, Livian, Sarnin, 1989, p.96]. C’est la méthode que nous avons retenu, et dont
nous rendrons compte.
Cette phase, dite de condensation s’opère généralement à différents niveaux de l’avancement
d’une étude qualitative, même si le traitement intégral a lieu lors de la phase globale de
traitement des résultats consignés. La condensation est donc une phase de
condensation/transformation allant du recueil des données à l’achèvement du rapport final, en
356
passant par le travail sur le terrain. Bien évidemment, elle est indissociable de l’analyse ; c’est
une forme d’analyse qui consiste à trier, rejeter et à organiser les données de telle sorte qu’on
puisse en tirer les conclusions finales et les vérifier. D’où l’importance du codage thématique
pour l’analyse qualitative, car il :
« réduit de grandes quantités de données en un petit nombre d’unités analytiques ;
amène le chercheur à l’analyse produite par le recueil de données, de sorte que les recueils
ultérieurs peuvent être plus centrés ;
il aide le chercheur à construire une carte cognitive, un schéma évolutif lui permettant de
comprendre ce qui se passe sur le site » [Huberman et al. 1991, p.118].
Cette codification s’est faite pour nous au cours de la phase d’élaboration du questionnaire,
qui condense les thèmes significatifs de l’étude au niveau de sa structuration. Le fait de nous
servir d’un logiciel de traitement de données, en l’occurrence, Le Sphinx Plus, est certes utile
mais ne peut se substituer au travail de l’analyste, par rapport à la subtilité des analyses à
mener, qui dépasse loin s’en faut, le déballage d’une analyse purement statistique. C’est
pourquoi, les éléments que nous avons extraits des données du logiciel, vont être appuyés par
les propos de nos interlocuteurs, et par voie de conséquence, par les classifications qui en
ressortiront.
En somme, il existe peu de canons reconnus dans l’analyse des données qualitatives, dans le
sens de règles de base acceptées par tous pour établir des conclusions et en vérifier la solidité.
C’est d’ailleurs pour cette raison que notre analyse ne repose sur aucun mode exclusif de
357
traitement des données. Dans leur ouvrage, Jean-Pierre Crauser, Yannis Harvatopoulos et
Philippe Sarnin, [1989] tirent des conclusions similaires en tenant le propos suivant :
« Il est souhaitable pour le bon déroulement de l’étude de tenir compte des diverses
possibilités de l’analyse de données dès l’initialisation de la démarche, comme indiqué au
cours de l’étalage des différentes possibilités de traitement offertes à l’analyste. Il faut donc
que l’analyse ait une certaine cohérence avec les tenants et les aboutissants de l’étude.
Autrement dit, il faut qu’il paraisse une certaine homogénéité entre la définition des objectifs
de l’étude, le recueil de l’information, l’analyse proprement dite et l’interprétation des
résultats » (p.110).
Le traitement et l’analyse des données recueillies au cours d’une enquête, quelque soit
l’option retenue ne doit pas s’attacher à un cadre rigide d’analyse. C’est la raison pour
laquelle, nous ne nous sommes pas enfermé dans l’utilisation du logiciel de traitement des
données de l’enquête, compte tenu de la faiblesse de notre échantillon et des limites du
traitement qualitatif par un logiciel. Ce logiciel nous aura plutôt aidé à obtenir une
représentation objectivée des valeurs et du management stratégique de ces entreprises, à partir
de la vision que nous en ont donné les managers de ces organisations.
Section II : Cadre contextuel de l’étude
Avant d’enchaîner avec l’analyse proprement dite des éléments du terrain, nous allons au
préalable fixer quelques données relatives à l’économie gabonaise dans son ensemble. Ces
éléments serviront en effet de support à l’extrapolation et à l’interprétation des résultats que
nous effectuerons par ailleurs.
358
2.1. Quelques aspects majeurs de l’économie gabonaise
Ce qui caractérise le mieux la situation du Gabon, c’est certainement la culture du paradoxe.
Tous les éléments que nous avons lu à ce sujet s’accordent tous sur ce point [cf. Marc
Perelman 1999, Chéneau-Loquay 2000]. Cette culture du paradoxe se réfère respectivement
chez Marc Perelman à un développement économique contrasté soulignant les limites du
«modèle économique gabonais» ; et chez Annie Chéneau-Loquay, à l’importance des
disparités territoriales qui se répercute sur divers aspects de la vie économique et sociale.
Ainsi, si l'économie gabonaise apparaît relativement florissante au regard des autres pays de
l’Afrique sub-saharienne, un regard plus approfondi au niveau de sa situation économique et
financière manifeste des disparités. Ce qui fait que le Gabon apparaît comme un pays riche,
sans que pour autant son économie soit celle d'un pays développé. Le passage suivant est
révélateur des carences du modèle de croissance de l’économie gabonaise, très dépendante
des ressources naturelles, qui assurent la quasi-totalité de la richesse nationale.
« Même avec un baril de brut au plus bas, un pays de 1 million d’habitants qui produit 18
millions de tonnes de pétrole par an, dont le revenu par habitant est comparable à celui du
Brésil et dont le PIB est équivalent à celui du Sénégal, devrait disposer de ressources
largement suffisantes pour faire fonctionner son économie. La crise de liquidités est donc
autant la conséquence d’une conjoncture mondiale défavorable que la preuve de l’échec d’une
économie de rente qui a empêché une gestion rigoureuse de l’argent public et permis
l’enrichissement facile des proches du pouvoir. Mais comme pour le pétrole, les aléas de la
conjoncture ne sauraient dissimuler un certain nombre de carences structurelles »237
.
237
Perelman (M.), « La chute de la maison Gabon ? », Jeune Afrique du 06 au 12 avril 1999, p.30.
359
Ce qui ressort de cette analyse, c’est visiblement la carence de diversifications de l’économie
gabonaise, ainsi que sa gestion calamiteuse. Cette situation désastreuse se répercute
aujourd’hui avec autant plus d’acuité que la crise actuelle que traverse le pays, se traduit sur
fond de privatisations et de restructurations imposées par les bailleurs de fonds
internationaux.
L’objet de ce portrait, est de présenter sommairement la densité de l’économie du Gabon. En
effet, l’évocation des contours macro-économiques, permet de mieux comprendre la faiblesse
de l’échantillon retenu, après délimitation de la problématique et de la zone géographique
circonscrite, qui est de fait proportionnelle à la densité du tissu économique gabonais. Le
Gabon est un petit pays d’une superficie de 267 000 km², totalisant à peine le million
d’habitants, mais qui a « la chance » de posséder un sous-sol riche en ressources minières
diverses, ainsi qu’une faune et une flore diversifiées. La carte ci-après nous permet d’en avoir
une représentation.
360
Figure 23 : Carte du Gabon. Source, Atlas Jeune Afrique du continent africain
Le premier paradoxe que nous ressortons de la confrontation de la situation démographique et
économique du Gabon est inversement disproportionnel à l’endettement encouru, par rapport à sa
population et au PNB, comme l’indiquent les données figurant dans le tableau suivant :
Superficie. 267,7 milliers de km2
Population 1 181 millions
PNB 4 664 millions de dollars
PNB/habitant 4230 $ (38ème rang)
IDH 124è rang mondial
Déficit du budget 120 millions de dollars
Tableau 8 : Quelques chiffres-clés sur le Gabon. Source ONU, 1998.
Ces chiffres vont à présent être complétés par ceux fournis par la Direction Générale de la
Statistique et des Études Économiques (DGSEE, l’équivalent de l’INSEE), dont les missions
consistent notamment à concevoir et à coordonner un ensemble national de statistiques. De
collecter et de traiter les informations statistiques retenues, de les centraliser aux fins
d’élaborer une documentation mise à la disposition des pouvoirs publics d’une part, mais
aussi de tout autre public.
En un mot, les objectifs poursuivis par cet organisme sont d’informer sur la vie du Gabon à
partir d’indices tels que le développement humain, les agrégats, la production, pour ne citer
que ces données. Le tableau que nous allons voir confirme bien la dépendance de l’économie
gabonaise vis-à-vis de ses ressources naturelles (bois, pétrole, manganèse, etc.), dont
l’exploitation est pour l’essentiel destinée à l’exportation. Ce qui fait que le secteur industriel
reste peu développé : il concerne surtout le raffinage du pétrole, la transformation du bois et
l'agroalimentaire (sucreries, boissons, tabac, ciment, chimie). Les secteurs de l’agriculture et
361
de la pêche, s’ils occupent 48% de la population active, ne contribuent qu’à hauteur de 9% du
PIB.
D’ailleurs, cette agriculture est essentiellement une agriculture de subsistance, ne couvrant pas les
besoins locaux. Le secteur des services est lui aussi peu développé, puisqu’il occupe 31% de la
population active, et participe à hauteur de 36% du PNB. On note cependant, à l’instar de nombreux
pays sous-développés l’importance du secteur informel, même si par définition, il est difficilement
quantifiable. Le tableau ci-dessous montre les agrégats de la production nationale, sur la base des
secteurs d’activité que nous venons de présenter.
Production 1996 1997 1998 1999 2000
La production du primaire
Matières premières d’exportation
Pétrole brut (Moi t)
Bois (1000m »)
Manganèse (1000 t)
Uranium (t)
Caoutchouc sec (1000 t)
Cacao (t)
Café (t)
Principaux produits agricoles
Taro
Manioc
18,3
2589,6
1983,1
504,0
8,3
1780,0
117,0
55,0
214,0
258,0
18,5
2896,8
1903,7
472,0
10,7
1852,0
136,0
55,2
215,8
263,3
17,5
2416,8
2092,2
732,0
10,6
1953,0
145,0
89,0
227,0
274,0
15,3
2402,0
1908,,3
294,0
4,4
1745,0
125,0
57,0
224,0
265,0
13,5
2792,0
1743,1
2,1
471,2
197,8
60,0
228,0
170,0
362
Bananes plantain
Arachide
Pêche (1000 t)
Pêche industrielle
Pêche artisanale
16,2
10,4
25,3
16,6
10,4
24,8
19,0
14,0
9,4
18,7
10,1
10,0
19,6
18,8
24,9
Tableau 9 : Évolution de l'environnement économique. Source DGSEE, mars 2000.
Nous avons tenu à faire ce compte rendu succinct de la situation démographique,
géographique, économique et sociale du Gabon, pour mieux situer les contours du pays dans
lequel s’est déroulé notre approche-terrain. Ce compte-rendu n’est nullement exhaustif. Il vise
avant toute chose à rendre compte de l’étroitesse du tissu économique sur lequel nous avons
porté nos investigations. Étant donné la problématique de notre sujet, nous l’avons
volontairement restreint aux grands groupes d’intérêts économiques de la place qui ont
accepté de nous aider en ce sens.
À présent, nous allons procéder à l’étude et à l’analyse intra-site proprement dite. Mais
auparavant, nous avons jugé utile de présenter sommairement ces entreprises du secteur
bancaire, des télécommunications, du bois, du transport aérien et maritime.
2.2. Présentation des composantes de l’échantillon
2.2.1. Le groupe BGFI
363
L’ambition du groupe BGFIBANK marquée par une volonté d’expansion au cœur des pôles
stratégiques de la sous-région CEMAC238
, est de se positionner en tant que portail financier
de référence contribuant au développement des entreprises, et d’une clientèle de particuliers
triée sur le volet. De fait, les performances réalisées par le groupe restent tributaires de la
conjoncture économique nationale et internationale, à l’instar de l’ensemble des autres acteurs
économiques du pays. Les activités du groupe sont ainsi organisées en métiers distincts, avec
des objectifs et des missions spécifiques à atteindre par chacune d’entre elles.
Ainsi au plan national, les activités du groupe restent dommageables de la situation des
secteurs forestier, pétrolier et travaux publics, ainsi que liées à la baisse des investissements
réalisés par l’État gabonais. S’ajoute à cela au plan international, la fluctuation des cours du
dollar américain qui influence fortement l’économie gabonaise, en raison du poids de la
branche pétrole sur le Produit Intérieur Brut.
Créée en avril 1971 par un partenariat entre des Privés Gabonais et la Banque de Paris et des
Pays-Bas sous la dénomination de Banque de Paris et des Pays-Bas Gabon, elle prit en 1984
la dénomination de Banque Paribas Gabon. Bien plus tard en 1996, celle de Banque
Gabonaise et Française Internationale (BGFI), sigle désormais associé à son appellation
actuelle. Ainsi, en mars 2000, précisément le 17, elle opéra à nouveau un changement de
sigle, cette fois-ci sous le label BGFIBANK pour entériner ses nouvelles perspectives de
développement et de croissance. L’organigramme du groupe reflète la stratégie d’expansion et
d’ouverture du groupe à travers les différentes entités que l’on peut voir sur cet
organigramme.
238
Communauté Économique et Monétaire d’Afrique Centrale
364
INVESTISSEURSPRIVES30,45 %
COMPAGNIEDU KOMO23,01 %
BGD13,00 %
DELTASYNERGIE13,36 %
PERSONNELBGFIBANK
8,18 %
ETATGABONAIS
8 %
BGFIBANK
BGFIBANKCONGO100 %
BGFIBANKG.E.33 %
BGFIBAIL77,76 %
BGFIPARTICIPATIONS
99,91 %
FINATRA50,00 %
Figure 24 : Organigramme du groupe BGFI. Source Rapport annuel 2001, p.7.
BGFIBANK mêle à la gestion des comptes, le financement spécialisé d’un panel d’actions :
c’est la banque d’affaires des particuliers et des grandes entreprises. En dehors du Gabon, elle
est présente dans la sous-région au Congo notamment, depuis le 03 avril 2000, avec
l’ouverture de deux succursales à Brazzaville et à Pointe-Noire, sous le label BGFIBANK
CONGO. Plus tard, le 18 juin 2001, la Commission Bancaire d’Afrique Centrale (COBAC)
lui a donné son accord pour l’ouverture d’une filiale à Malabo en Guinée Equatoriale,
dénommée BGFIBANK G.E., au travers de sa participation dans l’UBAC (Union Bancaire
d’Afrique Centrale) et au réseau CB-CA.
En novembre 1998, suite au retrait du capital de la banque de son actionnaire principal,
Paribas International, le groupe a opéré un tournant stratégique majeur avec la modification
de son actionnariat et de l’organisation, qui comprend désormais des comités de gestion
indépendants. De plus, on voit la concrétisation de la poursuite du programme
d’investissements initié par la banque avec l’implantation d’un système de réseau et
l’introduction d’Internet. La fin du projet monétique dans sa première phase, avec la mise en
circulation des cartes de retrait BGFI au niveau du siège librevillois, devant aboutir à terme à
la couverture nationale.
365
En outre, l’instauration de la TVA sur le secteur bancaire, ainsi que la mise en conformité des
statuts de la banque avec ceux de l’acte uniforme OHADA, portant organisation des activités
économiques et du droit des sociétés, s’inscrivent dans cette optique. Signe évident du
dynamisme du groupe, l’évolution du capital social qui était à ses débuts de 400 000 000 000
F CFA et qui s’élève aujourd’hui à 25 065 376 000 F CFA239
, dont plus des trois quart
proviennent des richesses générées par la banque. Le groupe BGFI, constitué en tant que tel
dès 1999, bénéficie d’un actionnariat stabilisé et d’une bonne santé financière et sociale, qui
transparaît à travers sa stratégie de développement et d’expansion, dépassant le cadre local
d’intervention.
Dans cet établissement, nous avons d’abord été mis en contact avec le Directeur Général
Adjoint, qui nous a orienté vers le Directeur des Ressources Humaines, des Affaires
Générales et de la Communication, en tant que responsable du projet et de l’harmonisation
des procédures dans l’entreprise. Au cours de l’entretien que nous avons eu avec ce dernier, il
nous a annoncé l’ouverture prochaine d’une agence à Paris. Résultat de l’excellence et de la
persévérance du groupe à se bâtir un pôle financier de premier plan, la gestion du groupe s’est
affinée avec la définition de valeurs fortes des équipes de BGFI autour du projet d’entreprise.
Ces résultats classent le groupe parmi les meilleurs en termes de gains de productivité et de
retour sur investissements dans son domaine d’activités. Ce qui en fait, sur la base des
activités de la seule banque commerciale, un groupement performant d’intérêts financiers
privés, détenu entièrement par des capitaux nationaux. La banque, qui épaule tous les autres
métiers du groupe est d’ailleurs gérée selon le modèle dit de « la nouvelle gouvernance »,
pour reprendre les termes de l’Administrateur Directeur Général lors du message émis dans le
rapport annuel de l’exercice 2000. Elle s’est ainsi dotée des organes de commandement-
contrôle suivants :
239
À titre indicatif, 1 euro équivaut à 656 FCFA.
366
Un Conseil d’Administration qui définit les grandes orientations stratégiques et qui assure la
surveillance de l’évolution financière des risques et de la rentabilité d’une part. D’autre part, il
procède à l’examen des conditions d’exercice du contrôle interne et externe.
Un Comité d’Audit ou des Comptes présidé par un administrateur indépendant. Il a pour
mission de surveiller le contrôle des activités et des procédures en interne comme en externe,
ainsi que l’appréciation de la pertinence et de la permanence des principes et méthodes
comptables. En outre, il veille à l’examen des travaux et des conclusions des Commissaires
aux comptes et de l’Inspection Générale de la banque. En somme, il aide le Comité de
Direction au niveau de l’appréciation des risques de toute nature pesant sur le groupe.
Un Comité de rémunération et de Nominations. Il est chargé de proposer au Conseil
d’Administration la rémunération des mandataires sociaux, la nomination d’administrateurs,
ainsi que des solutions de succession en cas de vacance imprévue de la présidence ou des
mandataires sociaux. Par ailleurs, il propose des plans de souscription et d’achat d’actions
Edicte des recommandations sur la politique de communication externe, la rémunération des
administrateurs et de tout autre avantage attribué aux dirigeants.
Un Comité Exécutif présidé par l’Administrateur Directeur Général. C’est l’organe de gestion
de la banque. Il veille à l’exécution des axes stratégiques de la banque.
Un Comité de direction, également présidé par l’Administrateur Directeur Général, il assure
l’exécution de la politique et des axes stratégiques définis par le Comité Exécutif, par le biais
de l’examen des résultats mensuels et le suivi de l’exécution des projets.
Un Comité de crédit, organe au sein duquel toutes les décisions en matière de crédit sont
prises. Les membres de ce comité effectuent cette tâche avec l’appui des Directeur du
Développement Commercial, et du Crédit sur le risque encouru. Celui des affaires Juridiques
367
pour émettre son avis sur la fiabilité des garanties et sur la régularité de la documentation
juridique. Même si la signature de chacun des membres du comité est nécessaire pour valider
le dossier de demande de crédit, c’est à son président que revient le dernier mot.
L’ambition et l’objectif affichés du groupe résident dans une stratégie résolument tournée vers
la réalisation de cet objectif de croissance et de leadership, à travers ses différents métiers : la
banque commerciale, les services financiers spécialisés et l’ingénierie financière. Au cœur de
ce potentiel d’activités, le groupe consent des efforts en matière de formation et de politique
sociale, en veillant notamment à la cohésion et à la motivation des équipes en place. L’action
du groupe BGFI à travers cette stratégie d’expansion, est ainsi de se doter d’un réseau de
distribution fiable et indépendant facilitant le développement national et international.
368
Figure 25 : Le projet d'entreprise du groupe BGFI. Source Rapport annuel 2001, p.56.
369
Ce schéma représente une démarche marketing tournée vers la qualité totale : il s’agit
d’assurer la pleine satisfaction du client par une amélioration constante des services rendus.
En pariant sur les hommes, la volonté de la Direction Générale est de favoriser un lieu
d’échanges et de partages d’expériences convivial, permettant aux employés de participer au
développement de l’entreprise, tout en s’épanouissant professionnellement et socialement.
Dans cette perspective, la Direction Générale s’est engagée dans une démarche globale
d’évolution dynamique et de progrès permanents, incluant une démarche de progrès social à
la base du projet d’entreprise. Au cœur de l’idéal de progrès technologique et humain, cette
démarche collective s’insère dans le projet d’entreprise du groupe par une recherche
permanente de l’excellence, symbolisée par les trois axes stratégiques du projet d’entreprise
comme indiqué ci-dessous :
370
Figure 26 : Les trois axes de développement du projet d'entreprise. Source Rapport annuel,
2001, p.54.
Le credo du groupe se situe ainsi sur trois axes complémentaires, à l’image des activités du
groupe, ce qui lui permet de faire cohabiter les exigences de rationalité économique et de
progrès social. Cette ambition se traduit par le leadership au niveau des différents métiers de
la banque. Au plan commercial, les actions menées tendent à faire du groupe le premier
371
groupe financier de la sous-région, que symbolise la politique volontariste menée par la
Direction Générale qui mise sur les compétences et la formation continue du personnel, acteur
du développement économique et social des stratégies édictées au plus haut niveau de la
hiérarchie de la banque commerciale. Cette synergie se matérialise par le partage de valeurs
fortes dominées par la quête permanente de l’excellence, associée à l’identité visuelle de
l’entreprise ; une étoile scintillante, comme configuré à travers la figure ci-après :
372
Figure 27. Les valeurs partagées du groupe BGFI. Source Rapport annuel 2001, p.88.
373
Dans cette optique, le groupe BGFI dispose d’un label de certification de la norme ISO 9001,
version 2000 lui permettant de garantir une qualité de service conforme aux exigences du
métier. Le maître-mot de la stratégie du groupe apparaît dans ce propos de l’Administrateur
Directeur Général : « Un groupe en mouvement, la passion du client ». Comme en témoignent
les différents états de bilan annuel qui nous ont été communiqués durant les exercices 1998 à
2001, en trente ans d’existence, le groupe BGFI est devenu leader dans ses métiers grâce au
professionnalisme de ses équipes, son sens de l’innovation, sa dynamique marquée par
l’expansion du groupe depuis sa création en 1971. Cette stratégie, bâtie sur la constitution du
groupe se scinde en quatre entités où l’on distingue nettement le pôle commercial d’une part ;
et d’autre part, le pôle financier avec :
BGFIBANK, la banque commerciale haut de gamme, au cœur de ses métiers. Axée sur une
clientèle sélective de particuliers et d’entreprises. Elle contribue pour beaucoup à la prise des
intérêts du groupe et à sa stratégie d’ouverture et d’expansion vers des marchés nouveaux.
Elle mêle à la gestion des comptes le financement spécialisé d’un panel d’actions : c’est la
banque d’affaires des particuliers et des grandes entreprises.
Les organismes spécialisés de crédit : BGFIBAIL, BGFI PARTICIPATIONS et FINATRA.
Cette stratégie fait du groupe BGFI une banque qui se distingue des activités de ses
concurrents, particulièrement la BICIG, parce qu’elle a un cœur de métiers autour desquels
s’articule sa stratégie et l’extension de ses activités en dehors de la sphère nationale. Les
activités d’ingénierie financière de sa filiale BGFI PARTICIPATIONS, sont exclusivement
centrées sur le conseil, la restructuration, l’audit, la gestion de participations et l’ingénierie
financière. L’organisation en métiers distincts, constitue pour les acteurs de cette entreprise,
un signe d’excellence et la maîtrise des besoins de la clientèle dans sa globalité.
D’ailleurs, l’ambition du groupe BGFI, réalisée grâce à l’appui de la banque commerciale en
soutien aux autres activités du groupe, notamment à travers le développement de la ligne de
374
produits crédits à la consommation depuis septembre 1998 avec la FINATRA, se manifeste
notamment avec l’ouverture de nouvelles agences, tant au Gabon qu’au niveau de la sous-
région. Reflet de la bonne marche et de la santé financière des activités du groupe, cette
évolution transparaît à travers les états suivants :
(en millions de francs) 1996 1997 1998 1999 2000 2001
TOTAL DU BILAN 106 120 114 220 114 252 119 669 292 749 239
391
CAPITAUX PROPRES
(dont capital)
11 962
(9 845)
12 571
(9 845)
14 077
(9 845)
18 020
(9 845)
18 167
(10 024)
30 693
(25
065)
CAPITAUX PERMANENTS 26 641 25 495 27 446 27 127 25 927 35 416
DEPOTS DE LA CLIENTELE 62 068 71 315 64 457 68 350 231 729 144 060
CREDITS À LA CLIENTELE 67 492 84 278 79 573 73 972 93 185 129 696
PRODUIT NET BANCAIRE 9 704 11 505 10 643 12 015 17 452 24 684
FRAIS GENERAUX 5 199 5 533 5 981 6 225 7 379 10 025
RESULTATS BRUTS
D’EXPLOITATION
4 504 5 972 4 662 5 790 10 073 14 659
DOTATION NETTE AUX
PROVISIONS
1 270 634 2 885 2 412 - 10 2 181
RESULTATS NETS 2 824 4 186 4 055 4 147 6 342 8 290
Tableau 10 : BGFIBANK en quelques chiffres. Source rapport annuel 2001, p.8.
375
Avec ces résultats, le groupe BGFI s’affirme comme le partenaire financier de référence dont
les objectifs et les stratégies de développement s’articulent sur une croissance marquée par le
dynamisme du groupe. Révélateur de cet esprit, l’activité et la stratégie du groupe axées sur le
client ; il s’agit de lui proposer une offre de produits et de services financiers diversifiée,
positionnant le groupe en tant que portail financier contribuant aux projets de développement
des entreprises, mais également des particuliers, grâce à un réseau de distribution indépendant
facilitant le développement national et international, ayant son centre de décisions à Libreville
au Gabon. Pour être en adéquation perpétuelle avec ces principes, une règle d’or du groupe
repose sur la recherche perpétuelle de l’excellence, avec l’ambition marquée de devenir le
premier groupe financier de la sous-région.
2.2.2. La BICIG
Anciennement dénommée Banque Nationale pour le Commerce et l’Industrie (B.N.C.I.), elle
devient le 02 juillet 1966 la BNP (Banque Nationale de Paris), née de la fusion de deux
grandes banques françaises : la Banque Nationale pour le Commerce et l’Industrie, et le
Comptoir National d’Escompte de Paris. La BICIG (Banque Internationale pour le Commerce
et l’Industrie du Gabon) voit officiellement le jour le 30 mars 1973, en tant qu’établissement
de droit gabonais sous la forme d’une société anonyme. C’est une banque de dépôts au capital
de XAF 12 000 000 000, détenue en majorité par des intérêts gabonais, comme l’atteste la
répartition du capital ci-après :
État gabonais ………………………. 26,35 %
Particuliers gabonais ………………. 26,98 %
BNP Paribas ……………………….. 23,80 %
SFOM (BNPP) …………………….. 22,87 %
376
Tout comme son concurrent direct, la BGFI, en termes de parts de marché, la BICIG est
affiliée à un partenaire qui lui assure un soutien logistique par le biais de son réseau
international. Il s’agit du réseau international du groupe BNP, qui comme le montre la
répartition ci-dessus détient également une part non négligeable du capital de la banque.
L’organisation du groupe repose sur deux entités complémentaires : les fonctions
d’administration qui recouvrent la gestion des problèmes d’organisation, de prévision, et de
contrôle. Et les fonctions d’exploitation qui concentrent le cœur des activités de la banque, à
savoir : la Direction des Réseaux Clientèle, et de l’Informatique. L’organigramme de la
société, d’après ces deux pôles est matérialisée de la façon suivante :
377
Figure 28 : Organigramme général de la BICIG
Au niveau des activités proprement dites de la banque, l’année 2001 s’est caractérisée par une
progression significative des remplois au niveau de la clientèle des entreprises (6 %). Cela a
ainsi contribué à l’amélioration du produit net bancaire. Par ailleurs, cette année a été
marquée par la percée des produits RTC (BICITEL, T.P.E., etc.). Au niveau de la clientèle de
particuliers, la collecte des ressources a été favorisée par l’accroissement du montant des
dépôts, qui s’est répercuté sur l’accroissement des écritures. Incontestablement, la BICIG est
leader dans son secteur d’activités, si l’on s’en tient à ces données :
Les dépôts globaux, hors banques du système bancaire, s’élèvent à 475 milliards de FCFA,
dont 210 milliards détenus par la banque, soit 44,1 % de parts de marché.
378
Sur les 184 milliards de dépôts de particuliers, elle détient 99 milliards, soit 53,9 % de parts
de marché.
Sur les 195 milliards de dépôts des entreprises, la BICIG en contrôle 91, soit 54 % de parts de
marché.
Malgré cette position de leader, la BICIG, pour s’adapter à la demande et aux besoins de sa
clientèle a elle aussi, à l’instar de ses concurrents développé une vaste gamme de produits
telle que le crédit à la consommation ou d’investissements mobiliers et immobiliers destinée :
aux grandes entreprises ;
aux entrepreneurs individuels ;
aux investisseurs institutionnels ;
aux ambassades et aux associations ;
à la clientèle privée haut de gamme ;
aux banques et établissements de crédit.
Son offre clientèle repose sur les activités suivantes :
clientèle privée ;
clientèle entreprises ;
financement de projets ;
379
trésorerie de change ;
trésorerie de change clientèle ;
opérations courantes de banque ;
opérations d'import/export à court terme (Trade Finance) ;
opérations de financement d'exportations à moyen et long terme ;
opérations de crédit bail et d'affacturage (Leasing/Factoring). BICIBAIL a ainsi été créée en
1998, pour répondre aux besoins de l’environnement concurrentiel du groupe BICIG, son
actionnaire à 99%. Elle propose le financement sous forme de leasing domestique de biens
mobiliers et de location de véhicules, avec option d'achat pour les particuliers.
service de monétique, avec la mise en circulation de cartes bancaires et l'installation de
distributeurs de billets. La mise à disposition de nombreux Terminaux de Paiement
Electronique (TPE) chez les commerçants.
2.2.3. L’U.G.B.
L'Union Gabonaise de Banque est la plus ancienne banque commerciale du Gabon. Connue
sous l’emblème du Crédit Lyonnais avant 1962, elle devient l’actuelle U.G.B. lors de
l'indépendance du Gabon. Elle est maintenant contrôlée à hauteur de 56,25% par le Groupe
Crédit Lyonnais, comme l’atteste la répartition suivante du capital de l’entreprise :
Crédit Lyonnais ……………………………………….. 56,25 %
République gabonaise …………………………………. 25,00 %
Groupe OGAR ………………………………………… 11,70 %
Banque Gabonaise de Développement ……………….. 3,75 %
380
SONADIG ……………………………………………. 1,50 %
Privés gabonais ……………………………………….. 1,80 %
Cette participation de la banque lyonnaise lui permet de disposer d'un outil de production et
de communications d’un haut niveau technologique. D’un outil de gestion et de contrôle
interne entièrement automatisé qui lui a permis, en novembre 2001, de lancer la première
banque en ligne d'Afrique Centrale depuis novembre 2001. Outre ces prestations, la banque
met à la disposition de sa clientèle une gamme de produits nouveaux et interactifs à travers le
label « UGB INTERACTIF ». Il offre ainsi à ses usagers la possibilité d’effectuer toutes
transactions, moyennant un abonnement par le truchement d’un serveur vocal ou d’Internet.
La banque s’est également dotée d’un réseau de distributeurs de billets compatibles VISA,
depuis le premier trimestre 2003 pour soutenir et compléter la gamme de produits et services
financiers existants.
Pour s’adapter aux changements de la réglementation en vigueur et renforcer son outil de
production, de gestion et de contrôle, la banque a mis en place un niveau d’automatisation
suffisant pour être en phase avec la nouvelle réglementation. Elle concerne notamment la
nouvelle réglementation régionale des changes, le nouveau plan comptable des banques et
l’harmonisation régionale des systèmes de paiement, l’interbancarité ; ainsi que le devenir de
la Bourse des Valeurs d’Afrique Centrale. Elle a ainsi constitué un réseau de banques dans la
sous-région, aux côtés du Crédit Lyonnais Cameroun, mais aussi, grâce au rachat de la
Banque Internationale du Congo. Grâce à cette coopération et à cette acquisition, l’ambition
affichée est de conquérir de nouveaux clients, pour positionner la banque en tant que première
banque d’Afrique Centrale.
Société anonyme au capital de F CFA 5 000 000 000 avec un effectif de 210 personnes,
l’U.G.B. est une banque commerciale, la troisième au classement général, après la BICIG et la
BGFI. Sur les ressources toutes banques confondues en octobre 2001, sa part était de 478
381
milliards de F CFA, soit une part de marché de 21,01%240
. Sa clientèle se compose de
particuliers, de professionnels, et de grandes entreprises le plus souvent filiales de grands
groupes internationaux, pour lesquelles l'U.G.B. a développé avec succès au cours des deux
dernières années un marché obligataire local. Les activités de la banque sont axées sur deux
créneaux : la clientèle de particuliers et la clientèle des entreprises organisées autour d’un
réseau domestique de quatre agences dans les principales villes du pays. Les services aux
particuliers concernent :
- les comptes de dépôts ;
- les comptes épargne ;
- le plan d'épargne logement ;
- les comptes à terme ;
- les bons de caisses ;
- les distributeurs de billets ;
- la banque en ligne sur Internet ;
- la consultation des comptes par téléphone ;
- la délivrance de chéquiers à formules garanties pour les bénéficiaires ;
- les prêts à la consommation et les prêts immobiliers ;
- les cartes de crédit (depuis 2002).
Ceux des entreprises concernent :
- une gamme complète de produits équivalente à celle proposée dans les pays développés ;
240
Source Rapport annuel 2001, p.6.
382
- un service de banque en ligne (consultation des compte, déchargement des écritures,
transferts de compte à compte et sur les banques de la place, virements, avis de prélèvement,
commandes de chéquiers, etc.).
- des émissions obligataires pour le compte de la clientèle entreprise, en effectuant des
paiements de dividendes pour certaines grandes sociétés de la place.
À côté des activités développées en local, il y a également un pôle de la banque qui assure des
activités internationales avec la possibilité d’effectuer des transferts de fonds, le contrôle de la
réglementation des changes, ainsi que des opérations de change. En dépit de la morosité du
contexte économique environnemental marqué par la baisse de productivité de la branche
pétrole, principale ressource du Gabon, la banque affiche un bilan d’activitéS positif comme
l’atteste les chiffres suivants :
DONNEES 2001
TOTAL DU BILAN 129 522 Millions
FONDS PROPRES 10 993 Millions
RESULTAT NET 2 852 Millions
PRODUIT NET BANCAIRE 11,6 Milliards
Tableau 11 : L'U.G.B. en chiffres. Source Rapport annuel 2001, p.2.
2.2.4. CELTEL GABON
Filiale du groupe MSI CELLULAR, CELTEL GABON a officiellement vu le jour le 6 juin
2002. À l’échelle de la taille et des réalités de l’économie gabonaise, ce jeune fleuron du tissu
383
économique gabonais fait figure de PME, puisqu’elle totalise un total de 120 employés. Dans
un secteur en pleine expansion, et fortement concurrentiel puisqu’il existe deux autres
opérateurs de téléphonie mobile, elle a réussi à se hisser à la seconde place, avec une ambition
clairement affichée de détrôner le numéro un actuel en termes d’abonnés. Bien qu’elle soit la
dernière arrivée sur le marché gabonais, la société CELTEL GABON apparaît comme la plus
innovante et le plus menaçante pour ses deux autres concurrents, particulièrement pour
l’opérateur de téléphonie mobile affilié au réseau public depuis peu privatisé.
Ainsi, CELTEL GABON a importé la technologie « Backbone ». Le "Backbone" construit au
Gabon par CELTEL s'affirme comme la colonne vertébrale du développement des
télécommunications, puisque même ses concurrents recourent à cette technologie. Le
principal avantage du "Backbone" pour CELTEL GABON est de lui permettre de devenir le
premier opérateur national, et de fournir une bonne couverture sur l'ensemble du territoire. Ce
"Backbone" construit entre novembre 2001 et mars 2002, pour un investissement de 8,5
millions de dollars, couvre 1300 km de route, correspondant à 850 km à vol d'oiseau à travers
le Gabon.
Même si la responsable du marketing et de la communication a fait preuve d’un intérêt
manifeste pour notre étude en se prêtant à l’examen de nos doléances, il nous a par ailleurs été
opposé une fin de non recevoir concernant des éléments pour ainsi dire banaux tels que
l’organigramme et le chiffre d’affaires de l’entreprise qui restent confidentiels. Cependant,
nous avons pu en dresser la structure lors des visites effectuées au siège. Grosso modo,
l’organigramme de cette entreprise se décline comme suit :
384
Figure 29 : Organigramme de CELTEL GABON
CELTEL GABON fait partie des entreprises qui communiquent peu, comme du reste toutes
les entreprises vers lesquelles nous nous sommes tournées. En dépit de nos efforts pour entrer
en contact avec les managers de cette société, nous n’avons pu avoir les quelques éléments
que nous présentons ici, que grâce à l’entremise des informations récoltées sur Internet241
,
ainsi qu’aux bribes d’information données par la Responsable du Marketing et des Relations
Publiques, lors des entretiens que nous avons eus.
2.2.5. GABON TELECOM
Le moins que l’on puisse dire, c’est que GABON TELECOM, ancien monopole d’État, est à
l’image de la démesure de son siège social : une entreprise colossale, parmi les plus
emblématiques que compte le pays. Engagée elle aussi dans un programme de
restructuration/privatisation, cette opération est effective depuis mars 2003. Depuis la
libéralisation du secteur des télécommunications, elle est confrontée à une concurrence à
laquelle elle n’avait pas été habituée, du fait de sa position dominante. Désormais consciente
des challenges que l’arrivée de nouveaux concurrents lui imposent, elle s’est engagée depuis
trois ans maintenant à rénover et à moderniser ses infrastructures pour mieux répondre aux
enjeux de la situation.
Pour concrétiser cette volonté d’adaptation aux nouvelles règles du marché, une filiale a été
créée dans le secteur de la téléphonie mobile, pour ne pas laisser le terrain totalement libre
aux deux autres opérateurs qui la concurrencent. Ce réseau est lui par contre entièrement
numérisé. GABON TELECOM qui dispose de structures et de moyens importants grâce aux
progrès des TIC, se donne pour mission d’assurer le passage de l’usage de l’informatique de
gestion à une informatique d’information et de communication.
241
Sur le site http://fr.allafrica.com/stories/200309170389.html#top, « Backbone de CELTEL Pilier des
Télécommunications Gabonaises », le 17 septembre 2003.
385
La capacité de la bande passante internationale a ainsi été multipliée par huit au cours de la
première année d’activité, et devrait encore considérablement évoluer. Plusieurs accords avec
des opérateurs étrangers ont dès lors été signés pour raccorder l’infrastructure du pays à celle
de l’Amérique du Nord et de l’Europe. L’entreprise a ainsi investi plus de 24 millions d’euros
pour augmenter la capacité du réseau, et améliorer la qualité des prestations fournies au
consommateur final. L’ambition est de relier non seulement l’ensemble du territoire, mais
également les autres pays de la sous-région, afin de positionner l’infrastructure nationale en
une plate-forme de taille pouvant desservir l’ensemble de la CEMAC.
Certainement tributaire de sa situation monopolistique dans le passé, GABON TELECOM,
bien que réalisant des bénéfices substantiels, était une entreprise en difficulté avant que
n’intervienne sa privatisation. Avant de pousser l’analyse et de comprendre ce paradoxe, nous
allons d’abord ressortir l’organigramme de l’entreprise, qui symbolise à lui tout seul les
lourdeurs qui minent la qualité des rendements de cette institution.
386
Figure 30 : Organigramme de GABON TELECOM
2.2.6. AIR GABON
Compagnie nationale de navigation du Gabon, cette entreprise a officiellement vu le jour en
juin 1977. Depuis quelques années, grâce à la libéralisation intervenue dans la politique des
transports, elle fait face à l’émergence de concurrents, qui lui disputent l’exploitants de la
desserte des lignes intérieures, où elle régnait autrefois sans partage. Bien entendu, si l’on
excepte les compagnies destinées à la satisfaction des besoins d’affaires ponctuels des
entreprises ou des particuliers.
Tout comme l’O.P.R.A.G., la création de la compagnie nationale de navigation aérienne du
Gabon dans les années 70, remonte à la période faste durant laquelle le gouvernais gabonais a
mis en œuvre de nombreux chantiers pour développer et désenclaver le pays. Désormais
confrontée à des difficultés financières chroniques, la compagnie est elle aussi depuis juin
2000, soumise à une campagne de restructuration/privatisation. C’est dans ce cadre, et pour
redresser les finances de la société, que l’État envisage désormais de faire du Gabon une
plate-forme régionale au niveau du transport aérien, étant donné l’étroitesse du marché local.
Cela devrait permettre à terme de rentabiliser des infrastructures surdimensionnées, que ce
soit pour le transport aérien ou pour celui des télécommunications, pour une population d’à
peine 1 million d’habitants.
Les nombreuses difficultés financières et structurelles liées à l’exploitation efficiente des
lignes du réseau aérien, ont conduit la direction de l’entreprise à fermer les lignes
structurellement déficitaires comme Libreville-Nairobi ainsi que les dessertes peu rentables
du marché local. En effet, soixante pour cent des revenus de la compagnie aérienne
proviennent de l’exploitation des lignes européennes, notamment Paris, Londres, Marseille,
Bruxelles et Rome. Il a ainsi fallu recapitaliser la compagnie. Cette opération a pris du retard,
et explique pourquoi la compagnie n’est toujours pas privatisée à ce jour.
388
Étant donné la prédominasse de l’exploitation des lignes internationales, le projet de
redressement de la compagnie envisage de la redimensionner en tant que plate-forme de
correspondance régionale, selon le propos du Directeur Général242
. Cela, depuis Abidjan,
Bamako ou Lagos, vers l’Afrique du Sud, les Emirats Arabes Unis et l’Europe. Il s’agit
désormais de s’adresser à une clientèle dépassant largement le marché gabonais, concernant
l’exploitation des vols long courrier. Pour atteindre cet objectif, la flotte a été rajeunie avec la
location de deux Boeing 737.
L’organisation d’AIR GABON est semblable à celle des autres entreprises étatiques et para-
étatiques. C’est-à-dire que dans leur ensemble à la tête de ces entreprises se trouve un Conseil
d’administration, une Direction Générale et des directions centrales chargées d’épauler et de
suivre les grandes orientations de la politique générale d’entreprise. Voici schématisé à travers
l’organigramme ci-après, la configuration de la structure décisionnelle et fonctionnelle de
cette entreprise.
Figure 31 : Organigramme de la C.N. AIR GABON
2.2.7. L’O.P.R.A.G.
242
Extrait paru sur le site www.interfrancemedia.com/gabon/infrastructures/htm
389
L’Office des Ports et Rades du Gabon (O.P.R.A.G.), est né aux fins de s'adapter aux
nécessités d'expansion et de développement de l'économie gabonaise. Créé le 09 mars 1964,
sous la dénomination : « Port Autonome de Libreville », cette structure de base devient le 30
Mars 1974, l’actuel Office des Ports et Rades du Gabon, Établissement Public à caractère
Industriel et Commercial (EPIC), doté d’une personnalité civile, et d’une autonomie
financière.
Comme d’autres entreprises gabonaises, il est le fruit d’un plan d’investissements réalisé par
le gouvernement gabonais, au moment du boom pétrolier des années 70. Cependant, il est lui
aussi confronté à des difficultés structurelles et financières qui ont conduit à sa privatisation
par la mise en concession actuelle d’une partie de ses activités. Dans sa première phase, cette
concession vise à décharger l’O.P.R.A.G. des activités de manutention et d’entretien des quais
à des partenaires relevant du domaine privé.
L’O.P.R.A.G. est une société parapublique disposant d’une organisation structurelle et
fonctionnelle ayant à sa tête un Conseil d’Administration, autour duquel sont rattachées des
directions centrales, exerçant leurs activités sous la tutelle de la Direction Générale. Voilà
grosso modo comment se définissent les missions de ces directions centrales, comme indiqué
dans l’organigramme présenté ci-après :
La Direction Financière et Comptable (DFC). Elle effectue avec la Direction Générale les
prévisions budgétaires, l’analyse financière et comptable des recettes et dépenses, des achats
et des ventes. Elle est secondée dans l’accomplissement de ces tâches par un département
comptabilité et financier. Le département comptabilité assure la comptabilité analytique, la
gestion des immobilisations ainsi que le fonds de solidarité et d’aide de l’entreprise, tandis
que le département financier assure quant à lui essentiellement la gestion budgétaire et
prévisionnelle.
390
Le Contrôle Général de Gestion (CGG) surveille l’ensemble des écritures comptables et
financières, ainsi que divers autres documents devant être soumis à l’appréciation de la
Direction Générale. Il analyse et prépare également les prévisions budgétaires avec l’appui de
la Direction Financière.
La Direction de la Communication et des Relations Publiques (DCRP), veille à la qualité de
l’image de marque de l’entreprises par diverses actions, notamment par des activités de
mécénat.
La Direction Commerciale et de l’Exploitation (DCE) constitue la clé de voûte de toutes les
activités portuaires. Elle est ainsi chargée de l’étude des trafics maritimes (prospection,
développement, exploitation de l’activité commerciale, portuaire et maritime), et du
recouvrement et de la liquidation des recettes. Elle assure également la réalisation de
statistiques sur l’exploitation commerciale par le biais du suivi des dossiers clientèle.
La Direction des Affaires Administratives et du Personnel (DAAP) assure la politique de
gestion de l’entreprise en matière d’effectifs et d’administration. Elle est aidée dans ces tâches
par les départements administration du personnel, des relations sociales, et celui de la gestion
prévisionnelle. Ce dernier est chargé de la gestion prévisionnelle du personnel (stages,
formation continue) par le suivi des carrières.
La Direction des Études et Travaux (DET) est chargée de réaliser des études consistant à
améliorer l’aménagement, les travaux d’entretien et d’extension de l’espace portuaire. Elle
veille également à la qualité des prestations qu’elle assure pour le compte des sociétés
recourant à ses services.
La Direction de l’Informatique, également appelée « Centre des Télécommunications et des
Calculs Automatisés », assure l’automatisation des procédures manuelles, permettant aux
391
utilisateurs de réaliser leurs tâches quotidiennes dans de meilleures conditions. Elle assure
également la formation du personnel en interne, ainsi que la configuration et l’installation de
matériels.
La Capitainerie est un département qui exerce ses activités avec la DCE. C’est en quelque
sorte la tour de contrôle maritime, chargée de réglementer les entrées et sorties de navires.
Elle travaille depuis peu avec la Direction des Relations Internationales qui supervise ses
activités.
Voici d’ailleurs résumé à travers cet organigramme, l’organisation que nous avons décrite.
Figure 32 : Organigramme de l'O.P.R.A.G
Inscrite sur la liste des entreprises privatisables, l’O.P.R.A.G. a du céder depuis septembre
2003, une partie de ses activités à un repreneur privé. Cette concession, établie sur une durée
de 25 ans stipule que la société concessionnaire assurera de manière exclusive l'exploitation,
la remise en état, la maintenance, le renouvellement et l'extension des ouvrages situés sur le
392
périmètre concédé. L’objectif visé ici, comme pour toutes les autres entreprises soumises à
des plans de restructuration, est de décharger et de désengager l'État de la gestion directe des
activités économiques. De concentrer le rôle de l'État sur la définition des politiques
sectorielles, en définissant leur cadre légal et réglementaire d’intervention.
Ainsi, depuis le 20 septembre 2003, date de signature de la convention de mise en concession
partielle de l'Office des Ports et Rades du Gabon (O.P.R.A.G.), (notamment les deux
principaux ports d’Owendo et de Port-Gentil), au profit d’un groupement espagnol, à travers
sa filiale SIGEPRAG (Société d'Investissement de Gestion et d'Exploitation des Ports et
RAdes du Gabon), la concession stipule l’obligation faite au repreneur d'achever les travaux
de réhabilitation de l'appontement du port d'Owendo.
393
De contribuer à la résorption du sureffectif de l'O.P.R.A.G., en recrutant parmi son personnel
un effectif de 120 agents. De réaliser des investissements d'un montant de 56 milliards de F
CFA sur les quinze premières années d'exploitation de la concession. De plus, le
concessionnaire réalisera les investissements de maintien et d'extension d'ouvrages portuaires.
Outre le droit d'entrée, il s'acquittera annuellement d'une redevance fixe de 130 millions de F
CFA, et d'une redevance variable équivalant à 15% du résultat brut d'exploitation.
Dans les attributions dévolues à l’O.P.R.A.G. entrait en ligne de compte la gestion de
l'ensemble des ports et rades publics. Il y avait également la mise en œuvre des programmes
de développement des infrastructures et équipements portuaires, en procédant à l'entretien, à
l'exploitation et à l'aménagement des zones industrielles. Cette mise en concession partielle a
eu pour conséquence la scission des attributions opérationnelles suivantes :
les activités de réception aux quais sur les espaces concédés, des navires et des marchandises.
La coordination à l'intérieur du périmètre de la concession des opérations portuaires utilisant
ces installations ;
les fonctions de capitainerie liées aux mouvements des navires, en coordination avec le
commandant des deux ports ;
les services aux navires : pilotage, remorquage et lamanage.
L'O.P.R.A.G. continuera à exister aux côtés de cette structure, en conservant les missions
régaliennes de police portuaire; de sécurité des navires, des marchandises, des biens et des
personnes qu'elle assure pour le compte de l'État. L’entreprise devra également veiller à
l'exploitation, au maintien, au renouvellement et à l'extension des ouvrages et installations
hors concession. La gestion du patrimoine et l'exploitation du port à bois, ainsi que la
définition de la politique portuaire et des études globales sont toujours de son ressort.
394
Avec l'essor du réseau de communication engagé par le gouvernement et la création d'une
zone franche au port de Port-Gentil, l'État compte étendre l'hinterland des ports gabonais au
niveau de la sous-région, tout comme il envisage de le faire concernant la compagnie de
navigation aérienne et l’ancien monopole d’État qu’est GABON TELECOM.
2.2.7. La S.N.B.G.
L’empreinte de la SNBG dans l’économie gabonaise est marquée. Société d’économie mixte,
(État, divers exploitants forestiers) à forte tradition sociale et citoyenne, pour reprendre l’un
de ses slogans, la SNBG est une société anonyme au capital de 4 Milliards de F CFA,
administrée par un Conseil d’administration et gérée par un Comité de direction. La
répartition du capital de la société est détenu à 51% par l’État gabonais et à 49% par des
exploitants forestiers majoritairement expatriés.
La Société Nationale des Bois du Gabon (SNBG) a été créée en 1944 sous l’appellation
d’Office des Bois de l’Afrique Équatoriale Française (OBAEF), remplacée en 1959 par la
Coopérative des Bois d’Afrique Centrale (CBAE). Celle-ci devint en 1961 l’Office des Bois
de l’Afrique Equatoriale, puis dès 1971, l’ONBG (l’Office National des Bois du Gabon).
C’est en 1976 qu’elle apparaît sous sa dénomination actuelle, avec un monopole exclusif de
l’État sur la commercialisation de l’okoumé et de l’ozigo, ses essences vedettes. Plus tard, en
1988, l’entreprise sera privatisée, en gardant à son actif le monopole de l’exploitation et de la
régulation de la filière bois.
395
1994, est l’année de la transformation du statut juridique de la société. Elle passe ainsi du
statut d’Établissement Public à caractère Industriel et Commercial (EPIC) à celui de Société
Anonyme à participation financière de l’État qui détient 51% du capital social, mais avec une
gestion désormais strictement privée. En 1998, la mévente du bois gabonais sur le marché
international, consécutive à la crise monétaire et financière asiatique, a conduit à la semi-
libéralisation des exportations de l’okoumé et de l’ozigo vers les marchés du sud-est asiatique.
En 1999, la SNBG recouvre le monopole de la commercialisation de l’okoumé et de l’ozigo,
tout en laissant aux forestiers disposant d’unités locales, la possibilité de transformer et de
vendre directement des essences sur le marché local, suivant un quota dégressif. En 2001, une
dérogation exceptionnelle est faite à la détention de ce monopole.
Pour conforter le caractère désormais privé de sa gestion, la SNBG a lancé un programme de
réorganisation de l’infrastructure informatique et organisationnelle pour être en phase avec les
impératifs de son contexte environnemental et concurrentiel. Elle s’est ainsi spécialisée dans
l’activité de négoce de bois divers, et dans la commercialisation de grumes. Sa position
monopolistique lui donne un rôle de régulateur de la production forestière, par l’attribution et
le contrôle de quotas annuels. Ses missions peuvent être résumées ainsi :
le monopole de la commercialisation à l’export des grumes ;
veiller à l’application des lois et règlements de protection de la forêt, en contrôlant en amont
(au moment des achats) la production des exploitants forestiers ;
être le partenaire et l’interlocuteur privilégié des ONG et des organisations internationales
ayant vocation à s’occuper de la conservation des forêts, de l’exploitation durable des
ressources forestières et du commerce mondial du bois (ATIBT, CITES, OAB, OIB, PNUE,
etc.), dans le cadre du programme de certification et d’éco-labellisation. Un département
« Qualité et certification » a ainsi été créé, garantissant la qualité et la traçabilité des bois
vendus depuis la forêt jusqu’à leur lieu de vente final ;
jouer un rôle de leader « actif » dans le processus de restructuration de la filière bois, et dans
la collecte d’impôts et de taxes pour le compte de l’État.
396
Si la SNBG se définit comme une entreprise citoyenne et sociale, ce volet reste critiquable.
En effet, une étude portée sur les conditions d’exploitation et de réglementation de
l’exploitation de la forêt laisse apparaître des zones troubles en la matière243
. Par contre, cette
entreprise se définissant comme avant-gardiste, s’est dotée d’outils technologiques
sophistiqués pour renforcer sa force de vente. Le lancement du site web (www.snbg-
gabon.com) de l’entreprise que nous avons d’ailleurs consulté pour des informations
complémentaires, s’inscrit dans cette démarche d’appui à la prospection de marchés, grâce à
la promotion d’informations sur les essences commercialisées.
Pour faire face à la concurrence qui sévit de plus en plus dans son secteur d’activités, la
SNBG a instauré une politique stricte de déstockage, associée à une gestion rigoureuse des
moyens disponibles. Le management de l’entreprise, coordonné par la Direction Générale est
organisé comme suit. La Direction Générale élabore la stratégie et les politiques générales de
l’entreprise avec le concours du collège des directeurs, comme nous le verrons sur
l’organigramme. Cette dernière coordonne et contrôle la mise en œuvre de ses orientations
stratégiques au niveau des différentes directions, dans le cadre des méthodes de management
qu’elle définit.
243
Pour plus d’informations à ce sujet, on peut se reporter à l’article « La forêt prise en otage », paru sur le site :
www.forestsmonitor.org
397
Elle veille également sur l’orientation des actions de développement, d’adaptation et de
progrès de l’entreprise. Dans cette optique, l’entreprise qui se veut avant-gardiste a, avec
l’initialisation dès septembre 2000 d’un programme de modernisation et d’homogénéisation
de l’ensemble de son système d’information, concrétisé la réalisation du nouveau schéma
directeur stratégique du système d’information. Ce désir d’être à l’avant-garde marque la
volonté de la Direction Générale « de favoriser l’emploi des nouvelles technologies, en offrant
une infrastructure réseau informatique donnant un accès intégré aux logiciels, aux contenus
et à toute autre ressource informationnelle »244
.
Cela s’est traduit par un audit des processus et des solutions à apporter aux besoins de chaque
direction, afin de doter chaque site de l’entreprise d’un réseau Internet performant, permettant
un meilleur partage de l’ensemble des ressources informationnelles, et une meilleure
communication au sein de l’entreprise. Le rôle de la Direction Générale dans cette perspective
est de définir et d’animer la politique de communication, par le truchement de cette direction,
qui n’existe d’ailleurs plus depuis l’exercice 2001.
Figure 33: Organigramme de la SNBG. Source Rapport annuel, 2001
Après la crise de mévente qu’elle a traversée, la SNBG est en train de renouer avec une phase
de rééquilibrage budgétaire et structurel, pour faire face à la concurrence. Voici à titre
indicatif, quelques données chiffrées sur l’activité de l’entreprise.
244
Propos du Directeur des Systèmes d’Information, recueillis dans L’Okoumé tropical, magazine d’information
de la SNBG, septembre 2002, p.12.
398
Libellé 1998 1999 2000 2001
Volumes vendus en m3 1009437 1150785 1672185 1394068
Chiffre d’affaires (en millions de F CFA) 68072 105256 156565 122004
Capacité d’autofinancement (en millions de FCFA) -14072 14638 14874 -4296
Fonds de roulement (en millions de FCFA) 10521 10095 20091 12331
EFFECTIFS 258 255 318 328
Tableau 12 : La SNBG en quelsues chiffres. Source rapport annuel 2001, p. 17.
Les ambitions de l’entreprise se dessinent face aux mutations constantes observées dans le
secteur, auxquelles il faut ajouter la concurrence des pays asiatiques notamment. La SNBG,
pour intégrer les impératifs de pérennité de la ressource, encourage désormais la
diversification des activités de la filière bois, à la faveur du développement de
l’industrialisation locale. À terme, il s’agit d’anticiper sur les conséquences d’une politique de
gestion durable de la forêt et d’envisager une stabilisation de la récolte forestière, toutes
essences confondues.
399
Chapitre VII : Analyse de l’échantillon
Ce chapitre se consacre à l’analyse des données que nous avons recueillies concernant la
pratique du management stratégique dans le contexte d’action des firmes gabonaises
sollicitées. Mais avant d’aborder l’analyse proprement dite, nous allons d’abord effectuer un
rappel par rapport aux objectifs et aux hypothèses de départ. La construction de l’enquête
obéissant à une logique thématique, l’analyse des données suivra la même logique dans sa
démonstration.
Cette étude ayant une visée exploratoire ; elle ne vise pas l’exhaustivité, mais davantage à
défricher des pistes permettant de mettre au jour les dysfonctionnements managériaux que
nous avons décelé au terme de l’analyse. En effet, le moins que l’on puisse dire, c’est que
mener une enquête de cette nature dans le microcosme des entreprises gabonaises n’a pas été
une chose facile à mener. Cela tient à divers motifs, dont « la culture » de la culture du secret,
et la défiance vis-à-vis de la communication d’informations dont on ne maîtrise pas les
rouages d’une part.
Mais cette attitude découle également de la structure du marché gabonais qui est très peu
diversifié et très peu concurrentiel, dans la mesure où finalement chaque entreprise occupe un
secteur bien délimité d’activités et un positionnement confinant chacun de ses opérateurs
économiques à une parcelle d’exploitation sectaire, d’autre part. Notre étude a donc été menée
en tenant compte de ces contraintes, qui sont à l’étude du microcosme des entreprises
gabonaises, ce qu’est la cultuiralité pour l’étude des sociétés africaines.
400
Section I : Dépouillement et analyse des variables relatives à la
pratique du management stratégique
1.1. Rappel des objectifs de l’étude
Nous avons été porté à effectuer cette étude sur les aspects contingents et structurels du
management des entreprises gabonaises, parce qu’il nous est apparu à la lumière de nos
lectures que les entreprises africaines obéissent particulièrement bien à la logique de ce que
Boltanski et Thévenot appellent « la cité domestique » [1991]. Elle légitime en effet les
rapports qui s’instaurent entre les individus, et qui leur permettent de retrouver les repères qui
vont guider leurs relations dans une situation donnée.
Dans le monde domestique qui est la figure qui correspond le mieux à la structuration des
rapports dans les entreprises et les sociétés africaines de manière générale, ce sont les figures
de la famille, de la tradition et des anciens qui prédominent. L’état de grandeur s’y mesure par
rapport au respect de l’échelle hiérarchique et des traditions, par opposition aux valeurs des
mondes marchand et industriel régis par la rationalité économique et managériale. Par
association/dissociation aux valeurs auxquelles ces deux univers sont régis, l’on distingue
dans le premier cas des organisations économiquement peu efficaces, et dans le second cas
des organisations compétitives et performantes, reposant davantage sur l’esprit individualiste
plutôt que communautariste.
À partir de ces associations/dissociations, l’enjeu de notre étude est de vérifier l’illustration de
ces phénomènes dans l’architecture des firmes retenues, en reliant la manifestation de ces
phénomènes aux performances qu'elles réalisent. Le système d’information, en tant
qu’interface hommes/machine, et parce que les progrès des TIC sont tels que l’on peut
difficilement faire l’impasse sur le poids de la décision informée dans une entreprise, nous
permettra par la suite de déterminer son impact sur le pilotage stratégique.
401
Nous verrons ainsi de quelle manière l’intégration stratégique du système d’information aux
actes de pilotage stratégique peut aider à l’amélioration des performances globales de ces
entreprises, en permettant de déterminer le type de culture informationnelle que l’on pourra
leur attribuer. En tous les cas, il s’agit de mettre en relief la difficulté d’instaurer un
management stratégique dans un contexte où manifestement vie sociale et vie professionnelle
s’entrechoquent. C’est cette conciliation difficile à établir qui fonde notre perspective de
recherche et nos hypothèses de base sur la nécessité d’une approche contingente indispensable
à l’instauration d’un modèle de management qui tienne compte de cette cohabitation.
Pour mettre en évidence ces logiques, nous nous appuyons sur « l’hypothèse élargie de
configuration » qui lie l’efficacité d’une structure à la cohérence des variables internes, ainsi
qu’aux facteurs de contingence [cf. Mintzberg 1996], elle-même résultant de deux postulats
renvoyant à deux hypothèses centrales développées par Mintzberg sur l’analyse des
configurations organisationnelles : « l’hypothèse de congruence » qui implique que
l’efficacité d’une structure soit en adéquation avec sa situation (ses environnements) ; et
« l’hypothèse de configuration » qui implique un minimum de cohérence interne entre les
différents paramètres de conception des tâches.
Cette hypothèse élargie de configuration se complète bien avec les principes de
« contingence » et du « fit » d’Éric Delavallée [1996] qui lient l’efficacité d’un système à une
adéquation entre ses variables (d’efficacité) et une situation donnée ; et « le principe du fit »
qui lie l’efficacité du système à une cohérence entre ses différentes variables. « L’hypothèse
élargie de configuration » et les principes de « contingence » et du « fit », nous fournissent
ainsi des variables adaptées à l’élaboration d’hypothèses, nous permettant a posteriori de les
valider ou de les invalider.
En effet, une façon tangible de mesurer l’efficacité de ces organisations, est non seulement de
se référer à leur productivité, en termes de résultats économiques notamment. C’est pour cela
que nous avons présenté les activités de ces entreprises, pour mieux rendre compte des
402
interactions conjuguées entre leur management, leur environnement stratégique et le degré
d’implication de leurs membres. Ces trois facteurs constituent en quelque sorte les ingrédients
moteurs/catalyseurs du pilotage stratégique d’entreprise, car ils sont au cœur de la mise en
œuvre des processus qui conditionnent leurs succès, ou leurs échecs.
Organiser (avec efficacité) suppose en effet de créer des relations efficaces de telle sorte que
des individus puissent travailler ensemble avec efficience, et tirer une satisfaction personnelle
des diverses tâches qu’ils accomplissent dans un environnement donné. Ceci, dans le but
d’atteindre une certaine fin ou un certain objectif personnel ou collectif. Nous verrons si c’est
le cas ici, et comment cela peut s’expliquer.
Ces pré requis établis, nous avons formulé une hypothèse centrale gouvernant l’ensemble de
notre problématique à savoir que dans le contexte des entreprises ici étudiées, il existe un lien
de consubstantialité entre management et structures organisationnelles, elles-mêmes étant
influencées par l’imbrication de contenus sociétaux extérieurs à l’entreprise. C’est cette
hypothèse centrale qui nous a permis de formuler les deux hypothèses suivantes :
- Hypothèse 1 : la performance d’une entreprise est en corrélation avec le degré de
cohérence entre rationalité managériale et rationalité culturelle.
- Hypothèse 2 : le ratio performance économique et sociale/logiques individuelles est un
élément essentiel à la compréhension et au fonctionnement de ces organisations.
Sur la base de ces hypothèses, notre étude vise ainsi à mettre en relief, à partir de
l’investigation de ces entreprises, les facteurs de réussite ou d’échec imputables à la politique
générale de ces entreprises, et par conséquent à leur mode de pilotage stratégique. Autrement
dit, nous voulons à partir de la réalité de nos observations sur le terrain, expérimenter les
facteurs clés de succès ou d’échec de la politique générale d’entreprise, en soulignant la place
403
accordée aux pratiques et politiques informationnelles du système d’information dans les
actes de pilotage stratégique, dans le second volet de notre thématique.
Grosso modo, il est nécessaire pour nous de s’accorder dans ce cas précis sur la ou les
méthodes les mieux appropriées à la cohabitation de la rationalité managériale/économique et
de la rationalité sociale/identitaire, en nous demandant comme Kanyi O’Cloo [1991], s’il
s’agit « de ramener ces deux réalités l’une à l’autre, ou d’adapter la culture et les pratiques
d’entreprise en Afrique » ? De substituer à la logique occidentale des théories managériales
des logiques plus en phase avec celles du communautarisme des cultures africaines ? Plus
simplement, vaut-il mieux adapter ou s’adapter ? » (p.15).
Quelle que soit l’approche retenue, ces interrogation pointent directement sur la redéfinition
des modèles d’action et des conditions d’existence de ces entreprises. Pour notre part, il
s’agira d’éclaircir la manière de concilier ces deux univers, et la manière dont ils se donnent à
lire au vu de l’approche terrain. Notre étude procèdera d’une approche clinique hypothético-
déductive à visée illustrative comme champ expérimental, où l’enquêteur cherche la
validation ou la non-validation des hypothèses préalablement constituées.
À partir de l’idée de performance, nous allons sur la base de facteurs relevant
indépendamment ou conjointement des problèmes de coopération, de coordination et
d’adhésion, risquer des interprétations sur le style de management et le type de structure
organisationnelle. Mais en tous les cas, cela nous permettra de désigner ce qui justifiera
l’attribution du qualificatif de « performante » dans une entreprise plutôt que dans une autre.
Par analogie à la terminologie d’Annick Bourguignon [1996], nous privilégions d’abord
l’acception de la performance en tant que variable chiffrée manifestant le produit d’une
somme d’actions. C’est en effet elle qui opère par ricochet sur le résultat produit (ratio), en
tant que ressources capitalisées d’expériences et de savoir-faire. Nous relevons que cette
404
polysémie remplit une fonction politique, idéologique et sociale identique à celle du
management.
Ce contenu est indispensable à la compréhension et à l’interprétation des problèmes qui ont
cours au sein de ces organisations, car il est chargé des valeurs que lui donnent les individus.
Il répond à notre souci d’aider à la compréhension du management des entreprises africaines,
mais plus singulièrement à celui des entreprises gabonaises de notre corpus. En tout état de
causes, la résolution, ou du moins la compréhension -pour ne pas être péremptoire- des
phénomènes qui rythment la vie des organisations ne se comprend que partiellement, si l’on
oublie de prendre en compte ces interactions, comme les différents travaux que nous avons
présenté l’attestent.
La portée du concept de « performance » n’est donc pas dénuée d’intérêts, puisqu’il s’agira au
regard de résultats économiques tangibles de vérifier la performance d’une organisation
comparativement à une autre. De dégager concomitamment les compétences-clés qui ont
permis de réaliser une telle performance, aux fins de rapprocher ce résultat de la politique
générale de l’organisation en analyse.
En somme, de risquer telle ou telle interprétation par rapport au management stratégique de
ces entreprises, en y évaluant la place et/ou au rôle des systèmes d’information dans les actes
de pilotage stratégique. En un mot, l’on pourrait dire que toutes les entreprises disposent
potentiellement de la ressource performance. Seulement, toutes n’arrivent pas pour diverses
raisons, qu’il nous appartient ici de déchiffrer, à en tirer des avantages concurrentiels ou des
gains de productivité.
1.2. Dépouillement et analyse des données relatives à la coexistences des
rationalités économique et sociale
405
Le but des questions ici traitées était de déterminer à partir des propos de nos interlocuteurs la
dynamique managériale, au plan individuel et collectif, dans la stratégie d’entreprise. C’est de
l’ensemble de ses réponses, faites à partir de questions fermées multiples (3) et ouvertes (7),
que nous tirons la substance des conclusions auxquelles nous sommes parvenues suite à cette
confrontation.
Le parcours de traitement et d’analyse retenu consiste à établir une typologie des entreprises
de notre corpus, adaptée de la classification de la théorie de Boltanski et Thévenot [1991], qui
distinguera les entreprises performantes des autres, par rapport aux valeurs/logiques
dominantes repérées à l’intérieur de ces entreprises. Par association/dissociation avec les
théories de la firme que nous avons retenu comme pertinentes à l’analyse de ces
organisations, nous en tirerons des interprétations.
De prime abord, cette classification nous porte à dresser une frontière entre entreprises privées
et entreprises publiques. Parce que dans les faits, et à travers les propos de nos interlocuteurs,
la rationalité économique prend le dessus sur les considérations liées à la rationalité culturelle
et sociale, en faveur d’un camp plutôt que dans l’autre. En outre, la variable « positionnement
stratégique », qui se réfère au champ d’action stratégique de ces entreprises, nous a également
permis de voir que dans l’ensemble la stratégie de ces entreprises était localement orientée, et
que ce positionnement influençait considérablement leurs résultats.
Nous verrons au terme de nos analyses l’importance de cette variable dans la conduite et
l’efficacité des stratégies déployées par ces entreprises au plan de la rationalité économique.
C’est la prise en compte de cette donnée qui nous permet de dresser une première
classification d’entreprises qui apparaît selon le champ d’intervention stratégique, à travers le
tableau suivant :
Positionnement stratégique
406
Secteur
d’activités
Local National Régional International
Banque BGFI
BGFI, BICIG, UGB BGFI, UGB BGFI, UGB
Bois SNBG SNBG
Télécommunications CELTEL,
G.TELECOM
CELTEL
Transport aérien AIR GABON AIR GABON AIR GABON
Activités portuaires
O.P.R.A.G.
TOTAL 1 8 4 4
Tableau 13 : Positionnement stratégique et activité de l'entreprise.
À partir de ce tableau, on voit clairement que le champ d’intervention stratégique de ces
entreprises se situe majoritairement sur le marché national. Ce positionnement tient au fait
que ce sont des entreprises nationales, qui éventuellement par la nature de leurs activités
peuvent être amenées à élargir leur sphère d’activités vers d’autres marchés. C’est notamment
le cas d’AIR GABON et de la SNBG, dont les activités commerciales les obligent pour ainsi
dire à s’ouvrir sur l’extérieur. Au-delà de cet aspect, pour les autres entreprises, c’est une
question de stratégies qui relève à la BGFI de la volonté d’expansion et de développement de
parts de marché d’un groupe local, à la différence des autres entreprises qui sont des filiales
de groupes étrangers.
Se démarquant de toutes les entreprises locales en la matière, la BGFI est la seule entreprise à
avoir recherché l’expatriation de ses actifs stratégiques en s’implantant en dehors des
frontières nationales, au niveau régional et bientôt international, avec l’ouverture d’une
agence à Paris. Le cas de l’U.G.B. et de CELTEL GABON sont différents car il ne s’agit ni
plus ni moins que de filiales de groupes occidentaux qui ont délocalisé une partie de leurs
activités.
407
Si l’on s’accorde sur le fait qu’organiser, c’est créer des relations efficaces, l’hypothèse
élargie de configuration comme grille de lecture des différentes variables ici analysées permet
de mettre au jour les relations qui se dessinent entre la stratégie d’une entreprise, sa
réalisation, et les aspirations et l’implication de ses membres, par rapport à la détermination
de résultats économiques tangibles. Autrement dit, cette hypothèse permet de jauger le style
de management à l’œuvre dans ces firmes. Lorsqu’on détaille sous divers angles leurs facteurs
de productivité, l’esprit d’équipe arrive distinctement en tête suivi de près par l’adhésion au
projet collectif et par les investissements, toutes entreprises confondues, comme indiqué dans
le tableau et le graphique ci-après.
Tableau 14 : Évaluation statistique des facteurs de productivité dans la stratégie d'entreprise.
Les valeurs du tableau sont les nombres de citations de chaque couple de modalités.
Figure 34 : Représentation graphique des facteurs de productivité dominants selon l’activité
408
Le fait que les facteurs de cohésion arrivent en tête (esprit d’équipe et adhésion au projet
collectif) sont pour nous un indice de la volonté d’instituer un socle viable pour piloter
l’entreprise, qui transcende le regroupement dans une catégorie plutôt que dans l’autre. Dans
le cas de la BGFI, de l’U.G.B. et de CELTEL GABON, on note que ces valeurs sont en
adéquation avec le projet d’entreprise, avec les principes de contingence et du fit d’Éric
Delavallée [1996], comme cela ressort des propos du Directeur des Ressources Humaines des
Affaires Générales et de la Communication de la BGFI, qui nous a d’ailleurs déclaré qu’il
n’hésitait pas à prendre des sanctions lorsque cela s’avérait nécessaire. Les propos suivants
traduisent cet état d’esprit :
« Fer de lance et partie prenante du projet d’entreprise et de la qualité du personnel recruté, la
DRHAGC s’occupe de la gestion du patrimoine immobilier, matériel et immatériel de
l’entreprise. Elle veille également au respect de l’organisation des procédures, dans le cadre
de la gestion des projets de l’entreprise. Partie prenante dans la gestion des hommes, de la
communication et des carrières, ce sont autant de projets facilitateurs qui permettent de
mobiliser les membres de l’organisation, car on ne peut diriger les hommes, sans impliquer
les gens ».
Pour la Directrice du Marketing de CELTEL, « … c’est un état d’esprit à destination de la
connaissance du produit ». Ainsi, la variable positionnement stratégique, nous amène à
constater que selon qu’elles relèvent d’économies mixtes, d’intérêts ou d’une gestion privés,
les performances et la productivité de ces firmes se ressentent sur leurs résultats. Ce point de
vue peut être corroboré par différentes assertions de nos interlocuteurs, concernant
l’imbrication des réseaux sociaux dans la vie de l’entreprise, mais aussi vis-à-vis de leur
expérience face à ce phénomène.
Nous allons donc examiner le lien entre la performance/productivité de ces entreprises et
l’impact des réseaux sociaux, par rapport à la classification que nous avons préalablement
faite quant à leur champ d’intervention stratégique (national, régional ou international), en
tant que moteur de l’action stratégique. Cela est d’autant mieux vérifié que la stratégie des
409
entreprises privées s’avère bien être en adéquation avec le projet d’entreprise, tandis que dans
les entreprises publiques et parapubliques, les aspirations individuelles des cadres sont brisées
par la politique générale d’entreprise, qui s’effectue sans réelle prospective. Pour cela, nous
nous appuyons également sur les réponses apportées à la variable « définition de la
performance ».
S’adaptant à la réalisation des objectifs du projet d’entreprise, la définition la plus
revendiquée est celle de la performance en tant que ratio, car ce ratio permet de mesurer
l’efficacité d’un projet, comme l’atteste la réponse apportée par le Directeur des Ressources
Humaines de la BICIG : « En principe oui, car la politique actuelle de l’entreprise repose sur
une culture de résultats, où l’excellence a une place de choix ». Et celle du Directeur Central
de l’Exploitation de l’U.G.B. qui reconnaît que « c’est en adéquation avec le plan d’actions
commerciales de l’entreprise. Le Groupe Crédit Lyonnais a un pilotage stratégique à
l’échelle internationale. Ici, c’est le Comité de direction qui joue ce rôle ».
Tableau 15 : Récapitulatif de la valeur dominante associée à l'acception de la performance
chez les managers.
Les valeurs du tableau sont les nombres de citations de chaque couple de modalités.
410
Figure 35 : Représentation graphique des valeurs associées à la définition de la performance
La constante qui se dégage, c’est que dans les entreprises publiques, où qui ont partie liée
avec l’État, on note la prépondérance des réseaux sociaux dans le management de l’entreprise.
À GABON TELECOM, comme à AIR GABON, l’une des raisons de la non productivité de
ces entreprise tient au fait que les compétences et l’avis des agents concernant la gestion
quotidienne de l’entreprise ne sont pas considérés à leur juste valeur. Cela se traduit par un
sentiment de frustration et de démotivation qui renforce l’immobilisme des agents de ces
entreprises.
Plusieurs réponses aux questions relatives au degré d’interférence des réseaux sociaux dans
l’organisation de ces entreprises vont dans ce sens. Il en va de même avec la considération des
facteurs de productivité plébiscités dans l’entreprise, qui manifestent autant un désir de
changement organisationnel qu’un vif désappointement. Le tableau et le graphique suivants
manifestent la réalité de ces réseaux dans l’organisation de ces entreprises, puisque interrogés
à ce sujet, les différents managers se sont majoritairement reportés sur la proposition
« effectuer un savant dosage de ces deux réalités », car le management de leur entreprise est
ponctué par la coexistence de ces deux rationalités.
411
Tableau 16 : L’impact des réseaux sociaux dans l'organisation des firmes.
Les valeurs du tableau sont les nombres de citations de chaque couple de modalités.
Directeur des Ressources Humaines
2 2
1
Directeur Commercial et Mar
keting
3
1
Directeur de la Co
mmunication et des
1
2
1
Directeur des systèmes d'information
1
2
Directeur Informatiq
ue
1 1 1
Autres,précisez.
1
2
Faire coexister la rationalité managériale et rationalité des réseaux sociaux Adapter la gestion aux valeurs des sociétés africaines
Effectuer un savant dosage de ces deux réalités Tenir compte des zones de pouvoir formelles et informelles
Autres, précisez
0
3
Figure 36 : L'impact des réseaux sociaux chez les managers
412
Si l’un de nos interlocuteurs à AIR GABON a clairement émis un avis défavorable quant à
l’imbrication des réseaux sociaux dans l’organisation de l’entreprise, parce qu’il a vécu une
expérience douloureuse, les autres avis restent plus mesurés. Pour donner un ordre de
grandeur voilà la traduction de ces positions, à travers divers morceaux choisis. À titre
d’exemple, la Directrice des Relations Publiques d’AIR GABON nous a donné un avis
d’autant plus franc qu’il était le fruit d’une expérience personnelle. Pour elle, la question n’est
pas de savoir s’il faut faire coexister ou effectuer un savant dosage entre rationalité
économique et sociale, c’est précisément là qu’est le problème. Ce qu’il faut, c’est « valoriser
les compétences au détriment de toutes autres considérations. La productivité n’en est que
meilleure, et le climat social reste sain ».
Son collègue, amené à se prononcer sur le même phénomène, s’il adopte une position plus
souple reste convaincu que ce n’est pas tant un mal en soi. Mais il pense plutôt que c’est
l’usage de ces réseaux qui est dénaturé, et qui s’avère finalement problématique. Voilà ici
traduite sa pensée : « Quelque soit l’entreprise, le social joue toujours. C’est plutôt un
problème de choix effectué par des hommes. L’essentiel est de ne pas saborder les projets de
l’entreprise. En fait, c’est l’usage, ce n’est pas mauvais en soi". Ce sentiment est également
partagé par le Directeur des Ressources Humaines de la BICIG, qui nous a confié qu’il avait
plutôt un avis mitigé sur la question. Pour lui, « c’est plutôt l’une des causes du phénomène.
La première des causes, c’est la gestion en tant qu’activité indépendante de toute autre
considération. Le but d’une entreprise, c’est avant tout le profit ».
Même si GABON TELECOM s’est doté d’un nouveau statut juridique, cela n’enlève rien à ce
qu’elle a toujours été : un monopole d’État dans le domaine des télécommunications, qui
demeure en partie dans la conservation du réseau de téléphonie fixe. Ce qui fait que les
performances et les objectifs stratégiques de l’entreprise ne sont pas toujours en adéquation
avec sa réalité économique. Ici, les interlocuteurs avec lesquels nous nous sommes entretenu,
contestent moins la réalité des réseaux sociaux que la dynamique qu’ils manquent d’insuffler
dans la vie et l’organisation de l’entreprise, tant par l’épanouissement des membres que par la
santé financière de l’entreprise.
413
414
Si pour le Directeur de l’Informatique, ce n’est pas une mauvaise chose, le moins que l’on
puisse dire c’est qu’il reconnaît que ces derniers sont susceptibles de troubler le
fonctionnement optimal de l’entreprise, quand il dit : « L’imbrication des réseaux sociaux
dans la vie des entreprises est une bonne chose. Les dysfonctionnements proviennent souvent
des incompréhensions entre les instances dirigeantes et les employés. Les employeurs ont
toujours tendance à tirer le maximum de profits sans réactualiser la situation du salarié. La
rationalité managériale n’exclut pas l’influence des réseaux sociaux. Elle doit au contraire la
prendre en compte en instaurant un dialogue permanent avec les partenaires sociaux ».
Pour son collègue du Secrétariat Général c’est plus ou moins le même son de cloches. Pour
lui, l’efficacité de l’imbrication des réseaux sociaux se vaut en tant que « force de
propositions ». Voilà exactement ce qu’il en pense : « Ils [les réseaux sociaux] devraient être
d’un précieux apport pour les managers si et seulement si on les considère dans leur rôle de
force de propositions. Le problème se pose à partir du moment où ces réseaux font fi des
réalités économiques des entreprises et revendiquent des avantages ou des réajustements
disproportionnés au niveau de l’outil de production, au niveau de l’amélioration des
conditions de travail ».
De ces différents points de vue, il se dégage une tendance à la prise en compte de ces réseaux,
en tant que réalité omniprésente de la vie de ces entreprises, indépendamment de
l’appartenance au secteur public ou privé, comme statistiquement indiqué sur le tableau et le
graphique précédents. Les Directeurs des Ressources Humaines et des Relations
Internationales de l’O.P.R.A.G. nous l’ont fait remarquer. Le premier dit ceci : « Tout à fait
de cet avis, d’autant plus que l’africain établit difficilement la frontière entre relation
amicale, parentale, politique et professionnelle ».
C’est fort de cette réalité, que de son point de vue, il convient pour le bon fonctionnement des
entreprises africaines d’effectuer un savant dosage entre rationalité managériale et rationalité
sociale. En effet, nous dit-il : « Même si cela n’est pas facile, il vaut mieux faire ce dosage.
415
L’entreprise a sa réalité, une orthodoxie de gestion. Mais en Afrique, il faut malheureusement
tenir compte des autres pesanteurs « extra-entreprises » ».
416
Là où nous trouvons caricatural le discours produit par notre interlocuteur, c’est quand nous
lui demandons si effectivement la définition qu’il a retenu de la performance cadre bien avec
les objectifs stratégiques de son entreprise. La réponse fournie nous semble précisément
refléter la réalité de la vie de cette entreprise, et celle des entreprises publiques de manière
générale. En effet, l’argumentation fournie sur la coexistence rationnelle des réseaux sociaux
et des impératifs économiques de cette entreprise, est démentie par l’actualité, à cause du
démantèlement d’une partie des activités consécutif aux problèmes de gestion.
Si l’O.P.R.A.G. était une entreprise bien gérée, elle n’aurait pas été conduite à brader une
partie de son patrimoine. Dire que les objectifs stratégiques cadrent avec la définition de la
performance car les maîtres-mots de la stratégie de l’entreprise sont « efficacité » et
« efficience » ne reflète aucunement la réalité de la dynamique de l’entreprise. Mais l’avis le
plus édifiant pour nous, dans la mesure où il s’avère être en parfaite et évidente contradiction
avec les objectifs stratégiques de l’entreprise, reste celui de la Directrice des Relations
Internationales. Elle dit ceci :
« Oui, la jeunesse de nos économies et de nos structures socio-industrielles et commerciales
sont assujetties à nos économies, à nos habitudes qui restent profondément traditionnelles. La
famille reste encore une source puissante dans l’organisation sociale. Nous disposons encore
d’économies humanisées. A contrario, les vieilles nations industrielles sont déshumanisées et
devenues insensibles au nom de la compétitivité ».
Si les autres responsables d’entreprises consultés ne dénient pas la présence et l’impact des
réseaux sociaux dans la vie de leur entreprise, ils ne perdent pas non plus de vue que la
finalité d’une entreprise reste avant tout le profit. Dès lors, c’est l’efficacité dans la
dynamique de gestion et dans la stratégie de l’entreprise qui ne doit pas être perdue de vue. À
la question : « L’acception retenue s’accorde-t-elle avec les objectifs stratégiques de votre
entreprise ? », la réponse de notre interlocutrice est sans appel, mais énergiquement assumée,
c’est : « Non ».
417
S’il est louable de constater qu’il subsiste encore des économies à visage humain, ne
participant pas à la course effrénée vers la compétitivité comme elle le dit, on a à travers ce
point de vue l’illustration médiocre des conséquences d’une gestion faisant passer la
rationalité culturelle et sociale au-dessus de la rationalité économique, par rapport à la
longévité d’une entreprise. D’ailleurs, la cession d’une partie des actifs de cette entreprise à
un promoteur privé justifie pour nous les limites de cette approche, quand elle s’effectue au
détriment des intérêts de l’entreprise, comme c’est visiblement le cas ici.
Déjà, ces quelques exemples nous montrent l’arbitraire de ces organisations au niveau de
l’application et du suivi de règles de management et de gestion saines. Cela se répercute au
niveau de la cohérence entre les paramètres de conception des tâches, par la récurrence de
structures fonctionnalisées et fortement centralisées, ainsi que par le manque d’engouement
des membres de ces firmes, dont dénote la faiblesse de leur implication. À ce propos, le point
de vue de la Responsable des Relations Publiques et de la Communication d’AIR GABON est
remarquablement intransigeant. Elle dénonce en effet les ravages des réseaux sociaux, à partir
de sa propre expérience. Voilà intégralement retranscrit les propos qu’elle a tenu :
« C’est une réalité patente et un mal pour le développement des entreprises et leur efficacité.
Les compétences ne sont pas reconnues, seuls les critères et les relations sociales sont
privilégiés. Quand les interventions sociales sont trop contraignantes au point de vous
assujettir professionnellement, vous ne pouvez que vous soumettre pour ne pas risquer de
perdre votre emploi. J’ai été victime de ce fait. J’ai été placardisée et rétrogradée. Chassée du
poste qui correspondait à mon profil, marginalisée, pour des motifs non professionnels.
Victime de harcèlements au profit de quelqu’un qui socialement pesait plus lourd ».
C’est précisément ce type d’expériences qui constitue la majeure partie des phénomènes
d’immobilisme et de non productivité observables dans ces firmes. Un autre exemple se
trouve ici matérialisé dans les propos de l’un de nos interlocuteurs à GABON TELECOM :
« L’équipe dirigeante dont je faisais partie a eu à entamer des négociations avec des
partenaires sociaux en leur opposant une fin de non recevoir compte tenu de la santé
418
financière de l’entreprise. Mais ce furent les Hautes Autorités Politiques qui intimèrent
l’ordre de lâcher du lest, et dès lors quelques avantages furent accordés de manière tout à
fait non planifiés ».
La synthèse de toutes ces propositions, nous porte vers un premier bilan : la participation
majoritaire de l’État à la gestion de ces entreprises, n’est pas de nature à favoriser la pratique
de politiques managériales viables. Si l’on s’accorde sur le fait qu’organiser, c’est créer des
relations efficaces, ni l’hypothèse élargie de configuration, ni les principes de contingence et
du fit ne se vérifient ici. L’analyse des différentes variables précédemment évoquée
(positionnement stratégique, définition de la performance, facteurs et sources de productivité,
réseaux sociaux), accrédite le fait que les relations entre la stratégie d’entreprise, sa
réalisation, et les aspirations et l’implication de ses membres, sont intimement liées aux
performances de ces firmes.
Ces relations sont au cœur de l’armature du système stratégique d’une entreprise, car elles
permettent de jauger le style de management qui y est à l’œuvre. Pour l’heure, nous
n’insisterons pas davantage sur ce premier constat. Ce qui est sûr, c’est que ces interventions
réduisent la compétitivité de ces firmes, encore plus outrageusement quand leur champ
d’intervention stratégique se limite au marché local. Comme le traduit cet extrait, des
pressions existent, en tant que frein à la pratique et à l’observation de règles de management
efficientes, dont témoignent les propos suivants tenus par un cadre de la SNBG : « Il y a
incontestablement des problèmes de rationalisation du personnel en raison des pressions de
la République. Les plans de compression du personnel sont difficilement appliqués. Il faut
composer avec ces réalités ».
Parallèlement, l’empreinte des réseaux sociaux dans les firmes issues de filiales de groupes
étrangers, privées ou tenues par des expatriés ne pénalisent pas autant leur activité. En
général, la prise de sanctions et le mode de gestion est fait pour écarter la prépondérance de
tels phénomènes. À la BGFI, le fait que la gestion soit privée d’une part, et que de nombreux
cadres dirigeants de l’entreprise soient des expatriés en altèrent la portée.
419
Ainsi, la perception et les expériences de deux expatriés au sein de deux banques de la place,
nous aiguillonnent vers cette direction. À la BGFI, si l’existence des réseaux sociaux sont
subsumés, c’est grâce au recadrage systématique des individus sur le projet d’entreprise, et à
la réalisation de ses objectifs stratégiques, comme indiqué dans le passage suivant :
« Lorsque cela se produit, j’effectue un rappel par rapport au projet d’entreprise. Il faut lutter
avec ces systèmes très ancrés, car les dysfonctionnements sont grands, et d’autant moins bien
perçus lorsqu’il y a des sanctions. Car le cartésianisme est une valeur occidentale.
Malheureusement, et je le comprends d’autant moins que la sphère privée ne devrait pas
empiéter sur le bon fonctionnement de l’entreprise. Il y a eu un incident avec une employée de
caisse qui a détourné des fonds de la banque, au prétexte qu’elle était victime d’un sortilège.
Ma réaction a été immédiate : je l’ai faite emprisonnée, car elle refusait de restituer les fonds
soustraits. Il faut prendre en compte les bons ou les mauvais effets de ces phénomènes, tout en
sachant qu’il faut répondre aux exigences de la mondialisation ».
À l’U.G.B. nous retrouvons le même discours à travers l’expérience du Directeur Central de
l’Exploitation. Pour lui, « Il est vrai que les notions d’ethnies perturbent le bon
fonctionnement de l’entreprise. Par expérience, je les occulte pour cause de rendements avant
tout. L’objectif est avant tout de travailler, de faire de bons résultats. ». Par opposition à
l’esprit des entreprises publiques où la culture du résultat fait cruellement défaut, certainement
du fait des missions de service public auxquelles elles sont soumises, et à l’abus de position
dominante dont certaines bénéficient encore. On a là une approche managériale plus
rationnelle et équilibrée, en ce sens qu’elle se focalise d’abord sur la santé financière de
l’entreprise, seule garante efficiente de l’organisation, et de l’épanouissement de ses
membres.
Mais même avec leur présence/absence et vice-versa, les performances des entreprises privées
sont au-dessus de celles des entreprises publiques et parapubliques, car elles privilégient
flexibilité et rationalité économique avant tout. C’est cette distinction qui explique en majeure
420
partie les différences de résultats et de styles de management entre entreprises privées et
publiques, parce que ces dernières mettent trop souvent l’accent sur des considérations qui
empiètent visiblement sur leur productivité.
Ces considérations, parce qu’elles ne sont pas mises au service de l’efficacité et de
l’efficience de ces entreprises, non seulement renforcent le sentiment d’extériorité vis-à-vis de
l’entreprise, dont témoignent les écrits de Hernandez (1997-2000) et d’Ollomo [1987], mais
compromettent à terme leur existence, parce que la réalité des entreprises publiques et
parapubliques est liée à celle des programmes de restructuration et de privatisation.
Il n’y a pas d’identification au projet et aux objectifs stratégiques à atteindre, précisément
parce que les individus ne bénéficient pas toujours de la reconnaissance et de la valorisation
de leurs compétences et de leur statut dans l’organisation de l’entreprise. Cette absence de
reconnaissance fait que l’identification à l’entreprise se résume à la source de revenus qu'elle
procure, indépendamment de la valeur ajoutée que l’on doit y apporter. Pour illustrer cette
carence, le Directeur Central de l’Exploitation de l’U.G.G.B. nous a conté l’anecdote
suivante : « Un directeur expatrié dans une agence arrive à l’heure de la prière du coté des
guichetiers et de des clients. Imaginez la suite… »
Du côté de CELTEL et de la BICIG, qui faut-il le rappeler sont des entreprises privées, on
retrouve le même déterminisme par rapport à l’outil de travail : « Nous sommes une
entreprise privée avec un style anglo-saxon. C’est une approche complètement différente […].
Je m’efforce de limiter les relations au plan strictement professionnel pour éviter tous
débordements. […] il s’agit ici de la réussite et du succès d’une entreprise via le travail
d’équipe », comme cela ressort des propos de notre interlocutrice à CELTEL.
Le Directeur du Marketing de la BICIG, n’en pense pas moins, puisque il nous a dit : « Oui,
en partie dans les entreprises publiques ou parapubliques dans lesquelles la présence de l’État
est encore forte. Pour préserver la croissance de l’activité, il faut également tenir compte des
421
mentalités et des aspects humains dans l’environnement local. En un mot, il faut prendre en
compte les données de l’environnement ».
Si la structure des entreprises privées est-elle aussi centralisée et fonctionnalisée, la différence
provient du style de management, au niveau de la gestion des hommes et du pilotage
stratégique. C’est cette distinction faite à partir de l’analyse des données des variables
« positionnement stratégique », « définition de la performance » et « réseaux sociaux », qui
nous a permis de dégager une nouvelle répartition, établie sur la base de la prédominance de
l’une ou l’autre des figures décrites par Boltanski et Thévenot [1991] que nous avons
consigné dans le tableau ci-dessous.
Classification des firmes en fonction de la rationalité
prédominante
Rationalité sociale Rationalité économique
Entreprises publiques ou
parapubliques
Entreprises privées
Positionnement
stratégique
Local BGFI
National AIR GABON-
GABON TELECOM- O.P.R.A.G.-
SNBG
BGFI- BICIG- UGB-
CELTEL
Régional BGFI- UGB- CELTEL
International BGFI- UGB
Tableau 17 : Positionnement stratégique et rationalité managériale
Cette répartition des entreprises est certes réelle, mais en même temps trop manichéenne. En
recoupant les réponses faites par nos différents interlocuteurs, nous nous sommes rendu
422
compte de cette lacune. Si l’on prend l’exemple de la SNBG, d’AIR GABON et de
l’O.P.R.A.G., ce sont toutes des entreprises parapubliques, si l’on se réfère à la répartition du
capital, et à la gestion privée qui les caractérisent. En se référant strictement à cette
classification, on perd de vue la richesse et la diversité de la réalité managériale de ces
entreprises, dont les cadres s’accordent pratiquement tous sur la nécessité de ne pas perdre de
vue les objectifs de gestion stratégique.
Ce qui reste néanmoins une constante immuable dans la répartition des entreprises de ce
tableau, c’est que les performances des entreprises privées sont au-dessus de celles des
entreprises publiques ou parapubliques, qui connaissent toutes, ou ont connu des plans de
restructuration/privatisation. Un autre fait majeur de cette disparité tient à la quasi-absence de
culture du résultat des entreprises publiques. À travers le concept d’isomorphisme structurel
évoqué par Philippe Baumard [1996], nous trouvons dans la constitution de ces firmes, une
explication non seulement à leur manque de compétitivité, mais aussi à leur champ
d’intervention stratégique.
Toutes ces entreprises ont été créées par l’État gabonais au lendemain de l’âge d’or de la
découverte des gisements pétrolifères. Toutes, sans exception, sont des déversoirs de main-
d’œuvre qui contribuent à handicaper leurs performances d’une certaine manière,
comparativement à la richesse qu’elles produisent. L’isomorphisme structurel dont parle
Philippe Baumard à propos des pathologies liées à la gestion de l’information dans les
grandes organisations, se manifestent ici par l’isomorphisme des réseaux socio-politiques qui
se prolongent au sein de ces firmes, et en influencent manifestement les règles.
Pour ces firmes, tant que l’État injectait de l’argent pour effectuer des redressements et sauver
des emplois, ces dysfonctionnements pouvaient être maquillés. Malheureusement, depuis la
crise qui perdure et les difficultés de l’État protecteur, les limites de leur compétitivité se font
aujourd’hui cruellement ressentir, surtout qu’elles ne sont plus en situation de pur monopole.
Situation dont elles se sont d’ailleurs accommodées, sans pour autant diversifier leurs
activités. La SNBG a notamment réchappé de la faillite financière en 2002 grâce à une
423
recapitalisation de l’État, qui lui permet aujourd’hui de retrouver l’équilibre financier. Elle a
ainsi opéré un « lifting » au niveau de son comité de direction, qui s’est depuis traduit par une
politique managériale orientée vers la satisfaction et la réalisation des objectifs stratégiques de
l’entreprise.
Ce sursaut est dû à l’âpreté de la concurrence dans le secteur, et au symbole que représente
cette entreprise dans le paysage socio-économique de l’économie gabonaise. Mais malgré ces
efforts consentis à la SNBG, le point faible des entreprises publiques et parapubliques tient au
fait qu’elles doivent très souvent se soumettre aux pressions de la République, qui ne
s’avèrent pas toujours compatibles avec la détermination de leurs objectifs.
GABON TELECOM par exemple est depuis peu privatisée, mais conserve dans la
structuration de son organigramme les lourdeurs et la rigidité d’une entreprise bureaucratique.
Elle a cependant pris conscience de la compétitivité régnante dans son secteur d’activités,
puisque désormais elle va étendre son champ d’action stratégique au sein d’autres pays de la
sous-région, tout comme AIR GABON.
Le poids de la puissance publique est l’un des éléments caractéristique du manque de
compétitivité de ces entreprises, mais pas seulement. Il y a également des problèmes de
reconnaissance/valorisation que nous avons déjà soulevé, et qui font cruellement défaut à la
motivation et à l’implication du personnel dans le projet d’entreprise. Ils se ressentent
visiblement sur la performance de ces firmes, parce qu’elles semblent s’être dégagées de toute
obligation de résultats. À titre d’anecdote, nous avons été accueilli à l’entrée d’un service de
la C.N. AIR GABON par ce message : « Ici, nous sommes atteints par le S.I.D.A. ».
Entendez, « Salaire Inchangé Depuis des Années ».
Le fait que statistiquement les variables récurrentes dans la liste des facteurs de productivité
soient « l’esprit d’équipe et de cohésion » et « l’adhésion au projet collectif » traduisent ce
désir de changement organisationnel. Ce qui nous laisse à penser que les managers de ces
424
firmes manquent de latitudes pour viabiliser le projet d’entreprise, et cela se ressent sur leur
productivité. À AIR GABON comme à GABON TELECOM, nous l’avons pointé à travers
les propos de nos interlocuteurs. Voici d’ailleurs ce qu’en pense la Responsable des Relations
Publiques à AIR GABON : « Nous ne pratiquons pas vraiment ces concepts actuellement.
Peut-être par manque d’esprit d’entreprise et de compétences managériales. Justement, du
fait de la non application de ces concepts, il y a immobilisme, démotivation et non
productivité ».
Il s’exerce de façon objective un conflit entre la pratique souhaitée du management de
l’entreprise et l’exercice concret de cette activité. Ce conflit pointe directement sur
l’autonomie réelle de décisions et de gestion dont bénéficient réellement les dirigeants de ces
entreprises. C’est dans ce but que nous avons demandé si dans la définition de la performance
que ces managers devaient choisir, celle(s)-ci s’accordai(en)t aux objectifs stratégiques de
l’entreprise.
À cette question, les propos de notre interlocutrice d’AIR GABON, traduit un sentiment
d’inaction et d’immobilisme dont témoigne le passage suivant : « Dans le cas de notre
entreprise ce n’est pas appliqué pour des raisons de non productivité et de manque d’outils
d’évaluation de la productivité ». S’accordant sur la même définition de la performance en
tant que ratio productif, son collègue nous fait remarquer que « ça permet de mesurer
l’efficacité d’un projet ».
Nous avons retrouvé le même conflit d’intérêts à GABON TELECOM, lorsque le Directeur
de l’Informatique reconnaissait que pour lui, la performance était associée à la rentabilité
économique. Mais en même temps, il a bien conscience que ce choix ne s’accorde pas
toujours avec les intérêts de l’entreprise quand il dit : « Elle ne s’accorde pas avec les
objectifs stratégiques de l’entreprise, car les investissements sont initiés par les pouvoirs
publics, et ne sont pas toujours amortis ».
Dans le cas de CELTEL, comme dans celui de toutes les autres entreprises privées, cela se
justifie par la prédominance du travail en équipe, grâce à « la motivation du personnel, par
425
l’insertion de programmes et d’actions nécessairement orientés vers le personnel ».
D’ailleurs, quand on se reporte à l’acception de l’idée de performance faite par les managers
de ces entreprises, on obtient là aussi des explications, ou du moins des éclaircissements sur la
qualité de management de ces entreprises. À la BGFI, notre interlocuteur suite aux trois
propositions effectuées a considéré que toutes s’accordaient, mais que c’était bien
évidemment la première qui permettait de réguler les deux autres.
À la BICIG, nos deux interlocuteurs ont choisi les deux premières options, tandis qu’à
l’U.G.B., c’est la seconde acception qui a été retenue. À CELTEL, si à notre surprise c’est la
dernière option qui a été retenue, la justification apportée à ce choix s’inscrit paradoxalement
dans la dynamique d’entreprise, en ce sens qu’il s’agit d’« un état d’esprit à disponibilité de
la connaissance du produit ». Ce qui est d’autant plus manifeste que lorsque nous nous
sommes enquis de l’impact des réseaux sociaux dans l’entreprise, la réponse a été sans
équivoques : « Nous sommes une entreprise privée avec un style anglo-saxon. C’est une
approche complètement différente ».
Pour le même choix retenu quand à la définition de l’idée de performance, on constate des
motivations différentes à l’O.P.R.A.G. de l’aveu même de l’une des personnes interrogées.
Pour cette personne, ce choix établit la priorité à la rationalité des réseaux sociaux au
détriment des intérêts de l’entreprise. Il manifeste de façon explicite l’absence d’obligation de
résultats aussi bien individuelle que collective émanant des entreprises publiques de façon
générale. En outre, sur la question relative à l’impact des facteurs de mobilisation dans la
stratégies d’entreprise, la réponse est nette et a le mérite d’être franche, puisque notre
interlocuteur a déclaré : « Il n’y en a pas vraiment ».
1.3. Analyse et extrapolation des résultats obtenus
Le dépouillement des variables relatives à la pratique du management stratégique de ces
firmes, à partir de la coexistence des rationalités économique et sociale, nous montre bien que
426
le management est une activité contingente et dialogique [cf. Patrick Joffre et Gérard Koenig
1996]. Il est contingent dans la mesure où ses manifestations sont spécifiques au contexte
d’action et à la vie de ces organisations, en même temps qu’il manifeste l’interaction des
phénomènes qui traversent et secouent leur existence. Ce principe dialogique qui reflète la
dynamique organisationnelle de ces firmes, s’avère déterminant pour rendre compte des
relations existant entre le management et le pilotage stratégique d’une organisation.
Ces interactions constituent l’armature du système stratégique de ces entreprises, parce
qu’elles sont au cœur des processus auxquels elles recourent pour mettre en œuvre le pilotage
stratégique, et le rôle indéniable des acteurs dans la réussite et la conduite de tels projets. Le
bilan de ces investigations montre clairement une différence de management entre entreprises
publiques et privées par rapport aux aspects suivants : la participation majoritaire de l’État au
capital social de ces entreprises, qui se répercute sur l’autonomie de gestion dont les managers
disposent pour le pilotage stratégique.
L’absence de culture du résultats imputable à une position dominante sur le marché. Et enfin,
un déficit de cohérence et de cohésion entre les paramètres de conception des tâches, et
l’adhésion/implication des individus dans l’objectivation de ces processus, qui nous amène à
opérer une distinction entre « management structure d’adhésion » et « management structure
d’usage », par analogie avec la terminologie de Wanda Orlikowski [1995].
En tant que dynamique de relations complexes entre l’entreprise, ses différentes composantes
et leurs environnements respectifs, ce schéma d’interactions apporte des éléments de
compréhension et de signification suffisamment intelligibles pour jauger ce système, à partir
de l’articulation nécessaire à effectuer entre l’élaboration de stratégies et les spécificités de
leur contexte d’action. Ce système s’apparente grosso modo, au système [d’action]
stratégique d’une entreprise. Nous avons reconfiguré ce schéma pour l’adapter aux analyses et
aux interprétations de notre corpus comme on peut le voir à travers la figure ci-après.
427
Figure 37 : Le système stratégique de l'entreprise. Adapté de Allaire et Firsirotu, L’Entreprise
stratégique, 1993
Ce que l’on peut retenir de ce système que nous avons réadapté pour le contextualiser par
rapport au management des firmes étudiées, c’est que les performances d’une entreprise
s’articulent autour de deux aspects fondamentaux : la gestion des risques et de l’incertitude
liée aux contraintes de l’activité économique. Cela se rapporte ici au champ stratégique à
travers le triptyque produits/services, compétences et marché d’une part. Et d’autre part, à la
gestion de l’organisation au plan structurel et socio-psychologique, dont les interactions
agissent sur les performances globales.
Cette dimension socio-psychologique touche à un domaine à la fois complexe et sensible,
fruit des interactions qui agitent la vie des organisations au sein de la structure, tant par la
culture de ses membres, que par celle de l’organisation qui baigne dans un environnement
sociétal qui l’influence fatalement. Ce sont ces deux pôles qui peuvent générer de l’incertitude
dans le parcours d’une entreprise, parce que définir leurs attitudes avec exactitude, n’est pas
toujours possible, et qu’il y a des interactions qui se produisent de l’un à l’autre.
428
Nous avons vu à travers l’analyse des variables « facteurs/sources de productivité » et
« réseaux sociaux » notamment, comment la gestion des ressources humaines entre les
entreprises publiques et les entreprises privées agissaient sur les performances de ces
entreprises. Par le biais du système stratégique, on peut ainsi décrypter les éléments qui font
la performance d’une entreprise à partir de la synergie qui se dégage du système de valeurs et
de références des individus, par l’instauration d’un cadre d’actions propice à la gestion
stratégique de leurs activités.
Par association/dissociation, avec la combinaison stratégique de ces deux pôles, nous allons
montrer pourquoi et comment la conciliation entre rationalité économique/managériale et
rationalité culturelle/sociale peut s’avérer positive ou négative, à la lumière de quelques
modèles théoriques et conceptuels.
Ces deux pôles se rapportent dans le premier cas, à la trace des contraintes externes issues de
l’environnement qui viennent peser sur la structure des organisations, à travers la gestion des
risques et de l’incertitude. Elles « obligent » pour ainsi dire les dirigeants d’entreprise à
rechercher des voies et moyens susceptibles de canaliser les efforts des uns et des autres, afin
de porter leurs actions vers la réalisation d’objectifs communs, sous la forme d’idéologies et
de valeurs partagées.
Dans le second cas, ces contraintes sont le fait des réseaux sociaux qui « infestent » la vie des
entreprises, s’y superposent par le biais des individus en une infra-structure qui peut conduire
à des résultats inverses à ceux attendus, en termes d’efficacité et de performance économique,
au plan du management stratégique de ces firmes. Ces réseaux qui sont rattachés à la
rationalité culturelle, ou dimension socio-psychologique de l’organisation, peuvent se
manifester sous diverses formes, autant par la complexité des cadres référentiels auxquels
recourent les individus, que par la singularité de leurs manifestations.
429
C’est là que la contribution d’Alain Degenne et de Michel Forse245
apporte un éclairage
supplémentaire, car leur analyse, tout en considérant que les structures sociales préstructurent
les cadres référentiels des individus, enrichit ce déterminisme par la pluralité des phénomènes
qui peuvent le justifier. La structure s’apparente alors à un ensemble d’attributs individuels,
dans lesquels se retrouvent les individus proches « structuralement ». Autrement dit, ceci
revient à considérer que si le comportement social est normativement orienté, les normes
traduisent alors les effets de la situation structurale des individus ou des groupes, car elles
permettent de déterminer les opportunités et les contraintes qui pèsent sur l’allocation des
ressources, à l’intérieur d’une organisation.
Pour faire simple, les structures sont les catégories dans lesquelles on peut rattacher un
individu ou un groupe d’individus, parce qu’ils appartiennent et sont régis tout autant par des
catégories que par des relations ou des réseaux. Ces catégories sont le reflet de relations
structurales qui les lient à partir de l’étude de l’ensemble des relations qu’ils entretiennent
entre eux. Une structure comporte donc un ensemble d’éléments liés les uns aux autres par
des relations diverses. En l’occurrence, dans une entreprise c’est officiellement
l’organigramme qui définit de façon formelle l’attribution des tâches, que peut renforcer ou
contrecarrer le sociogramme.
Dans notre étude, cette proximité structurale est analysée sur la base de la proximité des
réponses faites à une question. D’autant que comme le montre Michel Agier [1995], il existe
au sein des entreprises africaines de manière générale, une « codification ethnique des
relations sociale et économique » qui se superpose à l’organigramme, qui peut contribuer au
renforcement du phénomène d’« extériorité » décrit par Émile-Michel Hernandez. Ce dernier
renvoyant à la distance affichée par les individus vis-à-vis de leur entreprise, quand ils ne s’y
identifient pas. C’est ce dont témoigne la fracture que nous avons établi entre « management-
structure d’adhésion » et « management-structure d’usage ».
245
Degenne (A.), Forse (M.), Les réseaux sociaux. Une analyse structurale en sociologie, 1994.
430
Ces deux catégories renvoient pour nous à la manière dont les managers légitiment le
management et le pilotage stratégique de leur entreprise, indépendamment de l’appartenance à
une entreprise publique ou privée. Autrement dit, ces catégories manifestent l’adhésion ou
l’extériorité, vis-à-vis d’un modèle de gestion. Par la combinaison des relations et des
régularités de comportements dégagés dans une structure organisationnelle, ainsi que par les
groupes, individus ou statuts qui présentent ces régularités de façon inductive, on a dégagé
des groupes pertinents renvoyant à la prédominance d’un type de rationalité, et par
conséquent de management, dont témoigne le tableau 15.
Ainsi, derrière la répartition stricte entre entreprises publiques et privées, renvoyant à la
prédominance d’une rationalité, on trouve à l’intérieur de ces catégories des managers proches
« structuralement » par le fait qu’ils aspirent à une reconnaissance de leur statut et de leurs
compétences, au niveau des actes de management stratégique. Nous n’allons pas re-citer leurs
propos, mais dans l’ensemble cette volonté se traduit par la prise en compte d’un équilibre à
instaurer entre rationalité économique et culturelle, en ne perdant pas de vue le rôle de la
gestion en tant qu’activité indépendante de toutes autres considérations.
C’est d’ailleurs en cela que cette approche est originale, parce qu’elle permet a posteriori, de
comprendre comment la structure contraint les comportements, tout en faisant émerger des
interactions individuelles ou collectives, que manifeste la distinction entre « management
structure d’adhésion » et « management structure d’usage ». Nous le voyons à travers la
structure des entreprises publiques qui est propice à l’instauration d’un cadre dirigiste et
rigide, dans lequel des individus se distinguent, par rapport à la politique managériale de
l’entreprise, selon qu’ils la partagent ou qu’ils la réprouvent.
La différence fondamentale, c’est que dans le privé, la rationalité économique est au-dessus
de la rationalité culturelle, parce qu’ici l’obligation de résultats de l’entreprise est primordiale.
Par contre, dans les entreprises publiques, les dysfonctionnements sont semblables à ceux que
l’on retrouve dans le modèle de développement de l’économie et de la société gabonaises.
431
Parce que ces firmes opèrent par isomorphisme structurel calqué sur le fonctionnement et la
gestion éco-politique du pays, elles y reproduisent les mêmes dysfonctionnements.
Ces derniers qui restent pour nous liés aux contingences culturelles et historiques, sont à
rechercher aussi bien dans la création de ces entreprises, que dans l’histoire du pays. Elles
sont toutes le fruit d’investissements et d’une volonté politique affirmée pendant le boom
pétrolier des années 70. De fait, les dirigeants des entreprises publiques y sont installés par les
pouvoirs publics. Ils ont beau avoir le background nécessaire pour diriger ces entreprises, ils
se heurtent fréquemment aux injonctions et aux interventions de la classe politique, qui
limitent leurs marges de manœuvres.
Ce qui fait que le management de ces firmes est le fruit d’interactions avec la culture
nationale, telle que Annie Chéneau-Loquay l’a décrite : une culture du secret où l’on
communique peu, et où le pouvoir politique est très influent, non seulement parce qu’il est
l’actionnaire majoritaire, mais aussi parce qu’il peut défaire des carrières. Les témoignages
des agents d’AIR GABON et de GABON TELECOM montrent particulièrement bien la
proximité qu’il y a entre les pressions de la République, et l’exercice régulier du management
de ces firmes.
D’autre part, le point de vue historique nous apporte également des éléments susceptibles de
comprendre l’absence de culture du résultat de ces firmes. En effet, le Gabon n’a pas eu à
lutter pour obtenir son indépendance au lendemain de la colonisation, contrairement aux
autres pays, notamment de ses proches voisins. Ce fait qui peut paraître anodin, marque
aujourd’hui encore les mentalités et la culture ambiante. Nous y voyons là le signe de
l’absence de réactivité et de prospective que l’on peut constater à tous les niveaux de l’activité
et de l’organisation de ce pays.
C’est cette relation entre les traits culturels d’une nation et la pratique du management à
l’intérieur de cette nation que montrait déjà l’étude de Philippe D’Iribarne, notamment dans
La logique de l’honneur dont l’objectif consistait à décrire les principales dimensions
culturelles qui différenciaient les groupes humains, et qui se projetaient sur les styles de
432
gestion et de management des hommes. C’est à des conclusions similaires que l’étude de
Daniel Bollinger et de Geert Hofstede246
parviennent, quand ils ont analysé la manière dont la
culture d’un pays caractérisait les traits saillants qui déterminent de façon implicite, des
modèles de management influençant les pratiques managériales et organisationnelles.
Au vu de ces interactions, on peut dire que le management dans les firmes gabonaises est bien
en situation interculturelle. Si l’on s’accorde sur la définition qu’en donne Pierre Dupriez
[1999], à savoir que tout management est en situation interculturelle, dès lors qu’il est
confronté à une forme de management qui reconnaissant l’existence de cultures locales, tente
d’intégrer les valeurs qui les fondent dans l’exercice des différentes fonctions d’entreprise, et
de les coordonner au niveau du pilotage stratégique, à côté des impératifs stratégiques
auxquels ces entreprises doivent répondre.
Effectivement, la plupart de nos interlocuteurs, qu’ils soient dans le privé ou dans le public
ont reconnu la nécessité de « tenir compte des zones de pouvoir formelles et informelles » et
d’« effectuer un savant dosage de ces deux réalités ». Ces deux réalités renvoyant à la
rationalité économique/managériale et à la rationalité culturelle/sociale. On a vu par
l’organigramme de ces entreprises qu’elles étaient toutes très fonctionnalisées, avec une
tendance à la centralisation des tâches répartie au niveau des directions fonctionnelles et
opérationnelles.
Mais malgré cet « isomorphisme structurel », les résultats sont aux antipodes des
performances réalisées d’une catégorie d’entreprises à l’autre, et montrent s’il en est encore
besoin que le management en plus d’être interculturel, est profondément dialogique et
contingent. La théorie des droits de propriété et de l’agence qui établissent le noyau
contractuel et composite des intérêts divers des agents de la firme, est de nature à légitimer
cette distinction qui influence le comportement des agents et les performances de ces firmes.
246
Bollinger (D.), Hofstede (G.), Les différences culturelles dans le management. Comment chaque pays gère-t-
il ses hommes?, 1987, 270 p.
433
Par ailleurs, « la théorie de l’efficacité X » de Liebenstein, permet de justifier les écarts de
productivité observés au sein de ces firmes, du fait des comportements de leurs membres. Ce
qui est également conforté à travers la théorie des entreprises publiques et de la
réglementation, ainsi que dans la théorie des firmes « A » et « J » d’Aoki à travers les
missions respectives de ces deux catégories d’entreprise, et leur mode d’organisation.
Nous avons ainsi, à partir de l’organisation de ces firmes et par l’opinion de ses managers,
dégagé des relations entre leur fonctionnement interne, et les contraintes de l’environnement
socio-politique et/ou stratégique qui influencent leurs modèles de gestion et de gouvernement
des hommes. Au bout du compte, on a recensé deux styles de management et de gestion
relevant d’un même dispositif organisationnel à tendance centralisante. Cela montre bien
comme l’avaient dit Boltanski et Thévenot [1991], que l’on retrouve généralement les
organisations peu performantes là où la grandeur est sous l’emprise de la cité domestique.
Plus généralement, le management des entreprises publiques traduit la prédominance d’un
management de type technico-économique et politique au sein des entreprises publiques, où
l’on retrouve les catégories-structures relatives à la structuration par l’adhésion ou par l’usage,
liées à la sensibilité des managers. À l’inverse, dans les entreprises privées, le management se
traduit par une rationalité stratégique mixte, dans le sens où l’entreprise est simultanément un
agent de production, une organisation sociale et un système politique oeuvrant au mieux des
intérêts de l’entreprise.
Dans la théorie d’Amitaî Etzioni, l’attachement des individus à une catégorie-structure est
conditionné par l’acceptation et la soumission à des règles de vie commune au sein de trois
types d’organisations : coercitive, utilitaire et normative. Ce sont ces trois types
d’organisations qui subordonnent l’acceptation de règles ou « compliance », tenant pour
l’auteur à la mixité des substrats idéologiques suivants : la contrainte, l’intérêt, et les valeurs.
434
Appliquée au cas des organisations étudiées, la théorie d’Etzioni peut donner le schéma
d’interprétation suivant : l’État, représenté ici par les entreprises publiques et parapubliques
d’une part, et le secteur privé avec les entreprises privées d’autre part. À l’intérieur de
chacune de ces deux communautés d’entreprises, la communauté des membres, en tant que
composante idéologique des valeurs, des aspirations et de la structuration des rapports
(formels et informels) dans ces deux types d’organisations. Les membres de ces communautés
d’entreprise s’investissent a priori dans les valeurs de l’organisation à laquelle ils
appartiennent.
Mais sur le terrain, cette « compliance » passe également par la structuration des rapports
formels et informels, ainsi que par des relations de travail ou d’affinité. Ce qui fait qu’à
l’intérieur de ces catégories, on peut retrouver des sous-catégories en marge des catégories
apparentes de l’État et du secteur privé, dont la proximité structurale des membres de ces
deux catégories témoigne. Nous trouvons dans cette approche des similitudes avec le modèle
de DPO contingent élaboré par Émile-Michel Hernandez.
Synthèse de management tenant compte de la rationalité économique/managériale et de la
rationalité culturelle/sociale, il se rapproche de ce que nous avons pu relever dans la plupart
des entreprises privées. Il s’inspire d’ailleurs du modèle paternaliste basé sur la
reconnaissance/légitimité des rôles des membres de l’organisation, qui les amènent à
converger vers la satisfaction des objectifs stratégiques de l’entreprise qu’ils servent.
C’est dans la structuration de ces rapports (hiérarchiques, amicaux, professionnels, etc.) que
les individus puisent l’acceptation de règles, en tant que facteur de mobilisation des
collectivités, et une source majeure de leur transformation et de la transformation de leur
relation au sein de la communauté-structure d’adhésion à laquelle ils sont rattachés. C’est cet
aspect transformatif qui est intéressant dans la théorie d’Etzioni, et qui nous l’espérons,
pourra insuffler le changement organisationnel nécessaire à l’instauration de règles de gestion
saines et à un style de management plus participatif, comme en témoignent les propos de
certains de nos interlocuteurs.
435
Seul l’un de nos interlocuteurs à l’O.P.R.A.G., en l’occurrence la Directrice des Relations
Internationales, s’écartait de cet aspect transformatif. En effet, elle a au contraire légitimé la
prégnance des réseaux sociaux, par l’institutionnalisation des fondements de la société
gabonaise dans la cellule familiale : ethnie, famille, clan, dans l’entreprise. Or, dans tous les
autres cas de figure, il apparaît que les aspirations des managers sont portées vers l’efficacité
des stratégies et des politiques déployées au niveau de la politique générale d’entreprise,
même si elle n’est pas toujours appliquée pour diverses raisons que nous lions à l’absence
réelle d’autonomie de gestion, et aux pressions des pouvoirs publics.
Ce cas isolé, fait en réalité force de loi, dans le paysage des entreprises publiques : il est pour
ainsi dire l’exception qui confirme la règle, car il en dit assez pour montrer que c’est l’une des
causes des dysfonctionnements et du manque de compétitivité de ces firmes, dont témoignent
les contributions d’Annie Chéneau-Loquay [2000] et de Marc Perelman [1999]. Il en dit
suffisamment pour considérer avec Éric Delavallée que cette rationalité, loin d’handicaper le
fonctionnement de ces entreprises devrait au contraire donner lieu à l’émergence de
procédures de gestion efficientes [cf. Kamdem 2002].
1.4. Les perspectives issues de l’analyse des rationalités économique et sociale
À partir de l’organisation de ces firmes et de l’opinion de ses managers, nous avons au bout
du compte, recensé deux styles de management et de gestion relevant d’un même dispositif
organisationnel centralisateur. D’un côté, se distinguent nettement les entreprises publiques et
parapubliques avec des résultats mitigés, et de l’autre les entreprises privées avec des résultats
et des performances au-dessus des précédentes. Cela scelle définitivement les thèses avancées
par Boltanski et Thévenot [1991], concernant la relation qu’ils établissent entre l’efficacité
d’une organisation et la prédominance des logiques/grandeurs que l’on y observe.
436
Plus généralement, elle traduit au sein des entreprises publiques, un management directif et
fortement centralisé, où l’on retrouve les catégories-structures relatives à la structuration par
l’adhésion ou par l’usage, liées à la sensibilité des managers (cf. théorie de la firme « A »). À
l’inverse, dans les entreprises privées, le management se traduit par une rationalité stratégique
mixte, dans le sens où l’entreprise est simultanément un agent de production, une organisation
sociale et un système politique oeuvrant au mieux des intérêts de l’entreprise(cf. théorie de la
firme « J »). D’ailleurs, à l’inverse les managers des entreprises privées se retrouvent tous
dans le management d’adhésion et dans le management d’usage.
En confrontant l’organisation structurelle de ces entreprises aux propos des managers
interrogés, on s’est aperçu du décalage qu’il y avait dans la plupart des cas entre les
aspirations de ces derniers et la politique générale d’entreprise, singulièrement dans les
entreprises publiques. Ce qui nous à amené à établir une distinction calquée sur le modèle de
Wanda Orlikowski, et qui se rapporte ici à la distinction entre « management-structure
d’adhésion » et « management-structure d’usage ».
Le management-structure d’adhésion renvoyant au modèle de commandement-contrôle
observable dans ces entreprises, et le management-structure d’usage répondant davantage aux
aspirations individuelles des managers quant au modèle de management qu’ils seraient
désireux de voir s’appliquer pour le pilotage stratégique de leur entreprise. La différence
fondamentale entre toutes ces entreprises, c’est que dans le privé, la rationalité économique
est au-dessus de la rationalité sociale, parce qu’ici l’obligation de résultats de l’entreprise est
primordiale pour pouvoir assurer l’épanouissement et la mobilisation des individus-
ressources.
Par contre, dans les entreprises publiques, force est de constater que les dysfonctionnements
sont semblables à ceux que l’on retrouve dans le modèle de développement de l’économie et
de la société gabonaises. C’est cet isomorphisme structural qui entérine la distinction entre
« management-structure d’adhésion » et « management-structure d’usage », dont les
manifestations ont des incidences sur les relations de travail à l’intérieur de ces entreprises.
437
Pour mettre en évidence ces logiques, nous nous sommes appuyé sur « l’hypothèse élargie de
configuration » qui lie l’efficacité d’une structure à la cohérence des variables internes, ainsi
qu’aux facteurs de contingence [cf. Mintzberg 1996] qui impliquent un minimum de
cohérence interne entre les différents paramètres de conception des tâches. Cette hypothèse
élargie de configuration se complète d’ailleurs aisément avec les principes de « contingence »
et du « fit » d’Éric Delavallée [1996] qui lient l’efficacité d’un système à une adéquation entre
ses variables (d’efficacité) et une situation donnée.
En effet, une façon tangible de mesurer l’efficacité de ces organisations, est non seulement de
se baser sur leur productivité en termes de résultats économiques notamment. Mais le
baromètre de l’adhésion des individus à la réalisation de la politique générale d’entreprise ne
l’est pas moins. C’est pour cela que nous avons présenté les activités de ces entreprises, pour
mieux rendre compte des interactions conjuguées entre leur management, leur environnement
stratégique et le degré d’implication de leurs membres.
Ces trois facteurs constituent en quelque sorte les ingrédients moteurs/catalyseurs du pilotage
stratégique d’entreprise, car ils sont au cœur de la mise en œuvre des processus qui
conditionnent leurs succès, ou leurs échecs. Organiser consiste bien à créer des relations
efficaces de telle sorte que des individus puissent travailler ensemble avec efficience, et tirer
une satisfaction personnelle des diverses tâches qu’ils accomplissent dans un environnement
donné. Ceci, dans le but d’atteindre une certaine fin ou un certain objectif personnel ou
collectif.
Sur la base de nos hypothèses de départ, et des interprétations auxquelles nous nous sommes
livré, nous pouvons dire qu’elles se vérifient bien dans le cas des entreprises publiques,
comme dans celui des entreprises privées. Les distinctions auxquelles nous avons abouti entre
entreprises publiques et privées, montrent bien que la performance d’une entreprise est en
étroite corrélation avec le degré de cohérence entre rationalité managériale et rationalité
culturelle. En effet, nous avons noté la prédominance de la rationalité sociale dans les
438
entreprises publiques et parapubliques, et effectivement toutes ces entreprises connaissent ou
ont connu des plans de restructuration.
Par ailleurs, la seconde hypothèse est également vérifiée, puisque le ratio performance
économique et sociale/logiques individuelles est un élément essentiel à la compréhension et
au fonctionnement de ces organisations. Par les mesures incitatives et coercitives qu’elles
prennent, en termes de qualité de travail et de formation professionnelle, on a vu comment les
propos tenus par les uns et les autres dénotent de l’adhésion au projet d’entreprise, ou à sa
critique, du moins à sa remise en question.
De simple composante du patrimoine de l’entreprise, le facteur humain s’apparente désormais
à un outil et à un ingrédient essentiel à la productivité d’une entreprise, aussi stratégique que
les ressources financières. Dans les entreprises privées, les équipes dirigeantes l’ont mieux
intégré à leur pilotage stratégique, tandis que dans les entreprises publiques et parapubliques,
c’est l’un des nœuds du problème du manque de productivité et de motivation des acteurs de
ces firmes.
Cela en fait sans conteste un élément de démarcation, constituant un facteur discriminant
important entre ces deux catégories d’entreprises, que la théorie de Liebenstein entérine. C’est
un pré-requis devenu une condition incontournable de la mise en oeuvre de processus
stratégiques, qu’il appartient aux dirigeants de préserver, car il reflète la dynamique
organisationnelle au niveau de la gestion du personnel, et à plus ou moins long terme la
richesse qu’elle peut générer dans l’entreprise. C’est d’ailleurs ce que nous a fait remarquer
l’un de nos interlocuteurs en reconnaissant qu’on ne peut gérer sans les hommes.
À travers le décryptage du système stratégique de ces firmes, nous sommes parvenu à
déterminer des catégories-structures permettant de dissocier des styles de management relatifs
à la prédominance d’une grandeur, au détriment d’une autre. Pour les révéler, nous nous
sommes appuyé sur l’analyse des éléments de ce système, en nous attachant plus
439
particulièrement sur la dimension socio-psychologique. La dimension stratégique liée à la
gestion des risques ressortant à l’incertitude du triptyque produits/services, marché et
compétences, a été évaluée ici à travers le positionnement stratégique de ces entreprises.
L’analyse des variables relatives à la pratique du management stratégique de l’information,
nous permettra de compléter ces investigations. Parce que ces firmes se situent sur un marché
étroit et faiblement diversifié, leurs stratégies se limitent à l’adoption de stratégies de
positionnement, dans lesquelles chacune détient un segment bien défini de marché. Par
exemple, la BGFI se concentre sur une clientèle de particuliers et d’entreprises haut de
gamme. La BICIG a une dimension plus populaire, même si elle a des segments d’activités
plus élitistes, et une gamme de produits et de services adaptés à cette clientèle.
Au vu de la confrontation des différents éléments de réponse apportés par les managers de ces
différentes firmes, nous en arrivons à la conclusion que dans le cas présent, ce n’est pas la
construction d’un modèle de management où les relations sociales tiennent une place de
choix, sans pour autant obérer les exigences d’efficacité économique, qui fait défaut. C’est
davantage un manque de rigueur et de professionnalisme, au sens d’une conscience supérieure
des intérêts de l’entreprise et de ses salariés, comme cela apparaît dans la gestion des
entreprises privées.
Ce n’est pas tant la qualité du niveau de formation des managers qui fait défaut, mais plutôt la
valorisation et la reconnaissance des individus dans le cadre professionnel. Les managers des
entreprises publiques, sont pour nous potentiellement aussi compétents que leurs collègues du
privé. Tout se joue pour nous dans l’intelligibilité de la représentation stratégique de
l’organisation. C’est comme dans une représentation de marionnettes : on ne voit pas les fils
qui agissent la représentation des figurines/acteurs, mais ce sont pourtant eux qui contribuent
à la qualité de la représentation.
440
Dans le monde de l’entreprise, c’est encore plus complexe, car les individus/acteurs
appartiennent à des coalitions (de pouvoir) et à des univers socio-culturels qui peuvent
influencer leur rendement, selon qu’ils se reconnaissent ou non dans le projet et les valeurs de
leur entreprise. La preuve que la présence/absence des réseaux sociaux peut se faire sans
obérer le fonctionnement « normal » d’une entreprise, nous est apportée par la manière dont
les managers des entreprises privées les régulent : à la fois avec tolérance et fermeté.
441
Il ressort de cette étude que l’imbrication des réseaux sociaux dans l’entreprise est une réalité patente
pour reprendre une expression de l’un de nos interlocuteurs. Toutes ces entreprises, qu’elles soient
publiques, privées ou parapubliques possèdent une ossature leur permettant de piloter leur entreprise
de la manière la plus optimale possible.
Autrement dit, elles disposent toutes potentiellement de la ressource performance, mais tout se joue
pour les unes et les autres dans la détermination des moyens d’action et des objectifs qu’elles
cherchent à atteindre. Dans l’efficacité et la cohérence déployées pour satisfaire à la réalisation et au
maintien des objectifs stratégiques.
Pour juguler cette incertitude au niveau des dimensions psycho-sociologiques, le moyen le plus
immédiat dont disposent les entreprises repose sur la logique institutionnelle dénoncée par Eugène
Enriquez [1998], et dont le modèle paternaliste de Émile-Michel Hernandez [1997] est représentatif.
C’est d’ailleurs ce modèle qui se trouve développé dans le mode de fonctionnement des entreprises
parapubliques et privées, à travers la figure du « père protecteur » offrant à ses employés une
protection sociale et une valorisation des compétences par une politique de formation soutenue et
attractive.
Le problème, pour en venir à une remarque de notre interlocuteur des Ressources Humaines à la
BICIG, c’est « qu’il n’y a pas d’existant en Afrique. Nous n’avons pas créé ces instruments, ils nous
sont imposés. Nous ne les manipulons pas toujours comme il conviendrait. À partir de ce moment, il y
a encore plus d’incohérences et de « bricolages » qu’ailleurs ». C’est bien ce que pointait Youssouph
Mbargane, quand il parlait de l’inappropriation du concept d’identités au travail du fait de la
prédominance des logiques de sociabilités et d’appartenances ethniques.
En somme, le pilotage stratégique de ces entreprises requiert une certaine adéquation entre les
contraintes de l’action organisée relatives au champ stratégique (produit/services, marché,
compétences), et les interactions entre la culture organisationnelle et les valeurs et les
motivations des membres, auxquels il convient de s’adapter en fonction des états de
l’environnement. Il touche au degré de réactivité et d’adaptativité de ces entreprises, par
l’instauration d’un cadre d’actions permettant de concilier rationalité
économique/managériale et rationalité culturelle/sociale.
442
C’est en ce sens que le management stratégique des systèmes d’information permet
d’appréhender un champ stratégique couvrant des potentialités liées à l’exploitation et à
l’instauration d’une culture informationnelle. Cela permet en effet de renforcer ou d’instaurer
cet équilibre, comme nous allons le voir.
Section II : Dépouillement et analyse des variables relevant du
management stratégique de l’information
Dans le système stratégique d’une entreprise, nous avons vu que les dimensions socio-
psychologiques et celles liées à la gestion des risques et de l’incertitude, influençaient
considérablement les performances dans une organisation. Dans cette part de risques, l’usage
de la ressource information en tant qu’actif stratégique, a ceci de particulier qu’elle régule
aussi bien les échanges entre individus au plan formel et informel, que la coordination des
tâches à effectuer.
Produit et fruit de l’interaction entre l’entreprise et son organisation, le management de
l’information, au regard de l’évolution et des progrès des TIC, a acquis un rôle stratégique
plus affirmé que par le passé. C’est ce caractère stratégique qui transparaît dans le concept
générique de management stratégique de l’information, ressortant à l’usage stratégique de
l’information à des fins compétitives pour en tirer des avantages concurrentiels.
Cette conception fait que l’information s’inscrit dans une interface intégrée hommes/machines
au cœur de laquelle se situe la dynamique du système d’information. Une organisation
intégrant l’information dans la gestion de son patrimoine en tant qu’actif stratégique utile au
déploiement et à la formation de stratégies, fait par conséquent de la gestion du savoir et de
l’information un portefeuilles de ressources stratégiques. Ce dernier, au fondement des
capacités et des compétences détenu par une organisation, selon l’usage auquel elle le destine,
peut aider à maintenir, à préserver ou à accroître ces capacités.
443
Cette gestion-intégration stratégique de l’information, a donc pour objet d’assurer la
compétitivité et la sécurité d’une entreprise, en lui offrant une marge de manœuvres réversible
en fonction du contexte d’actions. Celle-ci s’inscrit sur un ensemble de démarches et de
processus plaçant la stratégie, ou plutôt les processus stratégiques au cœur de la dynamique
du système d’information. Pour cela, il faut que les entreprises qui l’exploite saisissent
l’intérêt de la culture informationnelle en fonction de la nature de leur activité, de leur
environnement stratégique, de leurs compétences-ressources et de leurs objectifs stratégiques.
Donald Marchand247
associe cette culture informationnelle de l’entreprise aux valeurs, aux
attitudes et aux comportements qui influencent la manière de percevoir, de collecter, de
structurer, de traiter, de communiquer et d’utiliser l’information. Par voie de conséquences,
cette culture est révélatrice de l’importance accordée au traitement de l’information d’une
part, mais elle traduit aussi la structure d’une organisation par le mode de gestion/circulation
de l’information qui y est privilégié.
C’est l’enjeu de l’analyse des variables ici étudiées. Il s’agira ici de savoir, au regard de la
nature et des objectifs stratégiques de ces entreprises, l’impact du management stratégique de
l’information, à travers leurs pratiques et leurs politiques informationnelles. Cette culture est
associée par Donald Marchand à quatre types de fonctionnement organisationnel. Ceux qui
correspondent le mieux à la culture informationnelle des firmes que nous étudions sont la
culture fonctionnelle et la culture du partage. La culture fonctionnelle est la plus répandue
parce qu’elle correspond le mieux à la structuration des rapports dans ces entreprises.
Elle conçoit l’information comme un moyen de pression et d’influence exercé par un individu
ou un groupe d’individus sur les autres. En un mot, c’est un instrument d’influence et de
pouvoir. La culture du partage désigne quant à elle un mode de gestion de l’information plus
247
Marchand (D.), « Quelle culture de l’information ? », L’Art du management de l’information, 1999, p.384-
390.
444
souple, instaurant un niveau de confiance suffisant pour que l’information soit utilisée à des
fins compétitives pour améliorer les processus et les performances dans une entreprise.
Sur le terrain, il n’y a pas de frontières établies entre ces cultures. Leur association ou leur
dissociation dépend autant de la culture informationnelle qui prévaut dans ces organisations,
que de la coopération entre individus. Une entreprise, en fonction du contexte peut évoluer de
l’une à l’autre, ou en privilégier une en fonction de ses choix stratégiques. Par exemple, on
peut aisément associer la culture fonctionnelle à la culture des organisations de type
bureaucratique. Les cultures du partage, du questionnement et de la découverte, reflètent
davantage le type de culture que l’on peut trouver dans des organisations de type aplanie ou
organique, parce qu’elles mettent davantage l’accent sur des processus flexibles pour asseoir
leurs stratégies.
Tout comme nous avons pu déterminer des styles de management propres aux modes
d’actions stratégiques et organisationnels de ces entreprises, la prise en compte de la culture
informationnelle dans les actes de management stratégique, va nous permettre d’établir un
profil entre ces firmes.
2.1. Rappel épistémologique
L’intérêt de ce second axe thématique est d’apprécier le degré de culture informationnelle des
entreprises à l’étude, à la lumière des pratiques inhérentes au management stratégique de
l’information. Bien entendu, ces éléments seront confrontés aux conclusions auxquelles nous
sommes parvenues précédemment, pour déterminer l’impact de cette culture par rapport à la
conduite du pilotage stratégique. Dans notre approche théorique, nous avons en effet présenté
avec force détails les bénéfices que sont susceptibles d’apporter les TIC dans l’amélioration
des performances d’une organisation en termes de productivité, ou du moins d’amélioration
de la qualité de travail. C’est ici l’occasion de le vérifier concrètement.
445
À l’aide des points de vue des managers de ces entreprises, nous déterminerons le degré
d’implication du système d’information dans les actes de pilotage stratégique. À partir de
diverses variables révélatrices de l’intérêt manifeste de l’utilisation et de l’intégration des
éléments de ce système à la prise de décisions, nous allons voir si des actions d’intelligence
stratégique existent, et sous quelles conditions elles s’effectuent.
Nous procéderons de même que pour l’analyse des variables relatives au style de management
de ces entreprises, en comparant la manifestation de ces phénomènes au sein des entreprises
publiques et des entreprises privées. Cela nous permettra d’établir des corrélations entre la
structuration de ces organisations, leur culture organisationnelle, et les performances globales
qu’elles réalisent.
Si toutes ces entreprises sont dotées d’outils informatiques, leur usage est principalement
affecté à l’amélioration des tâches quotidiennes grâce aux bénéfices de l’informatique de
gestion. La recherche d’informations stratégiques, étant donné la structure et l’orientation du
champ d’actions stratégiques de ces firmes semble a priori compromise, mais nous allons ici
observer si cette structuration fausse la configuration d’un management stratégique des
systèmes d’information. Ou au contraire, si elle révèle une infinité de réalités autrement plus
complexes liées à la spécificité du projet et des stratégies de ces entreprises.
Par cette démarche, notre intention est de donner une image de la culture informationnelle de
ces entreprises, dans une société où le discours dominant consiste à mener et à réussir le
passage du Gabon dans la société de l’information. Nous voulons montrer que si l’information
s’apparente de plus en plus à une donnée stratégique, elle reste sans attraits si elle ne s’arrime
pas à une structure organisationnelle établissant une jonction interactive entre les tâches
fonctionnelles et opérationnelles.
446
Parce qu’il véhicule la trace des activités de l’entreprise, le système d’information est une
réalité multiforme pouvant s’appréhender comme : « un système intégré homme-machine qui
fournit des informations pour supporter les opérations, la gestion et la prise de décisions
dans une organisation » [Monnoyer-Longé 1997, p.108]. C’est comme s’il devenait « l’outil
du contrôle qu’exerce le système de pilotage sur le système opérant, de manière à veiller et à
gérer sur l’allocation de ressources, tout en respectant les objectifs globaux définis » (p.109).
C’est un moyen de se démarquer des concurrents au niveau de la qualité des produits fournis,
mais surtout de se constituer « un arsenal stratégique ». En un mot, il s’apparente au système
de pilotage de l’organisation, lorsqu’il est utilisé à des fins stratégiques dépassant la simple
finalité d’une informatique de gestion, de manière à mieux gérer l’allocation de ressources et
à respecter les objectifs globaux définis.
C’est donc bien un moyen de jauger l’activité d’une entreprise, à partir du lien qu’il établit
entre les différentes composantes d’une organisation. Par les flux d’information (circulation,
répartition, traitement) qu’il génère, il est le reflet de la structure organisationnelle et de
l’intérêt porté à l’usage stratégique de l’information dans la dynamique d’entreprise. car ce
lien engage les rapports qu’entretiennent les membres de ces organisations.
C’est pour cela que nous allons préalablement nous intéresser à la nature et aux objectifs
stratégiques de ces entreprises, pour connaître l’impact du management stratégique de
l’information, à travers les pratiques et les politiques informationnelles. Cela nous permettra
d’établir des corrélations entre leur culture organisationnelle, et les performances globales
qu’elles réalisent, en fonction de leurs objectifs stratégiques.
2.2. Dépouillement des données relatives au management du système
d’information
447
Comme pour l’analyse des pratiques managériales à l’œuvre dans les firmes étudiées, nous
allons ici nous atteler à travers différentes variables, à relever l’impact du management
stratégique des systèmes d’information de ces entreprises. À partir de l’usage des TIC, de leur
intérêt et de leur intégration aux actes de pilotage stratégique, nous allons pouvoir déterminer
si réellement ce type de management présente quelque intérêt dans le pilotage et la stratégie
de ces firmes.
Pour apprécier l’impact du management stratégique des systèmes d’information, comme
facteur d’amélioration des performances de ces firmes, grâce aux effets induits sur la qualité
des processus de travail et de la productivité, nous nous sommes d’abord attaché à déceler
leur culture informationnelle. C’est ainsi que le questionnaire s’est d’abord intéressé à repérer
leurs pratiques informationnelles. Pour cela, nous avons établi un panel de questions sur les
pratiques, les moyens et les sources d’information auxquels recouraient ces organisations pour
leur recherche d’informations.
Ce premier aspect, nous permettra de vérifier si l’on peut établir une corrélation entre le
positionnement stratégique de ces firmes, et leur mode d’organisation. Nous pourrons ainsi
par la suite déterminer si cette culture, se confondant à la spécificité du management
stratégique, rejaillit implicitement ou explicitement sur les pratiques d’intelligence
économique et stratégique.
Ce qui apparaît clairement à travers l’opinion des managers de ces firmes, c’est la nécessité
d’intégrer les TIC dans l’outil de production, quelque soit le domaine d’activités. Ainsi de
manière générale, quand on leur demande ce que l’ingénierie informatique, et les TIC de
manière générale ont contribué à améliorer au sein de leur entreprise, leurs choix se reportent
majoritairement vers l’amélioration de leur informatique de gestion et la connaissance de
nouvelles technologies, comme cela apparaît dans le tableau ci-dessous.
Tableau 18 : Impact des TIC chez les managers.
448
Les valeurs du tableau sont les nombres de citations de chaque couple de modalités.
Ces choix traduisent la réalité de l’environnement stratégique et concurrentiel de ces firmes.
Elles ne sont pas immédiatement portées à rechercher des informations stratégiques, car
chacune d’entre elles, même si elles exercent dans le même secteur d’activités, a un terrain de
prédilection. La BGFI par exemple est davantage spécialisée dans l’ingénierie financière, à
destination d’une clientèle sélective de particuliers et d’institutions. La BICIG et l’U.G.B.
sont d’abord des banques de dépôts, ayant chacune développé des produits financiers pour
accroître leur outil de production, ainsi que la gamme de produits destinée à leur clientèle.
Cette répartition de leurs activités fait que ces entreprises ne sont pas vraiment en situation
concurrentielle. C’est encore moins le cas pour GABON TELECOM, parce qu’en dépit de
l’ouverture du marché à d’autres opérateurs, cette entreprise conserve des prérogatives qui
n’inquiète que faiblement sa position dominante. Il en est de même pour AIR GABON qui
bénéficie de la quasi-totalité de l’exploitation du réseau international au départ et à destination
de Libreville, avec une tarification défiant toute concurrence. C’est la même chose à
l’O.P.R.A.G. et à la SNBG, où ces entreprises détiennent le monopole de l’exploitation dans
leur domaine d’activités respectifs.
Invités à se prononcer sur l’impact de ces technologies dans la stratégie d’entreprise, le choix
de nos interlocuteurs s’est majoritairement reporté sur l’amélioration de l’informatique de
gestion et la connaissance et l’importation de nouvelles technologies. C’est dire que ces
449
informations sont avant tout destinées à la gestion et à l’amélioration de l’outil de production.
Accessoirement, elles peuvent servir aux actions d’intelligence économique et stratégique,
mais elles ne s’y portent pas naturellement. La preuve, c’est que ce terme était étranger à nos
interlocuteurs, dans la mesure où ils leur arrivaient d’en pratiquer, sans savoir que cela
renvoyait à des pratiques d’intelligence économique.
Le positionnement stratégique de ces firmes, localement orienté, en dehors des entreprises
dont les activités commerciales les portent hors de ce champ ; et la structure du marché est
faite de telle sorte que la recherche d’informations stratégiques, dans le but d’instaurer des
pratiques d’intelligence économique et concurrentielle semble compromise. Ce qui fait que
c’est la nature de l’activité de ces entreprises qui conditionne cet intérêt.
C’est pour cela que les banques sont au premier chef concernées par cette intelligence. Par
ailleurs, à l’intérieur de ces firmes, la recherche d’informations stratégiques est autant liée à
l’activité qu’à la nature des responsabilités exercées par nos interlocuteurs. De fait, à la
BICIG c’est le Directeur du Marketing, et à l’U.G.B. celui de l’Exploitation, qui sont chargés
de l’exploitation de ces informations, tandis qu’à la SNBG ce rôle est principalement dévolu
aux Directeurs des Systèmes d’Information et du Marketing. d’informations qui recueille le
plus de suffrages auprès des managers, à partir des choix qu’ils ont faits. de la politique
générale de son entreprise, le Chargé d’études du Secrétariat Général de GABON TELECOM
a également fait ce choix. Le graphique ci-dessous témoigne du type
Tous destinent la recherche de ces informations stratégiques à l’amélioration des process de
travail, pour qu’ils renforcent et intègrent le plan d’actions commerciales. Cette recherche
d’informations s’effectue généralement au sein des grandes directions fonctionnelles, à charge
pour elles de les répercuter dans leur unité, ainsi qu’à l’échelle de l’entreprise dans les actes
de pilotage stratégique. Fait singulier, mais révélateur pour nous d’une volonté de changement
450
Figure 38 : Affectation prioritaire des informations chez les managers
L’activité, de même que la fonction sont par conséquent des éléments qui laissent
transparaître l’impact des TIC dans le pilotage stratégique et dans la politique générale
d’entreprise. Effectivement, comme cela ressort de façon statistique dans les tableaux 16 et
17, la priorité accordée à ces informations se porte majoritairement sur l’aide à la prise de
décisions, au recyclage des compétences et à la connaissance du marché, car ce sont ces trois
informations qui régulent l’activité de ces firmes. L’exemple de la SNBG, entreprise publique
dont la gestion est privée en est l’illustration.
Pour moderniser le parc informatique de cette entreprise, aux fins de mieux l’adapter aux
exigences des besoins et de la stratégie d’entreprise, le Directeur des Systèmes d’Information
a doté l’ensemble des sites de production de postes informatiques équipés de la technologie
IP. Cette technologie permet non seulement de réaliser des économies d’échelle, mais aussi de
communiquer et de transmettre des informations stratégiques en temps réel. Ce choix, tout en
permettant de réaliser de substantielles économies sur la facture de télécommunications,
permet d’ajuster les quotas de production en temps réel par rapport aux conditions du marché.
Au total dans ces entreprises, celles qui se démarquent des autres sont celles dont l’activité les
incitent à la recherche d’informations stratégiques, car elles évoluent dans un secteur très
concurrentiel, comme c’est le cas de la SNBG. Ou bien encore celles dont l’appartenance les
451
rattachent à des grands groupes internationaux (CELTEL, U.G.B.), en leur assurant un soutien
logistique et technique. Il y a aussi celles liées à des grands groupes internationaux grâce à
des accords de partenariat, comme c’est le cas de la BGFI et de la BICIG. Le tableau et le
graphique ci-après recensent des données sur l’intérêt accordé à l’affectation prioritaire des
informations dans ces entreprises.
Tableau 19 : Affectation prioritaire des informations dans la stratégie d'entreprise
Les valeurs du tableau sont les nombres de citations de chaque couple de modalités.
Si les informations recueillies sont prioritairement affectées à la prise de décision, ainsi qu’à
l’amélioration des compétences, on voit que l’intérêt accordé à la compréhension des
pratiques et des activités sectorielles, n’arrive statistiquement qu’en quatrième position Ce
tableau traduit la réalité de l’environnement économique et concurrentiel des firmes étudiées,
qui évoluent dans un marché étroit et fortement segmenté. Ce qui fait, comme nous le disions
qu’elles n’entrent pas frontalement en compétition, même quand elles sont sur le même
segment de marchés.
D’après la répartition de ce tableau, ce sont les entreprises du secteur bancaire et des
télécommunications qui accordent le plus d’intérêts à la gestion des informations stratégiques,
parce que la nature de leur activité fait qu’elles sont plus que les autres soumises à des aléas
conjoncturels. Pour les entreprises du secteur des télécommunications par exemple, tous nos
452
interlocuteurs s’accordent sur le fait que ces informations sont en priorité dévolues au
recyclage, à la connaissance et à l’importation de nouvelles technologies, car ils sont dans un
secteur d’activités où il faut sans cesse se renouvelle pour s’adapter à l’évolution des
techniques et des technologies.
Figure 39 : Représentation de l'affectation prioritaire des informations selon le secteur
d'activités
Cette première lecture de la nature des informations collectées dans ces firmes, nous montre
qu’elles sont conditionnées par le secteur d’activité et par les responsabilités des managers,
plus que par l’appartenance à une structure publique ou privée. Par contre, lorsque l’on se
porte sur l’analyse des variables « liaison et site Internet », cette distinction resurgit. Cela
donne lieu à des paradoxes saisissants entre l’activité de l’entreprise et la poursuite de ses
453
objectifs stratégiques. Ainsi, GABON TELECOM fournisseur d’accès à Internet et opérateur
national de télécommunications ne dispose pas de site internet.
Par contre, à ce jour toutes les banques dans lesquelles nous nous sommes rendu disposent
toutes d’un site et d’une connexion à Internet. Les tableaux suivants indiquent au vu des
réponses de nos interlocuteurs, les entreprises qui sont reliées à Internet et/ou possèdent
également un site Internet.
Tableau 20 : Recensement des firmes disposant d'une liaison à Internet
Les valeurs du tableau sont les nombres de citations de chaque couple de modalités.
Tableau 21 : Recensement des firmes dotées d'un site Internet
Les valeurs du tableau sont les nombres de citations de chaque couple de modalités.
454
De toutes ces firmes, il n’y en a que quatre qui disposent d’un site Internet, si l’on compte la
BGFI qui a depuis peu concrétisé ce projet. Globalement, quand on leur demande de se
prononcer sur l’utilité d’Internet et des TIC, les managers de ces firmes l’entrevoient comme
des instruments d’aide à la recherche d’informations. Et singulièrement Internet, est considéré
comme une vitrine commerciale, permettant à la fois d’engranger des informations et d’en
exporter, notamment lorsqu’on dispose d’un site internet. À la BGFI, voilà comment le traduit
le Directeur des Ressources Humaines, des Affaires Générales et de la Communication : « En
tant que vitrine, c’est un lieu d’échanges pour le recrutement, ainsi qu’une banque de
données en ligne. Pour servir le projet d’entreprise, c’est un atout indéniable ».
À la BICIG, ce sont les mêmes préoccupations qui ressortent, et qui s’expriment en fonction
des responsabilités de nos interlocuteurs. Ainsi, pour le Directeur des Ressources Humaines,
c’est davantage un outil dédié à la recherche d’informations stratégiques, « pour la recherche
d’informations en ligne, mais aussi pour assurer une vitrine sur le monde à l’entreprise par
rapport à ses activités commerciales », dans le but de mieux piloter l’entreprise, comme le
souligne le Directeur du Marketing à travers ses propos : « Pour piloter l’entreprise et aider à
la prise de décisions ».
Grosso modo, dans toutes ces entreprises, on a bien intégré l’utilité d’Internet d’un point de
vue stratégique. Ainsi à l’U.G.B., cet outil s’intègre parfaitement au plan d’actions
commerciales, car il permet de bénéficier d’un gain de temps productif, dans la mesure où
tout se passe en temps réel, comme le confirment ces propos : « L’accès à l’information et la
rapidité d’accès et de diffusion sont des enjeux compétitifs pour se démarquer. De plus cela
permet d’effectuer une recherche d’informations en temps réel ». À CELTEL, c’est également
le cas, avec une orientation marketing caractérisée, pour conforter le positionnement
stratégique et le ciblage de la clientèle, même si l’entreprise ne dispose pas encore de site
Internet, car elle est en train d’ancrer son positionnement.
Si l’intérêt d’Internet est pressenti à des fins stratégiques dans la plupart de ces firmes, c’est
loin d’être le cas au sein des entreprises publiques. Hormis, la SNBG qui se démarque du lot,
455
et dans laquelle le pilotage de l’entreprises s’accorde tant bien que mal aux recommandations
des managers, toutes les autres entreprises publiques et parapubliques sont à la remorque.
Ainsi à GABON TELECOM, si nos interlocuteurs reconnaissent les bénéfices qu’ils tireraient
plus particulièrement d’un site Internet, c’est loin d’être concrétisé au niveau de la politique
générale d’entreprise. Pour le Directeur de l’Informatique, cela ressort à travers les propos
suivants : « Pour offrir une vitrine sur le monde à l’entreprise, étant donné que dans le
secteur des télécommunications, la concurrence est de plus en plus rude. Pour garantir une
compétitivité, nous devons être en permanence à la recherche de l’information ».
Cette situation est d’autant plus paradoxale pour GABON TELECOM que cette entreprise est
fournisseur d’accès à Internet et le premier opérateur de téléphonie de la place, en termes
d’abonnés. Le fait est que malgré sa récente privatisation, cette entreprise conserve tous les
avatars d’une structure bureaucratique hyper centralisée, paralysée par un « isomorphisme
structurel », propre à ce type d’organisations.
On assiste ici au cas typique de pathologies liées à la maîtrise de la gestion de l’information
dans les grandes organisations que décrivait Philippe Baumard [1991], où l’information
circule difficilement à cause du circuit hiérarchique qu’elle emprunte. C’est d’ailleurs ce qui
transparaît à travers les propos du Chargé d’études au Secrétariat Général quand il dit que ce
serait indéniablement un atout « pour obtenir beaucoup plus d’informations en interne, sur
différents opérateurs étrangers. Pouvoir également proposer ses propres informations
économiques, dans le but de vendre son image et de se faire connaître du plus grand
nombre ».
À AIR GABON, c’est le même constat, parce que là aussi les bénéfices attendus de ces
technologies ne sont pas à la mesure des dispositions prises au niveau du Comité de direction.
La Directrice des Relations Publiques d’AIR GABON à travers ces propos manifeste elle
aussi ce paradoxe dans les stratégies édictées, quand elle dit : « pour offrir une vitrine à
l’entreprise et faciliter l’accès et la recherche d’informations. Certainement pour adapter les
services à ceux des concurrents ». Pour son collègue, l’utilité d’Internet et de ses applications
456
est indéniable « dans la mesure où ils permettent de développer les processus de travail, de
communication, des réseaux et l’éventail des fournisseurs […] par la connaissance de
nouvelles technologies, de nouvelles normes ».
Si ces firmes ont particulièrement bien intégré les bénéfices qu’elles peuvent tirer de ces
technologies, pour les entreprises publiques comme on vient de le voir c’est encore loin d’être
le cas, en dépit des efforts faits pour disposer d’une connexion à Internet. Il n’y a que la
SNBG qui se détache, parce qu’elle est gérée comme une entreprise privée. Comme le dit si
bien le Directeur des Systèmes d’Information de cette entreprise, c’est un impératif dans la
stratégie de son entreprise, étant donné son ouverture commerciale et son contexte
concurrentiel. Voilà ce qu’il dit à ce sujet :
« Parce que la SNBG est une société commerciale. L’essentiel de notre clientèle est à
l’extérieur du Gabon […]. Avoir une vitrine dans le monde du e-commerce est effectivement
indispensable. L’information est une donnée très importante dans le monde du commerce. Il
faut qu’une entreprise maîtrise toute l’information de son secteur et du marché par la
connaissance de ses concurrents, de ses fournisseurs et de sa clientèle ».
L’analyse des variables « liaison et site Internet », a confirmé la classification à laquelle nous
sommes parvenue précédemment entre entreprises publiques et privées, concernant leur
management stratégique. Ces disparités se matérialisent également au niveau du management
de leur système d’information, car les entreprises privées sont mieux pourvues que les autres.
Par contre, elles sont logées à la même enseigne concernant la difficulté d’évaluer la part des
dépenses affectée à l’acquisition, à la gestion et au traitement des informations, car nous
avons difficilement obtenu des informations à ce sujet, si l’on n’en juge par le nombre élevé
de non réponses. Le tableau ci-dessous établit ce constat.
Tableau 22 : Évaluation des dépenses d'information dans le budget des firmes
457
Les valeurs du tableau sont les nombres de citations de chaque couple de modalités.
Si certains de nos interlocuteurs ont tenté de nous donner une évaluation plus ou moins
représentative, la majorité d’entre eux ne se prononcent carrément pas, car ils ont du mal à
donner une valeur à ce ratio. Cependant, en dépit de l’impact plus ou moins manifeste des
TIC dans la stratégie de ces entreprises, ces managers s’accordent tous à reconnaître
qu’Internet constitue l’une des sources d’information les plus prisées, au même titre que le
recours à des informations tirées de la presse. Mais cet intérêt ne dément tout de même pas
l’attrait pour des sources d’information plus formelles comme les rapports officiels ou la
documentation interne, et celles plus informelles comme la consultation des collègues qui
reste toujours d’actualité.
Tableau 23 : Recensement des sources et moyens d'information les plus utilisés
Les valeurs du tableau sont les nombres de citations de chaque couple de modalités.
458
Figure 40 : Représentation des sources et moyens d'information prisés chez les managers
La nature de la culture informationnelle de ces firmes ayant une fois de plus entériné une
meilleure adaptation et des conditions plus favorables au sein des entreprises privées, nous
allons à présent voir si la pratique d’actions d’intelligence économique et concurrentielle
révèle une configuration identique. Pour que ces actions soient efficaces, il faut qu’elles se
construisent et s’articulent sur la base de l’intelligence produite par l’ensemble des
composantes de ces organisations. Ainsi, la question : « L’activité de votre entreprise vous
amène-t-elle à mettre en place des stratégies d’intelligence économique ? » nous montre-t-
elle que ce n’est pas vraiment le cas, au regard de la prépondérance des réponses négatives et
de leurs justifications. Le tableau ci-dessous synthétise ces faits.
Tableau 24 : Impact des actions d'intelligence économique et concurrentielle
459
Les valeurs du tableau sont les nombres de citations de chaque couple de modalités.
460
En discutant avec ces managers, il nous est arrivé de constater qu’ils effectuaient des
stratégies d’intelligence se limitant à des activités de veille commerciale ou technologique
dans la plupart des cas. D’ailleurs, nous nous sommes bien vite rendu compte que c’était
l’appellation et moins la pratique qui faisait défaut. Toujours est il, que ce sont les banques
qui occupent le haut de l’affiche, suivies de près par la SNBG, entreprise de la filière bois,
comme l’attestent les données du tableau ci-après.
Tableau 25 : Impact des contraintes liées à la poursuite des actions d'intelligence économique
et stratégique
Les valeurs du tableau sont les nombres de citations de chaque couple de modalités.
Si dans les faits le pilotage stratégique des entreprises publiques ne semble pas toujours
s’accorder avec les aspirations de leurs membres, nous retrouvons encore ce décalage avec le
point de vue du Chargé d’études du Secrétariat Général de GABON TELECOM, qui a
répondu par l’affirmative concernant la pratique d’activités d’intelligence économique. Étant
donné que GABON TELECOM se situe dans un secteur d’activités en évolutions constantes,
cette entreprise ne peut faire l’économie d’un minimum de veille technologique.
Qu’ils les pratiquent ou non, la justification la plus récurrente à ce sujet, concerne le coût et le
recours à des prestataires que cela implique forcément pour eux. Même des entreprises qui y
sont plus familiarisées, comme c’est le cas à la BGFI, où les activités d’intelligence
économique et stratégique ont été confiées à des prestataires externes, c’est un argument mis
461
en avant. À l’O.P.R.A.G., la Directrice des Relations Internationales nous a fait remarquer
que l’activité et le statut particulier de cette entreprise n’exigeait pas le recours à de telles
actions. Voilà ce qu’elle dit à ce sujet :
« L’exploitation et la gestion de l’office ne correspondent pas à des stratégies d’exploitation et
d’investissements cherchant la compétitivité. L’office est un patrimoine de l’État, mais peut
seulement entrer en compétitivité avec d’autres ports ».
Si l’on intègre bien le fait que les missions de l’O.P.R.A.G. ne s’accordent pas avec la
poursuite d’actions d’intelligence économique, le fait de ne pas avoir d’exigences de résultats
reste préoccupant. Une entreprise, qu’elle appartienne à l’État ou à des intérêts particuliers,
doit intégrer cette obligation de résultats, même si idéalement ces deux types d’organisations
ne visent pas toujours la rentabilité à taux exponentiel, il en faut un minimum. Une autre
explication du manque d’engouement pour les activités d’intelligence économique et
concurrentielle, provient sans doute de l’étroitesse du marché gabonais, qui ne permet pas de
favoriser des plans d’investissement à long terme, comme nous l’a confié le Directeur de
l’Exploitation de l’U.G.B.
Mais même avec ces arguments qui sont du reste plausibles, le contexte concurrentiel et
environnemental mondial est ainsi fait que même si elles n’existent que localement, les
entreprises subissent les contre-coups de la mondialisation. Par conséquent, il vaut mieux se
doter des armes capables d’y faire face, plutôt que d’être un spectateur résigné. Les stratégies
d’intelligence économique, par le biais des démarches de veilles sont un moyen de réactivité
et d’adaptativité, dans la mesure où elles tiennent un rôle déterminant dans le processus
décisionnel,.
C’est dans cette optique que nous avons cherché à savoir si l’effectif de ces firmes était une
donnée susceptible de contrarier la mise en place de telles stratégies, dans le sens où cela
462
pourrait les handicaper au plan de la flexibilité et de la réactivité. À ce sujet, tous nos
interlocuteurs nous ont assuré que non, et que bien au contraire, pour eux, c’était un atout et
un gage de l’épanouissement et de l’image reconnue de leur institution, en tant que valeur
sûre du paysage économique local.
Mais la réponse la plus plausible, et qui nous porte à croire que c’est moins un problème
d’effectif que de gestion, reste celle de la Directrice des Relations Publiques d’AIR GABON,
ainsi que celle du Directeur de l’Informatique. Ce dernier pense que « c’est plutôt
l’environnement qui appesantit le fonctionnement « normal » de l’entreprise », tandis qu’elle
pense que c’est parce que : « les compétences et les ressources humaines sont mal réparties ».
Finalement, cette dernière interrogation nous permet de recouper le sens de la classification à
laquelle nous sommes parvenue, par l’exploration du positionnement stratégique de ces
entreprises jusqu’à la configuration de leurs stratégies au vu de la pratique de management
exercé. Les entreprises qui s’en sortent le mieux, sont une fois de plus les entreprises privées.
C’est surtout parce qu’elles se donnent les moyens d’atteindre leurs objectifs stratégiques, et
qu’elles organisent leur système stratégique dans cette perspective.
Les propos que nous avons relevé précédemment, et qui ont été tenus par des agents d’AIR
GABON, nous confortent dans l’idée que ce n’est pas un modèle de management spécifique
qu’il faut à ces firmes. Mais ce sont surtout des principes de saine gestion qui manquent d’être
appliqués, parce qu’en plus, d’être mal gérées, ces entreprises manquent totalement de culture
du résultat.
Ce qui est d’autant plus dommageable que la segmentation du marché local favorise très peu
la recherche d’informations stratégiques. Le management de l’information y est massivement
orienté vers l’informatique de gestion, et ne repose que très peu sur une dynamique
réticulaire. Bref, on peut considérer que l’on n’exagère pas si l’on extrapole en disant que ce
463
management est encore dans une phase primaire, comparativement aux étapes mises au jour
par Alain Rallet248
à ce sujet.
2.3. Analyse et interprétation des résultats obtenus
Au vu des résultats qui précèdent, on peut dire que le managements stratégique de
l’information dans ces firmes a encore un caractère unidimensionnel. C’est-à-dire que ce
management n’a pas encore véritablement intégré la dynamique réticulaire allant du stade
primaire de l’informatique de gestion, à celui plus abouti de l’informatique en réseaux, à
travers l’interface hommes/machines. Le motif essentiel de ce choix tient à la structuration du
marché gabonais qui reste très peu diversifié et segmenté, dans la mesure où chacun dispose
de son pré carré.
248
Rallet (A.), « L’efficacité des technologies de l’information et de la communication à l’étape des réseaux »,
L’Entreprise et l’outil informationnel, 1997, p.85-105.
464
Ce qui fait qu’indistinctement la culture informationnelle de ces entreprises est une culture
fonctionnalisée. L’information y est davantage exploitée comme un instrument de pouvoir
servant davantage les intérêts de coalitions d’acteurs. En fait, le management de l’information
subit un cheminement identique à celui de la structure dans laquelle il s’insère. Ainsi dans les
entreprises publiques et parapubliques (AIR GABON et O.P.R.A.G. par exemple), au chapitre
des difficultés rencontrées pour établir des actions d’intelligence économique, on trouve des
problèmes d’ordre organisationnel relevant aussi bien de la gestion de processus
informationnels qu’humains, concernant la circulation des flux d’informations.
GABON TELECOM qui est pourtant statutairement une entreprise privée, fonctionne encore
au niveau de son organisation comme une entreprise publique. Le management stratégique du
système d’information de cette entreprise reproduit les dysfonctionnements que nous y avons
repéré entre l’élaboration de stratégies et la détermination des objectifs stratégiques à
atteindre. Reconnaissant l’attrait d’Internet en tant que vitrine sur le monde, cette entreprise
qui a pourtant plus de moyens financiers que les autres firmes ici étudiées, ne dispose toujours
pas d’un site Internet. Mais les managers semblent en avoir tout de même pris conscience,
puisque le Directeur de l’informatique reconnaissait :
« Notre entreprise se lance aujourd’hui dans l’informatisation de la quasi-totalité de son
activité, compte tenu de son évolution dans le temps. Les télécommunications évoluent d’une
manière vertigineuse, la gestion du système d’information doit s’adapter à cette dynamique ».
Cela suppose d’effectuer une auto-restructuration organisationnelle permettant d’améliorer le
travail en équipes. De décloisonner les unités fonctionnelles, tout en leur laissant un minimum
d’autonomie pour que les individus se sentent davantage impliqués et valorisés. Le fait est
que c’est la démobilisation des ressources et des compétences humaines qui, lorsqu’elles ne
sont pas suffisamment ou pas du tout intégré aux différents processus, contribuent au manque
de compétitivité de la plupart des firmes en analyse, comme nous avons eu l’occasion de le
démontrer. Et de ce côté, GABON TELECOM doit encore persévérer.
465
466
Ces pathologies ont été fort bien décrites par Philippe Baumard, à travers les problèmes de
gestion de l’information, qui engendrent les mêmes inconvénients que l’organisation dans
laquelle surviennent ces dysfonctionnements. Ainsi, lorsque l'organisation d'une entreprise est
de type hiérarchique et fortement centralisée, comme c’est le cas ici, les problèmes de gestion
de l’information surviennent généralement du fait des circuits qu’elle emprunte.
Ce qui fait que le changement de statut juridique n’est pas un gage de réussite, s’il ne
s’accompagne pas des restructurations nécessaires à la fois sur l’état d’esprit et les
comportements des acteurs, ainsi que sur la structure organisationnelle. De fait, les dispositifs
centralisés de recueil et de traitement de l'information repérables dans les grandes
organisations ont l'effet contraire à celui souhaité. Parce qu'ils sont centralisés, ces dispositifs
d'intelligence organisationnelle vont structurellement être confrontés à une variété de
problèmes inhérents aux mécanismes de coordination et de commandement.
Étant donné que GABON TELECOM évolue dans un secteur fortement concurrentiel et
soumis à des évolutions constantes, faire l’économie de pratiques d’intelligence économique
et stratégique, n’est pas compatible avec son domaine d’activités stratégiques. Par contre, à
l’O.P.R.A.G., cela s’entend tout à fait, puisque la poursuite d’actions d’intelligence
économique et stratégique ne s’accordent pas avec les missions de l’entreprise, comme nous
l’a laissé entendre la Directrice des Relations Internationales à travers le propos suivant :
« L’exploitation et la gestion de l’office ne correspondent pas à des stratégies d’exploitation et
d’investissement cherchant la compétitivité ».
Ces problèmes peuvent être résolus si l’on procède aux ajustements nécessaires suivant la
structure de l'organisation, les motivations des individus et les moyens à disposition. Au cœur
de ces réajustements se trouvent l'équilibre de la vie du réseau d'intelligence, qui tient en fait à
une alchimie entre l’instauration et la coordination d’actions d’intelligence économique, leur
intégration au processus décisionnel et la mobilisation des individus pour agir ces actions.
467
Bien sûr, le degré d'implication de l’équipe dirigeante par rapport à l'établissement de ce
réseau d’intelligence, peut être facilité par l’adoption de certains outils et méthodes de travail.
Finalement, l'isomorphisme structurel qui se reproduit à travers le management des systèmes
d’information de ces entreprises, institutionnalise en quelque sorte le recours à des pratiques
d’intelligence économique, à travers la culture informationnelle qui s’en inspire. Cette
imitation-reproduction pathologique, étant sous-tendue par un double processus
d'institutionnalisation exogène (par l’adoption-imitation de modèles stratégiques
concurrentiels) et endogène (très souvent par la confiscation de l’information permettant de
légitimer l’influence et le pouvoir d’un acteur ou de coalitions d’acteurs en interne).
Ce « copier-coller » se traduit généralement par l’importation de modèles techniques ou
organisationnels, comme pour la pratique du management stratégique, qui ne s’accordent pas
toujours avec les réalités du contexte d’action où ils sont implantés. Par exemple, GABON
TELECOM s’est lancé dans un programme d’informatisation tous azimuts de ses activités.
Cela est louable, mais en même temps, on peut légitimement se demander si elle s’est
entourée des conditions optimales à la réalisation de cette opération. Étant donné son mode
d’organisation peu propice à une circulation aisée des informations, et la faible mobilisation et
l’implication de ses membres de façon générale, on peut émettre des réserves.
Il faudrait donc pour limiter l’impact de ces dysfonctionnements, procéder à un travail de
« désinstitutionnalisation » de l'apprentissage, en introduisant un ensemble de routines, dans
le sens où elles rompraient avec ce modèle. Par exemple, ces routines peuvent être associées à
des processus discursifs et dialectiques encadrant les processus d'intelligence
organisationnelle et stratégique lors de réunions. Cela se rapporte par exemple à la théorie du
« design organisationnel » de Frantz Rowe249
, qui agit sur trois dimensions : l'organisation,
les individus et le système d’information.
468
Grâce à ces processus dialectiques et discursifs, une entreprise peut effectivement bousculer
des schémas établis, en permettant aux stratégies édictées de trouver un cadre d’actions et de
démarches favorisant la décision stratégiquement informée, comme cela se passe dans les
entreprises privées. Pour cela, l'information diffusée doit cibler le plus précisément possible
les centres d'intérêt des personnes concernées (en l’occurrence l’équipe dirigeante), en se
demandant ce qu'ils vont en faire, et pour mieux évaluer leurs attentes par la suite [cf. Levet et
Paturel].
Avec une structure organisationnelle similaire à celle des entreprises publiques, parce qu’elles
conservent une structure fonctionnelle hiérarchisée, les entreprises privées se défendent mieux
que ce soient en termes de culture informationnelle ou organisationnelle. Le fait qu’elles aient
une structure fonctionnelle également hiérarchisée ne nuit nullement à l’adoption de
mécanismes de coordination des tâches plus bénéfiques que celle que l’on peut voir dans les
entreprises publiques, parce qu’elles conservent une flexibilité et une réactivité dans les
processus qu’elles entreprennent, que n’ont pas les entreprises publiques.
Par exemple, en matière d’ingénierie informatique, les moyens et les objectifs que se donnent
les entreprises publiques, sont sans communes mesures avec ceux que déploient les
entreprises privées. Effectivement, la culture informationnelle de ces entreprises est mieux
structurée, et entre en application dans le plan d’actions commerciales.
Comme nous avons pu le constater à l’issue de l’analyse des variables portant sur leurs
pratiques informationnelles, les entreprises privées sont toutes mieux pourvues en matière
d’ingénierie informatique. Ainsi, à l’exception de CELTEL pour les raisons que nous avons
évoqué précédemment, elles sont toutes dotées d’un site Internet, et cela sert véritablement
leur stratégie.
C’est ainsi qu’à la BGFI, le Responsable des Ressources Humaines s’en sert pour avoir des
informations en ligne, mais aussi pour des besoins de recrutement. À l’U.G.B., c’est
249
Rowe (F.), « Productivité de l’information et design organisationnel, accessibilité aux données et agir
469
également le cas pour obtenir des informations en temps réel avec les différentes entités du
groupe, comme cela a également été initié à la SNBG. Ces entreprises ont intégré à leurs
processus stratégiques, l’intelligence économique moins comme une fonction que comme un
processus capable d’aider et de guider l’action, tout en lui permettant de produire de la valeur.
Autrement dit, le système d’information en lui-même est quasiment sans intérêts. Pour qu’il
acquière cette dimension stratégique, il faut pouvoir lui insuffler une dynamique d’actions que
seule la volonté des individus, plus que la technologie peut permettre d’instaurer. Pour que
cela se fasse, la gestion stratégique de l’information, apparaît désormais comme
incontournable en fonction de la finalité qu’on lui assigne. En fin de compte, « la démarche
choisie par l’entreprise en matière d’intelligence économique dépend fortement de sa vision
de la gestion des processus, de ses processus d’organisation, de son attitude envers
l’apprentissage et de ses valeurs fondamentales » [Marchand 1999, p.383].
Dans les entreprises privées, la gestion du système d’information, et son intégration aux actes
de pilotage stratégique s’effectuent sur la base du système décrit et développé par Maryse
Salles250
, à partir du plan d’actions commerciales. Ce sont bien ces éléments qui conduisent à
un management des systèmes d’information à deux vitesses, entre entreprises privées et
publiques, tout comme nous sommes parvenu à la détermination de deux styles de
management. Tous deux restent tributaires du système stratégique mis en place dans ces
firmes, parce qu’ils sont intimement liés à la façon dont elles s'organisent par rapport à leurs
environnements (interne et externe).
L’implication de l’équipe dirigeante, ainsi que les efforts qu’elle déploie pour impliquer son
personnel à la réalisation de ses objectifs stratégiques, dans le cadre des actes de pilotage
stratégique, creusent l’écart entre ces firmes. Tout comme la prédominance de la rationalité
socio-culturelle dans les entreprises publiques montre qu’elles sont peu performantes,
comparativement aux entreprises privées, les pratiques informationnelles de ces firmes, à
travers le management de leur système d’information va dans le même sens.
communicationnel », L’Entreprise et l’outil informationnel, 1997, p.23-39. 250
Salles (M.), "Méthode de conception de systèmes d'intelligence économique », Thèse de doctorat, Lyon 3, 1999.
470
2.4. Perspectives tirées des résultats et des analyses effectuées
L’analyse des variables relatives au management stratégique de ces entreprises, laisse
apparaître des disparités entre les résultas obtenus dans les entreprises publiques et dans les
entreprises privées. Celles-ci tiennent principalement à la prégnance de la rationalité socio-
culturelle dans les entreprises publiques et de la rationalité économique dans les entreprises
privées. Nous inspirant des travaux de Boltanski et de Thévenot [1991], nous avons montré
comment ces logiques/grandeurs organisaient le fonctionnement de ces firmes, en stimulant
ou en contrecarrant les stratégies mises en œuvre.
C’est l’objectivation de ces résultats en termes de performances, au niveau de leur
productivité sur le marché local, qui nous a permis de valider les hypothèses préalablement
émises, et de dresser une typologie à partir des résultats obtenus. L’« hypothèse élargie de
configuration » qui lie l’efficacité d’une structure à la cohérence des variables internes et
externes, couplée aux principes de « contingence » et du « fit » d’Éric Delavallée [1996], qui
impliquent un minimum de cohérence interne entre les différents paramètres de conception
des tâches, par le jeu d’interactions entre le management, l’environnement stratégique et le
degré d’implication des acteurs, nous permettent de valider les corrélations ainsi établies.
Ces trois facteurs constituent donc bien les ingrédients moteurs/catalyseurs du pilotage
stratégique d’entreprise, car ils sont au cœur de la mise en œuvre des processus qui
conditionnent leurs succès, ou leurs échecs par le biais du système stratégique. Ce dernier
nous a en effet permis de dégager les liens ressortant du management de ces entreprises, à
partir de leur structure organisationnelle, celle-ci étant influencée par l’imbrication de
contenus sociétaux extérieurs liés à l’environnement stratégique et socio-historique.
471
À partir des associations/dissociations faites des composantes de ce système, nous avons
établi que les performances d’une entreprise s’articulaient autour de deux aspects
fondamentaux : la gestion des risques et de l’incertitude liée aux contraintes de l’activité
socio-économique, et la gestion de l’organisation se concentrant plus spécifiquement sur les
aspects socio-psychologiques. Domaine complexe, fruit des interactions qui agitent la vie des
organisations, ces aspects socio-psychologiques motivent de façon indéniable les
performances réalisées par une entreprise, quand ils s’accordent à la mise en œuvres de
processus stratégiques.
La typologie d’ensemble que nous avons établi entre entreprises publiques et entreprises
privées l’atteste, puisqu’elle manifeste la prédilection de la rationalité socio-culturelle sur la
rationalité économique. Cependant, à l’intérieur de ces catégories majeures, nous avons
décelé au sein des entreprises publiques, des valeurs différentes soutenues par certains de nos
interlocuteurs. Ces valeurs sont le fruit de catégories-structures qui leur sont propres, et
indépendantes de l’appartenance à une entreprise publique ou privée.
Ces catégories sont le résultat de la proximité d’appartenance que nous avons déduite entre
management-structure d’adhésion et management-structure d’usage. Cette sous-catégorie, à
l’intérieur de la typologie d’ensemble que nous avons établi entre entreprises privées et
publiques, traduit la complexité des relations structurales qui lient les membres de ces firmes,
autant par la complexité des cadres référentiels auxquels ils recourent, que par leur singularité.
Ces deux catégories qui renvoient pour nous à la manière dont les managers légitiment le
management et le pilotage stratégique de leur entreprise, manifestent l’adhésion ou
l’extériorité, vis-à-vis d’un modèle de gestion, que nous avons associé à la prédominance de
l’une ou l’autre de ces rationalités.
Par la combinaison des relations et des régularités de comportements dégagés dans une
structure organisationnelle, ainsi que par les groupes, individus ou statuts qui présentent ces
régularités de façon inductive, nous avons dégagé des groupes pertinents dont témoigne le
tableau 15. Cela peut aller de l’« extérioirité », décrite par Émile-Michel Hernandez [1997],
472
qui renvoie à la distance affichée par les individus, vis-à-vis de leur entreprise quand ils ne s’y
identifient pas, à la « compliance » ou au partage de valeurs ressortant de la théorie d’Amitaï
Etzioni, quand ils y adhèrent.
Elles traduisent également la complexité du management, ainsi que son caractère contingent
et dialogique. C’est ainsi que derrière la répartition stricte entre entreprises publiques et
privées, renvoyant à la prédominance d’une rationalité, nous avons dégagé des proximités
structurales entre managers. Cette proximité tenant au fait qu’ils aspirent à une reconnaissance
de leur statut et de leurs compétences, au niveau des actes de management stratégique. Tout
en ne perdant pas de vue le rôle de la gestion en tant qu’activité indépendante de toutes autres
considérations, cette aspiration prend généralement en compte les contours de
l’environnement socio-culturel.
Grâce à l’opinion reflétée par les managers de ces firmes, nous avons fait état des relations
entre leur fonctionnement interne, et les contraintes de l’environnement socio-politique et
stratégique qui influençaient la détermination de ces modèles de gestion et de gouvernement
des hommes. Au bout du compte, on a recensé deux styles de management et de gestion
relevant d’un même dispositif organisationnel fortement centralisé. D’où la seconde
explication à laquelle nous sommes parvenue, et qui découle de la proximité structurale
d’adhésion ou de rejet.
La première catégorie renvoie au modèle de commandement-contrôle observable dans ces
entreprises, tandis que la seconde fait référence aux aspirations individuelles des managers
quant au modèle de management qu’ils seraient désireux de voir s’appliquer, pour le pilotage
de leur entreprise. Plus généralement, ces deux catégories renvoient pour nous à la manière
dont les managers légitiment le management et le pilotage stratégique de leur entreprise, par
analogie aux catégories révélées par Wanda Orlikowski.
Ces deux styles de management, sont tout de même confrontés à la présence/absence des
réseaux sociaux, puisque nous avons pu voir que le management prisé dans les entreprises
publiques, projetait en fait un style de management lié de près à la dimension socio-politique
473
qui organise et régit la gestion du pays. Sur la base de nos hypothèses de départ, et des
interprétations auxquelles nous nous sommes livrées, nous pouvons dire que ces hypothèses
se vérifient autant dans les entreprises publiques, que dans les entreprises privées.
Les performances de ces entreprises montrent bien qu’il existe une corrélation entre la
rationalité prédominante et les droits de propriété qui lient les membres de ces firmes. En
effet, nous avons noté la prédominance de la rationalité sociale dans les entreprises publiques
et parapubliques, et effectivement toutes ces entreprises connaissent ou ont connu des plans
de restructuration. Par ailleurs, la seconde hypothèse est également vérifiée, puisque le ratio
performances économiques et sociales/logiques individuelles est un élément essentiel à la
compréhension et au fonctionnement de ces firmes.
Il ressort de cette étude que l’imbrication des réseaux sociaux dans la vie de ces entreprises
est une réalité patente. En effet, toutes ces entreprises, qu’elles soient publiques, privées ou
parapubliques possèdent une ossature leur permettant de piloter leur entreprise de la manière
la plus optimale possible. La défection provient du fait que la cohérence entre les différents
paramètres de conception des tâches, les objectifs stratégiques, et l’adhésion des membres à la
réalisation et à la poursuite de ces objectifs est biaisé.
L’histoire de ce pays et la constitution de la plupart de ces entreprises, sont également pour
nous des éléments explicatifs du manque de compétitivité et de culture du résultat que nous
avons décelé dans les entreprises publiques, car elles renforcent la distance de ces managers
vis-à-vis de l’institution à laquelle ils appartiennent. Nous avons d’ailleurs retrouvé les
mêmes dysfonctionnements au niveau du management des systèmes d’information de ces
entreprises.
474
Parce qu’il véhicule la trace des activités entre le système de pilotage et le système opérant
dans une entreprise, le système d’information nous a permis de voir comment le recours de la
décision informée pouvait renforcer les dispositifs stratégiques, en permettant de se
démarquer de la concurrence. En cela, il constitue donc bien un moyen de jauger l’activité et
la structure d’une entreprise, au niveau des flux d’information qu’il génère, mais également sa
culture organisationnelle, par l’importance accordée au management stratégique de
l’information.
Ainsi, à l’aide des points de vue des managers de ces entreprises, et de l’analyse de diverses
variables révélatrices à l’intérêt manifeste de l’utilisation et de l’intégration des éléments de
ce système à la prise de décisions, nous avons défini la culture informationnelle de l’ensemble
de ces entreprises, grâce au décryptage de leurs pratiques et politiques informationnelles.
Celle-ci nous a montré que ce management était encore principalement dédié à l’informatique
de gestion. Sauf quelques exceptions dans des entreprises privées, la culture du partage n’est
pas la chose la mieux partagée dans ces entreprises.
Au final, dans cette étude ce qui nous semble représentatif, c’est moins son exhaustivité que
la nature des relations qu’elle contribue à mettre en lumière pour davantage sensibiliser les
entreprises du secteur public à intégrer des canons de gestion rigoureux valorisant davantage
les compétences des individus, ainsi que les intérêts vitaux de l’entreprise.
476
CONCLUSION GÉNÉRALE
Conclusion générale
Au terme des investigations menées dans le cadre de la gestion et du pilotage stratégiques des
firmes gabonaises en analyse, nous pouvons sans aucun doute attester du caractère contingent
et structurel des problèmes posés. La démarche retenue consistait ainsi à prendre appui sur
l’évolution et les développements des courants majeurs de la pensée stratégique, pour
examiner le management de ces entreprises, au regard des enjeux et du développement pris
par la société et l’économie de l’information.
L’analyse et l’interprétation des résultats obtenus qui s’inscrivent dans la perspective des
éléments de théorie sur la firme, notamment les approches de Harvey Liebenstein [1987] et de
Masahiko Aoki, nous ont conduit à dresser une typologie de ces firmes. Grâce à ces théories
qui s’inscrivent dans le champ du courant des écoles processuelles, dont l’éclairage simonien
sur la théorie de la rationalité limitée a révélé les imperfections, nous avons pu vérifier les
hypothèses préalablement constituées.
L’analyse de la firme, du fait de ce changement de perspective étant désormais appréhendée
comme une organisation complexe nécessitant une organisation et des modes de production
spécifiques [Berle et Means 1932, Jensen et Meckling 1976]. Les théories des droits de
propriété et de l’agence qui établissent le noyau contractuel et composite des intérêts divers
des agents de la firme, nous ont permis de justifier cette répartition. Au vu de leurs
performances, et par le comportement de leurs agents nous avons caractérisé les causes des
dysfonctionnements observés.
Au cœur de ces dysfonctionnements se trouve le noyau contractuel, par la distinction que
nous avons établie entre entreprises publiques et privées. Elle justifie la logique de
478
fonctionnement adoptée par ces firmes, en fonction de leurs objectifs stratégiques et de leur
évolutivité. La théorie de Liebenstein, ou « théorie de l’efficacité X » est de ce fait centrale
pour arborer l’impact des autres théories sur la classification à laquelle nous sommes
parvenue au cours de l’interprétation et de l’extrapolation des résultats de l’enquête.
479
Parce que la théorie de Liebenstein met en évidence les écarts de productivité entre firmes aux
caractéristiques techniques identiques, il va privilégier l’analyse des composantes de la firme,
précisément ses membres, pour expliquer cette contradiction d’intérêts. Les firmes
s’identifiant au résultat des actions des différents agents qui la composent, et compte tenu du
caractère structurant des facteurs socio-culturels dans la vie de ces organisations, cette théorie
est un moyen de comprendre et de justifier cette typologie.
Elle se confond à ce niveau à la théorie des grandeurs de Boltanski et Thévenot [1991], à
travers le partage de valeurs et de repères communs érigé en systèmes d’équivalence, et de
cadres référentiels qui agissent et motivent les actions des individus. Cette opposition de
valeurs qui régit ces mondes, va marquer la prédominance de la rationalité socio-culturelle
dans les entreprises publiques, et de la rationalité économique dans les entreprises privées.
Grâce à différentes variables relatives au système stratégique de ces firmes (champ
stratégique et dimension socio-psychologique), nous avons dégagé des interactions qui nous
ont permis de mettre en parallèle deux styles de management. Ces deux styles de
management, au vu des différents éléments de théorie et des modèles conceptuels présentés,
sont intimement liés et indissociables du contexte d’action socio-culturel dans lequel baignent
ces firmes.
C’est ce que démontrait notamment Nabil Rifai [1996] dans son ouvrage, lorsqu’il faisait
remarquer que les organisations se construisent à partir des liens sociaux et des affects qui
déterminent leurs performances. C’est ainsi que suite aux corrélations que nous avons faites
entre l’implication et l’adhésion des managers de ces firmes à la politique générale
d’entreprise, et leurs performances globales, nous avons mis au jour les facteurs contingents
justifiant un pilotage stratégique efficient dans les entreprises privées, et inadapté dans les
entreprises publiques.
480
D’où la typologie à laquelle nous sommes parvenue, et qui découle de la proximité structurale
d’adhésion ou de rejet, entre « management-structure d’adhésion » et « management-
structure d’usage », par association aux catégories établies par Wanda Orlikowski. Elle se
justifie par le fait que les individus, même s’ils sont normativement associés à un cadre, ici
l’appartenance à une entreprise publique ou à une entreprise privée, conservent la capacité de
s’y soumettre, ou au contraire de s’en soustraire en fonction de désidératas qui leur sont
propres, et sur lesquels l’entreprise ne peut pas toujours agir.
Cette opposition de valeurs et de résultats entre entreprises publiques et privées trouve une
explication plausible dans la théorie des entreprises publiques et de la réglementation. Cette
théorie montre en effet les carences des entreprises publiques en raison de la difficulté de
concilier les objectifs de service public à la réalisation de profits. Cela se traduit généralement
par leur manque d'efficacité. La stratégie localement orientée de la plupart de ces firmes, ainsi
que l’étroitesse du marché, segmenté entre les différents opérateurs économiques renforce
cette absence de culture du résultat dont les ramifications nous ont porté vers la constitution et
l’évolutivité de ces firmes.
Au total, cette finalité des missions et des contrats qui justifie notre typologie se retrouve dans
la théorie des firmes « A » et « J » d’Aoki, à travers la structure de ces entreprises et le
management de leur système d’information. Parce que cette structuration va montrer que les
entreprises privées, avec un mode de commandement-contrôle identique, parviennent à de
meilleurs résultats à cause de la flexibilité organisationnelle qu’elles adoptent, et qui leur
permet d’être plus réactive et de s’adapter aux conditions du marché.
La conclusion que nous inspire cet entrecroisement de phénomènes, c’est qu’il s’agit moins
d’envisager la conception d’un modèle de management spécifique à appliquer à ces firmes,
singulièrement dans les entreprises publiques. Il s’agit surtout de veiller à l’application et au
respect de règles et de principes de saine gestion existants. En effet, c’est ni la qualité du
niveau de formation de ces managers et leurs compétences qui font défaut, mais c’est
481
davantage une question de coexistence équilibrée entre les exigences du management et les
contingences des facteurs socio-culturels.
Les causes profondes de ces dysfonctionnements, nous les associons comme Annie Chéneau-
Loquay à l’omniprésence et à l’omnipotence du pouvoir politique dans la gestion et le
développement économique de ces firmes d’État. La mise en place d’une infrastructure
nationale d’information et de communication, fut-elle avant-gardiste, doit prendre appui sur
des infrastructures routières, maritimes, ferroviaires existantes (cf. Rapport « Info-Com »).
Or, le Gabon est en situation de déficit avéré à ce niveau. À l’heure de la mondialisation, cette
situation n’est pas de nature à poser les termes d’une ère de croissance facilitée par ces
technologies. À moins que le développement du Gabon ne se limite à celui de sa capitale
politique, où là effectivement, l’émergence de cette société de l’information a plus de chances
d’être crédible.
De ce point de vue, l’originalité de notre démarche de recherche consiste à avoir associé à la
spécificité d’analyse du management des firmes étudiées, l’intérêt des TIC. Par le biais du
système d’information, et par extension son management, nous avons voulu montrer, à l’ère
des discours porteurs sur le développement de la société et de l’économie de l’information,
comment ce management pouvait devenir un atout dans la gestion de ces entreprises.
La force du management stratégique de l’information reposant sur sa valeur économique pour
les entreprises (démarches de veille et d’intelligence économique et stratégique) et
organisationnelle (par la réduction des lignes hiérarchiques favorisant les communications
latérales et le travail d’équipes), il participe à ce que Donald Marchand appelle la décision
informée. Mais cette valeur économique dépend de la pertinence de son exploitation, comme
nous l’avons montré à travers le paradoxe de la productivité de l’information.
482
Les points de vue des managers de ces entreprises, et l’analyse de diverses variables
révélatrices de l’intérêt manifeste de l’utilisation et de l’intégration des éléments du système
d’information à la prise de décisions, nous ont permis de définir la culture informationnelle de
l’ensemble de ces entreprises. Celle-ci nous a montré que ce management était encore
principalement dédié à une informatique de gestion. Sauf quelques exceptions dans des
entreprises privées, où ce management est en étroite corrélation avec l’orientation de leur
champ d’actions stratégiques, la culture du partage n’est pas encore installée dans ces
entreprises.
Ce qui fait que la culture informationnelle de ces firmes est davantage associée à la culture
fonctionnelle qui reste le modèle dominant, et la culture du partage, l’exception. Dans
l’ensemble, ces entreprises sont confrontées à des problèmes structurels faisant que le
potentiel dont elles disposent en la matière, se réduit essentiellement à une informatique de
gestion. Cette exploitation n’est pas étrangère au fait que le champ d’action de ses entreprises
se limite au marché local.
Dans cette perspective, la décision informée en tant que pendant du management des
connaissances, nécessite un minimum de flexibilité organisationnelle, qui n’est pas assuré
dans les entreprises publiques, parce qu’il s’y développe ce que Philippe Baumard a appelé le
« parochialisme ». Ce « parochialisme » est assimilable au phénomène analysé par Annie
Chéneau-Loquay, dans son rapport sur les usages et les besoins en communication au Gabon,
à propos de l’absence de communication qui caractérise les institutions gabonaises, et que
nous avons pu éprouver sur le terrain.
Au final, dans cette étude ce qui nous semble représentatif, c’est moins son exhaustivité que
la nature des relations qu’elle a contribué à mettre en lumière pour davantage sensibiliser les
entreprises du secteur public à intégrer des canons de gestion rigoureux, pour tout simplement
garantir leur existence. Les technologies de l’information et de la communication offrent
certes de nouvelles opportunités pour mettre en place des stratégies propres à accélérer le
développement de manière générale, mais elles ne peuvent suppléer l’absence d’un minimum
requis d’infrastructures.
483
Dans une société où le discours dominant consiste à promouvoir l’intégration du pays dans la
société et l’économie de l’information, la réalité est en porte à faux avec la démesure des
moyens mis en oeuvre. Quoiqu’il en soit le Gabon ne peut vivre en dehors de ce mouvement
sans hypothéquer son avenir, dont les différents projets initiés par les organismes
internationaux n’ont malheureusement pas été relayés à suffisance par les pouvoirs publics.
Sans prospective et en ne prenant pas la mesure des conclusions des nombreux projets qui ont
été portés en ce sens, c’est vraisemblablement une cause dont les succès semblent par avance
compromis.
S’il est une chose qui nous apparaît évidente, c’est que le redéploiement stratégique des
entreprises publiques plus singulièrement, passe par une dynamique de changement
organisationnel. Celle-ci doit autant prendre racine chez les acteurs de ces organisations, que
dans le contexte socio-culturel et politique de ce pays. Auquel cas, l’avenir de ces entreprises
sera d’être assujetti à une libéralisation et à une déréglementation sauvages, ne favorisant pas
le développement local, mais davantage l’installation de firmes étrangères concurrentes, et la
braderie du patrimoine économique national.
Dans le cas présent, la mise en exergue d’une culture organisationnelle, au-delà de son
caractère manipulateur, a au moins le mérite de fixer un cap à partir d’objectifs et de missions
sensés être partagés par les membres de ces organisations, d’une part. D’autre part, d’arriver à
faire cohabiter cette culture commune avec celles plus spécifiques des individus, pour en faire
quelque chose de productif : en quelque sorte « une arme culturellement stratégique » au
service de l’entreprise.
C’est la thèse défendue par Éric Delavallée251
, et qui va à l’encontre du concept de
« totalitarisme démocratique » défendu par Eugène Enriquez [1998]. Dans le cas des
entreprises africaines, et de celui plus particulier des firmes gabonaises ici étudiées, nous
251
Delavallée (É.), « Pour ne plus gérer sans la culture », Revue française de gestioi, sept.-oct. 1996, p.5-16.
484
rejoignons les avis d’Éric Delavallée [1996] et d’Emmanuel Kamdem [2002], parce qu’ils
considèrent que plutôt que de combattre ces expressions, les équipes dirigeantes gagneraient
davantage à les transformer en procédures de gestion et de management.
Éric Delavallée a ainsi procédé à une redéfinition du concept aux yeux des objectifs de
gestion, en s’intéressant aux relations entre la culture d’entreprise et certaines variables clés
qui interviennent ou influencent souvent les données en matière d’évaluation des
performances : la rationalité, l’efficacité et le changement. Ainsi, l’auteur révèle-il derrière
l’apparente antinomie qui lie les notions de culture, de rationalité et d’efficacité, la proximité
de relations qui s’exerce, si l’on admet que la culture est assimilable à la « rationalité » qui
gouverne l’entreprise, et qui peut l’influencer dans un sens ou dans l’autre.
Partant de là, cette antinomie apparente se rapporte aux objectifs se trouvant derrière chacun
des termes employés. La rationalité supposant un comportement calculé sur la base d’intérêts
de type économique ou politique, tandis que la culture recouvre au sens large un réservoir de
réponses toutes faites dans lequel les individus peuvent puiser en fonction de leurs valeurs, de
leurs convictions et de leur appartenance.
L’ambition de ces approches est de construire un modèle de management reposant sur
l’existant des membres de ces firmes, parce qu’elles se réfèrent aux repères cognitifs auxquels
ils s’identifient. Mais surtout, elles ont plus de chances d’être adoptées et appliquées parce
qu’elles s’inscrivent dans une codification sociale qui leur parle davantage. Par conséquent,
au lieu de condamner la juxtaposition des réseaux sociaux et leurs effets pervers dans les
entreprises africaines, il vaudrait mieux à l’instar des développements de Émile-Michel
Hernandez [1998] sur les règles et les modes de fonctionnement de l’entreprise informelle
africaine s’en servir comme méthode et modèle opératoire de gestion à part entière. Le
passage suivant, extrait des propos de Delavallée en témoigne fort à propos :
485
« Il ne s’agit plus dès lors de s’interroger sur les liens entre les techniques de gestion et la
culture, donc de considérer les évidences qui la composent comme des contraintes à prendre
en compte dans la mise en place des conditions de l’efficacité de l’entreprise, mais de
considérer la mise en évidence de la culture comme une véritable technique de gestion ».
Delavallée, op. cit., p.16.
À travers ces deux approches, nous avons une fois de plus la preuve de la complexité de
l’activité managériale. Ce que nous retenons ici par rapport à notre étude, c’est la force et
l’empreinte de la culture d’un pays, parce qu’elle détermine de manière implicite les modèles
de management qui y sont observables. Ceci étant, les conclusions auxquelles nous sommes
parvenues doivent être considérées comme des prémisses à une exploitation plus étendue de
l’impact du management stratégique du systèmes d’information des firmes gabonaises dans
les actes de pilotage stratégique.
487
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511
ANNEXES
512
Annexe
Annexe 1 - Conclusion du rapport sur les usages et les besoins
en communication au Gabon. Par Annie Chéneau-Loquay,
CNRS, 2000, http://ariane.rio.net/gabon/aloquay/
« Il ressort de cette analyse que le Gabon aujourd'hui est mal intégré dans un système mondialisé qui
repose sur l'interconnexion de grands systèmes techniques basée sur la maîtrise de l'information et
des télécommunications .
Les liaisons routières, aériennes, réseaux électriques, électroniques, financiers, les satellites, les
câbles sous-marins insèrent la planète dans un maillage de plus en plus serré et forment un immense
système qui ne fonctionne qu'en inter-connexion, en synergie. Internet exprime à l'extrême ce rôle de
la connectivité qui est au cœur des processus actuels de développement mais Internet à lui seul ne peut
pas induire ce processus de développement s'il n'est pas imbriqué dans le système des autres réseaux
matériels et immatériels.
Comment développer le commerce électronique s'il n'y a pas de moyens de transports ou de dispositifs
postaux efficaces pour acheminer les produits de l'entreprise jusqu'au destinataire final? Comment
payer ses achats sans cartes bancaires, à quoi sert de diagnostiquer avec l'aide d'un ordinateur la
maladie du patient isolé s'il n'y a pas d'hôpital où transporter le malade? Comment développer l'usage
d'Internet dans les écoles et les universités s'il n'y a pas un réseau de téléphonie efficace et du
personnel compétent?
513
Croire et faire croire que les pays africains pourront "faire un saut" et "brûler les étapes" grâce aux
nouvelles technologies de la communication associées à la libéralisation de leurs économies est un
leurre s'il n’existe pas en même temps les conditions du développement que sont des infrastructures
matérielles correctes, des instances de gestion et de régulation efficaces, une ouverture d’esprit
générale.
L’insertion des NTIC au Gabon risque de favoriser Libreville davantage que les autres régions et
ainsi d’accentuer les disparités nationales d’un territoire dont la capitale est mieux reliée à l’extérieur
qu’à son propre interland.
L’objectif de cette étude était de tenter de mettre en évidence les problèmes à résoudre au Gabon dans
différents secteurs pour appuyer le travail des groupes de réflexion constitués .
Le projet est il indiqué dans le texte d’intention, doit permettre de préciser les objectifs d'ensemble et
des objectifs spécifiques à chaque secteur d'activité concerné. Il s'inspirera de la démarche Gabon
2025 et évaluera des scénarios pour les atteindre. Mais ce travail ne prendra véritablement son sens
que dans la mesure où il émanera réellement de la société gabonaise et mobilisera les cadres afin que
la stratégie trouve ensuite les soutiens nécessaires à sa mise en oeuvre. L'élaboration de la stratégie
sera le résultat d'un travail de réflexion collective impliquant au premier chef des responsables
nationaux choisis parmi les personnalités les plus dynamiques et les plus impliquées dans l'action
professionnelle qu'il s'agisse du secteur public ou du secteur privé.
Il place au premier rang de ses préoccupations le renforcement des capacités du pays afin de réduire
les dépendances et de renforcer le professionnalisme et la qualité. Le renforcement et l'adaptation du
dispositif de formation continue et initiale pour tous les métiers intervenant dans la communication est
donc considéré comme une question hautement stratégique. Un effort de formation très important
sera engagé afin que les cadres gabonais impliqués dans le projet maîtrisent l'évolution du contexte
mondial de la communication sur les plans économique, juridique et technique.
514
Ces objectifs extrêmement ambitieux impliquent un engagement fort des membres des groupes de
travail dans une action de réflexion et d’élaboration devant aboutir à des scénarios.
515
Annexe 2 – Questionnaire
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Annexe 3 – Indexation des réponses
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Annexe 4 – Le projet d’entreprise de la BGFIBANK
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