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Innovations Agronomiques 48 (2015), 1-10 Enjeux socio-économiques et impacts des pertes agricoles et alimentaires Esnouf C. 1 , Huyghe C. 2 1 Direction scientifique alimentation, INRA, 147 rue de l’université, F-75007 Paris 2 Direction scientifique agriculture. INRA, 147 rue de l’université, F-75007 Paris Correspondance : [email protected]; [email protected] Résumé La question des pertes alimentaires est présente dans les agendas politiques au niveau national, européen et international, car elle représente un levier majeur pour la sécurité alimentaire mondiale. Estimées au nouveau mondial à 30% de la production, elles conduisent à une consommation de ressources inutile et aux impacts environnementaux, et économiques correspondants. Situées au niveau de la production dans les pays les moins développés et au niveau de la distribution et de la consommation dans les pays développés, elles représentent ainsi des émissions de gaz à effet de serre de 3,3GT équivalent Carbone, une consommation d’eau de 250 km 3 par an, soit le premier rang de la consommation agricole des différents pays, et la consommation de 28% des terres agricoles mondiales.. En termes économiques, l’impact représente 750 Milliards de $ au niveau agricole, 2 à 3 fois plus au niveau du consommateur. Toutes ces estimations sont des ordres de grandeur, les chiffres étant variables selon les sources, les pays et les types de produits. Mots-clés : Pertes, Aliments, Agriculture, Impacts, GES, Eau, Economie Abstract: Social and economic impacts of agricultural and food losses and wastes Food losses and wastes are a cutting edge question for national, European and international politics, as they represent a major lever for global food security. They represent around 30% of global production and consume useless resources with linked environmental and economic impacts. These losses are agriculture dependent in less developed countries and at the retail and consumption stage in developed countries. On global level they emit 3.3GT carbon equivalent greenhouse gases, use 250 km 3 of water, first rank of every country’s agriculture water consumption, and consume 28% of agricultural land surface. Economically, they represent 750 billion $ at agricultural level, and 2 to 3 times more at the consumer level. All these are rough estimates, as figures differ depending on references, countries and typology of products. Keywords: Losses, Food, Agriculture, Impacts, GHG, Water, Economy 1. Une question présente dans les agendas politiques Depuis 2007, avec la prise de conscience des changements majeurs qui attendent les systèmes alimentaires (changement climatique, événements extrêmes, épuisement des ressources…) et du défi démographique (9 à 10 milliards d’habitants en 2050 aux habitudes nutritionnelles en évolution), la question des pertes alimentaires est revenue sur la scène politique, en refusant de les considérer comme une composante intrinsèque et inévitable de nos systèmes agricoles et alimentaires. Un premier rapport de la FAO (2011) a fait un état des lieux des pertes au niveau mondial, chiffrant une moyenne de 30%. D’autres rapports ont suivi et une action a été lancée sur le partage d’expériences et

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Innovations Agronomiques 48 (2015), 1-10

Enjeux socio-économiques et impacts des pertes agricoles et alimentaires

Esnouf C.1, Huyghe C.2

1 Direction scientifique alimentation, INRA, 147 rue de l’université, F-75007 Paris 2 Direction scientifique agriculture. INRA, 147 rue de l’université, F-75007 Paris Correspondance : [email protected]; [email protected] Résumé La question des pertes alimentaires est présente dans les agendas politiques au niveau national, européen et international, car elle représente un levier majeur pour la sécurité alimentaire mondiale. Estimées au nouveau mondial à 30% de la production, elles conduisent à une consommation de ressources inutile et aux impacts environnementaux, et économiques correspondants. Situées au niveau de la production dans les pays les moins développés et au niveau de la distribution et de la consommation dans les pays développés, elles représentent ainsi des émissions de gaz à effet de serre de 3,3GT équivalent Carbone, une consommation d’eau de 250 km3 par an, soit le premier rang de la consommation agricole des différents pays, et la consommation de 28% des terres agricoles mondiales.. En termes économiques, l’impact représente 750 Milliards de $ au niveau agricole, 2 à 3 fois plus au niveau du consommateur. Toutes ces estimations sont des ordres de grandeur, les chiffres étant variables selon les sources, les pays et les types de produits. Mots-clés : Pertes, Aliments, Agriculture, Impacts, GES, Eau, Economie Abstract: Social and economic impacts of agricultural and food losses and wastes Food losses and wastes are a cutting edge question for national, European and international politics, as they represent a major lever for global food security. They represent around 30% of global production and consume useless resources with linked environmental and economic impacts. These losses are agriculture dependent in less developed countries and at the retail and consumption stage in developed countries. On global level they emit 3.3GT carbon equivalent greenhouse gases, use 250 km3 of water, first rank of every country’s agriculture water consumption, and consume 28% of agricultural land surface. Economically, they represent 750 billion $ at agricultural level, and 2 to 3 times more at the consumer level. All these are rough estimates, as figures differ depending on references, countries and typology of products. Keywords: Losses, Food, Agriculture, Impacts, GHG, Water, Economy  

1. Une question présente dans les agendas politiques Depuis 2007, avec la prise de conscience des changements majeurs qui attendent les systèmes alimentaires (changement climatique, événements extrêmes, épuisement des ressources…) et du défi démographique (9 à 10 milliards d’habitants en 2050 aux habitudes nutritionnelles en évolution), la question des pertes alimentaires est revenue sur la scène politique, en refusant de les considérer comme une composante intrinsèque et inévitable de nos systèmes agricoles et alimentaires. Un premier rapport de la FAO (2011) a fait un état des lieux des pertes au niveau mondial, chiffrant une moyenne de 30%. D’autres rapports ont suivi et une action a été lancée sur le partage d’expériences et

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le suivi de l’agenda des événements visant la réduction des pertes dans les différents pays (FAO SAVE FOOD [email protected]). En parallèle, l’Union Européenne s’est saisie du sujet, au départ dans l’objectif de réduire le volume de déchets à traiter. En 2011, la Commission Européenne adressait une communication au Parlement, au Conseil, au Comité Economique et Social et au Comité des Régions, la « Feuille de route pour une Europe efficace dans l’utilisation des ressources » (Document COM (2011)571 du 2.9.2011). Cette feuille de route fixait l’objectif de réduire de moitié d’ici 2025 le gaspillage d’aliments encore propres à la consommation dans l’UE. Une résolution du Parlement Européen en 2012 « Eviter le gaspillage alimentaire : stratégies pour une chaîne alimentaire plus efficace dans l’Union Européenne » (2011/2175 INI) reprend les différents chiffres existants, constate qu’en Europe et en Amérique du Nord les gaspillages alimentaires ne constituaient pas une priorité stratégique dans les dernières décennies en raison d’une production alimentaire abondante, et recommande une mobilisation de tous les acteurs sur l’ensemble de la chaine alimentaire pour diviser par deux les gaspillages d’ici 2025. La directive 2008/98/EC (the Waste Framework Directive - WFD) définit les concepts de base et définitions relatives à la gestion des déchets alimentaires, et dans son article 4 définit la hiérarchie des usages : (a) prévention, (b) réutilisation, (c) recyclage, (d) autre récupération, par exemple par production, et (e) déchets. Au niveau français, le ministère de l’agriculture lançait en 2012 une campagne de lutte « anti-gaspi » et mobilisait les acteurs dans un comité national de pilotage de lutte contre le gaspillage alimentaire. Pour poursuivre ces actions, Guillaume Garot se voyait confier en 2014 une mission pour formuler des propositions pour une politique publique de lutte contre le gaspillage alimentaire. Ce rapport, remis en 2015, propose de nombreuses mesures dont certaines, en particulier concernant les dons de la distribution alimentaire, ont été reprises. L’ADEME est chargée de la mise en œuvre de plusieurs propositions. 2. Etat des lieux des pertes Sur un total d’1,3 milliards de tonnes de pertes au niveau mondial, le rapport FAO de 2011 identifie des pertes selon les catégories de produits et les étapes de la chaine : 47% pour les racines et tubercules, 45% pour les fruits et légumes, 30% pour les céréales, 35% pour les poissons et produits de la mer, 22% pour la viande, 17% pour les produits laitiers (Figure 1). Au niveau européen, le rapport FAO estime les pertes à 89 millions de Tonnes (MT) par an (UE à 28), soit environ 280 à 300 kg/personne/an sur l’ensemble de la chaîne et 95 à 115 kg/pers/an de pertes évitables au niveau du consommateur. Une étude plus récente et plus détaillée au niveau européen (Vanham et al., 2015), basée sur des enquêtes et statistiques précises au Royaume Uni, aux Pays-bas, au Danemark, en Finlande, en Allemagne et en Roumanie montre la grande variabilité : les pertes au niveau consommateur sont estimées à une moyenne de 60 MT/an soit 123 kg/pers/an (de 55 à 190 kg /pers/an) au niveau du consommateur en direct ou via la restauration hors foyer, valeurs en équivalent carcasse et matières premières. Cette masse représente 16% (de 7 à 24%) de la nourriture arrivant chez le consommateur. Les valeurs les plus élevées sont au Royaume Uni et les plus basses en Roumanie.Sur cette masse, 80% sont considérées comme évitables ou potentiellement évitables, soit 47 MT/an ou 97 kg/pers/an (de 45 à 153 kg/pers/an). Une autre étude minimise cette estimation, 35% étant considérées comme évitables (Bernstad et Andersson, 2015). Les principaux produits jetés sont les produits céréaliers, les fruits et légumes, en particulier en raison de leur faible durée de vie.

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Au niveau national, les estimations du ministère de l’agriculture indiquent les niveaux de pertes à 10 MT/ an dont 6,5 MT par les foyers, 2,3 MT par la distribution et 1,5 MT par la restauration. On ne compte pas ici les pertes agricoles.

Figure 1 : Pertes de matières par produits dans les étapes de la chaîne alimentaire dans le monde (D’après FAO, 2013b) Au niveau mondial, c’est l’étape de la production agricole, qui est la plus génératrice de pertes, à hauteur de 33%. Si on ajoute les étapes de gestion de la post récolte et du stockage, on obtient 54% des pertes totales (FAO, 2013b). Cette estimation est relativement homogène entre les régions (Figure 2).

Figure 2: Part relative des pertes alimentaires par région et par étape de la chaîne alimentaire (d’après FAO, 2013b).

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3. L’enjeu de la sécurité alimentaire mondiale Les dernières estimations de la FAO (FAO, FIDAM, PAM, 2014) montrent que la lutte contre la faim dans le monde continue sur sa lancée. On estime qu’environ 805 millions de personnes étaient en situation de sous-alimentation chronique en 2012-2014, soit une diminution de plus de 100 millions de personnes sur la dernière décennie, et 209 millions de personnes de moins qu’en 1990-1992. Pourtant, environ 1 personne sur 9 dans le monde n’a toujours pas assez de nourriture pour mener une vie saine et active. La grande majorité de ces personnes sous-alimentées vivent dans les pays en développement, dont on estime qu’ils comptaient 791 millions de personnes souffrant de faim chronique en 2012-2014. Bien que ce soit dans les pays en développement que l’on a constaté les progrès les plus marqués sur les 20 dernières années (ensemble, ces pays comptent 203 millions de personnes sous-alimentées en moins qu’en 1990-1992), environ une personne sur huit, soit 13,5 % de la population totale, y souffre encore de sous-alimentation chronique. Il faudra donc déployer des efforts considérables pour atteindre la cible de l’Objectif du Millénaire pour le développement (OMD) concernant la faim d’ici à 2015, en particulier dans les pays qui n’ont pas assez progressé. L’Afrique subsaharienne concentre la majorité des pays en déficit, avec 23,8% de sous-alimentés soit 214 millions de personnes. L’Asie de l‘Est et du Sud sont également concernées avec respectivement 18, 8% et 10,8% de sous-alimentés soit 276 et 161 millions de personnes. La réduction de la faim appelle une approche intégrée, qui comprendra les éléments suivants : des investissements publics et privés propres à améliorer la productivité agricole ; un meilleur accès aux intrants, aux terres, aux services, aux technologies et aux marchés ; des mesures favorables au développement rural ; des mesures de protection sociale pour les personnes les plus vulnérables, notamment le renforcement de la résistance de ces personnes face aux conflits et aux catastrophes naturelles ; des programmes de nutrition spécifiques destinés à pallier les carences en micronutriments. Même si les pertes des pays développés ne sont pas systématiquement utilisables pour les pays en développement, les ordres de grandeur sont frappants. En effet, l’ensemble des pertes des pays développés (220 MT/an) est équivalent à la production alimentaire nette de l’Afrique subsaharienne (FAO, 2011). Considérant que la FAO prévoit une augmentation nécessaire de la production de 60% d’ici à 2050, si on réduit de moitié les pertes, seuls 20% d’augmentation seraient nécessaires (Parry et al., 2015), ce qui situe bien l’importance de l‘enjeu. Les impacts pour l’environnement sont, par contre, à considérer à l’échelle mondiale. 4. Les impacts des pertes sur l’environnement Le rapport FAO de 2013 sur l’empreinte des pertes sur les ressources naturelles donne des estimations de ces impacts. Basé sur les 7 grandes régions du monde et sur 8 catégories de produits (céréales, racines amidonnières, oléagineux et protéagineux, fruits, viande, poisson et produits de la mer, produits laitiers et œufs, légumes), il estime les impacts sur les gaz à effet de serre, la consommation d’eau, l’usage des terres et la biodiversité. Les calculs ont été effectués sur l’ensemble des parties consommables et non consommables des produits.

4.1 Impact sur les gaz à effet de serre

Les émissions liées au changement d’usage des terres ne sont pas considérées, ce qui minore l’impact de 25 (Hörtenhuber et al., 2012) à 40% (Tubiello et al., 2013). En effet, à titre d’ordre de grandeur, le GIEC estimait en 2007 que l’agriculture contribuait à 14% du total de l’émission de GES tandis que le changement d’usage des terres y contribuait pour 18%.

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L’empreinte carbone globale est estimée à 3,3 GT d’équivalent CO2 en 2007, ce qui place ces émissions en troisième position mondiale après les émissions de la Chine et des USA. Elle représente en moyenne 500 kg CO2 par personne et par an. Les contributeurs majeurs sont les céréales (34%), la viande (21%) et les légumes (21%). Les produits d’origine animale représentent 33% du total, ce qui est à rapporter à leur part des pertes en volume de 15% (Figure 3).

Figure 3: Contribution des produits aux pertes alimentaires (bleu) et à l’empreinte carbone (magenta) en pourcentage

La contribution des différentes régions du monde montre qu’elle est située majoritairement en Amérique du Nord et en Europe (liée à la part de la viande). Elle est très importante en Asie en raison des pertes céréalières, en particulier du riz (Figure 4).

Figure 4: Contribution de chaque région aux pertes (bleu) et à l’empreinte carbone (magenta) en pourcentage

Rapportée au nombre d’habitants, l’émission est de 23 t CO2/pers/an aux USA, de 10,7 au Japon et de 8,4 en France. L’empreinte carbone est majoritaire à l’étape de la consommation (37% du total) contre 22% de sa part des pertes, car chaque étape de la chaine alimentaire ajoute son propre impact sur les GES.

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4.2 Empreinte sur l’eau

N’est considérée ici que la consommation d’eau puisée dans les ressources souterraines ou de surface (à l’exception de l’eau de pluie et de l’évaporation des végétaux). Sachant que 92% de la consommation d’eau dans le monde est due à l’agriculture (Hoekstra et Mekkonen, 2012), seule cette étape de la chaîne a été considérée dans le rapport FAO de 2013. L’empreinte en eau des pertes en 2007 est de 250 km3 par an, ce qui représente 38 fois la consommation des ménages américains et la place en premier rang par rapport à la consommation agricole des différents pays (Figure 5).

Figure 5: 10 principaux pays consommateurs d’eau pour l’agriculture (bleu) et celle des pertes (magenta) en km3/an.

Les contributeurs majeurs sont les céréales (52%), les fruits (18%) contre une contribution aux pertes de 26% et 16% respectivement. A l’inverse, les racines amidonnières contribuent à l’empreinte eau pour 2% contre 19% des pertes, en raison d’une faible irrigation, d’une forte productivité à l’ha et d’une récolte de la plante entière. Au niveau européen, Vanham et al. (2015) estime la consommation liée aux pertes à 27 l/pers/an (variation de 13 à 40 l/p/an), ce qui est un peu plus que la consommation totale d’eau distribuée au niveau municipal.

4.3 Usage des terres On considère ici les terres utilisées pour la production, y compris prairies et pâturages, utilisées pour produire des aliments non consommés. Au niveau mondial, 1,4 milliards d’ha étaient ainsi consommés en 2007, soit 28% de l’ensemble des terres agricoles. Ceci place les pertes au deuxième rang des pays les plus utilisateurs d’espace (Figure 6). Sans surprise, les produits les plus consommateurs d’espace sont la viande et le lait, 78% à eux seuls, pour une contribution aux pertes de 11% seulement. Ces espaces, essentiellement constitués de prairies et de pâturages, sont considérés ici comme des terres non arables ; mais les cultures dédiées à l’alimentation animale représentent aussi 40% de l’ensemble des terres arables. Toutefois, les

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différences d’intensité et de rendements des différentes cultures et élevages font que ces moyennes ne sont pas valables localement.

Figure 6: 20 pays les plus consommateurs d’espace (bleu) et espace lié aux pertes (magenta) en milliards d’hectares La Figure 7 représente les usages par grandes régions du monde. La région d’Afrique du Nord/Asie centrale et de l’ouest a une occupation des terres à 90% non arables, tandis que cette part est de 47% en Europe et de 71% en Amérique du Nord.

Figure 7: Terres arables (magenta) et non arables (bleu) pour les pertes, par régions en millions d’hectares

 -­‐              0,2          0,4          0,6          0,8          1,0          1,2          1,4          1,6          1,8        

Milliards  d

'hectares  

20  pays  les  plus  consommateurs  d’espace  et  espace  lié  aux  pertes  

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Il faut noter que 99% des pertes agricoles ont lieu dans des régions dont les sols sont soumis à une dégradation moyenne à forte. Ceci constitue un facteur particulièrement inquiétant.

4.4 Impacts sur la biodiversité

Cet impact n’est calculé que pour l’étape de la production agricole. Il est mesuré, au niveau des écosystèmes, par l’intensité de la déforestation due à l’agriculture, et au niveau des espèces par l’impact sur la liste rouge des mammifères, oiseaux et amphibiens menacés par l’agriculture. Dans la mesure où ces indicateurs ne peuvent être différenciés par type de production, on ne peut directement les relier à des taux de pertes, mais on met en évidence une tendance qualitative. L’intensité de la déforestation se situe dans des pays à bas revenu, principalement en Afrique tropicale et sub tropicale, en Asie de l’ouest et du sud-est et en Amérique latine. L’essentiel est dû aux productions agricoles plus qu’aux productions pour l’énergie qui représentent une part limitée de l’occupation de l’espace et de la biomasse produite (Matthijs et al., 2015). De même, la pression sur les espèces est majeure dans ces pays avec 44% d’espèces menacées dans les pays développés contre 72% dans les pays en développement. Les cultures ont en moyenne un impact deux fois plus important que l’élevage, du fait de l’usage des prairies mais avec une grande variabilité entre régions. Le lien avec les pertes montre un parallèle entre les pays à plus fort taux de pertes et ceux à impacts environnementaux. Par exemple, la production de céréales, source principale des pertes en volume, est aussi la menace principale sur la biodiversité (déforestation et espèces), essentiellement dans les zones tropicales. Par contraste, les légumes et fruits, source majeure des pertes, et avec une forte empreinte sur l’eau, représentent une menace moindre sur la biodiversité. Les pertes en viandes ont un fort impact en raison de leur consommation d’espace, contribuant pour 1/3 de celles des céréales aux menaces sur les espèces. 5. Impacts économiques Les données disponibles au niveau mondial correspondent aux prix des produits agricoles. Les pertes représentent 750 milliards de US$ (FAO 2013). La perte en bout de chaîne, au niveau du consommateur, est estimée à 2 à 3 fois plus, sans compter les coûts environnementaux et sociaux.

Figure 8 : Contribution de chaque catégorie de produits aux pertes (bleu) et au coût économique (magenta) en pourcentage

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Les légumes sont les plus gros contributeurs à ce coût (23% du coût total) suivis par la viande (21%), les fruits (19%) et les céréales (18%) (Figure 8). La part des pertes et gaspillages au niveau du consommateur peut être estimée à 600 milliards de US$ (Parry et al., 2015), soit 420 £ par foyer au Royaume Uni (Secondi et al., 2015). 6. Conclusion et pour aller plus loin Les impacts présentés montrent bien que l’enjeu est essentiel pour assurer une alimentation pour tous en 2050 sans conséquence majeure sur les ressources et l’environnement. Elles ne sont évidemment pas les seules mais, par rapport à une évolution des régimes alimentaires des consommateurs, probablement plus à notre portée qu’une augmentation massive de la production de biomasse par unité de surface ou qu’une augmentation des surfaces de terres cultivées. Les chiffres présentés ici sont, pour l’essentiel, issus de rapports FAO. Des estimations différentes des pertes existent dans les rapports UNEP, WRI (World Resource Institute), World Business Council on Sustainable Development. Ils pointent la nécessité de s’accorder sur les définitions et méthodes d’évaluation, en définissant un standard. Ce standard est la condition indispensable pour identifier les cibles les plus pertinentes et que celles-ci donnent lieu à des actions partagées par tous. Des résultats ont déjà été obtenus par les interventions au niveau du consommateur. Au Danemark, on a obtenu 25% de réduction de 2010 à 2015 par les distributeurs et les ménages, et en Grande Bretagne 24% des pertes évitables par foyer ont été économisées, soit 15% de réduction totale au niveau du consommateur, de 2007 à 2012 (ceci représente 210 US$ évités et 4,4 tonnes de gaz à effet de serre par foyer). Par ailleurs, peu de résultats existent sur l’origine des pertes au niveau agricole et de la première et seconde transformation. Elles sont spécifiques par filière et des estimations faites par l’INRA sont présentées dans ce numéro de la revue Innovations Agronomiques : fruits et légumes, céréales, porc, volailles, lait, poules et œufs, bovins viande, truite, oléagineux, protéagineux, vigne et vin. La réduction des pertes, une fois identifiées les cibles les plus pertinentes, devra faire appel à des innovations technologiques et organisationnelles, dans toute la chaîne de valeur, y compris la logistique. Le concept de bioéconomie, avec l’objectif d’une valorisation complète de la biomasse, pour des usages alimentaires et non alimentaires trouve ici toute sa place. Elle peut intervenir par des bioraffineries adaptées, ou par des usages en cascade des ressources. Références bibliographiques

Bernstad A., Andersson T., 2015. Food waste minimization from a life-cycle perspective. Journal of Environmental Management 147, 219-226

FAO, 2011. Global Food Losses and Waste. Extent, Causes and Prevention (available at http://www.fao.org/docrep/014/mb060e/mb060e00.pdf )

FAO, 2013a. Food wastage footprint: Impacts on natural resources. http://www.fao.org/docrep/018/i3347e/i3347e.pdf

FAO, 2013b, FAOSTAT, 2013. Food and Agriculture Organization of the United Nations. Statistics Division. Available at: http://faostat3.fao.org/home/E

FAO, FIDAM, PAM 2014, l’état de l’insécurité alimentaire mondiale

2011/2175 INI : www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do ?pubRef=-//EP//TEXT+TA+20120119  

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Hoekstra A.Y., Mekonnen M.M., 2012. The Water Footprint of Humanity. Proc. Natl. Acad. Sci. USA 109(9), 3232–3237.

Hörtenhuber S., Theurls M., Lindenthal T., Zollitsch W., 2012. Land use change – GHG Emissions from Food and Feedstuffs. In 8th International Conference on LCA in the Agri-food Sector, INRA Rennes, France

Mathijs E., Brunori G., Carus M., Griffon M., Last L., 2015. Sustainable Agriculture, Forestry and Fisheries in the Bioeconomy - A Challenge for Europe. 4th SCAR foresight Exercice, European Commission 141 p

Parry A., James K., LeRoux S., 2015. Strategies to achieve economic and environmental gains by reducing food waste. WRAP (British Waste and Resources Action Programme), Banbury, 61 pages

Plan anti gaspi : Agriculture.gouv.fr/anti-gaspi

Rapport Guillaume Garot : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/154000257/

Secondi L., Principato L., Laureti T., 2015. Household food waste behaviour in EU-27 countries: A multilevel analysis. Food Policy 56, 25-40 doi:10.1016/j.foodpol.2015.07.007

Tubiello F.N., Salvatore M., Rossi S., Ferrara A., Fitton N., Smith P., 2013. The FAO Stat Database of Green Gas Emissions from Agriculture. Environ. Res. Lett. 8(1). DOI: 10.1088/1748-9326/8/1/015009

Cet article est publié sous la licence Creative Commons (CC BY-NC-ND 3.0)

https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/3.0/fr/ Pour la citation et la reproduction de cet article, mentionner obligatoirement le titre de l'article, le nom de tous les auteurs, la mention de sa publication dans la revue « Innovations Agronomiques », la date de sa publication, et son URL)

 

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La méthodologie utilisée dans l’étude INRA pour l’analyse des pertes alimentaires dans les filières

Redlingshöfer B.1

1 INRA, Mission d’anticipation Recherche/Société & Développement durable (MaR/S), 147 rue de l’université, F-75338 Paris cedex 7 Correspondance : [email protected] Résumé

L’Inra a défini un cadre méthodologique commun pour permettre la réalisation de son étude transversale sur les pertes alimentaires. Quatre filières végétales et six filières animales ont été analysées. Ont été considérées comme des pertes alimentaires les denrées destinées à la consommation humaine, mais écartées, perdues ou retirées, exception faite de celles recyclées au travers d’une valorisation en alimentation animale (hors animaux de compagnie). Pour autant, les autres usages des denrées de moindre niveau hiérarchique de valorisation ont été qualifiées et dans la mesure du possible quantifiées, pour suivre le devenir des produits agricoles au fil de la chaîne alimentaire. Le périmètre choisi s’étendait de la récolte ou de l’enlèvement jusqu’à la mise à disposition au point de vente. Les réalisations inférieures à l’optimum recherché au stade de la production, ou « manques à produire », ont également été considérées pour relativiser leur importance par rapport à celle des pertes. Dans l’objectif de quantifier le taux de perte global par filière et produit, une difficulté majeure dans l’agrégation des denrées écartées, perdues ou retirées aux différentes étapes nécessite une solution méthodologique. Du fait de transformations de la matière brute agricole, la part de la fraction consommable dans la denrée alimentaire varie le long de la filière ce qui ne permet pas d’agréger des volumes de nature différente. Mots-clés : Pertes et gaspillages alimentaires, Cadre méthodologique, Quantification, Coproduits. Abstract: Methodology used at Inra to analyse food loss in supply chains Inra, in a transversal study approach, has defined a definition framework for the analysis of food loss in supply chains. Four plant supply chains and six animal supply chains have been analyzed. Food loss is defined as discarded or lost food products initially intended for human consumption, unless they are used for animal feed (excluding pet-food). Other recycling choices lower down in the waste hierarchy have been characterized and quantified as much as possible for discarded or lost food products, so that their final use or fate could be determined. The study’s scope went from harvest to the distribution stage. Shortfall in production compared to an optimum yield, although not considered as food loss, have been analyzed and compared for their relative importance. In order to quantifiy a total loss rate per supply chain (and product if possible), the difficulty of agregating discarded or lost food products at the different supply chain stages needs to be overcome. Due to processing of agricultural raw material prior to placing it on the market, the edible part of food varies along the supply chain which does not allow agregation of amounts that are different in nature. Keywords: Food loss and waste, Definition framework, Quantification, By-products

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1. Les enjeux de l’analyse qualitative et quantitative des pertes et gaspillages alimentaires et apports de l’étude Nombreux ont été ces dernières années les efforts pour décrire, analyser et comprendre les pertes et gaspillages alimentaires. Si les rapports foisonnent sur la description de situations engendrant pertes et gaspillages et sur leurs déterminants, peu de données quantitatives, de qualité, existent sur les volumes et la valeur en jeu, et encore moins des données spécifiques à des catégories de produits ou à des stades de filière, de la production agricole, en passant par la transformation, la distribution et la consommation finale. Les travaux souffrent non seulement d’un manque de données, mais, en premier lieu, d’une absence de cadre méthodologique harmonisé assurant la comparabilité des données issues de différents travaux. Sachant qu’il est « difficile de gérer ce qui n’est pas mesuré », différentes initiatives d’élaboration de standards ont vu le jour. Le projet de recherche européen FUSIONS (www.fusions-eu.org) a comme objectif d’élaborer d’ici 2016, pour l’Europe, un référentiel de quantification qui doit appuyer les pays membres dans le renseignement de statistiques sur les pertes et gaspillages alimentaires permettant de suivre leur évolution dans le cadre de politiques européennes de lutte contre les pertes et gaspillages alimentaires. Au niveau international, le Food Loss & Waste (FLW) Protocol, une initiative coordonnée par le World Resources Institute (WRI, 2015) est en cours. Fédérant autour de ce projet les expertises obtenues par les participants aux travaux déjà engagés (dont le WRAP, FUSIONS, la FAO) et l’œil neuf de nouveaux acteurs, ce projet veut devenir la référence internationale en matière méthodologique de quantification des pertes et gaspillages alimentaires. L’Inra a contribué à ce projet en mobilisant ses groupes filières, tant végétales qu’animales. L’étude transversale que les groupes filières1 ont réalisée apporte de nouvelles connaissances, pour la France, sur les pertes alimentaires à chaque étape des filières, de la production agricole à la distribution, sur les raisons imputables et sur le devenir de ces pertes. Dans la mesure du possible, les volumes en jeu sont également indiqués, avant de conclure sur les leviers d’action d’ores et déjà actionnables pour réduire ces pertes ainsi que sur les recherches qu’il conviendrait d’engager pour y contribuer plus efficacement. Dans le cadre de cette étude réalisée sur un large panel de filières, ce chapitre méthodologique vise à apporter tous les éléments nécessaires à une bonne compréhension de la méthode selon laquelle l’étude a été conduite : la définition des pertes alimentaires retenue pour l’étude, le périmètre d’étude, le choix des filières et les productions retenues pour une analyse approfondie, les méthodes de collecte de données et leur présentation sous forme de résultats. Nous mettons également en perspective la méthodologie de cette étude par rapport à celle qui sous-tend d’autres travaux de quantification des pertes et gaspillages alimentaires afin d’identifier, d’expliquer et donc de comprendre les différences de résultats. Dans la suite de l’étude, c’est le terme « perte alimentaire » qui sera utilisé, plutôt que « pertes et gaspillages alimentaires » ou « gaspillage alimentaire ».

                                                                                                               1 Les groupes filières de l’INRA sont structurés par grands types d’orientations productives des domaines végétal et animal. Ils ont une mission de veille scientifique et stratégique ainsi que de partage des résultats de recherche et recherche-développement. Ces groupes rassemblent des chercheurs et ingénieurs de l’institut et des agents d’organismes professionnels de la recherche-développement et du développement.

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2. Les définitions retenues dans l’étude Inra sur les pertes alimentaires 2.1 La définition des « pertes alimentaires »

2.1.1 Les pertes alimentaires dans l’étude Inra sont définies par les éléments suivants : (i) Ce qu’on appelle les pertes alimentaires concerne les denrées destinées à la consommation humaine, mais qui sont écartées ou perdues ou retirées tout au long des filières destinées à l’homme. Les termes « écarté » ou « perdu » désignent différentes actions par lesquelles les denrées quittent la filière destinée à la consommation humaine, mais n’induisent aucune différence à l’égard de la définition des pertes alimentaires. La définition ne tient compte d’aucune différentiation des pertes par rapport à leurs déterminants (d’ordre réglementaire, technique, organisationnel etc.) et leurs causes, seulement par rapport à leur devenir. (ii) Les parties inconsommables (inedible en Anglais) qui n’ont par définition pas d’usage en alimentation humaine (les sous-produits animaux ou les coproduits de la 1ère transformation végétale par exemple) ne sont pas considérées comme pertes alimentaires. Précisons que différents textes en Anglais distinguent à l’égard des pertes alimentaires les parties consommables et inconsommables (peaux, os, noyaux…) (edible/inedible). La FAO (2014) ne retient dans les pertes alimentaires que la partie consommable. Le projet européen FUSIONS inclut les parties consommables et inconsommables argumentant que les efforts vers une augmentation de l’efficience en ressources dans l’alimentation doivent aussi concerner la valorisation en alimentation animale ou en biomatériaux des parties inconsommables. (iii) Les denrées écartées (perdues, retirées…) de la consommation humaine mais valorisées dans l’alimentation du bétail et revenant indirectement, après conversion par l’animal, à la consommation humaine, ne sont pas considérées comme pertes alimentaires dans cette étude ; a contrario, des denrées alimentaires initialement destinées à être consommées par l’homme mais valorisées auprès d’animaux de compagnie sont des pertes alimentaires. La Figure 1 décrit dans un schéma simplifié les flux de ressources alimentaires qui passent par les stades successifs de la production agricole à la consommation, ainsi que les possibles devenirs de ressources non consommées par l’homme. La définition des pertes alimentaires de l’étude Inra y est visualisée.

2.1 La denrée alimentaire, objet pivot de la définition des « pertes alimentaires »

Nous utilisons le terme denrée alimentaire pour l’ensemble des ressources destinées à l’alimentation humaine, qu’elles soient à leur état brut (graines de céréales ou d’oléagineux, animal sur pied, etc.), semi-transformées (farine de céréale, carcasse d’animal, etc.) ou transformées en l’état prêt à préparer ou à consommer. Bien que les ressources à l’état brut puissent contenir encore, selon la denrée, des fractions inconsommables ou non destinées à la consommation humaine, par souci de simplification, les pertes sont quantifiées sur l’ensemble des fractions consommables et inconsommables/non-destinées à la consommation. Pour l’objectif de cette étude, nous considérons uniquement les denrées alimentaires destinées directement à la consommation humaine. En effet, les pertes de produits dans les filières destinées d’emblée à l’alimentation animale, à la production d’énergie, aux usages pharmaceutiques et cosmétiques ne font pas partie de l’étude. La traduction en Anglais de denrée alimentaire distingue bien celle pour l’homme (food) de celle pour l’animal (feed). Ainsi, les pertes dans les filières directement destinées à l’alimentation animale (feed waste) (nous verrons que les filières destinées à l’alimentation animale et humaine ne sont pas toujours distinguées de façon évidente, par exemple dans le cas du blé tendre) ou le fait de cultiver des plantes que l’Homme pourrait manger, pour l’alimentation des animaux, ne sont pas traitées comme des pertes alimentaires (food waste). Cette définition suppose toutefois que les filières à finalités distinctes soient aussi bien distinctes à partir de la production permettant ainsi

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d’isoler la filière alimentaire pour l’homme et l’analyser les pertes. En réalité, pour certaines ressources végétales (céréales, protéagineux par exemple) il convient de raisonner plutôt en « pool » disponible affectant l’orientation des ressources aux différents usages selon des cahiers des charges adaptés à la situation et au contexte économique du moment.

Figure 1 : La définition des pertes alimentaires de l’étude Inra intégrée dans un schéma simplifié de filière. Adapté de FUSIONS Definition framework (2014)

Nous nous appuyons sur la définition de la denrée alimentaire utilisée dans les textes européens encadrant les dispositions de base mises en place pour assurer la protection de la santé des consommateurs (Règlement CE n° 178/2002) (Encadré 1). Il va de soi que ce qui est considéré comme denrée alimentaire dans une population dépend de sa culture alimentaire mais aussi de contraintes (pénurie, précarité,…) et bien sûr de l’offre2. Des différences dans le choix de végétaux et d’animaux pour l’alimentation sont observées non seulement entre populations du monde entier, mais aussi, dans une moindre mesure, au sein de l’Europe. Une application stricte de cette définition induirait (voir points 2 et 3) que les animaux et les plantes en croissance et avant leur récolte/leur abattage ne seraient pas à intégrer dans le périmètre de l’étude. Cependant, il nous a semblé pertinent d’élargir l’analyse au stade où la plante est prête à être récoltée et l’animal prêt à être abattu, le poisson prêt à être capturé, le lait prêt à être tiré du pis, etc. Ce stade constituant une phase critique au regard des pertes (par exemple non-récolte en fruits/légumes/pommes de terre, verse en champ céréalier, la mortalité des animaux au cours de leur enlèvement, etc).

                                                                                                               2 Les Novel foods par exemple élargissent l’offre alimentaire européenne (Règlement (CE) n° 258/97 du Parlement européen et du Conseil du 27 janvier 1997 relatif aux nouveaux aliments et aux nouveaux ingrédients alimentaires.

 

 

 

 

 

 

 Transformation    

Production  agricole  avant  récolte    

Distribution  (commerce  de  gros  et  de  détail)    

Préparation  et  consommation  (à  domicile  et  hors  foyer)    

Filières  de  l’alimentation  animale  et  autres  usages    

Filières  destinées  à  la  consommation  humaine    

Denrées  alimentaires,  à  l’état  brut  ou  transformées,  écartées,  retirées  ou  perdues  etc.    

   

Parties  non  destinées  à  la  consommation  humaine  et  séparées  (p.ex.  coproduits  de  la  1ère  transformation)  

Alimentation  pour  animaux  de  compagnie,  biomatériaux,  compost,  

non-­‐récolte/retournée  au  sol,    méthanisation,    bioénergie,  incinération,  

mise  en  décharge,  eaux  usées  

Don,  transformation,  Alimentation  des  animaux  d’élevage  

Pertes  alimentaires  

Périmètre  de    

l’étude  Inra    

Production  agricole  prête  à  la  récolte    

Stockagetransport  

Récolte  

Ecarts  et  devenirs  possibles    

 

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Méthodologie de l’analyse Inra

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Encadré 1 Définition de la denrée alimentaire destinée à l’homme (Règlement (CE) n° 178/2002) « Une denrée alimentaire est « toute substance ou produit, transformé, partiellement transformé ou non transformé, destiné à être ingéré ou raisonnablement susceptible d'être ingéré par l'être humain. Ce terme recouvre les boissons, les gommes à mâcher et toute substance, y compris l'eau, intégrée intentionnellement dans les denrées alimentaires au cours de leur fabrication, de leur préparation ou de leur traitement. Il inclut l'eau au point de conformité défini à l'article 6 de la directive 98/83/CE, sans préjudice des exigences des directives 80/778/CEE et 98/83/CE » ; le terme « denrée alimentaire » ne couvre pas :

1) les aliments pour animaux ; 2) les animaux vivants à moins qu'ils ne soient préparés en vue de la consommation humaine ; 3) les plantes avant leur récolte ; 4) les médicaments au sens des directives 65/65/CEE(1) et 92/73/CEE du Conseil (2) ; 5) les cosmétiques au sens de la directive 76/768/CEE du Conseil(3) ; 6) le tabac et les produits du tabac au sens de la directive 89/622/CEE du Conseil (4) ; 7) les stupéfiants et les substances psychotropes au sens de la Convention unique des Nations unies sur les stupéfiants de 1961 et de la Convention des Nations unies sur les substances psychotropes de 1971 ; 8) les résidus et contaminants. 2.2 Le rôle de la hiérarchie des usages de denrées alimentaires dans la

définition des pertes alimentaires, la place de la valorisation en alimentation animale

Selon la directive-cadre européenne (2008/98/CE) du 19 novembre 2008 relative aux déchets, leur prévention à la source doit être l’action prioritaire devant toutes formes de réutilisation, de réemploi et de recyclage, l’élimination par mise en décharge ou incinération étant à proscrire (hiérarchie des usages). Appliquée aux denrées alimentaires, cette hiérarchie a été interprétée par Moermann (Ministery of Agriculture, Nature and Food Quality, 2010) (Figure 2) en définissant un ordre préférentiel de pratiques de valorisation. L’usage en alimentation humaine doit rester l’action prioritaire : par prévention à la source, réutilisation par don alimentaire et par transformation. Ensuite vient dans l’ordre la valorisation sous forme d’alimentation animale (sans préciser si l’alimentation animale s’applique aux animaux de bétail, aux animaux de compagnie ou aux deux catégories), de biomatériaux, de substrat de méthanisation, de compostage et, enfin, de production d’énergie. L’incinération et la mise en décharge sont citées comme dernières options. Une hiérarchie similaire mais simplifiée est proposée par l’Agence américaine de la protection de l’environnement (EPA, 2015) et reprise par le rapport de Guillaume Garot sur des propositions de politique publique en matière de lutte contre le gaspillage alimentaire (Garot, 2014).

Prévention (éviter les pertes et gaspillages) Utilisation pour l’alimentation humaine (par ex. via les banques alimentaires)

Transformation pour l’alimentation humaine Utilisation en alimentation animale

Utilisation des matières en industrie (bio-ressources) Méthanisation en vue de l’obtention de matières fertilisantes et d’énergie

Compostage en vue d’obtention de matières fertilisantes Utilisation en vue d’obtention d’une énergie « durable »

Incinération (avec ou sans récupération d’énergie) Mise en décharge

Figure 2 : L’échelle de Moermann précisant la hiérarchie des actions de prévention et de valorisation des pertes et gaspillages alimentaires (Ministery of Agriculture, Nature and Food Quality, 2010) Selon la définition des pertes alimentaires de l’étude Inra, la valorisation en alimentation du bétail de denrées écartées, retirées ou perdues n’est pas considérée comme contribuant aux pertes alimentaires,

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du fait que ces ressources contribuent à nourrir du bétail qui lui-même contribue à nourrir l’homme (cf point 5.2). 3. Le périmètre de l’étude La filière est constituée d’un enchaînement d’opérations (production, collecte, conditionnement, transports, transformation, distribution, préparation, consommation…) conduisant à mettre à disposition et permettant la consommation par l’homme d’une denrée alimentaire. Dans le cadre de l’étude, - Le stade initial du périmètre est fixé là où la denrée alimentaire est prête à être récoltée (la céréale

prête à être moissonnée, l’animal prêt à être abattu, le lait à être tiré du pis, etc.) pour intégrer l’enchaînement des opérations successives de la filière.

- La fin du périmètre est fixée là où la denrée alimentaire est disponible aux points de vente destinés au consommateur final (commerce de détail).

Toutefois, afin d’obtenir une vision élargie des matières traitées par les filières et en complément à l’analyse des pertes alimentaires, nous avons décidé de documenter deux aspects supplémentaires : - Les réalisations inférieures par rapport à l’optimum recherché au stade de la production, qualifiées

de « manques à produire ». - La valorisation des coproduits de transformation selon une hiérarchie d’usages.

4. Choix des filières et des productions analysées Les filières analysées sous l’angle des pertes alimentaires et les productions retenues pour une analyse approfondie sont présentées au Tableau 1. Tableau 1 : Choix des filières et des productions analysées.

Dans l’étude, les pertes alimentaires sont exprimées en masse (unité kilogramme ou tonne) de la matière brute. L’analyse des pertes exprimées en d’autres mesures, par exemple nutritionnelle ou économique (cf point 6.3) devra compléter nos résultats, mais n’a pas été réalisée dans le cadre de cette étude.

Filière Productions Végétales Céréales Blé tendre, blé dur, maïs, orge, riz, amidon (maïs, blé)

Oléagineux Tournesol, soja, colza

Fruits, légumes et pommes de terre Haricot vert, tomate fraîche, salade 4ème gamme, melon, pêche, pomme en frais, pomme à cidre, pomme de terre de consommation

Protéagineux (les légumes secs n’ont pas été analysés) Pois, féverole, lupin

Animales Lait Lait de vache Œuf Œufs de poules Viande bovine Bovins allaitants et laitiers Viande porcine Porc charcutier Viandes de volaille Poulet de chair, poules (et reproducteurs) de réforme Viandes ovine et caprine Agneaux allaitants et laitiers Pisciculture Truite

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5. Eléments de discussion sur les choix méthodologiques effectués 5.1 La distinction entre consommable et inconsommable

La définition de la denrée alimentaire précise qu’elle doit au minimum être raisonnablement susceptible d’être ingérée par l’homme. Mais pour certaines parties d’une denrée considérée comme alimentaire, cette aptitude à l’ingestion peut être difficile à établir dans l’absolu. A titre d’illustration, pour certaines personnes et selon certaines préparations, les épluchures de légumes ou de pommes de terre sont consommables, pour d’autres non. Il en est de même pour certaines parties du cinquième quartier de l’animal : si les abats rouges sont encore consommés en France, d’autres parties, comme les abats blancs, le sont beaucoup moins ou plus du tout. Dans le cadre de l’étude, nous avons retenu une acception culturelle plus qu’une acception physiologique du caractère consommable ou non. L’existence ou non de marchés destinés à l’alimentation humaine permet de guider ce choix. On va par exemple considérer dans l’étude que les issues de meunerie (sons et remoulages) des graines de céréales sont inconsommables, bien que le son de blé existe comme produit diététique et la filière boulangerie utilise une faible part de sons pour enrichir des farines et des pains. Toutefois, la part dominante des issues est utilisée en alimentation du bétail. L’absence d’un marché en alimentation humaine justifie pour nous que l’utilisation des issues de meunerie en alimentation du bétail ne soit pas considérée comme pertes alimentaires. Le Tableau 2 en présente un aperçu. Tableau 2 : Classement des denrées alimentaires destinées à l’alimentation humaine et de leurs parties sans usage alimentaire pour l’homme selon les filières.

Filière Denrée alimentaire à l’état brut

Denrée alimentaire à l’état semi-transformé ou transformé

Parties sans usage alimentaire pour l’homme

Céréales Graines de céréales Farine, produits céréaliers Issues de meunerie (sons et remoulages)*

Oléagineux Graines d’oléagineux Huile végétale Tourteaux d’oléagineux** Fruits, légumes et pommes de terre

Fruits, légumes et pommes de terre

Fruits, légumes et pommes de terre transformés (jus, compotes, produits en conserve ou surgelés etc.)

Epluchures, peaux, résidus de transformation

Protéagineux (les légumes secs n’ont pas été analysés)

Graines de protéagineux Graines dépelliculées, produits transformés en ingrédients

Sons

Ponte Œufs en coquille Ovoproduits Coquille Viandes (bovine, porcine, de volaille, ovine et caprine)

Animal sur pied Carcasse, pièces de viande avec ou sans os, parties consommées du 5ème quartier (abats rouges et, dans une moindre mesure, blancs)

5ème quartier de l’animal (cuirs, phanères et abats) à l’exception des abats pour lesquels un marché alimentaire pour l’homme existe ; os et tendons, …

Pisciculture Poisson Chair de poisson Tête et peau, squelette, viscères,…

Lait Lait Lait, produits issus du lait, lactoserum***

* Existence d’un petit marché de valorisation des sons en produit diététique ou pour la panification ** Des procédés d’isolation de protéines à bonne valeur nutritionnelle pour l’homme sont en cours de développement. *** Le développement important des poudres infantiles destinées à des marchés d’exportation ne justifie plus de considérer le lactosérum comme un coproduit dans la mesure où il constitue un ingrédient majeur de ces poudres, et ce bien que son usage en alimentation animale reste majoritaire.

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Toutefois, la question se pose de savoir selon quels critères on qualifie une ressource alimentaire comme inconsommable. Dans certains cas, l’usage en alimentation humaine, du moins pour ce qui est du marché intérieur français, est en régression ou est même devenu marginal. Plusieurs raisons existent : les changements de préférences des consommateurs pour des raisons de goût (par exemple en défaveur des abats et de certaines tubercules), de praticité (par exemple en défaveur des poules de réforme et des légumes secs), quand ce n’est d’esthétique (fruits tâchés ou tordus par exemple), changement de systèmes de production induisant des produits secondaires peu ou pas rémunérateurs sur le marché. Différents cas comme les poules pondeuses et reproductrices de réforme, la viande de chèvre et les poussins mâles illustrent que sous la double injonction de préférences alimentaires changeantes et du coût élevé de finition de l’animal, des denrées peuvent devenir quasi insignifiantes dans la consommation alimentaire des Français. Globalement, l’abondance alimentaire en France comme dans d’autres pays du Nord permet aux acteurs du système alimentaire d’être plus sélectifs sur le choix des produits alimentaires. Pour une discussion plus approfondie des critères de choix d’une ressource ou d’une fraction comme alimentaire, le rapport FUSIONS Definitional Framework for Food Waste (FUSIONS, 2014) apporte des précisions.

5.2 Pourquoi la valorisation des denrées alimentaires en alimentation du bétail n’est pas considérée comme une perte alimentaire dans l’étude Inra

Selon la définition des pertes alimentaires de l’étude Inra, la valorisation en alimentation du bétail de denrées écartées, retirées ou perdues n’est pas considérée comme contribuant aux pertes alimentaires. Bien que la conversion par l’animal puisse dans certains cas être peu efficiente (facteurs de conversion variables selon l’espèce, soit approximativement de 1 à 4 kg d’aliment consommé par kg de gain de poids vif chez les poissons et les bovins, respectivement), elle a néanmoins une longue tradition de mise en œuvre et permet de tirer un bénéfice de ces denrées alimentaires écartées qui n’ont plus leur valeur élevée initiale. L’approche européenne via le projet FUSIONS a adopté la même position (FUSIONS, 2014). D’autres, comme la FAO (2014) ou le FLW Protocol ne partagent pas cette position et n’excluent de la définition aucun autre usage de denrées alimentaires initialement destinées à l’homme : toute nourriture écartée, retirée ou perdue est perte alimentaire. Rappelons ici que ces approches, que ce soit celle de FUSIONS, de la FAO ou du FLW Protocol, relient les pertes alimentaires exclusivement aux filières initialement destinées à la consommation humaine, et non animale. Une comparaison de la définition retenue de l’étude Inra avec d’autres définitions importantes (FUSIONS, FAO, FLW protocole) est présentée en Tableau 3. Par analogie avec ce choix réalisé, la pertinence d’exclure d’autres usages de denrées alimentaires écartées ou retirées des filières destinées à la consommation humaine peut se discuter. Ainsi le projet européen FUSIONS ne considère pas non plus comme pertes la valorisation en biomatériaux. Selon l’objectif que l’on poursuit, celui de sécurité alimentaire ou de bioéconomie et d’économie circulaire, un choix ou un autre est défendu.

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Tableau 3 : Comparaison de la définition retenue pour « pertes et gaspillages alimentaires » selon l’étude

. Définition étude Inra: pertes alimentaires

Définition FAO : food loss

Définition FLW standard

Définition FUSIONS: food waste

Approche et positionnement Système alimentaire

Sécurité alimentaire mondiale

Meilleure gestion de la nourriture non-consommée

Efficience en ressources du système alimentaire (européen)

Périmètre : Le système de production agricole destinée à l’alimentation humaine (food)

x X X X

Début du périmètre : Produit prêt à être récolté/abattu/capturé

x x x x

Non-prise en compte d’autres usages initiaux de la production agricole (filières alimentation animale (feed), biocarburant etc. )

x X X x

La définition ne retient pas la valorisation de denrées alimentaires… …comme pertes et gaspillages alimentaires

… en alimentation animale des animaux d’élevage seulement (hors animaux de compagnie)

Non, aucune valorisation n’est exclue de la définition

Non, aucune valorisation n’est exclue de la définition

… en alimentation animale et en bioéconomie…

Terminologie (en anglais) Food loss Food loss (waste est une partie de loss)

Food loss and waste

Food waste

Les parties consommables et inconsommables (edible/inedible) sont considérées comme pertes et gaspillages alimentaires

Seulement la partie consommable*

Seulement la partie consommable

oui oui

Source : compilation de l’auteur * Certaines fractions inconsommables font techniquement partie des denrées et sont quantifiées ensemble. Une fois séparées, elles ne sont pas considérées comme une perte alimentaire.

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6. Questionnements sur la pertinence du concept de pertes alimentaires 6.1 Les choix de valorisation obéissent à des lois de valeur et non de matière

Les utilisations technologiques de la biomasse agricole et alimentaire, animale et végétale, font l’objet de vastes recherches et s’inscrivent dans les perspectives de la bioéconomie et de la préparation d’une société se libérant de la dépendance au carbone fossile. Galanakis (2015) fait l’inventaire complet des technologies de transformation établies et émergentes de la biomasse issues des denrées alimentaires. Il y est question d’extraction de molécules à haute valeur fonctionnelle, ne représentant que de faibles % massiques, générant une biomasse résiduelle à moindre valeur qui cherche à être valorisée (effet de cascade). On constate que ces applications visent en premier lieu les co-produits de transformation, matières assez homogènes et disponibles de façon planifiable. La valorisation industrielle à haute valeur des denrées écartées et retirées nécessite encore de lever des obstacles. Comment positionner ce qui est pertes et gaspillages alimentaires par rapport à ces lois de valeur ? Faut-il considérer les applications pharmaceutiques/cosmétiques de composants du lactosérum ou d’ovoproduits comme pertes et gaspillage du fait que leur utilisation en alimentation humaine devrait être prioritaire ? En d’autres termes, quelles sont les limites à une valorisation par cascade selon l’unique objectif de sécurité alimentaire ? 6.2 Le cas particulier des sous-réalisations par rapport à l’optimum recherché

au stade de la production (manques à produire) Par définition, les pertes alimentaires ne concernent pas les plantes et animaux en phase de croissance et loin de leur stade de maturité ou, dit autrement, prêts pour la récolte ou l’abattage. Toutefois, certains travaux font référence à des pertes à ce stade de la production (par exemple liées à la mortalité des animaux ou dues aux ravageurs) (Strid, 2014 ; Gustavsson et al., 2011). Ces pertes s’expriment par des pertes de rendements en culture végétale, par une baisse de production d’un animal (baisse de ponte, baisse de lactation) ou par la mortalité d’animaux aux différents âges. Ces phénomènes ont été dénommés « manques à produire ». Bien que ces manques à produire soient d’une nature différente de celle des pertes alimentaires, ils ont été analysés dans le cadre de l’étude. Cette thématique complémentaire à celle des pertes alimentaires peut contribuer à l’identification d’objets de recherche dont la finalité est, tout comme celle des pertes alimentaires, d’orienter les filières vers des formes plus efficientes en termes d’offre alimentaire (à optimiser), de consommation de ressources et d’impacts environnementaux (à minimiser). Dans certaines filières végétales, comme la pomme de terre par exemple, il peut d’ailleurs être délicat de fixer la frontière entre stade de croissance et stade de maturité/aptitude à la récolte. 6.3 Le calcul et l’aggrégation des quantités de pertes alimentaires le long de la

filière pose un problème méthodologique

Sur le plan de la méthodologie de quantification, certains choix doivent être faits filière par filière : - Choix de l’unité d’expression des pertes en fonction de la nature des produits alimentaires et le cas

échéant du stade de la filière : en masse (cas le plus général), en volume (pour les liquides), en valeur (par exemple dans la distribution),

- Choix de la matière renseignée en fonction des données disponibles : matière brute, matière sèche, contenu en nutriments (protéine, lipides, micronutriments p.ex.), valeur énergétique.

L’agrégation des quantités de pertes est problématique, car en fonction du stade de la filière auquel on perd les denrées, la matière change de composition et l’addition de ses différentes formes n’est pas nécessairement pertinente. Dans les filières animales par exemple, la perte au stade agricole concerne un animal sur pied, alors qu’au stade de l’abattage puis de la découpe, elle s’applique à une carcasse puis à des pièces découpées. Dans les filières végétales par exemple, la perte de blé tendre au champ concerne des graines entières, alors qu’en meunerie et boulangerie elle ne concerne que la farine et en

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distribution le produit final, le pain. D’une manière générale, la fraction consommable tend à s’accroître au fur et à mesure des processus de transformation, car la matière brute agricole est transformée et préparée avant sa mise sur le marché. Des parties inconsommables des denrées sont souvent déjà enlevées à la première transformation (voir Tableau 2). Dans l’étude Inra, nous présentons donc le détail des pertes alimentaires par stade. Dans certains cas, des agrégations ont été réalisées en complément, avec les réserves d’usage. Lorsque la partie inconsommable n’a pas encore été séparée, elle est sujette à la quantification des pertes de la denrée dans son ensemble. Conclusion

La diversité d’approches du concept de pertes et gaspillages alimentaires et la variation dans les résultats quantifiés nous a amenés à expliciter le plus précisément possible la définition des pertes alimentaires et les limites du système retenues pour cette étude des groupes filières de l’Inra. Ces précisions permettent au lecteur de l’étude Inra d’être très clair sur la façon dont nous avons considéré les pertes alimentaires et les avons qualifiées et quantifiées, ainsi que sur les raisons qui sous-tendent ces choix. Sur la base des précisions apportées, d’autres concepts de pertes et gaspillages alimentaires (selon le projet FUSIONS, selon la FAO,…) peuvent être appliqués à l’organisation et au traitement de nos données de pertes, dans une perspective de comparaison par exemple. A terme, il sera indispensable qu’un cadre méthodologique de référence soit disponible et accepté afin de permettre la comparaison des données et leur suivi dans le temps. Références bibliographiques EPA, 2015. http://www2.epa.gov/sustainable-management-food/food-recovery-hierarchy Galanakis C. (ed), 2015. Food Waste Recovery, Processing Technologies and Industrial Techniques. Elsevier. 412 pages. FAO, 2014. Definitional Framework of Food Loss. Working paper. Food and Agriculture Organization of the United Nations. Rome, Italie, 18 pages. FUSIONS, 2014. FUSIONS Definitional Framework for Food Waste. Rapport. 134 pages. Garot G., 2015. Lutte contre le gaspillage alimentaire: propositions pour une politique publique. Paris. Rapport. 100 pages. Gustavsson J., Cederberg C., Sonesson U., van Otterdijk R., Meybeck A., 2011. Global food losses and food waste. Food and Agriculture Organization of the United Nations. Rome, Italie. Ministery of Agriculture, Nature and Food Quality, 2010. Fact Sheet: Food Waste in the Netherlands. 6 pages.http://www.scp-knowledge.eu/sites/default/files/knowledge/attachments/LNV%20-%20Factsheet%20drieluik%20A4%20Voedselverspilling%20Eng.pdf Règlement (CE) n° 178/2002 du Parlement Européen et du Conseil du 28 janvier 2002 établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l'Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2002:031:0001:0024:fr:PDF

Strid I., 2014. Example from using LCA to evaluate retail food waste reduction options. Présentation orale au workshop COST Food Waste in the European Food Supply Chain: Challenges and Opportunities. 12-13 Mai 2014, Athènes, Grèce.

WRI, 2015. Food Loss & Waste Protocol. http://www.wri.org/our-work/project/food-loss-waste-protocol

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B. Redlingshöfer

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Etat des lieux et leviers pour réduire les pertes alimentaires dans les filières françaises

Redlingshöfer B.1, Coudurier B.2, Georget M.2

1 INRA, MaR/S, 147 rue de l’Université, F- 75338 Paris cedex 07 2 INRA CODIR, 147 rue de l’Université, F-75338 Paris cedex 07 Correspondance : [email protected] Résumé A ce jour, peu de données existent sur l’ampleur des pertes alimentaires aux stades amont des filières, en France, en Europe et au-delà. L’étude transversale de l’Inra réalisée par ses Groupes Filières a comme objectif d’apporter des connaissances, pour la France, sur les pertes alimentaires, aux stades de la production agricole jusqu’à la distribution, sur les raisons imputables et sur le devenir de ces pertes. Les leviers d’action d’ores et déjà actionnables pour réduire ces pertes sont identifiés ainsi que les recherches qu’il conviendrait d’engager pour y contribuer plus efficacement. Quatre filières végétales (céréales ; protéagineux ; oléagineux ; fruits, légumes et pommes de terre) et six filières animales (lait ; œuf ; viande bovine ; viande ovine ; viande porcine ; poulet de chair et poule de réforme ; truite) ont été analysées. Dans l’étude, les pertes alimentaires sont définies comme étant les denrées destinées à la consommation humaine, mais écartées, perdues ou retirées, exception faite de celles recyclées au travers d’une valorisation en alimentation animale (hors animaux de compagnie). L’analyse montre une répartition diffuse des pertes dans les filières. Tous les stades peuvent être concernés, et leur importance à l’égard des pertes varie selon la filière. Globalement, les pertes à la production agricole (pertes à la récolte, non-récolte, écarts de tri par exemple) sont plus importantes en production végétale (2-6% en grandes cultures, 9% en fruits et légumes, et pommes de terre) qu’en élevage (par exemple 1% en lait de vache, 0,5% pour œuf, moins de 1% pour les viandes). Dans les filières viande, les retraits pour raison sanitaire et pour consommation seulement partielle de morceaux moins nobles, comme les abats, interviennent au stade abattage/découpe. Un ordre de grandeur de 5 -10% de pertes allant jusqu’à environ 12% pour la pomme de terre et les fruits et légumes, de la production à la transformation (distribution pour les fruits et légumes), peut être avancé au regard des résultats de l’étude. Les filières végétales tendent à se situer dans la fourchette haute, et ceci malgré le fait que leurs écarts soient en partie valorisés en alimentation d’animaux d’élevage ce qui conduit à limiter les pertes selon notre définition. Face à la complexité des modalités de valorisation et de transformation dans certaines filières, la connaissance des pertes est difficile. Le devenir des volumes retirés, écartés ou perdus au niveau de la filière n’est pas toujours connu ou communiqué. Globalement, l’étude s’est heurtée au caractère confidentiel des données d’entreprises et de leurs représentants professionnels. La difficulté de la quantification des pertes n’empêche pourtant pas l’identification de leviers en vue de leur réduction. Ils sont d’ordre technique (amélioration génétique, optimisation du matériel de récolte, des procédés de transformation et du nettoyage etc.), organisationnels (meilleure coordination entre offre et demande, etc.), règlementaires (dates de péremption, etc.) et au niveau des normes sociales (exigences des consommateurs ayant un impact sur les pertes aux stades amont, par exemple). Pour certains d’entre eux, des recherches complémentaires sont nécessaires. Mots clés : pertes alimentaires, filières végétales, filières animales, quantification

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Abstract: State of the art and levers for reducing food losses in French supply chains Data on the extent of food loss at the upstream stages of supply chains is currently scarce, in France, in Europe and abroad. This study conducted by Inra working groups organized according to product supply chains has several aims: obtain knowledge, for France, on the extent of food loss, from primary production to retail, on its determinants and fate. The study identified reduction measures to be implemented, and research gaps to be closed in order to support food loss reduction. Four plant supply chains (cereals, pulses, oil crops, fruits/vegetables/potatoes) and six animal supply chains (milk, egg, beef, lamb, pork, broiler chicken and spent hens, and trout) have been analyzed. In this study, food loss is defined as discarded or lost food products initially intended for human consumption, unless they are used for animal feed (excluding pet-food). Results show a diffuse distribution of food loss across the supply chains. All stages seem to be concerned; their role with regard to food loss varies between product supply chains. Overall, losses at primary production (losses at harvest, decision against harvest, discard at harvest, for example) are more important in plant supply chains (2-6% in cereals, pulses and oil crops; 9% in fruits and vegetables, and potatoes) than in animal supply chains (for example 1% of cow milk, 0,5% for eggs, less than 1% for meat). In meat supply chains, discard due to safety reasons and only partial consumption of less nobles meat pieces, like offal, determine food loss at slaughter and cutting. Based on our study results, a range of 5-10% food loss with up to 12% for fruits, vegetables and potatoes, from production to processing (to distribution for fruits and vegetables) can be assumed. Plant supply chains tend to perform in the upper range and this despite the fact that discards are partly used to feed farm animal which in turn diminishes food loss, according to our definition. With regard to complexity of transformation pathways in some supply chains, food loss data is difficult to obtain. The fate of discarded or lost amounts is not always available at the sector level. Overall, the study faced the problem of the confidential character of data from business or professional representatives. Quantification difficulties, however, do not prevent from identifying loss reduction measures. These are of different nature: technical (progress on breeding and genetics, optimization of material for harvest, for processing and cleaning etc.), organizational (improved coordination of supply and demand, etc.), regulatory (expiry dates, etc.) and social and cultural standards (consumer expectations determining food loss at downstream stages for example). For some of these measures, further research is necessary. Keywords: food loss, plant supply chain, animal supply chain, quantification Introduction Nombreux ont été ces dernières années les efforts pour décrire, analyser et comprendre les pertes et gaspillages alimentaires. Si les rapports foisonnent sur la description de situations engendrant pertes et gaspillages et sur leurs déterminants, peu de données quantitatives, de qualité, existent sur les volumes et la valeur en jeu, et encore moins des données spécifiques à des catégories de produits ou à des stades spécifiques de filière (production agricole, transformation, distribution, consommation). L’absence de données solides est criante pour la production agricole, les opérations post-récolte, la première transformation, comme les rapports globaux (Gustavsson et al., 2011 ; Lipinski et al., 2013 ; HLPE, 2014) ne cessent de le rappeler jusqu’à ce qu’ils écartent le stade agricole des analyses de pertes (Monier et al., 2010). Malgré cette situation, des estimations sommaires ont été extrapolées à une variété de situations géographiques, techniques et socio-économiques, notamment par la FAO dans le cadre d’un rapport qui fait aujourd’hui référence (Gustavsson et al., 2011). A titre d’exemple, pour l’Europe, ce rapport indique 20% de pertes dans les secteurs des fruits et légumes et des pommes

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de terre, et 10% pour les oléagineux, pour le seul stade de la production. Tenant compte des secteurs jusqu’à la transformation, le rapport permet d’avancer des pertes globales respectives de 26% pour les fruits et légumes, de 38% pour les pommes de terre et de 16% pour les oléagineux (calculs sur la base de Gustavsson et al., 2011). Considérant qu’il est nécessaire, pour pouvoir réduire les pertes, de disposer d’une base de connaissances solides, l’Inra a confié à ses groupes « filières » (groupes constitués de chercheurs et d’ingénieurs de l’Institut et des agents d’organismes professionnels de la recherche-développement et du développement qui ont une mission de veille scientifique et stratégique ainsi que de partage des résultats de recherche et recherche-développement ) une étude visant à préciser les stades critiques au regard des pertes alimentaires, les raisons de ces pertes et leur devenir. Dans la mesure du possible les volumes en jeu ont été mentionnés. Il s’agissait enfin d’analyser les leviers d’ores et déjà actionnables pour réduire ces pertes ainsi que les recherches qu’il conviendrait d’engager pour y contribuer plus efficacement. Cet article dédié à l’analyse transversale des pertes alimentaires dans les filières agricoles et alimentaires s’attache à décrire les éléments d’analyse saillants à la fois sur les causes et déterminants des pertes et les solutions possibles de leur réduction. 1. Méthode de l’étude

1.1 Définition des pertes alimentaires et spécificités des filières végétales et animales par rapport à cette définition

Les pertes alimentaires dans l’étude Inra sont définies par les éléments suivants : (i) On appelle les pertes alimentaires les denrées destinées à la consommation humaine, mais qui sont écartées ou perdues ou retirées tout au long des filières. (ii) Les parties inconsommables (inedible en anglais) qui n’ont par définition pas d’usage en alimentation humaine ne sont pas considérées comme pertes alimentaires (les noyaux des fruits par exemple, la partie inconsommable du 5ème quartier des animaux ou les coproduits de la première transformation végétale par exemple). (iii) Les denrées écartées (perdues, retirées…) de la consommation humaine mais valorisées dans l’alimentation d’animaux d’élevage et revenant indirectement, après conversion par l’animal, à la consommation humaine, ne sont pas considérées comme pertes alimentaires dans cette étude ; a contrario, des denrées alimentaires initialement destinées à être consommées par l’homme mais valorisées auprès d’animaux de compagnie sont des pertes alimentaires. L’alignement avec la définition du projet FUSIONS ou avec d’autres études et une présentation du cadre méthodologique de l’étude sont détaillés dans une publication dédiée (Redlingshöfer, 2015).

1.2 Choix des filières et des productions analysées et leurs spécificités par rapport aux pertes alimentaires

Les principales filières agricoles et alimentaires ont été analysées dans le cadre de l’étude (Tableau 1). Certaines filières n’ont pas été prises en compte car elles ne se situent pas dans le champ de compétences de l’Inra – cas des produits de la mer dont la pêche maritime -, ou parce que leur contribution à la consommation alimentaire française est modeste - cas du cheval et du lapin. Au sein des filières, les productions ont été sélectionnées sur la base de leur importance ou de leur caractère illustratif. Dans les filières animales par exemple, les viandes les plus couramment consommées ont été retenues. Cependant, le cas des poules pondeuses, coproduit économiquement secondaire de la ponte d’œufs de consommation, a été analysé pour illustrer une situation dans laquelle un produit alimentaire contribue essentiellement à la consommation humaine de pays importateurs.

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Tableau 1 : Choix des filières et des productions analysées dans le cadre de l’étude Inra sur les pertes alimentaires

Filière Productions considérées Productions non considérées

Végé

tales

Céréales Blé tendre, blé dur, maïs, orge, riz, amidon (maïs, blé)

sorgho, avoine, épeautre

Oléagineux Tournesol, soja, lin, colza Olive, noix de palme, noix, pépin de raisin, arachide, germe de maïs, noisette, chanvre, moutarde

Fruits, légumes et pommes de terre

Haricot vert, tomate fraîche, salade 4ème gamme, melon, pêche, pomme en frais, pomme à cidre, pomme de terre de consommation*

Protéagineux** Pois, féverole, lupin

Anim

ales

Lait Lait de vache Lait de chèvre, de brebis (sauf mention des spécificités)

Œuf Œufs de poules Œufs de caille Viande bovine Tous veaux et gros bovins

allaitants et laitiers

Viande porcine Porc charcutier Truie de réforme Viandes de volaille Poulet de chair, poules (et

reproducteurs) de réforme Dinde Canards et espèces de diversification

Viandes ovine et caprine

Agneaux allaitants et laitiers Ovins et caprins de réforme (sauf mention des spécificités)

Piscicole Truite arc-en-ciel Autres espèces de pisciculture (sauf mention des spécificités)

* Compte-tenu de la diversité des productions et des modes de transformation et/ou de commercialisation, 9 productions françaises illustratives ont été sélectionnées pour l’analyse. De nombreux fruits et légumes peuvent être assimilés à ceux qui ont été sélectionnés. ** Il existe en France une production d’autres espèces de légumineuses à graines (essentiellement lentilles, pois chiches, haricots secs), majoritairement ou exclusivement utilisées en alimentation humaine, mais non considérées dans l’étude car l’Inra n’a pas l’expertise sur ces productions. La production de soja est traitée avec les graines oléagineuses. Les denrées issues des filières animales ont comme destination quasi unique la consommation alimentaire humaine, même si des applications industrielles dans des secteurs non-alimentaires (ex : pharmaceutique pour le lysozyme d’œuf, cosmétique pour le lactosérum, etc.) ont été développées. Ces applications ne sont pourtant pas considérées comme des pertes alimentaires puisqu’il ne s’agit pas de réorientation de produits initialement prévus pour la consommation alimentaire humaine, mais une diversification des débouchés concernant des usages non-alimentaires. Il est à noter que les filières animales génèrent des volumes massifs de sous-produits animaux issus du 5ème quartier (Tableau 2) ainsi que de la découpe des carcasses (Tableau 3), sous-produits qui dans leur majorité sont inconsommables ou deviennent consommables seulement après transformation (graisse, suif, abats par exemple). Ces parties non consommables, comme nous le verrons plus tard, sont majoritairement classées dans la catégorie 3 de sous-produits animaux qui, après transformation en PAT (protéines animales transformées) et graisses, sont utilisables en alimentation animale au sens large. Toutefois, en pratique, ils sont amplement utilisés en alimentation d’animaux de compagnie, et beaucoup plus marginalement en alimentation du bétail, du moins dans le cas des protéines puisque, à quelques exceptions près, les PAT issues des sous-produits animaux de type C3 ne sont utilisées qu’en aquaculture. La situation est plus favorable au recyclage via les aliments du bétail dans le cas des graisses.

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Tableau 2 : Rendement en carcasse rapporté au poids vif en filières de production de viande (la part du 5ème quartier correspond au complément à 100 %)

Bœuf Agneau Porc Poulet Truite FranceAgriMer / Blezat, 2013 53 % 50 % 77 % Somsen et al, 2004 70 % Davidson et al., 2014 86 % Tableau 3 : Proportion de viande consommable rapportée au poids de carcasse dans les filières de production de viande

Bœuf Agneau Porc Poulet Truite FranceAgriMer / Blezat, 2013 70 % 80 % 77 % Whitehead et al., 2011 69 % 80 % 75 % 62 % Scholz et al., 2015 (revue) 70 % 76 % 59 % 77 % Davidson et al., 2014 60 %

Les filières végétales se différencient selon la part de la production destinée à l’alimentation humaine, commercialisée en frais ou après transformation, et selon la diversité des autres débouchés. Ainsi, pour le blé tendre, première production végétale française avec une collecte de plus de 30 millions de tonnes, la part destinée à l’alimentation humaine sur le marché intérieur ne représente que 5.5 millions de tonnes, soit 17 % de la collecte (Tableau 4). L’export, en fonction des productions, vise également le débouché de l’alimentation humaine, mais les volumes concernés ne sont pas connus. Certaines filières sont par ailleurs très complexes, c’est notamment le cas du blé tendre ou du maïs pour lesquels on observe une multiplicité d’usages : alimentation humaine, alimentation animale, usage non alimentaire (énergie, chimie), se croisant à différents stades de la filière avec des produits et coproduits très nombreux. A l’inverse, d’autres filières sont dédiées à l’alimentation humaine : fruits et légumes, blé dur, orge de brasserie, riz. Pour le blé tendre, le maïs ou encore les protéagineux, l’alimentation animale représente d’emblée un débouché important. Elle constitue par ailleurs une voie de valorisation fréquente pour les productions non conformes à l’alimentation humaine et c’est aussi la principale destination des coproduits (enveloppes des céréales et des protéagineux, tourteaux d’oléagineux). Une discussion sur la classification entre parties consommables et inconsommables des productions agricoles figure d’ailleurs dans l’article sur le cadre méthodologique (Redlingshöfer, 2015). La plupart des filières végétales donnent lieu à une transformation avant consommation humaine. La durée de vie des produits transformés est longue, ce qui limite les pertes après l’étape de transformation, le pain et les viennoiseries faisant cependant exception. Tableau 4 : Part de la production agricole française destinée à l’alimentation humaine sur le marché intérieur français (Millions de t)

Production Collecte/Production Utilisation alimentation humaine marché intérieur

Mt Mt % Blé tendre1 32 5.5 17 Blé dur1 2.4 1.4 58 Orge de brasserie1 3.5 1.6 45 Maïs1 14.1 0.37 2.5 Pois protéagineux2 0.49 0.13 17.7 Féverole2 0.25 Légumes2 5.4 4.3 79 Fruits métropolitains (+ DOM) 2 2.9 1.5 55 Pommes de terre2 7,0 4.8 68 Huile de colza et de tournesol 3 5 1.55 31

1 France AgriMer, campagne 2012/2013 – 2 Agreste Graphagri 2015, chiffres 2013 – 3 Huileries de France

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Pour les fruits et légumes qui regroupent une multitude d’espèces, la situation est plus contrastée : certains produits ne sont vendus qu’en frais (melon par exemple), d’autres sont vendus quasi exclusivement après transformation (maïs doux et dans une moindre mesure haricot vert). La plupart cependant se répartissent entre le marché du frais et diverses formes de transformation : conserve, surgelé, 4ème ou 5ème gamme, avec des productions dédiées ou des productions à double fin.

2. Analyse qualitative et quantitative des écarts aux différents stades des filières, leur devenir et les pertes alimentaires

2.1 Les causes des écarts et des pertes potentielles

Tout au long des filières, des produits initialement destinés à l’alimentation humaine peuvent en être écartés. Les causes en sont multiples et sont résumées dans le tableau 6. Rappelons que, selon la destination de ces écarts, ils ne donneront pas nécessairement lieu à des pertes effectives. Il existe des interactions entre ces déterminants qui peuvent amplifier l’impact global : maladies pouvant se développer sous l’effet d’humidité, ou encore attaques par des maladies ou bioagresseurs en cours de leur culture rendant les produits non-conformes à des cahiers des charges.

2.2 Pratiques et organisations mises en œuvre pour limiter que les écarts ou retraits deviennent pertes alimentaires

La réutilisation des écarts pour l’alimentation de l’Homme, que ce soit de façon directe ou indirecte via l’alimentation animale, se pratique déjà et de longue date. Le don alimentaire peut concerner les écarts ou retraits de la surproduction ou les écarts de tri. Pratiqué historiquement par les professionnels de l’industrie agro-alimentaire et de la distribution, le don alimentaire est encore peu pratiqué par les agriculteurs, et seulement pour quelques produits. Au stade agricole, il se prête mieux pour les fruits, légumes, lait, œufs et autres produits nécessitant peu ou pas de transformation avant leur préparation culinaire, au contraire d’animaux sur pied ou de céréales en grain par exemple. On peut mentionner ici le glanage, pratique aujourd’hui anecdotique mais d’intérêt grandissant, pour les denrées dont la récolte est onéreuse. Le rapport de Guillaume Garot (2015) préconise un élargissement des pratiques du don, y compris par les agriculteurs, et du glanage pour prévenir les pertes. Ceci nécessite de surmonter les problèmes d’organisation collective et de logistique. Les débouchés des produits frais et des produits transformés peuvent être complémentaires au sein d’une filière. Les produits non-conformes aux cahiers des charges pour les produits frais peuvent être intégrés dans les filières de transformation, notamment quand celles-ci représentent un débouché existant et structuré et lorsque l’organisation le permet. Cette complémentarité est observée dans la filière fruits en particulier pour la pomme et l’abricot, beaucoup moins pour la pêche ou les fruits rouges du fait de leur caractère très périssable et de l’absence du débouché pour la transformation. Dans les filières animales, les œufs peu sales, fêlés et hors calibre sont systématiquement absorbés par le débouché des ovoproduits contribuant ainsi à la limitation des pertes d’œufs en coquille. Dans les viandes (porc et volailles notamment) et produits laitiers, la diversité en produits transformés (voire la préparation de plats préparés) permet la réincorporation d’écarts de production, aussi dans des préparations prêtes-à l’emploi (utilisation de chutes en fromages fondus, râpé, etc.) destinées aux particuliers ou clients industriels. Les filières animales ont un rôle important à jouer dans la prévention des pertes par valorisation des écarts. Des écarts ou retraits des filières agricoles et alimentaires sont valorisés, à côté des co-produits de 1ère transformation, en alimentation d’animaux d’élevage et, conformément au cadre méthodologique de l’étude, ne sont pas considérés comme pertes alimentaires.

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Tableau 5 : Représentativité des productions issues des filières animales analysées dans l’étude Viande

Œuf Lait Espèce Bovins Ovins et caprins Porc Volailles de chair Poissons de pisciculture

Produits issus des productions considérées dans l’étude

Veaux et gros bovins dont vaches de réforme (filières laitière et allaitante)

Agneaux (filières allaitante et laitière), brebis et chèvres de réforme, chevreau

Porc charcutier

Poulet de chair Poules de réforme (filières chair et ponte)

Truite arc-en-ciel Œufs de consommation

Lait de vache

Production française (2013)

Viande de gros bovins : 1413 ktec (86 % des viandes bovines produites) ; Viande de veau : 227 ktec (14 % des viandes bovines produites)

Viande ovine : 97,8 ktec Chevreau : (4,1 ktec abattu*) Caprin de réforme : (3,3 ktec abattu*)

Viande porcine dont truies de réforme: 2 210 ktec

Viande de volailles de chair (toutes espèces): 1842 ktec ; dont Poulets 1141 ktec ; dont Poules : 73 ktec

Poissons de pisciculture** : 45 kt dont truite : 33 kt

Œufs de Gallus (production commerciale) : 890 kteoc

Lait de vache : 23 750 millions de litres collectés*** Lait de brebis : 458 millions de litres (2014) Lait de chèvre : 258 millions de litres (2014)

Représentativité des productions sélectionnées par rapport à la production

100 % Agneau = 80 % des viandes ovines

Porc charcutier = 96% des viandes porcines

Gallus = 65% de la production française de viande de volailles

Truite = 73 % de la production piscicole

≈ 100% 97% de la production française de lait

tec = tonne équivalent-carcasse teoc = tonne équivalent-œuf coquille Source : SSP 2013 (d’après Agreste) sauf : * données 2011 de Elliès et Dumont 2014 ; **données CIPA 2014 ; *** données 2013 (CNIEL 2015) http://agreste.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/Gaf14p152-170.pdf

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Tableau 6 : Causes des écarts et des pertes potentielles par filière ou groupes de filière

Céréales/Oléagineux/Protéagineux Fruits, légumes, pommes de terre

Viandes lait œufs

Conditions météorologiques

Dégâts et pertes causés par la pluie, l’orage, la grêle. Verse (céréales), égrenage (oléagineux, protéagineux), germination sur pied (protéagineux).

Dégâts ou destruction suites à la pluie, l’orage, la grêle Champ impraticable pour les récolteuses (pommes de terre)

Surmortalité en transport (en cas de t° extrêmes)

n.p. n.p.

Bioagresseurs, maladies, prédateurs

Prédation ou dégradation par les oiseaux (tournesol, protéagineux) ou la faune sauvage

Dégâts causés par des maladies ou bioagresseurs (moniliose sur pêcher, Drosophyla suzukii sur fraise…)

Prédation par la faune sauvage (en élevage plein-air) ou les oiseaux (poissons) Parasitisme (d’où saisies sanitaires)

Mammites n.p.

Outils, matériel, équipement de récolte

Mauvais réglage de la moissonneuse-batteuse. Matériel de récolte inadapté (protéagineux ; oléagineux).

Mauvais réglage des récolteuses (pomme de terre, légumes d’industrie)

Problème de maîtrise de la chaîne du froid, hygiène

n.p. Œufs restant dans la litière (si accès au sol)

Cahier des charges, normes techniques et commerciales

Taux d’impuretés, taux d’humidité ; grains bruchés, germés, couleurs des graines (protéagineux) ; grains cassés, fusariés, cariés, germés (céréales) DDM (ancienne DLUO) en magasin.

Forme, calibre, aspects visuels, présence de maladies DLC pour 4ème gamme

Aspects visuels, DLC Carcasses hors gabarit (poulet)

Nombre de cellules (lait) DLC (produits laitiers)

Œufs trop sales, DCR

Normes réglementaires sanitaires

Présence de contaminants (mycotoxines, métaux lourds, résidus de pesticides)

Présence de contaminants (mycotoxines, métaux lourds, résidus de pesticides)

Sensibilité aux EST (ruminants) Animal jugé inapte à l’abattage ou saisie de viande dangereuse post-abattage

Résidus d’antibiotiques

Présence de salmonelles (impact très marginal)

Surproduction Arrivée sur le marché de deux régions de production ou d’importations, conditions météo défavorables à la consommation. Emblavements excédentaires en légumes d’industrie.

n.p. n.p. n.p.

Manipulations, transport,

Chargement/déchargement des lots Stockage ponctuel inadapté à l’air libre

Chargement/déchargement, manipulations pour les produits

Hématomes, fractures, défaut de saignée (d’où saisies

Nettoyage des équipements de

Bris des œufs

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nettoyage, stockage Procédés de transformation

(céréales) Ratés de fabrication, chutes de découpe, (céréales), pb de filtration, oxydation, contaminations microbienne, giclage (bière) Pertes au raffinage (oléagineux)

fragiles (fruits rouges, etc.) Maladies de conservation, pertes de poids au stockage Rupture de la chaine du froid Parage des produits avant transformation

sanitaires) Absence d’équipements permettant : i) la séparation mécanique de viandes (ex : poulet) ou la récupération de fractions valorisables du 5ème quartier (ex : sang de porc) ; ii) la récupération de sous-produits C3 utilisables en alimentation du bétail après traitement

transformation Non valorisation de fractions utilisables en alimentation du bétail (ex : lactosérum)

Evolution physiologique des produits

Durée de conservation du pain français (baguette) très réduite

Sur-maturation pour les produits fragiles et à faible durée de vie

n.p. n.p. n.p.

Habitudes et pratiques alimentaires

Préférence pour la baguette, Préférence pour les huiles raffinées

Exigence élevée des consommateurs sur les qualités visuelles et les calibres

Désintérêt pour les morceaux moins nobles (abats) et moins rapides à cuisiner/préparer

n.p. n.p.

n.p. = non pertinent ; EST = Encéphalopathies spongiformes transmissibles ; DLC = date limite de consommation ; DCR = date de consommation recommandée ; DDM = date de durabilité minimale ; DLUO = date limite d’utilisation optimale ;

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B. Redlingshöfer et al.

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Cette forme de valorisation se pratique fréquemment pour le lait contenant des résidus d’antibiotiques suite au traitement des mammites (distribution aux veaux de l’élevage uniquement), pour les céréales ou les protéagineux non conformes (raisons sanitaires, non-conformité au cahier des charges des transformateurs), la production légumière écartée de la transformation, mais aussi pour les écarts de production de la biscuiterie, des pâtes alimentaires et des céréales de petit-déjeuner (RESEDA, 2008).

2.3 Tableaux de synthèse

2.3.1 Dans les filières végétales Les tableaux 7 à 9 synthétisent en trois étapes : (1) de la récolte à l’expédition/stockage, (2) transformation, (3) distribution :

- les quantités écartées, exprimées en pourcentage de matière première destinée à l’alimentation humaine (tonnage de grains ou d’équivalents grains, de fruits et légumes ou encore d’huile alimentaire),

- les causes de ces écarts, - les pourcentages résiduels de pertes réelles une fois déduits les volumes réorientés vers

l’alimentation animale, non considérés comme pertes dans cette étude. De la récolte au stockage/expédition Tableau 7 : Pertes à la récolte (en dehors de conditions extrêmes), au transport, à l’expédition/stockage. Source : groupes filières Inra - * Source : Interfel (2015)

Productions

Pourcentage de produits écartés

Causes Devenir Pertes alimentaires

Céréales 3 %, 5 % (maïs)

Mauvais réglage moissonneuse (1)

Pertes pendant le transport, au chargement et déchargement.

Produits impropres à la consommation humaine ou ne respectant pas le cahier des charges des transformateurs

Laissé au champ

Alimentation animale

2 % 4 % (maïs)

Protéagineux 7.5 % Météo défavorable (égrenage, verse) Prédateur Moissonneuse inadaptée et/ou mauvais réglage

Pertes pendant le transport, au chargement et déchargement.

Produits impropres à la consommation humaine ou ne respectant pas les cahiers des charges des transformateurs

Laissé au champ

Alimentation animale

6 %

Oléagineux 3.5 à 7.5 % selon espèce

Météo défavorable (verse, égrenage) Prédateur Moissonneuse inadaptée et/ou mauvais réglage

Pertes pendant le transport, au chargement et déchargement

Laissé au champ, ou sur le lieu de chargement, déchargement

3.5 à 7.5 % selon espèce

Fruits et légumes frais

Non communiqué

Météo défavorable Prédateurs et maladies Surproduction Non-respect cahier des charges distributeur

Laissé au champ le plus souvent Réorientation vers la transformation si

9 % *

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Réduire les pertes alimentaires dans les filières françaises

Innovations Agronomiques 48 (2015), 23-57 33

(1) Les pertes liées aux conditions météo et aux prédateurs n’ont pas été documentées.

Pertes au stade de la transformation Tableau 8 : Pertes à la transformation. Source : groupes filières Inra Productions

Volume ou pourcentage de produits écartés

Causes Devenir Pertes alimentaires

Céréales 468 000 T (boulangerie industrielle)

Ratés de fabrications

Réincorporés dans les procédés de fabrication Alimentation animale Aide alimentaire Destruction

32 400 T de produits céréaliers du secteur de la boulangerie industrielle

Protéagineux 1 000 T de glucides

Entrainement des glucides lors de fractionnement par voie liquide

Fertilisants 1 000 T de glucides

Oléagineux 3.3 à 3.7 % Raffinage Alimentation animale Bioproduits Destruction

1 à 1.5 %

Légumes transformés

18 %* pour le haricot gousse 13 %* pour le pois

Parage (+ végétaux autres, impuretés…) Réglage des machines de transformation

Alimentation animale ~ 0%

Pomme de terre transformée

15% Parage, produits tachés ou mal colorés pour les frites et autres

Flocons déshydratés si possible Alimentation animale

~ 0%

* Ecarts de volume « entrée-sortie » industrie - Source : Interfel (2015)

Pertes pendant le transport, au chargement et déchargement

Non-respect du cahier des charges des distributeurs Maladies de conservation, Perte de poids au stockage

possible Alimentation animale

Compostage Alimentation animale Dons alimentaires Réorientation vers la transformation

Légumes transformés

Non communiqué

Météo défavorable Prédateurs et maladies Réglage des récolteuses Surproduction Non-respect cahier des charges des transformateurs (agréage à la parcelle ou à réception usine)

Laissé le plus souvent au champ, broyage de la parcelle Alimentation animale

4 % (haricot)* 5 % (pois)*

Pommes de terre de consommation

16.4 % Météo (champ impraticable), tri au champ pour éliminer les tubercules pourris, abimés…

Non respect du cahier des charges des distributeurs ou transformateurs

Perte de poids au stockage

Laissé au champ

Transformation industrielle, Compostage

12 à 13 %

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Au stade de la distribution Tableau 9 : Pertes à la distribution. Source : groupes filières Inra Productions

Volume ou pourcentage de produits écartés

Causes Devenir Pertes alimentaires

Céréales

122 000 T/an de pain, viennoiserie issues de la boulangerie traditionnelle

150 000T/an de produits céréaliers issus de la grande distribution

Approvisionnement du rayon en pain et viennoiserie du jour Pour les produits secs, dépassement des dates limites réglementaires Mauvaise gestion des stocks Casse au moment de la mise en rayon

Destruction Bio-déchets Des initiatives vers l’aide alimentaire commencent à se mettre en place

Non quantifié La quasi-totalité des écarts

Faible pour les produits secs, modéré à importante pour pain et viennoiserie

Protéagineux

Non connu Décoloration des pois verts si mise en sachet translucide Dépassement des dates limites réglementaires Mauvaise gestion des stocks Casse au moment de la mise en rayon

Non connu Non quantifié Faible

Oléagineux

Non connu Dépassement des dates limites réglementaire Mauvaise gestion des stocks Casse au moment de la mise en rayon

Non connu Non quantifié Faible

Fruits et légumes frais

Non documenté Produits écartés du rayon car en sur-maturité, ou abimés Mauvaise gestion des stocks Manipulation des produits par les clients

Dons alimentaires

Bio-déchets

Destruction (1)

3 %* (forte variabilité selon les produits)

Fruits et légumes transformés

Non documenté Produits ayant dépassée la DLC (4ème ou 5ème gamme)

Destruction

Non quantifié

Pomme de terre de consommation

<1% Produits écartés du rayon car verdis, fripés, germés…

Destruction

Dons alimentaires

< 0,5%

* Source : Interfel (2015)

En gras : concerne spécifiquement les pertes alimentaires à la différence des écarts

(1) Des initiatives de réduction des pertes en magasin ont été observées, mais restent marginales : par exemple les fruits ou légumes retravaillés en magasin en produit « fraiche découpe »

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Réduire les pertes alimentaires dans les filières françaises

Innovations Agronomiques 48 (2015), 23-57 35

2.3.2 Dans les filières animales Filières lait et œuf Le lait et l’œuf constituent deux cas particuliers qui, a priori, se prêtent bien à la quantification des pertes alimentaires puisqu’il s’agit de produits soit intégralement consommables en l’état (lait), soit comportant une fraction prédéterminée de produits consommables (œuf). Dans le second cas, il est en effet possible d’établir des bilans matière nets du poids de coquilles. De ce fait, les proportions présentées ci-après réfèrent à des aliments consommables par l’homme ou à la seule fraction consommable de ceux-ci.

Retraits progressifs de matière de la chaîne alimentaire Un bilan précis reste difficile à établir compte tenu du caractère fragmentaire des données disponibles. C'est particulièrement le cas en filière laitière du fait de la grande diversité des produits obtenus et de la spécificité de leurs procédés d’obtention, hormis la phase de « pousse » (chasse à l’eau permettant la vidange des produits laitiers présents dans les installations lors de leur nettoyage) commune à tous les produits laitiers. Ces procédés d’obtention induisent en effet des retraits de matière spécifiques de la fabrication de tel ou tel type de produit laitier. A titre d’illustration, la transformation fromagère pourra donner lieu à l’élimination d’une fraction du lactosérum qui en est issu mais pas aux pertes induites par le conditionnement de yaourts. Un bilan global au niveau de la filière nécessiterait donc de déterminer les taux de retrait associés à chaque grand type de produit laitier puis de pondérer ces taux par l’importance relative de chaque grand type de produits laitiers. En pratique, dans la mesure où deux types de fabrications seulement ont pu être au moins partiellement documentés (yaourt et fromage), les proportions mentionnées aux Tableaux 10 et 11 doivent être considérées comme de simples ordres de grandeur. Les fourchettes de valeurs renvoient aux taux de retraits estimés pour les deux types de fabrication documentés et sont rapportées aux seules quantités de lait utilisées pour ces deux types de production et non à la production laitière totale. Dans le cas de l’œuf par contre, les taux de retrait sont rapportés directement à la production totale, les proportions valorisées respectivement sous forme d’œufs en coquille (soit 60 %) ou d’ovoproduits (soit 40 %) ayant été prises en compte. Le bilan approximatif des retraits qui en résulte est présenté par filière au Tableau 10. Tableau   10  : Retraits progressifs de matière de la chaîne alimentaire en filières lait et œuf (proportions rapportées aux quantités traitées par type de produit dans le cas du lait ou à la production totale dans celui de l’œuf)

Stades de la filière

Filière lait Filière œuf (net de poids de coquilles)

Origine des retraits Ampleur (approx.) Origine des retraits Ampleur

(approx.) Production • Résidus d’antibiotiques 3,2 % • Déclassement en œufs ICH 0,5 % Transformation • Phases de pousse et de

nettoyage (tous produits laitiers)

• Retraits spécifiques par type de produit (ex : conditionnement, élimination de lactosérum…)

2,4* à 5,0** %

env.

• Déclassement (ICH) et bris des œufs

• Phases de pousse et de nettoyage (ovoproduits)

4,0 %

Distribution • Retraits spécifiques par type de produit (DLC, DLUO…) < 1 % • Retraits spécifiques aux œufs

en coquille (DCR) présumée

faible

ICH = Impropres à la consommation humaine ; DLC = date limite de consommation ; DLUO = date limite d’utilisation optimale ; CDC = date de consommation recommandée * cas de la production fromagère : borne minimale (soit 1 %) de la fourchette de pertes en phase de pousse / nettoyage + élimination de lactosérum valorisable (soit 1,4 %) ** cas du yaourt : borne maximale (soit 3 %) de la fourchette de pertes en phase de pousse / nettoyage + retraits au conditionnement (soit 2 %)

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B. Redlingshöfer et al.

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Bilan des pertes alimentaires résultant des retraits de matière pratiqués sur la chaine jusqu’au stade de de la transformation et du conditionnement

Pour autant, retrait n’est pas synonyme de perte alimentaire puisqu’une partie des retraits donne lieu à une valorisation en alimentation humaine directe (via les dons alimentaires) ou indirecte (via l’alimentation des veaux de l’élevage ou d’autres animaux de rente). L’utilisation par les animaux de compagnie, qui constitue une perte, ne concerne que les retraits de la filière œuf. Le bilan approximatif des différents usages des retraits pratiqués jusqu’au stade de la transformation et du conditionnement est présenté par filière au Tableau 11. Tableau 11 : Utilisation en alimentation humaine (directe et indirecte) ou pour d’autres usages des retraits de matière pratiqués jusqu’au stade de la transformation / conditionnement (distribution non incluse) en filières lait et œuf

Types d’usages des retraits Ampleur approximative Filière lait Filière œuf

• Alimentation humaine directe 0 à 0,5 % - • Alimentation humaine indirecte

(veaux / alimentation du bétail) 2,2 à 2,7 % -

S/TOTAL ALIMENTATION HUMAINE 2,2* à 3,2** % env. 0 % • Alimentation animaux de compagnie

(pet food) 0 % 0,9 %

• Fertilisants ou autres usages 3,4 à 5,0 % 3,6 % S/TOTAL PERTES ALIMENTAIRES 3,4* à 5** % env. 4,5 % env.

* cas de la production fromagère : distribution aux veaux de 2,2 % du lait avec résidus d’antibiotiques au niveau de l’élevage ** cas du yaourt : i) distribution aux veaux de 2,2 % du lait avec résidus d’antibiotiques au niveau de l’élevage : ii) hypothèse de répartition des 2 % de retrait au conditionnement = ¼ dons ou revente déstockeurs (sauf produits sous MDD à ce jour), ¼ alimentation des porcs et ½ destruction

L’estimation des pertes alimentaires est à considérer avec précaution compte tenu des nombreuses incertitudes déjà mentionnées ainsi que des hypothèses formulées sur les proportions relatives de certains usages des produits ou de produits transformés ou dérivés (coproduits). Il semble néanmoins que dans les filières lait et œuf, les pertes soient du même ordre de grandeur, d’importantes variations étant cependant à attendre en filière laitière en fonction du type de produit élaboré. Filières viande Contrairement aux cas du lait et de l’œuf, en filière viande, la proportion de produit réellement consommable par l’homme varie considérablement selon les fractions objet des retraits (de 100 % pour des abats à 0 % pour des plumes…). Par contre, ces filières sont très similaires en termes d’organisation et de procédés industriels mis en œuvre, du moins jusqu’à la 2nde transformation.

Retraits progressifs de matière de la chaîne alimentaire Depuis le stade du ramassage en élevage jusqu’à celui de la découpe de carcasse, les motifs de retrait sur la chaîne sont strictement homologues. La seule nuance d’importance concerne le pourcentage de découpe, une fraction significative des poulets et truites étant commercialisée en prêts-à-cuire ou entières éviscérées, respectivement. Les types d’animaux retenus pour la comparaison entre filières sont les suivants :

- Ensemble des gros bovins et veaux des troupeaux allaitant (65 % du total viandes bovines) et laitier (35 %)

- Agneau lourd (80 % du total viande ovine) - Porc charcutier (96 % du total viande porcine) - Poulet (65 % du total viande de volailles) - Truite arc-en-ciel (73 % des poissons de pisciculture) hors repeuplement et pêche loisir

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Réduire les pertes alimentaires dans les filières françaises

Innovations Agronomiques 48 (2015), 23-57 37

La quantification des retraits de matière sur la chaine alimentaire en filières viande est synthétisée au Tableau 12. Le détail des motifs et pourcentages de retraits est fourni en annexe 1 pour les stades transport /abattage et découpe carcasse). Tableau 12 : Retraits progressifs de matière de la chaîne alimentaire en filières de production de viande (proportions rapportées au poids vif puis au poids de carcasse selon le stade de la filière)

Stade de la filière Origine des retraits Ampleur par filière (approx.)

Bovins Ovins Porc Poulet Truite Proportions en % du poids vif Production • Mortalités au ramassage - - - NQ ? Transport / abattage

• Mortalités en transport • Saisies (dont MRS) • Parties non consommables 5ème

quartier (dont contenus digestif) • Retrait d’abats et parties

consommables 5ème quartier

34,5 % > 38,6 % 14,5 % 27,0 % > 14 %

Proportions en % du poids de carcasse (part de découpe estimée)

100 % 100 % 100 % 60 % 50 %

Découpe carcasse

• Parties non consommables de la carcasse

• Retrait de fractions partiellement consommables

31,2 % 20,0 % < 12,1 % 10,9 % 42,6 %

3ème transform.. • Pertes à la fabrication* Non quantifiées

Proportions rapportées en valeur (€)

Distribution • Retraits en distribution** 5 à 6 % du rayon « viandes » 10 à 12 % du rayon

« poissons » NQ = non quantifiées à part (inclus dans la mortalité en élevage) ; MRS = matériels à risque spécifié vis-à-vis des  encéphalopathies spongiformes transmissibles dont l’ESB * non documentées, y compris dans les filières à forte proportion de produits transformés (porc, et dans une moindre mesure poulet et truite) ** non quantifiés par des bilans matière mais en valeur (taux de « casse » en €) ; bilans globaux par rayon : toutes viandes ; poissonnerie (y compris pêche)

Affectation des retraits de matière aux catégories de sous-produits animaux C1, C2 et C3 Le devenir des retraits pratiqués en filière viande est étroitement réglementé. Trois catégories de sous-produits animaux (SPA) sont distinguées en fonction du niveau de risque qu’ils présentent ou non en termes de sécurité alimentaire. Les usages qui pourront en être faits après transformation par l’industrie des coproduits animaux découlent strictement de leur affectation à l’une ou l’autre de ces trois catégories :

- C1 : animaux ou parties d’animaux (ruminants) à risque spécifié vis-à-vis des encéphalopathies spongiformes transmissibles (EST) -> destruction

- C2 : saisies pour motif sanitaire autre qu’EST ; contenus de tube digestif -> valorisable comme engrais ou autres usage non alimentaires (y compris pour l’animal)

- C3 : sous-produits issus d’animaux sains, aptes à la consommation humaine -> valorisable en alimentation animale (ou tous autres usages).

Les motifs de retrait détaillés en annexe 1 ont servi de base à l’affectation des différents retraits aux trois catégories de sous-produits animaux C1, C2 et C3. Par ailleurs, au sein de chacune de ces trois

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catégories, les retraits ont été distingués selon leur caractère a priori consommable ou non par l’homme. Il en découle le bilan intermédiaire présenté au Tableau 13 : Tableau 13 : Répartition des retraits par catégories de sous-produits animaux C1, C2 et C3 et selon leur statut initial vis-à-vis de la consommation humaine (proportions rapportées en % du poids vif, y compris en découpe de carcasse pour la fraction de carcasses découpées)

Types de SPA

Statut initial des retraits

Devenir des retraits

Ampleur par filière (approx.)

Bovins Ovins Porc Poulet Truite

C1 et C2

Consommable Fertilisants ou autres usages

2,9 % ND 0,25 % 0,5 % ND Non consommable 13,1 % 8,3 % 7,9 % - -

C3

Consommable Recyclage via l’industrie des

coproduits animaux

5,9 % > 2,8 % < 7,2 % 5,3 % > 9,5 %

Non consommable 30,4 % 37,1 % 8,5 % 25,8 % 22,9 %

ND = non documenté Les retraits considérés comme consommables comprennent :

- Les abats rouges (ex : foie) et blancs (ex : ris) ainsi que les parties consommables du 5ème quartier (ex : sang de porc), dont le total représente de 2 à 6 % du poids vif selon les espèces ;

- Les matériels à risque spécifiés issus de ruminants (ex : cervelle), lesquels représentent 2,5 % chez les bovins ;

- La fraction potentiellement consommable de pièces de carcasses de petit format (ex : viande séparable mécaniquement à partir de cous de poulet) en cas de découpe de celles-ci.

Les retraits considérés comme non consommables comprennent les fractions non consommables du 5ème quartier (ex : contenus digestifs, plumes) et celles de la carcasse après découpe (ex : os). Leur proportion varie de 16 à 44 % du poids vif selon les espèces. Seuls les retraits de fractions considérées comme consommables sont susceptibles de constituer des pertes, pour autant qu’ils ne donnent pas lieu à un recyclage en alimentation humaine directe ou indirecte, ce qui peut être le cas avec les sous-produits C3.

Valorisation des sous-produits animaux de catégorie C3 L’industrie des coproduits animaux valorise les sous-produits de type C3 en produisant des protéines animales transformées (PAT) et des graisses animales. Cette valorisation concerne indistinctement l’ensemble des SPA de type C3, qu’ils soient issus de retraits considérés a priori comme consommables ou non. Tableau 14 : Bilan approximatif des usages de PAT et graisses issues des sous-produits C3 selon la filière de provenance des matières brutes

Types d’usages (ensemble PATa + graissesb)

Ampleur par filière (ordre de grandeur) +/- Ruminants* Porcins Volailles Poissons**

Alimentation humaine 1,4 % 3,5 % 1,8 % 0,3 % Aliments bétail et poissons 4,2 % 9,8 % 15,7 % 64,7 % Pet food 70,3 % 69,7 % 68,8 % 26,1 % Fertilisants ou autres usages 24,1 % 16,9 % 13,7 % 9,0 %

* Matière brute multi-espèces à forte dominante bovine ; ** Matière brute à forte dominante pêche a 83,5 % de la matière brute traitée pour 59 % des produits secs obtenus b 16,5 % de la matière brute traitée pour 41 % % des produits secs obtenus

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Réduire les pertes alimentaires dans les filières françaises

Innovations Agronomiques 48 (2015), 23-57 39

Un bilan approximatif des différents usages de la matière brute C3 en fonction des filières de provenance (Tableau 14) a été établi à partir des données de l’industrie des coproduits animaux selon les modalités détaillées en annexe 2. La majeure partie des retraits de SPA de type C3 est utilisée en alimentation animale. Toutefois, si les graisses sont significativement utilisées en alimentation du bétail (et même marginalement en alimentation humaine), il n’en va pas de même des PAT du fait des conséquences du feed ban. Hormis le cas de la filière piscicole, les retraits de SPA C3 restent donc valorisés très majoritairement par les animaux de compagnie.

Bilan des pertes alimentaires résultant des retraits de matière pratiqués sur la chaine jusqu’au stade de la découpe de carcasse

Le croisement des deux tableaux précédents permet de dresser un bilan des différents usages des retraits pratiqués jusqu’au stade de la découpe de la carcasse et donc des pertes alimentaires en filières viande (Tableau 15). Tableau 15 : Utilisation en alimentation humaine (directe et indirecte) ou pour d’autres usages des retraits de matière pratiqués jusqu’au stade de la 2nde transformation en filières de production de viande (proportions rapportées en % du poids vif, y compris en découpe de carcasse pour la fraction de carcasses découpées)

Statut initial des retraits*

Types d’usages Origine

des retraits

Ampleur par filière (approximations)

Bovins Ovins Porc Poulet Truite

Cons. Alimentation humaine directe C3 0,1 % PM < 0,2 % 0,1 % PM Alimentation humaine indirecte via aliment bétail C3 0,2 % > 0,1 % < 0,7 % 0,8 % > 6,1 %

SOUS TOTAL ALIMENTATION HUMAINE (1) 0,3 % > 0,1 % < 0,9 % 0,9 % > 6,1 %

Alimentation animaux de compagnie C3 4,1 % > 2,0 % < 5,0 % 3,6 % > 2,5 % Fertilisants ou autres usages C1/C2 C3 4,3 % > 0,70 % < 1,05 % 1,20 % > 0,90 % SOUS TOTAL PERTES ALIMENTAIRES 8,4 % > 2,7 % < 6,0 % 4,8 % > 3,4 %

Non Cons.

Alimentation humaine directe C3 0,4 % 0,5 % 0,3 % 0,5 % 0,1 % Alimentation humaine indirecte via aliment bétail C3 1,3 % 1,6 % 0,8 % 4,1 % 14,8 % SOUS TOTAL RECUPERE ALIMENTATION HUMAINE (2) 1,7 % 2,1 % 1,1 % 4,6 % 14,9 %

Alimentation animaux de compagnie C3 21,4 % 26,1 % 5,9 % 17,8 % 6,0 % Fertilisants ou autres usages C2 C3 20,4 % 17,2 % 9,30 % 3,5 % 2,1 % SOUS TOTAL AUTRES USAGES FRACTION NON ALIMENTAIRE 41,8 % 43,3 % 15,2 % 21,3 % 8,1 %

* vis-à-vis de l’alimentation humaine S’agissant de la fraction considérée comme consommable, le bilan est très légèrement amélioré du fait d’une valorisation modeste de retraits de type C3 en alimentation du bétail (graisses, majoritairement) et encore plus marginalement en alimentation humaine directe. Ce bilan pourrait être significativement amélioré si certaines PAT valorisées par les animaux de compagnie étaient intégrées aux aliments du bétail. In fine, les pertes alimentaires en filière viande varient de 3 à 8 % environ selon les filières, en lien avec les particularités d’espèces (sensibilité aux encéphalopathies spongiformes transmissibles, notamment). S’agissant de la fraction considérée comme non consommable, beaucoup plus importante en volume, une part modeste mais non négligeable donne lieu à une valorisation en alimentation humaine indirecte via l’aliment du bétail (de 1 à 5 % chez les espèces terrestres, 15 % chez les poissons) et même marginalement de façon directe. Il y a donc réintroduction dans la chaine alimentaire d’une fraction

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initialement considérée comme inconsommable, et celle-ci serait beaucoup plus élevée encore si la part dédiée aux animaux de compagnie via le pet food (laquelle varie de 6 à 25 % selon les filières) était réorientée au moins en partie vers les aliments du bétail.

2.4 Synthèse des pertes alimentaires

Une répartition diffuse des pertes alimentaires dans les filières L’optimisation des filières s’est faite dans un objectif de performance économique, ce qui, dans la majorité des cas, conduit à rechercher une limitation des pertes. Pour autant, l’optimisation économique peut également induire des pertes, par ajustement offre-demande sur des produits périssables. Globalement, les pertes au stade agricole (pertes à la récolte, non-récolte, écarts de tri par exemple) sont plus importantes en production végétale qu’en élevage. La non-récolte n’existe cependant que dans le cas de la filière fruits et légumes pour des raisons de non-conformité au cahier des charges des transformateurs ou des distributeurs ou encore en raison de surplus de production. Les pertes au stockage, à la transformation et au conditionnement sont globalement faibles. Au stade de la distribution, les produits frais et fragiles (fruits, légumes) ou à durée de conservation courte (par exemple la viande à la découpe) à très courte (la baguette française par exemple) semblent les plus concernés, mais les taux de pertes que nous avons pu collecter pour les filières fruits et légumes et yaourt restent à un niveau faible. Les filières qui transforment de la matière brute en une grande diversité de produits transformés et de préparations (plats préparés, préparations semi-prêt pour clients professionnels/semi-industrielles, etc.) ont l’atout de pouvoir travailler un maximum de matière consommable, telle les différents morceaux de découpe d’un porc ou la viande séparée mécaniquement (VSM), de réincorporer les chutes/ratés de production (fromages fondus etc.). Face à cette complexité des voies de transformation, la connaissance des pertes réelles dans les différentes voies de transformation est difficile à obtenir. D’une manière générale, l’analyse montre une répartition diffuse des pertes dans les filières. Tous les stades peuvent être concernés, mais leur importance à l’égard des pertes varie selon la filière. Un ordre de grandeur de 5-10% de pertes allant jusqu’à 12% de la production agricole à la transformation Un ordre de grandeur de 5-10% de pertes allant jusqu’à environ 12% pour la pomme de terre et les fruits et légumes, de la production à la transformation (distribution pour les fruits et légumes), peut être avancé au regard des résultats de l’étude. Cet ordre de grandeur ne tient compte que de peu d’éléments quantitatifs pour la distribution, mais a bénéficié d’une appréciation globale par les experts interrogés y compris les professionnels du secteur. Les filières végétales tendent à se situer dans la fourchette haute, et ceci malgré le fait que les écarts sont en partie valorisés en alimentation d’animaux d’élevage ce qui conduit à limiter les pertes selon notre définition. Les taux de perte par filière sont résumés dans le Tableau 16. Seule la filière fruits et légumes, grâce aux apports d’une étude complémentaire à la nôtre, l’indique avec le stade de la distribution incluse. Les pertes dans les autres filières n’ont été approchées quantitativement que jusqu’à la transformation en produits « simples » (au contraire de la 2ème transformation ou, dans le cas des viandes, de la 3ème transformation qui fournissent des produits élaborés, composés de plusieurs ingrédients ou de plats préparés). Ces ordres de grandeur sont à prendre avec précaution car la collecte de données s’est largement appuyée sur les dires d’expert. Si ces résultats nous paraissent globalement fiables, ils méritent cependant d’être consolidés, tout particulièrement pour les différentes étapes de la transformation et de la distribution qui sont plus difficiles d’accès pour des raisons de confidentialité. Pour certains produits

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Réduire les pertes alimentaires dans les filières françaises

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frais, fragiles ou à durée de vie très courte, dans les filières viande et pain notamment, la connaissance du taux de pertes au point de vente permettrait d’ajuster le taux global par filière. Tableau 16 : Synthèse des pertes alimentaires dans les filières végétales et animales (périmètre production agricole prête à récolter ; transport, agréage, stockage ; transformation)

Taux de pertes (en %) dans la filière jusqu’à la transformation*

(ordre de grandeur)

Contribution de la valorisation en alimentation

des animaux d’élevage dans la réduction des pertes

Filièr

es

végé

tales

Céréales 3 Forte Oléagineux <10*** Faible Protéagineux > 6**** Moyenne Fruits et légumes 12** Faible Légumes transformés ~ 5 Faible Pommes de terre >12 Faible

Filièr

es an

imale

s Lait ˜ 3,4 - 5 Moyenne Œuf ˜ 4,5 Faible Viande de bovins 8 Faible Viande d’ovins >2,7 Faible Viande de porc <6 Faible Viande de poulet 5 Faible Truite > 3,4 Moyenne

Source : compilation par les auteurs sur la base des données rassemblées lors des synthèses par filières animales et végétales * hors la 2ème transformation ou dans le cas des viandes, la 3ème transformation en produits élaborés (produits composés de plusieurs ingrédients, plats préparés etc.) ** incluant les pertes à la distribution *** comprenant les pertes à la distribution, mais considérées comme très faibles ****auquel s’ajoutent 1000 t de glucides sur une récolte de 370 000 t (campagne 2013-2014) Par rapport aux résultats de la FAO (Gustavsson et al., 2011 ; Gustavsson et al., 2013), pour la région Europe et tenant compte des différentes définitions, les taux de pertes concernant la France s’affichent globalement comme inférieurs ou égaux. A titre d’exemple, le taux de pertes (production à distribution) de la filière fruits et légumes est supérieur à 30% dans l’étude FAO, alors que, pour la France, 12% ont été mesurés . Si on comptabilise la valorisation en alimentation animale comme pertes, comme le fait la FAO, ceci réduirait quelque peu l’écart. En produits animaux, du fait que l’étude FAO inclut comme perte également des manques à produire (p.ex. mortalité en élevage, baisse de production laitière due aux mammites inapparentes) (Redlingshöfer 2015), la comparaison se complique. Epurés des différences entre les deux définitions et compte tenu des incertitudes, les taux de pertes dans les filières animales sont globalement comparables. Proposition d’une typologie des filières par rapport aux pertes alimentaires Une comparaison des filières sous l’angle des pertes alimentaires permet de dresser une typologie (Figure 1) qui illustre que les pertes constituent un enjeu d’importance différente selon les filières. Dans les filières « bien intégrées » (cadran A), les pertes sont globalement faibles, et sont de plus réduites par la valorisation en alimentation animale de la production non-conforme. Il s’agit essentiellement de lots de céréales à teneur trop élevée de contaminants ou du lait impropre à la consommation humaine, rappelant tout de même que ce lait retrouve l’usage auquel il est biologiquement destiné, l’alimentation des veaux. Les oléagineux peuvent être aussi rattachés à ce groupe. Ces filières sont qualifiées de « bien intégrées » par leur lien avec l’alimentation animale. Par ailleurs, celle-ci permet aux trois filières de valoriser la quasi-totalité de leurs coproduits de

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transformation. Un durcissement de la réglementation concernant l’alimentation animale pourrait cependant à terme conduire à l’augmentation des pertes. Le cadran B réunit des filières et quelques produits spécifiques, qui présentent certes des pertes, mais pour lesquels le premier enjeu serait de maintenir ou de développer la consommation. Faute d’innovations « produit » et face à des consommateurs s’en détournant progressivement, protéagineux, poules de réforme ou abats ne garnissent plus les assiettes des jeunes générations, alors que leurs bénéfices nutritionnels et environnementaux font l’unanimité et méritent un réinvestissement de ces filières par la recherche et le développement. La réduction des pertes peut en bénéficier. Le cadran C est réservé à la seule filière fruits, légumes et pommes de terre. Les pertes dans cette filière apparaissent sous l’effet conjugué de la périssabilité de ses produits lorsqu’ils sont vendus non-transformés, des difficultés d’ajustement entre offre et demande et des exigences des cahiers des charges. Cette filière ne mobilise guère l’alimentation animale comme voie de valorisation. Les filières viandes et œuf forment le dernier groupe (Filières à revaloriser, cadran D) qui se caractérise par des pertes de niveau intermédiaire valorisées de façon sous-optimale. Les sous-produits animaux qui en sont issus sont en effet majoritairement intégrés dans le pet food plutôt que dans les aliments du bétail pour des raisons tenant à la réglementation (« feed ban ») mais également à la réticence des opérateurs face à l’assouplissement progressif de celle-ci à l’égard des sous-produits issus d’animaux terrestres autres que ruminants. De ce fait, dans les filières de production de viande, le niveau des pertes évolue en fonction de l’impact du feed ban sur la filière, cet impact étant maximal en filière bovine. L’application pure et simple de la réglementation européenne permettrait donc de réduire progressivement les pertes via le recyclage en alimentation du bétail. Figure 1 : Typologie des filières par rapport à la problématique des pertes

3. Les leviers pour réduire les pertes, à la source et par une réutilisation alimentaire (hors pet food) L’analyse des pertes alimentaires dans les filières a permis de constater qu’elles apparaissent à tous les stades des filières, pour des raisons très diverses tenant à l’organisation économique et aux exigences des marchés, à la coordination entre acteurs, à la réglementation, aux procédés mis en

C Fruits, légumes et pommes de terre

Périssabilité + non-récolte/ surproduction + cahiers des charges

è pertes importantes selon le produit, peu d’usage en alimentation

animale

A Filières bien intégrées Pertes faibles à modérées, valorisation en alimentation animale des produits non-

conformes Lait

Céréales Oléagineux

Règlementation à surveiller

D Filières à revaloriser Pertes  modérées,  valorisa0on  majoritaire  en  alimenta0on  d’animaux  de  compagnie  

Viandes  Oeuf  

Accompagner  l’assouplissement  progressif  de  la  réglementa0on  par  

rapport  au  «  feed  ban  »

B Filières à développer L’enjeux premier n’est pas la réduction des pertes, mais le

maintien ou le développement de la consommation

Protéagineux Co-produits animaux (Poules

pondeuses, abats etc)

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œuvre ou au matériel disponible. Ces situations diverses d’apparition des pertes appellent des solutions ciblées. Les leviers identifiés par les groupes filières de l’Inra sont présentés dans le Tableau 17. Cet inventaire n’a pas vocation à être exhaustif. En outre, ces leviers sont indicatifs mais ne constituent nullement des recommandations. La mise en œuvre effective de certains d’entre eux nécessiterait des recherches complémentaires. En effet, dans le choix des leviers à mettre en place, des arbitrages seront nécessaires entre le coût économique et environnemental et le potentiel de réduction des pertes, tout en assurant un niveau de sécurité sanitaire satisfaisant. La perception et les attentes des acteurs professionnels et des consommateurs sont également un aspect important à prendre en compte, par exemple sur la réincorporation et le recyclage interne de chutes ou autres écarts dans un contexte de méfiance grandissante des consommateurs vis-à-vis de pratiques industrielles par rapport à la « pureté » des aliments. Dans bien des cas, l’inscription de la filière dans un territoire paraît indispensable à considérer. Par exemple, la récupération d’écarts de tri et des écarts de production pour une valorisation alimentaire réduit les pertes, mais nécessite de la logistique, parfois de la transformation. In fine, sous l’angle de la consommation d’énergie par exemple, cette réduction des pertes est-elle justifiée par le surcoût énergétique ? Autre exemple, la réintroduction généralisée des protéines animales transformées issues des sous-produits C3 dans l’alimentation des animaux d’élevage se heurte actuellement à des obstacles techniques (traçabilité des espèces de provenance pour garantir la non-consommation en intra-espèce), mais aussi à une réticence du monde professionnel tout comme des consommateurs. Or, elle figure indéniablement parmi les leviers à fort potentiel en vue d’une gestion efficiente des ressources alimentaires. Mais à ce jour, l’autorisation de la réintroduction concerne seulement l’aquaculture. L’analyse multicritère conduisant à identifier un niveau « optimal » de pertes fait déjà partie des sujets que la recherche est en train de développer.

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Tableau 17 : Identification de différents types de levier pour la prévention et la valorisation des pertes selon la typologie des filières par rapport aux pertes Nature des leviers : T = technique / O = organisationnel / IF = Information – Formation / R = réglementaire

Catégorie A Filières bien intégrées

Céréales Lait

Oléagineux

Catégorie B Filière à développer

Protéagineux Co-produits animaux

(poules pondeuses, abats)

Catégorie C Fruits, légumes et Pommes de Terre

Catégorie D Filières à revaloriser

Viandes Œuf

Il s’agit avant tout de sécuriser la qualité sanitaire des productions agricoles de façon à éviter qu’un éventuel durcissement de la réglementation encadrant leur réutilisation en alimentation animale augmente les pertes. Il vaut mieux prévenir les pertes à la source. Quand ce n’est pas possible, il convient d’augmenter la réintégration des écarts en alimentation humaine et animale, tout en assurant en priorité la qualité sanitaire.

Pour les oléagineux, la réduction des pertes à la récolte est une priorité.

Avant tout, il s’agit de développer la consommation humaine de leurs produits. Ces

filières sont actuellement très orientées vers l’alimentation animale (protéagineux, abats) ou

vers l’export (poules).

Les leviers de réduction des pertes peuvent contribuer à augmenter le rendement et

l’investissement des professionnels dans ces filières ou coproduits de filière.

Il s’agit de trouver des solutions aux pertes très caractéristiques de ces productions : liées à la

périssabilité ; à l’exigence du marché des produits non-transformés, aux difficultés d’ajustement d’offre et de

demande. Les leviers mobilisent avant tout des solutions techniques et organisationnelles pour

maintenir dans la commercialisation ce qui sinon est écarté et détruit.

Il s’agit de restreindre les pertes et de contribuer à une meilleure valorisation des

écarts en alimentation d’animaux d’élevage, selon l’évolution du cadre réglementaire

l’autorisant progressivement.

Leviers d’ordre 1 Prévention à la source

T - Sélection variétale et itinéraires techniques pour améliorer la résistance aux maladies au champ pouvant entraîner des pertes en aval (contaminants en céréales)T- Améliorer la santé des animaux : diminution des mammites cliniques chez les vaches laitièresT- Recherche d’alternatives aux insecticides des silos pour prévenir un durcissement de la réglementation vis-à-vis des produits phytosanitaires qui pourraient entraîner un volume de perte plus important. au stockage

T - Sélection variétale et itinéraires techniques pour limiter les pertes à la récolte

T- Sélection variétale et itinéraires techniques pour limiter les pertes à la récolte (premier nœud assez haut/protéagineux)

T- Amélioration des matériels de récolte (protéagineux)

T - Innovations produit (poule, la partie consommable du 5ème quartier)

I- F - Information sur le bon rapport entre la qualité nutritionnelle des protéagineux, des abats et autres produits animaux de moins en moins consommés et leur prix modeste

T- Sélection variétale et itinéraires techniques pour

- Améliorer la résistance au choc, au transport, l’aptitude à la conservation

- Améliorer la résistance aux maladies ou ravageurs au champ ou verger entrainant des pertes en aval

T -Innovation dans la protection contre des aléas météorologiques

T- Amélioration des techniques de conservation

T - Innovation pour l’allongement de la durée de vie du produit (en gardant ses qualités et sa facilité

T - Amélioration de la santé des animaux : diminution des mortalités et saisies sanitaires ; du parasitisme et des lésions corporelles sources de saisies partielles

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(égrenage/oléagineux) d’utilisation) par le conditionnement et les emballages

Réutilisation en alimentation humaine et Valorisation en alimentation d’animaux d’élevage

T –Innovation pour la réincorporation des chutes et ratés de fabrication (fromages)

T -Innovation dans la réutilisation des invendus sur le point de vente (donner une nouvelle vie au pain et viennoiserie de la veille par exemple)

T - Innovation pour la valorisation en alimentation animale des chutes et ratés de fabrication qui ne peuvent pas être réincorporés dans les procédés pour l’alimentation humaine

T – O – Développement de la capacité de collecte et de transformation en sous-produits animaux C3 afin d’éviter leur moindre valorisation en C2

T-O- Innovation dans les techniques et l’organisation de la transformation des écarts de tri

O - Développement de circuits de vente de produits déclassés et d’écarts de production (vente à prix réduit dans les magasins, soldeurs, magasins d’usine, etc.), circuits courts.

T – O -Développement de la capacité de collecte et de transformation en sous-produits animaux C3 afin d’éviter leur moindre valorisation en C2

R – I - F – Réincorporation dans l’aliment du bétail les PAT (Protéines Animales Transformées) par une transposition en droit français des dispositions européennes

- Information sur le cadre réglementaire de la valorisation des denrées en alimentation animale afin de favoriser cette pratique (différence entre « farines animales » et PAT, en particulier)

Leviers d’ordre 2 T -Amélioration des matériels de récolte (oléagineux), des techniques de stockage (à la ferme pour les céréales)

T -Procédés à plus fort rendement : raffinage doux de l’huile, optimisation des opérations en vue de réduire la fraction alimentaire perdue lors des pousses et nettoyages en transformation laitière

T – O - Meilleure coordination entre fournisseurs et distributeurs pour l’organisation de la mise en production et de la gestion des commandes (cas des produits à durée de vie courte)

T- Innovation de préparation des invendus sur le point de vente (« fraîche découpe »)

T – O - Meilleure coordination entre fournisseurs et distributeurs pour l’organisation de la mise en production et de la gestion des commandes (cas des produits à durée de vie courte notamment)

T - Innovations dans l’allongement de la durée de vie du produit (en gardant ses qualités et sa facilité d’utilisation) par le conditionnement et les emballages

T - Innovation pour la réincorporation des chutes et ratés de fabrication (charcuterie) dans l’alimentation humaine ou à défaut dans l’alimentation animale

Leviers Leviers génériquesquesénériques - Gestion de produits proches de la DLC : promotions/prix réduits

- Don alimentaire

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- A tous les professionnels via leurs représentants, les centres techniques : actions de sensibilisation, choix et affichage d’indicateurs de suivi, intégration des solutions de réduction des pertes dans les guides de bonnes pratiques et des consignes à tous les stades de la filière.

- Actions de sensibilisation des consommateurs sur leur contribution à induire des pertes en amont des filières

- Révision de la réglementation relative aux DLC et DDM (interprétation des mentions, éviter confusions)

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4. Questions à la recherche, besoins de connaissances 4.1 Lacunes dans l’analyse des pertes

Il s’agit de mieux analyser les déterminants des pertes et leur variation, par exemple selon la taille des opérateurs. Nous avons vu que la valorisation des sous-/coproduits nécessite une organisation de la collecte et une filière dédiée. Afin de permettre la valorisation en alimentation humaine de fractions de moins en moins consommées, comme les abats d’ovin, il faut des équipements et un savoir-faire de transformation et de commercialisation spécifiques. Le degré de valorisation (et a contrario de pertes) peut beaucoup varier, et notamment lorsque la filière se caractérise par une grande diversité de modes de production et de types d’exploitations. Dans d’autres filières, telle la filière avicole où quelques grands acteurs se partagent le marché, collecte et valorisation sont facilitées. Non seulement la taille des opérateurs joue un rôle, mais aussi leur caractère de spécialiste ou de fournisseur multi-produits. Dans la filière laitière, les pertes qui surviennent lors du nettoyage des installations sont directement liées aux changements de fabrications donc à la complexité des gammes de produits qui semble être un facteur plus important que la nature du produit même. Il serait également nécessaire d’analyser l’incidence d’un mode de production (production sous signe de qualité, production biologique…) ou encore de distribution (circuits longs, circuits courts…) sur l’importance et la nature des pertes.

4.2 Les besoins d’analyses multicritères en appui aux stratégies de réduction des pertes

Les aspects économiques relatifs aux pertes alimentaires, pour les agriculteurs, les acteurs de la collecte, les entreprises de la transformation, la distribution, les consommateurs et la société dans son ensemble, sont encore peu étudiés. Le choix d’accepter des pertes ou au contraire de les prévenir ou les valoriser obéit à des lois de valeur. Les professionnels dans leur ensemble cherchent à maximiser leur profit, ce qui va souvent de pair non pas avec un niveau minimum des pertes de matière, mais un niveau optimum. Le taux de pertes fait généralement partie du bilan « matière » que chaque entreprise suit rigoureusement. Il serait important de comprendre les arbitrages faits par les professionnels. La mise en place de leviers de réduction des pertes alimentaires a toujours un coût, économique (coût des moyens humains, de l’énergie, du matériel….) et environnemental (consommation de ressources, pollutions…), parfois aussi social (conditions de travail….), de même qu’elle génère des bénéfices selon ces mêmes critères (valorisation selon une valeur marchande….). Parfois, les pertes sont difficilement valorisables ou seulement au travers de procédés coûteux que le marché ne rémunère pas toujours : la viande séparée mécaniquement en abattoir par exemple. Si aujourd’hui il y a des pertes et qu’elles persistent, cela veut dire qu’elles sont intégrées dans les filières sans les déstabiliser. Ce sont des pertes économiquement tolérées par le système. Vouloir les réduire nécessite de comprendre, par une approche pluridisciplinaire et multicritère, sur quelles dimensions elles génèrent des bénéfices au système et quels seraient les conséquences et les coûts de leur réduction. Dans ce sens, il convient d’anticiper d’éventuels effets néfastes voire pervers (comportement de détournement d’une contrainte réglementaire par exemple) en conséquence à une mise en place de leviers de réduction. Il est essentiel aussi de veiller qu’en réduisant les pertes à un maillon de la filière, elles ne soient pas reportées à un autre maillon, chez le consommateur notamment. Globalement, les besoin des recherches en soutien d’une réduction des pertes qui ont été identifiés par les groupes filières ne sont pas nouveaux. Ils sont connus et actés par rapport à des problématiques (sanitaires, attente des consommateurs, etc.) que la recherche a déjà identifiées avant. Ce qui est nouveau est l’établissement d’un lien avec la réduction des pertes, mais on constate toutefois que la perte de matière observée actuellement n’est pas apparue comme une problématique forte chez les acteurs de la filière.

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En termes de recherches sur l’amont par exemple, pour limiter les pertes à la récolte qui concernent plusieurs espèces, il conviendrait de développer les recherches (i) en amélioration génétique (par exemple architecture des plantes pour réduire la verse chez les protéagineux, l’égrenage chez les oléagineux ou la fragilité aux chocs et manipulations en fruits et légumes avec maintien de la qualité gustative) (ii) en physiologie et agronomie (architecture du couvert) en lien avec une évolution technologique du matériel de récolte. Actuellement, il y a peu de pertes dû aux maladies et ravageurs du fait de leur bonne maîtrise par l’usage de pesticides. Pour anticiper un éventuel durcissement de la réglementation limitant leur usage, il est essentiel de d’ores et déjà chercher des alternatives au champ et au stockage, par exemple en grandes cultures ou en fruits et légumes. Côté animal, des recherches en prévention de maladies ou de parasitisme contribueraient à la réduction de pertes. La prévention de mammites par exemple joue un rôle important dans la filière laitière. Plus en aval, nous signalons un besoin de conduire des recherches (génie des procédés, microbiologie, gestion, etc.) sur la réutilisation des écarts de tri ou de production pour l’alimentation humaine et sur les modèles économiques qui peuvent se baser sur des apports irréguliers et de qualité variable.

4.3 La complémentarité élevage et productions végétales dans la réduction des pertes alimentaires

La valorisation des écarts et retraits des filières végétales, qui complète celle des sous-/coproduits de la 1ère transformation végétale s’est structurée et organisée autour de la complémentarité élevage/productions végétales. Dans la mesure où la valorisation en alimentation du bétail n’a pas été considérée comme perte alimentaire dans le cadre de l’étude, si la valorisation des écarts de production ou des retraits se restreignait en alimentation animale, par suite d’un durcissement de la règlementation encadrant ces valorisations, quelles seraient les conséquences en termes de réorganisation du secteur de l’élevage ? A titre d’illustration, celle-ci s’annonce déjà dans le cas de la distribution aux veaux du lait comportant des résidus d’antibiotiques. Les sources et le coût des approvisionnements alimentaires des animaux pourraient alors se modifier ce qui impacterait probablement la rentabilité économique de ces filières. De nouvelles sources alimentaires devraient être identifiées, en minimisant le risque de concurrence avec l’alimentation humaine directe. On peut également se demander si des valorisations très efficientes d’écarts de production en alimentation animale auraient tendance à maintenir un statu quo et d’éventuellement freiner les innovations technologiques et organisationnelles conduisant à la diminution de ces écarts.

4.4 Les pertes en amont de la production prête à la récolte

Lorsqu’on s’interroge sur les pertes en agriculture, les pertes en cultures fourragères sont parmi les premières à être citées. Elles interviennent en amont de la production animale et ne font pas partie de notre périmètre d’analyse. Il s’agit de balles de foin enrubannées et pré-stockées trop longtemps dans leurs prés de fauche, de tas de paille mal protégés de la pluie, des pertes de fourrages humides au cours de la conservation et de la distribution des ensilages ou encore du fourrage non utilisé au cours des séquences de pâturage. Cette problématique est répandue et récurrente et mérite d’être analysée. Toujours en amont, on doit aussi s’intéresser aux pertes de rendement dans les filières végétales et aux sous-réalisations par rapport à un optimum de production recherché dans les filières animales (du fait de mortalités, des sous-réalisations en conséquences d’infections telles que les mammites, etc.). Bien qu’il s’agisse de ce que nous appelons des manques à produire, d’une nature différente de celle des pertes alimentaires, cette thématique complémentaire peut contribuer à l’identification d’objets de recherche dont la finalité est, tout comme celle des pertes alimentaires, d’orienter les filières vers des formes plus efficientes en termes d’offre alimentaire qu’il s’agit d’optimiser ainsi que de consommation de ressources et d’impacts environnementaux qu’il s’agit de minimiser.

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4.5 Perspectives au-delà de l’analyse des pertes de matière

Considérant que les pertes de matière sont déjà optimisées, dans bien des cas ce sont plutôt les pertes de valeur, par un manque d’opportunité de vente, qui sont sujet de réflexions chez les professionnels. On peut citer la filière céréales, dont la production, exception faite du riz, est très supérieure aux besoins de l’alimentation humaine sur le marché intérieur, observation qui reste valable lorsqu’on tient compte de la production exportée. Or, dans le cas du blé tendre, aujourd’hui, plus de 80% des blés produits en France présentent une qualité dite « meunière » c’est-à-dire avec un taux de protéines de 11 % minimum, exigence potentiellement coûteuse du point de vue environnemental et pas toujours rémunérée par la filière qui a tendance à simplifier la gestion de la collecte et la meunerie. Les pertes de valeur peuvent aussi être d’importance dans le cas de réutilisation ou de valorisation des écarts de production ou des retraits. S’il est essentiel de mesurer les pertes de volumes de produits alimentaires, on pourrait aussi s’intéresser à la perte de nutriments correspondants. Certains groupes filières ont amorcé cette analyse qu’il serait intéressant de poursuivre. Au-delà, on pourrait considérer aussi comme « perte » des phénomènes de mauvaise utilisation digestive des produits consommés. Dans le cas des protéagineux, la digestibilité des graines et fractions de graines est souvent inférieure à celle du grain de blé. Par voie génétique ou par des innovations « produits », on pourrait envisager une réduction de ces pertes digestives. Conclusions et perspectives de l’étude L’étude a permis de dresser un premier bilan des pertes alimentaires, en France, aux stades amont dans les principales filières agricoles et alimentaires. Les taux de pertes qui apparaissent dans ce bilan sont semblables ou inférieurs à d’autres estimations publiées: un ordre de grandeur de 5-10% de pertes allant jusqu’à environ 12% pour la pomme de terre et les fruits et légumes, de la production à la distribution, peut être avancé au regard des résultats de l’étude. L’étude a dû faire face à des difficultés de collecte des données pour plusieurs raisons : les données d’entreprises ont un caractère confidentiel et ne sont pas facilement partagées par les professionnels ; les données spécifiques aux pertes (taux des pertes, nature des matières perdues, déterminants et mode de gestion des pertes) ne sont quasiment pas collectées par secteur. Seules sont disponibles des synthèses sur l’utilisation de co- et sous-produits issus des filières végétales et animales, ou sur les gisements de biomasse disponibles, mais l’angle d’analyse de ces synthèses n’inclut nullement les aspects nécessaires pour l’analyse des pertes alimentaires (p.ex. devenir des écarts, distinction au sein de l’alimentation animale entre animal de rente et animal de compagnie). Il y a un besoin de produire des données consolidées par filière et par production qui portent sur l’ensemble écart/devenir/perte. Enfin, la complexité de certaines filières, pour lesquelles à chaque étape, une multiplicité d’usages sont possibles – alimentaires, bioénergie, chimie…- rend difficile le suivi des flux et les quantifications cohérentes de matières. Le sujet des pertes étant encore assez peu exploré par la recherche ; il ne bénéficie pas de méthodologies stabilisées, et notamment dans le domaine de la quantification des pertes et gaspillages (Redlingshöfer, 2015). A terme, il sera indispensable de disposer d’un cadre méthodologique de référence, comme le projet FUSIONS doit le proposer à l’échelle européenne, afin de permettre la comparaison des données et leur suivi dans le temps. La présente étude constitue une contribution significative à la définition de ce cadre méthodologique. En termes de leviers à mobiliser, force est de constater qu’ils restent aussi divers et spécifiques que sont les situations de survenue des pertes. Plusieurs leviers techniques, organisationnels,

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réglementaires et liés l’information et la formation seront pertinents pour agir sur quelques points critiques identifiés dans l’étude et concernant un ensemble des filières :

- Sélection variétale et adaptation des itinéraires techniques et du matériel agricole pour agir sur les pertes à la récolte dans les filières végétales,

- Progrès dans les moyens de lutte contre les maladies et ravageurs ayant une incidence sur le stockage et la conservation des produits

- Progrès en santé animale réduisant les besoins de traitement et les risques de mortalité et de saisies sanitaires,

- Innovations produit et développement de gamme pour valoriser les produits de moins en moins plébiscités par les consommateurs, en visant leurs atouts (valeur nutritionnelle, environnementale),

- Innovations dans l’usage des écarts de tri et de production : procédés, circuits de distribution, nouveaux business modèles d’entreprises.

Nous concluons que la réduction des pertes se heurte à leur dispersion dans les filières et au fait qu’ils portent à chaque stade sur des volumes d’importance modérée voire faible, ce qui impacte directement le coût de la mise en place des leviers. A ce stade, les pertes sont bien intégrées dans les modèles économiques des filières de production et ne semblent pas les déstabiliser, leur coût étant porté par l’ensemble de la chaîne et in fine par le consommateur. Toutefois, la question des pertes doit être traitée en articulation avec d’autres volets de la durabilité des filières : le coût environnemental, l’impact social tout particulièrement. Vouloir réduire les pertes demandera des changements dans les systèmes techniques et organisationnels qui demanderont une réflexion et adhésion collective de l’ensemble des acteurs. Les besoins de connaissances et les questions adressées à la recherche qui ont d’ores et déjà été identifiés contribueront à leur mise en œuvre.

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Somsen D., Capelle A., Tramper J., 2004. Food yield analysis in the poultry processing industry., J of Food Engin., 65, 479-487

SIFCO, 2015. Rapport d’activité 2014. 42 p.

Whitehead P., Palmer M., Mena C., Williams A., Walsh C., 2011. Resource maps for fresh meat across retail and wholesale supply chains. Etude WRAP N° RSC009. Final report, June 2011. 105 p.

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Annexe 1 : Détail des motifs de retraits présentés au tableau A1.1 pour les stades transport /abattage et découpe carcasse Description des rubriques communes « origine des retraits » :

- Mortalités au ramassage (cas des volailles de chair) : animaux chétifs, accidentés ou morts pendant le ramassage, qui ne sont pas enlevés mais comptabilisés dans les pertes globales en phase d’élevage

- Mortalités en transport et attente d’abattage : saisies totales pratiquées avant abattage (saisies ante mortem)

- Saisies sanitaires après abattage : saisies totales ou partielles pratiquées après abattage sur la carcasse ou les abats (saisies post mortem)

- Retrait MRS : Matériels à risque spécifié vis-à-vis des encéphalopathies spongiformes transmissibles dont l’ESB

- Matières stercoraires : contenus de tube digestif - Autres parties non consommables 5ème quartier : fractions non consommables (ex : cuirs,

plumes…) y compris sang (bovins, ovins et poulet) ; cuirs et peaux non considérés (bovins et ovins)

- Retrait d’abats et parties consommables du 5ème quartier : retrait de la consommation humaine directe de fractions considérées comme consommables (ex : tripes, sang de porc…)

- Parties non consommables de la carcasse (ex : os) - Retrait de fractions partiellement consommables : non récupération de parties consommables

sur des pièces de découpe de carcasses de petit format (ex : viande séparable mécaniquement à partir de cous de poulet).

Tableau A1.1 : Motifs de retraits et volumes concernés.

Stade de la filière Origine des retraits Ampleur par filière (approx.)

Bovins Ovins Porc Poulet Truite Proportions en % du poids vif

1ère transfor-mation

Mortalités en transport / attente abattage et saisies avant abattage

0,4a1 % Non documenté

0,25c1 % 0,33 % Non documenté Saisies sanitaires

après abattage 1,6a2 % 0,75c2 % 1,07 %

Retrait MRS 2,5 % Inclus dans

retraits d’abats

- - -

Matières stercoraires 13,1 % 8,3 % 7,9c3 % - - Autres parties non consommables 5ème quartier

12,6 % 27,5 % - 23,5 % 14 %

Retrait d’abats et parties consommables 5ème quartier

4,3a3 % 2,8b1 % 5,6c4 % 2,1d2 %

Proportions en % du poids de carcasse (part de découpe estimée) 100 % 100 % 100 % 60 % 50e1 %

2nde transfor-mation

Parties non consommables de la carcasse

31,2a4 % 20,0b2 % 10,9c5 % 5,5d3 % 20,6e2 %

Retrait de fractions partiellement consommables

< 1,2c4 % 5,4d4 % 22,0e3 %

a1 approximé comme la proportion de saisies totales ; mortalité au transport négligeable a2 approximé comme la proportion de saisies partielles

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Réduire les pertes alimentaires dans les filières françaises

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a3 soit 63 % des abats non valorisés en alimentation humaine (lesquels représentent 6,8 % du poids vif) en considérant les quantités exportées comme valorisées en alimentation humaine a4 totalité des os et autres fractions non consommables b1 soit 50 % des abats non valorisés en alimentation humaine (lesquels représentent 5,5 % du poids vif) b2 totalité des os et autres fractions non consommables c1 approximé comme la proportion de morts et saisies totales c2 approximé comme la proportion de saisies partielles c3 généralement traité comme effluent c4 soit 49 % des abats et du sang non valorisés en alimentation humaine (lesquels représentent 11,5 % du poids vif), en considérant les quantités exportées comme valorisées en alimentation humaine c5 totalité des os uniquement (en supposant valorisés les 6 % de couenne et les 22,9 % de gras sous-cutané des pièces de découpe) c6 déchets de découpe incluant une fraction susceptible d’entrer dans des préparations d1 les animaux chétifs, accidentés ou morts pendant le ramassage restent sur place et sont comptabilisés dans les pertes globales en phase d’élevage d2 soit 30 % des abats et des cous supposés non valorisés en alimentation humaine (lesquels représentent 6,9 % du poids vif) ; valorisation via la production d’une fraction de viandes séparées mécaniquement (VSM) d3 soit la totalité des croupions et coffres, non consommables d4 soit 30 % des dos avant et arrière, peaux de poitrine et lambeaux de découpe supposés non valorisés (lesquels représentent 18,0 % du poids de carcasse) ; valorisation via la production d’une fraction de VSM e1 moyenne rapportée aux tonnages vifs (la découpe ne concernant pas la truite portion mais seulement la grande truite (> 350 g) dont 70 % des tonnages vifs sont découpés) e2 fraction peu valorisable via la production de pulpes (tête, parage extra et peau) ; moyenne rapportée aux tonnages respectifs de filet standard et de filet parage extra pelé (cru ou fumé) e3 arêtes théoriquement valorisables via la production de pulpes (rendement de l’ordre de 50 %) à incorporer dans les préparations ; moyenne rapportée aux tonnages respectifs de filet standard et de filet parage extra pelé (cru ou fumé)

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Annexe 2 : Modalités d’estimation des différents usages des sous-produits C3 par filière de provenance Les données 2014 du syndicat des industries françaises des coproduits animaux (SIFCO, 2015) ont été utilisées. Elles comportent :

- En entrée, les quantités respectives de matière brute C3 par filières de provenance : ruminants (majoritairement bovins) ; porcs ; volailles ; poissons (majoritairement de pêche) ;

- En sortie, les quantités commercialisées selon les différentes destinations (usages) pour chacun des deux grands types de produits obtenus : PAT (protéines animales transformées, dont farines d’os) ; graisses.

Un bilan global des entrées / sorties a été établi sur la base des rendements de transformation respectifs des protéines et graisses (Académie d’agriculture de France, 2010). Pour 2014, ce bilan est équilibré à 3,2 % près. Tableau A2.1 : Nature et part des retraits

Fractions de la matière brute (C3) Produits obtenus

Nature Part relative

Rdt déshy. Nature Part

relative Protéines et minéraux 83,5 % 0,27 PAT 59 %

Matières grasses 16,5 % 1 Graisses 41 %

Toutefois, un bilan précis de ce type ne peut être établi au niveau de chacune des filières de provenance des matières brutes, car si certaines des PAT ou graisses produites sont spécifiques d’une unique filière de provenance, d’autres sont multi-espèces. Des bilans approximatifs des usages par filière de provenance ont néanmoins été établis séparément pour les PAT et les graisses en recourant à des hypothèses simplificatrices :

- Les proportions de protéines/minéraux et graisses dans la matière brute C3 ont été supposées invariables d’une filière de provenance à l’autre, ce qui constitue une approximation grossière ;

- Les PAT ou graisses multi-espèces ont été réparties arbitrairement entre les filières de provenance au prorata de la contribution de chaque filière au total de la matière brute C3. Bilan partiel de la fraction « protéines / minéraux » de la matière brute C3

Les données utilisées sont celles du tableau « protéines – année 2014 » qui croise les différents types de PAT avec leurs destinations (usages). Les quantités produites ont été affectées soit intégralement à une filière de provenance (si mono-spécifique ou assimilé) soit au prorata (si multi-espèces) (Tableau A2.2) Tableau A2.2 : Type de sous-produits par filière

Type de protéines Spécifiques Multi-espèces +/-Ruminants* Porcins Volailles Poissons**

Os à gélatine dégraissé / Gélatine X Farine d’os X Phosphate dicalcique X PAT multi-espèces dont ruminant X Farine de plumes/soies X PAT de volaille X PAT de porc X Cretons X Farine de poisson X PAT de sang / Produits sanguins X Petfood humide*** X

* Matière brute multi-espèces à forte dominante bovine ; ** Matière brute à forte dominante pêche ; *** ramené en équivalent sec

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Réduire les pertes alimentaires dans les filières françaises

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Ces modalités d’affectation restent approximatives, puisque la proportion de PAT spécifiques varie de 47 % à 82 % selon la filière de provenance. Néanmoins, après ajout d’un prorata de contribution non spécifique, les quantités de PAT reconstituées par filière de provenance constituent des ordres de grandeur acceptables puisqu’elles évoluent de 79 à 114 % de l’attendu (Tableau A2.3). La valeur par excès correspond à la filière de provenance dont la définition reste la plus imprécise (majoritairement ruminants avec fraction indéterminée d’autres espèces). Tableau A2.3 : Proportions de PAT reconstituées par filière

Proportions (%) rapportées aux tonnages de PAT attendus*

+/- Ruminants

Porcins Volailles Poissons

PAT spécifiques 82 % 47 % 67 % 68 % PAT non spécifiques** 32 % 32 % 32 % 32 % Total reconstitué 114 % 79 % 99 % 100 %

* soit : total de la matière brute C3 x contribution respective de chaque filière de provenance (pour une proportion identique de protéines et minéraux par rapport à la matière brute C3 d’une filière de provenance à l’autre, ce qui constitue une approximation grossière) ** au prorata de la contribution respective de chaque filière de provenance Les destinations des différentes PAT ont ensuite été regroupées en 4 grands types d’usages :

- Alimentation humaine - Alimentation du bétail (animaux terrestres + aquaculture) - Petfood - Autres usages (fertilisant + gélatine + incinération)

Il en découle un bilan approximatif des usages de PAT issues des sous-produits C3 selon la filière de provenance des matières brutes (Tableau A2.4) Tableau A2.4 : Usage des PAT

Types d’usages des PAT dont farines d’os (83,5 % de la matière brute traitée pour 59 % des produits secs ou équivalent sec obtenus)

Ampleur par filière (ordre de grandeur) Multi-

espèces dont

ruminants Porcins Volailles Poissons

Alimentation humaine 0,3 % 0,4 % 0,4 % 0,4 % Aliments bétail / poissons 4,4 % 6,3 % 12,0 % 59,4 % Pet food 83,6 % 81,1 % 76,3 % 31,0 % Fertilisants ou autres usages 11,7 % 12,1 % 11,4 % 9,2 %

Bilan partiel de la fraction « graisses » de la matière brute C3

Les données utilisées sont celles du tableau « corps gras animaux – année 2014 » qui croise les différents types des graisses avec leurs destinations (usages). Les quantités produites ont été affectées à une ou plusieurs filières selon les mêmes modalités que précédemment, comme récapitulé dans le Tableau A2.5. La proportion de graisses spécifiques varie de 40 à 83 % selon la filière de provenance (Tableau A2.6). Après ajout d’un prorata de contribution non spécifique, les quantités de graisses reconstituées par filière de provenance constituent des ordres de grandeur acceptables puisqu’elles évoluent de 84 à 116 % de l’attendu, mis à part le cas des poissons.

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Tableau A2.5 : Affectation des graisses selon les filières

Type de graisses Spécifique Multi-

espèces Ruminants +/- Porcins Volailles Poissons

Graisse d'osa Xa Graisses multi-espècesb Xb Graisse de volaille X Graisse de porc X Huile de poisson X Fontec Xc

a sauf ruminants (cf. interdiction d’utilisation en alimentation animale dont petfoods) et poissons b majoritairement ruminants (cf. absence d’utilisation en alimentation animale dont petfoods suite à interdiction dans le cas des ruminants) c sauf poissons

Tableau A2.6 : Proportions reconstituées des graisses par filière

Proportions (%) rapportées aux tonnages de graisses attendus*

+/- Ruminants

Porcins Volailles Poissons

Graisse spécifiques 82 % 83 % 51 % 40 % Graisses non spécifiques** 29 % 33 % 33 % - Total reconstitué 111 % 116 % 84 % 40 % * total de la matière brute C3 x contribution respective de chaque filière de provenance (pour une proportion identique de graisses par rapport à la matière brute C3 d’une filière de provenance à l’autre, ce qui constitue une approximation grossière) ** au prorata de la contribution respective de chaque filière de provenance Les destinations des différentes graisses ont ensuite été regroupées en 4 grands types d’usages :

- Alimentation humaine - Alimentation du bétail (animaux terrestres + aquaculture) - Petfood - Autres usages (biochimie + biodiesel + combustible)

Il en découle un bilan approximatif des usages de graisses issues des sous-produits C3 selon la filière de provenance des matières brutes (Tableau A2.7) Tableau A2.7 : Usage reconstitué des graisses animales

Types d’usages des graisses (16,5 % de la matière brute traitée pour 41 % % des produits secs ou équivalent sec obtenus)

Ampleur par filière (ordre de grandeur) Multi-

espèces dont

ruminants

Porcins Volailles Poissons

Alimentation humaine 7,0 % 19,2 % 9,2 % - Aliments bétail / poissons 3,5 % 28,4 % 35,1 % 92,4 % Pet food 0,5 % 10,0 % 29,7 % - Fertilisants ou autres usages 89,1 % 42,3 % 26,2 % 7,6 %

Bilan global consolidé de l’ensemble PAT + graisses issues de la matière brute C3

Les bilans partiels « protéines / minéraux » et « graisses » restent indicatifs compte tenu des nombreuses approximations pratiquées mais ils fournissent néanmoins des tendances claires sur les variations d’usage des PAT et graisses produites en fonction de leur filière de provenance. Un bilan unique consolidé a donc été produit en agrégeant les deux fractions selon leurs proportions respectives dans la matière brute C3 objet des retraits (Tableau A2.1)

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Pertes alimentaires dans les filières fruits, légumes et pomme de terre

Jeannequin B.1, Plénet D.2, Carlin F.3, Chauvin J.-E.4, Dosba F.5

Avec la collaboration de Amiot-Carlin M.-J., Faloya V., Georget M., Laurens F., Pitrat M., Renard C., Redlingshöffer B.

1 INRA, Domaine Expérimental Alénya Roussillon, Le Mas Blanc, F-66200 Alénya 2 INRA, UR 1115 Plantes et Systèmes de culture Horticoles, Domaine Saint Paul, Site Agroparc, F-84914 Avignon Cedex 9 3 INRA, UMR408 Sécurité et Qualité des Produits d’Origine Végétale, INRA, Avignon Université, F-84000 Avignon Cedex 9 4 INRA, UMR 1349 IGEPP, Keraïber, F-29260 Ploudaniel 5 Montpellier SupAgro, UMR AGAP- Amélioration génétique et adaptation des plantes méditerranéennes et tropicales – Avenue Agropolis, TA A96/03, F-34398 Montpellier Correspondance : [email protected], [email protected] Résumé Cette étude contribue à évaluer les pertes alimentaires en France au sein des filières de fruits, légumes et pomme de terre. Compte tenu du nombre de produits, de la variété des systèmes de production et des multiples destinations, l’analyse s’appuie sur 9 productions illustrant la diversité existant au sein de ces trois filières. Des pertes alimentaires potentielles apparaissent tout au long de ces filières, de la parcelle du producteur à l’étal du distributeur, et peuvent être plus ou moins importantes selon les produits (d’environ 5% à plus de 20%). Elles représentent globalement pour l’ensemble des fruits et des légumes 12% de la production disponible au champ. Les trois quarts de ces pertes sont constatés aux premières étapes de la filière, de la récolte à la mise en marché. Leurs principales causes sont la sensibilité des produits aux aléas sanitaires et climatiques, leur périssabilité, l’application de normes règlementaires ou de cahiers des charges exigeants. Les pertes aux stades de la distribution (grossistes et détaillants) représentent le quart restant ; elles sont principalement dues à la manipulation de produits très périssables et surtout à des problèmes de surmaturité liés en partie à une gestion inappropriée des stocks. Ces produits écartés de ces filières sont en majorité épandus dans les parcelles agricoles, et plus occasionnellement orientés vers des plateformes de méthanisation. Pour réduire ou mieux valoriser ces pertes alimentaires, plusieurs leviers d’action peuvent être envisagés à différents niveaux de ces filières, avec pour certaines d’entre elles l’appui de la Recherche et/ou un soutien des politiques publiques. Mots-clés : Perte alimentaire, Fruit, Légume, Pomme de terre, Tomate, Pomme de table Abstract: Food losses in fruits, vegetables and potato supply chains This work deals with food loss in the French production chains of fruits, vegetables and potato. The study focuses on nine products representative of the diversity of product categories, production systems and final uses. Potential losses are distributed all along the production chain, in the farmer’s field or orchard up to retail and vary according to the type of product, being comprised between 5 % and more than 20 % overall. For fruits and vegetables as a whole, food loss represents approximately 12 % of the production being ready for harvest in the field or the orchard.

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Three quarters of these losses are observed at the upstream stages of the chain, from harvest to marketing. These are mainly due to high sensitivity of fruits and vegetables to sanitary problems and unfavorable weather conditions, high perishability, and non-conformity to regulations or to demanding commercial specifications. Food losses at distribution stage (wholesalers and retailers) represent the remaining quarter. They are mainly due to handling of highly fragile commodities with limited shelf-live, and over-ripening problems due to inappropriate stock management. Discarded products are mostly spread on fields, and occasionally directed to anaerobic digestion units. In order to decrease food loss or make better use of it though recycling, several types of action can be considered at different steps of the production chain, with possible support from research projects and/or of public policy. Keywords: Food loss, Fruit, Vegetable, Potato, Tomato, Apple Introduction Des estimations de pertes alimentaires, réalisées par de grandes organisations internationales telle la FAO, (2011), indiquent que 30 à 50 % de la production alimentaire mondiale seraient perdus entre le champ et l’assiette du consommateur. La réduction de ces pertes de produits comestibles dans la chaine alimentaire est un enjeu majeur par rapport à l’éradication de la faim dans le monde, notamment en raison de l’augmentation de la population mondiale. Ces pertes correspondent aussi à une utilisation inutile des ressources naturelles (eau, énergie fossile, minéraux…), dans les contextes délicats de leur raréfaction et de la nécessité de réduire les impacts environnementaux de l’agriculture. Pour réduire ces pertes, il est indispensable d’identifier les étapes de la chaine alimentaire où elles sont les plus élevées afin de mettre en place des leviers adaptés. L’étude présente porte sur les filières fruits, légumes et pomme de terre en France. Elle a été réalisée dans le cadre d’un travail prospectif de l’Inra afin de repérer les sources des pertes, de les quantifier, et d’identifier les leviers d’actions envisageables prochainement et les principales questions de recherche. 1. Caractéristiques des filières fruits, légumes et pomme de terre impactant les pertes La France est l’un des principaux pays producteurs de fruits, de légumes et de pomme de terre de consommation de l’UE 28. Ces productions sont présentes dans près de 10 % des exploitations agricoles françaises ; elles occupaient en 2010 une superficie de 516 000 ha soit près de 2 % de la Surface Agricole Utile, (AGRESTE, 2010). Le volume de la production française de fruits, légumes et pomme de terre est d’environ 13 millions de tonnes, ce qui représente en valeur près de 8 milliards d’euros soit 12,3% de la valeur de la production agricole française (FranceAgriMer, 2013). Cette filière est caractérisée par une très grande diversité de produits, de systèmes de production et de modèles économiques (Jeannequin et al., 2011). Ceci rend difficile l’évaluation des pertes pour les différentes espèces, avec pour certaines productions, des destinations multiples : frais avec des circuits de commercialisation plus ou moins longs, transformés (appertisé, surgelé…). L’importance de la part de produits frais non transformés (du champ à l’assiette) et de celle des produits transformés est variable selon les produits. Certaines productions initialement destinées au marché de frais peuvent être en partie réorientées vers la transformation, comme la pomme ou l’abricot, le chou-fleur, la salade, ou la pomme de terre. Pour les légumes et la pomme de terre, les variétés et les modes de production deviennent cependant de plus en plus spécifiques de la destination. Pour les fruits, les écarts de tri du marché de frais (défauts de calibre et d’aspect) vont en partie à la transformation, ce qui limite les pertes. Il existe aussi des productions traditionnelles destinées spécifiquement à l’industrie de la transformation, comme par exemple les pommes à cidre, les cerises d’industrie ou les pêches pavies.

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Filières fruits, légumes et pomme de terre

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Des cultures et des vergers dédiés à la transformation pour le « baby food » et pour les produits issus de l’agriculture biologique (AB), sont en développement. 1.1 Une filière sensible aux aléas climatiques et sanitaires

La forte sensibilité de nombreuses productions fruitières et légumières aux aléas climatiques et sanitaires occasionne chaque année des manques à produire et des pertes conséquentes au moment des récoltes lorsque les produits ont atteint un niveau de maturité suffisant pour être commercialisés. Ces pertes sont difficilement quantifiables globalement, très aléatoires et variables d’une année à l’autre. Elles peuvent être causées par des intempéries comme les pluies violentes ou les orages de grêle qui vont causer des blessures sur les fruits et les légumes, la canicule qui accélère la maturation, les fortes pluies qui retardent la récolte, ou encore les gelées ou la neige qui nécrosent les tissus. A l’approche des récoltes, des pertes peuvent également être causées par des attaques de bio-agresseurs, rendant alors les produits impropres à la commercialisation et/ou à la consommation. Malgré les moyens utilisés pour la protection des cultures, ces pertes sont fréquentes car certains bio-agresseurs sont difficiles à maîtriser techniquement, notamment lorsque les conditions climatiques sont très favorables à la multiplication des générations de ravageurs ou au développement de maladies. C’est aussi le cas avec l’apparition de nouveaux bio-agresseurs comme Drosophila suzukii, ravageur des fruits rouges (cerise, fraise, framboise…), contre lesquels les producteurs sont souvent très démunis. Dans le cas de la pomme de terre, les tubercules formés sous terre ne sont pas soumis à la plupart des aléas climatiques, mais ils peuvent être attaqués par des parasites (bactéries, maladies fongiques). De plus, de fortes pluies à la récolte peuvent entraîner de lourdes pertes, du fait de l’adhérence de la terre aux tubercules et/ou de l’impossibilité de rentrer dans les parcelles avec les récolteuses. La saisonnalité et la régionalisation des productions peuvent générer à certaines époques de l’année, pour des raisons climatiques, des périodes de surproduction et entrainer des pertes importantes du fait d’une simultanéité des récoltes dans plusieurs bassins de production. C’est le cas de la plupart des produits à faible durée de conservation destinés exclusivement au marché de frais (melon, fraise, pêche…). Cela peut aussi être le cas, certaines années, pour les produits destinés à l’industrie (haricot vert, petit pois…) avec la difficulté pour les usines de gérer des pics importants de production. Les conditions météorologiques ont aussi une incidence sur la production des jardins amateurs qui, pour certaines espèces (tomate, salade, cerise, fraise…), concurrence substantiellement celle des professionnels. 1.2 Des règles commerciales plus ou moins contraignantes

Depuis juillet 2009, l’Union Européenne a abrogé les normes de qualité pour la plupart des fruits et légumes afin de réduire la quantité de fruits et légumes non commercialisés auprès des consommateurs et de limiter l’augmentation des prix. En France, les conséquences de cette disparition des normes de commercialisation ont été très limitées. En effet, la dizaine de produits sur laquelle des normes ont été maintenues, représente à elle seule 75% de la valeur des échanges de fruits et légumes dans l’Union Européenne. De plus, pour la plupart des fruits et légumes produits en France, des accords interprofessionnels édictent des règles plus strictes que la règlementation en vigueur pour faciliter les relations commerciales. Pour ces raisons, il existe actuellement de nombreuses normes techniques pour les fruits et légumes frais et les pommes de terre de consommation, mais aussi des cahiers des charges de plus en plus contraignants au niveau de la production, du conditionnement, du stockage, de la mise en marché, du transport et de la distribution. Les fruits et légumes frais sont exemptés de Date Limite de Consommation (DLC) et de Date de Durabilité Minimale (DDM), ex Date Limite d’Utilisation Optimale (DLUO). Par contre, les fruits et légumes transformés sont soumis à des DLC ou à des DDM, selon leur

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degré de transformation et leur périssabilité (DGCCRF, 2002 ; 2015). Ces différentes normes engendrent indiscutablement des pertes ; toutefois, il est difficile d’en mesurer l’impact. 1.3 Des produits à durée de conservation très variée

Les fruits et légumes frais sont des produits consommables en l’état, généralement pas ou peu stockables. La périssabilité dépend de la physiologie des produits. Les durées de conservation et de vie commerciale pour les produits frais non transformés varient de quelques jours à plusieurs semaines, voire une année. A température de 4°C, la pomme peut être conservée jusqu’à 8-12 mois en atmosphère contrôlée, alors que pour la framboise, la durée de conservation n’est que de 2 jours. Pour les légumes, la durée de conservation va de 5 jours au maximum pour les légumes feuilles, à environ 1 semaine pour les courgettes et tomates, et 2 à 3 semaines pour les choux et les carottes. Pour la pomme de terre, excepté la primeur qui se conserve quelques semaines, la durée de conservation se situe entre 8 et 12 mois selon les conditions de stockage et la destination du produit (consommation en frais ou diverses transformations après conservation en silo à la ferme). La transformation des produits (surgélation ou appertisation) permet leur stabilisation pour des durées de conservation bien supérieures. 1.4 Une diversité des modes de transformation

Différents types de transformation sont mis en œuvre : de type non stabilisé (gamme prête à l’emploi) ou stabilisé (gamme conserve / gamme surgelé / gamme plats cuisinés réfrigérés). Il est d’usage de classer les produits alimentaires, et en particulier les fruits et légumes, en 5 gammes. La 1ère gamme correspond aux fruits et légumes frais à l’état brut et n’ayant subi aucune transformation. Après appertisation (2ème gamme) ou surgélation (3ème gamme), les pertes sont quasi-nulles ; elles se limitent à la conservation inappropriée des fruits et légumes surgelés ou n’ont pas de lien avec des considérations réglementaires. En revanche, les écarts en amont de la transformation sont de même nature que ceux subis par les produits de 1ère gamme, auxquels s’ajoutent les écarts liés à la transformation : tri, parage, pertes en ligne… Une DDM est appliquée à ces produits. La 4ème gamme concerne des fruits et légumes crus, frais prêts à l’emploi et qui nécessitent une dernière opération avant consommation (assaisonnement, cuisson, etc.). Les écarts lors de la transformation sont conséquents. Les pertes en amont de la transformation sont de même nature que celles subies par les produits de 1ère gamme, et auxquelles s’ajoutent les invendus de la distribution. Une DLC est appliquée à ces produits. La 5ème gamme propose au consommateur des fruits et légumes prêts à consommer, pasteurisés ou stérilisés, conservés notamment sous chaîne du froid, et donc ayant une durée de conservation limitée. Les pertes en amont et en aval de la transformation sont sensiblement les mêmes que pour la 4ème gamme. 1.5 De nombreux circuits de distribution

En France, les circuits de distribution des fruits et légumes frais sont multiples, depuis la vente directe dans le champ ou à la ferme jusqu’aux systèmes d’import/export à l’échelle globale (Annexe 1). 75 % des volumes sont commercialisés par la grande distribution qui impose de rigoureux critères d’aspect, ce qui écarte des produits encore consommables. Inversement, les standards commerciaux des produits destinés aux autres circuits (Primeurs – Marchés – Vente directe) sont généralement moins exigeants; ils représentent 25 % des volumes (FranceAgriMer, 2013). Ces circuits distribuent des produits de catégorie II et les pertes dues aux méventes pour défauts d’aspect sont plus limitées. Avec, près de 5,6 millions de tonnes d’import et environ 4 millions de tonnes d’export en 2013, les échanges internationaux et intra-communautaires sont particulièrement importants pour les filières françaises de fruits, légumes et pomme de terre. La forte compétitivité entre pays et des crises géopolitiques peuvent avoir un impact notable sur des produits destinés au marché de frais en France

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Filières fruits, légumes et pomme de terre

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et provoquer des pertes conséquentes en valeur et en volume. A titre d’exemple, l’embargo russe du 6 août 2014 a entrainé une non récolte de certains légumes (chou-fleur, échalote, oignon…). 1.6 Une consommation dépendante des conditions météorologiques

Des produits (pêche, abricot, melon par exemple) sont consommés seulement à certaines périodes de l’année et pour des durées plus ou moins longues selon le type de produits et l’étendue de leur gamme variétale. L’équilibre entre l'offre et la demande est cependant fragile et difficile à maitriser pour ces productions, d'autant plus que différents facteurs, et en particulier les conditions climatiques, influent sur le comportement des consommateurs. Par exemple, lors d’un été frais et pluvieux, le consommateur délaissera les fruits d’été pour acheter des pommes ou des produits transformés. Ces fluctuations de consommation liées aux aléas météorologiques peuvent engendrer des pertes dont le niveau est fonction de la périssabilité des produits et des possibilités de circuit de substitution, notamment de transformation, par rapport au marché de frais. 2. Méthodologie 2.1 Définition et périmètre des pertes alimentaires appliquées à la filière Les définitions des pertes et gaspillages alimentaires étant actuellement nombreuses, nous avons retenu pour ce travail la définition suivante : « Sont ainsi considérés comme des pertes alimentaires, les produits comestibles perdus tout au long de la chaine alimentaire humaine. Les parties non consommables (noyaux, épluchures…) ainsi que les produits écartés mais valorisés par l’alimentation animale, eux-mêmes destinés à la consommation humaine, ne sont pas considérés comme des pertes alimentaires » (Redlingshöffer, 2015). Les produits qui n’atteignent pas pour diverses raisons (aléas climatiques, techniques ou sanitaires) la maturité au champ ne sont pas qualifiés comme pertes alimentaires ; ceux-ci sont considérés comme des manques à produire. 2.2 Choix de productions illustratives

Compte-tenu de la diversité des productions et des modes de transformation et/ou de commercialisation nous avons fait le choix d’analyser 9 productions françaises illustratives ; de nombreux fruits et légumes peuvent être assimilés à ceux qui ont été sélectionnés. Fraise : Production majoritairement sous abri (tunnels ou chenilles plastiques). Produit à évolution physiologique rapide, très sensible aux manipulations, destiné au marché du frais et très peu vers la transformation. Production récoltée en France en 2013 : 56 000 t. Durée de stockage : environ 2 à 4 jours. Produits partiellement équivalents : framboise. Pêches et Nectarines : Production de plein air. Produit très fragile à évolution physiologique rapide, sensible aux aléas météorologiques et aux manipulations (chocs). Il existe peu de possibilités de transformation, les excédents de production peuvent donc entraîner des pertes pour la partie des récoltes à faible valeur commerciale (fonds de cueille, petits calibres…). Production récoltée en France en 2013 : 220 000 t. Durée de stockage: 10 jours maximum. Produits partiellement équivalents : abricot, cerise, prunes… Tomate fraîche : Production majoritairement sous serre verre ou abri plastique. Produit fragile exclusivement destiné au marché du frais. Il existe occasionnellement des périodes de surproduction. Production récoltée en France en 2013 : 577 000 t. Durée de stockage : environ 10 jours. Produits partiellement équivalents : concombre, poivron, aubergine, courgette… Melon : Production de plein champ ou sous chenilles plastiques, avec une technicité importante pour assurer la qualité du produit. Produit fragile, très sensible aux conditions climatiques et à leurs effets sur les volumes de production d’une part, et sur la demande des consommateurs d’autre part, ce qui peut

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entrainer des non-récoltes. Pas de transformation possible. Production récoltée en France en 2013 : 265 000 t. Durée de stockage : environ 10 jours. Produit partiellement équivalent : pastèque. Pomme de table : Production de plein air, de plus en plus protégée par des filets. Produit destiné au marché du frais, à évolution physiologique lente et avec un potentiel de conservation de très longue durée en atmosphère contrôlée. Possibilité d’orienter les écarts de tri et les invendus vers la transformation (jus et compotes). Production récoltée en France en 2013 : 1 688 000 t. Durée de stockage : entre 6 mois et un an. Produits partiellement équivalents : poire, kiwi, nashi… Pomme de terre de consommation et de transformation : Production de plein champ classée parmi les cultures légumières (primeurs) ou les grandes cultures (pomme de terre de conservation). Produits à évolution physiologique lente en conditions de conservation appropriées. Possibilité d’orienter les écarts de tri vers la transformation (flocons de purée) et l’alimentation animale. Production récoltée en France en 2013 : 5 290 000 t. Durée de stockage : 8 à 12 mois. Produits partiellement équivalents : oignon, carotte… Salade de 4ème gamme : Production sous abri ou en plein champ sous contrat destinée à l’industrie. Produit très sensible aux aléas sanitaires et climatiques pour le plein champ. Produit très fragile consommé en frais, considéré comme un produit « ultra-frais » dans la distribution avec des durées de vie limitées à quelques jours, et sous chaîne du froid. Production récoltée en 2013 : pas de données Agreste. Durée de stockage : 1 à 2 jours entre récolte et transformation ; une semaine dans les circuits de distribution. Produits concernés : laitue, chicorée, mâche, jeunes pousses… Haricot vert pour la transformation : Production de plein champ, contractualisée avec les industriels. Produit peu fragile récolté mécaniquement, risques occasionnels de non récolte pour cause de surproduction, d’aléas climatiques ou d’attaques parasitaires. Production récoltée en France en 2013 : 282 000 t. Durée de stockage inférieure à 24 heures entre la récolte et la transformation. Produits partiellement équivalents : petit pois, mais doux, épinard, flageolet… 2.3 Enquêtes, entretiens auprès d’experts de la filière

Cette étude s’appuie principalement sur les connaissances et l’expertise des membres du Groupe Filière Fruits Légumes et Pommes de terre (G2FLP) de l’Inra. L’évaluation globale des pertes aux principales étapes de la filière a été acquise grâce à l’étude réalisée pour Interfel par le cabinet Gressard et à laquelle ont contribué certains membres du G2FLP. La quantification des pertes au stade de la production et de la mise en marché pour les produits emblématiques a été évaluée à la suite d’entretiens avec différents acteurs impliqués dans ces filières (instituts techniques, chambres d’agriculture, organisations de producteurs et metteurs en marché…). 3. Caractérisation des pertes alimentaires aux différentes étapes de la filière 3.1 Analyse des sources de pertes alimentaires et leurs déterminants

Pour les productions étudiées, des sources de pertes apparaissent à toutes les étapes de la filière, du champ lorsque le produit est prêt à être récolté au magasin de distribution où s’approvisionnent les consommateurs (Tableau 1). 3.1.1 Causes des pertes au champ En premier lieu, des attaques de bioagresseurs peuvent engendrer des défauts de présentation (piqûres, taches…) qui déclassent les produits par rapport aux exigences commerciales correspondant à leur destination première. En effet, les moyens disponibles de protection contre certains bio-agresseurs peuvent s’avérer insuffisants pour les maîtriser jusqu’à la récolte. L’évolution de la règlementation sur l’usage des produits phytosanitaires (réduction de leurs usages, délai de traitement avant récolte, conditions d’application, limite de résidus de pesticides…) et/ou l’absence de techniques

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alternatives ayant une bonne efficacité peut augmenter les risques de pertes liés aux dégâts des bio-agresseurs. C’est le cas du mildiou ou des pucerons sur salade, de sclérotiniose sur gousse de haricot vert, de Drosphila suzukii sur fraise ou sur cerise, des monilioses sur pêcher, ou encore de pucerons cendrés ou de vers de la pomme (carpocapse) sur pommier… Ceci est encore plus difficile lorsque les récoltes s’échelonnent sur plusieurs mois (fraise, tomate). En second lieu, au moment des récoltes, à l’exception des productions cultivées sous serres ou sous abris (tomate, fraise et en partie salade), toutes les productions peuvent subir des pertes importantes à l’occasion d’intempéries (gelées précoces, grêle, orage, …). Ainsi, des salades de plein champ peuvent être nécrosées par le gel ou la neige, des kiwis abimés par le gel d’automne, des cerises éclatées par la pluie, des pommes de terre non récoltées du fait d’une portabilité insuffisante des sols… De plus, selon les cultures, un pourcentage plus ou moins important de produits peut ne pas être récolté ou bien laissé au bord du champ :

- Du fait du mode de récolte : Pour la pomme de terre et le haricot vert qui sont récoltés mécaniquement en un seul passage, la perte est variable selon le réglage des récolteuses et peut être conséquente. Pour les productions arboricoles, malgré une cueillette manuelle en plusieurs passages, des fruits consommables peuvent être laissés sur les arbres.

- Pour non-conformité au cahier des charges des transformateurs ou distributeurs : Pour la plupart des productions qu’elles soient récoltées mécaniquement ou manuellement, une part variable de produits consommables est laissée dans le champ car commercialement non conformes (trop petits, trop gros, déformés, disgracieux...).

- En raison de surplus de production : Concernant les légumes d’industrie, les industriels pour garantir leur approvisionnement prévoient des emblavements supérieurs à ce qui serait nécessaire pour une saison sans aléas. Une fois le quota de production atteint, l’excédent non récolté, peut représenter certaines années 5 % de la production (par exemple en moyenne 25000 t/an d’haricots verts). Pour le marché de frais, en cas de mévente ou de prix d’achat inférieur au coût de la récolte, des parcelles peuvent ne pas être récoltées (salade, poireau, carotte…) mais ceci dépend étroitement du type de production.

3.1.2 Causes des pertes après récolte On note des pertes en station de conditionnement et d’expédition pour plusieurs raisons. Des produits non conformes au cahier des charges (surmaturité, défauts de calibre ou d’aspect visuel, faible teneur en sucres…) sont tout d’abord écartés lors de l’agréage, du tri et du calibrage. Puis, lors du stockage des produits en chambre froide, des maladies de conservation sont susceptibles de se développer et rendre ainsi des lots impropres à la commercialisation. Pour les produits destinés au marché de frais, les pertes peuvent être occasionnellement importantes à ce stade du fait aussi d’un déséquilibre temporaire entre l’offre et la demande soit en raison de surproduction pour des produits très périssables (fraise, pêche…), d’importations massives (tomate, pêche…) ou bien de conditions météorologiques défavorables à la consommation (pêche, melon). Pour les produits destinés à l’industrie agro-alimentaire (haricot vert, pomme de terre, salade), l’agréage réalisé à la réception des produits peut écarter des lots entiers pour non-conformité au cahier des charges. Lors de la transformation, certains produits vont générer beaucoup plus de pertes que d’autres : les chicorées et la laitue plus que la mâche ou les «jeunes pousses» ; les frites plus que les pommes de terre préparées en quartier de type «potatoes». Le taux de pertes est aussi dépendant du réglage des machines de transformation. Cependant, il est à noter que dans 80% des cas de production de frites industrielles, les écarts sont récupérés pour être lyophilisés et transformés en flocons pour purée. Au cours du transport des fruits et légumes de la station de conditionnement vers les plateformes des grossistes et les magasins de distribution, des pertes peuvent être occasionnées par des chocs

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physiques bien que les emballages permettent souvent d’atténuer les coups, mais aussi lorsque les conditions de réfrigération ne sont pas respectées (rupture de la chaine du froid). Cependant, cela reste difficile à appréhender et n’est probablement pas une cause très importante de pertes. Au stade de la distribution, les pertes sont principalement dues à des problèmes de manipulation et de surmaturation pour les produits fragiles et à faible durée de vie (fraise, pêche, melon), mais aussi à une mauvaise gestion des approvisionnements et des stocks. Tableau 1 : Exemples de pertes potentielles liées à certains facteurs (vide : sans objet ; 0 : nulle ; x : faible ; xx : moyenne ; xxx : forte) dans le cadre de l’agriculture conventionnelle.

Causes de pertes Fraise Pêche

et nectarine

Tomate de serre Melon Pomme de

table P. de terre consom-mation

Salade 4ème gamme

Haricot vert d’industrie

P. de terre transformation

 A  la  récolte    

Attaques  bio-­‐agresseurs  

X   X    0   0   X    0   X   X   0  

Aléas  climatiques   0   X   0   X   X   X   XX     X   X  Récolte/  mécanisation   0   X   0   0   X   XX   0   X   XX  

Non-­‐conformité  au  cahier  des  charges  du  distributeur  ou  transformateur    

XX   X   X   X   X   X   X   X   X  

Surplus  de  production    

XX   X     0   XX   0     XX   X   XX   X  

Conditionnement-­‐stockage  

 

Non-­‐conformité  au  cahier  des  charges  du  distributeur    

X   XX   X   XX   X   X       X  

Dégâts  causés  par  des  bio-­‐agresseurs   XX   XX   0   X   X   X       X  

Invendus-­‐Retours   X   X   X   X   X   X        0  Transformation                    Non-­‐conformité  au  cahier  des  charges    

            X   XX   X  

Réglages  des  équipements  

            X   0     X  

Parages               X  à  XXX     X   X  à  XX  Transport    Chocs  (thermiques  /physiques)   X   X   X   0   X   0   X     0   0  

Distribution                    Durée  de  vie     XX   XX   X   X   X   X     XX      Manipulations   X   XX   X   0   X   0   0      Organisation  rayon   0   X   X   0   X   X   X        Invendus   X   X     X   X   X   X     X   0   0  

3.2 Quantification des pertes alimentaires

L’étude commanditée par Interfel qui s’est appuyée sur la définition des pertes issue du projet européen FUSIONS (2014), estime globalement à 12% les pertes alimentaires dans la filière fruits et légumes (hors pomme de terre) (Figure 1). Les trois quarts de ces pertes sont constatés au stade de la

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production quand le produit est prêt à être récolté, et lors du conditionnement et du stockage avant la première mise en marché. Le quart restant provient des étapes de commercialisation, c’est-à-dire au stade des grossistes et des centrales d’achat et de la distribution en magasin.

Figure 1 : Estimation des pertes alimentaires dans la filière fruits et légumes française (Interfel, 2015)

Cette estimation globale pour l’ensemble des fruits et légumes masque cependant d’importantes différences entre produits. Pour la tomate, la pomme et la pomme de terre, nous avons quantifié les pertes subies aux stades de la production et de la première mise en marché (Annexes 2, 3 et 4). Pour la tomate, les pertes ne sont que d’environ 4% car, en cultures sous serre, les fruits hors normes sont enlevés des plantes avant grossissement et/ou maturation. Pour la pomme de table, le pourcentage de produits retirés de la vente en frais est bien supérieur à celui de la tomate, mais comme une grande part des écarts de tri est réorientée vers la transformation, les pertes alimentaires ne dépassent pas au final 5%. Pour la pomme de terre, bien qu’une partie des écarts aille à la transformation en flocons (purée) ou l’alimentation animale, les pertes alimentaires sont estimées à plus de 12%. Elles sont liées à la nécessité de trier et calibrer les tubercules après récolte (9% des pertes) pour répondre aux cahiers des charges et limiter les pertes en cours de stockage. Elles sont aussi dues aux tubercules laissés en terre au moment de la récolte mécanisée et à une perte physiologique de poids en cours de stockage des tubercules. Pour le haricot vert destiné à la transformation, selon les données communiquées par l’Unilet (com. pers.), les pertes alimentaires sont en moyenne de 5%. Les pertes agricoles varient de 2 à 12% selon les années, mais une part de ces écarts et tous les déchets de la transformation sont valorisés en alimentation animale. Pour les autres productions étudiées par le G2FLP, à savoir la pêche, la salade, la fraise et le melon, les pertes alimentaires varient beaucoup selon les situations culturales (époque, mode de production…). Elles sont élevées et comprises en moyenne entre 15% et 20% car les écarts de récolte et de tri pour la vente en frais peuvent difficilement être valorisés par ailleurs (transformation, alimentation animale). 3.3 Devenir des pertes alimentaires

Les produits écartés de leur destination initiale par les acteurs de la filière peuvent être redirigés, partiellement et plus ou moins directement, vers l’alimentation humaine. D’une part, des produits du marché de frais encore conformes aux réglementations en vigueur, sont collectés par des associations d’aide alimentaire (Banque alimentaire…) auprès essentiellement des distributeurs. Ces dons sont encouragés par les pouvoirs publics qui accordent depuis peu des

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compensations financières aux entreprises (réduction d’impôts, aide financière communautaire). Cependant, la redistribution de ces produits de faible durée de conservation se heurte souvent à des contraintes logistiques, techniques et temporelles ; ceci limite leur développement. D’autre part, les produits écartés en raison de surproduction ou de non-respect des normes du marché de frais, sont orientés si possible vers l’industrie de transformation. C’est le cas de certains fruits, principalement pommes et abricots, dont les volumes transformés en confitures, en compotes ou en jus peuvent être supérieurs à 10% de la production. C’est aussi le cas de certains légumes qui sont surgelés (chou-fleur). Il n’existe pas de débouchés conséquents vers l’agro-industrie pour les autres productions fruitières et légumières. Lorsqu’une réorientation vers l’alimentation humaine n’est pas possible, les écarts peuvent encore être dirigés vers l’alimentation animale, et ainsi, servir indirectement à l’alimentation humaine (viande, produits laitiers…). Cette pratique est parfois adoptée par des industriels pour les co-produits de la pomme de terre, les écarts d’haricots verts ou encore de salades destinées à la quatrième gamme; mais pour des raisons de coûts de transport, cette valorisation des écarts est conditionnée à une proximité d’activité d’élevage. La plupart des produits écartés par la filière est en fait orientée à des fins non alimentaires et constitue de réelles pertes alimentaires. Tout d’abord, les espèces fruitières et légumières étant majoritairement récoltées manuellement, un tri est effectué dans le champ par les cueilleurs. Les produits non conformes aux exigences du marché sont laissés sur place et participent aux cycles biogéochimiques (recyclage du carbone et incorporation des éléments minéraux aux pools du sol). Ceci est également le cas des productions récoltables mécaniquement qui, pour des raisons sanitaires et/ou de surmaturité en période de surproduction, ne sont pas ramassées et seront ré-enfouies dans le sol. Exceptionnellement en système intensif sur de petites surfaces comme en cultures sous abri (tomate, fraise, concombre…), les producteurs ramassent toute la production pour des raisons phytosanitaires et les déchets sont alors épandus dans une autre parcelle ou bien emportés sur une plate-forme de compostage. Ce recyclage comme produits résiduaires organiques hors parcelles est très courant pour les produits non conformes écartés par les stations de conditionnement et les usines de transformation (salade 4ème gamme pour partie, tomate, pomme de terre…). Enfin, plus rarement, les écarts provenant des metteurs en marché ou des transformateurs peuvent être utilisés pour la production de biogaz par méthanisation (freintes de pomme). 4. Analyse des « manques à produire » Les manques à produire se réfèrent au stade agricole avant que la production n’atteigne sa maturité. Au niveau de l’exploitation, les causes peuvent être diverses, (déficit d’ensoleillement, intempéries, attaques parasitaires mais aussi déficiences techniques), et engendrer d’une année à l’autre de fortes variations de rendement. Cependant les statistiques annuelles sur les volumes et les surfaces de production fournies par Agreste ne permettent pas de distinguer la cause des variations de rendement interannuelles (manques à produire ou pertes à la récolte). Le Tableau 2 illustre la variabilité des rendements sur 3 productions majeures : la tomate destinée au marché de frais, la pomme de table et la pomme de terre de consommation. Il montre que les manques à produire associés aux pertes au champ induisent une variation des rendements moyens à l’échelle nationale comprise entre 3,5 et 8,9 % selon l’espèce concernée. Différents aspects expliquent les différences entre espèces. La tomate destinée au marché de frais étant principalement cultivée sous abri, elle est peu sujette aux aléas climatiques ; les rendements de cette culture dépendent surtout de l’itinéraire technique (gestion du climat de l’abri, de la ferti-irrigation et de la protection phytosanitaire…) et donc de la technicité du

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maraîcher. D’après les variations interannuelles de rendement (Tableau 2), les manques à produire pour la tomate qui peuvent atteindre jusqu’à 4%, sont globalement inférieurs aux pertes de tomates estimées lors de la récolte et du conditionnement. Tableau 2 : Variation des rendements due aux manques à produire et aux pertes au champ de la tomate sous serre, de la pomme de table et de la pomme de terre de consommation de 2003 à 2013 (Données Agreste).

 

 

Rendement moyen 2003-2013 (t/ha)

Ecart type (t/ha) 2003 - 2013

Coefficient de variation du rendement

Tomate sous serre 272 9,45 3,5%

Pomme de table 40,1 3,57 8,9%

Pomme de terre de consommation 43,2 2,31 5,3%

Pour le pommier, et la plupart des productions fruitières, les gelées printanières sont certaines années responsables de défauts de fructification. En 2012, les gelées tardives dans plusieurs régions françaises ont entrainé au niveau national des manques à produire supérieurs à 25% pour les pommes (soit 450 000 t) et les poires (40 000 t), et à 36% pour les cerises (18 000 t). Les orages, notamment de grêle, sont également susceptibles d’entrainer de gros dégâts, ce qui a incité les producteurs à équiper les vergers de filets paragrêles dans de nombreuses régions. Mais, là encore, la technicité de l’arboriculteur, notamment son niveau de maitrise des bio-agresseurs (tavelure, carpocapse…) et aussi celui de la conduite culturale afin de limiter les phénomènes d’alternance de production, a une très forte incidence sur la régularité du rendement et la qualité de la production. Malgré les gains notables en technicité pour la culture du pommier, les manques à produire peuvent encore être certaines années de l’ordre de 9% soit supérieurs aux pertes alimentaires lors de la récolte, du stockage et du conditionnement (de l’ordre de 5%). La pomme de terre peut être cultivée dans des conditions pédoclimatiques diverses et supporte assez bien divers aléas. D’importantes différences variétales sont cependant observées en termes de capacités d’adaptation. Les manques à produire ont surtout pour origine des attaques parasitaires (mildiou, doryphore, champignons, virus, bactéries). Lors des années de fortes épidémies de mildiou (2007, 2012), les rendements baissent considérablement, en particulier en agriculture biologique. Des conditions climatiques diverses (pluies abondantes de printemps, sécheresse, orages de grêle…) peuvent également entrainer le ralentissement de la croissance du système aérien et affecter l’induction et le remplissage des tubercules. Les manques à produire pour la pomme de terre, pouvant atteindre 5% certaines années, sont inférieurs aux pertes alimentaires estimées lors de la récolte, du stockage et du conditionnement (de l’ordre de 12%). 5. Leviers d’action et innovations pour réduire les pertes alimentaires Tous les acteurs des filières fruits, légumes et pomme de terre, de l’amont à l’aval, ont un rôle important à jouer pour mettre en œuvre des leviers d’actions permettant de réduire les pertes alimentaires. Les établissements d’agrofourniture (semenciers, firmes de produits phytosanitaires, fabricants de matériel agricole…) peuvent y contribuer encore davantage en proposant aux producteurs des innovations variétales et techniques susceptibles de lutter plus efficacement contre les bioagresseurs (matériel végétal résistant ; méthodes de protection biologiques, chimiques, physiques…), de protéger les cultures contre les intempéries (serres et abris, filets paragrêle, bâches anti-pluie…), ou encore

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d’améliorer le matériel de récolte. Ils peuvent également proposer des matériels de conditionnement (calibreuse, emballage), de conservation et de transformation plus performants. Les producteurs peuvent limiter les pertes à la récolte par le choix et le suivi d’itinéraires techniques adaptés (choix variétal, conduite des cultures, protection des plantes, décision de récolte…), par la mise en œuvre d’équipements appropriés (filets, bâches, serres et abris…) mais aussi en bénéficiant de conseils techniques pertinents. En effet, l’itinéraire technique qu’applique le producteur, a pour objet de limiter les pertes tout au long de la chaine, car en fonction du matériel végétal implanté et selon la conduite culturale les produits récoltés peuvent être plus ou moins sensibles aux chocs, aux maladies et donc avoir une durée de conservation très variable. Les metteurs en marché et les transformateurs ont les moyens de minimiser les pertes en optimisant les procédés industriels et en recherchant des débouchés pour les produits qui respectent la réglementation mais qui ne sont pas conformes aux cahiers des charges imposés par leurs principaux acheteurs (notamment la grande distribution). Par ailleurs, une amélioration des conditions de stockage ainsi qu’une gestion prévisionnelle plus précise des récoltes permettraient de mieux gérer les à-coups de production, très souvent générateurs de pertes. Au niveau de la distribution, les centrales d’achat et les grossistes jouent un rôle particulièrement important car le niveau d’exigence de leur cahier des charges entraine des pertes plus ou moins importantes lors de la récolte et de la mise en marché. En magasin, les pertes peuvent être fortement réduites avec une organisation du rayon fruits et légumes qui assure un approvisionnement régulier des étals et limite les possibilités de manipulation par les consommateurs. De plus, une bonne gestion de ce rayon permet d’écouler les produits qui arrivent en fin de vie pour le marché du frais par des ventes à prix coûtant ou la distribution gratuite par exemple à des associations d’aide alimentaire. Enfin, les politiques publiques et les collectivités territoriales, par les aides et par l’évolution de la réglementation (par exemple sur la protection des cultures ou encore sur la normalisation des produits), peuvent avoir une incidence sur le taux de pertes aux différents maillons de la filière. Les leviers d’action peuvent concerner la modernisation des équipements, l’organisation des marchés, les dons de denrées… 6. Limites de l’étude et questions à la recherche 6.1 Les limites de l’étude

Cette étude concerne essentiellement l'agriculture conventionnelle et certains produits, phares ou spécifiques, choisis à titre d'exemple de la diversité des caractéristiques des produits de ces filières. L'approche des pertes alimentaires en agriculture biologique n'a pas été envisagée, en raison du manque de données et aussi de recul par rapport à ces productions. Elle repose principalement sur l'expertise pluridisciplinaire de l'Inra ainsi que sur celle de partenaires socio-professionnels et sur des données des organismes techniques et du Ministère en charge de l’Agriculture. Toutefois, cette étude fait ressortir le manque de données quantitatives avérées et aussi de références bibliographiques solides pour l’ensemble de ces filières. La qualité inégale des informations recueillies limite passablement l'analyse des pertes alimentaires, non seulement aux différentes échelles de la production (de la parcelle au territoire), mais également dans les différents maillons de la filière (production, transformation, mise en marché, distribution). Ceci met en exergue le besoin de méthodes d’évaluation des pertes, s’appuyant sur des référentiels et des standards internationaux. L’étude a porté uniquement sur les pertes de matières. Il apparaît aussi clairement que les pertes de matière première peuvent être le résultat d’un arbitrage économique, de type perte de valeur versus

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perte de matière, par exemple lorsqu'il est plus avantageux au plan économique de ne pas récolter une parcelle. Enfin, il convient de signaler que les autres pertes de valeur de type économique, social et/ou environnemental n'ont pas pu être abordées, de même que plus globalement les analyses comparatives avec des niveaux correspondants aux plans européen ou mondial. 6.2 Les questions à la recherche

Cette étude soulève de nombreuses questions de recherche plus ou moins spécifiques liées à la diversité des espèces et des systèmes de production au sein de cette filière avec des durées de vie de produits contrastées, des aptitudes à la transformation variées et des destinations multiples. 6.2.1 Systèmes de production et pertes alimentaires Les systèmes de production des fruits et légumes pour l’alimentation sont particulièrement divers, depuis les systèmes de production micro-locaux ou locaux aux systèmes agro-industriels (Colonna et al., 2011). Ils peuvent aussi inclure des systèmes alimentaires de qualité différenciée de tous ordres (Indication Géographique Protégée, Agriculture Biologique, Certification Conformité Produits…).

• Les pertes engendrées sont-elles indépendantes ou non des systèmes de production dont les fruits et légumes frais ou transformés sont issus ?

6.2.2 Développement de systèmes de production robustes et diversifiés adaptés aux évolutions du milieu et du contexte socio-économique En France et dans le monde, les évolutions du milieu (réchauffement climatique, disponibilité en eau…) et du contexte socio-économique (coûts de production, réglementation, attentes des consommateurs …) devraient engendrer une adaptation des systèmes de production. De nouveaux enjeux apparaissent comme, par exemple, la gestion des risques sanitaires, l’adaptation aux stress climatiques et l’accessibilité à la ressource en eau…

• Comment appréhender les évolutions du milieu et du contexte socio-économique en particulier celles liées au changement climatique pour en déterminer les conséquences sur les produits, les zones de production, la mise en marché, et la consommation ?

• Quelle flexibilité des systèmes de production rechercher pour limiter les manques à produire et les pertes alimentaires ?

6.2.3 Impacts des nouvelles pratiques Le développement de l’agro-écologie et les évolutions des normes publiques et privées ainsi que les circuits de commercialisation non conventionnels, peuvent générer une variabilité et une saisonnalité forte des approvisionnements en produits agricoles.

• Quelles conséquences et impacts en termes de pertes tout au long de la filière, que ce soit au niveau de la production, de la distribution, de la restauration hors domicile et chez les consommateurs ?

6.2.4 Allongement de la durée de conservation des produits La durée de vie des produits après récolte dépend des conditions de leur entreposage, mais aussi de leur aptitude à la conservation et des modes de transformation et/ou de conditionnement. Améliorer la conservation des produits nécessite de mener des recherches coordonnées en génétique et en agronomie qui mettent en œuvre de nouveaux outils et des approches systèmes prenant aussi en compte les objectifs de l’agro-écologie. L’allongement de la durée de conservation passe également par le développement d’innovations technologiques qui pourraient bénéficier de nouveaux outils tels que la modélisation et la simulation

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(microbiologie prédictive…), de nouveaux procédés physiques ou biologiques (produits fermentés) de préparation des aliments et d’emballages actifs ou indicateurs de la qualité/fraîcheur.

• Quelles approches et quels partenariats pluridisciplinaires envisager pour développer ces innovations ?

6.2.5 Devenir des fruits, légumes et pommes de terre « déclassés » Un certain nombre d’acteurs de la filière sont réticents vis-à-vis de la commercialisation des fruits et légumes disgracieux et mettent en œuvre des cahiers des charges plus stricts que la réglementation en vigueur.

• Sous quelles formes, sous quelles conditions (ex. économiques, fiscalité, partage de responsabilité), avec quel business model et quelle stratégie marketing serait-il envisageable de commercialiser ces écarts hors cahiers des charges ?

• Quelles en seraient les conséquences pour l’ensemble des filières encouragées jusqu’alors à développer des stratégies de qualité (CG Conseil, 2009) ?

6.2.6 Développement d’approches multicritères et pluridisciplinaires pour limiter les pertes alimentaires Les causes des pertes alimentaires dans les filières fruits, légumes et pomme de terre résultent d’un ensemble de facteurs techniques et économiques, souvent interdépendants. La qualité des produits, l’aptitude à leur conservation ainsi que les conditions de marché interagissent sur le taux de pertes.

• Réduire significativement les pertes nécessite d’avoir une approche multicritère et pluridisciplinaire en interaction avec tous les acteurs.

A l’issue de cette étude, de nombreuses et vastes questions de recherches sont ouvertes. Elles révèlent l’urgence de décloisonner, encore plus, la recherche par des approches pluridisciplinaires et en renforçant les liens avec les partenaires sociaux Conclusions et perspectives Cette analyse a permis d’identifier les causes aux différentes étapes de la chaine alimentaire qui génèrent les pertes les plus importantes dans la filière fruits, légumes et pomme de terre. Comme indiqué dans le rapport de la FAO, les pertes au stade de la production et de la première mise en marché sont les plus importantes, en grande partie en raison des pertes sanitaires et du tri des fruits et légumes après récolte dont les critères sont imposés par les distributeurs et transformateurs. De tels critères écartent du circuit commercial une partie de la récolte qui serait parfaitement consommable. Les pertes constatées en bout de chaîne alimentaire sont importantes, elles aussi, car elles sont dues à la périssabilité des fruits et légumes et leur grande sensibilité aux manipulations diverses. La transformation des produits entraine également des pertes de matière pour s’assurer que les approvisionnements soient suffisants, mais aussi en raison des diverses opérations de parage. Il existe par ailleurs des causes de pertes plus aléatoires liées à des raisons économiques. Les prix des fruits et légumes frais fluctuant selon l’offre et la demande, il peut être parfois économiquement moins désavantageux pour le producteur de laisser les produits au champ, compte tenu des coûts de main d’œuvre pour ramasser et traiter sa récolte. A noter cependant, que sur certaines productions, les filières se sont organisées quand cela s’avère économiquement possible pour valoriser les produits qui sont écartés de leur destination première (marché de frais) soit par une valorisation alimentaire grâce à la transformation ou à l’alimentation animale, soit par une utilisation des produits à des fins non alimentaires. Une analyse détaillée des réorientations possibles des flux de matières et de leurs conditions de mise en place apparaît nécessaire pour favoriser leur développement.

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Filières fruits, légumes et pomme de terre

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En perspective, de grands changements sont à envisager et à mettre en œuvre en partenariat avec l’ensemble des acteurs de ces filières notamment pour optimiser ces productions en termes de valorisation des écarts et de réductions des pertes. Outre la réduction des pertes, les grands enjeux consistent à prendre en compte dès à présent les besoins alimentaires de demain en quantité et en qualité. Références bibliographiques

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Annexe 1 : Diagramme de la distribution des fruits et légumes frais (hors pdt), en France, en millions de tonnes – Année 2012 Sources : Insee, SSP, Douanes, Ctifl, Kantar. In Infos CTIFL Janvier Février 2014 n°298

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Filières fruits, légumes et pomme de terre

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Annexe 2 - Variation de masse de la production de tomate destinée à l’alimentation humaine de la récolte à la mise en marché (selon données Agreste et expertise G2FLP).

Etapes   Disponible     Variation de masse

Nature de la variation de masse

Devenir

Production disponible au champ

586 000 t 8000 t (1,4 %) 2000 t (0,3%)

Produits écartés car impropres à la vente Produits invendus

Compostage ou décharge

Production récoltée pour être commercialisée (Agreste 2013) Production commercialisée marché intérieur et export

576 000 t 544 000 t

20 000 t (3,5%) 12 000 t (2,3%)

Produits commercialisés circuit court (cat II) Produits écartés car impropres à la vente et invendus

Compostage

- Production exportée (Douanes GTA 2013) 220 000 t

- Production Importée (Douanes GTA 2013) 550 000 t

Pertes alimentaires aux stades récolte, conditionnement et expédition : 22 000 t Soit 3,7% de la production disponible au champ

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Annexe 3 - Variation de masse de la production de pomme destinée à l’alimentation humaine aux différentes étapes, de la récolte à la mise en marché (selon données de Agreste, Association Nationale Pommes Poires et expertise G2FLP).

Etapes Disponible Variation de masse

Nature de la variation de masse

Devenir

Production disponible au champ 1 765 000 t 25 000 (1,5%) Produits non récoltés et tombés au sol

Retour à la parcelle

Production récoltée pour être commercialisée (Agreste 2013) Production commercialisée marché intérieur et export

1 740 000 t 1 265 000 t

55 000 (3%) 150 000 t (10%) 70 000 t (4%)

Produits commercialisés circuit court (cat II) Produits envoyés à la transformation (compotes, jus…) Produits écartés car impropres à la vente : freinte, invendus

Méthanisation Compostage

- Production exportée 2013/2014 (Douanes GTA 2013)

690 000 t

- Production Importée 2013/2014 (Douanes GTA 2013)

150 000 t

Pertes alimentaires aux stades récolte, stockage, conditionnement et expédition : 95 000t Soit 5,3% de la production disponible au champ

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Filières fruits, légumes et pomme de terre

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Annexe 4 - Variation de masse de la production de pomme de terre de consommation destinée à l’alimentation humaine aux différentes étapes, de la récolte à la mise en marché (selon données de Agreste, Arvalis Institut du végétal, Union Nationale de Producteurs de Pomme de Terre et expertise G2FLP). Etapes Disponible     Variation de

masse  Nature de la variation de masse

Devenir  

Production disponible au champ

5 500 000 t

110 000 t (2%) 110 000 t (2%)

Reste au champ Tri déchets

Compostage

Production récoltée pour être commercialisée en frais ou après transformation (Agreste 2013)

Production stockée Production en frais commercialisée sur le marché intérieur et à l’export

5 280 000 t 2 550 000 t

1 000 000 t (19%) 150 000 t (3%) 350 000 t (7%) 1 100 000 t (21%) 130 000 t (2,4%)

Autoconsommation - vente directe

Produits écartés car impropres à la vente en frais

Produits écartés car impropres à la vente

Produits transformés (frites, chips, flocons)

Pertes physiologiques (respiration)

Alimentation humaine

Alim. animale ou transfo flocons

Compostage

Vente produits transformés

- Production exportée (Douanes GTA 2013)

1 780 000 t      

- Production Importée (Douanes GTA 2013)

430 000 t      

Pertes alimentaires aux stades récolte, stockage, conditionnement et expédition : 700 000 t Soit 12,7% de la production disponible au champ

Cet article est publié sous la licence Creative Commons (CC BY-NC-ND 3.0)

https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/3.0/fr/ Pour la citation et la reproduction de cet article, mentionner obligatoirement le titre de l'article, le nom de tous les auteurs, la mention de sa publication dans la revue « Innovations Agronomiques », la date de sa publication, et son URL)

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Les pertes alimentaires dans la filière Céréales

Juin H.1

Avec la collaboration des membres du groupe filière Céréales de l’INRA 1 INRA, EASM, INRA Le Magneraud, Saint-Pierre-d'Amilly, BP 52, F-17700 Surgères Correspondance : [email protected] Résumé La filière céréales française est caractérisée par la diversité des espèces végétales concernées, blé, maïs, orge, riz, et des débouchés, dont l’alimentation humaine ne représente qu’environ 10 %. Sur 64 millions de tonnes récoltées, environ 8.7 Millions de tonnes de céréales sont utilisées pour l’alimentation humaine, essentiellement sous forme de produits transformés. L’export représente le premier débouché pour les céréales entières et les produits transformés. Les pertes lors de la récolte sont estimées à 2 %, (4 % pour le maïs) et peuvent être réduites par la maîtrise du matériel de récolte. Les pertes au cours du stockage sont faibles car contrôlées par des insecticides. Grâce au recyclage, à la maîtrise des procédés industriels et à la valorisation des coproduits via l’alimentation animale, les pertes au cours de la transformation sont faibles et difficiles à réduire. Les retraits de produits à base de céréales lors de la distribution représentent environ 270 000 T, une partie étant perdue. Il est cependant possible de réduire les pertes alimentaires en améliorant les conditions de récolte et de stockage, en recherchant des alternatives aux intrants notamment les pesticides de stockage, en organisant la collecte et la valorisation des produits retirés à la distribution. Le bilan énergétique et environnemental des solutions doit également être pris en compte pour améliorer la durabilité des filières. Mots-clés : Céréales, Blé, Maïs, Orge, Riz, Pertes alimentaires, Durabilité Abstract: Food loses in cereals French cereal production accounts for 64 million tons considering, bread and durum wheat, maize, barley and rice. Food uses are around 10 %, i.e. 8.7 million tons, mainly through processed products. Export is the main commercial outlet for both grains and processed products. Harvest losses are estimated at 2% (4 % for maize). During post-harvest storage, losses are limited due to pesticides use. During processing losses stay at a low level due to management and quality procedures. At the retailing level, product recalls may be estimated at 270 000 tons, that are partly lost for food. Losses may be reduced at different stages by improving harvesting, finding alternative to pesticides during post-harvest storage, increasing recycling. Energy and environment balance must be evaluated to improve sustainability. Keywords: Cereal, Wheat, Corn, Barley, Food loss, Sustainability Introduction Dans le cadre de cette étude, on appelle perte alimentaire, tout produit destiné à la consommation humaine mais écarté de cet usage, qu’il soit perdu ou retiré. Le périmètre considéré va de la production agricole au champ prête à être récoltée, au stade de la commercialisation (le produit en magasin). Cependant, selon la méthodologie adoptée dans le cadre de l’étude INRA, ne sont pas considérées comme pertes, les fractions écartées de l’alimentation humaine mais valorisées comme co-produits en alimentation animale (Voir annexe 1), et les produits initialement destinés à l’alimentation humaine mais

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retirés de ce circuit et réorientés en alimentation animale, car revenant indirectement à l’alimentation humaine par la consommation de viande, œufs, produits laitiers. Enfin, bien qu’en dehors du périmètre de l’étude, une analyse spécifique, relative aux manques à produire en phase de production est proposée. 1. Les productions considérées dans l’étude La filière céréales concerne plusieurs matières premières : le blé, le maïs, l’orge et le riz sont les principales ; les autres céréales comme le sorgho, l’avoine, l’épeautre représentent des volumes très faibles, et sont peu ou pas utilisés en alimentation humaine. Le document portera sur les filières blé tendre, blé dur, maïs, riz et orge de brasserie, ainsi que sur la filière amidon (blé et maïs). Le Tableau 1 présente les volumes traités à chaque étape de la récolte au produit commercialisé. Pour la filière amidonnerie, 3 MT d’amidon sont produites à partir de 3MT de blé et 2.2 MT de maïs, dont 500 000T sont utilisées dans l’alimentation humaine. Tableau 1 : Volumes collectés et principales voies d’utilisation des céréales (en millions de tonnes équivalent grains) (Source : FranceAgriMer, campagne 2012)

L’utilisation des céréales est caractérisée par :

- Une consommation en l’état (grains) marginale ou nulle, à l’exception du riz. - Des produits à faible teneur en eau à la récolte et disponibles en grande quantité. - Une polyvalence d’usage : export, alimentation animale y compris animaux de compagnie,

chimie, bioraffinerie, en plus de la transformation pour l’alimentation humaine. - Une part importante de l’export aux différents niveaux de transformation. La destination des

produits exportés est principalement l’alimentation humaine, sauf pour l’amidon qui est valorisé également dans des filières non alimentaires.

Les quantités récoltées sont nettement supérieures à celles destinées à l’alimentation humaine. Lors des opérations de collecte et de stockage, il est donc possible de réaliser des agréages de lots :

- Sur des critères technologiques demandés par les débouchés (protéines, force boulangère, variétés…), rapidement mesurables à la collecte.

Blé tendre Blé dur Mais Orge brasserie Riz

Récolte / Production 35 MT 2.4 MT 15.7 MT 3.5 MT 100 000T

Collecte 32.1 MT 2.2 MT 14.1 MT 3.5MT 100 000 T

Export 16.5 MT 1.4 MT 6.7 MT 1.9 MT 0

Alimentation humaine

Meunerie 5.5 MT

Semoulerie 611 000 T

Maïserie 365 000T

Malterie 1.6MT

Riz propre 87 391 T

Alimentation animale 5MT 3.4 MT

Non alimentaire 1.7 MT (bioraffinerie)

Filière Amidonnerie 3 MT 2.2 MT

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Filière Céréales

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- Sur des critères liés à la santé et à la sécurité du consommateur (contaminants) avant l’entrée en transformation.

Ces contrôles en amont permettent d’orienter les lots non conformes vers des débouchés non alimentaires (alimentation animale, bio-raffinerie). 2. Caractéristiques générales concernant les pertes alimentaires L’utilisation des céréales pour l’alimentation humaine est complexe, tant par le nombre de produits que par la diversité des procédés mis en jeu.

2.1 Récolte, collecte, stockage A la récolte, les sources de pertes sont essentiellement liées à des accidents météorologiques (pluie ou grêle à l’origine de verse et germination sur pied), à des prédateurs ou à un mauvais réglage des moissonneuses batteuses. Les sources potentielles de pertes se situent ensuite lors des opérations de transport des grains du champ vers les lieux de stockage ou de transbordement. Il est d’usage de considérer que la différence entre récolte et collecte représente l’autoconsommation en l’état au sein des exploitations agricoles, essentiellement par les animaux d’élevage et sous forme de semences. Cette différence comprend vraisemblablement des pertes qu’il sera difficile de quantifier. L’évolution de la mécanisation de la récolte nécessite de grandes capacités instantanées de stockage et entraîne, pour le blé et le maïs, une augmentation du stockage ponctuel à l’air libre qui peut être à l’origine de pertes importantes : prédateurs, retrait de produits impropres lors d’épisodes pluvieux, manipulation supplémentaire. Ces pertes sont variables, difficilement quantifiables. Pour fournir un grain propre de bonne qualité aux industriels, plusieurs opérations sont effectuées à ce stade :

- Le séchage (pour le maïs et le riz) et le retrait des pierres et poussières. Ces retraits ne sont pas considérés comme des pertes dans l’étude.

- La mise à l’écart des grains cassés, de poussières et des grains "hors normes". Ce sont les "issues de silo", qui sont estimées à 1% de la collecte (FranceAgriMer, 2012) et sont valorisées en alimentation animale.

Le poids spécifique, l’humidité, la présence de grains brisés, germés, d’impuretés comptent parmi les critères de classement (ou déclassement) des lots de céréales. Pour le blé tendre, un accord interprofessionnel d’application volontaire a été conclu le 4 février 2015 et concerne les blés mis sur le marché au 1er juillet 2015. Il classe les blés en 4 catégories qui incluent une teneur en protéines minimale. Ces critères, qui complètent l’examen visuel, permettent un premier tri lors de la réception des céréales. Les pertes lors des opérations de chargement, déchargement, transport, convoyage sont difficiles à quantifier : en effet, le nombre de manipulations va dépendre de l’usage, de l’organisation et de la taille des opérateurs. Certains opérateurs sont à la fois organismes collecteurs, stockeurs et transformateurs (meuniers, semouliers). Des guides de bonnes pratiques d’hygiène, conçus par les opérateurs et validés par les autorités, existent pour de nombreuses filières : semoulerie, collecte et stockage de céréales, malterie, brasserie, alimentation animale… L’association Intercéréales a publié un guide interprofessionnel de gestion des mycotoxines dans la filière céréales pour aider les opérateurs dans la gestion des lots à risque ou contaminés (dernière édition 2014). Des plans de surveillance et de contrôle permettent d’assurer la mise sur le marché de marchandises conformes à la réglementation sanitaire. Ces plans de surveillance concernent en premier lieu les mycotoxines et les résidus de pesticides, mais aussi les métaux lourds et les microorganismes pathogènes (Voir annexe 2).

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La freinte au cours du stockage correspond à la variation de masse du stock due à une variation de la teneur en eau, à la consommation par les oiseaux, les insectes et les rongeurs et aux pertes lors de la manipulation des grains. Elle est généralement évaluée à 0.1% du stock (Ernst & Young, 2010). Les pertes liées aux insectes et aux rongeurs dans les silos sont très faibles car actuellement contrôlées par des produits phytosanitaires et des rodenticides. Cependant, on ne connait pas l’impact que pourrait avoir une réduction de l’utilisation de ces produits sur les pertes de grains associées à ces espèces animales. Des solutions alternatives aux insecticides et rodenticides sont à l’étude.

2.2 Première transformation : meunerie, semoulerie, amidonnerie, malterie

Au cours de cette étape, les grains sont fractionnés (farine, semoule, amidon) ou fermentés (malt). La vente en l’état au consommateur est très faible, moins de 3 % par exemple pour la farine. L’essentiel des volumes produits à cette étape est incorporé dans des aliments pour l’homme. Les pertes potentielles se situent lors du transport jusqu’à l’usine, des transbordements, du stockage des grains puis des produits de première transformation et au cours des procédés de transformation. Plus les étapes de transformation sont concentrées (collecte, stockage et transformation sur le même site, volumes importants), plus les pertes sont faibles. Par ailleurs, la pratique de recyclage (ré-introduction des produits (farine, semoule…) dans les procédés de transformation contribue à réduire fortement les pertes.

2.3 Seconde transformation A l’issue de cette étape, les produits céréaliers vont représenter une part très variable des aliments dans lesquels ils sont incorporés selon qu’il s’agit de pain ou de plats cuisinés. Pour l’amidon à usage alimentaire, il peut être soit utilisé en l’état soit préalablement fractionné ou modifié. Les pertes potentielles se situent lors du stockage de la matière première ou des produits finis, des procédés et du transport. Comme pour la première transformation du blé tendre, du blé dur et du maïs, la pratique courante du recyclage (réintroduction des ratés de fabrication dans le procédé) permet de réduire fortement les pertes.

2.4 Acheminement, stockage et mise à la vente de produits finis Pour les produits industriels, acheminés et stockés sur le point de vente, les pertes potentielles correspondent aux lots retirés de la vente pour défaut de présentation ou date de péremption dépassée. Pour le pain, il s’agit plutôt d’invendus, les consommateurs recherchant un produit frais en rayon. Pour la boulangerie traditionnelle, il s’agit également essentiellement des invendus (pain, viennoiserie, pâtisseries…) lorsque le produit n’est pas présentable ou retiré de la vente (pain de la veille par exemple…). 3. Pertes alimentaires dans la filière Blé tendre Les 32 MT collectées (campagne 2012/2013) sont entièrement qualifiées de blés meuniers dont 18.8 MT sont qualifiées de qualité supérieure (source Arvalis : qualité des blés, récolte 2012). Un premier tri est fait lors du stockage en fonction de caractéristiques particulières : variétés de blé panifiable, de blé de force, de blé biscuitier, blé pour l’AB… Les destinations des blés meuniers sont l’export, la meunerie, l’amidonnerie, l’alimentation animale et la production de biocarburants. Les arbitrages se font sur les cahiers des charges (caractéristiques variétales ou technologiques attendues), la demande (export notamment, première transformation) et/ou le prix. L’amidonnerie peut également avoir des exigences qualitatives (taux d’amidon, grains cassés) précisées dans les contrats.

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Filière Céréales

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3.1 Pertes à la récolte

Les pertes dues à un accident météorologique (pluie, grêle…) juste avant la récolte, à la prédation ou la dégradation par la faune sauvage sont variables et souvent considérées comme des pertes de rendement. La fraction non récoltée lors du passage de la moissonneuse peut varier de moins de 1 % à 2 % voire plus, en fonction du réglage de la machine (Voir annexe 3).

3.2 De la collecte à la première transformation

La freinte au cours du stockage en silo est généralement évaluée à 0.1% du stock (Ernst & Young, 2010), soit 6000 tonnes de blé tendre destinées à l’alimentation humaine. Les issues (ou coproduits), principalement constituées par les enveloppes du grain de blé, correspondent à la différence entre le volume de blé tendre utilisé en meunerie et le volume de farine produite ; elles dépendent du type de farine produite ; néanmoins elles représentent près de 20 % du volume transformé, soit 1.13 MT. Les issues sont essentiellement destinées à l’alimentation animale dès lors qu’elles respectent la règlementation en vigueur pour cet usage et ne sont pas considérées comme pertes. Notons par ailleurs qu’une faible quantité de son est utilisée pour enrichir les farines blanches ou est vendue en l’état comme aliment diététique. L’ANMF (Association Nationale de la Meunerie Française) a proposé une qualification des pertes (Tableau 2) pour caractériser les écarts de la réception des lots de grains à la sortie du moulin : le recyclage dans le procédé de fabrication et l’incorporation avec les issues (coproduits) des grains et produits non conformes pour l’alimentation humaine, contribuent à réduire fortement les pertes. La fraction non valorisée comprend principalement les lots détériorés par des moisissures ou des accidents de manipulation (ex : sacs percés), mais son estimation est difficile car relevant des procédures internes et confidentielles de contrôle.

3.3 Seconde transformation Dans le secteur de la boulangerie / biscuiterie/ pâtisserie / viennoiserie industrielles, les causes de pertes sont les ratés de production, les retraits pour défaut, les chutes de découpe. Selon les professionnels du recyclage, 500 000 T par an de produits sont retirés :

- 200 000 à 250 000 T sont recyclés principalement hors de France, à destination de l’alimentation animale (Revue de l’Alimentation Animale, Janvier - Février 2014),

- 32 400 T vont en déchetterie (selon une enquête Agreste INSEE, 2008), - Le reste (soit 220 à 250 000 T) va soit dans des filières courtes pour l’alimentation animale

(éleveurs ou industriels à proximité du site de transformation) soit dans le secteur de l’aide alimentaire.

La valorisation via la méthanisation ou le compostage est encore peu développée en France. Ces produits retirés de la filière alimentaire humaine sont des produits transformés dont la part céréales est variable ; il est donc très difficile d’évaluer à ce stade le tonnage de grains de céréales correspondant.

3.4 Distribution Les pertes en boulangerie traditionnelle sont estimées à 3.5 T de produits destinés à la vente (pain essentiellement, pâtisserie, viennoiseries, pizzas) par an et par établissement (Rapport du ministère en charge de l’agriculture sur les gaspillages, Novembre 2011). Avec 35 000 établissements, on peut estimer les pertes à 122 000 T/an, en fabrication et en distribution. Concernant le secteur de la grande distribution, selon les professionnels du recyclage, environ 150 000 T/an de produits à base de céréales sont retirées de la vente et non valorisées. Concernant ces produits destinés à la consommation humaine, leur teneur en matière sèche varie de 60 à 85 % et des ingrédients autres que les céréales entrent dans leur composition (notamment produits laitiers et ovo-produits). Il est très difficile d’en tirer des données en équivalent poids de grains de céréales et plus

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encore en poids de grains de blé tendre, bien que cette céréale représente la part la plus importante des produits retirés. Tableau 2 : Qualification des écarts selon la destination et usage (Source : AMNF) Recyclage au sein du système alimentaire Perte alimentaire

Etapes Ecarts donnant lieu à la réincorporation/le

recyclage (après analyse de risque)

Ecarts donnant lieu à valorisation en

alimentation animale Perte donnant lieu à du

déchet

Réception / stockage - Pertes au niveau des grilles

- Grains accumulés dans le bas des élévateurs - Lots non conformes à l’analyse à réception

- Grains accumulés dans le bas des élévateurs - Lots non conformes à l’analyse à réception

Nettoyage et préparation des blés

- Grains non conformes (cassés / fusariés / cariés)

- Mauvais réglages des matériels de nettoyage - Poussières - Pierres

Mouillage - Produits issus du nettoyage de la vis mouilleuse

Mouture (broyage, blutage, transport pneumatique)

- Charge du plansichter (produits restants sur les tamis) - Bourrage / engorgement - Farine de filtre

- Issues de meunerie - Mauvais réglage du moulin : plus d’issue que nécessaire

- Farines de filtre quand les manches de filtres se détachent

Incorporation d’ingrédients

- Produits issus de rinçage lors de changement de formule

Ensachage / palettisation farine

- Sacs percés - Sacs percés - Sacs mouillés

- Incidents lors de la fermeture des sacs

Stockage et chargement vrac farine

- Bourrages / Engorgements

- Bourrages / Engorgements

En transversal sur tout le moulin

- Fabrication non conforme - Grains ou produits consommés ou détériorés par les insectes

- Lots non conformes après analyses (ex : mycotoxines) - Grains ou produits consommés ou détériorés par les rongeurs et pigeons

Transport -Sacs percés / mouillés -Bourrages / Engorgements

-Sacs percés / mouillés -Bourrages / Engorgements

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Filière Céréales

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4. Pertes alimentaires dans la filière Blé dur 4.1 Pertes à la récolte et au stockage

En l’absence d’information, nous avons choisi de prendre les mêmes ratios que pour le blé tendre pour les pertes à la récolte (de moins de 1 % à 2 % voire plus) et la freinte (soit 0,1 %).

4.2 De la collecte à la première transformation

En 2012, 611 000 T de blé dur ont été utilisées en alimentation humaine pour la production de semoule (sur seulement 6 sites de production), destinée à la fabrication de pâtes et de semoule à couscous. De même que pour la filière blé tendre, le recyclage dans le procédé de fabrication et l’incorporation des grains et produits non conformes pour l’alimentation humaine avec les issues et donc valorisés en alimentation animale, contribuent à réduire fortement les pertes. La fraction non valorisée comprend principalement les lots détériorés par des moisissures ou des accidents de manipulation, et dirigés vers d’autres usages, mais son estimation est difficile car relevant des procédures internes et confidentielles de contrôle. Les coproduits (ou issues) de fabrication de la semoule (son et remoulages, écarts de nettoyage au gruau D) représentent respectivement 15 et 5 % des tonnages utilisés, 20 % au total soit 122 200 T et sont destinés à l’alimentation animale.

4.3 Seconde transformation La semoule produite est transformée principalement en pâtes alimentaires. Les ratés de fabrication sont réintroduits dans les chaînes de production. L’industrie des pâtes alimentaires est répartie sur huit usines et les procédures Qualité des opérateurs permettent d’assurer des taux de perte quasiment nuls. Le reste de cette production de semoule est soit exporté en l’état soit utilisé à la fabrication de couscous. Là encore les procédés sont bien maîtrisés, ces structures ont des procédures HACCP qui conduisent à limiter les pertes bien que des marges de production pour la fabrication du couscous s’avèrent encore possibles.

4.4 Distribution Nous ne disposons que de données globales des produits à base de blé dur retirés de la vente dans le secteur de la grande distribution (Voir paragraphe 3-4). 5. Pertes alimentaires dans la filière Maïs L’alimentation animale représente le principal débouché de la filière maïs sur le marché intérieur, suivie par l’amidonnerie qui, avec l’amidon du blé, dessert de multiples débouchés alimentaires et non-alimentaires. Les volumes traités par la filière maïserie, dont les produits - semoule, farine, préparations pour le petit déjeuner et snacks - sont exclusivement destinés à l’alimentation humaine et représentent environ 365 000 T soit environ 2.5 % de la collecte. Cette filière utilise de préférence des variétés spécifiques, possédant une forte proportion d’albumen corné (vitreux) pour en tirer des produits tels que les semoules et les hominies (semoules à forte granulométrie utilisées dans les spécialités pour petit déjeuner).

5.1 Pertes à la récolte

Les pertes peuvent correspondre à des accidents climatiques peu de temps avant la récolte, aux prédateurs (oiseaux, sangliers) et au mauvais réglage des machines. Une source américaine indique un taux de perte à cette étape de l’ordre de 2 %, soit 7300 T (Voir annexe 4). Cependant, en France à

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dires d’experts, ce taux serait plus important, de l’ordre de 4%, et plus selon les conditions météorologiques et le réglage des machines.

5.2 De la collecte à la première transformation

Au stockage, la freinte est estimée à 0.1 % soit 360 T. Sur les 360 000 T de maïs traitées, environ 60% se retrouvent dans les produits nobles destinés à l’alimentation humaine : farine, semoule ou hominies de maïs. Les 40 % restants correspondent aux coproduits de la première transformation et sont orientés vers l’alimentation animale. Cette filière est concentrée (3 opérateurs) et uniquement industrielle : les usines sont modernes et le taux de pertes est estimé à 1-2% soit entre 3000 et 6000 T.

5.3 Seconde transformation et distribution La farine est commercialisée en l’état, la semoule est utilisée majoritairement en brasserie mais aussi pour la fabrication de snack, les hominies sont utilisées pour la fabrication de corn-flakes. Les pertes que l’on peut qualifier « d’accidentelles » (sur la chaine de production ou les transports) ne dépassent sans doute pas 1 % soit 3 600 T de farine. Les produits proposés sont en général à longue conservation ; aussi le taux de pertes par retrait de la distribution pour dépassement de la « Date de Durabilité Minimale » (DDM) est-il sensiblement moindre que pour les produits de boulangerie-viennoiserie qui sont plus périssables. Nous ne disposons cependant pas de chiffre précis. 6. Pertes alimentaires dans la filière Orge de brasserie La filière orge-malterie (ou orge de brasserie) est essentiellement tournée vers la brasserie mais également vers la fabrication d’un ingrédient alimentaire, le sirop de malt. Ce dernier peut être utilisé comme complément alimentaire y compris en brasserie (couleur, sucres fermentescibles). 6.1 Pertes à la récolte

Les aléas météorologiques, prédateurs et mauvais réglage des machines peuvent engendrer des pertes à la récolte mais aucune donnée spécifique n’est disponible. Nous avons choisi de prendre les mêmes ratios que pour le blé tendre (de moins de 1 % à 2 % voire plus).

6.2 De la collecte à la première transformation La freinte est estimée à 0.1 % de la collecte, soit rapportée à la partie destinée à la malterie un volume de 1 600 T. Lors de la transformation de l’orge en malt, les coproduits (radicelles) sont orientés vers l’alimentation animale. Les sources possibles de perte sont les pertes de matière entraînées par l’eau lors de la trempe des grains et les pertes liées à la qualité sanitaire du malt : ces pertes ne sont pas connues en volume, et ne sont pas valorisées. Le malt produit doit en effet répondre à des exigences sanitaires fortes notamment en termes de mycotoxines et de produits néoformés (acrylamide, DMS, DMSO par exemple). En cas de dépassement des normes, le produit est perdu pour l’alimentation humaine. Il est aujourd’hui difficile de chiffrer ces pertes dans la mesure où elles relèvent du secret industriel et/ou de l’image de l’industriel concerné.

6.3 Seconde transformation

Les drèches sont valorisées en alimentation animale, donc ne sont pas considérées comme pertes. Dans le procédé de transformation du malt en bière et en sirop de malt, il arrive que la filtration de la pâte (malt + eau) soit impossible (lié à la granulométrie trop fine des farines, nature des protéines

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insolubles, teneur élevée en β-glucanes résiduels) ; l’ensemble est perdu et redirigé vers la nutrition animale ou détruit. Après fermentation du moût, les contrôles sur la qualité de la bière peuvent amener à détruire la production (surtout problèmes d’off-flavor liés à des oxydations, problèmes de contaminations microbiennes). Après mise en fût ou en bouteille, le giclage à l’ouverture est un problème important qui conduit à détruire le lot de bière produit ; cela peut aller jusqu’au lot de malt sachant que le giclage (ou « gushing ») serait lié à une contamination fongique des orges et malt (sans être forcément toxinogène). Comme pour la production de malt, il est aujourd’hui difficile de chiffrer ces pertes dans la mesure où elles relèvent du secret industriel et/ou de l’image de l’industriel concerné. Dans cette filière, de l’eau est ajoutée au cours des procédés, dont une partie se retrouve dans les produits (bière), une autre dans les coproduits (drèches), le reste étant éliminé sous forme de vapeur (40%) et de boues ; ces dernières sont en partie épandues sur des terres agricoles. La part de céréales ne rentrant pas dans la chaîne alimentaire est difficile à estimer du fait de la confidentialité au niveau des industriels. Seuls les volumes globaux de produits humides sont disponibles :

- Pour la filière malterie, 76 800 T de coproduits utilisés en alimentation animale et 127 000 T de déchets organiques détruits ou épandus.

- Pour la filière brasserie : 250 000 T de drèches humides correspondant à 46 000 Tonnes de matière sèche. Par ailleurs, 2.1 millions de m3 d’effluents sont retraités.

7. Pertes alimentaires dans la filière Riz

7.1 Pertes à la récolte Dans cette filière, pour la production française, il n’y a pas de transformation, les grains étant mis à disposition du consommateur. Les chaînes de stockage, de transformation et de conditionnement des entreprises sont optimisées pour réduire au maximum les « pertes et gaspillages » à chacune des étapes de la filière.

7.2 De la collecte à la première transformation Les aléas climatiques, prédateurs et mauvais réglages des machines peuvent engendrer des pertes à la récolte mais aucune donnée n’est disponible.

7.3 Pertes au cours du transport jusqu’à la station de stockage Ces pertes sont faibles et représentent moins de 0,001% des volumes récoltés. Après récolte et stockage, le riz est nettoyé de ses impuretés (5% des volumes récoltés) et de l’eau résiduelle (8% des volumes récoltés). 87 391 T de riz propre (riz paddy) destinées à la consommation humaine sont ainsi produites, donnant 58 721 T de riz pour la distribution et 28 632 T de coproduits pour l’alimentation animale, les 38 T manquantes pouvant être considérées comme des pertes (soit 0,04% des volumes de riz propre). 7.4 Pertes à la distribution Les produits proposés sont à longue conservation ; aussi le taux de pertes par retrait de la distribution pour DDM dépassée est certainement faible et comparable à celui des produits similaires (pâtes, semoule...).

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8. Pertes alimentaires dans la filière Amidon La filière Amidon est une filière très industrialisée, avec 9 sites de production en France. Les produits sont nombreux, plus de 600, et ne concernent pas que des usages alimentaires. Dans le cas des usages alimentaires, l’amidon et tous les produits dérivés issus de l’amidon sont utilisés comme ingrédients dans de très nombreuses préparations. Il est impossible d’obtenir des données chiffrées sur les pertes d’amidon, tant les préparations sont nombreuses et tant leurs teneurs en amidon sont parfois infimes. Trois millions de tonnes d’amidon sont produites, à partir de 3 millions de tonnes de blé et 2.2 millions de tonnes de maïs, mais seulement 500 000 T d’amidon et de produits dérivés sont destinés à l’alimentation humaine. Cette filière produit aussi du gluten, 200 000 T, utilisé en alimentation animale et humaine, et dont 80 % est exporté. Pour cette filière, aucune information n’a pu être obtenue sur les volumes de coproduits ou de pertes. 9. Approche quantitative des pertes et gaspillages Nous avons choisi de faire cette approche quantitative en deux étapes :

- Récolte/collecte/stockage (Tableau 3). Après un premier contrôle, les volumes de céréales disponibles sont largement supérieurs au besoin pour l’alimentation humaine. Seule une fraction sera transformée, après vérification de sa conformité.

- De la première transformation à la distribution (Tableau 4). Hormis le riz, plusieurs étapes seront nécessaires pour transformer les céréales en aliments, représentant une gamme très variée de produits, plus ou moins riches en céréales.

Tableau n°3 : Pertes de la récolte au stockage en % de grains

Blé tendre Blé dur Maïs Orge Brasserie Riz

Récolte 35 MT 2.4 MT 15.7 MT 3.5 MT 100 000T

Moissonneuse mal réglée 2% (<1 à 4%)

2% (<1 à 4%)

4% (2 à 6 %)

2% (<1 à 4%)

Non documenté

Dégradation conditions météo, faune sauvage Non documenté et variable selon les années et les lieux

Collecte et stockage 32.1 MT 2.2 MT 14.1 MT 3.5MT 100 000 T

Pierres, impuretés, eau (non considéré comme perte) Non documenté 13 %

Freinte dans les silos 0.1% 0.1% 0.1% 0.1% quasi nulle

Transport, transbordement Non documenté quasi nulle

Issues de silo (non considéré comme pertes car orientées vers l’alimentation

animale) 1% 1% 1% 1% -

Volume destiné à l’alimentation humaine

Meunerie

5.5 MT

Semoulerie :

611 000 T

Maïserie :

365 000 T

Malterie :

1.6 MT 87 391 T

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Tableau n°4 : Pertes de la première transformation à la commercialisation - (*) : Produits humides

Blé tendre Blé dur Maïs Orge Brasserie Riz

Première transformation Meunerie

5.5 MT

Semoulerie

611 000 T

Maïserie

365 000 T

Malterie

1.6 MT

Riz propre

87 391 T

Coproduits 1.13 MT 122 000 T 173 000 T 76 800 T (*) 28 632 T

Pertes 4500 T 1 à 2 % 122 000 T (*) 38 T

Seconde transformation

Boulangerie, biscuiterie,

viennoiserie : IAA

4.37 MT

Pâtes alimentaires :

488 000 T

IAA : 192 000T Brasserie 1.3MT

Retraits 468 000 T Drèches 46 000 T

Pertes Déchetterie : 32 000 T

Distribution /Commercialisation 58 721 T

Retraits Artisanat Boulangerie 122 000 T

Retraits GMS Produits céréaliers 150 000 T

Pour la première transformation : en volume de grains ou fractions de grains. A partir de la seconde transformation : en volume de produits transformés

Eléments de synthèse - Quantification des pertes alimentaires dans la filière Céréales Environ 8.7 millions de tonnes de céréales collectées sont destinées à l’alimentation humaine (incluant l’amidonnerie A la récolte, en prenant un taux de perte moyen de 2 % ► 174 000 T de grains Au stockage : freinte de 0.1 % ► 8 700 T de grains A la transformation : produits orientés en déchetterie ► 32 000 T de produits A la commercialisation : il n’a pas été possible de distinguer ce qui est orienté vers l’alimentation animale et vers d’autres destinations (méthanisation, déchetterie…)

10. Impact du mode de production ou de transformation sur les pertes alimentaires Hormis le riz et le maïs doux, la production de céréales est supérieure à la demande pour l’alimentation humaine en France et l’excédent est valorisable en alimentation animale. On ne note pas d’incidence du mode de production sur les pertes alimentaires. Dans le cas des filières de production en agriculture biologique, se pose la question de l’éventuelle prévalence du risque « mycotoxines », premier critère de retrait, du fait du non recours aux fongicides. A l’heure actuelle, aucune donnée ne permet de certifier qu’un mode de culture (« conventionnel » ou « biologique ») présente plus ou moins de risques qu’un autre en termes de contamination en mycotoxines comme l’illustre la revue de la littérature récemment publiée par Tangni et al. (2013). Par ailleurs, comme dans

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le cas des filières conventionnelles, les éventuels lots retirés sont valorisés en alimentation animale s’ils respectent les contraintes sanitaires de cette filière. Pour les autres cahiers des charges (Label Rouge, Critères Qualité Certifiés…), les itinéraires techniques ne sont pas spécifiques et n’ont pas d’impact sur les pertes. Au niveau des première et seconde transformations, si les procédés technologiques sont les mêmes, ce qui est le cas le plus fréquent, l’impact sur les pertes est nul. Le recours à des procédés plus traditionnels (meule de pierre, méthodes à l’ancienne) peut impacter le rendement de transformation, donc le ratio alimentation humaine / alimentation animale. 11. En amont de la récolte : manque à produire au cours des 10 dernières années Au cours des dix dernières années, les rendements moyens nationaux des principales céréales (Figure 1) connaissent des variations interannuelles de l’ordre de 6 à 14% (respectivement pour le blé et le riz, valeurs extrêmes).

Figure 1 : Variation de rendement selon les années de récoltes (Source : Agreste, statistique agricole annuelle)

De nombreux facteurs limitant du rendement, ou facteurs de perte de rendement, peuvent survenir à la parcelle, au cours du cycle cultural, ou peu avant la récolte. Leur analyse met en évidence que les manques à produire sont généralement associés à un ensemble de facteurs (climat, azote, maladies et bio-agresseurs). Les facteurs climatiques (température et déficit hydrique) apparaissent comme les principaux facteurs de perte de rendement observés en conduite dite « conventionnelle ». Des références sont données en annexes 4 et 5. 12. Leviers d’action et recherches à développer pour limiter les pertes alimentaires Les pertes à la récolte, hors incidents météorologiques, sont essentiellement liées au matériel. L’évolution des matériels de récolte et leur bonne utilisation - vitesse d’avancement, réglages - semblent le principal levier pour réduire les pertes à cette étape. Les pertes liées au stockage et aux manipulations sont très variables selon les circuits : nombre de transbordements, état du matériel de convoyage et de transport, proximité des outils de stockage et de transformation. Les améliorations possibles concernent :

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- L’organisation de la collecte et du transport, les conditions de stockage : capacités de stockage, tri à réception des lots par destination pour éviter les reprises, matériel de convoyage (grains cassés, fuites…),

- Les outils de stockage : réduction du stockage à plat et à l’air libre ; stockage au champ (systèmes de stockage en boudin),

- La recherche d’alternatives aux insecticides de stockage et aux rodenticides permettant de réduire les pertes potentielles liées à la réduction voire l’interdiction de leur usage, et de maintenir voire d’améliorer la qualité des produits,

- La réduction des contaminants de toute nature, pour garantir/améliorer la qualité sanitaire des céréales, incluant les recherches sur les interactions et effets cumulatifs des résidus

Les pertes lors de la transformation sont limitées. Cependant, des travaux de modernisation des procédés peuvent contribuer à en améliorer la maîtrise (par exemple, le développement des objets connectés qui permettront plus encore de réajuster les processus en temps réel). Rappelons qu’à ce stade, les issues, qui représentent 20 % des tonnages utilisés en meunerie (1.13 millions de tonnes) sont écartées et valorisées en alimentation animale, car en France, du fait des habitudes alimentaires, nous utilisons peu de céréales complètes. Les pertes à la distribution peuvent être améliorées selon deux directions :

- La réduction quantitative des pertes par la gestion des stocks, des circuits de récupération et de la durée de vie des produits. Les Dates Limites de Consommation (DLC) et Dates de Durabilité Minimale (DDM) figurant sur les produits prennent en compte une marge de sécurité par rapport aux données techniques et, par ailleurs, le dépassement de la DDM n’impose pas le retrait du produit en rayon.

- La valorisation des produits retirés vers l’alimentation humaine à chaque fois que la qualité le permet et de multiples initiatives vont aujourd’hui dans ce sens. Pour éviter que des produits alimentaires ne partent en déchetterie, les recherches de nouvelles voies de valorisation sont aussi nécessaires : alimentation animale, méthanisation, compostage, élevage d'insectes…

Conclusion La production de céréales (exception faite de celle du riz) est très supérieure aux besoins en alimentation humaine sur le marché intérieur. Ce sont des produits secs, stockables, qui peuvent être « substituables », selon la qualité et les exigences des marchés, en alimentation humaine et animale, dans l’industrie de l’amidonnerie ou des biocarburants et à l’export. Au cours du stockage et de la transformation, les pertes alimentaires connues ou estimées sont faibles et peuvent être expliquées en premier lieu par le rôle de l’alimentation animale. Ce marché, pour lequel les critères de conformité sont aujourd’hui moins exigeants (une évolution de la réglementation sanitaire dans ce secteur pourrait changer la donne), valorise les grains, issues, coproduits et lots retirés. Il est à noter que cela comprend à la fois l’alimentation des animaux d’élevage et de compagnie ; dans l’étude, il n’a pas été possible de séparer ces deux débouchés, qui, au regard des pertes, n’ont cependant pas la même valeur d’usage. Par ailleurs, la pratique du recyclage au cours des procédés industriels et la stabilité temporelle des produits céréaliers conservés sous forme sèche, contribuent également à limiter les pertes. Aux stades de distribution et commercialisation, les pertes alimentaires sont plus faciles à maîtriser pour les produits secs que pour les produits humides. Cependant, dans tous les cas, des marges de progrès existent encore et il sera essentiel d’analyser les processus mis en œuvre au regard des trois piliers de la durabilité : composantes environnementale, économique et sociale. Au-delà, cette étude nous a conduits à aborder l’efficience de cette filière. Aujourd’hui, plus de 80% des blés produits en France présentent une qualité dite « meunière » c’est-à-dire avec un taux de protéines

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de 11 % minimum, exigence potentiellement coûteuse du point de vue environnemental. Par ailleurs, on l’a vu, le secteur des céréales est intimement lié à celui de l’élevage et aujourd’hui le coût de production de la protéine animale vs végétale est questionné, d’un point de vue environnemental et économique. L’utilisation des céréales en alimentation animale constitue-t-elle alors un gaspillage ? Ou au contraire représente-t-elle, et dans quelles conditions, une opportunité pour valoriser une partie de la production céréalière, notamment celle de moindre qualité pour l’alimentation humaine ? C’est dans le cadre d’une analyse conjointe de la durabilité de ces deux filières que ces questions doivent être posées dans lesquelles l’objectif de réduction des pertes alimentaires revêt une place essentielle. Références bibliographiques

Ademe /Réséda, 2008. Enquête sur les gisements et la valorisation des coproduits issus de l’agro-industrie.

Agreste, Insee 2008. Déchets produits par les IAA en 2008 selon l’activité de l’établissement.

AMNF, Juillet 2011. Guide de l’état de l’art de l’industrie meunière relatif à la prévention et à la protection des risques présentés par les installations de meunerie soumises à autorisation au titre de la rubrique 2260.

Coop de France Métiers du grain/Fédération du Négoce Agricole/Synacomex, Août 2011.Guide de bonnes pratiques d’hygiène pour la collecte, le stockage, la commercialisation et le transport de céréales, d’oléagineux et de protéagineux.

Ernst&Young, 2010. Etude sur la Compétitivité de la filière blé tendre et maïs (FranceAgriMer)

FranceAgriMer, octobre 2012. L’observatoire nationale des ressources en biomasse - Evaluation des ressources disponibles en France.

Intercéréales, édition 2014. Guide interprofessionnel de gestion des mycotoxines dans la filière céréalière.

Règlement (CE) n°1881/2006 modifié portant fixation de teneurs maximales pour certains contaminants des denrées alimentaires

Règlement (CE) n°396/2005 concernant les limites maximales applicables aux résidus de pesticides présents dans ou sur les denrées alimentaires et les aliments pour animaux d’origine végétale et modifiant la directive 91/414/CEE

Dossier de presse. Passion Céréales. Au cœur des moissons, / février 2013

Revue de l’Alimentation Animale, N° 673, Janvier, Février 2014

Cet article est publié sous la licence Creative Commons (CC BY-NC-ND 3.0)

https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/3.0/fr/ Pour la citation et la reproduction de cet article, mentionner obligatoirement le titre de l'article, le nom de tous les auteurs, la mention de sa publication dans la revue « Innovations Agronomiques », la date de sa publication, et son URL)

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Annexe 1 – Les principaux coproduits des filières céréalières (Source : Enquête sur les gisements et la valorisation des coproduits issus de l’agro-industrie – année 2008 – Ademe –Réséda)

Meunerie

Sons : fragments d’enveloppes et aussi de particules de grains dont la plus grande partie de l’endosperme a été enlevée

Remoulages : fragments d’enveloppes et aussi de particules de grains dont on a enlevé moins d’endosperme que dans le son de blé

Farines basses : particules d’endosperme et aussi de fins fragments d’enveloppes et de quelques débris de grains.

Pellets ou bouchons : issues agglomérées à l’aide d’une presse.

Poussières : résidus, récupérées sur les surfaces planes aux abords des installations ainsi que dans les extracteurs

Criblures : écarts de triage du blé (grains brisés, trop petit, de couleur non conforme…)

Industrie semoulière Filière blé dur

Sons

Remoulages

Gruaux D partie la plus « noble » des coproduits de blé dur et spécifiques au process semoulier. Ils correspondent aux farines basses de blé dur.

Les coproduits de l’industrie des pâtes alimentaires sèches : débuts et fins de production ainsi que les pâtes sèches cassées.

Orge de brasserie

Les orgettes issues du nettoyage de l’orge correspondent aux grains de calibres inférieurs (< 2,5 mm) non utilisés dans le processus de fabrication du malt.

Les radicelles (ou touraillons) apparaissent sur les grains d’orge lors de la phase de germination. Elles sont séparées du malt lors de la phase de dégermage.

Les effluents sont envoyés en station de traitement.

Amidonnerie de maïs

Le corn gluten feed (aliment de gluten de maïs) comprend les drêches de maïs auxquelles peuvent être ajoutés les autres coproduits du maïs (tourteaux de germe, protéines, solubles de maïs).

Le gluten de maïs est la protéine insoluble extraite du grain de maïs.

Les tourteaux de germes de maïs sont issus du pressage des germes de maïs.

L’huile de maïs est l’huile obtenue à partir du germe de maïs par solvant ou par pression.

Les solubles de maïs sont obtenus par concentration de l’ «eau de trempe » du maïs et ils contiennent les constituants solubles du maïs (en anglais : corn steep).

Les drèches (ou fibres) sont la matière essentiellement cellulosique obtenue au cours de l’extraction de l’amidon.

Amidonnerie de blé

Le gluten de blé est la fraction protéique, insoluble dans l’eau, extraite du grain de blé.

Le « wheat gluten feed » (aliment de gluten de blé) est le principal coproduit issu de la fabrication d’amidon et de gluten de blé. Il est constitué de son, partiellement dégermé ou non, et de gluten.

Les sons de blé sont les coproduits obtenus lors de la première étape du procédé de fabrication de l’amidon de blé, qui consiste à transformer le blé en farine, avant extraction de l’amidon et de la protéine.

Les solubles de blé sont obtenus par concentration des eaux de process contenant les constituants solubles de blé.

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Annexe 2 - Filière céréalières – Réglementation sanitaire (Source : Coop de France/Fédération du Négoce Agricole (FNA)/Synacomex, version d’août 2011)

La réglementation européenne fixe des teneurs maximales pour certains contaminants alimentaires (voir tableau) notamment les éléments traces métalliques, les résidus de pesticides et les mycotoxines, dont les limites maximales autorisées varient si la production est destinée à l’alimentation humaine ou animale. Pour les mycotoxines, et dans le domaine de l’alimentation animale, seule l’aflatoxine B1 fait l’objet d’une règlementation. La profession a élaboré un « Guide de bonnes pratiques d’hygiène pour la collecte, le stockage, la commercialisation et le transport de céréales, oléagineux et protéagineux ». C’est un guide d’application volontaire conçu par ou pour les professionnels pour les aider à respecter les bonnes pratiques d’hygiène relatives aux sites d’exploitation, locaux, équipements, transport, déchets et personnel identifier les risques déterminants pour la sécurité du consommateur et établir des procédures appropriées pour les maîtriser en se fondant sur les principes du système HACCP (analyse des dangers, points critiques pour leur maîtrise).

Alimentation humaine Alimentation animale

Métaux lourds

Plomb 0.2 mg/kg de céréales Concernant les matières premières pour animaux d’origine végétale, l’arrêté du 12.1.2001 (JO du 20.01.2001) fixe les teneurs suivantes :

Plomb : 10 mg/kg

Cadmium : 1 mg/kg

Mercure : 0.1 mg/kg

Arsenic : 2 mg/kg

Fluor : 150 mg/kg

Cadmium 0.1 mg/kg de céréales sauf son, germe, grain de blé et riz

0.2 mg/kg son, germe, grain de blé, de riz et graine de soja

Mercure 0.03 mg/kg de mercure total pour les céréales et les produits dérivés (recommandation du conseil supérieur d’hygiène publique de France, 1993)

Résidus d’insecticides de stockage

Bifentrine Avoine, triticale, orge : 0.5 mg/kg

Autres : 0.05 mg/kg

Pyrimiphos méthyl 5 mg/kg

Chlorpyrofos méthyl 3 mg/kg

Delthaméthrine 2 mg/kg

Cyperméthrine 2 mg/kg (blé, orge)

0.3 mg/kg (maïs)

Pyréthrine naturelle 3 mg/kg

Phosphure d’aluminium ou de magnésium 0.1 mg/kg

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Teneurs maximales autorisées ou recommandées pour les métaux lourds, les résidus de pesticides de stockage et les mycotoxines

Annexe 3 - Estimation des pertes de grains au cours de la récolte pour les principales céréales. Culture Gamme de pertes Source

Blé tendre 1%

http://www.lafranceagricole.fr/Archives/articlexml/14734

Blé tendre 35 à 800 grains.m-² Clarke (1985) (USA)

Blé tendre 2% du rendement récolte (environ 240 seeds.m-²)

Anderson et Soper (2003) (UK)

Blé tendre De 10 - 15 kg/ha à 115kg/ha http://forum.grostracteurspassion.com/viewtopic.php?f=67&t=3405&view=next

Maïs 206 kg/ha Owenet al., 2005a et b d’après Gruber et al., 2008. (USA)

Maïs <4,5% http://www.fao.org/docrep/t0522f/t0522f02.htm

Riz (Paddy) <3% pour récolte machine http://www.fao.org/docrep/t0522f/t0522f02.htm

Mycotoxines (Il est interdit de mélanger des produits confirmes aux teneurs maximales fixées en différentes mycotoxines avec des produits non

conformes)

Aflatoxines 2 µg/kg aflatoxine B1

4 µg/kg pour le total des aflatoxines

Maïs destiné à un traitement de triage ou autres méthodes physiques avant consommation ou une utilisation comme ingrédient alimentaire :

5 µg/kg aflatoxine B1

10 µg/kg pour le total des aflatoxines

0.02 mg/kg d’aflatoxine B1 (directive 2002/32 du Parlement européen et du conseil du 07 mai 2002 modifié

Ochratoxine A 5 µg/kg pour les céréales brutes

3 µg/kg pour les produits dérivés de céréales

0.25 mg/kg pour toutes les céréales (recommandation de la commission du 26 août 2006)

Déoxynivalénol 1250 µg/kg pour les céréales brutes autres que l’avoine, le blé dur et le maïs

1750 µg/kg pour l’avoine, le blé dur et le maïs (à l’exception du maïs brut destiné à être transformé par mouture humide)

8 mg/kg pour toutes les céréales (recommandation de la commission du 26 août 2006)

Zéaralénone 100 µg/kg pour les céréales brutes autres que le maïs

350 µg/kg pour le maïs (à l’exception du maïs brut destiné à être transformé par mouture humide)

2 mg/kg pour toutes les céréales (recommandation de la commission du 26 août 2006)

Fumonisines 4000 µg/kg pour le maïs (à l’exception du maïs brut destiné à être transformé par mouture humide)

1000 µg/kg pour le maïs destiné à la consommation humaine directe

B1+B2 : 60 mg/kg pour toutes les céréales (recommandation de la commission du 26 août 2006)

Page 94: Enjeux socio-économiques et impacts des pertes agricoles et

H. Juin

96 Innovations Agronomiques 48 (2015), 79-96

Annexe 4 - Pertes de rendement (%) liée à la sécheresse pour quelques grandes cultures (données France entière). (Source : Debaeke et Bertrand, 2008) Blé tendre Orge

d’hiver Colza Tournesol Maïs Sorgho Soja Pomme

de terre Betterave

1976 17.5 - 7.5 31.5* 23 15.5 15.5 38 20

2003 15 18.5 8 13.5** 19.5 36.5 31 - 5.5

2005 7 - - 7.5** 7.5 15.5 6 - -

2006 11.5 7.5 16 1.5** 7 11.5 - 4.5 -

*période 1970 – 1988 ; ** période 1989 – 2006 : en référence au rendement 2000 (25 q/ha) ; - pertes nulles ou inférieures à 3 %

Annexe 5 - Pertes de rendement et bioagresseurs Blé tendre (toutes maladies confondues

0 – 50 q/ha Valeurs de nuisibilité. Guide des maladies des céréales – Arvalis, CA Pays de Loire.

Blé tendre (pucerons d'automne et de printemps)

Jusqu’à 23-30 q/ha http://www.arvalis-infos.fr/view-15860-arvarticle.html; http://www.fiches.arvalis-infos.fr/fiche_accident/fiches_accidents.php?mode=fa&type_cul=1&type_acc=3&id_acc=37

Blé tendre (pucerons d'automne et de printemps)

10 q/ha moyenne (jusqu’à 25q/ha) http://www.lafranceagricole.fr/actualite-agricole/ble-premiers-pucerons-reperes-sur-les-epis-27983.html; Chambres d’agriculture de Bretagne • Mai 2014

Blé tendre < à 6% pour chaque maladie simulée Willocquet et al, 2008

Maïs (maladies) 0-6q/ha

Insectes (types Pyrale, Chrysomèle ou Noctuelle)

0 à 30% du rendement http://www.agro.basf.fr/agroportal/fr/fr/cultures/inv_le_mais/insecticides_1/la_noctuelle_ravageur_du_mais.html

Blé : pertes potentielles 16%, 3%, 9% et 23% pour respectivement champignons et bactéries, virus, insectes et mauvaises herbes ; avec protection cela passe à 10%, 2%, 8% et 9%.

Oerke et Dehne, 2004.

La variation des pertes entre pays est de 14% en Eur de l’ouest vs 34% en Af, Asie, Océanie

Orge :

pertes potentielles 15%, 3%, 7% et 23% pour respectivement champignons et bactéries, virus, insectes et mauvaises herbes ; la protection préserve 21% du rdt.

Oerke et Dehne, 2004.

Riz : pertes potentielles 16%, 24% et 35% pour respectivement champignons et bactéries, insectes et mauvaises herbes (virus 2%) ; la protection préserve 38% du rdt.

Oerke et Dehne, 2004.

La variation des pertes entre pays est de 30% en Af. Sub saharienne vs 50% en Af du nord et sud de l’Eur.

Maïs : pertes potentielles 11%, 3%, 15% et 37% pour respectivement champignons et bactéries, virus, insectes et mauvaises herbes ; la protection préserve 33% du rdt.

Oerke et Dehne, 2004.

La variation des pertes entre pays est de 21 à 38% .

Orge (maladies) 0-20 q/ha Guide des maladies des céréales – Arvalis, CA Pays de Loire.

Riz (maladies foliaires)

11 à 40% de grains vides Suivant de degré d’attaque. GNANCADJA-ANDRÉ et al., 2005.

Riz Willocquet et al, 2004

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Innovations Agronomiques 48 (2015), 97-114

Pertes alimentaires dans la filière oléagineuse

Fine F.1, Lucas J.-L.1, Chardigny J.-M.2, Redlingshöfer B.3, Renard M.4

1 CETIOM, 11 rue de Monceau, CS 60003, F-75378 Paris cedex 08 2 INRA, Département Alimentation Humaine, F-63122 Saint Genes Champanelle 3 INRA, Direction Scientifique Alimentation, Mission d’anticipation Recherche/Société (MaR/S), 147 rue de l’Université, F-75338 Paris cedex 7 4 INRA, UMR 1349, IGEPP INRA, Agrocampus Ouest Rennes, Université Rennes1, BP35327, F-35653 Le Rheu Cedex Correspondance : [email protected] Résumé Une approche globale des pertes alimentaires en alimentation humaine a été initiée par l’INRA pour l’ensemble des filières végétales et animales, du champ jusqu’à la distribution. Dans cette étude, ont été considérés comme pertes alimentaires tous les produits qui sortent de la chaîne alimentaire humaine et ne sont pas recyclés en alimentation animale. Les principales filières oléagineuses françaises ont été étudiées (colza, tournesol et soja ainsi que le tofu). Les différentes étapes du process de la chaîne oléagineuse ont été décrites de la récolte à la distribution, en intégrant le stockage, le transport, la trituration, le raffinage et le conditionnement, afin d’identifier les étapes clés impactant les pertes. Pour le tofu, l’étude a porté également de la récolte à la distribution, en incluant la production de lait de soja et de tofu. Les données ont été collectées principalement grâce à l’expertise de professionnels, en raison du manque de données publiées. Bien que les graines oléagineuses et les huiles végétales soient adaptées à une conservation relativement longue par rapport à d’autres produits, les pertes en huiles végétales du champ à la distribution restent très significatifs (environ 71,4 KT, équivalent à 10% de la consommation d’huile en France). Il a été établi que les principales étapes impactant les pertes sont la récolte et le raffinage. Les pertes totales en huile de colza, de tournesol et de soja ont été estimées respectivement à 9,8%, 7,0% et 6,0% de la production potentielle d’huile en France, équivalents à 50,6, 14,3 and 6,5 M€ ou à la consommation annuelle d’environ 3.030.000, 855.000 et 390.000 personnes. Pour le tofu, les pertes à la récolte sont les plus importantes. Les pertes totales en tofu sont équivalentes à 8,2% de la production potentielle de tofu. Des mesures visant à améliorer l’efficience du système oléagineux français à chaque étape du process sont discutées. Mots-clés : Huile, Tofu, Récolte, Trituration, Raffinage, Perte Abstract: Food losses in oleaginous production INRA has initiated a comprehensive approach to food loss for all the plant and animal supply chains, from field to distribution. In this study, all food products that leave the human food chain and are not recycled into animal feed are considered as food loss. The main French oilseed sectors are studied (rapeseed, sunflower and soya, as well as tofu, linseed). In order to identify the key determinants of food loss, all the various steps in the process of the oleaginous production chain are described, from harvesting through to distribution, including storage, transport, crushing, refining and packaging. For tofu, the study also examines the chain from harvest through to distribution, including as soy milk and tofu paste. Published data are lacking; they were therefore primarily collected directly from professionals in the sectors concerned. Although oilseeds and vegetable oils are apt to have a relatively long shelf life compared to other products, losses of vegetable oil from field to distribution are substantial (approximately 71.4 KT, equivalent to 10% of the amount consumed in France). We establish that the principal steps giving rise to losses are harvesting and refining. Total losses in French rapeseed oil,

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sunflower and soybean were estimated at 9.8%, 7.0% and 6.0% of their respective total potential production, worth approximately 50.6, 14.3 and € 6.5 million and equivalent to the annual consumption of approximately 3,030,000, 855,000 and 390,000 people. In the case of tofu, harvest is the most important area of loss. Total losses of tofu are equivalent to 8.2% of potential production. We discuss potential measures to improve the efficiency of the individual steps of French oilseed production. Keywords: Oil, Tofu, Harvest, Crushing, Refining, Loss 1. Principales caractéristiques de la filière oléagineuse Les process du colza, du tournesol et du soja sont décrits dans les Figures 1, 2 et 3.

Figure 1 : Description du process du colza pour une tonne de graines

Figure 2 : Description du process du tournesol pour une tonne de graines

PARCELLE'RECOLTABLE' TRANSPORT' STOCKAGE'OS'

TRANSPORT'STOCKAGE'usine'DEPELLICULAGE'

Pellicules'+'huile' APPLATISSAGE' CUISSON'

Eau'<'29,5kg/t'graine'

PRESSION'

Huile'pression'''312kg/t'graine'

Ecailles'658'kg/t'graine'EXTRACTION'

Hexane'<'700kg/t'graine'Marc'

765'kg/t'graine'

Miscella'594'kg/t'graine'

PROCESS'COLZA'

DESOLVANTATION'

DISTILLATION'

Tourteau'549kg/t'graine'

Hexane'229'kg/t'graine'

Huile'extracTon'''123kg/t'graine'

Hexane'470'kg/t'graine'

RAFFINAGE'

Huile'brute'''435kg/t'graine'

Huile'raffinée''419kg/t'graine'CONDITIONNEMENT'

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Pertes dans la filière oléagineuse

Innovations Agronomiques 48 (2015), 97-114 99

Figure 3 : Description du process du soja pour une tonne de graines 1.1 Huiles

1.1.1 La récolte des graines oléagineuses • La récolte de colza

Pour des raisons de stockage, il est recommandé que le colza soit récolté à un taux d'humidité de 9%. La récolte est compliquée par le fait que le colza est une culture indéterminée et donc, à la récolte, il y a une quantité variable de graines immatures. Il est très fréquent de voir des tiges et des gousses partiellement vertes. Afin d’éviter cela, l’andainage est une alternative possible. Néanmoins, une moisson directe aura un meilleur rendement et est plus économique. Une vitesse de récolte plus lente que pour le blé sera nécessaire. La vitesse de la récolte dépend de la qualité de la maturation du colza et de l’équipement machine utilisé. Les sources de perte de colza lors de l’utilisation d’une moissonneuse-batteuse proviennent de la coupe, du battage et du nettoyage. Les pertes de graines, à l’avant de la moissonneuse-batteuse, augmentent quand la récolte est retardée ; elle dépend de l’humidité de la graine, de la sensibilité de la culture à s’égrener et de la maturité des siliques. Il y a quelques années, il était recommandé de récolter le colza à un taux d’humidité de 12 à 14% afin d’éviter les pertes de graines à l’avant de la moissonneuse-batteuse. Maintenant, avec les nouvelles variétés, la déhiscence des siliques et l’éjection des graines est un problème moins important. De nombreuses nouvelles variétés présentent une tolérance à l’égrenage et les différences aux champs sont significatives. Il est maintenant possible de récolter avec des graines à 9% d’humidité. A ce taux, le battage et le nettoyage dans la moissonneuse-batteuse est plus efficace (moins de pertes). En fait, pour éviter efficacement les pertes à l'avant de la moissonneuse-batteuse, il est préférable de travailler avec une moissonneuse-batteuse équipée d'une extension de coupe spécifique à la récolte de colza. Par ailleurs, la principale raison de la perte de graines dans le battage et le nettoyage est du à la date trop précoce de la récolte du colza. Même si les grains sont pratiquement à 9%, lorsque l’humidité des pailles et des tiges est trop importante, les pertes à la récolte ont lieu durant la séparation, le nettoyage et le triage. Les meilleurs résultats sont obtenus lorsque l’humidité des pailles, à l’arrière de la moissonneuse-batteuse, est inférieure à 20%.

PARCELLE'RECOLTABLE' TRANSPORT' STOCKAGE'OS'

TRANSPORT'STOCKAGE'usine'

APPLATISSAGE' EXTRACTION'

Hexane'9'1050kg/t'graine'

PROCESS'SOJA'

DESOLVANTATION'

DISTILLATION'

Tourteau'780'kg/t'graine'

Hexane'334'kg/t'graine'

Huile'brute''180'kg/t'graine'

Hexane'716'kg/t'graine'

RAFFINAGE'

Huile'raffinée''174'kg/t'graine' CONDITIONNEMENT'

importaRons'

CONDITIONNEMENT'

Marc'1115'kg/t'graine'

Miscella''935kg/t'graine'

Eau'perdue'40'kg/t'graine'

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M. Renard et al.

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Les détecteurs électroniques de pertes ne mesureront pas avec précision les pertes à l’arrière de la moissonneuse-batteuse. Ils signalent seulement les augmentations ou les diminutions des pertes ; ils ne montrent pas combien de quintaux par hectare sont perdus. Pour obtenir le niveau des pertes, il est nécessaire de mesurer les véritables pertes sur le terrain avec un grand plateau en métal. Avec leur faible diamètre et leur couleur brun foncé/noire, obtenir un chiffre même approximatif des graines laissées au sol est très difficile.

• La récolte de tournesol Les tournesols peuvent être récoltés lorsque l’humidité de la graine est à peu près à 9%. Les tournesols peuvent facilement se briser si les têtes sont très sèches. Attendre trop longtemps pour récolter peut entraîner des pertes importantes sur le terrain. Une adaptation sur la machine est nécessaire pour réduire les pertes et récolter efficacement. Des plateaux, montés sur la coupe, sont l'équipement le plus utilisé; il est aussi le moins cher.

• La récolte de soja Il est recommandé de récolter le soja à un taux d’humidité de 14%. La récolte directe par moissonneuse-batteuse est aisée. La séparation entre les graines et les pailles dans la moissonneuse-batteuse a lieu sans difficulté. La taille et le poids des graines se différencient de ceux des morceaux de pailles et des gousses. Le nettoyage par soufflage d'air est très efficace Lors de la récolte du soja, des pertes peuvent être occasionnées par des gousses qui restent sur la partie de la plante non récoltée. La variété et la conduite de culture peuvent entrainer une croissance des gousses trop près du sol. 1.1.2 Le transport des graines oléagineuses Le colza et le tournesol représentent 90% des oléagineux transformés en France, sur une douzaine d’usines avec une capacité annuelle totale (atteinte en 2008) d’environ 5 millions de tonnes de graines. Ces plantes arrivent par route, rail, voie maritime ou fluviale. Pour le soja, le broyage traditionnel se concentre sur une seule usine dont la capacité annuelle est de 500 000 tonnes à partir de semences importées. 1.1.3 Le stockage des graines oléagineuses Les normes commerciales exigent que le colza ait moins de 9% de teneur en eau, moins de 2% d'impuretés et une teneur en huile supérieure à 40%. Les graines de tournesol doivent avoir les mêmes caractéristiques pour l’eau et les impuretés ; la teneur en huile doit être supérieure à 44% et l’acide oléique inférieur à 2%. Afin de préserver ces qualités de graines, plusieurs étapes sont nécessaires. Elles sont décrites dans la Figure 9. Passer d’une étape à l’autre implique une opération de traitement séparée. Ces opérations de traitement peuvent également être effectuées à l’occasion d’un transfert de bacs, une opération pour optimiser les lieux de stockage ou une opération spécifique sur le grain stocké lui-même. Avant le séchage et le stockage, les graines de tournesol et de colza doivent être soigneusement nettoyées par tamisage afin d'éliminer les impuretés. Afin d’éviter l’acidification de l’huile, le développement d’insectes et la propagation de moisissures, ces graines doivent être sèches (près de 7-8% d’humidité) et au frais (en dessous de 10°C). 1.1.4 La trituration des graines oléagineuses Pour l’extraction d’huile du soja et du tournesol, les industries utilisent, et même combinent, les méthodes mécaniques (pré-pressage) et les méthodes d’extraction par solvants. Suite à un processus

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Pertes dans la filière oléagineuse

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industriel, la teneur en huile résiduelle dans le colza et le tourteau de colza sera autour de 2% (Allaf et al., 2014). Avant le procédé d'extraction d'huile, les oléagineux exigent des degrés variables dans la préparation des graines. Le nettoyage des graines, le séchage, le broyage, l’élimination de la coque, la cuisson, l’effritage et l’extrusion sont tous des processus unitaires potentiels impliqués dans la préparation des semences. Le nettoyage vise à éliminer la matière étrangère, tels que les graines de mauvaises herbes, tels que graines de mauvaises herbes, des bâtons, des gousses, de la poussière, de la terre, du sable, des pierres et des métaux parasites. Des aimants sont utilisés pour enlever les matériaux à base de fer. Les débris végétaux et la poussière sont généralement plus légers que les matériaux oléagineux. La suppression de ces matières étrangères à partir du flux des semences implique donc généralement une combinaison de dépistage suivie par une aspiration. Cette combinaison de procédés est communément appelée scalpage. Le soja est généralement réduit en taille en utilisant un dispositif connu sous le nom un broyeur à fissuration. Ces broyeurs sont généralement constitués de deux ensembles de rouleaux ondulés cylindriques en série. Les rouleaux fonctionnent à des vitesses différentielles de manière à faciliter le broyage des matières oléagineuses. Les graines de tournesol sont rompues dans un décortiqueur à impact avant l’élimination de la coque. Afin de minimiser la production de fines, qui sont difficiles à séparer des coques au cours du tri en aval, ces appareils sont conçus pour provoquer des impacts multiples. Une conception populaire est basée sur un grand rotor en cage tournant en face d'un stator spécifique. Les graines de soja et de tournesol sont entourées par une fraction à haute teneur en fibres et faible teneur en huile, appelée une coque. La suppression de cette fraction réduit le volume de matière ayant à subir l’extraction et entraine une teneur plus élevée en protéines de la farine dégraissée. Le décorticage ou dépelliculage a lieu après le broyage des graines décrit ci-dessus. Dans un premier temps, les coques sont séparées des amandes (noyaux) par aspiration ou par flottaison dans un courant d'air à contre-courant. Des petites particules d’amandes s’attachent aux coques ; elles sont récupérées par différentes combinaisons d’agitation et de détection afin d’éviter de larges pertes d’huile. Un décorticage efficace de soja aboutit à des coques avec moins de 1.5% de teneur en huile et des amandes avec moins de 3.5% de coques. Sauf dans le cas d’un pressage à froid, les oléagineux sont généralement chauffés et parfois séchés avant leur extraction. Cette étape importante peut être désignée comme «conditionnement» lorsque le temps de chauffage est court (10-15 minutes) et que la température maximale ne dépasse pas les 70-80°C. Elle est appelée «cuisson» lorsque la durée de chauffage est plus longue et la température plus élevée. Le conditionnement précède l’étape de décorticage et vise à assouplir les graines afin de réduire le travail du broyage et d’augmenter l’extractabilité de l’huile. La source de chaleur est de la vapeur indirecte : le principe du conditionnement est de faciliter le transfert de chaleur de la vapeur saturée aux oléagineux sans permettre à la vapeur d'entrer en contact le matériau étant conditionné. Il est possible de distinguer trois principaux types de conditionneurs/cuiseurs selon la méthode utilisée pour faciliter le contact entre les graines et les parois de la cuve contenant la vapeur. Le plus récent a été présenté par Solex Termal Science et consiste à faire passer les graines entre de grandes plaques à double paroi contenant de la vapeur. Les plaques sont fixées verticalement et sont espacées de 10 cm, permettant ainsi aux graines de s’écouler par gravité. Cette conception minimise l'énergie mécanique nécessaire pour forcer les graines à être en contact avec le métal chaud et permet l'utilisation d'une température plus basse de fluide que dans le cadre d'autres systèmes. Une autre conception populaire est un grand tambour horizontal équipé de nombreux tuyaux de vapeur contre lesquels les graines entrent en contact. Bien que ce conditionneur nécessite de l'énergie mécanique pour assurer l'agitation des graines, le transfert de chaleur est relativement rapide et efficace en raison des surfaces relativement grandes des zones de métal chaud disponibles pour l'échange de chaleur. La conception la plus ancienne est appelée cuiseur cheminée et se compose d’une série verticale de

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plateaux plats chauffés à la vapeur sur lesquels les graines sont vigoureusement agitées afin de faciliter leur contact avec le métal. Puisque le rapport volume-surface est plus grand que dans les dispositifs précédents, une quantité considérable d'énergie mécanique est nécessaire pour forcer l'échange de chaleur. La cuisson est un traitement plus fort que le conditionnement et conduit à une modification significative de la structure de la graine. La principale conséquence concerne la coagulation des protéines, en particulier les oléosines qui stabilisent les corps huileux dans les cellules. Par conséquent, le cloisonnement cellulaire des gouttelettes d'huile est perturbé et la disponibilité de l'huile améliorée. L’agitation moléculaire diminue la viscosité de l'huile et génère une certaine exsudation d'huile visible sur la surface des écailles. La chaleur diminue également la viscosité de l'huile et réduit la teneur en eau. En ce qui concerne l'expression mécanique d'huile à partir de colza, la cuisson réduit par trois la quantité d’énergie nécessaire pour le pressage. Le décorticage est effectué sur les graines extraites au solvant. L'opération consiste à aplatir le matériau conditionné entre deux rouleaux lisses qui tournent en sens inverse et sont forcés ensemble par des vérins hydrauliques. Une bonne extraction, en particulier pour les graines allant directement à l'extraction, exige un décorticage complet car des particules insuffisamment décortiquées ne seront pas accessibles au solvant diffusé et l'huile qu'elles contiennent restera inextractible. L’extrusion avec expandeurs est couramment utilisée pour la préparation des graines de soja. Le principe de l'opération est d'améliorer la qualité de l'huile en inactivant la phospholipase D responsable de la formation de phospholipides non hydratables, et d’améliorer l'efficacité de l'extraction en transformant les flocons de faible densité dans des collets plus denses. Cette densification augmente la capacité de l'extracteur en permettant à plus de graines oléagineuses d’être conditionnées. Le procédé est basé sur la possibilité de mettre les flocons en contact direct avec la vapeur à une pression atmosphérique supérieure dans un premier temps, suivie par une chute de pression à la sortie de la machine qui assure une vaporisation rapide de l'humidité, donnant ainsi aux collets une structure poreuse. L’extraction mécanique peut être utilisée aussi bien en tant que technique d'extraction unique qu’en combinaison avec l'extraction au solvant. Le principe de l'extraction mécanique consiste à presser la matière oléagineuse dans un dispositif muni d'une surface poreuse permettant de concentrer le solide et au liquide de sortir. Le pressage continu se fait dans une presse à vis qui compresse le gâteau en forçant sa progression dans un volume en constante diminution. Pour ce faire, l'arbre de la vis a un diamètre croissant. Cette vis est entourée d'une cage à fentes qui permet à l'air et à l'huile de quitter la zone sous plus forte pression. La largeur des fentes est adaptée à la pression et au débit d'huile. Une bonne séparation des solides et liquides exige que la porosité de la cage soit à la fois suffisamment grande pour que l'huile puisse circuler et suffisamment faible pour maintenir le solide sous pression à l'intérieur. La préparation des oléagineux est essentielle car les ajustements de température, le degré de cuisson et la teneur en humidité influencent la plasticité du gâteau, la viscosité de l'huile et la porosité du gâteau. Lorsque l'extraction mécanique n’est pas suivie par une extraction par solvant, la cuisson est généralement plus forte et le séchage plus intense. Le double pressage, par exemple pressage à froid suivi de cuisson et second pressage, donne des tourteaux de colza avec un résidu d’huile de 9-10%. Une pression complète unique donne un tourteau plus gras (10-12%). Le pressage à froid produit un tourteau de colza avec 12 à 25% d'huile, en fonction de la capacité et la qualité de la presse. Dans les grandes huileries utilisant l'extraction par solvant, l’extraction mécanique élimine jusqu'à 70% de l'huile des graines, mais cela est simplement considéré comme une étape préparatoire car la qualité du tourteau dépend de l’efficacité de l’extraction. Le pré-pressage produit un tourteau avec une teneur en huile de 18 à 22%. Le tourteau doit avoir une bonne perméabilité pour que le solvant puisse pénétrer parmi les particules et percoler avec facilité.

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Pertes dans la filière oléagineuse

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L'extraction par solvant a l'avantage de produire des rendements d'extraction plus élevés que ceux réalisés avec l’extraction mécanique. Dans le monde entier, l’hexane commercial est le solvant le plus couramment utilisé pour l’extraction par solvant des oléagineux. Dans le procédé d'extraction par solvant, le miscella à la surface de la matière oléagineuse se diffuse à travers les parois des cellules dans les corps huileux situés à l'intérieur des cellules. Le miscella et les corps huileux deviennent rapidement une solution. Le gradient de concentration d'huile dans le miscella est la force motrice conduisant à l'épuisement de la matière solide. Ainsi, le principe de l'extraction en continu est de maintenir ce gradient de concentration par addition de solvant frais sur le matériau dans une circulation à contre-courant. A la fin de l'extraction, le solide est trempé avec de l'hexane qui est éliminée dans un désolvanteur par l'action de la chaleur, comme dans un four vertical ou par vapeur directe qui supprime le solvant de la farine. Le désolventisation de la farine joue un rôle important dans sa valeur alimentaire parce que, en présence de chaleur et d'humidité, certains facteurs antinutritionnels tels que l'inhibiteur de trypsine de soja peuvent être détruits, mais d’autre part, un chauffage excessif peut entrainer la perte d’acides aminés sensibles, tels que la lysine qui ont une fonction aminée qui peut réagir avec des sucres réducteurs pour former le premier composé de la réaction de Maillard. L'huile du miscella est récupérée par évaporation du solvant sous vide, avec le solvant étant condensé et renvoyé vers l'extracteur. 1.1.5 Le raffinage des huiles L'objectif du raffinage des huiles et graisses comestibles est d'éliminer les acides gras libres et autres substances indésirables, y compris les impuretés, tout en maintenant la valeur nutritionnelle et garantissant la qualité et la stabilité du produit final. Ainsi les clients industriels ont un intrant qui est conforme aux spécifications précises et complètes et les consommateurs finaux sont fournis avec un produit raffiné qui répond à leurs attentes (par exemple, une huile qui est claire, a un goût constant et est stable). L'objectif de l'étape de raffinage est d'éliminer les phospholipides (dégommage), les acides gras libres (neutralisation), les pigments (décoloration), les cires dans le cas du tournesol (déparaffinage) et les composés odorants (désodorisation). Les contaminants possibles (pesticides, métaux lourds) sont également éliminés. Il existe deux principaux procédés de raffinage utilisés sur les huiles brutes : le raffinage chimique/alcalin et le raffinage physique. Ils diffèrent principalement dans la façon dont les acides gras libres sont éliminés. Le raffinage permet également à l’hexane d’être retiré à un niveau indétectable. Les différentes opérations élémentaires sont réalisées en continu, avec des installations de raffinage traitant tous les types d'huile en adaptant les conditions de fonctionnement. 1.1.6 Le conditionnement des huiles Après le raffinage, les huiles végétales sont généralement filtrées avant le conditionnement. Le conditionnement varie selon les spécifications des clients. L’huile, par exemple, peut être conditionnée dans des petits flacons, des bouteilles ou des conteneurs. Une large gamme de matériaux d'emballage peut être utilisée pour le conditionnement des huiles (verre, PET…). Ce conditionnement peut être effectué directement sur le site de production d'huile, ou sur un site entièrement dédié à cette activité. Au cours de ce conditionnement, des mélanges d'huiles peuvent être faits. 1.1.7 L’approvisionnement Il y a seulement quelques entreprises en France qui font du broyage : Saipol, Cargill, INEOS et les Huileries Lapalisse. En ce qui concerne le raffinage, cette activité est essentiellement limitée à Cargill et SAIPOL. Les activités de raffinage ont tendance à être liées au broyage et se trouvent dans les sites portuaires. La concentration de l'industrie d’huilerie se reflète également dans les emballages et les entreprises marketing, avec Lesieur et Cargill étant de loin les plus importantes, et Lapalisse étant beaucoup plus petit, mais cependant considérable.

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M. Renard et al.

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1.2 Le TOFU

1.2.1 Le processus du tofu Le tofu régulier de base est un produit blanc, doux, essentiellement fade qui ressemble beaucoup au pressé blanc du lait caillé. Sa production commence avec la préparation de lait de soja. Les fèves de soja sont bouillies, puis refroidies à environ 75°C. Le mince film de protéine-lipide (écume de surface) formé sur la surface du lait est enlevé. Un coagulant, constitué d'une suspension de poudre de gypse ou d’une solution de sels de magnésium (appelé aussi nigari) est ensuite ajouté. Le caillage se produit. Le lactosérum surnageant est retiré et le caillé est transféré dans des boîtes perforées et pressé jusqu’à ce qu’un bloc uni de caillé est obtenu. Le caillé est ensuite immergé dans l'eau froide pendant plusieurs heures, dans un but de refroidissement, de lessivage du coagulant en excès et de capture des matières solides du petit-lait. Le bloc est ensuite découpé en portions de commerce et enveloppé pour la vente. Le tofu frais est stocké, transporté et vendu comme un périssables réfrigéré. Une analogie peut être faite entre la production de tofu et la fabrication de fromage. Une méthode radicalement différente est utilisée pour la production industrielle de "tofu soyeux", une sorte de tofu plus doux et plus fragile. Ici, le processus de production ressemble plus à celui du yaourt que du fromage. Le lait de soja avec un contenu solide élevé (10% au lieu de 5-6% dans le tofu habituel) est chauffé à 100 ° C, puis refroidi à température ambiante. De la glucono-delta-lactone (GDL) est ensuite ajouté et le lait est versé dans les récipients de vente au détail. Après fermeture étanche, les récipients remplis sont chauffés dans un bain d'eau à 80-90°C pendant 40 à 60 minutes. A cette température, la GDL est convertie en acide gluconique, ce qui induit la coagulation des protéines sous forme de gel homogène, sans séparation du petit-lait. Préparé de cette façon, le tofu soyeux est un produit pasteurisé qui se conserve bien au froid pendant quelques jours. La première partie d'une usine de tofu est, en fait, une usine de lait de soja usine (également appelé tonyu) où 1 tonne de graines peut donner 8000l de Tonyu et 1,3 tonnes de résidu solide (appelé okara). La seconde moitié d'une usine de tofu comprend la coagulation, le lavage du caillé et les opérations de finition, où 3 tonnes de tofu peuvent être obtenus à partir de 1 tonne de graines de soja. Une variante du procédé décrit ci-dessus est utilisée pour la production de tofu de soie à longue durée de conservation, en utilisant la technologie UHT. Le lait de soja ayant une teneur en matières solides de 10% est chauffé à 130 °C et est refroidi à température ambiante de façon aseptique en continu. La solution GDL est stérilisée à froid par filtration et injectée dans le flux du lait de soja stérilisé, refroidi. La mixture est mise dans des récipients en plastique, de manière aseptique. Les récipients scellés sont soumis à un chauffage, tel que décrit ci-dessous. Le tofu rempli de manière aseptique se conserve bien pendant plusieurs mois sans réfrigération. 2. Méthodologie 2.1 Définition et périmètre des pertes alimentaires dans la filière oléagineuse

Dans le cadre de cette étude nous appelons pertes alimentaires tout produit destiné à la consommation humaine mais écarté de cet usage, qu’il soit perdu ou retiré. Toutefois, les volumes écartés de la consommation humaine mais valorisés en alimentation animale et revenant donc indirectement à l’alimentation humaine ne sont pas considérés comme pertes alimentaires. Les parties non-consommables, comme les co-produits de transformation, en l’occurrence les tourteaux de graines oléagineuses, ne sont pas considérés comme pertes alimentaires car d’emblée, elles ne sont pas destinés à l’alimentation humaine. Pour compléter l’analyse de l’utilisation de la matière agricole les volumes des coproduits sont quand-même présentés.

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Le périmètre considéré va de la production agricole dans le champ et prête à être récoltée, au stade de la distribution (le produit en magasin). Enfin, bien qu’en dehors de la définition des pertes alimentaires, une analyse spécifique, relative aux manques à produire en phase de production (liées au stress biotiques ou abiotiques) est proposée. Pour une discussion approfondie de la méthode de l’étude et les choix qui y ont été faits, voir dans ce numéro l’article Redlingshöfer, 2015. 2.2 Contraintes rencontrées dans la collecte de données Très peu de données sont disponibles sur les pertes dans le secteur des oléagineux. Les seules publications concernent les pertes à la récolte ou tout le long du process du tofu Pour conduire ce type d’analyse, il est apparu nécessaire de rechercher les données directement auprès d’organisations professionnelles et de valoriser les réseaux existants entre acteurs de la filière. Nos données proviennent principalement d’experts professionnels via leur institution ou leur société (Terres Inovia, SAIPOL, CREOL) pour l’huile. L’expertise est apparue limitée pour de petites filières telles que l’huile d’olive. Dans ce cas les données brutes restent à produire. Dans le cas du lin, les graines étant triturées en dehors de la France, nous avons considéré qu’il n’y avait pas de pertes alimentaires. De même l’huile de palme étant totalement importée, nous n’avons pas analysé les pertes de cette filière. 2.3 Choix des espèces Les huiles les plus consommées dans le Monde sont les huiles de palme (31,7%), de soja (29,7%) et de colza (14,7%). En France, la consommation d’huiles végétales est divisée en deux secteurs : alimentaire et non alimentaire (biocarburants, chimie verte, ..). La consommation alimentaire a atteint presque 300 millions de litres en 2013. Les huiles de tournesol et d’olive sont les plus consommées (Tableau 1). Tableau 1: Consommation totale en huiles végétales (litres) en France (Nielsen/ONIDOL data, 2013)

TOTAL 297 552 800 Tournesol 126 856 500 Olive 69 687 100 Huiles combinées 31 180 800 Colza 29 455 600 Huiles de friture (espèces non spécifiées) 25 688 200 Arachide 6 176 800 Pépins de raisin 3 353 300 Autres 5 154 400

Bien que couvrant l’ensemble des huiles végétales, l’activité de GROI (Groupe filière Oléagineux Inra) s’est donc focalisée sur le colza, le tournesol et le soja. Les extraits protéiques des tourteaux de colza et de tournesol n’ont pas été traités du fait d’une utilisation qui reste hypothétique, contrairement au soja qui est largement utilisé sous forme de jus ou de jus fermenté. 3. Caractérisation des pertes alimentaires aux différentes étapes de la filière 3.1 Sources de pertes alimentaires identifiées

Dans cette étude, les pertes suivantes ont été initialement comprises : - Pertes de graines immédiatement avant la récolte et à la récolte en moissonnant - Pertes de graines durant le transport et le stockage

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- Pertes d’huile durant le broyage (contraintes rencontrées lors de l'extraction d'huile pour certains lots de semences)

- Pertes lors de la transformation du Tofu - Pertes lors de l’approvisionnement (ruptures, date d'expiration dépassée ...) qui ont été jugées

négligeables

3.2 Facteurs déterminants de pertes alimentaires (technique, économique, organisationnel, etc. réglementaire)

3.2.1 Juste avant la récolte Les pertes de colza surviennent en raison de l'éclatement des gousses lié à la présence d'oiseaux, de conditions climatiques particulières (vent, grêle, pluie ; une échelle de risques par région et une carte des conditions climatiques défavorables sont disponibles), de l’état sanitaire de la récolte et du génotype de la variété (différences significatives). Il semblerait que la qualité des graines (acidité, etc.) et la capacité de broyage ne soient pas modifiées, mais cela doit être confirmé. Dans le cas du tournesol, les pertes sont principalement dues à des dommages faits par les oiseaux sur les capitules. L’éclatement des gousses pour le soja est dépendant du génotype. Certaines variétés semblent être très sensibles à l’égrenage. 3.2.2 A la récolte Pour le colza, les pertes sont liées à l’état de la végétation, à l'hétérogénéité de la culture, à la déhiscence des gousses, à la maturité des tiges (il est recommandé que la récolte soit effectuée à 9% d'humidité et non à 14%), au réglage de la machine (vitesse du batteur, vitesse de progression de la machine, etc.) et au matériel de récolte plus ou moins adapté (diviseurs coupant, extension de coupe) ; pour le soja, les pertes sont dues à des gousses trop près du sol pour être récoltées mécaniquement (utilisation de barres de coupe souples) et à l'hétérogénéité de la culture. Pendant le transport : la perte de graines, qui est négligeable pendant le chargement, le transport et le déchargement, est directement liée à la taille des graines. 3.2.3 Pendant le stockage des graines Les graines sont sèches, de sorte que la possibilité de dégrader les lots de graines est très limitée. Le stockage est facile et, par conséquent, les pertes sont faibles. Les refus de lots de graines par les broyeurs sont principalement dus à la présence d'impuretés. Ces lots de graines sont triés à nouveau par l’organisme stockeur avant le broyage. Le stockage des graines à la ferme, sur des plateformes plates sans ventilation, est bien géré. Mais les pertes peuvent être plus importantes que chez les organismes stockeurs. 3.2.4 Pendant le broyage et le conditionnement La marge pour le broyeur est très faible, donc le processus industriel est optimisé pour minimiser les pertes possibles (teneur en huile résiduelle inférieure à 1% dans le tourteau). Le procédé d'extraction peut être adapté aux caractéristiques de chaque lot de graines, ce qui limite la teneur en huile dans le tourteau. Le décorticage peut entrainer des pertes d'huile, mais les coques grasses peuvent être utiles pour d’autres marchés. Les principales pertes sont observées lors de l'extraction de l’'huile par pression ou lors de la filtration de l'huile. Les possibilités d'amélioration dans ce domaine semblent être limitées. Le risque de contamination de l'huile au cours du procédé est également très faible. Les pertes au cours du raffinage se trouvent principalement dans les savons et les terres décolorantes (par exemple le tournesol). Le conditionnement de l'huile raffinée est géré directement par le broyeur sur le même site, ce qui limite les risques de pertes. Les pertes au cours de l’approvisionnement sont également très limitées car l'huile est traitée pour la conservation longue durée à la maison.

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3.3 Quantification des pertes alimentaires

3.3.1 Pertes en pourcentage aux différentes étapes du process (Tableau 2). Tableau 2 : Pourcentage de pertes alimentaires de la filière oléagineuse française (huiles de colza, tournesol et soja, tofu)

Produits Pertes alimentaires (%)

Récolte Transport et stockage Process

Huile de colza 5 1.5 3.7

Huile de tournesol

2 1.5 3.7

Huile de soja 6 1.5 3.3

Tofu 6 1.5 1.1

- A la récolte (Tableau 3) :

Tableau 3: Pertes de graines (kg/ha et % de la production escomptée) à la récolte de la filière oléagineuse française (colza, tournesol et soja)

Pertes totales Pertes à trois étapes Espèces Minimum Moyenne Maximum Minimum Moyenne Maximum

Colza 40 175 550 Egrenage 0 15 50

1% 5% 13% Coupe 10 80 300

Battage 30 80 200

Tournesol 30 80 500 Egrenage Lors de présence de maladies

1% 2% 15% Coupe Lors de verse

Battage 20 30 200

Soja 50 400 600 Egrenage Inhabituel (caractéristique variétale)

1% 6% 18% Coupe 40 300 580

Battage 10 15 20

- Pendant le transport et le stockage : les pertes ont été estimées autour de 1,5%. Pour le

tournesol, on peut s’attendre à ce que les pertes à la récolte et durant le transport soient plus faibles que celles du colza.

- Pendant la trituration et le raffinage: Colza: le rendement en huile est de 95,2%; l’huile résiduelle est récupérée exclusivement dans le tourteau. Tournesol: le rendement en huile est de 93,3%; l’huile résiduelle est récupérée principalement dans le tourteau. Soja: le rendement en huile est de 89,2%; l’huile résiduelle est récupérée principalement dans le tourteau. Lin: l’huile de lin est principalement importée de Belgique. La graine n’est pas triturée en France. 3.3.2 Pertes quantitatives (T) de la production totale (Tableau 4)

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Seul le rendement en huile après raffinage a été utilisé, l’huile résiduelle restant dans le tourteau est valorisée en alimentation animale et ne peut donc être considérée comme une perte alimentaire. La consommation de 16,7kg d’huiles végétales et 1000€/T ont été utilisés comme données de références dans les calculs. Tableau 4: Pertes alimentaires quantitatives (KT) de la filière oléagineuse française (huiles de colza, tournesol, soja, tofu) Produit Pertes alimentaires (KT)

Récolte Transport et stockage Process Total

Colza 25.6 7.3 17.7 50.6 (huile)

Tournesol 4.1 3.0 7.2 14.3 (huile)

Soja 1.4 1.6 3.5 6.5 (huile)

Tofu 2.6 0.3 0.5 3.4 (grains)

• Colza

3.558 MT x 31% sont triturées pour la consommation alimentaire, soient 1.103 MT A la récolte: 5% de pertes = 25.6 KT (50.6%) Pendant le transport et le stockage: 1.5% de pertes = 7.3 KT (14.4%) Pendant le raffinage: 3.7% de pertes= 17.7 KT (35.9%) Au total: 50.6 KT d’huile brute, soit 9.8% de la production potentielle d’huile, ou 116.3 KT de graines ; ou 50.6 M€; équivalent à la consommation annuelle de 3 029 940 personnes ; l’huile résiduelle restant dans le tourteau (1%) représente 6.0 KT

• Tournesol 1.458MT x 31% = 452 KT sont triturées A la récolte : 2% de pertes = 4.1 KT (28.7%) Pendant le transport et le stockage : 1.5% de pertes = 3.0 KT (21.0%) Pendant le raffinage : 3.7% de pertes = 7.2 KT (50.3%) Au total: 14.3 KT d’huile brute, soit 7,0% de la production potentielle d’huile, ou 32,9 KT de graines ; ou 14,3 M€; équivalent à la consommation annuelle de 856.287 personnes; l’huile résiduelle restant dans le tourteau (1%) représente 1,8 KT.

• Soja pour l’huile 587 KT de graines sont triturées (20% produites en France et 80% importées) Les pertes à la récolte de productions non métropolitaines n’ont pas été intégrées A la récolte : 6% de pertes = 1.4 KT (21.5%) Pendant le transport et le stockage : 1.5% de pertes = 1.6 KT (24.6%) Pendant le raffinage : 3.3% de pertes = 3.5 KT (53.8%) Au total: 6.5 KT d’huile brute soit 6,0% de la production potentielle d’huile, ou 36,1 KT de graines ; ou 6,5 M€; équivalent à la consommation annuelle de 389.221 personnes; l’huile résiduelle restant dans le tourteau (1%) représente 4,6 KT.

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• Soja pour le tofu 104 KT x 40%= 41.6 KT sont produites en France for la production de tofu: A la récolte: 6% de pertes = 2.6 KT (76.4 %) Pendant le transport et le stockage: 1.5% de pertes = 0.3 KT (8.8%) Pendant le process de transformation: 1.1% de pertes = 0.5 KT (14.7 %) Au total: 3.4 KT de grains métropolitaines ou 8.2% de la production potentielle de tofu. Pour des graines à 7%, du tofu à 78% et du Okara à 80% d’eau, une tonne de graines produit 3 tonnes de tofu et 1,3 tonnes d’Okara, équivalents à 0.989 T de graines pour un rendement de 98.9% yield. Par conséquent, les pertes totales en huile de la récolte à la distribution sont d’environ 71.4 KT, équivalentes à 10% de la consommation totale d’huiles alimentaires en France. 4. Manque à produire au stade de la production Pour les dix dernières années, le rendement moyen en France :

- du colza est de 3,34T/ha (Mini : 2,90 ; Maxi : 3,68) - du tournesol est de 2,40T/ha (Mini : 2,14 ; Maxi : 2,62) - du soja est de 2,71T/ha (Mini : 2,50 ; Maxi : 2,98).

Le manque à produire en comparant le rendement moyen minimum au rendement moyen maximum est d’au moins :

- pour le colza cultivé sur 1.490.000ha : 1162,2 KT soit 511 KT d’huile. - pour le tournesol cultivé sur 660.000ha : 316,8 KT soit 142 KT d’huile. - pour le soja cultivé sur 45000ha : 21,6 KT de graines soit 4 KT d’huile.

En colza, les facteurs engendrant des variations de rendement sont la présence de fortes pressions de maladies certaines années, la qualité de l’implantation de la culture (travail du sol et date de semis) et les conditions de température et de rayonnement au moment de la nouaison. Les sécheresses de fin de cycle peuvent également avoir un impact en réduisant le remplissage des grains. Parmi les principales maladies affectant les rendements, on peut citer le Phoma pour les années 1993, 1994 et plus récemment 2000 ; la cylindrosporiose en 2002. Le Sclerotinia très présent en 2006, l’est localement régulièrement en fonction des conditions de température et d’humidité post contamination (rarement limitante). Le préjudice de la maladie est évalué à 1,5 q/ha par tranche de 10 % de plantes présentant les symptômes. L’oïdium, affecte plutôt le tiers sud de la France. Il s’exprime si les conditions de fin de cycle sont chaudes et humides. Sa nuisibilité de l’ordre de 5,6 q/ha en moyenne, peut atteindre 13 q dans les pires des cas. Le verticilium, maladie endémique présente dans l’Est de la France s’exprime certaines années avec des symptômes de dessèchements partiels de la tige. Le rendement peut être affecté selon les conditions hydriques de fin de cycle. La nuisibilité, selon les études, varie de 0 à 20 %. Le moyen de lutte contre ce champignon repose raisonnablement sur la sélection variétale. Les dégâts d’insectes peuvent également avoir un impact sur le rendement du colza. Les effets seront atténués d’une manière générale sur des parcelles bien implantées avec des plantes présentant une bonne vigueur. Le pouvoir de compensation de la plante est dans ce cas optimisé. Des dégâts occasionnés sur des plantes au printemps ont pu être simulés en sectionnant volontairement les hampes principales d’un colza au stade G1 (chute des premiers pétales). Dans cette situation, les compensations sont telles, qu’à la récolte, le niveau de rendement est identique à celui du témoin. On a seulement observé que la variabilité des rendements est plus importante dans la partie où les hampes

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principales ont été sectionnées. Parmi l’ensemble des insectes pouvant nuire au colza, le charançon du bourgeon terminal et l’altise d’hiver sont ceux qui actuellement nous préoccupent le plus. La détermination des facteurs qui influencent les fluctuations spatiotemporelles des populations d’insectes sont encore difficiles à établir. Pour les espèces de printemps comme le tournesol ou le soja, les facteurs abiotiques sont prépondérants pour expliquer les variations de rendement et les manques de récolte. Il y a un lien assez net entre le niveau de rendement moyen annuel national et la pluviométrie de l’été. Ce point est particulièrement net pour le tournesol, alors que l’irrigation plus souvent pratiquée en soja atténue ce lien. Pour le tournesol, certaines périodes du cycle sont sensibles à l’humidité avec pour conséquences l’induction de maladies. Les conditions humides de début de cycle induisent du Mildiou. Un mois de juin pluvieux favorise le Phomopsis ou le Sclérotinia du bourgeon terminal. Des étés et des fins de cycle humides favorisent Sclerotinia du capitule et botrytis. 5. Leviers d’action 5.1 A la récolte 5.1.1 Juste avant la récolte L’égrenage à maturité du colza : Les agriculteurs sont très sensibles au risque d’égrenage lors de la maturité des siliques. Les conséquences de l’ouverture prématurée des siliques sont la présence de repousses de colza au sol lors de la récolte. Même si peu de graines tombent au sol, elles germent très rapidement ce qui rend les pertes très visibles. Les protections phytosanitaires réduisent l’égrenage et homogénéise la maturité. Par ailleurs, les conditions de culture en général ont un effet sur l’ouverture des siliques : sols détrempés, conditions pluvieuses avant récolte ou oiseaux et insectes. L’effet variétal est aussi un élément important et les efforts réalisés en sélection permettent de produire de nouvelles variétés avec une meilleure résistance à l’égrenage. Actuellement, nous testons les nouvelles variétés commercialisées afin de les classer selon leur sensibilité à l’égrenage. Néanmoins, l’égrenage naturel n’est pas la principale raison des pertes récolte en colza. En tournesol, si la récolte se déroule en bonnes conditions, les pertes de graines sont pratiquement inexistantes. Des capitules peuvent occasionnellement sortir de la barre de coupe mais cela est rare. Des dégâts peuvent parfois être occasionnés sur les capitules de tournesol par les oiseaux. Ils se produisent lorsque les graines ont encore un niveau d’humidité élevé. Il est possible d’observer ce type de dégâts localement quelquefois sur seulement une partie de la parcelle de tournesol. 5.1.2 Pertes lors de la récolte

• Récolte du colza Pour une récolte directe, la date idéale d’intervention est difficile à établir et est en général choisie de façon anticipée. La raison à cela est que la maturité peut s’étirer dans le temps et ne pas être uniforme. La période optimale de maturation est déterminée lorsque les ramifications du bas de la plante et les siliques qui y sont attachées ont atteint la maturité. Le montage d’un équipement qui rallonge le tablier de coupe est un excellent moyen de réduire les pertes à l’avant de la machine de récolte. L’effet des doigts escamotables de la vis d’amenée en rotation est l’une des principales causes d’éjection de graines. La distance insuffisante entre le fond de coupe et la vis d’amenée est aussi un

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obstacle ralentissant le flux de végétation pouvant entrainer des éjections de graines. Le colza a une végétation relativement volumineuse avec de nombreuses tiges ou ramifications et des siliques très fragiles. C’est durant le transfert de la végétation au centre de la coupe que les graines éjectées tombent au sol. Durant la récolte une partie des siliques s’égrainent au contact des lames de coupes ou à la suite de la pression exercée sur la végétation par la vis d’amenée aux endroits où se trouvent positionnés des doigts escamotables. La profondeur de la coupe est importante. Même s’il existe une large gamme d’extensions de coupe à colza, leur profondeur doit être suffisante pour retenir les graines éjectées provenant des doigts centraux de la vis. L’efficacité de la coupe dépend donc de sa profondeur. Les extensions les plus profondes sont de l’ordre de 0,80 m. Les pertes au nettoyage et au triage peuvent être aussi importantes que celles mesurées à l’avant de la machine. Différents moyens existent pour réduire ces pertes. La date de récolte est traditionnellement déterminée par le niveau d’humidité des graines (9%) mais très souvent, la partie végétative des plantes n’est pas mature. De nombreuses variétés sont devenues tolérantes au phoma : les ramifications restent vertes jusqu’à la récolte sans présence de maladies. Dans la machine les ramifications vertes mélangées aux siliques et graines sèches provoquent des pertes. L’air soufflé sous les grilles a des difficultés à traverser le mélange pailleux pour le trier efficacement et séparer les pailles humides (plus lourdes) des graines sèches ou humides. Les graines mal triées partent avec les pailles derrière la machine. Dans ce cas, il est nécessaire de retarder la date de récolte jusqu’à maturité complète de la plante avec des pailles sèches (autour de 10 % d’humidité). Si les conditions climatiques ne sont pas favorables et retardent trop la récolte, il est nécessaire de récolter les tiges encore vertes (avec siliques matures) mais en les coupant juste en dessous des siliques pour éviter au maximum l’entrée d’un taux de pailles vertes important dans la machine. Néanmoins, du haut de la cabine, il est difficile de clairement distinguer la hauteur précise de la coupe dans la végétation. Il serait possible dans l’avenir, d’installer une caméra vidéo près de la lame de coupe qui permette d’ajuster automatiquement la hauteur de la coupe sous le matelas de siliques en laissant la partie verte des tiges dans le champ. Très souvent la hauteur de 0,80 m convient pour se positionner sous les siliques. De plus, couper les plantes plus haut est un moyen efficace de réduire le volume de pailles dans la machine et en augmenter ses performances. Le volume moyen de tiges à partir du sol jusqu’à 0,80 m, c’est 40 % du volume total de la végétation. L’autre partie de la végétation, « utile », avec siliques et petites tiges (> 0,80 m) ne représente pas plus de 60 % du volume total. Actuellement, les enquêtes ont pu établir que, au champ, la hauteur moyenne de coupe est de 0,30 m.

• Récolte du tournesol La période entre maturité et récolte doit être aussi courte que possible. De façon à minimiser les pertes par dégâts d’oiseaux, botrytis ou sclérotina du capitule. Pour la récolte de tournesols versés, il est recommandé d’utiliser une coupe avec becs cueilleurs pour minimiser la perte des capitules. Par ailleurs, récolter des graines avec des taux d’humidité très bas, peut entrainer une augmentation du niveau des pertes. Dans ce cas la vitesse d’intervention doit être ralentie.

• Récolte du soja

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Couper les plantes aussi ras que possible permet de limiter les pertes. Une hauteur de chaume excessive conduit inévitablement à des pertes exagérées. Des équipements spécifiques existent pour éviter la majorité des pertes observées. Quand les premières gousses du soja sont très près du sol, il est nécessaire d’avoir une flexibilité de la coupe pour suivre le sol. Il existe des coupes dites « flexibles » permettant d’ajuster la hauteur de la coupe sous les premières gousses. Une coupe flexible améliore la productivité de la machine. Ce type de coupe peut également être utilisé pour d’autre graines plus petites sans besoin de flexibilité. Dans ce cas, la coupe peut alors être rigidifiée. En définitive, pour le colza, si le rendement national annuel varie entre 2,9 T et 3,7 T/ha, nous avons une variation de rendement de 0,8 T /ha max pour un niveau de pertes de 0,4 T /ha. Pour le tournesol et le soja, comme pour le colza, les variations de rendements sont supérieures aux pertes 0,5 T/ha pour 0,3 T/ha. Comparées aux fluctuations annuelles de rendement, le niveau des pertes est significatif mais inférieur à celles-ci. 5.2 Pendant le transport et le stockage Moins de 15% de la production métropolitaine de graines est utilisée directement à la ferme. 60 millions de tonnes sont ainsi commercialisées pour la transformation ou l’export via les collecteurs. Il n’y a pas de données publiées sur les pertes pendant cette phase du process. Le nombre de manutentions pendant le stockage impacte fortement le niveau de pertes. Aux dire d’expert les pertes peuvent être estimées à environ 1%. 5.3 Pendant la trituration et le raffinage Selon les experts des unités de trituration, des améliorations techniques significatives du process ont permis de réduire progressivement les pertes (Fine et al., 2013). A ce jour, il n’y a pas de technologie plus performante que celle utilisant de l’hexane. L’utilisation de process de trituration plus doux afin de préserver la digestibilité des protéines par les monogastriques conduirait à la production de tourteaux gras contenant plus d’huile mais tout à fait valorisable en alimentation animale. Tout nouveau process sans hexane produisant un tourteau à moins de 5% d’huile serait adopté par les industriels. Pour réduite les pertes au raffinage, il faudrait développer des méthodes douces débouchant sur des huiles plus colorées et parfumées, acceptables par le consommateur. Au cas où l’huile brute serait moins riche en composes indésirables, il y aurait la place pour rechercher un process de raffinage moins drastique. La réduction du nombre et de l’intensité des étapes de raffinage déboucherait sur :

- Une diminution du coût de production (énergie consommé, inputs,..), - Une préservation des micronutriments (tocophérols, coenzymes, stérols, ..), - Une préservation de la stabilité oxydative de l’huile, - Moins de pertes d’huile.

Remarque: la trituration à l’hexane des graines oléagineuses produit un tourteau à 1% d’huile résiduelle alors que l’extraction mécanique à la ferme permet de produire un tourteau à 15% d’huile. Mais ce tourteau gras est facilement utilisé en alimentation animale. C’est la raison pour laquelle l’huile résiduelle contenu dans les tourteaux n’a pas été considérée comme une perte. 5.4 Pendant la distribution En fonction de l’utilisateur, l’huile végétale est conditionnée dans des emballages de tailles différentes, allant des bouteilles en plastique ou en verre aux containers d’une tonne. Ces conditionnements

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Pertes dans la filière oléagineuse

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permettent de conserver l’huile sur des périodes longues sans développement de micro-organismes Seule la qualité organoleptique des huiles peut être altérée par des phénomènes d’oxydation. Les industriels considèrent que les pertes à ce stade sont fonction du volume de l’emballage, celles-ci étant plus importants pour de petits volumes. Pour le tofu, deux cas se présentent: le tofu velouteux est un produit pasteurisé qui se conserve bien quelques jours dans le réfrigérateur ; le tofu UHT se conserve bien pendant plusieurs mois à température ambiante. Conclusions et perspectives Les données publiées ne concernant que les pertes à la récolte, la plupart des données ont dues être collectées auprès d’experts professionnels. Les graines et les huiles végétales se conservent bien, mais les pertes de la récolte à la distribution apparaissent cependant significatives (environ 71,4 KT d’huile brute, équivalente à 10% de la consommation d’huile en France). Comparés aux pertes avant la récolte (évaluées à environ 12% en conditions extrêmes), les pertes de la récolte à la distribution sont légèrement inférieures. Les pertes sont plus élevées pour le colza que pout le soja ou le tournesol. Nous avons montré que les pertes concernent principalement la récolte (huile et tofu) et le raffinage (huile). Il est envisageable d’améliorer l’efficience de la filière oléagineuse, via en particulier la sélection pour certaines caractères génétiques (résistance à l’égrenage du colza ou du soja, résistance à la verse du tournesol, hauteur des gousses basales du soja, ..), la conception des moissonneuses-batteuses ainsi que les conditions de raffinage. Une voie pour réduire les pertes au raffinage serait d’amener le consommateur à accepter des huiles plus colorées et parfumées. Du fait des pertes relativement faibles après la récolte, il est cependant difficile d’imaginer comment éviter totalement ces pertes ou comment les valoriser de façon rentable. De plus, il faut souligner que les tourteaux gras sont économiquement faciles à utiliser en alimentation animale Cependant, le résultat inattendu de cette étude quantitative démontre l’intérêt d’appliquer une telle approche à d’autres oléagineux (oliviers par exemple) et d’autres pays pour identifier des voies d’amélioration. Parallèlement aux pertes quantitatives, il semble nécessaire d’évaluer les pertes qualitatives, telles que la qualité nutritionnelle. Par exemple, le raffinage doux a montré son intérêt pour préserver la qualité des huiles (micronutriments) et du tourteau résiduel pour l’alimentation animale ou humaine (digestibilité des protéines). D’autres améliorations du process pourraient ouvrir la porte à des gains additionnels de la valeur alimentaire des huiles végétales. Références bibliographiques

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Cet article est publié sous la licence Creative Commons (CC BY-NC-ND 3.0)

https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/3.0/fr/ Pour la citation et la reproduction de cet article, mentionner obligatoirement le titre de l'article, le nom de tous les auteurs, la mention de sa publication dans la revue « Innovations Agronomiques », la date de sa publication, et son URL)

 

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Estimation des pertes alimentaires dans la filière porcine entre la sortie de l’élevage et la commercialisation des produits

Dourmad J.-Y.1, Nassy G.2, Salaün Y.2, Riquet J.3, Lebret B.1

1 INRA-Agrocampus Ouest, UMR1348 PEGASE, F-35590 Saint-Gilles 2 IFIP-Institut du Porc, La Motte au Vicomte, F-35651 Le Rheu 3 INRA, UMR GenPhySE, 24 chemin de Borde-Rouge, Auzeville, F-31326 Castanet-Tolosan Cedex Correspondance : [email protected] Résumé La réduction des pertes alimentaires constitue un enjeu majeur dans un contexte de ressources limitées et d'une demande mondiale qui s'accroit. Cette présentation rapporte les principaux résultats d'un travail consacré à l'estimation des pertes dans la filière porcine. Le premier poste de perte concerne les mortalités durant le transport et les saisies à l'abattoir. Elles représentent en moyenne 1% et elles conduisent à des sous-produits animaux "C2" destinés principalement à l'incinération. Le second poste de pertes concerne la phase de découpe de la carcasse avec des pertes de l'ordre de 1,2% transformées en sous-produits animaux "C3" utilisables pour les animaux de compagnie. On peut estimer que le cinquième quartier (sang et abats qui représentent 13% de l'animal) est utilisé à 51% pour l'alimentation humaine, dont une partie importante à l'exportation, 21% pour les animaux de compagnie, les 38% restants rejoignant le circuit des coproduits "C3" non différenciés. En France le porc est pour 75% consommé sous forme transformée avec une très grande diversité de produits de charcuterie (plus de 400). Ceci constitue un atout important pour la valorisation de l’ensemble des morceaux de découpe et des abats mais cela rend par contre très difficile l’évaluation des pertes à cette étape de la filière. Mots-clés : Pertes alimentaires, Porc, Viande Abstract: Estimation of food losses along the pork production chain, from the farm to the marketing of products. The reduction of food losses is a major issue in a context of limited resources and increasing world demand. This paper reports the mains results of a study on the food losses along the French pork production chain. Mortality during transport and seized material at the slaughterhouse is a first reason for losses. These losses represent about 1% of total animals' weight leaving the farm; they are transformed in "C2" animal by-products mainly used for energy production. The losses during the cutting of the carcass are estimated to 1.2% of initial carcass weight. They are transformed into "C3" animal by-products suitable for animal feeding, especially for pet-food. It is estimated that 51% of total offal and blood, which represents 13% of animal's weight, are used as human food and 21% for pet-food, the remaining being transformed in "C3" non-differentiated animal products. In France, 75% of the pork is consumed after processing, with a very large diversity of products (more than 400). This is a major asset for the maximal valorization of all carcass cuts and offal, but it makes it very difficult to evaluate the possible losses during their processing. Keywords: Food losses, Pork, Meat

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1. Introduction Dans un contexte de ressources limitées et d'accroissement de la demande mondiale en produits alimentaires, la recherche de systèmes de production alimentaire plus efficaces et plus respectueux de l'environnement constitue un enjeu majeur. La FAO estime ainsi que la demande mondiale en produits animaux devrait s'accroitre d'environ 70% d'ici 2050. Différentes voies sont envisagées pour répondre de manière durable à cette demande accrue, parmi lesquelles figurent l'amélioration de l'efficacité de la production et la réduction des pertes et gaspillages alimentaires. Alors que de nombreux travaux ont été consacrés ces dernières années à l'analyse et la description de ces pertes, peu de données quantitatives sont disponibles, en particulier concernant les étapes de production agricole et de transformation. Au niveau international, le Food Loss & Waste Protocol, une initiative coordonnée par le World Resources Institute est en cours1. L’INRA a contribué à ce projet en mobilisant ses Groupes Filières, tant végétales qu’animales. Cette présentation rapporte les principales conclusions du groupe filière porcine. Une description détaillée de la méthodologie et des terminologies adoptées est présentée dans la publication de Redlingshöfer (2015). Dans cette étude les pertes alimentaires concernent les denrées destinées à la consommation humaine, mais qui sont écartées, perdues ou retirées de la commercialisation et de la distribution pour l’homme. Les parties non-consommables qui n’ont par définition pas d’usage en alimentation humaine (par exemple les os) ne sont pas considérées comme pertes alimentaires. De même, les parties recyclées en alimentation animale (hors animaux de compagnie) ne sont pas considérées comme des pertes. Le périmètre de l'étude va de la denrée alimentaire "prête à être récolté" (pour ce qui nous concerne l'animal à la sortie de l'élevage) jusqu'au produit prêt à être consommé. 2. Contexte

2.1 La production française dans la contexte européen

En 2013 la production porcine française s’est élevée à 2,199 millions de tonnes équivalent carcasse et la consommation à 2,070 millions de tonnes (Figure 1). Après une hausse dans les années 90, la production a diminué (-4 %) entre 2000 et 2013, alors qu'elle augmentait dans l'UE (+7 %), en particulier en Allemagne +29 %) et en Espagne (+17 %) (IFIP, 2014a). La France reste toutefois le troisième pays producteur de porc de l'UE, après l'Allemagne et l'Espagne, juste devant le Danemark, les Pays-Bas et la Pologne. Sur cette période, le niveau d'auto-approvisionnement de la France a diminué tout en restant excédentaire% (107% en 2013), mais compte tenu des différences de valeur des produits exportés et importés, la balance commerciale s'est détériorée pour devenir négative à partir de 2009 et le déficit commercial était d’environ 27 millions d’euros en 2013 (Rieu et al., 2014). Le solde entre les exportations (752 000 tonnes eq carcasse) et les importations (602 000 tonnes eq carcasse) de viande porcine (hors animaux vivants) s’élève à +150 000 tonnes. Les importations proviennent essentiellement des pays de l’UE (99,7%) alors que les pays tiers représentent plus de 30% des exportations. Les pièces de découpe, les produits transformés et les graisses représentent la majorité des échanges qui résultent pour une grande part de l’ajustement du marché à la demande nationale (IFIP, 2014a). La France est ainsi importatrice nette de jambon (pièces de découpe) ce qui permet de satisfaire la forte demande nationale pour ce produit. A l’inverse, le solde est positif pour la longe, la demande en viande fraîche étant moindre que dans les autres pays. La balance commerciale est très positive pour les abats avec un bilan annuel de +93 000 tonnes soit environ 25% de la production nationale. Ces abats sont exportés vers des pays où ils sont mieux valorisés, en particulier la Chine (50 000 tonnes). Les échanges intra-communautaires et avec les pays tiers jouent donc un rôle important à la fois dans l’ajustement de l’offre de pièces de découpe à la demande pour la viande

                                                                                                               1 http://www.wri.org/our-work/project/food-loss-waste-protocol

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fraîche ou la transformation. Ils sont également très importants pour une bonne valorisation en alimentation humaine de l’ensemble de la carcasse et des abats en jouant sur les complémentarités et la diversité des habitudes alimentaires dans les différents pays du monde.

Figure 1 : Les flux de viande porcine en France en 2013 exprimés en milliers de tonnes équivalent carcasse. IFIP (2014a), d’après Agreste, Eurostat et Douane

2.2 Les systèmes de production de viande de porc

La très grande majorité de la production de viande porcine est issue des porcs à l’engraissement (environ 96%) et des truies de réforme (environ 4%), la production de porcelets de lait étant négligeable. Les abattages contrôlés de porcs s’élevaient en 2013 à un peu plus de 23,6 millions de têtes, les dix premières entreprises situées dans le grand ouest concentrant 83 % des abattages (Rieu et al., 2014). Différentes organisations régionales assurent les activités de pesée/classement, la principale d’entre elles, Uniporc-Ouest, classant 85% des animaux abattus en France (IFIP, 2013). Comme dans les autres pays européens, la production conventionnelle est largement prédominante. Les systèmes de production sous signes officies de qualité concernent principalement la production biologique, le label rouge (LR) et la production sous identification géographique protégée (IGP). En 2012, la production LR concernait environ 3,1 % de la production nationale (dont 0,3 % en LR fermier sur litière et 0,4 % en plein air) et la production de charcuterie sous IGP s’élevait à 15%. La production biologique est en forte augmentation et a presque doublé entre 2009 et 2012, mais elle reste toutefois marginale (environ 0,4 % de la production nationale). D’autres voies de diversification comme la qualité nutritionnelle, avec la filière bleu-blanc-cœur, se développent également rapidement.

2.3 La consommation En 2013, le niveau moyen de consommation de viande de porc s’élevait à 31 kg équivalent carcasse par habitant, soit la viande la plus consommée en France. Toutefois ce niveau est en diminution depuis 2000 (36 kg). Le porc est valorisé en France à 25% sous forme de viande fraîche et 75% sous forme de produits transformés très diversifiés, principalement des charcuteries. Malgré l’accroissement de la population, la consommation totale nationale a baissé de près de 4% depuis l’année 2000. La consommation française moyenne par habitant est inférieure à la moyenne européenne (40 kg/an), les consommations les plus élevées étant observées en Allemagne, Autriche, Danemark et Espagne (54 kg/an) et la plus faible au Royaume Uni (24 kg/an).

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La consommation des produits du porc en France se fait donc principalement sous forme transformée. Différents procédés de fabrication et de cuisson sont mis en œuvre. La production industrielle de charcuteries et de produits traiteurs s’élevait à 1,52 millions de tonnes en 2013 (IFIP, 2014a). Le porc constitue la principale matière première utilisée avec près de 88% du tonnage, suivi de la volaille (7,5%). Outre la production de plus de 400 produits traditionnels de charcuterie, les acteurs du secteur ont diversifié leurs activités. Ils ont en effet développé l’élaboration et la vente de produits préparés (plats cuisinés, produits traiteur) qui constituent près de 15% du tonnage produit (Inaporc - http://www.leporc.com/). Le jambon cuit constitue la catégorie la plus importante avec 23% du tonnage, suivi des saucisses et saucissons cuits ou à cuire (18%), des saucisses et saucissons secs (8,9%) et des pâtés et rillettes (10,6%) (IFIP, 2014a). Cette grande diversité de produits constitue un atout important pour la valorisation de l’ensemble des morceaux de découpe et des abats, en fonction de leurs caractéristiques propres mais aussi de critères de qualité exigée qui différent selon les procédés, par exemple entre la charcuterie cuite et sèche. Elle rend par contre très difficile la connaissance précise des différents procédés de transformation et l’évaluation des pertes éventuelles qui peuvent s’y dérouler. 3. Méthodologie Les données mobilisées pour estimer l'importance de pertes dans la filière porcine concernent tout d'abord les statistiques de production qui sont récapitulées chaque année par l'IFIP (IFIP, 2014a) à partir des données d'Agreste, d'Eurostat et des douanes (voir ci-dessus). Les données relatives aux performances des élevages permettent d'estimer les mortalités d'animaux avant abattage ainsi que la partie des saisies à l'abattoir qui est de la responsabilité de l'éleveur. Les statistiques de pesées classement, en particulier celles publiées par Uniporc Ouest2, donnent une description précise des pertes entre l'élevage et la découpe de la carcasse. Pour les pertes de découpe et le devenir des pièces les données sont plus difficilement accessibles et pour les estimer nous nous sommes basés sur différents rapports et publications.

3.1 Performances des élevages

Les informations disponibles à l’échelle de l’élevage, en particulier celles issues du programme national de gestion technique et technico-économique de l’élevage, nous renseignent sur les mortalités des animaux aux différents stades de la production (IFIP, 2013). Ces niveaux de pertes sont très variables entre les élevages et ils pourraient être réduits, en particulier, par une meilleure gestion de la santé des animaux. Pour la phase d’engraissement, le taux de pertes inclut également les mortalités pendant le transport et les saisies à l’abattoir, mais pas la totalité d'entre elles. Ces pertes sont exprimées en % des effectifs de début de période. Les pertes pondérales liées à ces mortalités ne sont pas disponibles mais elles peuvent être estimées en faisant des hypothèses sur les poids des animaux, par exemple en supposant que la mortalité a lieu au poids moyen de la phase considérée. En moyenne pour 2013 ces taux de pertes s’élèvent à 2,3% (±1,4%) en "post sevrage" et à 3,6% (±1,6%) en engraissement (http://ifip.asso.fr/PagesStatics/resultat/pdf/an/gte006.pdf). Les valeurs homologues pour les 10% des élevages les meilleurs (en termes de marge sur coût alimentaire) sont respectivement de 1,8% et 2,8%, ce qui peut donner une idée des marges de progrès possibles. Les programmes de gestion technique des troupeaux de truies fournissent également des références sur les pertes de porcelets à la naissance (porcelets mort-nés) et pendant la période d'allaitement (http://ifip.asso.fr/PagesStatics/resultat/pdf/an/gttt001.pdf). En moyenne, pour l'année 2013, le nombre de porcelets nés-vivants s'élevait à 13,4 (±0,8) par portée et le nombre de mort-nés à 1,0 (±0,3). Jusqu'au sevrage, les pourcentages de pertes sur les porcelets nés totaux et nés-vivants atteignaient respectivement 20,1% (±4,3) et 13,9 (±3,7%). Les valeurs homologues pour les 10% des élevages les                                                                                                                2 http://www.uniporc-ouest.com/

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meilleurs (en termes de productivité numérique) sont respectivement de 16,1 et 10,9%, pour une prolificité de 14,9. Si l'on cumule l'ensemble des pertes depuis la naissance jusqu'à l'abattage, elles s'élèvent à respectivement 24,2% des porcelets nés totaux et à 18,6% des porcelets nés vivants.

3.2 Statistiques de Pesée-Classement Les statistiques issues des données de pesée-classement constituent une seconde source intéressante d’information sur les pertes entre la sortie de l’élevage et à la découpe de la carcasse. Les observations réalisées à l’abattoir sur les carcasses et les abats sont en effet codifiées de manière détaillée lors du classement des carcasses (www.uniporc-ouest.com/codobs.htm). Les statistiques mensuelles d’activité d’Uniporc Ouest (www2.uniporc-ouest.com/statistiques/stats-generales.html) donnent des informations pour certaines de ces codifications. Ainsi, sur l’année 2013, dans la zone Uniporc, le nombre de « morts et saisies totales » s’élève à 0,25% pour les porcs charcutiers, sur 19,4 millions de porcs abattus, et 1,6% pour les animaux de réforme, sur 227 000 truies abattues. Un accès aux statistiques détaillées par code de saisie et par pièce permettrait de compléter et d’affiner ces informations, en particulier en y ajoutant les saisies partielles de pièces ou d’abats.

3.3 Devenir des carcasses après abattage Pour ce qui concerne le devenir des carcasses après abattage, différentes sources d’information sont également disponibles. Le mémento des viandes et charcuteries (IFIP, 2014b) décrit de manière précise la composition massique de la carcasse et des abats pour un animal moyen de 115 kg de poids vif (sortie élevage). Ces informations sont issues de différentes publications et rapports techniques (Chevillon, 1994 ; Chevillon et Corrégé, 1994 ; Le Roux et al., 2003 ; Le Tiran et al., 2003 ; CELENE, 2011 ; Daumas, 2010 ; Bozec et al., 2007). Pour ce qui concerne le devenir des abats, l’étude conduite en 2013 par Blézat consulting pour France-Agrimer renseigne de manière assez précise sur le devenir du cinquième quartier. 4. Caractérisation des pertes alimentaires aux différentes étapes de la filière

4.1 Abattage

Dans le Tableau 1, sont récapitulés les flux pondéraux moyens associés à l’abattage d’un porc charcutier de 115 kg. La mortalité pendant le transport et les saisies sont estimées à 1%, ce chiffre étant à mettre en relation avec la valeur de 0,25% rapportée par Uniporc pour les mortalités et saisies totales. Cette fraction est essentiellement destinée à l’équarrissage ou, parfois, à la production d’énergie sur le site d’abattage, selon les structures. Une analyse plus approfondie des statistiques de pesée-classement permettrait de l’affiner. Les matières stercoraires, représentant 7,9% du poids vif; elles sont généralement traitées dans une station d’épuration, sur le site ou à proximité de l’abattoir. Tableau 1 : Devenir des porcs charcutiers après la sortie de l’élevage. Les données sont rapportées à un animal moyen de 115 kg de poids vif en fin d’engraissement, d’après IFIP (2014b) et Uniporc Ouest

Poids vif, kg % du PV Destination

Animal entier 115,00 100,0

Mortalité transport + saisies 1,15 1,0a équarrissage Matières stercoraires + divers 9,04 7,9 boues épuration Carcasse 89,70 78,0 découpe Abats rouges 4,02 3,5 valorisation Abats blancs 5,23 4,5 valorisation Sang 4,00 3,5 valorisation

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4.2 Découpe

La répartition de la carcasse entre les différents morceaux de découpe primaire est rapportée au Tableau 2. La longe, le jambon, l’épaule et la poitrine constituent les principales pièces de découpe (83%). Ce tableau récapitule également la répartition des quatre pièces de découpe entre différentes fractions : maigre + gras intramusculaire, gras sous-cutané, couenne et os. Les pertes de découpe sont également renseignées pour chaque pièce. Elles représentent 1,2% du poids de la carcasse mais leur devenir reste à préciser, dans la mesure où ces "pertes" pourraient être en partie réutilisées en charcuterie. De plus on n'est pas complément sûr qu'il s'agisse vraiment en totalité de produits réellement consommables (aponévrose, nerfs, cartilage…). Par ailleurs, le devenir des différentes pièces de découpe peut aussi varier : par exemple, une partie de la longe peut être commercialisée sous forme de côtelettes avec os ou sous forme de rôtis sans os. Pour affiner ces informations, il serait nécessaire d’avoir recours à des données en provenance d’opérateurs privés, mais cela n'a pas pu être réalisé pour le moment. Tableau 2 : Répartition de la carcasse entre les différents morceaux de découpe et leur composition en maigre, gras sous cutané, couenne, os et pertes de découpe, d’après IFIP (2014b).

Carcasse Poids Maigre Gras sous cutané

Couenne Os Pertes de découpe

Tête 4,6 0,92 0,46 0,28 2,30 0,64 Longe entière 23,9 14,10 5,71 1,43 2,49 0,17 Bardière 5,6 - 5,36 0,34 - - Jambon 23,4 17,71 2,39 1,40 1,78 0,09 Épaule 13,5 10,00 1,45 0,81 1,23 0,05 Pieds 2,0 0,20 0,80 0,12 0,88 - Poitrine 13,5 9,90 1,77 0,81 0,89 0,14 Gorges 2,7 - 2,54 0,16 - - Queue 0,45 0,05 0,18 0,03 0,20 -

Total kg 89,7 52,9 20,6 5,4 9,8 1,1 % carcasse 100 58,9 22,9 6,0 10,9 1,2 % poids vif 78,0 46,0 17,9 4,7 8,5 1,0

4.3 Devenir du cinquième quartier

Les abats blancs, rouges et le sang, regroupés sous le terme de cinquième quartier, représentent 11,5% du poids vif. Comme le montre le Tableau 3, ils sont de nature très diverse avec de très nombreux organes d’un poids souvent inférieur à 1 kg. L’étude réalisée par France-Agrimer (2013) sur le devenir du cinquième quartier permet d’estimer leur taux d’utilisation en alimentation humaine (Figure 2). Pour ce qui concerne les produits du cinquième quartier valorisés en France (267 000 tonnes), cette étude estime leur taux d’utilisation en alimentation humaine à environ 35% (89 000 tonnes dont 72 000 tonnes en charcuterie industrielle). Le reste est à destination de la production de pet-food (80 000 tonnes soit 30%) et de coproduits d’équarrissage C3 non différenciés (96 000 tonnes soit 35%). Si l’on

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Pertes dans la filière porcine

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considère également les exportations, et en faisant l’hypothèse que les produits exportés sont à destination de l’alimentation humaine, on peut estimer le taux d’utilisation du cinquième quartier à 51% en alimentation humaine et 21% le taux d'utilisation en "pet-food", les 38% restants rejoignant le circuit des coproduits C3 non différenciés pour une utilisation non spécifiée dans l'étude France Agrimer (2013). Tableau 3 : Répartition entre les différentes pièces d’abats blancs et rouges et le sang (IFIP, 2014b).

Pièces Poids, kg Pièces Poids

Abats rouges 4,02 Abats Blancs (total) 5,23 Onglet 0,22 Pancréas 0,08 Hampe 0,30 Crépine 0,15 Foie 1,60 Rate 0,25 Cœur 0,50 Estomac 0,55 Poumons 0,50 Menu 0,40 Rognons 0,30 Chaudin 1,40 Trachée et divers 0,60 Rosette 0,30 Mucus 0,60

Sang 4,0 Filandre 0,80 alimentaire 2,0 Gras intestinal 0,70

industriel 0,6 équarrissage 1,4

Figure 2: Valorisation du cinquième quartier dans la filière porcine (France Agrimer, 2013).

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4.4 Bilan de masse

Ces différentes données ont été utilisées pour calculer le bilan de masse de la production porcine Française pour l'année 2013 (Tableau 4). On peut en retenir les principaux éléments suivant :

- Les mortalités pendant le transport et les saisies à l'abattoir représentent en moyenne 1% des animaux abattus soit au total 21,6 kt équivalent carcasse.

- On peut estimer qu'environ 51% des abats sont utilisés en alimentation humaine (dont une partie importante à l'export) le reste étant transformé en coproduits animaux C3 utilisés principalement pour la production de pet food.

- Les pièces de découpes destinées à la consommation humaine représentent environ 99% de la totalité de la carcasse.

Tableau 4 : Estimation du bilan en masse de la production porcine française valorisée ou non en alimentation humaine (année 2013).

Poids vif Équivalent

carcasse

Consommation humaine

Coproduits animaux

eq carcasse

maigre et gras(1) C3 C2

kt % du PV kt % carc. kt kt kt kt

Production nationale 2819 Importation vif 10

Exportation en vif 67

Abattage 2762 100% Mortalité+saisie 28 1,0% 21,6 Matière stercoraires 218 7,9% Abats + sang 321 11,6% 195,9 157,3 Carcasse 2155 78,0%

Découpe carcasse Tête - Pieds - Queue 169 7,9% 168 63 15,4 Longe-Jambon 1137 52,8% 1134 959 6,3 Epaule - Poitrine 714 33,1% 712 617 4,6 Bardière 135 6,2% 135 129

Total carcasse 2155 100% 2149 1768 26,2 (1) maigre+gras = carcasse sans la couenne ni les os

4.5 Transformation Très peu d’études sont disponibles sur l'estimation des pertes pendant l’étape de transformation. Elles concernent surtout les questions de rendement technologique de transformation au séchage ou à la cuisson. On pourrait ainsi évaluer des pertes de cuisson ou de séchage mais il ne s’agit pas vraiment de pertes au sens de « pertes et gaspillage » de la présente étude, mais plutôt de freintes (perte de l’eau intrinsèque du produit lors de la cuisson ou du séchage). Pour le jambon cuit, il existe également

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Pertes dans la filière porcine

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quelques études permettant d’évaluer les pertes au tranchage automatique (dues notamment au défaut des viandes déstructurées, un phénomène important par le passé mais aujourd'hui en très forte diminution), mais le devenir des tranches ainsi écartées de la production de « jambon cuit supérieur» prétranché et emballé n’est pas bien connu. Elles sont le plus souvent utilisées en charcuterie. De manière générale une enquête auprès des industriels transformateurs devrait être menée pour évaluer ces pertes. Par ailleurs, il semble que les contraintes liées aux cahiers des charges des distributeurs en termes de volume, de délais de présentation… conduisent à des pertes économiques et peut-être aussi à des pertes de produits mais, à nouveau, les informations sont difficilement accessibles. Il est vraisemblable que le problème se posent de la même manière pour les autres produits animaux (autres viandes, produits laitiers, ovoproduits…). 5. Analyse du « manque à produire » au stade de la production Bien que les pertes pendant la phase d'élevage ne fassent pas partie du domaine de la présente étude, puisqu'elles ont lieu avant le stade de "récolte", il parait intéressant de les évaluer pour voir si leur réduction constitue une voie d'amélioration intéressante. Si l'on cumule l'ensemble des pertes depuis la naissance jusqu'à l'abattage, elles s'élèvent à respectivement 24,2% des porcelets nés totaux et à 18,6% des porcelets nés vivants. Toutefois, ces mortalités ont lieu tôt dans la vie des animaux (80% d'entre elles ont lieu avant le sevrage) à un moment où ils ont encore peu consommé d'aliment, soit directement, soit indirectement par la consommation de leur mère. Ceci est illustré à la Figure 3 qui représente, en fonction du poids vif, l'évolution de la survie depuis la naissance jusqu'au poids d'abattage et la consommation cumulée d'aliment par porc produit. La consommation cumulée d'aliment par porc produit (115 kg de poids vif à l'abattage) s'élève à 320 kg dont 41,5 kg d'aliment consommé par la truie pendant la gestation et la lactation. On peut ainsi calculer que les pertes de porcelets (24,2% au total) s'accompagnent d'une surconsommation d'environ 12 kg d'aliment par porc produit soit environ 3,9% de la consommation totale. Pour les 10% des élevages les plus performants, dont le niveau de performances pourrait constituer un objectif à atteindre, ces valeurs sont respectivement de 8,9 kg/porc et 2,9%. Compte tenu d'une l'efficacité moyenne de transformation des aliments, ceci correspondrait à un "manque à produire" de respectivement 3,9 et 2,9% de poids vif produit.

Figure 3: Évolution de la mortalité cumulée et de la consommation cumulée d’aliment en fonction du poids vif des animaux.la carcasse.

Toutefois, il est vraisemblable qu'en réalité cela ne constitue pas réellement un "manque à produire" dans la mesure où la production est généralement déterminée par d'autres critères, en particulier les

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J.Y. Dourmad et al.

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contraintes environnementales ou encore la disponibilité en bâtiments. Ainsi, par exemple l'amélioration de la productivité des truies ou la réduction de la mortalité des porcs à l'engrais, s'est accompagnée d'une réduction significative de l'effectif de truies et finalement la production nationale n'a pratiquement pas bougé au cours des 10 dernières années.

6. Conclusions et perspectives Les résultats rapportés ci-dessus sont surtout représentatifs des filières conventionnelles qui représentent la très grande majorité de la production. Toutefois, les filières alternatives utilisant généralement les mêmes outils et les mêmes procédures d’abattage et de découpe que les filières conventionnelles il est probable que les niveaux de pertes soient assez semblables à ceux observés dans les filières conventionnelles. Les contraintes de cahiers des charges conduisent cependant à écarter de la labellisation une partie de la production, soit pour des critères de qualité de la viande (le pH par exemple en label rouge, ou l'épaisseur de gras pour des filières traditionnelles) ou de non adéquation à l’exigence de pratiques (animaux ayant reçu plus de un traitement médicamenteux en élevage biologique). Toutefois, ceci ne conduit pas vraiment à des pertes pour l'alimentation humaine dans la mesure où ces carcasses peuvent être valorisées par les filières conventionnelles. Il n'en est pas tout-à-fait de même pour les manques à produire puisque les taux de mortalité sont généralement plus élevés dans les filières alternatives. Ainsi par exemple en élevage biologique les taux de mortalité avant et après sevrage sont respectivement d'environ 25% et 7-8% (Calvar, 2015), contre 19% et 6% en élevages conventionnels. Ceci conduit à une réduction de l'ordre de 25% du nombre de porcs charcutiers produits par truie et par an. L'analyse des pertes permet d'identifier deux principaux postes. Le premier concerne les mortalités durant le transport et les saisies à l'abattoir. Elles représentent en moyenne 1% du poids vif à la sortie de l'élevage et sont transformées en sous-produits animaux "C2" destinés principalement à l'incinération. Une analyse plus fine des causes de pertes sur la base des données d'abattage permettrait de mieux en cerner l'origine et ainsi d'identifier de possibles améliorations. Le second poste de pertes identifié concerne la phase de découpe de la carcasse avec des pertes de l'ordre de 1,2% Toutefois la nature exacte de ces pertes n'est pas bien conne et pour les affiner il serait intéressant d’avoir accès à des données en provenance d’opérateurs privés, mais cela n'a pas pu être réalisé dans le cadre de cette étude. Ces pertes sont valorisées sous la forme de sous-produits animaux "C3" utilisables en alimentation animale, en particulier pour les animaux de compagnie. On peut estimer le taux d’utilisation du cinquième quartier (sang et abats qui représentent 13% de l'animal) à 51% pour l'alimentation humaine, 21% pour les animaux de compagnie, les 38% restants rejoignant le circuit des coproduits "C3" non différenciés. Cette bonne valorisation du cinquième quartier est possible grâce à l'incorporation d'abats et de sang dans une grande diversité de produits de charcuteries et aussi grâce aux exportations vers des pays tiers très demandeurs de ces produits (Asie en particulier). La commercialisation de la viande de porc principalement sous forme transformée (environ 75%), avec une très grande diversité de produits de charcuterie (plus de 400) et de plats préparés constitue un atout important pour la valorisation de l’ensemble des morceaux de découpe et des abats. Cela rend par contre très difficile l’évaluation des pertes à cette étape de la filière et des travaux complémentaires restent donc à conduire sur ce sujet. De la même manière il conviendrait de mieux préciser les effets éventuels des contraintes liées aux cahiers des charges des distributeurs en termes de volume, de délais de présentation… qui peuvent aussi être à l'origine de pertes alimentaires. Références bibliographiques

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Pertes dans la filière porcine

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Cet article est publié sous la licence Creative Commons (CC BY-NC-ND 3.0)

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Pertes alimentaires dans la filière protéagineuse

Duc G.1, Anton M.2, Baranger A.3, Biarnes V.4, Buitink J.5, Carrouée B.6, Georget M.7, Jeuffroy M.-H.8, Lessire M.9, Magrini M.-B.10, Pinochet X.4, Walrand S.11,

avec l’appui de Redlingshofer B.12. Experts interrogés : Million G.13, Chereau D.14

1 INRA, UMR Agroécologie, F-21065 Dijon 2 INRA, UR BIA Biopolymères, Interactions Assemblages, F-44316 Nantes 3 INRA, UMR IGEPP Institut de Génétique Environnement et Protection des Plantes, F-35653 Le Rheu 4 Terres Inovia, F-78850 Thiverval-Grignon 5 INRA, UMR IRHS Institut de Recherche en Horticulture et Semences, F-49071 Beaucouzé 6 Terres Univia, F-75378 Paris 7 INRA, CODIR, Collège de direction, F-75007 Paris 8 INRA, UMR Agronomie, F-78850 Thiverval-Grignon 9 INRA, UR0083 Recherches Avicoles, F-37380 Nouzilly 10 INRA, UMR1AGIR Agroécologie, Innovations, Territoires, F-31326 Castanet-Tolosan 11 INRA, UMRUNH Unité de Nutrition Humaine, F-63122 Saint-Genes-Champanelle 12 INRA, UAR MaR/S Mission d'anticipation Recherche / Société & Développement durable, F-75007 Paris 13 Dijon Céréales, F-21604 Longvic 14 Improve, Institut Mutualisé pour les Protéines Végétales, F-80480 Dury Correspondance : [email protected]

Résumé La filière française des protéagineux (espèces pois, féverole et lupins), développée dans les années 1980 à 1990, avait pour premier objectif de répondre aux besoins de l’alimentation animale. A partir des années 2000, un marché significatif vers l’alimentation humaine s’est aussi développé. Sur la base d’une estimation à 370 000 t de protéagineux actuellement destinées à l’alimentation humaine (export + marché intérieur), les pertes sont surtout situées à la récolte et représenteraient 22 000 t (soit 6% de la production), auxquelles s’ajoutent 1000 t de glucides solubles issues du fractionnement par voie liquide. De la récolte à la distribution, de nombreux coproduits ou déchets sont orientés vers l’alimentation animale et ne constituent pas des pertes. Un progrès génétique et agronomique portant sur une architecture maîtrisée des couverts végétaux, coadapté au progrès du machinisme de récolte, constitue le moyen principal pour réduire les pertes. Le poids d’impact de ces leviers de progrès sera positivement corrélé à l’augmentation des surfaces et volumes de ces productions pour un débouché en alimentation humaine. Au-delà des actions qui pourront améliorer la compétitivité de ces cultures en augmentant et stabilisant les rendements et améliorant la qualité sanitaire des graines, (i) une amélioration génétique et agronomique de la valeur nutritionnelle et santé (protéines, fibres, composés bioactifs,…adaptés), (ii) de nouvelles technologies de fractionnement et transformation apportant de la digestibilité et de la valeur ajoutée, (iii) une information des consommateurs, (iv) une organisation de filière, pourront amplifier les volumes et l’efficience nutritionnelle de ces produits dans les débouchés de l’alimentation humaine. Mots-clés : Protéagineux, Pisum sativum, Vicia faba, Lupinus spp, Pertes alimentaires,

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G. Duc et al.

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Abstract: Food loss in the protein crops supply chain The French protein crops chain (pea, faba bean and lupins species) developed in the 1990’s basically to supply the requirements of animal feed, has significantly developed a food outlet since the 2000. From an estimation at 370 000 t of these productions presently dedicated to human food (export + national markets), losses are mainly at harvest representing 22 000 t (6% of the production), to which could be added 1000 t of water soluble sugars issued from the liquid fractioning process. From harvest to distribution, several co-products or wastes are processed into feeds and therefore cannot be considered as losses. Combination of genetic and agronomic progress to monitor a crop canopy co-adapted with the progress on harvesting equipments represents the major levers identified to reduce losses. The impact weight of these levers of progress will be positively correlated with the increase of area and volumes of the food outlets of these productions. Beyond actions which will bring competitiveness of the crops, as well as higher and more stable yields together with better sanitary status of their seeds are (i) improvement of their nutritional and health value through varieties and cropping management (adapted proteins, fibers, bioactive compounds,…), (ii) new technologies of fractionation or transformation bringing higher digestibility and added value, (iii) consumer information and (iv) stakeholder organization in the chain, likely to amplify volumes and nutritional efficiency of these products for food outlets. Keywords: Pulses, Pisum sativum, Vicia faba, Lupinus spp, Food losses

Introduction Née dans les années 1980, la filière protéagineuse a été construite pour répondre aux attentes de l’alimentation animale (Guéguen, Duc et al., 2008 ; Coudurier et al., 2013 ; Schneider et al., 2015). Les espèces concernées sont le pois, la féverole et les lupins. Alors que les surfaces en production approchaient 700 000 ha au début des années 1990 en approvisionnant largement le marché de l’alimentation animale, elles se sont depuis réduites à environ 200 000 ha pour une production avoisinant 850 000 t dont 40 à 50% vont vers les débouchés de l’alimentation humaine (années 2013/2014), avec une répartition d’environ 60% pour l’export et de 40% pour le marché intérieur d’après les statistiques d’Agreste et de Terres Univia. L’utilisation prépondérante des graines protéagineuses est l’alimentation des élevages de porcs, volailles et salmonidés pour la partie utilisée en France et en Europe. Le débouché à l’export de graines entières pour l’alimentation humaine s’est développé depuis les années 1990 (Figure 1), notamment de pois vers l’Inde dans les années 1990 et de féverole vers l’Egypte à partir de 2002. Le sous-continent indien a importé une quantité importante mais très volatile de pois français au cours des dix dernières années (aucune affaire en 2013/14 et un maximum de 204 000 t en 2011/12), quantité très dépendante du marché international. L’Egypte a importé environ 120 000 t de féverole de la récolte 2014, avec un maximum atteint à 245 000 t atteint deux années de suite entre 2009 et 2011. La consommation française de protéagineux en alimentation humaine approche aujourd’hui 130 000 t par an. C’est seulement depuis 2005 que la filière « ingrédients » s’est significativement développée en France (volumes de pois fractionnés estimés aujourd’hui à 110 000 t et relativement stable en volume) (Figure 1). Les surfaces de protéagineux s’étant fortement contractées du fait d’un manque de compétitivité de ces cultures et de trop faibles de rendements, c’est surtout le débouché de l’alimentation animale qui s’est réduit, et conséquemment, la proportion du débouché alimentation humaine encouragé par des prix de vente plus élevés, s’est amplifiée pour approcher aujourd’hui 40 à 50% de la production.

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Pertes dans la filière protéagineuse

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La capacité d’extension des deux débouchés animal et humain reste grande. Notamment le débouché de l’alimentation animale nationale peut retrouver un niveau élevé, tel que celui des années 1990 où il atteignait plus de 2 M de t, mais l’offre en protéagineux reste aujourd’hui limitée côté agriculteurs. Les volumes servant de semences s’élevaient à 45 000 t en 2012/20131. Le marché à l’export destiné à l’alimentation humaine, démarré à partir des années 2000, reste fluctuant et relativement peu développé en regard d’une demande croissante (en Inde et en Chine notamment). Ce marché export reste par ailleurs très dépendant de la concurrence internationale tant en volumes qu’en prix et qualités (notamment de l’offre du Canada et de l’Australie). On pourrait envisager que ce marché export s’étende si l’offre française devenait plus importante et concurrentielle. Le marché intérieur des graines et des ingrédients pourrait aussi s’accroître en relation avec (i) la demande croissante à venir en protéines végétales (rapport Sofiprotéol et BIPE 2014), (ii) une valeur santé reconnue aux graines de légumineuses, (iii) les progrès potentiels sur les technologies de transformation, et enfin (iv) la volonté des industriels (Groupe filière Protéagineux 2012 ; Voisin et al. 2014). Les formes d’incorporation de ces ingrédients appellent à acquérir davantage de connaissances sur leurs valeurs nutritionnelle et santé (dont les risques d’allergénicité), à mieux maîtriser leurs qualités organoleptiques, et à exploiter leurs fonctionnalités et leur aptitude à l’incorporation dans des préparations céréalières, laitières ou carnées.

Figure 1 : Evolution des débouchés des principales espèces de la production française de pois et féverole de 1983 à 2012 (source : UNIP)

L’historique du débouché de ces graines en alimentation humaine est récent et peu de données sont disponibles sur les pertes dans cette filière. La méthodologie suivie dans cette analyse a été de recueillir des expertises dans le groupe filière protéagineux INRA, à l’UNIP/Terres Univia, au CETIOM/Terres Inovia, et auprès de quelques professionnels ou collecteurs. Beaucoup de données sont des projections de connaissances issues de l’expertise de la filière de l’alimentation animale et devront être confortées par des enquêtes à mener dans la filière de l’alimentation humaine lorsque celle-ci sera davantage construite.

                                                                                                               1 Ils représentent 5 % de la récolte, réparties environ en 50% de semences certifiées et 50 % de semences fermières pour le pois, alors que la part de la semence fermière approche 70 % chez la féverole.

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Alimentation animaleFrance

Export pays-tiers(alim. humaine)

Alimentation humaineet ingrédients agro-alimentaires enFrance

Semences

Source : UNIP

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Nous avons suivi dans notre analyse la démarche globale adoptée par l’INRA pour conduire cette étude (voir « La méthodologie utilisée dans l’étude sur les pertes alimentaires dans les filières », Redlingshofer B., ce numéro) : les co-produits ne sont pas considérés comme pertes alimentaires ; et par ailleurs, les fractions potentiellement écartées de la filière alimentation humaine et utilisées pour l’alimentation animale ne sont pas comptabilisées dans les pertes, dans la mesure où elles reviennent indirectement dans la filière alimentation humaine.

1. Sélection des productions étudiées Selon la réglementation européenne (Règlement COM 1765/92), les protéagineux recouvrent les pois (Pisum sativum L.), féveroles (Vicia faba L.) et lupins (Lupinus L. spp.). Au-delà des espèces protéagineuses, soulignons qu’il existe en France une production d’autres espèces de légumineuses à graines, majoritairement ou exclusivement utilisées en alimentation humaine et dont ne traitera pas ce texte. Cela concerne une production de lentilles, pois chiches et haricots secs d’environ 35 000 t sur 25000 ha. De même nous ne traiterons pas ici de la production de soja d’environ 230 000 t sur 97 000 ha (stat. Terres Inovia 2015) (pour cette filière soja, voir l’analyse relative à la filière oléagineux). Avec un peu plus de 200 000 ha en culture pure en France en 2014, les cultures de protéagineux occupent moins de 2 % des surfaces en grandes cultures. Le pois (140 000 ha), la féverole (76 000 ha) et le lupin blanc (5 000 ha) sont majoritairement cultivés en cultures pures annuelles. Les modes de culture en association de pois avec des céréales dans une même parcelle, qui étaient très fréquents jusqu’au début du siècle dernier (pour l’élevage) et qui avaient quasiment disparu, se redéveloppent depuis peu. Ce renouvellement des cultures associées se fait principalement en agriculture biologique avec un débouché essentiellement animal. Il répond à des objectifs de meilleure gestion de l'azote et de la teneur en protéines du blé associé, ainsi que de diminution des risques d'adventices et de verse. Les difficultés de tri précis des graines à la récolte des deux espèces associées, excluent le plus souvent ces récoltes de l’alimentation humaine du fait des cahiers des charges exigeants en matière de pureté des matières premières (notamment dans le cas du marché zéro-gluten). Des appareils de triage performants tels que les trieurs optiques, plus fréquents aujourd’hui dans les coopératives, pourraient ouvrir un débouché pour ces produits issus d’associations. Environ 6 % des surfaces de protéagineux sont certifiées Bio ou en conversion Bio (Agence Bio, statistiques 2011) ; c’est surtout la féverole qui est développée en AB. Les graines protéagineuses exportées hors Europe à destination de l’alimentation humaine sont consommées sous forme de graines entières, décortiquées ou réduites en farine. En France, l’utilisation traditionnelle des graines dépelliculées-cassées (pois cassés, févettes) en alimentation humaine ne représente plus que 13 000 t environ. Des farines de fèves sont utilisées en boulangerie (pour environ 7 000 t). Depuis environ 5 ans, des fractions de graines (protéines, amidons, fibres) sont produites à partir d’environ 110 000 t de graines, principalement de pois, qui servent d’ingrédients incorporés (i) en non-alimentaire, notamment la cartonnerie pour la fraction amidon, (ii) en alimentation humaine pour la boulangerie, la biscuiterie, la charcuterie, et les produits laitiers pour les fractions amidons, protéines et fibres, ou en lacto-remplaceurs en alimentation animale pour les fractions fibres et protéines. Ayant été sélectionnées pour de faibles teneurs en facteurs antinutritionnels pour les animaux d’élevage (pois à faibles teneurs en facteurs anti-trypsiques et en tanins, féverole à faibles teneurs en vicine-convicine et en tanins, lupins à faibles teneurs en alcaloïdes), et contenant peu de matières grasses, les graines de protéagineux peuvent être utilisées en graines entières, sans transformation préalable poussée. En cela, elles sont différentes des graines d'oléagineux, comme le soja ou le colza, qui sont triturées pour donner un tourteau riche en protéines après extraction de l'huile. En alimentation humaine, et aussi en alimentation des poissons, les graines protéagineuses sont le plus souvent décortiquées (on parle aussi de dépelliculage par élimination des téguments riches en cellulose, pour ne garder que les amandes de la graine), puis cuites ou extrudées, voire moulues, puis

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Pertes dans la filière protéagineuse

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éventuellement fractionnées en constituants majeurs (protéines, amidon, fibres) quand il s’agit d’industries agro-alimentaires. Avec une teneur moyenne en protéines proche de 24 % (de la matière sèche de la graine) chez le pois, de 29 % chez la féverole et de 35 % chez le lupin blanc, une teneur en amidons de 50 % chez le pois et de 45 % chez la féverole et enfin la présence de fibres, les graines de protéagineux sont reconnues pour leur bonne valeur nutritionnelle pour l’homme. Leurs protéines présentent une bonne digestibilité chez l’homme et l’animal. Etant riches en lysine et pauvres en méthionine et cystéine, elles présentent un profil d’acides aminés essentiels complémentaire de celui des céréales. Leur amidon riche en amylose et présentant une faible température de gélification a des propriétés fonctionnelles de texturation et de formation de gel intéressantes pour des applications non alimentaires (cartonnerie notamment) ou alimentaires. Différents travaux ont conclu à la réduction des risques d’obésité, de diabète de type II, de maladies cardiovasculaires, de cancer du côlon chez l’homme en lien avec la consommation de ces graines (Champ et al., 2002 ; Taylor et al., 2013 ; Schneider et Huyghe, 2015). Néanmoins, les études cliniques restent en nombre insuffisant pour prétendre à d’éventuelles allégations santé ou nutritionnelles. Les utilisateurs de fractions issues de graines de pois ou féverole rapportent souvent des difficultés d’application en IAA du fait de goûts ou d’odeurs jugés désagréables (ces facteurs limitants sont la cible du Projet FUI LegUP initié en 2015). Même si les programmes de sélection sur pois, féverole et lupins conduits en France recherchent en priorité le potentiel de production de la culture et sa stabilité, ils intègrent aussi l’objectif d’un maintien de teneurs en protéines les plus élevées et stables possibles. Cet objectif qui est traduit dans les critères d’inscription au CTPS est tout autant intéressant pour le débouché alimentaire animal qu’humain. Les marchés de l’alimentation humaine, notamment à l’export, offrent souvent des prix de vente supérieurs d’environ 50 €/t à ceux de l’alimentation animale, mais requièrent des qualités supérieures des lots (qualité visuelle, notamment couleur et dommages causés par des attaques de bruches ou parasites, ou taches dues à des maladies). Qu’il s’agisse de stratégies de protection intégrée, de recherche de résistances génétiques ou d’homologation de matières actives, les recherches ont été relativement peu intenses sur ces espèces correspondant à de petits marchés, et de ce fait les dommages sur graines sont assez fréquents. Pour les estimations des pertes relatives au débouché de l’alimentation humaine (export + marché intérieur) qui suivront, nous utiliserons une valeur de production destinée à l’alimentation humaine voisine de la situation 2013-2014, soit environ 370 000 t de production en France sur 80 000 ha de pois, féverole et lupins.

2. En amont de la récolte, instabilité des rendements des protéagineux Bien que se positionnant hors du périmètre de la définition des pertes alimentaires, nous documentons cependant le rendement potentiel et rendement réalisé chez les protéagineux. Sur les 10 dernières années, la moyenne nationale de rendement pour les espèces pois et féverole est souvent proche de 4,5 t/ha avec des variations inter-annuelles et inter-régionales de plus ou moins 0,7 t/ha. Dans des conditions agronomiques et climatiques optimales, des maxima de rendements en graines voisins de 8 t/ha ont quelquefois été rapportés pour ces espèces. Les fluctuations des rendements sont liées à la conjonction des conditions pédologiques (de la parcelle) et des conditions climatiques (de l’année), mais aussi aux marges de manœuvre pour piloter les performances de la culture (liées à l’environnement technique). Même si toutes les espèces de grande culture ont connu de fortes fluctuations de rendement sur la dernière décade (Figure 2), notamment expliquées par des stress climatiques, ces variations sont davantage pénalisantes lorsqu’elles portent sur une espèce à rendement moyen plus faible comme dans le cas des protéagineux.

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Chez le pois, le développement de la pourriture racinaire due à Aphanomyces a contribué à une baisse de rendement moyen, voire à l’impossibilité de le cultiver dans les parcelles les plus contaminées. Les zones de production ont ainsi évolué, se déplaçant vers des sols moins profonds à moindre potentiel. La localisation actuelle du pois dans des terres à moindre potentiel l’expose davantage à des stress hydriques précoces. Pour la féverole, le stress climatique est la principale cause de perte de rendement. Ses besoins en eau sont plus importants que ceux du pois en fin de cycle, de la floraison jusqu’au remplissage des graines. La faiblesse et l’instabilité des rendements, conjuguées à une instabilité des prix, constituent encore aujourd’hui un frein majeur au développement des protéagineux dans les exploitations agricoles. Ce diagnostic appelle à des actions de recherches pluridisciplinaires et de partenariat entre les acteurs de la filière (incluant les acteurs du développement, de la sélection, des équipements et de technologies de protection respectueuses de l’environnement) pour l’évaluation et le développement des innovations. Sur la phase amont de la production, il faut notamment innover à l’échelle systèmes x conduite x variétés pour (i) améliorer le niveau de protection à l’égard des stress biotiques et abiotiques majeurs, (ii) améliorer l’efficience du fonctionnement symbiotique au niveau des racines (symbioses à rhizobia pour la fixation de l’azote de l’air et symbiose à mycorhizes pour l’utilisation de l’eau et du phosphore), (iii) adapter l’architecture et la phénologie de la plante afin d’optimiser l’acquisition des ressources, la formation des réserves des graines et la maturité, et de réduire les risques de verse et de maladies. Des actions pluridisciplinaires génétique x agronomie x écophysiologie x protection des cultures sont déjà engagées sur ces objectifs dans les projets « investissement d’avenir » PEAMUST, ANR LEGITIMES, UE- FP7 LEGATO.

Figure 2 : Evolution des rendements des protéagineux et autres grandes cultures annuelles en France (Source : UNIP, d’après plusieurs sources statistiques).

Une évolution des pratiques, agricoles orientée vers une réduction d’intrants, va imposer des développements de nouvelles variétés et des choix de systèmes de culture réduisant la sensibilité aux stress. A court ou moyen terme, en améliorant les conduites et le choix variétal, on peut raisonnablement attendre des progrès de rendement de 0.7 t à 0.8 t/ha sur la moyenne nationale. Sur une base de 80 000 ha dédiés à l’alimentation humaine comme actuellement, cela correspondrait à un gain potentiel estimé à environ 60 000 t. Pour le débouché de l’alimentation humaine, la maîtrise des

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dégâts sur graines consécutifs aux insectes parasites (notamment dégâts de bruches) ou maladies constitueront des priorités en matière de recherche et de techniques de production. 3. Analyse et quantification des sources de pertes à partir de l’état récoltable de la culture 3.1 Les pertes à la récolte peuvent encore être réduites : dégâts mécaniques

sur graines et pertes au passage de la moissonneuse batteuse

Sauf accident climatique majeur (grêle provoquant l’égrenage, excès d’eau favorisant la germination sur pied), ou dégâts causés par des stress biotiques (insectes parasites des graines tels que bruches ou prélèvements par les pigeons), les pertes à cette étape de la récolte varieront selon les espèces de 1 à 2 % en conditions favorables. Il existe cependant des accidents extrêmes (des cas de verse très grave ou de grêle) qui peuvent aboutir à des pertes allant jusqu’à 50 % sur une parcelle, voire jusqu’à un abandon total de la récolte, mais nous n’avons pas de données statistiques quantifiant la fréquence de ces évènements. Globalement au plan national, on estime ces pertes à 6% des 370 000 t dédiées à l’alimentation humaine (export + marché intérieur) (Figure 3), soit 22 000 t (source Terres Univia).

Figure 3 : Schéma simplifié des filières protéagineuses. La problématique des pertes ici analysée ne concerne que les filières destinées à l’alimentation humaine. Elles surviennent lors d’opérations visualisées par les cases intermédiaires (en vert)

produc(on  1    

exporta(on    

marché  intérieur    

2  

Alimenta(on  animale    

alimenta(on  humaine  

3  

Farine  3  

Export  distribu(on  

sur  le  marché  intérieur    

6  

Graines  après  traitement    

4  

Export    distribu(on  sur  le  marché  

intérieur  7  

Ingrédients  alimentaires  

5    

Export    distribu(on  sur  le  marché  

intérieur    8  

cartonnerie  5    

Récolte,  transport,  stockage  collecteurs  

Transport,  Traitement    Stockage  usine   Transport,  Traitement    

Stockage  usine  

Transport  distributeur  Stockage  distributeur   Transport  distributeur  

Stockage  distributeur  

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Les repousses de plantules issues de ces graines demeurées sur le terrain sont riches en azote (N majoritairement issu de la fixation symbiotique) et elles sont enfouies avant le semis de la culture suivante pour servir d’engrais vert. Les protéagineux sont des espèces de grandes cultures plutôt récentes qui ont connu des investissements de recherche en sélection, agronomie, équipements et homologation de produits phytosanitaires ou de lutte biologique relativement faibles. Différents leviers ont été combinés pour réduire les pertes à la récolte et il existe encore une marge de progrès par : 3.3.1 Les variétés : La sélection a visé des d’architectures du couvert végétal adaptées à la récolte mécanique, mais des progrès variétaux sont encore possibles en combinant :

- Une réduction du risque de verse (féveroles à tiges courtes et croissance semi-déterminée, pois de type afila s’attachant entre plantes avec plantes hautes mais peu versantes comme dans le cas de variétés récentes de pois de printemps),

- Un premier nœud noué assez haut pour passer au-dessus de la barre de coupe, - Des précocités adaptées au calendrier de récolte et climat des différentes zones et différents

systèmes de culture, - Une maturation homogène des gousses sur la plante et des plantes dans la parcelle - Des gousses indéhiscentes moins propices à l’égrenage (il reste encore une sensibilité en cas

de forte grêle), - Des graines de taille moyenne (pas trop grosses pour limiter les problèmes techniques au

semis; pas trop petites pour ne pas amoindrir une composante importante du rendement ni amplifier la proportion de téguments par rapport aux amandes), aux téguments assez résistants pour réduire les risques de brisures.

3.3.2 Le choix des conduites : - Test du potentiel infectieux des sols par Aphanomyces préalable au semis du pois - Préparation du sol - Densité de semis, fertilisation - Contrôle des adventices et des ravageurs - Utilisation de régulateurs croissance ou défoliants à condition que les matières actives utilisées

soient acceptables au plan environnemental et sanitaire - Choix de la date de récolte : en incitant les agriculteurs à récolter en priorité le pois dès qu’il est

mûr (avant le blé ou le colza dont la récolte est souvent privilégiée) - Le choix des heures de récolte, en considérant aussi la possibilité de récolter des graines plus

humides (taux d’humidité de 14%, avec ainsi moins de pertes par casse des graines) et à condition de les sécher ensuite.

3.3.3 Le choix et le réglage des équipements de récolte qui doivent être adaptés le plus finement possible au couvert végétal, aux tailles de graine et conditions d’humidité :

- Souvent conçus au départ pour des céréales, puis réadaptés aux protéagineux, ils sont de plus en plus performants avec des modalités de réglage automatiques selon les conditions d’humidité.

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3.2 Les étapes de transport, nettoyage et stockage sont bien maîtrisées et ne s’accompagnent pas de fortes pertes

Il y a un peu de pertes de grains cassés lors des opérations de tri et de nettoyage qui peuvent atteindre jusqu’à 1 à 2 % des volumes récoltés, ce qui correspondrait à environ 5 000 t. Elles sont une conséquence de l’étape précédente de récolte, si celle–ci a causé de la casse de graines. L’élimination d’une grande partie de ces brisures avant stockage ou expédition est techniquement assez facile. Les graines étant sèches, elles se conservent bien au cours du stockage. Notons que si les bruches sont mal maîtrisées en cours de culture, des problèmes peuvent intervenir au stockage, nécessitant des traitements insecticides en silo. 3.3 Les cahiers des charges de l’alimentation humaine

De rares lots initialement destinés à l’alimentation humaine sont parfois déclarés inappropriés. Le tri des lots se fait au départ en fonction du cahier des charges de l’acheteur, principalement sur la qualité visuelle selon des critères exprimés par les acheteurs (couleurs de graine, niveau d’attaques par des insectes parasites, teneur en protéines, mélange d’espèces, etc.).

Critères Seuil

Humidité Insectes vivants

14 % (maxi 15 %) 0

Blé et autres sources de gluten 0.1 % (très strict) Grains cassés et splittés Grains autres que jaunes

5 % (souple) 2 %

Impuretés minérales et autres graines Grains bruchés, germés, tachés extérieurement Grains moisis

2 % 3 % 0.2 %

Mycotoxines de stockage (aflatoxines et ochratoxines) Métaux lourds (Pb, As, Cd…) Résidus (screening GC-MS sur 85 matières actives)

Normes européennes

Protéines Pas de seuil mais système de bonification envisagé à court terme par les industriels

Figure 4 : Exemple de critères de qualité et seuils de rejets pour les lots de pois jaunes destinés à la fabrication d'ingrédients (B. Carrouée, UNIP/Terres Univia, 2014). NB : les principaux critères recherchés (propriétés fonctionnelles, goût, valeur alimentaire) sont considérés comme invariants, liés à l’espèce.

Ainsi, différents scénarios réorienteront certains lots destinés à l’alimentation humaine vers l’alimentation animale :

- Tri des lots par l’organisme stockeur à la réception et livraison d’un produit a priori aux normes demandées par l'industriel (cas le plus fréquent). L'organisme stockeur constitue des lots pour répondre à un cahier des charges. Pour la féverole, le taux de livraisons réorientées vers l'alimentation animale peut être important à cause du taux de grains bruchés ou de la couleur ; en pois jaune, le taux de déclassement est en général plus faible, principalement résultant de mélanges de couleur ou de la présence de grains de blé.

- Livraison d'un lot a priori aux normes par un organisme stockeur qui sera rejeté par l'industriel : les cas de refus sont alors beaucoup plus rares. Il y a eu quelques cas sur les

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années récentes à cause de la présence d'insectes vivants (bruches non tuées issues de larves contenues dans les graines récoltées).

- Contrat direct entre un agriculteur et un industriel / conditionneur : c'est souvent le cas pour les pois verts pour la casserie. En pois vert, les cas de déclassement pour décoloration sont fréquents, et cela se fait sur la base du diagnostic d'un échantillon avant la livraison.

A notre connaissance, la teneur en protéine n’a jamais jusqu'à présent constitué un critère de déclassement ou de différenciation des prix (mais ce mécanisme est envisagé à court terme par l'industrie des ingrédients). Le critère de teneur en vicine et convicine chez la féverole (composés de la graine responsables d’un risque de la maladie de favisme chez des humains porteurs d’une sensibilité génétique ; 300 000 personnes en France portent une mutation conférant cette sensibilité) ne fait pas l’objet de refus, ni de valorisation particulière. Des variétés à teneur faible en vicine-convicine ont été récemment inscrites avec un bon niveau de productivité. Cette cible variétale est aujourd’hui privilégiée par l’ensemble des sélectionneurs européens et canadiens. Il n’y a presque jamais eu de problèmes de qualité sanitaire avec les protéagineux qui ne sont pas sensibles aux mycotoxines de champ (un lot en 2007 avec la zéaralénone et un lot en 2008 à cause de mycotoxines de stockage). Les Ets Roquette ont développé le label « sans gluten » sur des produits issus de pois qui impose un critère très exigeant sur l’absence de grains de blé dans les lots récoltés (rigueur nécessaire depuis la parcelle jusqu’au produit final, pour éviter un mélange accidentel). Dans tous les cas, un lot initialement destiné à l’alimentation humaine et refusé est ensuite valorisé en alimentation animale ce qui selon la définition de notre étude ne constitue pas une perte alimentaire. La polyvalence de ces graines permet que la valorisation en alimentation animale fasse partie d'un processus normal de production et de segmentation du marché dans cette filière, avec des différentiels de prix faibles pour le pois, plus élevés pour la féverole ou les autres légumes secs. Dans les rares lots de pois détectés avec mycotoxines, les taux sont suffisamment bas pour ne pas poser de problème en alimentation animale après dilution par d’autres constituants de l’aliment (dans ce secteur, les normes s'appliquent à l'aliment composé et non pas à la matière première). Un meilleur contrôle des bruches, en culture et en silo, et un tri plus fin des graines (trieurs optiques à haut débit) constitueraient des voies d’amélioration majeures pour augmenter la fréquence des lots valorisables en alimentation humaine. 4.4 Fractionnement de première transformation : peu de pertes Les fractionnements de première transformation aboutissent à des co-produits protéines-amidons-fibres-autres toujours associés au souci de valorisation optimale en alimentation humaine et en minimisant les pertes. Le fractionnement des matières premières constitue une étape décisive pour leur valorisation dans le domaine alimentaire. Il met en œuvre des procédés utilisant la voie sèche (décorticage, mouture, etc) ou humide (extraction, séparation, précipitation) pour obtenir des fractions végétales (farine) ou des produits à base de protéines végétales (concentrats, isolats) qui constituent les produits intermédiaires utilisés par la seconde transformation pour la fabrication d’aliments (Figure 5). La première étape du processus de fractionnement (constituant la voie sèche) consiste en un dépelliculage des graines, puis un broyage conduisant à une farine qui peut être raffinée par un procédé de turboséparation pour obtenir un concentrat. Les farines obtenues après broyage ont une concentration en protéines d’environ 55 % (sur la base du poids sec), alors que pour les concentrats le taux est compris entre 65 et 80 %. La fraction complémentaire est quant à elle exploitée pour sa richesse en amidons et en fibres.

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Figure 5 : Schéma de fractionnement des ingrédients de graines de légumineuses par voie sèche ou humide, (D’après Gehin et al., 2010).

A partir des farines, un fractionnement par voie liquide peut être mise en œuvre. Outre une séparation de l’amidon, il permet d’obtenir soit par précipitation, soit par ultrafiltration des isolats possédant des teneurs en protéines d’environ 90 %. Le fractionnement par voie liquide génère des effluents qui sont particulièrement chargés en glucides solubles après décantation. Ces boues sont réutilisées comme fertilisants. Certains industriels envisagent des possibilités de récupération de ces sucres solubles. Sur une hypothèse de 30 000 t de graines fractionnées par voie humide, on estime que l’on pourrait ainsi gagner 10 % de la fraction glucidique travaillée, soit environ 1000 t de glucides solubles à l’échelle française. Nous n’avons pas identifié de fraction actuellement écartée de l’alimentation humaine et qui pourrait y être mieux valorisée. A l’issue du dépelliculage, le son de pois représente 10-15 % de la masse du produit brut récolté et le son de féverole plutôt 15-20 %. Ces parois sont parfois exclues de certaines préparations pour l’alimentation humaine car elles peuvent participer aux risques de flatulence. Ces co-produits sont le

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plus souvent vendus en aliment pour lapins ou autres animaux. Certains industriels introduisent par ailleurs des pellicules micronisées de graines de pois à fleurs blanches (zéro-tanins) comme ingrédient pour enrichissement en fibres de préparations (exemple de certains yaourts...). Selon leur composition et les débouchés potentiels, diverses utilisations existent pour ces co-produits issus du dépelliculage. Selon la définition de l’étude, les sons orientés vers l’alimentation animale ne sont pas considérés comme faisant partie des pertes alimentaires même si à terme les applications en alimentation humaine peuvent davantage intéresser les industriels. Indépendamment de ces voies de fractionnement, les graines destinées aux marchés des pois cassés ou farines de fèves (environ 20 000 t) sont dépelliculées et génèrent aussi des sons. 4.5 Pas de grandes pertes chez les distributeurs Les produits issus de protéagineux sont des produits secs, stabilisés sur un pas de temps assez long. Il y a à cette étape deux types de risques résultant en pertes alimentaires :

- Si les bruches n’ont pas été bien détruites au stockage et que des adultes sortent des graines après mise en sachet (mais cet évènement est très rare pour les pois et féverole récoltés en France),

- Le risque de décoloration des graines vertes (pour le pois) qui est fréquent et parfois rapide après mise en sachet translucide. On suppose que les sachets de pois cassés verts très décolorés sont éliminés et pas forcément recyclés en alimentaire, même si ils n’ont rien perdu de leur valeur nutritionnelle.

Même si les pertes à cette étape apparaissent quantitativement négligeables, il y a probablement intérêt à bien gérer l’adéquation des volumes offre/consommation chez les distributeurs, à limiter l’ensachage en sachets translucides et à mieux réglementer les dates limites de conservation pour réduire les risques de péremption. 5. Bilan global Sur l’hypothèse de 370 000 t de protéagineux destinées à l’alimentation humaine (export + marché intérieur), les quantités écartées de la filière alimentation humaine approcheraient 27 000 t, représentant environ 7 % de la production, et surtout situées aux étapes de récolte et de tri au stockage. Considérant que 5000 t issues du nettoyage au stockage partent en alimentation animale, les vraies pertes situées à la récolte seraient donc de 22 000 t (soit 6% de la production) auxquelles s’ajoutent 1000 t de glucides solubles issues du fractionnement par voie liquide (voir Tableau 1). De gros efforts ont déjà été réalisés en sélection (architecture de la plante mieux adaptée à la récolte mécanique). Il reste des marges de progrès en combinant les leviers variétés x systèmes de culture x conduites x équipements de récolte (cf partie 5.1). A titre de comparaison, nous rappelons que les volumes espérés issus de ces progrès sont estimés par le groupe d’expert de cette étude à 60 000 t (voir paragraphe 2). Tableau 1 : Bilan des fractions écartées de la filière alimentation humaine sur un total de 370 000 t de production française de protéagineux destinés à l’alimentation humaine (marché intérieur et exportation). Etapes Disponible Fractions

écartées Devenir Co-Produits

Récolte 370 000 t 22 000 t (6%) (pertes)

Repousses engrais-verts

Tri-stockage 348 000 t 5 000 t (1.5%) Alimentation animale 1ère transformation- fractionnement par voie liquide

1 000 t de glucides solubles (pertes)

Fertilisants Amidons pour la cartonnerie

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Tableau 2 : Bilans français en termes de constituants majeurs et de valeur énergétique, sur la production et des pertes en graines protéagineuses destinées à l’alimentation humaine.

En tonne Eau

Protéines

Amidons

Sucres

Parois

Matière grasse

Energie Brute (Giga cal)

Production récoltée et destinée à l’alimentation humaine 370 000 t

50 701 84 337 155 749 18 500 50 535 3 827

1 410 000

Pertes à la récolte 22 000 t 3 042 5 060 9 345 1 110 3 032 230 84 000

6. Discussion 6.1 Les limites de l’étude Un certain nombre de points sont à approfondir pour cerner de manière plus précise et exhaustive les pertes alimentaires. Il est notamment nécessaire de :

- Enquêter auprès de nouveaux grands industriels transformateurs de pois, féverole, lupins, pour capter leur expertise et références sur les pertes alimentaires.

- Conduire une analyse similaire sur les légumes secs, haricots et lentilles, non pris en compte dans cette étude. Pour ces espèces offrant la possibilité de filières à l’échelle de territoires, il faudra comparer les risques de pertes entre circuits longs et courts.

6.2 Des leviers existants pour réduire les pertes

On a vu que les pertes se situent essentiellement à la récolte. Des leviers existent d’ores et déjà pour les réduire : il s’agit notamment d’utiliser des variétés et conduites réduisant les risques de verse, d’améliorer la précision des outils de récolte, de maintenir par la sélection une taille de graine moyenne limitant la proportion de téguments, d’améliorer la protection à l’égard des insectes parasites des graines, d’améliorer les techniques de récolte et le tri des graines, et enfin de mieux extraire les glucides solubles des effluents du fractionnement par voie humide. Ces améliorations requièrent des actions de recherche et développement en agronomie, protection et génétique, ainsi que des éléments de technicité au niveau des producteurs et des transformateurs.

Relativement à d'autres filières, la petite taille actuelle de celle des protéagineux orientés vers l'alimentation humaine conduit à de petits volumes de pertes et gaspillages. Les marges de progrès proposées dans cette analyse pourront avoir davantage d’impacts, corrélés positivement avec l’accroissement des volumes produits qui est appelé par de nouveaux modes d'alimentation durable et par les besoins d'atténuation du changement climatique. 6.3 Des recherches pour aller plus loin

Pour limiter plus encore les pertes à la récolte, il conviendrait de développer les recherches (i) en amélioration génétique (architecture des plantes pour réduire la verse , optimiser le port des gousses et la taille des graines en relation avec les outils de récolte, réduire le risque de casse des gousses et graines), (ii) en physiologie et agronomie (architecture du couvert) en lien avec une évolution technologique du matériel de récolte (exemple des barres de coupe flexibles). Plus en aval, on pourrait également investir dans les technologies de tri des graines à la récolte (trieurs optiques qui permettraient d’éliminer les grains bruchés ou tachés pour les rendre conformes aux marchés de l’alimentation humaine).

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Un défi majeur est celui de l’augmentation des surfaces et volumes de production de ces graines pour un débouché en alimentation humaine (Schneider et al., 2015). Au-delà des actions qui pourront augmenter et stabiliser les rendements et améliorer la qualité sanitaire des graines (i) une amélioration génétique et agronomique de la valeur nutritionnelle et santé (protéines, fibres, composés bioactifs), (ii) de nouvelles technologies de fractionnement et transformation apportant de la valeur ajoutée et (iii) une information/éducation des consommateurs et plus globalement une organisation de filière, pourront amplifier ces productions et usages. 6.4 Les principales marges de progrès pour cette filière : augmenter et

stabiliser le rendement, améliorer la digestibilité des graines Bien qu’en amont du périmètre des pertes alimentaires, il faut insister sur le fait que le problème majeur pour cette filière se situe au niveau de la production. En effet, des rendements faibles expliqués par une sensibilité à divers stress biotiques et surtout abiotiques doivent impérativement être augmentés et stabilisés. Les leviers de progrès majeurs pour cela sont de combiner la voie génétique et la voie agronomique pour une protection efficace à l’égard des stress majeurs susceptibles de pénaliser les rendements et altérer la qualité des graines récoltées : stress hydrique, insectes parasites des plantes (sitones, pucerons) ou des graines (bruches), maladies à champignons (ascochytose) et oomycètes (aphanomyces) phytopathogènes. 6.5 Une vision encore plus élargie des pertes ou des opportunités manquées

de valorisation ?

Des pertes existent aussi chez le consommateur, sous forme de produits non-consommés (restes de repas, etc.). Mais on pourrait considérer aussi comme « perte » des phénomènes de mauvaise utilisation digestive des produits consommés. La consommation de ces graines riches en protéines par l’homme pourrait être amplifiée et permettre ainsi une diminution de la consommation de produits carnés. La digestibilité des graines et fractions de graines de légumineuses est souvent inférieure à celle du grain de blé, notamment du fait de parois cellulaires résistantes au broyage lors de la fabrication de farines et de la présence d’alpha-galactosides mal utilisés dans l’intestin et causes de flatulences. Par voie génétique ou de transformation, on peut envisager une réduction de ces pertes digestives. La digestibilité pourrait en effet être améliorée par :

- Une adaptation de la composition des graines qui peut varier selon les variétés, les espèces et les conduites culturales : composition en fractions protéiques, acides aminés, amidons et fibres, taille des cellules des graines et épaisseur des parois des cellules cotylédonaires.

- Les traitements technologiques (finesse de broyage, extrusion, cuisson, fermentation). - Les combinaisons de matières premières dans les aliments ou les régimes (exemple de l’intérêt

du mélange pois-blé dur avec des effets positifs sur la valeur nutritionnelle du produit en mélange formulé sous forme de pâte alimentaire…).

Après cette étude sur les pertes et gaspillage de la récolte à la distribution, il nous semble au final que pour cette filière, les plus grandes marges de progrès se situent davantage de part et d’autre, c’est-à-dire (i) au stade de la production, car le potentiel de production n’est pas atteint aujourd’hui et (ii) au niveau de la consommation car la quantité de ces produits dans les régimes et l’utilisation digestive de ces graines pourraient être grandement amplifiées. Relativement à d'autres filières, et compte-tenu de la faible utilisation actuelle des protéagineux en alimentation humaine, les volumes de pertes sont faibles. Les marges de progrès proposées dans cette analyse auront davantage d’impact dans la perspective d'un accroissement de la filière qui est actuellement appelé par de nouveaux modes d'alimentation durable et par les besoins d'atténuation du changement climatique.

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Pertes dans la filière protéagineuse

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https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/3.0/fr/ Pour la citation et la reproduction de cet article, mentionner obligatoirement le titre de l'article, le nom de tous les auteurs, la mention de sa publication dans la revue « Innovations Agronomiques », la date de sa publication, et son URL)

 

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Les pertes alimentaires en filière laitière

Bareille N.1,2, Gésan-Guiziou G.3,4, Foucras G.5, Coudurier B.6, Randriamampita B.7, Peyraud J.L.8, Agabriel J.9, Redlingshöfer B.10

1LUNAM Université, Oniris, Ecole nationale vétérinaire, agroalimentaire et de l’alimentation Nantes-Atlantique, UMR Biologie, Epidémiologie et Analyse de Risque en santé animale, CS 40706, F-44307 Nantes 2INRA, UMR1300, F-44307 Nantes 3INRA, UMR1253 STLO, Science et Technologie du Lait et de l’œuf, F-35042 Rennes 4Agrocampus Ouest, UMR1253 STLO, F-35042 Rennes 5UMR1225 INRA/INP-ENVT, Interactions Hôtes-Agents Pathogènes (IHAP), Equipe Immunologie 23, chemin des Capelles, F-31076 Toulouse cedex 03 6INRA CODIR, 147 rue de l’Université, F-75338 Paris cedex 07 7 7 rue de Roqueblanque, F-34790 Grabels 8 INRA, UMR Pegase, F-35590 St Gilles; ACO UMR Pegase, F-35590 St Gilles 9UMR 1213 Herbivores INRA Centre Auvergne Rhône-Alpes F-63122 Saint Gênes Champanelle 10 INRA, MaR/S, 147 rue de l’Université, F- 75338 Paris cedex 07 Correspondance : [email protected] Résumé Cette étude est la première, en France, qui analyse les pertes alimentaires dans la filière lait de vache (97,9% du marché laitier français). Elle vise premièrement à qualifier et à quantifier les pertes alimentaires ainsi que les manques à produire, et deuxièmement, à identifier les leviers d’action d’ores et déjà actionnables pour réduire ces pertes, ainsi que les recherches qu’il conviendrait d’engager pour y contribuer plus efficacement. L’analyse des pertes alimentaires dans la filière lait de vache est organisée en deux grandes parties en distinguant les pertes alimentaires au stade de la production primaire et de celles en transformation laitière et en distribution. Aux différents stades de la filière et compte tenu de la grande diversité des produits transformés, des approches méthodologiques appropriées ont été appliquées (traitement de données statistiques, interviews avec les professionnels du secteur et avec des experts techniques et académiques etc.). Quelques éléments spécifiques aux pertes alimentaires dans les filières laitières ovine et caprine sont soulignés. Il ressort de l’étude que le lait conforme arrivant en laiterie représente 90,7% du volume de lait espéré (production qui aurait pu être réalisée par les vaches françaises en l’absence de pathologies comme les mammites) et 96,8% du lait véritablement produit. De fait, 3,2% du lait produit sont écartés de la consommation humaine directe. Actuellement, environ 2/3 du lait non-conforme sont utilisés pour l’alimentation des veaux, les pertes alimentaires au stade agricole, selon la définition de l’étude, se limitent donc à 1% du volume de lait produit. Pour les stades de la transformation et la distribution, les données sont bien plus éparses et plus difficiles à recueillir. Entre 1-3% de matière laitière entrant en usine quitte l’usine essentiellement via les effluents finaux traités en station d’épuration. Les leviers de réduction des pertes identifiés ciblent prioritairement le domaine de la santé de la mamelle. Mots-clés: Lait de vache, Lait de brebis, Lait de chèvre, Pertes alimentaires, Mammite, Transformation laitière, Distribution Abstract: Food loss in the dairy sector This study is the first one in France to analyze food loss in the dairy sector for cow milk (97,9% of the French dairy sector). The principal aim of this study is firstly, to qualify and to quantify food loss and

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production shortfall, and secondly, to identify reduction measures which can immediately be applied, and questions for research which should be addressed in order to reduce food loss more efficiently. This analysis is organized in two big parts distinguishing food loss at primary production and food loss at dairy processing and distribution. Given the different supply chain stages and the considerable diversity of processed dairy products, appropriate methods have been applied to collect data (processing of statistics, interviews with dairy business and technical and academic experts etc.). Specificities of ewe and goat milk supply chains with regard to food loss are highlighted. As a main result, it comes out that cow milk which is fit for consumption and delivered to industrial dairy represents 90.7% of the amount expected to be produced (amount that cows would have produced if they had not suffered from pathologies like mastitis), and 96.8% of milk really produced. Hence, discard from direct human consumption at farming stage amounts to 3.2% of milk production. Two thirds of milk that is unfit for human consumption is currently used for feeding calves. Food loss at farming stage according to the definition of the study therefore does not exceed 1% of milk production. For the processing and distribution stages, data is much scarcer. Between 1-3% of milk matter leaves the dairy unit with the “white water” (from cleaning processes etc.), wastewater which is treated in a wastewater treatment plant. Reduction measures for food loss previously identified focus on udder health. Keywords: Cow milk, Ewe milk, Goat milk, Food loss, Mastitis, Dairy processing, Distribution Introduction La production française de lait dispose d’une place privilégiée en Europe. En France, elle se fait en grande majorité (96,6%) à partir de lait de vache, en production conventionnelle (97,9% du lait de vache) (CNIEL, 2015). En 2013, la production de lait de vache s’élevait à 23 750 millions de litres (24,53 millions de tonnes), production stable depuis de nombreuses années en raison de l’application des quotas laitiers. La grande majorité du lait (98%) est collectée par les entreprises laitières. La partie résiduelle est valorisée en vente directe à la ferme, essentiellement sous forme de fromage. La production de lait est utilisée dans diverses fabrications de produits consommés ou intermédiaires. La production de laits liquides conditionnés représente 3,64 milliards de litres en 2013 et est peu variable sur les dernières années. Les yaourts ou laits acidifiés s’élèvent à 2,24 millions t/an, les beurres et pâtes à tartiner à 394 milliers t/an, les crèmes à 438 milliers t/an. Une grande partie du lait est transformée en fromages dont la production s’élève à 1,862 millions de t/an ainsi qu’en poudres de lait de diverses qualités (435 000 t/an) ou en poudres conditionnées, notamment infantiles (224 000 t/an). Le lactosérum est également transformé en poudre dont la production représente 613 000 t en 2013. Avant toute chose, et à l’heure où la question des pertes et gaspillages alimentaires est posée, il est important de bien définir le terme de « production de lait ». Ce terme, tel que présenté par le CNIEL, est ambigu (CNIEL, 2015) puisqu’il ne considère que la « production de lait » conforme et destinée à la consommation humaine. Pourtant, à l’étape de la production primaire, du lait trait est écarté pour non-conformité, très majoritairement du fait de traitements médicamenteux administrés suite à l’apparition de mammites. Une partie de ce lait écarté est néanmoins utilisée pour l’alimentation des veaux laitiers. Même si cette utilisation peut apparaître en compétition avec l’alimentation de l’homme, nous ne la considérons pas comme une perte, conformément à la définition des pertes alimentaires adoptée dans l’étude, telle que détaillée dans l’article dédié aux aspects méthodologiques (Redlingshöfer, 2015). Dans ce travail, seule la partie du lait écartée et non utilisée sera donc considérée comme générant une perte alimentaire. D’autre part, conformément au cadre méthodologique précité, les sous-réalisations par rapport à « l’optimum » recherché au stade de la production, ou « manques à produire », ont été prises en compte dans l’étude. En filière laitière, le choix a été fait de ne considérer que les

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perturbations de la production survenant à une étape très proche du processus de collecte, comme explicité plus loin. En pratique, il se réduit au seul effet des mammites. Ce choix est cohérent avec celui réalisé dans des études antérieures relatives aux pertes alimentaires, notamment celle commanditée par la FAO (Gustavsson et al., 2011). Cet article s’attache d’une part à qualifier et à quantifier les pertes alimentaires ainsi que les manques à produire dans la filière lait de vache, et d’autre part à identifier les leviers d’action d’ores et déjà actionnables pour réduire ces pertes, ainsi que les recherches qu’il conviendrait d’engager pour y contribuer plus efficacement. Quelques éléments spécifiques aux pertes alimentaires dans les filières laitières ovine et caprine sont présentés. L’analyse des pertes alimentaires est organisée en deux grandes parties. La première partie présente les pertes au stade de la production primaire et les met en perspective par rapport aux manques à produire. La deuxième partie présente les pertes alimentaires au niveau de la transformation laitière et de la distribution. 1. Les pertes alimentaires et manques à produire au stade de la production primaire

1.1 Méthode retenue pour l’identification des pertes alimentaires et des manques à produire

1.1.1 Présentation générale Quantifier les pertes alimentaires de lait à l’étape de production primaire nécessite d’identifier les différentes circonstances qui amènent à jeter du lait sans qu’il soit valorisé pour l’alimentation des veaux. Le lait jeté correspond essentiellement au lait impropre à la consommation humaine qui doit être écarté. Cependant, du lait est perdu en dehors de la traite par des vaches ayant des trayons non hermétiques et aussi pendant la traite lors de l’élimination des premiers jets de lait pour vérifier l’aspect du lait. Ces pertes, difficiles à quantifier et vraisemblablement marginales, ont été ignorées dans la quantification réalisée. Le règlement CE n°853/2004 du 29 avril 2004, art. 11, définit les laits considérés comme impropres à la consommation humaine. Ils incluent principalement les laits provenant d'une traite opérée moins de 7 jours après le part (le colostrum), les laits contenant des résidus antibiotiques (quel que soit le motif de traitement médicamenteux), des laits colorés, malpropres, malodorants et des laits dont la concentration en cellules somatiques n’est pas satisfaisante. Les laits colorés, malpropres, malodorants correspondent à ceux produits lors de mammites cliniques, qui, dans notre raisonnement, seront quantifiés lors de l’estimation des volumes de lait écarté pour traitement médicamenteux. Les laits écartés pour concentration en cellules somatiques non satisfaisante peuvent être négligés dans cette approche compte tenu du fait que l’application réglementaire de ce point (concentrations en cellules somatiques du lait livré supérieures à 400 000 cellules/ml plus de 6 mois consécutifs) se traduit rarement par des suspensions et arrêts de collecte mais par une dépréciation du prix payé aux éleveurs. Les veaux des troupeaux laitiers doivent être nourris avec du lait entier ou à défaut du lait reconstitué à partir d’aliments d’allaitement jusqu’à l’âge de 2 à 3 mois. Ce lait trait entier, tout comme la fraction de produits laitiers incorporés dans l’aliment d’allaitement, ne doit donc pas être considéré comme une perte alimentaire. Ainsi, nous nous sommes attachés à quantifier la part du lait impropre à la consommation humaine qui n’était pas non plus utilisé par les veaux. Il n’existe malheureusement pas de données sur le devenir du lait impropre à la consommation humaine en France. Deux études suédoises abordent ce sujet (Duse et al., 2013 ; Einarson et al., 2013) et seront adaptées au contexte français par les auteurs selon leur propre expérience.

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Le choix a été fait de ne retenir que des perturbations de la production à une étape très proche du processus de collecte du fait des dommages créés au tissu sécrétoire mammaire par les mammites. Dès lors, le lait non produit par rapport à un potentiel génétique de troupeau soit du fait de conditions d’élevage difficiles ou mal adaptées (bâtiment, stress climatique, présence d’acidose subclinique dans les troupeaux, etc.) soit par choix volontaire de l’éleveur n’est pas considéré comme une perte. Nous emploierons le terme de production espérée pour désigner la production qui aurait pu être réalisée par les vaches françaises en l’absence de mammites. Ce raisonnement est tout à fait valide dans le contexte actuel d’une production laitière européenne qui n’est plus soumise au régime des quotas laitiers. Cependant, antérieurement, le lait non produit par les vaches atteintes de mammites était produit par des vaches supplémentaires réduisant ainsi la performance économique de l’élevage bovin laitier. La Figure 1 schématise les différents postes de perte de lait en élevage et à l’étape de la collecte par les industries laitières. 1.1.2 Méthodes pour la quantification à l’étape de production primaire Pour quantifier les pertes à chacune des étapes indiquées en Figure 1, plusieurs méthodes différentes ont été retenues.

• Manque à produire consécutif aux mammites Des études scientifiques ont estimé l’impact des mammites sur la quantité de lait produite par les vaches. Une revue a estimé que chaque cas de mammite clinique induit une perte de production sur l’ensemble de la lactation d’en moyenne 300 kg (4% de la production) avec une variabilité importante (Hortet et Seegers, 1998a) ; dans 4 cas sur 10, la perte est négligeable et dans 1 cas /10 elle est de 1000 kg (les 5 restants étant dans la moyenne). Le nombre annuel de cas de mammites cliniques est, quant à lui, difficile à apprécier. Il peut être estimé par le nombre de traitements réalisés mais une faible partie des traitements est réalisé sur des vaches à mammites subcliniques (concentration élevée en cellules somatiques) (voir partie 2). Les effets des mammites subcliniques sur la production laitière ont également donné lieu à une synthèse (Hortet et Seegers, 1998b). Les mammites subcliniques induisent une baisse de 0,5 kg / jour lorsque la concentration en cellules somatiques (CCS) du lait est supérieure à 50 000 cellules / ml mais inférieure à 100 000, valeur qui s’additionne chaque fois que la CCS double (1,0 kg/j à 100 000 cellules / ml, 1,5 kg / j à 200 000 cellules / ml, 2 kg/j à 400 000cellules / ml). Des données françaises récentes (Roussel et al., 2014) rapportent des valeurs de prévalence de mammites subcliniques en décrivant les pourcentages de contrôles selon différentes catégories de concentrations en cellules somatiques du lait (seuils de 100 000, 300 000 et 800 000 cellules / ml). Il convient tout de même d’être prudent dans l’estimation de la quantité de lait non produit relatif aux mammites, vu qu’une partie des vaches ayant eu une mammite clinique continuent leur lactation avec des concentrations en cellules somatiques élevées. Les estimations des effets des mammites cliniques produites dans la littérature ont imputé l’ensemble du manque à produire aux mammites cliniques. Ainsi, arbitrairement, seule la moitié du lait non produit dû aux mammites cliniques sera prise en compte dans le manque à produire total.

• Lait écarté lors des 6 premiers jours de lactation des vaches Le lait (colostrum) d'une traite opérée moins de 7 jours après le part étant impropre à la consommation, nous avons retenu que le lait des 6 premiers jours était écarté. L’estimation a été réalisée à partir du nombre de vêlages par an et d’une production moyenne des vaches en France lors des 6 premiers jours. Le nombre de vêlages par an a été estimé sur la base d’une publication de Raboisson et al. (2013) indiquant le nombre de veaux nés en 2006, de l’évolution des effectifs de vaches laitières en France depuis cette date (FranceAgriMer, 2014) et du pourcentage de naissances gémellaires. Ces chiffres ont

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été recoupés par les données annoncées par Puillet et al. (2014) indiquant le nombre de vêlages en 2010. La production moyenne des vaches en France a été estimée sur la base du tonnage de lait livré en France, du pourcentage de perte estimé dans ce document, du nombre de vaches laitières en 2013 (FranceAgriMer, 2014), de la durée des lactations (Institut de l’élevage et FCEL, 2014). Un modèle de courbe de lactation a également permis d’estimer la production laitière journalière selon le stade de lactation de la vache française moyenne.

• Lait écarté pour traitement médicamenteux Une première étape a consisté à identifier les circonstances donnant lieu à des traitements avec des produits nécessitant l’application d’un temps d’attente pour éviter la présence de résidus dans le lait, en pratique les troubles de santé qui touchent les vaches en lactation. Ensuite, une estimation du nombre annuel de traitements réalisés a été réalisée sur la base du nombre de vaches présentes ou ayant vêlé, de la fréquence annuelle des troubles de santé des vaches laitières (Fourichon et al., 2001), d’une description des médicaments utilisés pour traiter les différents troubles de santé et de la production attendue lors de la survenue du trouble de santé compte tenu du stade de lactation moyen des vaches atteintes ; le nombre de jours de lait jeté consécutif à l’usage de médicaments ayant un temps d’attente a ainsi été estimé. Une exception à cette méthode a été faite pour estimer le lait écarté pour cause de mammites cliniques en lactation. En effet, compte tenu de l’usage prédominant de médicaments à temps d’attente pour cet usage, nous avons souhaité nous baser sur des statistiques de ventes de produits antibiotiques à usage intramammaire disponibles (ANSES, 2014). Il apparaît effectivement que les fréquences de mammites cliniques rapportées dans les études scientifiques en France sont bien plus faibles que celles pouvant être estimées à partir des ventes réelles de produits de traitement intramammaire en lactation. Il a été considéré qu’une part des produits antibiotiques à usage intramammaire était utilisée au tarissement (0,65 traitement par vache présente en moyenne) et qu’en lactation les traitements étaient pour certains faits au vêlage (inclus dans le lait jeté lors des 6 premiers jours de lactation), sur 2 quartiers en même temps (ne donnant pas lieu à du lait jeté supplémentaire) ou avec des durées de traitement rallongées par rapport aux préconisations indiquées dans le RCP (résumé des caractéristiques du produit) des médicaments (ne générant que du lait jeté sur la durée de traitement supplémentaire, le temps d’attente n’étant alors pas modifié par les éleveurs). Ainsi, nous avons retenu que 20% des traitements en lactation ne donnaient pas lieu à du lait jeté à comptabiliser spécifiquement dans cette rubrique.

• Lait écarté à l’étape de la collecte par les industries laitières Il arrive que du lait contenant des résidus d’antibiotiques parvienne jusqu’aux unités de transformations. Lorsqu’une citerne de lait est contrôlée positive aux antibiotiques à son arrivée à l’usine, le producteur se voit appliquer des pénalités qui incluent des frais de destruction de ce lait : le producteur fait perdre à la laiterie la livraison de la citerne entière, incluant le lait initialement « contaminé » auquel s’est ajouté le lait « sain » issu de collectes voisines. Un article de vulgarisation publie des données sur le nombre et le litrage des citernes contrôlées positives à leur arrivée dans l’entreprise laitière et détruites (Quartier, 2015). Ces chiffres semblent provenir de l’interprofession laitière mais nous n’avons pas trouvé la source officielle de ces chiffres. 1.2 Quantification des manques à produire et des pertes alimentaires au stade

de la production primaire

Le Tableau 1 indique les manques à produire liées aux mammites, le total n’incluant que la moitié de ceux consécutifs aux mammites cliniques.

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Tableau 1 : Manques à produire liés aux mammites des vaches laitières en France.

Nombre de cas Lait non produit par cas

Quantité non produite (Tonnes)

Mammite clinique 1 926 000 300 kg 577 800 Mammite subclinique

CCS inférieure à 100 000 cellules/mL 1 815 227 0,5 kg x 340 j 308 589 CCS de 101 à 300 000 cellules/mL 1 123 888 1 kg x 340 j 382 122 CCS de 301 à 800 000 cellules/mL 480 610 2 kg x 340 j 326 815 CCS supérieure à 801 000 cellules/mL 284 669 4 kg x 340 j 387 150

Quantité de lait non produit du fait des mammites (Tonnes)

1 693 575

• Lait écarté lors des 6 premiers jours de lactation des vaches

La quantité de lait écarté lors des 6 premiers jours de lactation peut être estimée à 482 550 tonnes (Tableau 2). Une partie de ce lait contient des antibiotiques (environ 55 %). En effet, pour éliminer des mammites subcliniques acquises lors de la lactation précédente et pour réduire le risque d’infection de la mamelle lors de la période tarie, un traitement intramammaire au tarissement est réalisé. Il était, jusqu’à récemment, fait de façon systématique sur les vaches multipares. Nous avons considéré que le lait était principalement utilisé par les veaux (80%), le reste étant jeté dans les eaux blanches ou le lisier. Les pertes alimentaires liées à ce lait qui selon la définition CE n°853/2004 du 29 avril 2004, art. 11, est impropre à la consommation (nous verrons plus tard qu’une partie pourrait être utilisée en alimentation humaine) ne représentent donc actuellement que 96 510 tonnes à cette étape. Tableau 2 :  Quantité de lait écarté lors des 6 premiers jours de lactation des vaches laitières en France

Nombre de veaux nés 3 123 400 Nombre de vêlages 3 217 000 Lait par jour en début de lactation (Kg) 25 Quantité de lait écarté lors des 6 premiers jours de lactation (Tonnes) 482 550

• Lait écarté pour traitement médicamenteux Le lait écarté pour traitement médicamenteux (en dehors de la période colostrale) est presque exclusivement le fait des traitements des mammites en lactation (97%) (Tableau 3). Nous avons considéré que le lait était pour moitié utilisé par les veaux et pour moitié jeté dans les eaux blanches ou le lisier. Les pertes alimentaires à cette étape ne représentent donc actuellement que 160 733 tonnes. Tableau 3 : Quantité de lait écarté lors de de traitement médicamenteux des vaches laitières en France

Trouble de santé donnant lieu à traitement Nombre de traitements

Lait écarté par traitement

Quantité écartée (Tonnes)

Mammite en lactation 2 472 000 21 kg x 6 j 311 472 Métrite aigue puerpérale & autres syndromes post-partum 24 700 21 kg x 6 j 3 112 Déplacement de caillette & autres interventions chirurgicales 37 000 31 kg x 6 j 6 882 Quantité de lait écarté pour traitement médicamenteux (Tonnes)

321 466

• Lait écarté à l’étape de la collecte par les industries laitières

Ce lait écarté à l’étape de collecte est détruit. Rapportée à la production nationale, la fraction de lait détruite après collecte (Quartier, 2015) n’est que de 0,04 % (Tableau 4).

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Tableau 4 : Quantité de lait écarté pour résidus inhibiteurs à l’étape de la collecte en France

Nombre de citernes écartées 575 Quantité de lait écarté pour résidus inhibiteurs (Tonnes) 9 600

1.3 Bilan à l’étape de la production primaire et expression en % de la production de lait

La quantité de lait espérée peut être estimée à la quantité de lait livrée à laquelle est ajoutée celle de tous les postes de pertes vus précédemment. Ceci correspond à 27,04 millions de tonnes de lait pour une quantité de lait conforme à la consommation humaine de 24,53 millions de tonnes. La Figure 1 présente le pourcentage de perte à l’étape de la production primaire du lait, exprimé en pourcentage du lait espéré ou du pourcentage du lait produit. Ainsi, le lait conforme arrivant en laiterie représente 90,7% du lait espéré et 96,8% du lait produit.

Figure 1 : Diagramme d’identification des pertes de lait à l’étape de la production primaire et de leur devenir. La quantification est exprimée en pourcentage du lait espéré- en bleu- ou du lait produit-en violet et jaune-.

Lait  

Lait    non  produit  du  fait  des  mammites

Lait  livré  en  vue  de  la  consommation  humaine

Lait    conforme Lait    contenant  des  

inhibiteurs

Lait    écarté  pour  traitements  médicamenteux

Effluents  d’élevage

Veaux  

Production  de  lait  

Lait  des  6  premiers  jours

Destruction

100

100

90,7

6,3

1,2

0,04 96,8

1,3

0,04

1,8 1,9

0,04 2,2 1,0

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2. Pertes alimentaires à l’étape de la transformation et de la distribution 2.1. Identification des pertes aux étapes de transformation et de distribution 2.1.1 Pertes au cours des processus de transformation Outre le lait écarté du fait de résidus d’antibiotiques, les entretiens d’experts ont permis d’identifier plusieurs sources de pertes possibles de lait ou de produits transformés ou dérivés du lait (coproduits) au cours des procédés de transformation :

• Premières étapes de transformation du lait liquide Pertes lors des phases de pousse: Lors de la mise en route et de l’arrêt des installations, les équipements doivent être vidés de leur produit : lors des phases de démarrage, l’eau initialement présente dans l’installation est ainsi remplacée par du lait. De la même façon, en phase d’arrêt, le lait présent dans l’installation est remplacé par de l’eau lors des phases de pousse. Des solutions de lait mélangé avec de l’eau (appelées « eaux blanches ») sont ainsi « chassées » du système. Le lait peu dilué est parfois réutilisé, mais une partie du lait « mouillé », du fait de son taux de dilution trop élevé, n’est pas valorisé. Cette partie de lait se retrouve ainsi écartée du circuit. Ces eaux chargées en matière laitière peuvent soit être envoyées en station d’épuration (communale ou propre à l’usine) sans avoir pu être valorisées, soit être destinées à l’alimentation animale. Il en va de même des installations traitant du lactosérum (« petit lait ») ou de tout autre coproduit laitier. Pertes liées à l’emploi de solutions de lavage : Les solutions détergentes sont utilisées pour nettoyer les installations, et donc « décrocher » la matière organique et minérale déposée sur les parois des installations. Lors de leur rejet en station, ces eaux emportent donc avec elles de la matière organique, difficilement valorisable car mélangée à des composés chimiques et/ou enzymatiques. • Etapes de transformation du lait en yaourt Le procédé industriel de transformation du lait en yaourt consomme une petite quantité de lait pour caler les machines, les quantités de ferments et d’arômes, etc. • Etapes de fabrication fromagère Pertes au sol : lors de la fabrication de fromages, du lactosérum peut s’écouler au sol, notamment après salage au début de l’affinage (lactosérum dit de ressuyage). Pertes liées à la non-conformité des poids des fromages aux cahiers des charges : l’obtention du poids minimum exigé pour des raisons de conformité conduit toujours à un pourcentage d’unités non-conformes car en dessous du seuil (selon une courbe de Gauss). Ces fromages à poids trop faible sont parfois vendus, quoiqu’à valeur moindre, dans une catégorie de fromages moins bien valorisée. Pertes lors des phases de salage des fromages: Dans le cas spécifique de la production fromagère (pâtes pressées, pâtes pressées cuites, pâtes molles, pâtes filées, …), des pertes notables de matière sont observées au cours du salage. Le salage provoque l'évacuation de l'eau du coagulum avant affinage et par là même de la matière laitière comme des minéraux et des protéines solubles (complément d’égouttage). Des pertes massiques variant entre moins de 0,5% pour les pâtes pressées cuites et 4% pour les pâtes filées sont observées (communication d’expert), et même si elles contiennent de la matière organiques et des minéraux, elles contiennent avant tout beaucoup d’eau. L’intensité de ce complément d’égouttage dépend en grande partie de la quantité de sel absorbée, de la durée du salage, et du mode de salage (à sec ou en saumure). • Etapes aval de la transformation, générique pour tous les produits issus du lait Pertes liées aux défauts de conditionnement, erreurs d’étiquetage et erreurs de commandes : Ces produits, s’ils sont en bon état général, sont parfois et sous condition du respect des dates de

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péremption, vendus via des circuits de commercialisation de type déstockeurs ou donnés à des associations caritatives. Le don de denrées vendues sous marque de distributeurs ne peut plus être interdit aux industries de transformation1. Toujours sous condition du respect de la réglementation2, les produits peuvent être utilisés en alimentation animale. Dans ces deux cas de réorientation pour l’alimentation humaine ou animale, nous ne les considérons pas comme perte alimentaire (l’opérateur affiche néanmoins une perte financière).

2.1.2 Pertes liées à la non utilisation de produits laitiers à des fins alimentaires, y compris par recyclage via l’alimentation animale En pratique, le principal produit concerné était le lactosérum (ou petit lait), issu de la fabrication fromagère. Longtemps considéré comme un rejet / sous-produit de l’industrie laitière, il est aujourd’hui en cours de passer à un statut de produit à part entière (Jeantet et al., 2015). Grâce aux techniques de fractionnement (filtration, chromatographie) et de concentration, le lactosérum est aujourd’hui largement transformé afin d’obtenir des poudres, du lactose et des protéines sériques, utilisées en alimentation humaine et animale. Il est de plus en plus recherché, car ces protéines sont largement utilisées dans la préparation des formules infantiles, dont la production est en pleine croissance. Néanmoins, à ce jour, une petite fraction du lactosérum reste non valorisée. 2.1.3 Pertes de produits en distribution Les produits mis à disposition du consommateur ont des durées de conservation différentes selon les procédés de transformation et de traitement. Les produits dits ultra-frais (absence de traitements à très haute température (UHT, au-delà de 135°C)) comme les laits liquides, yaourts et laits acidifiés, crèmes, beurre et fromages portent une date limite de consommation (DLC) qui est en général de quelques semaines. Au contraire, les produits UHT portent des dates de durabilité minimale (DDM, ex-DLUO) bien plus longues, de plusieurs semaines voire plusieurs mois après la date de transformation. La diversité de cette caractéristique entraîne de ce fait une gestion différenciée de toute la logistique entre le départ d’usine et le stock en rayon. Les produits à DLC courte nécessitent une logistique particulièrement efficace et un suivi de près de la sortie d’usine jusqu’au magasin. En magasin, les produits sont retirés quand la DLC est approchée (souvent de 2-3 jours) ou atteinte. Ils peuvent selon le cas et uniquement pour les produits dont la DLC n’est pas atteinte être commercialisés à bas prix dans les grandes surfaces ou redistribués à des associations caritatives3. Parfois, du fait d’un endommagement des produits ou de leur déplacement en magasin hors rayon frais, les produits sont retirés et détruits. Pour ce qui est des produits à DDM, la rotation en rayon permet en règle générale d’écouler les produits et minimiser les pertes qui se limitent à l’endommagement ou à un oubli dans la gestion des stocks.

                                                                                                               1 Selon la convention d’engagement volontaire en faveur de la lutte contre le gaspillage alimentaire par les distributeurs du secteur alimentaire, signée en août 2015 par la Ministre de l’Écologie, du Développement durable et de l'Energie et les distributeurs, « aucune stipulation contractuelle ne peut faire obstacle au don de denrées alimentaires vendues sous marque de distributeur par un opérateur du secteur alimentaire à une association caritative habilitée, et prévu par une convention conclue par eux ».

http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/Convention_d_engagement_volontaire.pdf 2 Note de service DGAL/SDSPA/2014-1040 du 19 décembre 2014 dans laquelle la Direction générale de l'alimentation (DGAL) présente les prescriptions européennes et nationales pour l'utilisation, en alimentation animale, de lait, de produits laitiers et d'autres produits contenant du lait ou issus de l’industrie laitière. 3 Selon la Convention d’engagement volontaire en faveur de la lutte contre le gaspillage alimentaire, les commerces de plus de 400 m² de surface de vente sont amenés à signer une convention avec une association caritative précisant les modalités du don.

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2.2 Quantification des pertes alimentaires à la transformation et à la distribution

2.2.1 Les pertes alimentaires lors de procédés de transformation Si les entretiens nous ont permis d’identifier et de localiser les pertes laitières majeures au sein des usines, ils n’ont pas permis de comptabiliser ces pertes. Pour estimer les pertes laitières à la transformation, une autre approche consiste à recalculer les équivalents laits perdus à partir de la mesure en DCO (Demande Chimique en Oxygène) des effluents arrivant en station d’épuration. C’est ainsi que Daufin et al. (2000) ont évalué le pourcentage de perte en produits laitiers dans les effluents globaux à une valeur comprise entre 1 et 3 % du lait transformé, ce qui correspondrait sur la base de cette hypothèse, à 245 000 à 735 000 tonnes de pertes laitières (Tableau 5). Les professionnels du secteur corroborent ces données même s’il n’existe pas de publication plus précise et récente sur ce point. Tableau 5 : Estimation du volume de pertes laitières du secteur français sur la base de l’analyse des effluents globaux d’usines (Daufin et al., 2000)

Pourcentage de perte Lait transformé en millions de tonnes

Quantités de pertes de lait (tonnes)

Pertes laitières dans les effluents

1-3% 24,53 245 000 à 735 000

Une enseigne de la grande distribution a communiqué sur le taux de pertes à la transformation du lait en yaourt nature vendu sous sa marque de distributeur. En dépit d’une efficacité élevée du procédé industriel, lors de phases de tests et d’échantillonnages des produits, environ 3% du yaourt, recalculé sur la base du nombre de yaourts indiqués (29 sur 970), sont écartés de la commercialisation et détruits (Carrefour, 2015). Les écarts au conditionnement (défauts, erreurs de commande) s’élèvent à 2%, recalculé sur la base du nombre de yaourts indiqués (19 sur 941), selon cette même étude. Généralement, les industriels laitiers soulignent disposer d’options de commercialisation (déstockeurs, promotions, etc.) en acceptant une perte de valeur des produits, ou pratiquer le don alimentaire ou encore les donner pour l’alimentation animale. Dans le cas d’une MDD, la situation est différente : la revente n’est contractuellement pas autorisée et le don alimentaire est encore anecdotique. Notre hypothèse est que seulement la moitié des yaourts écartés au conditionnement, donc 1%, est réellement détruite et constitue des pertes alimentaires selon notre définition. Nous supposons que l’autre moitié trouve une utilisation alimentaire soit pour l’homme (don alimentaire) soit en élevage de porcs. Sur la base de ces taux d’écart (yaourt nature), de nos hypothèses de pertes et du volume de yaourts produit par le secteur à l’échelle nationale, à savoir 304 000 tonnes en 2013 (CNIEL, 2015), on peut, en l’absence de données plus précises, estimer une perte totale de matière en équivalent yaourts du secteur, et par déduction en équivalent lait (x 1,2). Les pertes alimentaires aux stades de la transformation (lait en yaourt nature standard) et du conditionnement se chiffrent donc à 12 200 tonnes d’équivalent yaourt et à 14 600 tonnes en équivalent lait, pour le secteur français (Tableau 6). Il est regrettable que nous n’ayons pas pu obtenir de données d’écarts de commercialisation ou de pertes alimentaires pour d’autres produits transformés issus du lait. Les 12,2 / 14,6 milliers de tonnes équivalents de yaourts / de lait perdues ne concernent que le secteur du « yaourt nature standard » (304 milliers de tonnes de yaourt / 365 (304*1,2) milliers de tonnes de lait) qui lui ne représente qu’un petit débouché par rapport aux 24,53 millions de tonnes de lait collectées. Stricto sensu l’extrapolation n’est valable que pour les yaourts MDD seulement.

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Pertes alimentaires en filière laitière

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Tableau 6 : Extrapolation au niveau français du volume de pertes alimentaires du segment « yaourt nature standard » sur la base de l’étude Carrefour (2015)

Ecarts de commercialisation par étape en % (Carrefour 2015)

Ecarts de commercialisation pour les étapes, en %

Perte alimentaire sur la base de l’hypothèse d’une réutilisation alimentaire de 20%**** pour le total des deux étapes

Yaourt nature standard sortie d’usine (en milliers de tonnes)

Yaourt nature standard incluant les pertes alimentaires en usine) (en milliers de tonnes)

Quantification des pertes de yaourt en équivalent de yaourt / équivalent de lait (x1,2) (milliers de tonnes)

Ecarts de yaourt à la transformation (test et échantillonnage)

3%*

5%*** 3% + 1% = 4% 304 316,2 12,2 / 14,6 Ecarts de yaourt au

conditionnement (défauts de conditionnement et erreurs de commande)

2%**

* recalculé sur la base du nombre de yaourts indiqués écartés : 29 sur 970 ; ** recalculé sur la base de nombre de yaourts indiqués écartés : 19 sur 941 ; *** recalculé sur la base de nombre de yaourts indiqués écartés : 48 sur 970 ; **** destruction à la transformation (3%), utilisation pour moitié pour l’alimentation humaine ou animale (1%)

2.2.2 Pertes liées à la non utilisation de produits laitiers Selon une évaluation des ressources en biomasse disponibles en France en 2010 (FranceAgriMer, 2012), une fraction du lactosérum produit n’était pas valorisée, soit, pour une production totale de 12 milliards de litres de lactosérum ou 756 000 t de MS :

- 3 % non récupéré au départ, soit 360 000 t brutes ou 22 7000 t MS - 15 % de la fraction de 20 % non valorisée en industrie, soit 0,35 millions de t brutes ou 22 100 t

MS. Au total, selon cette estimation, 700 000 t brutes ou 44 000 t MS n’étaient pas valorisées, ce qui représentait 5,8 % du lactosérum disponible. Rapporté à la production nationale de lait en 2010, soit 24,08 millions de t (pour 23,33 millions de litres) ou 3,13 millions de t MS, la perte globale s’élevait à 1,4 % de la MS laitière produite. Ces ordres de grandeur sont corroborés par les résultats de l’enquête réalisée en 2008 par le SSP auprès des industries agroalimentaires (Agreste, 2010). Dans le cas de l’industrie laitière, le total des déchets organiques d’origine animale s’élevait à 106 100 t MS (hors boues et effluents ainsi qu’autres déchets). Rapporté à la production nationale de lait en 2008, soit 23,86 millions de t (pour 23,12 millions de litres) ou 3,10 millions de t de MS, la perte globale s’élevait à 3,4 % de la MS laitière produite. Bien qu’ils englobent la totalité des déchets organiques et pas seulement le lactosérum, celui-ci en constituait probablement la fraction majoritaire. Pour autant, et comme indiqué précédemment, la fraction de lactosérum non valorisée va en se réduisant et ces chiffres, déjà relativement anciens, constituent une limite supérieure.

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Figure 2: Répartition en volumes des matières premières et coproduits de la filière lait (FranceAgriMer d’après Enquête Annuelle Laitière – SSP, 2010)

2.2.3 Pertes de produits en distribution La même enseigne (Carrefour, 2015) a analysé les pertes de yaourt nature vendu sous sa marque distributeur, commercialisés dans ses hyper- et supermarchés. Selon l’enseigne, moins de 1% de yaourt nature est perdu au stade de la distribution (y compris transport et stockage en entrepôt) et que ces pertes partent en tri/collecte/valorisation organique. Il n’a pas été possible d’obtenir des données de la part d’autres enseignes ou de leurs représentants professionnels.

2.3 Valorisation des produits laitiers en alimentation humaine au travers de l’alimentation animale

Selon l’estimation réalisée pour l’exercice 2010 dans le cas du lactosérum (FranceAgriMer, 2012) (Figure 2), une fraction du lactosérum produit était encore consommée en l’état (liquide) par des animaux d’élevage. Elle représentait 2 millions de t brutes ou 126 000 t MS, soit 16,7 % du lactosérum disponible et 4 % de la MS laitière produite. Par ailleurs, de la poudre de lactosérum (et dans une moindre mesure de babeurre) ainsi que d’autres produits laitiers transformés sont incorporés dans les aliments du bétail, principalement dans les aliments d’allaitement. L’enquête triennale sur les matières premières utilisées pour la fabrication d’aliments composés pour animaux de ferme (Agreste, 2014) quantifie les volumes utilisés au plan national. Ainsi, en 2012, 270 000 t brutes (à > 95 % de MS, hormis concentrats) de matières premières laitières élaborées ont été valorisés via l’aliment du bétail (hors exportation de matières premières laitières à cette fin), dont 197 000 t de poudre de lactosérum (et babeurre), soit les ¾. Cette consommation de matières premières laitières élaborées représentait donc un peu moins de 8,4 % de la MS laitière produite (leur taux de MS n’étant pas de 100 %). Elle s’ajoute à la consommation animale de lactosérum en frais estimée précédemment.

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La valorisation cumulée des produits laitiers au travers de l’alimentation d’animaux d’élevage serait donc de l’ordre de 1/8ème des quantités produites. Cette valorisation indirecte est significative mais ne constitue pas pour autant une perte alimentaire, selon les définitions adoptées dans l’étude. Tableau 7 : Quantités de poudre de lactosérum et d’autres produits laitiers transformés utilisées pour la fabrication d’aliments composés pour animaux de ferme, France (Agreste 2014).

Matières premières (milliers de t) 2009 2012

ALIMENTS D’ALLAITEMENT Poudre de lactosérum (et babeurre*) 163,9 182,8

Poudre de lait écrémé 67,0 51,3

Babeurre ou lactosérum concentré 26,7 0

Concentrat de protéines laitières 17,3 12,4

ALIMENTS COMPOSES Poudre de lactosérum 8,8 14,3

Autres produits laitiers 11,2 8,9

TOTAL 294,9 269,7

* pour 5 % environ du total

Encadré 1 : Les pertes alimentaires dans les filières laitières ovine et caprine. La production laitière par les filières de petits ruminants représente moins de 3% de la production laitière totale en France en 2014, soit respectivement 458 et 258 millions de litres de lait de chèvre et de brebis (Agreste, 2014). Ces filières ont des caractéristiques qui les différencient de la filière laitière bovine. La régionalisation est beaucoup plus marquée encore que pour la production bovine, et il existe en outre une forte saisonnalité, en particulier pour la production ovine. Le système caprin ressemble plus ou moins au système bovin, notamment parce que la durée de la lactation est la même pour ces deux espèces alors qu’elle est plus courte chez la brebis (8 mois environ). Par ailleurs, seule la filière ovine a conservé une période d’allaitement systématique (d’une durée de 3 à 5 semaines). Une particularité de la production de lait chez la chèvre et la brebis est qu’elle est très largement destinée à la production de yaourts, et surtout de fromages (respectivement 100 000 et 40 000 tonnes environ, toutes productions confondues en 2014). Les facteurs qui conduisent à des pertes directes dans les filières de production de lait de brebis ou de chèvre peuvent être décomposés en fonction du stade depuis la production, la transformation, jusqu’à la commercialisation. Pour la partie aval de la filière, les facteurs ne sont pas différents de ceux décrits pour la filière bovine. Les principales différences sont donc rencontrées au stade de la production elle-même. Le lait collecté n’est pas livré au début de la lactation, dans la période dite d’allaitement-traite (fixée à 21 jours chez les ovins pour les appellations Roquefort et Ossau-Iraty), ainsi qu’au tarissement ; il est généralement détruit. En début de lactation, chez la brebis, l’excès de production au-delà de ce qui est nécessaire pour l’alimentation du ou des agneaux laissé(s) avec la brebis est généralement perdu (sauf en dehors des appellations où la seule contrainte règlementaire est le respect de la durée de 7 jours correspondant à la période colostrale). En fin de lactation, le tarissement est progressif chez la brebis, contrairement à la vache, avec une traite dont la périodicité diminue progressivement ; à ce moment-là, le lait collecté n’est plus livré ; il était traditionnellement valorisé par une production familiale (fromage de type pérail,…), mais celle-ci tend à disparaître. Il n’existe pas d’évaluation précise du volume de lait écarté de la livraison à ces deux périodes. Chez la chèvre, les pratiques de conduite de la lactation et du tarissement sont hétérogènes et intermédiaires entre les pratiques bovines et ovines. A l’inverse de la production bovine, la proportion de lait considéré comme impropre à la transformation du fait de la présence de résidus médicamenteux (antibiotiques notamment) est faible (caprins) à très faible (ovins) car la fréquence des mammites cliniques est extrêmement faible dans ces espèces et le recours à l’antibiothérapie est plus rare que chez la vache.

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Les concentrations de cellules somatiques (CCS), qui permettent d’évaluer la qualité sanitaire du lait, sont globalement plus élevées dans le lait de tank des troupeaux ovins, et surtout caprins, que dans celui des troupeaux bovins. Malgré des différences physiologiques chez la chèvre qui expliquent en partie ces différences, elles traduisent une moins bonne maîtrise des mammites subcliniques dans les espèces de petits ruminants. Ce défaut de maîtrise de la qualité impose une production laitière au-delà de celle qui serait nécessaire pour la production des fromages à plus forte valeur ajoutée. L’augmentation du volume produit permet le tri du lait livré en fonction de sa qualité bactériologique. Ce produit n’est pas perdu au sens strict puisqu’il est utilisé pour la production de produits pasteurisés moins exigeants. Pour ces filières, certains fromages sont exclusivement fabriqués à partir de lait cru ; ils représentent en volume 8% de la production totale pour la chèvre et 55,5% pour la brebis. Cela impose une surveillance et une maîtrise bactériologiques accrues tout au long de la filière par rapport aux filières utilisant la pasteurisation du lait. La présence accidentelle de bactéries comme Listeria monocytogenes, dont le risque est maintenant bien maîtrisé, ou d’agents pathogènes émergents comme les Escherichia coli productrices de Shiga toxines (STEC) dans le produit après élaboration, oblige à sa destruction avec des conséquences économiques marquées pour toute la filière de production. Des solutions pour la maitrise de la multiplication de ces bactéries ont été proposées, et sont en cours de développement.

3. Leviers d’action pour réduire les manques à produire et pertes alimentaires 3.1 L’étape de la production primaire

L’estimation produite met en lumière l’importance des mammites dans la perte d’efficacité de l’étape de production primaire de la filière lait de vache. En effet, elles occasionnent des pertes majeures de production et induisent le retrait d’environ 2,4 % du lait produit : 1,3% pour les traitements en lactation et 1,1% pour les traitements au tarissement donnant lieu à du lait jeté lors des 6 premiers jours. Ainsi, la principale voie de réduction des pertes est la maitrise des mammites, par un recours accru à la prévention (moins de cas et donc moins de manque à produire) et une réduction de certains usages médicamenteux inutiles (moins de lait jeté). La prévention des mammites est basée sur la maitrise des facteurs de risque relatifs à l’hygiène de la traite et du logement, au fonctionnement de la machine à traire, au respect des moyens de défense des animaux (UMT Maîtrise de la Santé des Troupeaux Bovins, 2011). Ces facteurs sont connus depuis de nombreuses années et peu d’innovations permettent d’espérer une amélioration par de nouvelles solutions techniques. Ainsi, le vaccin disponible en France (Starvac®, Staphylococcus aureus, coliformes et staphylocoques coagulase-négatifs) n’apporte que peu d’amélioration de la situation (Schukken et al., 2014) et reste peu utilisé. Les raisons d’une mauvaise adoption des bonnes pratiques recommandées et les voies d’action pour les lever doivent être mieux identifiées. La réduction des traitements antibiotiques peut être obtenue dans certaines situations. La plus évidente est celle du traitement au tarissement fait dans un but uniquement préventif, c'est-à-dire sur des vaches ayant une faible CCS dans leur lait. Le traitement sélectif, appliqué aux seules vaches ayant une CCS augmentée, permettrait de réduire d’environ 50% le nombre de traitements faits au tarissement (Robert, 2006). Plus marginalement, des traitements antibiotiques faits en lactation pourraient être réduits par une application plus stricte des recommandations en matière de traitement (nombre d’applications par traitement, non traitement des vaches ayant eu des échecs de traitement antérieurs, …). Le recours à des traitements alternatifs est évoqué pour réduire l’usage des antibiotiques. Cependant, deux principales limites apparaissent à leur utilisation actuelle : l’absence d’efficacité démontrée et un cadre réglementaire mal défini. Une structuration des recherches dans ce domaine permettrait de capitaliser les initiatives dispersées d’évaluation d’efficacité de ces produits observées actuellement. Actuellement, la suppression de l’usage des antibiotiques au tarissement ne permet pas de libérer du lait pour la consommation humaine. En effet, le lait qui pourrait être épargné par la levée du temps

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d’attente qui s’applique à ces traitements après vêlage, mais il est écarté sous le motif qu’il provient d'une traite opérée moins de 7 jours après le part (Règlement CE n°853/2004 du 29 avril 2004). Le fondement de cette réglementation n’est pas explicite. Elle semble répondre au double objectif de réduire les risques de résidus antibiotiques et d’écarter le lait riche en immunoglobulines des premières traites (volonté des industriels de ne rémunérer que la teneur en caséines du lait au travers de la rémunération du taux protéique). Pourtant, les études scientifiques indiquent que la teneur en immunoglobulines du lait de vache rejoint les valeurs basales à partir de la 7ème traite post-partum environ (Foley et Otterby, 1978 ; Lacy-Hulbert et al., 1996). Dans un contexte d’encouragement au traitement sélectif au tarissement, le caractère impropre à la consommation humaine du lait de moins de 7 jours post-partum pourrait être donc revu à la baisse. Dans la situation actuelle d’utilisation encore majoritaire du traitement antibiotique au tarissement, le passage à un retrait du colostrum pendant seulement 3 jours au lieu de 6 permettrait de rendre à la consommation humaine 0,5% du lait produit (la moitié du colostrum sans antibiotique). Le lait écarté à l’étape de la production primaire est pour partie utilisé pour l’alimentation des veaux. Nous manquons de données consolidées pour connaître la part que cela représente par rapport à celle jetée dans les effluents d’élevage. Des enquêtes auprès des éleveurs mériteraient d’ailleurs d’être conduites sur cette thématique. Alors que pendant de nombreuses années, le lait contenant des antibiotiques était donné aux veaux sans mention de risque particulier, l’émergence des enjeux d’antibiorésistance conduisent à des messages de prudence quant à cet usage. Ainsi, récemment, la Commission Européenne a émis un communiqué sur les lignes directrices décrivant les principes d’une utilisation prudente des antimicrobiens. Il y est indiqué qu’il faut éviter de donner aux veaux du «lait refusé» provenant de vaches ayant subi un traitement antimicrobien (Communication CE 2015/C 299/04 du 11/09/2015). Ces lignes directrices ne sont pas des réglementations mais elles énoncent les mesures que les États membres devraient envisager lorsqu’ils élaborent et mettent en œuvre des stratégies nationales de lutte contre la résistance aux antimicrobiens. Ce message de prudence est étayée par des publications ayant démontré les effets de l’ingestion de lait contenant des résidus d’antibiotiques sur l’antibiorésistance de la flore commensale du tube digestif du veau (Aust et al., 2013). La non utilisation de ce lait pour nourrir les veaux conduirait à dériver une partie du lait actuellement destiné à la consommation humaine (environ 1,5% du lait produit). 3.2 A l’étape de la transformation L’identification des sources de pertes de matière au sein des procédés soulignent quelques pistes majeures pour diminuer encore les pertes et donc la charge en DCO arrivant en station :

- Un meilleur contrôle des phases de pousse, et en particulier du tri des produits (eau, produits laitiers) permettrait de réduire les pertes. Pour cela, des capteurs (Gésan-Guiziou et al., 2010), voire des capteurs logiciels doivent être développés et mis en place pour mieux suivre et prédire les phases de mélange. Ce meilleur contrôle permettrait d’une part d’augmenter la récupération des fractions (peu diluées) des produits laitiers à destination de l’alimentation humaine, et d’autre part de faire un tri plus approprié au début et à la fin de collecte des produits laitiers destinés à des applications essentiellement animales et/ou non alimentaires.

- Une meilleure maitrise des opérations unitaires, en mode de production et de nettoyage, permettrait également de diminuer les pertes de matière. Il est essentiel aujourd’hui d’apprendre à produire en minimisant le colmatage des équipements, de manière à augmenter les durées de production (et donc diminuer les fréquences des phases de démarrage et d’arrêt sources de pertes) et à faciliter le nettoyage des installations. Ceci est particulièrement vrai sur les opérations à membranes qui se colmatent facilement et pour lesquels des temps de nettoyage peuvent atteindre 30% de la durée de production.

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La valorisation encore accrue du lactosérum constitue une dernière et évidente voie de réduction des pertes alimentaires. Compte tenu du regain actuel d’intérêt pour ce produit, cet objectif est sans doute en passe d’être atteint. Il pourrait néanmoins nécessiter la mise en œuvre de dispositifs collectifs de ramassage et de valorisation dans les secteurs à faible densité laitière, compte tenu des coûts d’investissement nécessaires. 3.3 A l’étape de la distribution

Au niveau des entrepôts et des magasins, les produits en bon état mais présentant des défauts (emballage, erreur d'étiquetage) ou approchant de la DLC sont donnés à des associations caritatives. Le don est pratiqué surtout par les hyper- ou grands supermarchés, mais beaucoup moins par les petites surfaces, du fait d’une disponibilité atomisée conduisant à des coûts de logistique et à une organisation difficiles à porter par les associations. L’extension du don à la diversité des circuits de commercialisation doit être analysée également sous l’angle des coûts économiques et environnementaux. L’allongement des DLC, dans le respect des critères sanitaires selon lesquels est fixée la date par les fabricants, permettrait aux magasins d’augmenter la période de vente et l’opportunité de vendre le produit. Une parfaite planification et gestion prévisionnelle du rayon est un objectif de premier ordre pour les équipes qualité et achat. Les outils d’ajustement entre offre et demande pourraient à terme contribuer à gérer plus finement les approvisionnements. Conclusions et perspectives A l’étape de la production primaire, les pertes de lait de vache sont essentiellement générées par les traitements médicamenteux entrepris pour lutter contre les mammites. 3,2% du lait produit sont écartés de la consommation humaine directe. Actuellement, environ 2/3 du lait non-conforme est utilisé pour l’alimentation des veaux, les pertes alimentaires au stade agricole, selon la définition de l’étude, se limitent donc à 1% du volume de lait produit (hors manques à produire générés en sus par les mammites). Cette estimation pourrait rapidement s’accroitre de 1,4% du lait produit vu qu’elle prend en compte le fait qu’actuellement beaucoup d’éleveurs utilisent le lait contenant des antibiotiques pour alimenter leurs veaux, malgré les recommandations récentes de la Commission Européenne de ne pas utiliser ce lait pour limiter le risque d’antibiorésistance. Or, la réutilisation en alimentation animale n’a pas été considérée comme une perte compte-tenu du périmètre défini pour celles-ci dans le cadre de l’étude. A contrario, une révision de la définition du lait de consommation humaine permettant de réduire au moins de moitié la période où le lait est considéré comme colostrum permettrait de rendre à la consommation humaine 0,5% du lait produit. La lutte contre les mammites, déjà considérée comme essentielle pour la performance économique des exploitations bovines laitières, constitue donc un pilier pour la réduction des pertes dans cette filière. Au stade de la transformation laitière, une quantification globale des pertes n’a pu être réalisée. La difficulté tient notamment à la très grande variété des produits obtenus à partir de la matière première laitière, ainsi qu’à la complexité des procédés mis en œuvre, des fractions ou constituants du lait obtenus à l’issue d’une étape de transformation (crème, lait écrémé ou lactosérum, par ex.) étant repris comme matière première d’entrée pour de nouvelles transformations, y compris par des opérateurs industriels différents. Le caractère confidentiel des données explique aussi sans doute en partie le manque de données quantitatives disponibles au niveau global, alors qu’aux dires des professionnels chaque opérateur réalise des bilans matière très précis au niveau de ses sites de production. Pour autant, quelques ordres de grandeur ont été obtenus pour certains types de procédés ou de produits, lesquels mériteraient évidemment d’être confortés ou ajustés par des échanges avec les professionnels. Bien qu’il soit délicat de les extrapoler à l’ensemble de la production, il semble que

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l’ordre de grandeur de ces pertes à la transformation et au conditionnement soit voisin de celui estimé pour la part de lait non directement consommable par l’homme au niveau de la production. Cette assertion n’est valable que sous l’hypothèse que la fraction de lactosérum non valorisée ait très significativement diminué depuis la fin des années 2000, ce que l’évolution récente du marché du lactosérum laisse effectivement penser. A titre comparatif, les pertes à la transformation et au conditionnement dans les laiteries suédoises ont été estimées à 2 % dans le cas des laits liquides, 0 % dans le cas des fromages et 6 % dans le cas des yaourts (Berlin et Sonesson, 2008 ; Berlin 2010, cités par Gustavsson et al., 2013). Au stade de la distribution, seules des données quantitatives fragmentaires sont disponibles, les pertes étant de l’ordre de 1 %. A titre comparatif, dans le cas de la Suède, elles étaient estimées à 0,6 % dans le cas des laits liquides, 0 % dans le cas des fromages et 0,3 % dans le cas des yaourts (Berlin et Sonesson, 2008 ; Berlin 2010, cités par Gustavsson et al., 2013). Enfin, il convient de garder à l’esprit qu’une fraction significative (de l’ordre de 1/8ème) de la matière première laitière est valorisée en alimentation animale, lactosérum principalement, mais que ce type d’usage n’est pas considéré comme une perte du fait du retour dans la chaine alimentaire sous forme de produits animaux. Références bibliographiques

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Pertes alimentaires en filière laitière

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Les pertes alimentaires dans la filière poulet de chair

Malher X.1, Coudurier B.2, Redlingshöfer B.3

1 L’UNAM Université, Oniris, INRA, UMR1300 BioEpAR, CS 40706, F-44307 Nantes 2 INRA, CODIR, 147, rue de l'Université, F-75338 Paris Cedex 07 3 INRA, Mission d’anticipation Recherche/Société, 147 rue de l’Université, F-75338 Paris cedex 07 Correspondance: [email protected]

Résumé Cette étude est un premier essai pour définir, décrire et quantifier les pertes alimentaires en filière de poulet de chair, de l’enlèvement jusqu’au commerce de détail. Les pertes alimentaires ont été définies comme tout produit détourné de la consommation humaine ou transformés en sous-produits non valorisables en alimentation des animaux de production. L’étude trace l’itinéraire technique de l’animal vivant jusqu’au produit, avec les différents sous-produits engendrés à chaque étape de la chaîne d’abattage et de transformation et leur valorisation. Les déterminants des pertes relevés sont à la fois techniques, économiques, réglementaires et organisationnels. A partir de la représentation de cet itinéraire, une feuille de calcul a été élaborée pour estimer ces pertes alimentaires selon différentes hypothèses comme, par exemple, le pourcentage de carcasses en découpe ou le pourcentage d’abats rejetés. Cette quantification est difficile à conduire en raison du caractère confidentiel des données industrielles et les étapes de mise en marché et de distribution sont très peu documentées. Cette étude préliminaire demande à être discutée avec un plus large panel de professionnels et questionnée par des recherches supplémentaires sur un sujet d’importance publique croissante. Mots-clés: Filière alimentaire, Poulet de chair, Protéines animales transformées.

Abstract: Food loss in broiler supply chain This study was conducted as a first attempt to define, describe and quantify food losses from harvest to retail in the broiler supply chain in France. Food losses were defined as product discarded from human consumption for sanitary reasons (mortality between harvesting and stunning and condemnation at slaughter house) or oriented to by-products unusable for feeding production animals. The study drew the technical tracks from the live animal to the end products, with the various associated by-products coming out along the slaughter and processing lines, and their uses. Determinants for food losses were found to be either technical, economical, regulatory or organizational. Issuing from the representation of the different slaughter and processing steps, a calculation sheet was implemented to estimate the share of food losses according to various hypotheses, such as percentage of carcasses devoted to cutting, or percentage of giblets valued for human consumption. Quantification of food losses is difficult to perform due to the confidential character of business data and the stages of marketing and retailing remained poorly documented. This preliminary study needs to be discussed with a larger professional audience and challenged by further research on this topic of increasing public attention. Keywords: Food supply chain, Broiler, Processed Animal Proteins

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Introduction Cette étude sur les pertes alimentaires dans la filière poulet de chair s’inscrit dans le projet de l’INRA qui consiste à faire un point multi-filières sur les pertes alimentaires en productions végétales et animales (Redlingshöfer et al., 2015), avec pour objectifs de :

- Discuter du concept de pertes alimentaires en l’appliquant à chaque filière, - Indiquer l'incidence et les déterminants de pertes alimentaires ; identifier leur devenir (gestion

des déchets, recyclage), - Rassembler les données disponibles afin de calculer les pertes alimentaires, - Identifier les questions de recherche et les besoins de connaissances nécessaires pour la

prévention et la réduction des pertes alimentaires. La portée de l'étude concerne les pertes alimentaires, depuis la production primaire peu documentée jusqu'à présent dans la littérature, jusqu’à la distribution en passant par les étapes intermédiaires de la transformation. Parce que cette étude vise spécifiquement à quantifier ces pertes dans les stades d'amont des chaînes d'approvisionnement alimentaire, cette étude souhaite contribuer à la connaissance des pertes au niveau des exploitations et aux stades post-récolte. 1. Les productions de poulet en France La production de volailles en France se caractérise, au plan international, par la grande diversité des espèces élevées et des produits mis en marché. La production de poulet de chair n’en constitue pas moins la production dominante. C’est la raison pour laquelle cette étude s’est focalisée sur cette production. A l’intérieur de la production de poulet de chair se cache également une grande diversité de produits selon le type génétique, le poids, le mode d’élevage, les ressources alimentaires et l’âge d’abattage. Ainsi, des signes officiels de qualité vont distinguer les productions Label Rouge, Agriculture Biologique, Certification de Conformité ou AOP d’une production dite « standard » qui reste cependant la production dominante. Ainsi, en 2013, le poulet Standard représentait 75,6 % du tonnage de viande de poulet, le poulet Label Rouge 15,1%, le poulet Agriculture Biologique 1%, les productions AOC et AOP 0,1%, les autre signes de qualité 0,3 %, et d’autres démarches 7,9 % (Agreste, 2015). A l’intérieur de la catégorie « standard », on distingue encore, selon les débouchés et leurs utilisations spécifiques, des sous-catégories de poids : poulet « export », « standard », « lourd », dont la principale caractéristique est d’exploiter des souches à croissance rapide abattus à des âges différents. Toutes ces caractéristiques sont susceptibles de faire varier les taux de pertes alimentaires ainsi que les modes de valorisation après abattage qui peuvent différer selon les entreprises d’abattage et de transformation en fonction de leur stratégie commerciale, leurs outils et leur gamme de produits. Ces transformations peuvent, en effet, engendrer des déchets de nature et de volume différents. Pour simplifier cette étude, nous avons considéré que la production de poulet de chair était uniformément constituée par une production de poulets standard abattus à 36 j pour un poids vif moyen de 1,9 kg, avec, en fin d’étude, des éléments de variation des estimations des pertes alimentaires selon les productions alternatives.

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Pertes dans la filière poulet de chair

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2. Méthodologie En cohérence avec les autres productions analysées dans le cadre de l’étude Inra, les définitions suivantes1 ont été appliquées :

- Les « pertes alimentaires » concernent les produits destinés à la consommation humaine, mais écarté (perdu, retiré…) ;

- Les parties inconsommables (inedible en Anglais), c’est-à-dire sans marché dans l’alimentation humaine, ne sont pas considérées comme des pertes alimentaires,

- Ce qui est écarté de la consommation humaine mais valorisé en alimentation animale et revient indirectement à la consommation humaine n’est pas considéré comme pertes alimentaires dans le cadre de cette étude (Redlingshöfer, 2015) ; toutefois, l’alimentation des animaux de compagnie n’est pas considérée comme faisant partie de l’alimentation animale, ce mode de valorisation sera donc considéré comme pertes alimentaires.

Les « Protéines Animales Transformées » (PAT) provenant des sous-produits de volailles et potentiellement valorisables en productions animales, ne sont autorisées en France que pour l’aquaculture depuis février 2014. En l’absence d’information actualisée sur la situation, en raison de l’opposition des décideurs politiques à cette utilisation, nous avons considéré que cette valorisation n’était pas avérée. 2.1 Définition et périmètre des pertes alimentaires appliqués à la filière

spécifique Le périmètre de l’étude commence au stade des animaux « prêt à la récolte » pour tenter d’aller jusqu’à à la distribution. Il n’inclut pas le manque à produire qui précède le ramassage des animaux : ce sont les pertes observées en élevage (« tri » et mortalités) qui, dans une optique globale, auraient dû contribuer à la production de l’élevage et sont, pour cette raison, dénommées ici « manque à produire ». Toutefois, une estimation des ordres de grandeur de ce manque à produire est proposée pour pouvoir identifier les priorités pour la recherche vers plus d’efficience des systèmes de production-transformation-distribution. La viande regroupe toutes les parties d'un animal qui sont destinées à la consommation humaine et qui ont été jugées saines et propres à cette fin, selon le Codex alimentarius, ce qui correspond, pour le poulet à la carcasse issue du procédé d’abattage-habillage et aux abats (viscères comestibles selon les us et coutumes, traditionnellement foie, gésier et cœur en France)2. Le sang n’en fait pas partie parce qu’il n’existe pas de dispositif de collecte adapté comme c’est le cas chez le porc. On appelle co-produit, tous les éléments anatomiques autres que les abats, issus de la carcasse reconnue propre à la consommation humaine mais qui ne peuvent être consommés par l’Homme qu’après des procédés de transformation importante. C’est le cas de la graisse de canard gras pour les confits ou ce qui devient la Viande Séparée Mécaniquement (VSM). En direction des pays asiatiques, on peut y ajouter les pattes de poulet qui doivent être blanchies avant d’être conditionnées. On appelle sous-produits animaux (SPA) à l’abattoir3 les cadavres (morts à l’arrivée, euthanasiés), retraits (ou saisies), les éléments retirés non consommables (plumes, sang, intestins, « pattes » …).

                                                                                                               1 Les définitions utilisées ici diffèrent de celles qui ont été utilisées dans une autre publication des mêmes auteurs (Malher et al., 2015) 2 (Annexe 1 du Règlement (CE) No 853/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004) 3 Certains sous-produits animaux ont un débouché commercial pour lequel ils constituent une matière première « noble », ils peuvent encore être appelés abusivement par certains abatteurs « co-produits ». Ex. les plumes pour l’industrie textile (oreillers, duvet, couette, rembourrage vestimentaire) (Magras et al., 2013).

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Réglementairement4, les sous-produits animaux sont constitués des « cadavres entiers ou parties d’animaux ou produits d’animaux, les produits d’origine animale ou d’autres produits obtenus à partir d’animaux, qui ne sont pas destinés à la consommation humaine, .. ». Les pertes alimentaires chez le poulet de chair seraient donc constituées des éléments suivants : Ce qui a été récolté en vue de la production mais doit être détourné de la consommation humaine pour des raisons : - Sanitaires (mortalité – retraits/saisies), classés en SPA de catégorie 2 (C2) lors des opérations

d’inspection sanitaire des denrées c’est à dire retirés de la consommation humaine pour motif de viande dangereuse. Ces sous-produits animaux sont aussi appelés des « saisies ou retraits sanitaires ».

- Techniques (défaut de carcasse, hématomes), classés en SPA de catégorie 3 (C3), c’est à dire les carcasses et ou parties provenant d’animaux considérés comme propres à l’abattage, mais écartées du fait d’un caractère impropre (aspect) mais non dangereux pour la santé humaine et la santé animale. Leur valorisation est possible en alimentation animale, principalement pour animaux de compagnie pour des raisons réglementaires.

- Réglementaires liés à la découpe et/ou à des procédés ultérieurs de transformations : c’est le cas particulier du croupion qui est commercialisé lorsque la vente se fait en carcasse mais pas commercialisé lorsque la carcasse est découpée et qui devient une matière C3.

Ce qui serait consommable mais a été détourné de la consommation humaine en raison, principalement : - D’une inadaptation technique de l’outil d’abattage pour optimiser la valorisation de la totalité de la

carcasse et d’un manque d’innovation technologique pour en tirer parti en troisième transformation (VSM, Viande Séparée Mécaniquement).

- Des aléas des marchés et d’un manque de débouchés commerciaux pour des produits à faible valeur ajoutée.

Les sous-produits classés en C2 sont déshydratés sous forme de « farine animale »5 pour être détruits ou utilisés comme matière fertilisante. Les sous-produits de volailles classés C3, ainsi que les carcasses entières retirées classées C3, sont transformés en PAT de volailles, de plumes et de sang et en graisse dans des usines dédiées aux sous-produits de volailles. Ces PAT de volailles, de plumes et de sang de volailles sont utilisables dans l’alimentation pour animaux de compagnie. Elles étaient utilisables dans l’alimentation des animaux de production avant les interdictions réglementaires consécutives à l’épisode de la maladie de la « vache folle ». Ce point est abordé aux paragraphes 3.3 et 6. Les graisses issues de ces sous-produits de volailles sont destinées soit à l’alimentation des animaux de compagnie soit utilisées pour l’alimentation des animaux de production. Dans ce dernier cas, il ne s’agit donc pas de pertes alimentaires.

                                                                                                               4 Article 3, point 1 du Règlement (CE) n°1069/2009 du parlement européen et du conseil du 21 octobre 2009 établissant des règles sanitaires applicables aux sous-produits animaux et produits dérivés non destinés à la consommation humaine et abrogeant le Règlement (CE) n°1774/2002 du parlement européen et du conseil du 3 octobre 2002 5 Aujourd’hui, le terme règlementaire « farines de viande et d’os » correspond aux sous-produits animaux de catégorie 1 (destinés exclusivement à l’incinération) et de catégorie 2 (utilisés comme matières fertilisantes et à d’autres usages exclusivement non alimentaires). https://www.anses.fr/fr/documents/ESST-QR-PAT.pdf

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Pertes dans la filière poulet de chair

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Un point particulier concerne les pattes : jusqu’à une période récente, elles étaient considérées comme des sous-produits, mais on dispose aujourd’hui pour elles, après préparation, d’un débouché en alimentation humaine à l’exportation (F.I.A., 2012). Les faire rentrer dans la catégorie des produits consommables par l’Homme conduit à considérer comme pertes alimentaires toutes les pattes qui ne seraient pas commercialisées, que ce soit pour cause sanitaire ou par manque d’investissement nécessaire pour les traiter. Les produits eux-mêmes mais pour lesquels une date de péremption est atteinte sans qu’ait pu être trouvé un usage alimentaire approprié. 2.2 Choix d’un modèle de production L’étude a pris comme modèle la production de poulet standard, valorisés dans des proportions variables en carcasse, pièces de découpe et produits transformés. Les pertes ont été estimées en prenant pour base la production totale de poulets toutes catégories confondues et ont été estimées en tonnage ou en % du poids vif. Dans les statistiques officielles, la production de volailles est exprimée soit en têtes, soit en poids équivalent carcasse. Pour convertir en poids vif les données exprimées en équivalent carcasses, les méthodes de calcul par la statistique agricole officielle pour le poulet considère qu’une carcasse avec abats correspond à un rendement forfaitaire (abats inclus) de 70% du poids vif. Le SIFCO6 (Syndicat de Industries Françaises des Coproduits animaux) mentionne un chiffre de 68% du poids vif directement utilisable pour la consommation humaine. Dans une étude néerlandaise (Somsen et al., 2004), le rendement de carcasse se situe en moyenne à 69,5% en poulet Ross (souches 308 et 508). Le livret d’élevage de la souche Ross PM3, très utilisée en France, fait mention d’un objectif de rendement de 71,5 % et 71 % respectivement pour les femelles et pour les mâles au poids de 1,8 kg vif. Dans notre modélisation, nous retiendrons l’étude de Somsen et al. (2004) pour étalonner nos estimations, en prenant une base de 1,545 millions de tonnes de poulets vifs abattus dans les abattoirs français. 2.3 Méthodes d’étude L’étude s’est principalement concentrée sur les étapes de la transformation. Une approche par modélisation a été choisie pour offrir un outil de simulation s’adaptant aux différentes situations et permettant de tester différentes hypothèses. Un diagramme représentant les différentes étapes du processus d’abattage jusqu’aux produits mis en marché a été développé. A chaque étape technique, les mises à l’écart de produits et leur orientation dans les différentes catégories de sous-produits ont été identifiées afin de déterminer la part de ces sous-produits qui peuvent être considérées comme des pertes alimentaires. A partir de ce diagramme, une feuille de calcul a été élaborée pour estimer les poids des produits et des sous-produits de chaque catégorie. 2.4 Enquêtes, entretiens auprès d’experts de la filière La représentation des processus d’abattage et de transformation et le paramétrage de la feuille de calcul se sont appuyés sur différentes sources bibliographiques, sur des entretiens avec des professionnels et des hypothèses de travail, lorsqu’il n’était pas possible de disposer de données du terrain. La difficulté de la démarche provient du caractère confidentiel des données industrielles et commerciales d’une part, et de la diversité des situations et des marchés propres à chaque abattoir. Les 3èmes transformations peuvent, en outre, être très variées et être réalisées dans des ateliers indépendants des sites et structures de 1ère et 2ème transformation, voire réalisées à l’étranger.

                                                                                                               6 http://www.sifco.fr/nos-metiers/les-produits/3-categories-de-sous-produits-animaux consulté le 6 octobre 2014

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3. Caractérisation des pertes alimentaires aux différentes étapes de la filière 3.1 Analyse des sources de pertes alimentaires, leurs déterminants et leurs

devenirs Sous un premier aspect, on peut attribuer les pertes aux conséquences sanitaires et/ou techniques des conditions de ramassage, de transport et d’abattage des poulets :

- Le ramassage peut entraîner des fractures, hématomes conduisant à des retraits, qui seront traités en SPA C3 sur la chaîne d’abattage.

- Le transport peut conduire à des étouffements entraînant des retraits sanitaires traités en SPA C2.  

- L’euthanasie d’animaux trop petits pour tenir accrochés sur la ligne d’abattage (animaux chétifs, souvent qualifiés de cachectiques) qui sont traités en SPA C2 (cadavres).  

- Les poulets trop petits qui échappent au système de saignée (poulets « rouges » mal saignés) dont la carcasse sera retirée de la chaîne et traitée en SPA C3.  

Sous un second aspect, les pertes sont liées aux conséquences des maladies/affections, aiguës ou chroniques ou de leurs séquelles, qui conduisent à un retrait en lien avec les risques que ces maladies/affections feraient courir au consommateur et/ou à la santé des animaux. Ces poulets et/ou carcasses et viscères sont alors retirés, en fonction du moment de la détection, à l’un des trois postes dédiés aux contrôles et orientés selon le motif et l’extension des lésions soit en SPA C2, soit en SPA C3. Un référentiel national d’anomalies devant faire l’objet d’un retrait réglementé décrit pour chacun des 26 motifs réglementés en France pour l’espèce Gallus gallus chair, le nom à attribuer, la(les) lésion(s) et la conduite à tenir (ampleur du retrait, gestion en catégorie de SPA) (De Turckheim et al., 2013 ; Baéza et al., 2015). Les retraits sont effectués à au moins trois postes dédiés sur la chaîne d’abattage-habillage :

- Avant l’abattage au poste de contrôle en caisse et au poste d’accrochage (étouffés en transport et euthanasiés),

- A la sortie de la plumeuse (défaut déjà visible, fractures, animaux mal saignés...), - A l’éviscération (aspect de la carcasse et des viscères associés).

La valorisation pour l’alimentation humaine peut se faire selon trois modalités successivement : soit après l’abattage-habillage (abats et carcasses), soit après une 2ème transformation (pièces de découpe), soit après une 3ème transformation (VSM, plats préparés, produits élaborés...). Les différentes sources de pertes alimentaires sont présentées dans le Tableau 1. Tableau 1 : Types de pertes le long de la chaîne alimentaire « poulet de chair »

Stade de transformation

Pertes non valorisables en alimentation animale

(SPA C2)

Pertes valorisables en alimentation animale

(SPA C3)

Sous-produits valorisables en

alimentation animale

Produits et co-produits

valorisables en alimentation humaine

Ramassage transport,

accrochage Poulets étouffés ou

euthanasiés

Saignée, plumaison

Retraits sanitaires (dont pattes)*

Poulets «rouges mal saignés», petits calibres Retraits pour défauts de

carcasse

Sang (si pas de retrait sanitaire), plumes,

tête, pattes**

Cous, pattes*

Eviscération Retraits sanitaires Retraits pour défauts Viscères Abats Carcasse

Atelier de découpe Retraits au parage Retraits au parage Déchets de découpe

(os, croupions…)

Pièces de découpe, viande séparée mécaniquement

*Si valorisées en alimentation humaine ; ** Si non utilisées en alimentation humaine

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Pertes dans la filière poulet de chair

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3.2 Quantification des pertes alimentaires (en T et en %)

Ces pertes sont analysées par ordre chronologique : 3.2.1 Pertes liées au ramassage La durée du ramassage varie en fonction de l’organisation du chantier et de l’importance de la main d’œuvre dans le bâtiment. Une enquête menée auprès des abattoirs en 2002 (Dusanter et al., 2003) relève une durée moyenne de 3h15 pour un bâtiment de 1000 m2 et 20 000 poulets standards pour 9 ramasseurs contre 2h45 en poulet label pour un bâtiment de 400 m2 et 4 440 poulets pour 7 ramasseurs. Les pertes liées au ramassage peuvent être révélées par le contrôle ante-mortem d’une part et au contrôle sanitaire par la fréquence des fractures récentes et hématomes d’autre part. N’entraînant que des retraits partiels pour défauts d’aspects, leur fréquence ne ressort pas de l’étude conduite en 2004 (Lupo et al., 2007). 3.2.2 Pertes pendant le transport En se limitant aux études françaises :

- Dusanter et al. (2003), dans 17 abattoirs de poulet standard, relèvent un taux de mortalité de 0,33% après un transport d’une durée moyenne de 1h 20 (maxi : 3h) et une durée d’attente moyenne de 2h10 (maxi : 5h15) et dans 10 abattoirs de Poulet Label un taux de mortalité de 0,27 % après un transport d’une durée moyenne de 1h 20 (maxi : 2h 20) et une durée d’attente moyenne de 3h40 (maxi : 6h20).

- Le Bouquin et al. (2010), pour 403 lots dans 15 abattoirs, relèvent un taux de mortalité : 0,18% (IC95%: 0,14 – 0,21) pour 2h46 de transports en moyenne (0h35-7h30) et 3h45 d’attente (0h05 à 12h55).

Ce taux de perte pendant le transport peut être influencé par la qualité du tri avant le départ à l’abattoir : il pourrait y avoir un biais en cas de ramassage robotisé car le tri peut ne pas être fait correctement, ces chiffres pouvant alors être plus élevés à l’arrivée. 3.2.3 Les retraits à l’abattoir Selon les motifs du retrait et l’ampleur des lésions, la carcasse peut être retirée totalement ou dirigée vers un atelier de découpe pour valoriser ce qui peut l’être. Une revue bibliographique a été réalisée par Lupo en 2010 avec des données internationales jusqu’en 2007, montrant des variations, selon les études (modes de calcul, périodes, étendue de l’échantillon..), autour d’une valeur médiane de 1,20 %. Selon une étude portant sur les seules saisies sanitaires (et uniquement saisie totale, en % du nombre d’animaux, le taux de saisie était de 0,73 % en poulet standard sur 255 lots (Lupo et al., 2007). Une étude sur 4 282 lots de poulets standards (Baéza et al., 2015) fait état d’un taux moyen de 1,36 %. On dispose par ailleurs de données statistiques étendues sur plusieurs années sur un taux de saisie moyen par bande. En poulet standard, la valeur moyenne oscille autour de 1% (Itavi, 2014). Il faut noter que le mode de calcul de ce taux est très variable selon les abattoirs : tantôt en poids, tantôt en nombre, tantôt à chaud, tantôt à froid. 3.2.4 Les pertes à l’abattoir et en 2ème et 3ème transformation La quantification s’appuie sur une feuille de calcul et des clés de répartition émanant d’études disponibles. L’étude de Somsen et al. (2004), à visée modélisatrice, s’est appuyée sur un schéma de préparation et de découpe industrielle standard pour parvenir à une composition moyenne présentée dans le Tableau 2, avec en particulier un rendement de carcasse de 69,56 %. Selon cette étude, en considérant comme consommables la carcasse éviscérée, les abats (cœur, foie, gésier) et le cou, un pourcentage total de 75,6 % du poids vif total peut trouver un débouché en consommation humaine, 70% en retirant les déchets de découpe non consommables (coffre, croupion) lorsqu’elle est découpée.

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Pour les calculs, une simplification a consisté à ne représenter qu’un stade pour l’inspection et le retrait sur la chaîne d’abattage, alors qu’ils se font à différents endroits, et que les pattes ne sont pas considérées comme consommables, leur mise à l’écart n’étant pas considérée comme une perte alimentaire. Les paramètres nécessaires pour l’estimation des pertes alimentaires sont (Figure 1) : le pourcentage de morts pendant le transport, le pourcentage de poulets incorrectement saignés, le pourcentage de poulets trop petits pour être transformés, le pourcentage de retraits classés en SPA C2 et C3, le % de cou et d’abats non valorisés en consommation humaine, le pourcentage de carcasses dirigés vers la découpe et le pourcentage de déchets de découpe non valorisés en 3ème transformation (viande séparée mécaniquement par exemple). Le modèle permet des estimations des pertes en fonction de différents paramètres à introduire dans le modèle comme représenté dans la Figure 2 selon les situations à caractériser. Tableau 2 : Distribution des poids des sous-parties à l’abattage de poulets Ross, abattus à un poids vif de 1,9 kg; Données adaptées de Somsen et al. (2004) Avant abattage % du poids vif Carcasse % du poids de carcasse Plumes + sang 7,38 Ailes 12,48 Tête 2,55 Peau de poitrine 3,98 Pattes 4,23 Lambeaux de découpe 0,83 Masse viscérale* 6,15 Filet 27,42 Graisse abdominale 1,59 Dos avant 6,61 Abats ** 4,36 Cuisses 36,59 Cou sans peau 1,67 Dos arrière 6,54 Peau de cou 0,87 Croupion 0,91 Divers 1,64 Coffre 4,64 Carcasse 69,56

*Tube digestif + poumons + reins **Cœur, foie, Gésier

Figure 1: Représentation simplifiée des étapes de la transformation où une quantification des proportions est nécessaire pour une estimation des pertes alimentaires du ramassage à la mise sur le marché. Dans le Tableau 3, les résultats de calculs de simulation sont proposés pour évaluer un ordre de grandeur des pertes alimentaires au terme des procédés de transformation. Une hypothèse de

 %

Accrochage

Poulets morts pendant le transport

Etourdissement, saignée, échaudage, plumaison

Inspection

Découpe du cou

Poulets retirés

Cous

Eviscération Poulets mal saignés ou trop petits

PERTES ALIMENTAIRES

Tri des carcasses

Découpe

MISE EN MARCHE

Transformation, emballage

Co-produits de découpe

Abats

Carcasses prêtes à

cuire

 %

 %

 %

 %

 %

 %

 % Découpe en barquettes

Etape où un ratio est nécessaire

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Pertes dans la filière poulet de chair

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référence a été construite sur les paramètres suivants : niveau global de retrait de 1,4 % des poulets (morts, trop petits, causes sanitaire ou technique), rejet de 30 % des co-produits7 (abats, cou, issus de découpe) et orientation de 60 % des carcasses vers la découpe. Leur estimation en % du poids vif indique donc pour cet exemple de référence des niveaux 7,9 % de pertes alimentaires, de 23,2 % d’autres sous-produits, et de 68,9 % de produits orientés vers l’alimentation humaine. Deux scénarios ont été parallèlement testés pour évaluer la sensibilité de ce modèle à deux facteurs de variations :

- Scénario 1 : Les pattes de poules sont considérées comme des co-produits, mais 50 % sont retirés en raison de pododermatites et donc considérés comme des pertes alimentaires.

- Scénario 2 : Ce n’est plus 60 % des carcasses qui sont découpées, mais seulement 40 %. Tableau 3: Exemple de simulation de calcul des pertes alimentaires pour une hypothèse de référence et de leurs variations relatives lors de 2 scénarios alternatifs (hypothèse abattage 1 545 000 T vif).

Hypothèse de référence* Distribution

Si 40 % de découpe Distribution

Si pattes valorisées** Distribution

en % x 1000 T en % x 1000 T en % x 1000 T Produits orientés vers l’alimentation humaine

68,9% 1063,7 70,4% 1086,9 70,9% 1095,9

Pertes alimentaires 7,9% 122,7 6,4% 99,5 10,0% 155,0

Autres sous-produits 23,2% 358,6 23,2% 358,6 19,0% 294,2

*Taux de retrait global de 1,4 %, taux de découpe des carcasses de 60 %, taux de des co-produits (abats, cou, issus de découpe) de 30 %. ** mais 50 % des pattes sont retirés pour cause de pododermatites et considérées comme pertes alimentaires.

Dans le Tableau 4, est présenté le bilan théorique en masse de la production de poulet de chair valorisée ou non en alimentation humaine avant la mise en marché. Au terme des chaînes de transformation, les produits stockés doivent trouver des marchés dans les 4 jours suivant leur conditionnement, pour espérer avoir encore une durée de vie suffisante en frais dans les magasins (de l’ordre de 8 jours). Passé ce délai, les produits doivent trouver un débouché alternatif, soit vers d’autres procédés de transformation (cuisson, plats cuisinés, conserves) redonnant une nouvelle durée de vie mais une perte de valeur marchande, soit d’être cédés à des organismes caritatifs, soit orientés vers l’alimentation des animaux de compagnie. Les volumes sont ici difficiles à connaître, chaque centre de production ayant ses propres pratiques et essayant de gérer au plus serré ses intérêts. En distribution, les GMS écoulent une majorité des volumes et leurs pratiques sont mieux connues que celles des autres formes de commercialisation. Les autres débouchés sont l’exportation, la restauration hors domicile et les petits détaillants. Les grandes et moyennes surfaces gèrent de façon assez serrée les dates de péremption. A l’approche des dates limites de consommation, certaines enseignes, ou certains magasins au sein de différentes enseignes pratiquent des promotions pour écouler cette marchandise. D’autres s’y refusent. Le choix reposerait essentiellement sur la sociologie de la zone de chalandise.

                                                                                                               7 Ce pourcentage ne repose sur aucune donnée d’enquête, mais est introduit pour donner un élément susceptible de varier en fonction du marché et des débouchés.

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Pertes dans la filière poulet de chair

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Tableau 4 : Bilan en masse de la production de poulet de chair valorisée ou non en alimentation humaine (estimation base 2014) avant mise en marché

Stade du cycle de production / valorisation

Part des volumes

produits (%)

Part des volumes

abattus (%) K t vif K tec

Nature des variations de masse

Taux des variations de masse (%) K t vif K tec

Consommation humaine

(K t) SPA C3

(K t) SPA C2

(K t)

Production indigène totale 100 1599 1119*

Importations vif 100,2 2 1,7 Vente en vif Exportation vif 96,5 56 39,1 Achat en vif

Transport + inspection a.m. 96,7 100 1545 (1) 1081,5 Mortalité + saisies 0,33 5,10 3,57 4,94 (3) 0,15 (3)

Abattage + inspection p.m. 96,3 99,7 1540 1077,9 Saisies + retraits 1,07 16,48 11,53 8,78 (3) 7,70 (3)

en % du poids vif

abattu (après saisie)

En K t de produit

Séparation du 5ème quartier et de la carcasse 95,3 98,6 1523

5ème quartier : part non consommable

23,2 (5) 358,6 358,6

5ème quartier : cous + abats

6,8 (5) 105,1

73,6 31,5 (4)

Carcasse 68,6 (5) 1059,7

Carcasses non découpées 40 (2) 423,9 Vente en carcasse 100 423,9

Découpe de la carcasse

60 (2)

635,8

Carcasse hors pièces nobles 23,5 (5) 149,5 80,0 69,6 (4)

Filet + cuisses + ailes 76,5 (5) 486 486

Total 1063,7 473,5 7,9 * Source : www.itavi.asso.fr/economie/conjoncture/NoteConjonctureChair.pdf (1) tonnage estimé arrivant aux abattoirs en France et servant de base au calcul (2) en % des carcasses obtenues en fin de ligne (hypothèse utilisée) (3) Volume consécutif à des pertes selon hypothèses de mortalité en transport et % de retraits ante et post mortem (4) Volume consécutif à des pertes alimentaires (hypothèse d’une perte de 30 % des ressources consommables sur le 5ème quartier consommable et découpe) (5) Hypothèses selon Somsen et al. (2004)

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Pertes dans la filière poulet de chair

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Les informations internes rassemblées par la Fédération du Commerce et de la Distribution pour le secteur des viandes feraient état de 5 à 6 % de « pertes », à partir de la mesure de la différence entre ce qui est vendu et ce qui est mis en rayon (et en dehors des effets de rendement, lorsque les viandes sont découpées sur place et qu’apparaissent des pertes liées à cette étape de transformation supplémentaire). Cet écart se ventilerait, sans connaître la place relative de chaque poste, entre des dons aux associations caritatives et des destructions (en plus des écarts limités liés à des erreurs de code barre ou de vol à l’étalage). Ces dons aux associations caritatives se font après signature d’un bon de sortie (avec transfert de propriété) vers des associations qui doivent être capables d’assurer une distribution rapide sous chaîne de froid. Leur nombre est donc limité. Le risque d’image, en cas d’intoxication alimentaire après le don, reste un risque que doit assurer l’enseigne qui, d’un autre côté, bénéficie de l’image de donateur qui est associé à cette démarche, et d’avantages fiscaux. Ce qui n’est pas acheminé vers des associations va vers la poubelle, pour les petites surfaces. Les grandes surfaces, en lien avec leur plus gros volume, peuvent bénéficier des services des sociétés d’équarrissage. Depuis l’instauration de l’obligation du tri des biodéchets pour les gros producteurs (loi 2010-788 du 12/7/10 (article 204), les distributeurs sont amenés à trier et à valoriser organiquement leurs invendus, s’ils ne peuvent pas pratiquer le don. La valorisation des produits vers les chaines de restauration internes à la marque (cafétéria..) ou le rayon traiteur serait très limitée, en raison des difficultés et des contraintes de gestion de ces activités. Ceux-ci ont, en effet, à programmer leur préparation de repas, et donc garantir leur approvisionnement, et servir des produits réalisés selon des recettes homogènes (et donc ne pas supporter des à-coups liés aux excédents des rayons). 3.3 Quantification et devenir des sous-produits résultants des pertes

alimentaires Le SIFCO, dans son rapport d’activité 2013, fait état d’une quantité de matières premières de catégorie C3 et alimentaire de 708 320 tonnes (718 500 T en 2012) traitée par ses adhérents en provenance du secteur de la volaille. Les indicateurs fournis pour les quantités des catégories C1 et C2 ne permettent pas la distinction entre espèces de provenance : destinées à la destruction, elles ne sont pas tracées. Les protéines animales transformées (PAT) en provenance du secteur de la volaille, pour un total 84 834 tonnes, sont dirigées à 99% vers l’alimentation d’animaux de compagnie. Il faudrait y ajouter les PAT de sang et les cretons (non différentiés par espèces) s’orientant principalement vers l’alimentation d’animaux de compagnie également et l’aquaculture. A noter que, en théorie, les PAT de volaille sont utilisables en aquaculture en France depuis janvier 2014. L’utilisation des graisses en provenance du secteur de la volaille (70 374 T en 2013) est plus diversifiée : 46 % en alimentation d’animaux de compagnie, 35 % autres animaux terrestres, 12 % en aquaculture. 4. Analyse du « manque à produire» au stade de la production En élevage, le manque à produire est constitué par la mortalité (morts et éliminés). Une estimation de la consommation alimentaire de ces oiseaux avant leur mort a été conduite pour en préciser le contexte économique de ce manque à produire. Pour estimer cette quantité d’aliment, il a été nécessaire de reconstituer d’abord une courbe de mortalité standard puis d’estimer, pour chaque stade de mortalité, l’aliment consommé. Une cinétique de mortalité entre le 1er et le 28ème jour d’élevage a été produite en 2010 à l’initiative du CIPC (Comité interprofessionnel du poulet classique et certifié) dans le cadre des travaux de transposition de la Directive 2007/43/CE relative au bien-être du poulet de chair. D’après les données de l’enquête ITAVI 2013 (réalisée auprès des Organisations de production), l’âge moyen à l’enlèvement des poulets de chair standard est de 36 j, pour une mortalité cumulée de 4,19 %.

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Pour modéliser approximativement la courbe de mortalité sur la totalité de la période d’élevage, il a donc été fait l’hypothèse que la cinétique de mortalité produite par le CIPC en 2010 (Le Potier, Communication personnelle) restait représentative de la mortalité de 1 à 28 j (soit 3,22 %) et que la mortalité en fin de période d’élevage correspondait au complément à la mortalité totale observée en 2013 d’après l’enquête ITAVI (soit 4,19 %). Une feuille de calcul a été élaborée pour calculer les pertes théoriques en aliments liées à la consommation des poulets antérieurement à leur mort pour chaque jour de la bande. Le résultat graphique de cette modélisation est présenté en Figure 2. La combinaison des données de consommation et de mortalité a conduit à estimer à près de 45 grammes la consommation d’aliment gaspillée par poulet vivant vendu dans ce contexte, soit une augmentation de l’indice de consommation théorique de 0,024 point pour les survivants, par rapport à une situation à 0 % de mortalité. Ce résultat reste très théorique. Cette estimation augmenterait naturellement avec une augmentation globale de la mortalité, ainsi qu’avec une augmentation de la proportion de la mortalité tardive. Par ailleurs, ce calcul ne tient pas compte de la fréquente sous-consommation des poulets malades avant leur mort.

 Figure 2 : Mortalité, croissance et consommation d’aliment : évolution en cours d’élevage

5. Incidence des modes de production sur les pertes alimentaires L’étude a été conduite sur l’hypothèse que la production de poulet de chair était équivalente à une production unique de poulet de chair standard. Il convient donc de relever, pour discuter de la validité de ce modèle, que les productions standards enregistrent des niveaux de mortalité supérieurs à ceux des productions sous signes officiels de qualité, ainsi en 2013 : 4,19 % en poulet standard versus 2,85 % en poulet label et 2,7 % en poulets certifiés (ITAVI, 2014). Ces niveaux de mortalité plus bas en élevage s’accompagnent de taux de retrait également plus bas en poulet à croissance lente : dans l’étude de Baéza et al. (2015), le taux total de retrait était de 1,36 % en poulets standards (n = 4282 lots) contre 0,49 % en poulets « plein-air » (n= 2449 lots). En 2013, l’enquête ITAVI (2014) indiquait respectivement des taux de retrait de 1,13% en poulet standard, 0,50 % en poulet label, 0,57 % en poulet certifié. Il doit donc en résulter des pertes alimentaires plus faibles sur des lots de poulets à croissance lente que sur des lots de poulets à croissance rapide. Un aspect technologique doit amplifier ce phénomène dans la mesure où le taux de découpe est également plus faible pour les productions sous signes de qualité, plus attachées à une utilisation plus

0  

0,5  

1  

1,5  

2  

2,5  

3  

3,5  

4  

4,5  

0   2   4   6   8  10  12  14  16  18  20  22  24  26  28  30  32  34  36  

Mortalité quotidienne (‰)

Mortalité cumulée (%)

Consommation cumulée (Kg)

Poids vif (Kg)

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Pertes dans la filière poulet de chair

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festive en carcasse, qu’en standard, majoritairement valorisés en découpe. Cela se traduit, au niveau de la consommation intérieure, par une part des achats en carcasse prête à cuire (PAC) de 78% sous signe Label, bio ou certifié, contre 22 % en standard et, inversement par une part des achats en découpe de 68 % issus de poulets standards versus 32 % issues de poulet label, bio ou certifiés. La part de la production Label soumise à la découpe était de 24 % en 2013 (données Synalaf, Protino, 2014). 6. Réduire les pertes alimentaires La difficulté d’appréhension des pertes alimentaires, telle qu’elle ressort de notre étude, rend hasardeux toute tentative de proposer des idées pertinentes pour essayer de les réduire. Techniquement, à l’échelle de la production et de l’abattoir, de meilleurs niveaux de santé (réduisant la mortalité et les lésions) et de bien-être des animaux en élevage (enlèvement et transport en particulier), iront dans le sens d’une réduction des pertes pour le secteur aval par une réduction des non-valeurs économiques, une baisse des taux de saisie totale ou partielle, ainsi qu’une réduction de l’hétérogénéité des poids de carcasses qui est particulièrement pénalisante quand les carcasses doivent être découpées. L’encadrement technique et sanitaire des élevages et de meilleures pratiques de ramassage et de transport doivent pouvoir prendre en charge cette problématique. Au rang des moyens techniques, la mise au point d’outils électroniques de pilotage ou d’alerte en élevage pourraient, comme dans d’autres productions, se développer pour un monitoring plus fin de la production. En abattoir et en 2ème et 3ème transformation, les industriels, par leurs stratégies commerciales, leurs innovations produits et leurs innovations technologiques, essaient de réduire le plus possible les pertes liées aux procédés de fabrication, qui sont technologiquement de plus en plus sophistiqués pour répondre à des cahiers des charges acheteurs de plus en plus précis et exigeants et garantir la sécurité sanitaire de leurs produits. Au plan réglementaire, la distinction est maintenant faite entre les farines animales (issues de produits C2) et les Protéines Animales Transformées exclusivement produites à partir de sous-produits provenant d’animaux propres à la consommation humaine (C3), et tracés quant à leur origine. Ceci ne suffira pas à convaincre à court terme les décideurs de remettre dans le circuit de l’alimentation des animaux de production ces PAT, produits de grande valeur nutritionnelle. En matière de manque à gagner, cette mise à l’écart ne concerne pas que la fraction C3 des pertes alimentaires, mais elle concerne aussi tous les autres sous-produits C3 de volailles que l’homme ne consomme pas (pattes, têtes, viscères..) et qui sont, pondéralement, beaucoup plus importants. Conclusions D’après cette étude, l’abattage et la transformation des poulets de chair permettraient de valoriser environ 70% du poids vifs des poulets français en différents produits consommables pour l’homme. Les pertes alimentaires sont principalement consécutives, d’une part, aux conditions de santé et de bien-être dans lesquels les animaux ont été élevés, puis chargés et transportés à l’abattoir et, d’autre part, aux mesures de maîtrise de la qualité et de la sécurité des aliments. Au stade de l’abattoir et de la transformation, l’estimation des pertes se heurte à la question de la définition des parties consommables. L’exemple des pattes de poulets généralement considérées comme des sous-produits, mais pouvant être consommées dans certains pays, a été abordée et montre que, selon le point de vue adopté, les estimations des pertes alimentaires peuvent varier sensiblement. Par rapport à une mise en marché de la carcasse entière, les opérations de découpe de la carcasse engendrent, à côté des pièces de découpe, d’une part des co-produits qui peuvent trouver certaines

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voies de valorisation (viande séparée mécaniquement) et, d’autre part, une quantité minimale incompressible de sous-produits. Les pertes alimentaires sont donc, à ce stade, reliées au pourcentage de découpe des carcasses. Les sous-produits de l’abattage de volailles sont très largement valorisés dans l’alimentation des animaux de compagnie et sont donc assimilés à des pertes. Les Protéines Animales Transformées non valorisées en alimentation des animaux de compagnie ne sont pas autorisées en alimentation des autres catégories d’animaux et constituent donc également des pertes. Seules les graisses peuvent être utilisées pour les animaux de production. Quel que soit le niveau technique de perte alimentaire le long de la chaîne de transformation, un volume supplémentaire peut venir s’y ajouter, en lien avec le taux d’invendus lors de la mise en marché et de la mise en rayon au détail, en fonction de la demande et de la gestion des dates de péremption. En raison de leur confidentialité, ces données ne sont malheureusement pas disponibles. Références bibliographiques Baéza E., Bourin M., Allain V., Roul H., Prigent J.P., Le Bouquin S., Magras C., 2015. Etat des lieux sur les défauts de la qualité des carcasses et de la viande de poulets. Proceedings des 11èmes Journées de la Recherche Avicole et Palmipèdes à Foie Gras, 1095 - 1103.

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De Turckheim A., Le Bouquin S, Donguy M.P., Magras C., 2013. Conception d’un référentiel de lésions national de lésions motivant un retrait en abattoir - exemple des pintades de chair. Proceedings des 10èmes Journées de la Recherche Avicole et Palmipèdes à Foie Gras, 420-423.

Dusanter A., Bouvarel I., Mirabito L., 2003. Enquête sur les conditions de ramassage et de transport des volailles prêtes à abattre en France. Science et Techniques Avicoles 43, 4-14.

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Lupo C., Chauvin C., Balaine L., Petetin I., Péraste J., Le Bouquin S., 2007. Saisie sanitaire lors de l’inspection des poulets de chair à l’abattoir : état des lieux dans le grand Ouest de la France. Recueil des communications des 7èmes Journées de la Recherche Avicole, Tours, 28-29 mars 2007, 501-504.

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Pertes dans la filière poulet de chair

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Cet article est publié sous la licence Creative Commons (CC BY-NC-ND 3.0)

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Pertes alimentaires dans la filière ponte d’œufs de consommation

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Résumé

La filière ponte génère un produit principal, l’œuf de consommation, ainsi qu’un coproduit économiquement secondaire mais disponible, la poule de réforme. Les profondes différences entre filières de valorisation de ces produits, de même qu’entre déterminants de leur consommation, ont conduit à deux études distinctes, présentées séparément. Peu de données quantitatives étant disponibles dans la littérature, il a été largement fait appel aux dires d’experts pour fixer des ordres de grandeur des pertes alimentaires, et ce pour les deux types de produits. La filière œuf de consommation limite assez efficacement les pertes, grâce notamment à la complémentarité entre marchés de l’œuf coquille et des ovoproduits, le second valorisant les œufs déclassés du premier, ainsi qu’à l’adéquation des ovoproduits aux besoins spécifiques des utilisateurs du fait de leur diversité. Dans le cas de la filière poule de réforme, les animaux disponibles « sur pied » sont encore majoritairement valorisés en alimentation humaine, mais cette valorisation reste largement tributaire de l’existence d’un marché export vers des pays en développement. Dans ces deux filières, et de façon convergente, un élément clé de la limitation des pertes alimentaires, selon notre définition, reste l’incorporation dans les aliments du bétail des coproduits actuellement valorisés par les animaux de compagnie via les « pet foods ».

Mots-clés: Ponte, Ouf, Ovoproduits, Poule de réforme

Abstract: Food loss in the egg supply chain

The egg supply chain engenders one main product, eggs for consumption, as well as a byproduct, spent hens, that is economically much less important. Supply chains for both products and determinants for their consumption are different to such an extent that food loss has been analysed and presented distinctly in this paper. Since quantitative data in the literature is scarce, expert estimates were used to set an order of magnitude of food loss for both products. In the egg supply chain, loss is limited quite efficiently, due to the complementary features of markets for eggs and egg products. Manufacturing of egg products actually makes use of outsorted eggs and responds by a wide range of products to the specific needs of users. In the spent hens supply chain, the birds are still being predominantly used for food, because of important export markets in developing countries. For eggs and hens, one key item for limiting food loss, according to our definition, would be the incorporation of byproducts, currently used for pet food, into feed for farm animals.

Keywords: Laying, Egg, Egg products, Spent hens

Introduction

La filière ponte est très spécialisée. Les poules pondeuses d’œufs de consommation sont sélectionnées sur leur seule aptitude à pondre, ce qui conduit à la production de +/- 300 œufs (dépendant du système de production) au cours de leur premier et unique cycle de production. A l’issue de celui-ci, soit à un âge de +/- 500 j (dépendant également du système de production), les poules encore présentes sont réformées collectivement pour permettre la mise en place d’un nouveau lot de poulettes prêtes à

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pondre, après les opérations de nettoyage, désinfection et vide sanitaire du bâtiment. Ainsi, chaque poule génère au cours d’un unique cycle de ponte une masse d’œufs de l’ordre de 18 kg, à mettre en regard avec une carcasse valorisable de l’ordre de 1,1 kg seulement et de moindre qualité que celles des poulets de chair sélectionnés pour leur aptitude musculaire et abattus à un âge autrement plus précoce (de l’ordre de 40 j dans le cas du poulet standard). Cette différence à la fois quantitative et qualitative entre un produit principal, l’œuf, et un coproduit secondaire, la poule de réforme, nous a conduits à traiter séparément des pertes alimentaires relatives à ces deux productions de la filière ponte d’œufs de consommation.

Ce choix se justifie également par le fait que la filière de production d’œufs à couver (OAC) contribue elle aussi à la production de reproducteurs de réforme valorisés en alimentation humaine, et ce de manière non différenciée par rapport à ceux issus de la filière de production d’œufs de consommation. Ainsi, bien que ces deux filières soient totalement distinctes, elles seront considérées conjointement au niveau de leur coproduit commun. Par ailleurs, la filière OAC génère d’importants volumes d’œufs impropres à la consommation humaine (ICH) mais néanmoins valorisés par d’autres voies, conjointement avec la fraction d’œufs ou coproduits d’œufs ICH générée par la filière œuf de consommation.

Partie A - Œuf de consommation

A1. Volumes d’œufs produits et modalités d’utilisation

A1.1 Volumes produits et degré d’autosuffisance

En 2013, la production française d’œufs de consommation s’est établie à 14,6 milliards d’œufs, soit 890 000 teoc (tonnes équivalent œuf coquille) sur la base de 16,4 œufs / kg (Magdelaine et Riffard, 2015). Le bilan des échanges d’œufs en coquilles (teoc) et d’ovoproduits (exprimés en équivalent teoc) était revenu à l’équilibre, soit - 0,2 % des quantités produites (ITAVI 2014). Aussi, bien que les volumes exportés et importés soient significatifs (13,1 et 13,3 % respectivement), les échanges n’ont pas été considérés dans les bilans de matières ultérieurs du fait de la compensation observée.

A1.2 Modes de valorisation

En 2013, les œufs étaient encore majoritairement consommés sous la forme d’œuf coquille, soit 40 à 45 % par les ménages, 15 % dans la restauration et 6 % au titre de l’autoconsommation (Magdelaine et Riffard, 2015). Cependant, au cours de la dernière décennie, la part des ovoproduits s’est beaucoup accrue. De nombreux produits sont élaborés, en combinant composition (entier / blanc / jaune), mode de traitement (liquide / congelé / concentré / séché / cuit…) et forme de conditionnement (grands volumes pour les IAA / petits volumes pour grossistes et RHD). Du fait de cette diversité, et malgré l’utilisation de facteurs de conversion en tonnes équivalent liquide (TEL), les quantités d’œufs ainsi transformés sont parfois difficiles à estimer. Une reconstitution par enquête (Riffard et al., 2011) a toutefois montré qu’en 2009, dans le cas de la France, premier producteur de l’UE à 27, cette part était voisine de 40 %, et qu’au niveau européen, la fraction d’œufs transformés en ovoproduits se répartissait entre 85 % d’usages dans les industries agro-alimentaires (IAA) et 15 % en restauration collective (RHD). En 2013, d’après l’enquête Prodcom du SSP, un total des 300560 TEL d’ovoproduits ont été élaborés en France. Sur la base de 1,17 teoc par TEL, ce sont donc 352 000 teoc, soit 40 % du total commercialisé, qui sont valorisés en ovoproduits.

A1.3 Complémentarité entre les segments de l’œuf en coquille et des ovoproduits

La filière de production d’œufs de consommation alimente donc i) un marché d’œufs en coquille directement destinés au consommateur et qui opère par la vente au détail, et ii) un marché des ovoproduits dont les clients sont les industriels de l’agroalimentaire et la restauration collective. Ces

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deux marchés peuvent être considérés comme complémentaires : le marché des ovoproduits absorbe notamment (mais non exclusivement) la totalité des œufs peu sales, fêlés et hors calibre, permettant ainsi de limiter au maximum les pertes (Figure 1).

Figure 1 : Complémentarité du marché des œufs en coquille et des ovoproduits

ICH = impropres à la consommation humaine ; Rebut = incorporation de fait à la litière ; C2 = déclassement vers l’équarrissage, avec possibilité de valorisation optimale en fertilisation ; C3 = traitement par entreprise spécialisée, avec valorisation en alimentation animale.

Toutefois, compte tenu des volumes requis, une part importante d’œufs tout venants est également utilisée. En outre, une fraction minoritaire mais croissante d’élevages de ponte dédiés à la production d’ovoproduits alimentent désormais directement des casseries. Son ordre de grandeur n’est pas connu, mais il est au minimum supérieur à la proportion de poules à œufs blancs, soit 4,9 % (ITAVI 2013), car les œufs blancs ne sont pas consommés en coquille en France. Dans ce type de situation encore minoritaire, les œufs sont expédiés directement de la ferme de ponte vers la casserie, sans transit par un centre de conditionnement

A2. Méthodologie

A2.1 Périmètre de l’étude et définition des pertes alimentaires

Formellement, la filière inclue la totalité des œufs de consommation quelle que soit l’espèce productrice, mais en pratique, dans les conditions françaises, elle se confond pratiquement avec la production d’œufs de poule (Gallus gallus), celle issue de cailles pondeuses restant anecdotique. Seule la première a donc été considérée dans l’étude, et pour la seule production commerciale. On notera

Elevage

(tri visuel)

Centre de conditionnement (tri / mirage / calibrage)

Casserie

(tri)

Œufs non conformes (ICH)

œufs déclassés dont :

◦ cassés / trop sales

---> C2 (ou rebut)

◦ difformes / fêlés / peu sales

(alvéoles spéciales) ---> X

---> X (tri)

œufs non déclassés

---> X (mirage) dont :

◦ œufs cassés sur site (tri)

---> C2 (ou C3)

◦ œufs fêlés (mirage)

---> X (tri)

◦ poids extrêmes (calibrage)

---> X (tri)

◦ catégorie A (conditionnement)

œufs cassés ---> C3 (ou C2)

œufs conformes

ŒUFS DE CONSOMMATION

OVOPRODUITS C2 / C3 / rebut

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cependant que par contraste avec les autres filières animales, l’autoconsommation, bien que mal documentée, demeure significative, puisqu’elle a été estimée à 6 % (Magdelaine et Riffard, 2015).

Conformément au cadre méthodologique adopté pour l’ensemble de l’étude INRA (Redlingshöfer, 2015), les différents usages des produits et coproduits issus des œufs ont été répartis en deux grandes catégories, elles-mêmes ventilées en sous-catégories qualifiées et dans la mesure du possible quantifiées, au moins à dires d’experts :

­ La fraction valorisée en alimentation humaine i) soit directement, ii) soit au travers d’un recyclage via l’aliment du bétail de coproduits classés en C3 ;

­ La fraction correspondant à des usages non alimentaires, donc à des pertes, soit, par niveau de valorisation décroissant : i) l’utilisation par les industries non alimentaires (pharmacie, cosmétiques…), ii) l’alimentation des animaux de compagnie à partir de coproduits classés en C3, iii) la fertilisation à partir de coproduits déclassés en C2, iv) les rejets.

A2.2 Sources d’information

Le stade de la production est bien documenté, en particulier grâce à l’enquête annuelle réalisée par l’institut technique de l’aviculture (ITAVI) auprès des organisations de production, laquelle permet de disposer de séries chronologiques quantifiant les performances techniques et économiques en élevage de pondeuses selon le système d’élevage, avec une forte représentativité de l’échantillon enquêté (soit 1/3 des effectifs en production).

Il n’en va pas de même aux stades du conditionnement et de la transformation des œufs, pour lesquels peu de bibliographie blanche ou grise est disponible. Des entretiens téléphoniques ont donc été conduits pour recueillir à dire d’expert des informations qualitatives et si possible quantitatives auprès i) des organisations professionnelles représentatives des différents segments de la filière : Comité National pour la Promotion de l'Œuf (CNPO) et Syndicat National des Industriels et Professionnels de l’Œuf (SNIPO) ainsi que ii) d’opérateurs spécialisés dans les produits d’œuf (Liot SAS) ou la valorisation des œufs ICH (Valoroeuf SAS).

Aucune donnée quantitative n’a pu être recueillie aux stades de la distribution et de la restauration hors domicile.

A3. Caractérisation et quantification des pertes aux différents maillons de la filière

A3.1 De la ponte à la sortie de l’élevage

Le pourcentage d’œufs déclassés est de l’ordre de 5 % et varie relativement peu, en moyenne, en fonction du système d’élevage (ITAVI, 2013). Par contre, intra-système, en particulier pour les systèmes alternatifs, les écarts sont considérables entre élevages à niveaux de performances extrêmes (Tableau A1). Une importante marge de progrès apparait donc possible à ce niveau.

Pour autant, le déclassement ne correspond pas forcément (ou intégralement) à une perte de produit alimentaire. Comme indiqué précédemment, le pourcentage de déclassement recouvre en fait :

­ Les œufs cassés ou trop sales, classés impropres à la consommation humaine (ICH) et destinés à l’équarrissage suite à déclassement en catégorie C2 (ou incorporés à la litière en cas de très faibles volumes) ;

­ Les œufs difformes (généralement à double jaunes), fêlés (i.e. dont la membrane coquillère est restée intacte) ou peu sales, susceptibles d’entrer dans la chaine alimentaire mais uniquement sous la forme d’ovoproduits. Ils font l’objet d’un conditionnement en alvéoles spécifiques

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permettant leur repérage au niveau du centre de conditionnement, lequel servira uniquement de site de transit avant réexpédition à une casserie.

Tableau A1: Pourcentage d’œufs déclassés selon le système d’élevage (d’après ITAVI, 2013)

Système d’élevage (données 2012)

Pourcentage d’œufs déclassés (%)

Ecarts entre élevages intra-système (%)

Cages aménagées 5,48 0,75 à 7

Systèmes alternatifs

Plein-air* 4,18 2,2 à 14,2

Biologique 4,38 2,3 à 11,36

Sol (volière) N.D. N.D.

Label Rouge 5,44 2,3 à 10,88

*Echantillon enquêté peu représentatif (10% des effectifs totaux)

La part des œufs ICH par rapport au total des œufs collectés puis déclassés en élevage ne fait l’objet d’aucun suivi par enquête, mais elle serait très minoritaire par rapport à celle des œufs à réexpédier en casserie (CNPO, communication personnelle). Par la suite, en l’absence de données précises, la part d’œufs ICH au niveau des élevages (i.e. déclassés comme tels ou assimilés) a été supposée de l’ordre de 0,5 % des œufs pondus.

A3.2 Du départ de l’élevage à la sortie du centre de conditionnement

Comme indiqué précédemment, les œufs déclassés en élevage sont réexpédiés directement en casserie par les centres de conditionnement.

Les œufs non déclassés font l’objet d’opérations de tri, de mirage et de calibrage à leur arrivée en centre de conditionnement :

­ Les œufs cassés durant les processus de tri ou de conditionnement sont destinés à l’équarrissage suite à déclassement en catégorie C2 et donc mal valorisés (fertilisation), sauf dans quelques grands centres de conditionnement spécifiquement équipés pour récupération de la « coule », i.e. du contenu liquide de l’œuf, en vue d’une valorisation en catégorie C3 à destination de l’alimentation animale. Le bris des œufs en centre de conditionnement, plus fréquent sur les œufs de fin de cycle de ponte, plus gros et plus fragiles, conduit donc généralement à une perte de produit alimentaire. Selon Nau et Pousset (2010), la part d’œufs déclassés en ICH serait de l’ordre de 2 à 2,5 % du total des œufs collectés, la grande majorité des déclassements intervenant dans les centres de conditionnement (Pousset, communication personnelle).

­ Les œufs détectés comme fêlés suite au mirage sont expédiés en casserie pour valorisation exclusive sous forme d’ovoproduits.

­ Les poids détectés comme extrêmes après calibrage, soit < 43 g ou > 73 g, sont écartés de la vente en coquille sauf rares marchés spécifiques à approvisionner (dans le cas des œufs très gros). Ces œufs hors calibre sont donc expédiés en casserie, non pour des raisons de sécurité sanitaire comme dans le cas précédent mais pour respecter la gamme de calibres familière aux consommateurs.

­ Les œufs satisfaisant à l’ensemble des critères d’intégrité et de calibre sont conditionnés en Catégorie A et selon trois classes de calibres (petits / moyens / gros) pour mise en marché en œuf coquille. La date de consommation recommandée (DCR) est imprimée sur chacun des œufs.

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A3.3 Cas des œufs en coquille : de la sortie du centre de conditionnement à la distribution ou à l’utilisation

A3.3.1 Pertes à la distribution : cas de la vente au consommateur

Les œufs ne sont plus commercialisables au-delà de 21 jours après la date de ponte, le délai entre celle-ci et la DCR étant de 28 jours. La proportion d’œufs en coquilles retirés au stade de la distribution n’est pas connue. Elle donne parfois lieu à des dons alimentaires, mais pas à une valorisation sous forme d’ovoproduits (SNIPO, communication personnelle), les quantités étant insuffisantes au niveau de chaque point de vente. Le taux de rotation des œufs en coquille dans les grandes et moyennes surfaces est d’ailleurs un des plus rapides parmi les produits frais, puisqu’elles sont approvisionnées entre 2 et 5 fois par semaine (CNPO, communication personnelle).

A3.3.2 Pertes à l’utilisation : cas de la restauration

La seule étude disponible concerne les pourcentages d’aliments jetés dans les cantines suisses par catégorie d’aliments (Beretta et al., 2012). Elle les répartit, selon la classification de Quested et Johnson (2009), entre :

­ Gaspillages inévitables, i.e. denrées issues de la préparation de la nourriture qui ne sont pas consommables dans des circonstances normales, comme les os, les coquilles d’œufs...

­ Gaspillages potentiellement évitables, i.e. denrées que certaines personnes mangent et d’autres non, comme la croûte de pain, les peaux de fruits et légumes…

­ Gaspillages évitables, i.e. denrées alimentaires qui étaient consommables à un moment donné mais qui ont été jetées.

Dans le cas des œufs, ces pourcentages sont de 29,0 % pour les gaspillages inévitables et de 7,2 % pour la somme des deux autres types de gaspillages (répartis pour moitié environ entre déchets de cuisine et d’assiette). La présence même d’une catégorie « gaspillages inévitables » suggère qu’il s’agit d’œufs en coquille. Pour autant, le pourcentage rapporté dans cette étude apparait peu cohérent avec la part de coquille et de jus de coquille résiduel qui est de l’ordre de 12 % seulement, ce qu i suggère que la fraction dite inévitable a été surestimée. En comparaison, le gaspillage correspondant aux seuls déchets de cuisine, donc à la préparation stricto sensu, reste minime, soit 3,9 %.

A3.4 Cas des ovoproduits : de la sortie du centre de conditionnement à la transformation

Comme indiqué précédemment, les œufs provenant des centres de conditionnement (ou le cas échéant d’élevages de ponte dédiés) font l’objet d’un tri à leur arrivée en casserie. Bien que les volumes concernés soient faibles (Pousset, communication personnelle), les œufs cassés, déclassés en ICH, sont généralement valorisés en alimentation animale par l’intermédiaire d’une entreprise spécialisée, les casseries étant déjà à même de le faire pour un autre type de coproduit de catégorie C3 (voir infra : extraction des « jus de coquille »). Il en va de même des autres rebuts de casserie liés à des accidents de production : produits non conformes, dégradés, à DLC dépassée, retours clients…

Pour les œufs conformes, le schéma de production / transformation des ovoproduits est représenté à la Figure 2 (Nau et Pousset, 2010).

La répartition des composants de l’œuf coquille au stade de la casse des œufs est la suivante :

­ 12 % de coquilles non séchées, incluant 10 % de coquilles stricto sensu et 2 % en moyenne de « jus de coquille » correspondant à de l’albumen résiduel ;

­ 88 % de « coule » i.e. le contenu de l’œuf frais, avec blanc et jaune.

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A3.4.1 Traitement des coquilles et du blanc d’œuf résiduel

Cette fraction correspond à la partie non consommable (coquille) ou non récupérable (jus de coquille) de l’œuf.

­ Le taux de « jus de coquille » ou « jus de vis » dépend de la qualité du procédé de casse utilisé et varie de 1,5 à 2,5 % selon les cas (SNIPO, communication personnelle). Ce jus est extrait par pressage afin de procéder à un premier assèchement des coquilles. Dans la majorité des cas, il sera valorisé en catégorie C3 à destination de l’alimentation animale par l’intermédiaire d’une entreprise spécialisée. A défaut, il est mis à l’équarrissage suite à déclassement en catégorie C2.

­ Les coquilles sont ensuite séchées par un procédé spécifique pour éviter les fermentations ultérieures, ce qui permettra de les utiliser comme amendements.

A3.4.2 Élaboration et devenir des ovoproduits

La « coule » est valorisée de diverses manières en combinant :

­ La composition de l’ovoproduit selon les constituants de l’œuf : en 2013, et quelle que soit la forme de conservation, les ovoproduits à base d’œufs entiers restaient majoritaires avec 67 % du total exprimé en tonnes équivalent liquide (TEL) contre 23 % et 10 % pour ceux à base de blanc et de jaune respectivement (SSP, 2014) ;

­ La forme de conservation : en 2013, quelle que soit la composition, les ovoproduits liquides (pasteurisés) restaient majoritaires avec 64 % du total exprimé en TEL contre 28 % et 8 % pour les ovoproduits séchés ou autres (congelés, concentrés ou cuits) respectivement (SSP, 2014).

On peut noter que la mise à disposition d’ingrédients séparés (blanc vs. jaune) selon des volumes et des conditionnements adaptés aux besoins contribue à limiter les pertes alimentaires au niveau des collectivités (RHD), certaines recettes n’utilisant que l’un des deux constituants de l’œuf.

Figure 2 : Schéma de production et

de transformation des ovoproduits

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De manière générale, l’élaboration des ovoproduits génère des pertes de matière liées au nettoyage des installations : elles sont évaluées via la DBO des eaux de lavage et seraient de l’ordre de 3 % (SNIPO, communication personnelle), ce total incluant les pertes générées tant au stade de la casse des œufs que du traitement ultérieur de leur contenu liquide.

Ainsi, dès lors qu’elle est exprimée en tonnes équivalent liquide (TEL) pour tenir compte des disparités de formes de conservation (liquide, concentré, séché), 85,5 % environ (soit 88 % x 97 %) de la masse d’œufs arrivés en casserie en coquilles se retrouve transformée en ovoproduits de diverses formes, après déduction de la partie non consommable (coquille) et des pertes difficilement compressibles (jus de coquille et lavage). Le facteur de conversion utilisé classiquement dans les bilans de matières, soit 1,17 teoc / TEL, correspond de fait à l’inverse de ce rendement de transformation soit 1 / (0,88 x 0,97).

Formellement, l’intégralité de ces ovoproduits n’est pas consommée par l’homme dans la mesure où l’extraction par cracking de protéines spécifiques à partir du blanc (lysozyme, avidine, ovotransferrine…) ou du jaune (lécithines…) offre des débouchés en industrie non alimentaire, pharmacolog ie et cosmétique notamment. Toutefois, parmi celles-ci, deux seulement sont extraites à une échelle industrielle :

­ Les lécithines, dont l’extraction est réalisée hors Europe, sont presque exclusivement utilisées comme additif en industrie alimentaire (E322). Elles sont listées comme antioxydant et émulsifiant, avec des usages marginaux en cosmétique, pharmaceutique…

­ Le lysozyme, extrait notamment en France, reste majoritairement utilisé en industrie alimentaire (E1105). Il est listé comme agent de conservation du fait de ses propriétés antibactériennes. De ce fait, il donne également lieu à des usages pharmaceutiques et cosmétiques, mais la proportion relative de ceux-ci n’est pas quantifiée.

In fine, l’extraction du lysozyme apparait comme la principale cause de retrait de la consommation d’une fraction des ovoproduits. Pour autant, les procédés mis en œuvre pour réaliser cette extraction permettent le retour du blanc d’œuf « délysozymé » dans la chaîne alimentaire. Le prélèvement net, incluant la production de lysozyme purifié ainsi que les pertes dues aux impuretés présentes dans la pâte de lysozyme non purifiée de même qu’à la concentration ultérieure du blanc, est de l’ordre de 2,5 % des volumes traités. Ainsi, pour une production nationale annuelle de l’ordre de 60 à 80 t d’équivalent MS de lysozyme purifié, le retrait net est de l’ordre de 70 à 95 t de MS (SAS Liot, communication personnelle). Ramenée en TEL (x 8,6 pour le blanc), il ne représente que 700 TEL, dont une part majoritaire retourne par ailleurs à l’industrie alimentaire. Ce retrait peut donc être considéré comme une limite largement supérieure des usages industriels non alimentaires des ovoproduits, lesquels se révèlent très marginaux.

A3.5 Bilan récapitulatif partiel des fractions consommées ou écartées de la consommation

Un bilan quantitatif est présenté au Tableau A2. Il a pour point de départ les volumes d’œufs de consommation correspondant à la production commerciale et il détaille leur ventilation progressive en différents constituants au long de la chaîne alimentaire (cf. « Nature des variations de masse ») en précisant leur répartition entre les usages alimentaires et non alimentaires (cf. « Répartition des variations de masse par destination »).

Ce bilan comporte plusieurs limites :

­ D’une part, il se cantonne à une partie des segments de la chaîne alimentaire, depuis le tri des œufs en élevage jusqu’à i) la sortie des centres de conditionnement dans le cas des œufs commercialisés en coquilles, les pertes à la distribution et en restauration collective n’étant pas quantifiées ; ii) la mise à disposition des utilisateurs industriels et de la RHD dans le cas des ovoproduits, le devenir de ceux-ci n’étant pas connu.

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­ D’autre part, la répartition des variations de masse est exprimée en K t de produits bruts, incluant i) une fraction consommable par l’homme ou le cas échéant l’animal, i.e. le contenu d’œuf ; ii) une fraction non consommable, i.e. la coquille. Or, en toute rigueur, les pertes alimentaires devraient être exprimées sur la base de la seule fraction consommable.

Toutefois, dans le cas particulier de l’œuf pour lequel ces proportions sont connues à priori, et pour les seuls segments de la chaîne alimentaire récapitulés au Tableau A2, les taux de pertes « vraies » peuvent néanmoins être approchés sur la base de la grille de conversion ci-après :

Type de produit Fraction consommable (%)

Ovoproduits 100

Jus de coquille 100

Œuf entier* 90

Coquilles séchées 0

* en considérant que les 2 % d’albumen résiduel attaché à la coquille suite à la casse des œufs sont extractibles par des moyens spécifiques

Appliquée à la répartition en K t brutes des différents usages des œufs et produits d’œufs figurant au Tableau A2, cette grille permet de déterminer la répartition de ces mêmes usages exprimée en produits consommables exclusivement, et partant, l’importance relative de ces usages rapportée à la production totale consommable (Tableau A3) :

Tableau A3 : Importance relative des différents « usages » des œufs et produits d’œufs pour la seule fraction consommable (en K t* et en % rapportés à la production)

Production

d’œufs

Répartition des « usages »

Consommation humaine

Industrie non alimentaire

Valorisé en C3

Valorisé en C2

Rebut

en K t* 805,1 768,8 P.M. 7,0 20,1 9,2

en % de la production

100,0 95,5 P.M. 0,9 2,5 1,1

*Tonnes Equivalent Liquide (TEL) pour les ovoproduits et jus de coquille

­ Enfin, s’agissant de la fraction de coproduits de catégorie C3 valorisés en alimentation animale, une difficulté d’affectation ou non aux pertes alimentaires demeure puisque la catégorie d’animaux utilisateurs n’est pas déterminée a priori. Toutefois, à ce jour, les ovoproduits issus de coproduits C3 restent très majoritairement consommés par les animaux de compagnie, quelle que soit la filière de provenance des coproduits, œufs de consommation ou œufs issus de couvoirs (Valoroeuf SAS, communication personnelle).

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Tableau A2 : Bilan en masse de la production commerciale d’œufs de consommation valorisés ou non en alimentation humaine (données 2013)

Stade du cycle de production / valorisation

Part des volumes produits (%)

Part des volumes valorisés (%)

K t d'œuf coquille (ou de contenu)

Nature des variations de masse

Ampleur des variations Répartition des variations de masse par destination (K t brutes*)

% du poids œuf coquille

K t œuf coquille

Consomm. humaine (1)

Industrie non alimentaire

Valorisé en C3

Valorisé en C2

Rebut

Tri en élevage 100 894,5 Œufs classés ICH 0,5 4,5 4,5 (2)

Echanges non considérés (3) Solde nul

Mirage / tri en centre de conditionnement et casserie (= production commerciale)

99,5 890 Œufs classés ICH 2 17,8 17,8 (4)

Œufs aptes à la consommation humaine

97,5 100 872,2

Classement Catégorie A et conditionnement

58,5 60 environ 523,3 Vente en coquilles 100 523,3

% du poids produit brut

K t produit brut*

Cassage des œufs en casserie

39,0 40 environ 348,9

Coquille 10 34,9 34,9

Jus de coquille 2 7,0 7,0 (5)

« Coule » (6) 88 307,0

Elaboration des ovoproduits en casserie (307,0)

Pertes au nettoyage

3 9,2 9,2

Ovoproduits 97 297,8

Valorisation des ovoproduits

(297,8)

Industrie non alimentaire

<< 0,25 << 0,7 << 0,7

Usages alimentaires

≈ 100 ≈ 297,8 ≈ 297,8

TOTAL 821,1 P.M. 7,0 57,2 9,2

K = milliers ; teoc = tonnes équivalent œuf coquille ; C3 = valorisable en alimentation animale (dont pet foods) ; C2 = valorisable en fertilisation ; ICH = impropre à la consommation humaine

* Ovoproduits quantifiés en K t d’équivalent liquide (K TEL) quelle que soit leur teneur en matière sèche

(1) dans les limites de la partie effectivement consommable du produit commercialisé ; cette proportion s’accroit avec le niveau de transformation (œuf coquille < ovoproduit) ; (2) Valorisation majoritaire en C2 avec solde au rebut ; (3) solde des échanges en matières quasi équilibré (- 0,2 %) donc non considéré malgré l’existence de flux d’exportation (13,1 %) et d’importation (13,3 %) significatifs mais de même ampleur ; (4) valorisation majoritaire en C2 avec solde en C3 ; (5) Valorisation majoritaire en C3 avec solde en C2 ; (6) jaune + blanc extractible de la coquille.

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Pertes dans la filière Oeufs

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A4. Analyse des manques à produire en poulailler de ponte

Le mode de logement influence en partie le nombre moyen d’œufs pondus par jour de présence en poulailler de ponte (exprimé en % par le taux de ponte). L’enquête annuelle de l’ITAVI montre qu’il est plus élevé de 3 points environ en système conventionnel (cages aménagées) qu’en systèmes alternatifs avec accès au sol (volière) et éventuellement au plein-air (plein-air, biologique et label rouge). Le manque à produire est donc de 3 % environ (10 à 11 œufs pour une durée de ponte minimale de 355 j) à type génétique et alimentation généralement identiques (bio excepté). Une faible partie de ces écarts s’explique par les différences de taux de mortalité en cours de ponte, plus élevé d’environ 3-4 points en systèmes alternatifs par rapport au système conventionnel. L’hypothèse peut également être faite qu’en système alternatif, avec accès systématique des poules au sol, une petite fraction des œufs reste dans la litière et n’est pas décomptée parmi les œufs pondus. Ces données sont récapitulées dans le Tableau A4 (ITAVI, 2013).

Tableau A4 : Taux de ponte et de mortalité en ponte selon le système d’élevage (d’après ITAVI 2013)

Système d’élevage (données 2012) Part du cheptel (%)

Taux de ponte (%)

Mortalité en ponte (%)

Cages aménagées 69,1 84,3 4,62

Systèmes alternatifs

Plein-air* 13,1 79,8 10,11

Biologique 7,3 80,9 7,91

Sol (volière) 6,1 81,4 8,41

Label Rouge 4,4 80,9 7,83

*Echantillon enquêté peu représentatif (10% des effectifs totaux)

A5. Leviers d’action pour la réduction et la valorisation des pertes alimentaires et questions à la recherche

Peu de leviers sont disponibles pour réduire les pertes alimentaires en filière œuf de consommation :

­ Des pertes non quantifiées mais probablement limitées interviennent au niveau du commerce de détail du fait de l’obligation de retirer de la vente les œufs en coquille au-delà de 21 j après ponte (la DCR étant de 28 j). La seule voie de réduction des pertes réside dans la généralisation des dons alimentaires puisque les volumes insuffisants au niveau de chaque point de vente ne se prêtent pas à une réutilisation systématique par transformation en ovoproduits.

­ Plus marginalement, une réduction des pertes pourrait être obtenue au niveau des casseries. L’adoption des casseuses les plus performantes parmi celles disponibles se traduirait en effet par un différentiel modeste (<< 1 point) du pourcentage de « jus de vis » impropre à la consommation humaine au profit de la « coule » transformée en ovoproduits.

Des leviers plus significatifs existent, par contre, pour améliorer la valorisation des œufs et produits d’œufs devenus impropres à la consommation humaine :

­ L’œuf reste un produit fragile et des volumes significatifs sont cassés accidentellement au fil de la chaîne alimentaire, en particulier en centres de conditionnement. Faute d’équipements appropriés (pour centrifugation de ces œufs puis stockage au froid de leur contenu liquide), ces coproduits sont en effet majoritairement déclassés en catégorie C2, alors qu’ils sont potentiellement valorisables en catégorie C3 à destination de l’alimentation animale. Les solutions techniques existent, mais elles se heurtent à des contraintes économiques du fait des coûts d’investissement et de fonctionnement à mettre en regard du prix d’enlèvement du produit par une entreprise de transformation spécialisée, qui est lui-même contraint par les coûts de transport et la valeur marchande du produit transformé obtenu.

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B. Coudurier

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­ Le dernier levier, formellement le plus important en termes d’affectation ou non aux pertes alimentaires des coproduits issus de l’œuf, concerne la catégorie d’aliments dans lesquels ceux-ci sont incorporés. A ce jour, il s’agit encore très majoritairement de pet foods. L’adoption de ce type d’ingrédient par l’industrie de l’aliment du bétail permettrait donc un recyclage significatif à destination de l’alimentation humaine. Les tonnages concernés restent certes assez modestes rapportés à ceux de l’aliment du bétail fabriqué en France (hors aliments d’allaitement), mais leur ordre de grandeur est néanmoins voisin de celui des coproduits laitiers qui s’y trouvent incorporés.

Ces différents leviers soulèvent peu de questions de recherche, du moins au niveau académique. Plus globalement, la réalisation d’un état des lieux et d’une quantification plus précis des pertes aux différents stades de la filière serait utile pour valider les premières investigations réalisées dans le cadre de l’étude INRA.

A6. Conclusions et perspectives

En résumé, la filière œuf de consommation se révèle assez efficace en termes de maîtrise des pertes alimentaires :

1) 60 % des quantités produites sont destinées à la consommation en œuf coquille et 40 % à la transformation en ovoproduits. Ces deux marchés sont complémentaires : le segment des ovoproduits absorbe la totalité des œufs inaptes à la commercialisation en coquille (peu sales, fêlés et hors calibre) mais néanmoins valorisables en alimentation humaine après transformation, ce qui limite les pertes au maximum.

2) Jusqu’aux stades du conditionnement et de l’expédition des œufs en coquille ou de la mise à disposition des ovoproduits à leurs utilisateurs, les pertes « vraies » (i.e. sans considérer la fraction de coquille, non consommable) restent limitées, soit 4,5 % environ de la fraction consommable de la production totale d’œufs. Par contre, les coproduits constitutifs de ces pertes sont sous-valorisés par rapport à leur valeur potentielle comme ingrédient d’aliment du bétail.

3) Les pertes au stade de la distribution des œufs en coquille ne sont pas quantifiées mais peuvent être présumées modestes. Le don alimentaire est pratiqué mais son ampleur n’est pas connue.

4) Les ovoproduits apparaissent bien adaptés à la limitation des pertes alimentaires du fait de la variété :

­ De leur composition (entier, blanc, jaune), certains usages ne requérant qu’une partie des constituants ;

­ De leurs formes de présentation (pasteurisés, congelés, concentrés, séchés, cuits), propices à la conservation ;

­ De l’adaptation de leurs conditionnements aux besoins des utilisateurs, tant en RHD qu’en industrie alimentaire.

De surcroît, l’industrie des ovoproduits permet le recyclage à des fins d’alimentation animale de la fraction d’albumen (« jus de coquille ») qui reste attachée à la coquille lors d’une utilisation domestique courante.

Les principales perspectives de réduction des pertes alimentaires concernent :

­ D’une part, la généralisation du don alimentaire suite aux retraits d’œufs en coquille au niveau du commerce de détail (risque de dépassement de la DCR) ;

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­ D’autre part, une meilleure valorisation en alimentation du bétail des œufs et produits d’œufs devenus impropres à la consommation humaine au long de la chaîne alimentaire (casse accidentelle, en particulier)

Partie B - Poules pondeuses et reproducteurs de réforme

B1. Volumes d’animaux produits et modalités d’utilisation

B1.1 Production d’animaux de réforme « sur pied » et part relative des pondeuses et des reproducteurs

Compte tenu des très fortes variations d’effectifs de poules pondeuses intervenues à compter de 2011, la moyenne 2012 / 2013 a été retenue pour simuler approximativement un exercice à effectif de pondeuses stabilisé. La modélisation mise en œuvre (cf. B2.2) conduit aux effectifs détaillés présentés au Tableau B1, dont l’addition apparait en très bonne concordance avec le total de la série « Poules » du SSP (écart moyen de + 0,2 %), lequel inclut de fait les reproducteurs.

Il en découle que :

­ Les effectifs de pondeuses réformées annuellement sont de l’ordre de l’ordre de 43,7 millions, soit 94 % des effectifs de pondeuses en place en poulaillers, dans le contexte actuel de répartition entre systèmes d’élevage, soit 70 % en cages aménagées et 30 % en systèmes alternatifs ;

­ Les effectifs de reproducteurs réformés annuellement, incluant une fraction de coqs équivalente au 1/10ème des reproductrices, sont de l’ordre de 7,9 millions (soit 15 % du total des réformes), dans le contexte actuel de répartition entre filières, soit 91 % de reproducteurs chair (répartis à 70 / 30 entre standard et label/plein-air) et 9 % de reproducteurs ponte.

Tableau B1 : Estimation par modélisation des effectifs, tonnages en vif et équivalent carcasse des poules et reproducteurs réformés avec comparaison aux données du SSP (moyenne 2012 / 2013)

*Inclut de fait les reproducteurs réformés

K = x 1000 ; tec = tonnes équivalent carcasse

La prise en compte des poids vifs et rendements à l’abattage documentés ou approximés (cf. B2.2) conduit aux tonnages en vif et en équivalent carcasse présentés au Tableau B1, mis en regard des données du SSP (http://agreste.agriculture.gouv.fr/conjoncture/le-bulletin/).

Il en découle que, tous types de réforme, souches et sexes de reproducteurs confondus :

­ Le poids vif moyen par tête de l’ensemble des Gallus de réforme, soit 2,08 kg, est assez proche de celui des pondeuses réformées (+ 1/10ème environ) ;

Source Population dénombrée

Effectifs (millions)

Poids vif moyen (kg)

K tonnes en vif

Rendement carcasse moyen (%)

Poids carcasse moyen (kg)

K tec (x 1000)

Modélisation Pondeuses 43,703 1,9 83,0 56 1,1 46,5

Reproducteurs 7,933 3,1 24,3 57,6 1,8 14,0

dont poules 7,212 2,9 21,0 env. 56 1,6 11,8

dont coqs 0,721 4,5 3,3 env. 68 3,1 2,2

Total (moyenne pondérée)

51,636 (2,08) 107,3 (56,4) (1,17) 60,5

SSP Série « Poule »* 51,543 (1,35) 69,4

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B. Coudurier

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­ Il en va de même du poids de carcasse moyen par tête, soit 1,17 kg, sous réserve de l’approximation relative au rendement en carcasse des reproducteurs. Le poids moyen de carcasse pris en compte par le SSP pour évaluer la production indigène en tec, soit 1,35 kg apparait donc légèrement surestimé (outre qu’il est supérieur à celui de la catégorie « poules et coqs » de la série abattages contrôlés CVJA, lequel est de 1,30 kg soit une valeur analogue à celle de la série « poulets », donc également quelque peu surestimée).

Pour autant, la contribution des reproducteurs, exprimée en tec, représente 23 % du total des Gallus réformés pour 15 % seulement des effectifs, du fait de leur différence de poids vif ainsi que de celle du rendement dans le cas des coqs.

Compte tenu des effectifs et des tonnages ainsi estimés, par comparaison à d’autres filières de production de viande à titre principal, les poules pondeuses et reproducteurs de réforme constituent donc une ressource significative de viande, soit 60 500 tec environ disponibles « sur pied ». Cette viande est certes de qualité inférieure à celle des volailles de chair, mais elle est de toute façon disponible, ne constituant qu’un coproduit de la production d’œufs de consommation ou, plus indirectement, de volailles de chair via la production d’œufs à couver (OAC) par les reproducteurs de souche chair.

B1.2 Valorisation en vif

D’après les opérateurs français auditionnés, un important flux d’exportation en vif a lieu vers des pays frontaliers qui manquent d’animaux pour approvisionner leurs outils industriels. La part d’export sur pays tiers réalisée ensuite par ces pays frontaliers serait très importante, tant en poule entière qu’en découpe. Certains pays (Allemagne, Pays-Bas) se seraient également fait une spécialité de la cuisson de carcasses entières dont la viande est ensuite égrainée ou effilochée en vue de la confection de produits élaborés, type soupe ou bouillon. C’est notamment le cas des carcasses lourdes de reproducteurs réformés de souche chair, difficilement valorisables par d’autres voies. Plus de la moitié des reproducteurs réformés en France seraient ainsi exportés à cette fin. L’importation en vif serait par contre anecdotique. L’ampleur de l’exportation en vif a donc été estimée par différence entre deux séries annuelles du SSP : la production indigène totale (série «Poules», qui inclut de fait les reproducteurs) et les abattages contrôlés (série « Poules et coqs »), sur la base des effectifs et pour la moyenne 2012 / 2013.

Les effectifs produits et abattus étant de 51,5 et 35,7 millions de têtes respectivement, la part de l’exportation en vif ressort donc à 15,8 millions soit 31 % en moyenne sur la période 2012/2013. Cette estimation, qui concerne l’ensemble des réformes (poules et reproducteurs), est cohérente avec l’ordre de grandeur de 1/3 indiqué par plusieurs opérateurs. Exprimée en tec « sur pied », la part de l’exportation est sans doute très légèrement supérieure, dans la mesure où les reproducteurs de réforme seraient préférentiellement exportés (pour plus de moitié) et qu’il s’agirait préférentiellement de souches lourdes (de type chair standard). De ce fait, la part de reproducteurs conservée pour abattage pourrait correspondre préférentiellement aux autres types de souches (label/plein-air et ponte), plus légers, et finalement plus proches du gabarit des pondeuses de réforme, à l’exception des coqs, peu nombreux.

B1.3 Valorisation via l’abattage

L’abattage des poules pondeuses et des reproducteurs de réforme nécessite des outils industriels dédiés. Parmi ceux-ci, cinq opérateurs majeurs ont été identifiés. Sur la base de recoupements grossiers fondés sur l’audition d’une partie de ces opérateurs et la consultation de sites web existants, la part représentée par cet ensemble peut être estimée à 85 % environ des tonnages abattus, le solde se répartissant entre des outils de plus faible capacité d’abattage. Certaines caractéristiques de cet ensemble peuvent également être présumées, quoiqu’avec une forte marge d’incertitude (Tableau B2).

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Pertes dans la filière Oeufs

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In fine, et en recoupant ces différentes indications qui demeurent parfois grossières, les ordres de grandeur des différents usages des poules et reproducteurs abattus en France pourraient être voisins de :

­ 70 % pour le grand export, i.e. pays en développement, en majorité Afrique de l’Ouest (partie carcasses entières, partie en découpe, exclusivement congelé) ;

­ 30 % pour le marché national et la CE, se répartissant approximativement en trois tiers : consommation intérieure en l’état (surtout frais et entier) ; consommation intérieure transformée (surtout frais à base de découpe) ; exportation dans la CE (surtout congelé).

Ces tendances nécessiteraient évidemment d’être confirmées (ou infirmées) au moyen d’une enquête dédiée.

Tableau B2 : Caractéristiques présumées de l’ensemble constitué par les cinq opérateurs majeurs de l’abattage de poules pondeuses et reproducteurs de réforme

Caractéristique Proportions (+/-)

Répartition des opérateurs Hypothèses plausibles

Commercialisation carcasses entières vs découpe

50 / 50 2 ± spécialisés carcasse entière 2 ± spécialisés découpe 1 mixte

Utilisation préférentielle : i) des carcasses entières par les ménages ii) de la découpe par la RHD et l’industrie (hors cas particulier du grand export)

Commercialisation en poule à bouillir fraîche

modeste 1 ± spécialisé

Usages industriels (2nde transformation)

modeste 1 ± spécialisé

Commercialisation en frais vs congelé

20 / 80 1 spécialisé en frais 3 spécialisés en congelé 1 mixte

Régions d’utilisation préférentielle : i) France et UE pour le frais ii) grand export pour le congelé

Commercialisation export (surtout grand export)

Très importante (≤ ¾ ?)

2 ± spécialisés (grand) export 2 plutôt marchés national et CE 1 indéterminé

B2. Méthodologie

B2.1 Périmètre de l’étude et définition des pertes alimentaires

Comme explicité précédemment, bien que la production d’œufs de consommation soit totalement distincte de la production d’œufs à couver (OAC), ces deux filières ne peuvent être systématiquement distinguées au stade de la production de poules et reproducteurs de réforme. C’est donc la totalité de la filière de production d’œufs de tous types (de consommation et à couver) qui a été prise en compte dans la présente étude, bien que certains éléments de celle-ci se réfèrent aux seules pondeuses de réforme.

Comme dans le cas de l’œuf, les différents usages des produits et coproduits issus des poules abattues ont été répartis en deux grandes catégories ventilées en sous-catégories qualifiées et dans la mesure du possible quantifiées, au moins à dire d’expert :

­ La fraction valorisée en alimentation humaine i) soit directement, ii) soit au travers d’un recyclage via l’aliment du bétail de coproduits classés en C3 ;

­ La fraction correspondant à des usages non alimentaires donc à des pertes, soit, par niveau de valorisation décroissant : i) l’alimentation des animaux de compagnie à partir de coproduits

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B. Coudurier

192 Innovations Agronomiques 48 (2015), 177-200

classés en C3 et ii) la fertilisation à partir de coproduits classés en C2. Les rejets issus des eaux de lavage n’ont pas été considérés compte tenu de leur faible importance en regard des autres volumes de coproduits générés (outre qu’aucune donnée quantifiée n’était disponible).

B2.2 Sources d’information

Le stade de la production est bien documenté grâce à l’enquête annuelle ITAVI précitée et aux séries statistiques du SSP. Toutefois, si la première source concerne les seules pondeuses de réforme, la seconde agrège dans une catégorie commune poules pondeuses et reproducteurs de réforme. Faute de données disponibles, les contributions relatives de chacune de ces deux catégories, tant en nombre de têtes qu’en tonnage vif ou équivalent carcasse « sur pied », ont été estimées par modélisation :

- Le nombre de reproducteurs réformés annuellement se fonde sur : i) le nombre de poulettes reproductrices de 1 jour mises en place annuellement en gallus de souches chair standard et label/plein-air (source : Syndicat National des Accouveurs) ainsi que de souche ponte (estimation indirecte à partir des données SSP de mise en place de poulettes de ponte) ; ii) leur taux de survie en phase d’élevage ; iii) la durée moyenne d’un cycle, pour en déduire le nombre de places de reproductrices ; iv) leur taux de survie en ponte, pour en déduire le nombre de reproductrices réformées annuellement en fin de cycle de production d’œufs à couver. Le nombre de coqs a ensuite été estimé au 1/10ème des reproductrices présentes.

- Le nombre de poules pondeuses réformées annuellement se fonde sur une modélisation du même type débutant à la phase iii) précédente, car le nombre de places de pondeuses d’œufs de consommation en conditions commerciales est recensé annuellement dans l’enquête ITAVI.

- Les poids à la réforme des reproducteurs sont extraits des notices techniques des sélectionneurs (Aviagen, Hubbard, Lohmann). Les lignées parentales choisies à titre d’échantillonnage sont représentatives de celles à l’origine des types génétiques utilisés communément en France. Le poids à la réforme des poules pondeuses est bien documenté.

- Le rendement à l’abattage des reproductrices et coqs réformés a été approximé grossièrement sur la base de fourchettes de poids PAC de reproductrices et coqs proposés à la vente sur internet. Celui des poules pondeuses est bien documenté.

La littérature, notamment scientifique, est abondante sur les aspects ponctuels du transport des pondeuses de réforme, plus particulièrement sur les risques de fractures induits. En matière de composition de carcasse, taux de saisie et valorisation des produits, la littérature grise a pu être mobilisée. A l’opposé, aucune donnée n’est disponible pour quantifier les différents usages des carcasses issues des outils industriels français dédiés à l’abattage des poules pondeuses et reproducteurs de réforme. Des entretiens téléphoniques ont donc été conduits pour recueillir à dires d’experts des informations qualitatives et si possible quantitatives auprès des organisations professionnelles représentatives : Comité National pour la Promotion de l'Œuf (CNPO), Comité national des abattoirs et ateliers de découpe de volailles, lapins et chevreau (CNADEV) et Fédération des Industries Avicoles (FIA) ainsi que d’opérateurs industriels : LDC, SARA, SOCAVOL. Ces entretiens ont été complétés par la consultation de sites web existants.

B3. Caractérisation et quantification des pertes aux différents maillons de la filière

La caractérisation des pertes alimentaires aux différentes étapes de la filière est analogue à celle décrite dans le cas du poulet de chair (Malher et al., 2015), moyennant quelques spécificités propres aux Gallus de réforme et décrites ci-après.

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B3.1 Mortalité en transport

Peu d’études sont relatives à la mortalité en transport des poules pondeuses ou des reproducteurs de réforme. Au Royaume-Uni (Weeks et al., 2012), une enquête portant sur 13,3 millions de poules transportées fait état d’un taux de mortalité moyen de 0,27 % (médiane 0,15 %). Les conditions climatiques (température trop froide) conjuguées à la longueur des transports constituaient d’importants facteurs de risque. Des facteurs de risque du même type ont été mis en évidence dans une étude italienne portant sur 54 millions de poules transportées (Petracci et al., 2006), mais à l’inverse pour des températures trop élevées : 1,62 % de mortalité en été, vs 1,22 % en moyenne. En République Tchèque (Voslarova et al., 2007), des taux de mortalité compris entre 0,2 à 0,9 % ont été rapportés selon la durée de transport de « hens and roosters », ce qui laisse penser qu’il s’agissait de reproducteurs réformés plutôt que de poules pondeuses. Des indications de professionnels soulignent la grande variabilité de ce caractère en France, en lien avec l’état sanitaire initial du lot, les conditions de ramassage, les densités dans les caisses ou les containers de transport, la durée du transport (peu de gros abattoirs spécialisés pour toute la France) ainsi que la météo (temps hivernaux défavorables).

B3.2 Taux de saisie en abattoir

Les taux de saisie à l’abattoir ne sont pas documentés. Toutefois, dans le cadre d’une étude de caractérisation de la qualité technologique de la viande de poule, les taux de saisie ante mortem et post mortem ont été de 0,67 % et 1,87 % respectivement sur un lot de 4449 poules de réforme (Guerder et al., 2009), sans qu’il soit possible de présumer de la représentativité de ces données ponctuelles. À noter que chez les Gallus de réforme, les retraits sont en général d’emblée des retraits totaux alors que, dans une certaine proportion, un retrait partiel serait seulement justifié, ce qui accroît les pertes alimentaires.

B3.3 Abattage et découpe

Les rendements en carcasse et en pièces de découpe des poules de réforme sont peu documentés et pour des effectifs très inégaux, parfois modestes (Franck et al., non daté ; Guerder et al., 2009 ; Ristic et al., 2006).

Le rendement en carcasse chaude varie selon les études, parfois significativement entre lots intra-étude, mais dans une fourchette d’amplitude modérée : de 55 % à moins de 60 % majoritairement. En référence à celui du poulet de chair, il est inférieur de 12 points de % (Ristic et al., 2006), les résultats obtenus par Guerder et al. (2009) sur un lot de plus de 4000 poules conduisant à un écart similaire. La présence de grappes ovariennes contribue à ce moindre résultat, le poids de l’œuf non pondu (sur environ 1/3 des poules) expliquant à lui seul un différentiel de 3 points de rendement. Aux dires des opérateurs interrogés, le poids vif des poules de réforme abattues est en moyenne de 1,9 kg pour un rendement carcasse de 56 % (soit des carcasses de 1,05 à 1,10 kg). Ce rendement annoncé se rapporte très probablement des carcasses chaudes, une majorité d’entre elles étant ensuite congelées. Le taux de ressuage reste modéré, de l’ordre de 1,5 points de rendement entre carcasses pesées chaudes (post-abattage) ou froides (au-delà de 24h).

Les rendements en pièces de découpe sont plus difficiles à comparer car i) les modalités de découpe diffèrent selon les études (avec ou sans peau, désossé ou non…) et ne sont pas toujours clairement explicitées et ii) les résultats sont parfois publiés sous forme de sous-totaux limitant les comparaisons au niveau des données élémentaires :

­ Seuls les rendements en filet semblent relativement homogènes, avec une fourchette de 15 à 20 % du poids de carcasse selon les lots au sein des deux études conduites en France.

­ Il n’en va pas de même quand le poids des cuisses est pris en compte au sein d’un sous total filet + cuisses dans lequel le poids de cuisse est mesuré soit avec os et peau, soit viande seule.

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Dans les deux cas, des différences plus importantes apparaissent, en particulier pour la viande nette, sans qu’il soit possible de les expliquer.

Les chiffres mentionnés par certains opérateurs laissent penser que les parties valorisées en alimentation humaine, i.e. filets + cuisses + ailes (soit 12 % environ pour ces dernières) seraient de l’ordre de 70 %. À noter que si les ailes sont effectivement valorisées en cas de découpe, c’est semble-t-il uniquement à l’exportation, faute de débouché sur le marché domestique ou en seconde transformation.

Ainsi, 30 % environ du poids de carcasse seraient dédiés à la production de coproduits valorisés majoritairement en pet foods pour la fraction PAT et de manière probablement plus répartie entre pet foods et aliments du bétail pour la fraction graisses de volailles, à l’instar de la filière poulet de chair. Il faut y ajouter les abats, qui ne seraient jamais valorisés en alimentation humaine. Leur poids relatif n’a pas été mesuré chez la poule de réforme, mais sur la base des données obtenues chez le poulet (Somsen et al., 2004), il doit être de l’ordre de 6 % rapporté au poids de carcasse (et non plus au poids vif), lesquels correspondent à une perte supplémentaire. La récupération de viande sur les carcasses (via la production de VSM à partir des fourchettes et des cous) n’est pas pratiquée non plus. Pour des raisons économiques, la perte de viande potentiellement consommable par l’homme est donc plus importante que dans le cas du poulet de chair.

B3.4 Retraits au stade de la distribution

Aucune donnée spécifique aux poules de réforme n’est disponible. La très forte proportion de produits congelés laisse présumer des taux moyens de « retrait » extrêmement bas jusqu’à la mise à disposition du consommateur. Toutefois, une part très importante de celle-ci ayant lieu in fine dans des pays en développement, Afrique de l’Ouest en particulier, cette présomption suppose qu’il n’y ait pas rupture prématurée de la chaîne du froid avant mise à disposition effective du consommateur.

B3.5 Bilan récapitulatif partiel des fractions consommées ou écartées de la consommation

Un bilan quantitatif est présenté au Tableau B3. Il a pour point de départ les volumes de Gallus de réforme initialement disponibles « sur pied » et il détaille leur ventilation progressive en différents constituants au long de la chaîne alimentaire (cf. « Nature des variations de masse ») en précisant leur répartition entre les usages alimentaires et non alimentaires (cf. « Répartition des variations de masse par destination »). Comme dans le cas de l’œuf, ce bilan comporte plusieurs limites :

­ D’une part, il se cantonne à une partie des segments de la chaîne alimentaire, depuis l’enlèvement des animaux en élevage jusqu’à : i) leur vente en vif dans le cas des animaux exportés, i.e. sans prise en compte d’aucune des pertes induites par leur valorisation ultérieure ; ii) la sortie des abattoirs, soit sous forme de carcasses entières soit sous forme de pièces nobles découpées, les pertes à la distribution et en restauration collective n’étant pas quantifiées.

­ D’autre part, la répartition des variations de masse est exprimée en Kt de produits bruts, incluant : i) une fraction consommable par l’homme ou le cas échéant l’animal, i.e. la viande et la peau présentes sur la carcasse ou les pièces de découpe, ainsi que les abats ; ii) une fraction consommable par l’animal, i.e. les os présents sur la carcasse ou les pièces de découpe ainsi que, dans le cas des Gallus de réforme, la totalité du 5ème quartier ; iii) outre une fraction modeste non valorisable par l’animal, i.e. les saisies sanitaires. Comme mentionné précédemment, il serait souhaitable d’exprimer les pertes alimentaires sur la base de la seule fraction consommable. Toutefois, contrairement au cas de l’œuf, ces différentes proportions ne peuvent être approchées faute de données exhaustives sur la composition corporelle des Gallus de réforme, ce qui est également le cas en filière poulet de chair. Il convient néanmoins de garder en mémoire que, globalement, la fraction consommable est de loin la plus modeste

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Pertes dans la filière Oeufs

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au stade de l’animal commercialisé en vif (avec plumes, tractus digestif, tête et pattes…), puis s’accroit très fortement avec la mise en marché en carcasse (laquelle comporte encore une fraction importante d’os) et plus encore sous forme de pièces de découpe (filets en particulier, lesquels sont intégralement consommables).

­ Enfin, s’agissant de la fraction de coproduits de catégorie C3 valorisés en alimentation animale, une difficulté d’affectation ou non aux pertes alimentaires demeure puisque la catégorie d’animaux utilisateurs n’est pas déterminée a priori, comme dans le cas de la filière poulet de chair.

B4. Analyse des manques à produire au stade de la « production » de poules de réforme

Les pondeuses et reproducteurs de réforme n’étant que des coproduits de la ponte d’œufs de consommation ou à couver, le seul manque à produire réside dans la mortalité en cours de ponte. Dans le cas des poules pondeuses, celle-ci est bien documentée via l’enquête annuelle de l’ITAVI. Les taux rapportés (Tableau A4) diffèrent selon le système d’élevage, avec un différentiel de 3 points de % en défaveur de l’ensemble des systèmes alternatifs par rapport aux systèmes en cages. Une étude britannique (Weeks et al., 2012) conduite en 2009 sur 1486 troupeaux de pondeuses de réformes, rapporte des taux de mortalité tout à fait similaires en phase de ponte, soit 5,39 % en cages contre 8,55 % au sol, 8,68 % en bio et 9,52 % en plein-air.

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B. Coudurier

196 Innovations Agronomiques 48 (2015), 177-200

Tableau B3 : Bilan en masse de la production de poules pondeuses et reproducteurs de réforme valorisés ou non en alimentation humaine (moyenne 2012/2013)

Stade du cycle de production / valorisation

Part des volumes produits (%)

Part des volumes abattus nets de saisie (%)

K t vif K tec Nature des variations de masse

Ampleur des variations Répartition des variations de masse par destination (K t brutes)

% du poids total vif

K t vif Consomm. humaine (1)

Valorisé en C3

Valorisé en C2

Production 100 107,3 (60,5)

Destruction 0 0 (0)

Export en vif 30 environ 32,2 (18,2) Vente en vif 100 32,2

Transport + inspection a.m.

70 environ 75,1 (42,4) Mortalité + saisies 1,0 0,8 0,8

Abattage + inspection p.m.

69,3 74,4 41,9 Saisies + retraits 1,0 0,7 0,7 (2)

% du poids vif abattu (après saisie)

K t de produit

Séparation du 5ème quartier et de la carcasse 68,6 100 73,6 41,5

5ème quartier : part non consommable (3)

39,1 28,8 28,8

5ème quartier : abats 4,5 3,3 3,3

Carcasse 56,4 41,5

Carcasses non découpées

34,3 50 environ 20,8 Vente en carcasse 20,8 20,8

% du poids de carcasse

K t de produit

Découpe de la carcasse 34,3 50 environ 20,8

Carcasse hors pièces nobles

30 environ 6,2 6,2

Filet + cuisses + ailes 70 environ 14,5 14,5

TOTAL 67,5 39,0 0,8

K = milliers ; tec = tonnes équivalent-carcasse ; C3 = valorisable en alimentation animale (dont pet foods) ; C2 = valorisable en fertilisation ; a.m. = ante mortem ; p.m. = post mortem ; (1) dans les limites de la partie effectivement consommable du produit vendu ; cette proportion s’accroit avec le niveau de transformation (animal sur pied << carcasse entière < découpe) ; (2) sauf fraction saisie valorisée en C2 ; (3) contrairement au cas du poulet, il n’est pas procédé à la récupération de viandes séparées mécaniquement (VSM) sur le 5ème quartier

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Pertes alimentaires dans la filière ponte d’œufs de consommation

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B5. Leviers d’action pour la réduction et la valorisation des pertes alimentaires et questions à la recherche

L’ampleur de la consommation effective de poules pondeuses et des reproducteurs de réforme dépend de très nombreux freins et leviers (Tableau B4).

Tableau B4 : Leviers et freins à la consommation de poules pondeuses et des reproducteurs de réforme

Impact Type de levier (+) ou frein (−) Source

perception de la viande par le consommateur

− − Long à préparer (poule entière) Chiron, 2012

− Connotation « poule » négative (si utilisée comme ingrédient) Franck et al non daté

Opérateurs de l’abattage

+ Valorisation en produits de commodité (soupe, bouillons, préparations)

Gregory et Wilkins, 1989 Opérateurs de l’abattage

aspects économiques

− Faible valeur des réformes : 0,35 à 0,63 €/poule (pour 1,9 kg vif) ITAVI, 2013

+ + Coût proportionnellement très élevé de l’équarrissage : 0,53 €/poule (pour 1,9 kg vif)

CNPO

− Coût du ramassage : 0,07 à 0,08 €/poule Chambres d’agriculture des Pays de Loire 2013

− Coût élevé du transport par rapport aux volailles de chair (cf. contraintes logistiques)

Opérateurs de l’abattage

− Coût élevé de l’abattage par rapport aux volailles de chair Opérateurs de l’abattage

− Concurrence du poulet importé à bas prix dans les produits de commodité

Opérateurs de l’abattage

+ + Viande à prix très attractif dans les pays en développement (Afrique de l’Ouest en particulier)

Public Sénat 2014

contraintes logistiques et industrielles

− − Nécessité d’abattoirs dédiés (rares dans certains pays) avec chaines d’abattage adaptées à la morphologie des poules de réforme

Opérateurs de l’abattage

− D’où une distance moyenne élevée entre élevages et abattoirs : 276 km pour les pondeuses ; 600 km pour les reproducteurs

Chambres d’agriculture des Pays de Loire 2013

− Levée manuelle des filets (automatisation inadaptée) Opérateurs de l’abattage

− Retrait manuel des œufs non pondus (sur 1/3 des poules) Opérateurs de l’abattage

contraintes physiologiques

− Sensibilité élevée aux fractures lors du ramassage Berg, 2009 ; Gregory et Wilkins, 1989 ; Hester, 2005 ; Knowles, 1994 ; Kristensen et al, 2001 ; Mitchell et Kettlewell, 2004

attentes sociétales

− Respect du bien-être animal en cours de transport en lien avec les fractures induites par le ramassage (d’où euthanasie au gaz dans certains pays, notamment d’Europe du Nord)

Berg, 2009 ; Hester, 2005

+ Perception du gaspillage alimentaire (pays ne valorisant qu’en partie les Gallus de réforme à destination de l’alimentation)

Neuhauser, 2011, 2013 et 2014

Sites web www.svt.se* et sueprmiljobloggen.se**

En italiques = communications personnelles * http://www.svt.se/plus/artikelarkiv/ingen-produktion-ar-problemfri ** http://supermiljobloggen.se/nyheter/2012/09/endast-halften-av-alla-varphons-som-slaktas-gar-till-matproduktion

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B. Coudurier et al.

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Leur importance relative déterminera par contrecoup l’ampleur des pertes alimentaires qui, contrairement à la situation qui prévaut dans les autres filières, peut varier dans des proportions considérables.

Le premier et principal frein à la consommation de poules pondeuses et reproducteurs de réforme vient du consommateur des pays à haut niveau de vie, qui s’est détourné de ce produit traditionnel qu’était la poule à bouillir, trop longue à cuisiner (2-3 h), et sans relais significatif au niveau des produits de commodité valorisant ce type de carcasse. La nécessaire spécialisation des abattoirs, et donc leur relative rareté, constitue un second handicap. L’atout majeur des produits issus des poules de réforme réside dans leur très bas prix. Toutefois, compte tenu du différentiel de qualité / commodité par rapport aux volailles de chair, il ne se traduit en débouchés effectifs que dans des pays en développement, Afrique de l’Ouest en particulier. De ce fait :

­ En France comme dans les pays limitrophes disposant des capacités d’abattage ad hoc, les pondeuses et reproducteurs de réforme sont intégralement valorisés en alimentation humaine, mais cette valorisation reste très fortement tributaire de l’existence de marchés dits grand export.

­ A contrario, dans certains pays ne disposant pas d’abattoirs de relative proximité en nombre suffisant (ex : Etats-Unis, Suède, Suisse), les poules et reproducteurs de réforme peuvent être dirigés vers l’équarrissage après euthanasie des animaux. Cette mesure drastique peut simultanément être justifiée par des considérations de respect du bien-être animal. Pour autant, une autre considération sociétale plus récente, i.e. la perception du gaspillage alimentaire qui en résulte, peut conduire à une réorientation des usages vers la consommation humaine, ou du moins d’une plus forte partie d’entre eux.

L’autre voie de réduction des pertes alimentaires passe par une meilleure valorisation des importants volumes de coproduits « de fait » qui sont générés par l’abattage des Gallus de réforme et qui ne sont pas dirigés vers l’alimentation humaine directe, qu’il s’agisse de produits (abats) ou de coproduits (carcasses dont seules les pièces les plus nobles ont été retirées). Leur part relative rapportée au poids de carcasse étant plus importante que dans le cas du poulet de chair, et leur valeur économique encore moindre, une réorientation vers l’aliment du bétail de la fraction majoritaire de PAT incorporée à ce jour dans les pet foods permettrait de réduire significativement les pertes alimentaires par recyclage en produits animaux. Cette voie se heurte toutefois aux mêmes difficultés d’acceptation sociétale que dans le cas des autres filières d’animaux monogastriques, dont le poulet de chair.

En termes de questions à la recherche, les sciences humaines et sociales pourraient être mobilisées pour mieux comprendre certains déterminants de la consommation de poules pondeuses et reproducteurs de réforme. Par ailleurs, une enquête auprès des opérateurs spécialisés dans l’abattage des Gallus de réforme serait utile pour affiner les tendances grossières dégagées dans le cadre de l’étude INRA.

B6. Conclusions et perspectives

En résumé, les poules pondeuses et reproducteurs de réforme produits en France sont encore valorisés en alimentation humaine, soit de manière directe (abattage) soit indirecte (exportation en vif), mais cette valorisation reste largement tributaire de l’existence d’un marché export vers des pays en développement :

1) Aucun cheptel n’est dirigé vers l’équarrissage, contrairement à la situation qui prévaut dans certains pays ne disposant pas de volumes suffisants et donc d’abattoirs de relative proximité (ex : Suède, Suisse).

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Pertes alimentaires dans la filière ponte d’œufs de consommation

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2) Une part très significative de la production française, soit 30 % environ, est exportée en vif à destination d’abattoirs de pays limitrophes qui disposent eux-mêmes d’importants débouchés à l’exportation sur Pays Tiers.

3) Sur les 70 % de la production abattue en France, une moitié environ des poules et reproducteurs de réforme est commercialisée en carcasses entières, l’autre moitié est découpée.

­ Dans le cas de la découpe, soit pour 35 % environ de la production, l’ensemble des abats et les pièces les moins nobles de la carcasse sont moins bien valorisés que dans le cas du poulet de chair puisque systématiquement écartés de la consommation humaine et valorisés comme coproduits à destination des animaux de compagnie ;

­ Une très large majorité de la production abattue est congelée, qu’il s’agisse de carcasses entières ou de découpe.

4) Ce recours massif à la congélation se justifie par l’importance du marché export, très majoritairement à destination de pays en développement, lequel représente probablement de l’ordre de 70 % des volumes abattus au plan national.

Dans ce contexte particulier, l’enjeu majeur de valorisation des poules pondeuses et reproducteurs de réforme réside avant tout dans le maintien à terme du marché grand export, à même d’absorber d’importants volumes de produits de qualité moindre que celle du poulet de chair mais de bien plus faible coût. En cas d’érosion voire de disparition de ces marchés, une forte sensibilisation des consommateurs en faveur de la « poule au pot » serait nécessaire, à l’instar de l’initiative de l’association suisse Gallocircle, de façon à éviter le retrait de l’alimentation humaine directe d’une proportion majoritaire de ces produits.

A défaut, la réorientation vers l’aliment du bétail des coproduits C3 incorporés à ce jour dans les pet foods constituerait le principal levier de valorisation d’un produit alimentaire devenu coproduit du fait de la désaffection des consommateurs.

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Innovations Agronomiques 48 (2015), 201-214

Pertes alimentaires et manques à produire dans la Filière Viande Ovine et Caprine

Prache S.1,2, Nozières M.O.3

1 INRA, UMR1213 Herbivores, F-63122 Saint-Genès-Champanelle, France 2 Clermont Université, VetAgro Sup, UMR1213 Herbivores, BP 10448, F-63000, Clermont-Ferrand, France 3 INRA, UMR868 Selmet, 2, place Viala, F-34060 Montpellier Cedex 1, France Correspondance: [email protected] Résumé La réduction des pertes alimentaires et des manques à produire est un enjeu majeur pour répondre à la demande alimentaire mondiale croissante tout en préservant les ressources et l’environnement. Cette publication quantifie, dans la filière viande de petits ruminants, les pertes alimentaires au niveau de l’abattoir et de la découpe, et les manques à produire en élevage liés à la mortalité des animaux. Les pertes au niveau du transport, des saisies en abattoir, de la distribution et de la consommation ne sont en effet pas quantifiées. On estime que les abats des ovins ne sont utilisés qu’à 50% dans l’alimentation humaine et à 7% pour les animaux de compagnie. Certaines pertes sont liées à la règlementation, certains morceaux ou abats devant être supprimés chez tous les petits ruminants ou chez ceux qui sont âgés de plus de 6 mois. Les manques à produire sont liés aux maladies et à la mortalité, notamment chez les jeunes animaux. Les petits ruminants sont particulièrement sensibles aux maladies parasitaires et ils sont exposés aux risques de prédation qui sont en augmentation. Avec l’accroissement de la taille des troupeaux qui rend plus difficiles la surveillance et l’assistance aux animaux, notamment lors des mises-bas, ainsi que l’émergence de nouvelles pathologies, la maîtrise de la mortalité des jeunes en élevage de petits ruminants reste un problème important. Nous concluons sur les leviers actionnables pour réduire ces pertes alimentaires et ces manques à produire. Mots clés : Ovins, Caprins, Pertes alimentaires, Manques à produire, Viande Abstract: Food losses in sheep and goat meat supply chain The reduction of food losses and of shortfall in production is of major importance to cope with increasing world demand for food while preserving the resources and the environment. This paper quantifies, for the French sheep and goat meat supply chain, food losses at the abattoir and shortfall in production linked to animal mortality at the farm. Quantification of food losses due to mortality during transport, to seized material at the abattoir, and then at the retail and consumption stages are actually poorly documented. It is estimated that only 50% of sheep offal are used as human food and 7% for pet-food. Some food losses are linked to sanitary regulation, as some offals and parts of the carcass have to be eliminated from the supply chain for all small ruminants or for those which are more than 6 months old. Shortfall in production are linked to diseases and mortality, particularly in young animals. Small ruminant are particularly susceptible to parasites and exposed to predation risks, the latter being currently increasing. With the increase in flock size over the last decades which makes surveillance and the provision of assistance, particularly at lambing, more difficult, and with the emergence of new diseases, the control of lamb mortality remains a major issue. We conclude on the key levers for limiting food losses and shortfall in production. Keywords: Sheep, Goat, Food losses, Production losses, Meat, Shortfall in production

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S. Prache et M.O. Nozières

202 Innovations Agronomiques 48 (2015), 201-214

Introduction L’accroissement de la production agricole, et notamment de la production de viande, est essentiel compte tenu des besoins accrus de la population mondiale à échéance 2050 et des évolutions des habitudes alimentaires. Cependant, la tension sur les produits alimentaires et les impacts des systèmes de production sur les ressources et l’environnement pourraient être réduits si les pertes alimentaires étaient moindres. Cet article a pour objectif de faire le point sur les pertes alimentaires (pertes après le départ des animaux de l’exploitation agricole) et les manques à produire (pertes dans l’exploitation agricole elle-même) dans la filière viande ovine et caprine. 1. Principales caractéristiques de la filière

1.1 Le cheptel ovin et les systèmes de production

En 2014, la France se place au 6ème rang européen pour l’effectif de brebis et d’agnelles saillies, avec 5,5 millions de têtes dont 29% de laitières. Une de ses spécificités est la diversité des systèmes de production en lien avec la répartition des effectifs dans des zones particulières du territoire, souvent parmi les plus difficiles d’un point de vue pédoclimatique, avec une grande richesse de races attachées à ces contextes. Historiquement, la production ovine allaitante était souvent associée à d’autres productions et cela demeure en partie vrai aujourd’hui. A peine un peu plus de la moitié du cheptel de brebis allaitantes se trouve dans des exploitations spécialisées en ovins. En outre, 18% du cheptel est composé de très petits troupeaux (moins de 50 brebis). Trois grands types d’agneaux sont vendus en France, en lien avec les différents bassins de production et les systèmes d’élevage correspondants, ainsi que les habitudes de consommation. Dans les zones de plaine de la moitié Nord et dans le grand Ouest sont produits des agneaux lourds de 18 à 20 kg de carcasse, issus de races bouchères souvent herbagères, l’âge à la vente variant de 120 à 180 jours (une partie de ces agneaux est engraissée à l’herbe). Dans les zones défavorisées et de montagne de la moitié Sud, les agneaux issus de races rustiques sont quasi systématiquement engraissés en bergerie et présentent des poids de carcasse inférieurs, de 16.5 à 18 kg, l’âge à la vente variant de 120 à 150 jours. Enfin, des agneaux dits légers peuvent également être produits dans ces mêmes élevages (âge à la vente de l’ordre de 70 jours, poids de carcasse de 11 à 12 kg) ; ils représentent environ 15 à 20 % de l’ensemble des agneaux nés et sont vendus dans le Sud (Sud de la France, Italie, Grèce et Espagne). Dans les années 90, la conjonction de la baisse du prix des céréales, des aléas sanitaires associés aux aléas climatiques a fortement orienté la production ovine française vers l’agneau de bergerie, orientation qui perdure aujourd’hui en lien avec la génétique associée à ces systèmes (qualités bouchères) et la recherche d’une simplification de l’organisation du travail. Avec l’augmentation du prix des intrants, les aliments concentrés représentent aujourd’hui 2/3 des charges opérationnelles en élevage ovin viande. Le niveau actuel d’utilisation d’aliments concentrés varie de 79 à 194 kg par brebis, avec une moyenne de 158 kg, soit près d’une tonne par UGB. A signaler que cette consommation moyenne est supérieure d’environ 50 % à celle que l’on observe en systèmes bovins allaitants. Ce niveau est très lié à la productivité numérique, la plus grande partie des aliments concentrés étant destinée à l’engraissement des agneaux. Les acteurs de la filière au sein de chaque bassin de production travaillent à un étalement de la mise en marché des agneaux au cours de l’année. Ils recherchent en particulier des agneaux dits de ‘contre saison’, qui sont vendus à un prix plus élevé en fin d’année et au début du premier semestre. Néanmoins, la volatilité du prix des céréales et des aliments concentrés, ainsi que les préoccupations environnementales autour de la raréfaction des énergies fossiles renforcent l’intérêt d’augmenter la part de l’herbe dans l’alimentation des animaux pour, à la fois, réduire les charges d’alimentation et améliorer l’efficacité énergétique des systèmes d’élevage. On cherche maintenant des systèmes plus autonomes, des systèmes à la fois productifs et économes. Les systèmes plus herbagers sont

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Pertes agricoles et alimentaires dans la filière viande ovine et caprine

Innovations Agronomiques 48 (2015), 201-214 203

cependant plus exposés à des aléas climatiques et sanitaires (parasitisme) face auxquels la génétique ne convient pas toujours (manque de rusticité), induisant un conseil difficile.

1.2 La production de viande

La viande d’agneau ne provient pas que du cheptel allaitant. Les brebis laitières contribuent à la mise en marché d’agneaux parfois vendus légers (à partir de 8 kg vif), mais le plus souvent après engraissement en ateliers spécialisés. L’élevage ovin laitier fournit ainsi environ un tiers des agneaux mis sur le marché. Quant à la production de viande caprine, c’est un sous-produit de la production laitière. 1.2.1 Bilan d’approvisionnement Le bilan d’approvisionnement de la France en viande ovine est déficitaire, les importations représentant plus de 55 % de la consommation. En 2014, les exportations d’ovins vivants se sont élevées à 508 000 têtes (vers les pays méditerranéens) et les importations d’ovins vivants à 379 000 têtes (en provenance de plusieurs pays européens). L’approvisionnement du marché a été complété par l’entrée de 105 000 tonnes équivalent carcasse (tec) de viande ovine importée, provenant pour l’essentiel du Royaume Uni, sous forme de viande fraîche, et pour une faible part (16% des importations) de Nouvelle-Zélande, sous forme de viande congelée ou conditionnée sous vide (Institut de l’Élevage, 2015). En 2011, les importations de caprins s’élevaient à 7200 têtes (hors reproducteurs) et 624 tec. 80% des importations de viande caprine proviennent d’Océanie et 12% d’Espagne. Les exportations de caprins s’élèvent à 2100 têtes (hors reproducteurs) et 2696 tec. L’Europe est la destination privilégiée des exportations françaises (avec 2377 tec), une part significative étant commercialisée en Italie (53%) et au Portugal (19%). 1.2.2 Abattage et commerce En 2014, les abattages contrôlés d’ovins en France atteignent 3.7 millions de têtes pour les agneaux, 545 000 têtes pour les brebis de réforme (Institut de l’Elevage 2015) et 200 000 pour les agneaux de lait (FranceAgriMer, 2010). En moyenne, le poids de la carcasse est de 17.9 kg pour les agneaux lourds et de 26.3 kg pour les brebis de réforme (Institut de l’Elevage 2015). La production est de 80 500 tec en 2014 (dont 79%, 18% et 1.5% à partir des agneaux lourds, des brebis de réforme et des agneaux de lait) (Institut de l’Elevage, 2015 ; FranceAgriMer, 2010). Le potentiel de production des abats est de 8 900 t, dont 7 250 t en provenance des agneaux (abats partiellement valorisés), 1 610 t en provenance des brebis de réforme (abats faiblement valorisés) et 130 t en provenance des agneaux de lait (abats non valorisés). Les abattages de caprins s’élevaient en France à 860 000 têtes en 2011 (représentant 7 360 tec), dont 708 000 chevreaux (4 095 tec) et 153 000 caprins de réforme (3 265 tec) (Ellies et Dumont, 2014). La viande caprine est peu consommée en France (autour de 4 000 tec) (Agreste Conjoncture, 2014), la plus consommée étant la viande de chevreaux. Il s’agit d’une viande blanche produite par des animaux non sevrés abattus à un âge de 3 ou 4 semaines, à un poids vif de 10 kg environ, ce qui correspond à des carcasses légères de 6 à 7 kg. Ces jeunes animaux sont engraissés à la ferme ou bien par des engraisseurs qui les achètent dès l’âge de 3 jours. Il existe également une production marginale de chevreaux lourds abattus vers l’âge de 2 mois, à un poids vif de 20 kg environ. Ils sont alors plus fréquemment commercialisés en circuit court. La filière de production de chevreau fait face à un cours très bas du chevreau engraissé, le coût de production étant supérieur au cours de commercialisation, sauf quand la carcasse est valorisée en viande festive à Pâques (Ellies et Dumont, 2014). 1.2.3 Les structures d’abattage Les abattages d’ovins et de caprins sont réalisés dans environ 200 abattoirs publics ou privés. Les abattoirs privés sont les outils industriels de grandes entreprises de commerce de la viande. Les abattoirs publics, souvent gérés par des regroupements d’utilisateurs, abattent, comme prestataires de

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service, les animaux appartenant à des tiers (entreprises de commerce des viandes, bouchers artisans, particuliers). Ils sont indispensables à la pérennité de circuits locaux permettant la valorisation locale des animaux, par des entreprises grossistes locales, des bouchers abattant, ou même des éleveurs pratiquant la vente directe. La concentration du réseau d’abattoirs, obéissant à une logique de rentabilité des équipements, aboutit dans certaines régions à rendre difficile et onéreuse la commercialisation des animaux, alors même que la demande locale existe. Les ovins sont en général abattus dans leur région d’élevage ; c’est ainsi que cinq régions concentrent les deux-tiers du cheptel ovin et les deux-tiers des abattages : Midi-Pyrénées, Poitou-Charentes, Provence-Alpes-Côte d’Azur, Limousin et Aquitaine. En 2011, on comptait 10 abattoirs spécialisés en viande ovine (dont deux publics). 1.2.4 La consommation Les consommateurs français achètent peu de viande d’agneau (2.7 kg équivalent carcasse/habitant/an en 2014). La viande ovine porte cependant une forte valeur symbolique, comme en témoignent les quantités commercialisées pendant la semaine de Pâques, trois fois supérieures à celles des autres périodes de l’année (Prache et Bauchart, 2015). Dans les habitudes de consommation en France, on observe un gradient Nord-Sud, avec une consommation plus élevée et plus régulière chez les consommateurs du bassin méditerranéen (5,8 kg/habitant/an en Provence-Alpes-Côte d’Azur et Languedoc-Roussillon), ces consommateurs préférant des carcasses plus légères et une viande plus claire. Il est à noter que 20 % de la viande ovine est consommée hors foyer (restauration collective ou commerciale) et que 25 % des achats des ménages (20 % de la consommation) se font encore en boucherie traditionnelle ou sur les marchés. La part de la grande distribution est de 70 % des achats des ménages, soit 55 % de la consommation totale de viande ovine. À noter une part importante, mais difficile à quantifier, de vente directe des éleveurs aux consommateurs. Les viandes d’agneau importées sont commercialisées préférentiellement dans la restauration hors foyer et dans la grande distribution, les bouchers artisans s’approvisionnant plutôt en viande d’agneaux produits en France. Quant aux caprins, si les deux catégories abattues (chevreaux et caprins de réforme) peuvent faire l’objet d’une valorisation bouchère, la viande de chèvre n’est pratiquement pas consommée en France malgré une qualité nutritionnelle remarquable (Ellies et Dumont, 2014). En 2011, la consommation de chevreau s’élevait à 4 067 tec (Ellies et Dumont, 2014). Elle est très saisonnière, avec une demande accrue à Pâques et pour les fêtes de fin d’année. Le reste est exporté (vers l’Italie, majoritairement).

1.3 Difficultés et atouts de la filière La filière ovine française rencontre des difficultés depuis de nombreuses années, avec i) des coûts de production importants par rapport à la viande ovine d’importation qui provient de systèmes très herbagers, ii) un taux d’auto-approvisionnement de seulement 45%, iii) un différentiel de prix à l’achat important par rapport aux autres viandes et iv) un taux de pénétration relativement faible chez les moins de 35 ans (31% contre 74% chez les personnes âgées de plus de 65 ans). Ce contexte contraint la filière à une exigence de qualité et de régularité dans la qualité, notamment pour la viande sous signe de qualité. Presque 15 % des agneaux français sous vendus sous signe officiel d’identification de la qualité et de l’origine contre 5,7% pour le veau de boucherie et 3% pour la viande de bœuf. Cependant, la variété des agneaux produits selon les bassins de production, modes de conduite et saisons ne favorise pas la régularité de la qualité ni sa maîtrise. Par ailleurs, au-delà des qualités intrinsèques des carcasses et des viandes, la filière aval demande un approvisionnement tout au long de l’année, et notamment la fourniture d’agneaux à contre-saison.

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2. Méthodologie 2.1 Définition et périmètre des pertes alimentaires appliquées à la filière spécifique

Les pertes alimentaires pour la viande et le 5ème quartier (ensemble des parties issues de l’animal abattu qui ne sont pas désignées sous le terme ‘viande’) représentent la masse consommable par l’homme qui est perdue entre le stade ‘animal prêt à être vendu’ et le stade de la consommation. Les pertes survenant au stade de la ferme d’élevage, avant le stade ‘animal prêt à être vendu’, sont qualifiées ici de ‘manque à produire’. Ne rentrent dans ce périmètre que les produits qui sont consommables par l’homme. Ainsi, des produits valorisés en ‘pet food’ ne sont considérés comme pertes alimentaires que s’ils pouvaient initialement être consommés par l’homme. A signaler que nous avons quantifié les pertes alimentaires essentiellement au niveau de l’abattoir et de la découpe et les manques à produire essentiellement liés à la mortalité des animaux dans l’élevage. Les pertes alimentaires au niveau du transport, des saisies en abattoir, de la distribution et de la consommation ne sont en effet pas documentées. Ces dernières (pertes alimentaires au niveau de la distribution et de la consommation) peuvent cependant être très importantes (FAO, 2011).

2.2 Bibliographie exploitée

Pour les informations générales sur la filière, nous avons consulté les documents de l’Institut de l’Elevage (2015) et de Prache et Bauchart (2015) pour les ovins et de Ellies et Dumont (2014) pour les caprins. Pour les ‘manques à produire’ liés à la mortalité des jeunes, nous avons consulté les travaux de l’Unité Mixte Technologique (UMT) Santé des Petits Ruminants, ainsi que la récente revue bibliographique de Dwyer et al (2016) ; pour ceux liés à la prédation, nous avons consulté la publication de Brunschwig et al (2007), les synthèses de Vincent (2015) et Garde et al. (2015), ainsi que les bulletins de liaison mensuels de la Fédération Nationale Ovine (FNO). Enfin, pour la valorisation du 5ème quartier, nous avons consulté les travaux de FranceAgriMer. 3. Caractérisation des pertes alimentaires aux différentes étapes de la filière Les étapes de l’abattage, de l’animal vif aux différents morceaux, ainsi que la composition moyenne d’une carcasse, et le poids des différents produits, abats, co-produits et peau sont présentées aux Figures 1 et 2 (France AgriMer, 2013). Les pertes en poids lors du transport, du ressuyage et de la maturation sont estimées à 4%, 2% et 1%. Le rendement en carcasse (poids de carcasse/poids vif de l’animal à l’abattage) est d’environ 50%. Le rendement en découpe (poids de viande/poids de carcasse) est de 80%, le restant (20%) étant représenté par les os et les gras. Pour un agneau de 36 kg à l’abattage, on peut ainsi estimer le poids de carcasse à 18 kg, le poids de viande à 14.4 kg et le poids d’os et de gras à 3.6 kg. La peau, les abats et les co-produits représentent environ 17.2%, 10.5% et 71.7% du poids de la carcasse respectivement (soit 3.1, 1.9 et 12.9 kg pour une carcasse de 18 kg).

3.1 Pertes durant le transport et saisies à l’abattoir

La mortalité durant le transport entre la ferme d’élevage et l’abattoir, et les pertes liées aux saisies des carcasses en abattoir ne sont pas documentées pour les petits ruminants. Ces dernières ont été chiffrées à 0.19%-0.68% pour les bovins, 0.26%-1.14% pour les porcs charcutiers et 0.18%-0.42% pour les veaux (thèse de Nicolas Fradin, 1984). La saisie des abats pour cause d’état sanitaire de l’animal représente de 6 à 20 M€ minimum (toutes espèces animales confondues, FranceAgriMer, 2013). A signaler une réglementation spécifique à la France concernant l’utilisation de certains abats (cervelles de petits ruminants âgés de plus de 6 mois), entraînant des pertes liées à la règlementation (France Agrimer, 2013). En effet, la cervelle et la moelle épinière doivent être supprimées chez les ovins et les caprins âgés de plus de 6 mois ; le crâne (y compris les yeux), les amygdales et la rate doivent être supprimés chez tous les ovins et caprins quel que soit leur âge.

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Figure 1 : Rendement en carcasse et en découpe, poids de viande, d’os et de gras, d’abats et de co-produits, ainsi que de peau, pour un agneau de 36 kg à l’abattage (source France AgriMer, 2013)

3.2 Pertes au niveau de l’abattoir et de la découpe

Les produits du 5ème quartier peuvent être classés en deux catégories qui suivent des circuits industriels distincts :

- Les matières propres à la consommation humaine dont les abats, les coproduits alimentaires (sang, os et graisses animales) qui ne sont pas ingérables directement mais rentrent dans le circuit alimentaire après transformation, et les peaux dont une fraction peut être destinée à la fabrication de gélatine.

- Les sous-produits animaux, non destinés à rentrer dans le circuit de l’alimentation humaine et qui n’entrent donc pas dans le périmètre de cette étude.

Tableau 1: Volumes des abattages (carcasses, viande et 5ème quartier) (source France AgriMer, 2013)

Volumes abattus (carcasses, ktec) 85 Volume viande (carcasses, ktec) 68 Poids frais de peaux (kt) 14 Poids frais d’abats (kt) 9 Poids frais autres co-produits provenant de l’abattoir (kt) 62 Poids frais autres co-produits provenant du stade de la découpe (graisses animales, os, co-produits de découpe/parage (kt)

12.6

Il y a une grande diversité de produits issus de l’abattage puis de la découpe (Figure 2). Cette grande diversité implique une forte compétence commerciale pour valoriser ces produits qui peuvent avoir des canaux de valorisation propres. Cela nécessite également une organisation industrielle dédiée. Ces exigences sont plus à la portée de gros abattoirs que de petits sites d’abattages. Les abattoirs (notamment les petites structures) n’ont pas toujours les moyens (équipements et marchés) pour commercialiser les différents morceaux du 5ème quartier. Dans ce cas, des abats qui seraient

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consommables en alimentation humaine sont perdus (valorisés en alimentation animale ou équarissage). Figure 2 : Principales étapes de l’abattage, poids moyen et destination des différents types de produits issus de l’abattage d’un agneau (source France AgriMer, 2013)

Plusieurs facteurs influent ainsi sur les possibilités de valorisation du 5ème quartier et donc sur le taux de pertes correspondant :

- Une taille critique suffisante des sites d’abattage pour assurer une logistique de collecte (ex : abats),

- Des installations de stockage et de traitements des abats (travail de la tête, des abats blancs, des pieds,…),

- La maîtrise et la connaissance des débouchés (certains débouchés n’étant accessibles qu’à partir d’une certaine capacité de production), la situation géographique (proximité de clients, densité du tissu permettant d’être sur un circuit de collecte, particularités de la consommation régionale),

- La capacité à surgeler, - Le pourcentage de saisies, qui est mal maîtrisé, faute d’informations suffisantes

Le degré de valorisation (et par conséquent de pertes) des abats dans la filière viande ovine varie beaucoup entre abattoirs, en lien avec la taille et la logistique, le savoir-faire technique et les installations frigorifiques. Les gros abattoirs commercialisant plus de 1000 tec valorisent bien les abats (hormis cervelles et problèmes parasitaires) ; ceux commercialisant entre 200 et 1000 tec les valorisent partiellement (avec un effet de seuil pour certains abats) et les petites structures commercialisant moins de 200 tec les valorisent très peu.

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A noter que la France est un des principaux pays consommateurs d’abats d’ovins en Europe avec le Royaume Uni (communauté pakistanaise) et dans une moindre mesure l’Allemagne et l’Italie. Le marché français est déficitaire (3 280 tonnes importées en 2009). La demande évolue, avec une baisse de la consommation traditionnelle plutôt haut de gamme et une hausse de la consommation halal. Par ailleurs, si les abats potentiellement valorisables atteignent 9 000 tonnes, les abats des 200 000 agneaux de lait (soit 1 200 tec et 130 tonnes d’abats potentiels) ne sont pas valorisés, et ceux des brebis le sont faiblement (560 000 brebis, soit 14 400 tec et 1 610 tonnes d’abats potentiels). Les abats les mieux valorisés, bien que seulement partiellement, sont ceux des agneaux (3.6 M d’agneaux, soit 63 595 tec et 7 250 tonnes d’abats potentiellement valorisables). Tableau 2: Taux de pertes des abats issus des carcasses d’agneaux (France AgriMer 2010)

Part de l’abat sur le poids total

valorisable

Part de l’abat dans la valorisation financière potentielle par animal

Taux de valorisation en alimentation

humaine

Taux de pertes (poids en tonnes)

Fressure (foie, cœur, poumons)

39% 23% 65% 35% (1017)

Cervelle 5% 18% 40% 60% (223) Langue 12% 6% 85% 15% (134) Pieds 15% 21% 45% 55% (615) Panse 15% 9% 60% 40% (447) Menus (intestin grêle) 2% 12% 80% 20% (30) Rognons 4% 2% 85% 15% (45) Ris (thymus) 2% 6% 45% 55% (82) Animelles (testicules) 6% 3% 50% 50% (223) Joues 0% 100% La fressure (foie, cœur, poumons) est valorisée par la plupart des abattoirs (ou leurs utilisateurs). Les principaux débouchés pour les fressures entières sont le marché musulman en France (boucheries halal notamment) et des marchés à l’export en Grèce (voire Espagne) de manière saisonnière (Pâques orthodoxe). Ce marché est dynamique et nécessite des importations, notamment lors des fêtes religieuses (6 000 à 10 000 fressures par semaine) et lors des creux de production (août à février). Une minorité de fressures est valorisée en séparant les différents abats (seuls quelques opérateurs le font). Les cœurs et foies trouvent des débouchés dans le réseau traditionnel, en GMS dans le sud-est ou en transformation (brochettes). Cependant, le foie est très fragile (4-5 jours de conservation maximum) et ne se congèle pas, ce qui rend sa commercialisation en boucherie difficile. Les poumons ne sont pas consommés séparément et sont essentiellement destinés au marché du pet food. La fressure ou le foie de brebis peuvent parfois être valorisés auprès des industriels du pet food quand le coût logistique n’est pas trop important. Une enquête réalisée par FranceAgriMer en 2010 auprès de 15 sites ou abatteurs représentant 50% des abattages nationaux montre que, globalement, 2/3 à 3/4 des volumes de fressure sont orientés vers l’alimentation humaine. Seuls les foies touchés par le parasitisme sont écartés d’une valorisation en alimentation humaine ou animale (10% des volumes sur l’année). Les petits abattoirs valorisent cependant mal ce produit, par manque de connaissance ou manque de débouchés locaux (éloignement des boucheries halal). Lorsque la règlementation autorise sa consommation, la cervelle est un produit à haute valeur ajoutée, et la demande existe sur plusieurs créneaux pour tout type de consommateurs : traditionnel, UVCI, RHD. Cependant, les disponibilités saisonnières limitent la stabilité de l’offre au niveau de la distribution. Globalement, le taux de prélèvement est autour de 40-50% (donc taux de pertes de 50-60%), avec de fortes disparités entre abattoirs, ceux abattant moins de 750 agneaux par semaine ne cherchant pas à

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valoriser cet abat. En effet, certaines contraintes techniques et règlementaires (sanitaires) compliquent ce prélèvement (interdiction règlementaire pour les animaux de plus de 6 mois et contraintes d’équipement et de formation). La valorisation de la langue est importante, puisque 85-90% des langues sont valorisées (FranceAgriMer, 2010). La moitié de l’organe est prélevé et les débouchés sont halal, GMS et traditionnel. Le taux de valorisation des pieds est estimé à 50-60%. Ces derniers rentrent dans la composition de plats cuisinés après échaudage et épilation. Parfois seulement 2 pieds sont valorisés et les débouchés sont difficiles en dehors des plats cuisinés. Le taux de valorisation de la panse est estimé à 60%. Elle est valorisée verte ou échaudée ; les débouchés sont halal ou traditionnel. Le taux de valorisation des menus (intestin grêle, valorisé en boyauderie) est estimé à 80-85%. Les rognons peuvent être vendus avec la carcasse (bouchers), séparément (UVCI pour GMS) ou pour les pet food. Le taux de valorisation en alimentation humaine est estimé à 85-90%. Les ris (thymus) et les animelles (testicules) peuvent représenter une valorisation non négligeable, mais ils restent des produits avec une diffusion confidentielle. Le taux de valorisation est estimé à 50%. Les joues sont très rarement valorisées en alimentation humaine compte tenu du travail à fournir. Au final, on peut considérer les pertes alimentaires en abats à 4 556 tonnes par an, soit 50% du total des abats produits.

3.3 Pertes au niveau de la distribution Nous n’avons pas trouvé d’informations quantifiant ces pertes. A signaler que les agents des services vétérinaires et de la DGCCRF peuvent saisir les produits au stade de la vente au consommateur quand ils sont jugés toxiques, corrompus ou falsifiés.

3.4 Pertes à la consommation

La FAO (2011) relève que dans les pays industrialisés, les pertes à la consommation pour la viande et les produits carnés représentent approximativement la moitié des pertes totales. Cependant, nous n’avons pas trouvé de chiffrage spécifique pour la viande de petits ruminants.

3.5 Devenir des pertes alimentaires Les pertes alimentaires en abats sont actuellement très partiellement valorisées en pet food (taux de valorisation des abats d’agneaux de 20% pour les fressures et de 5% pour les rognons), le reste des pertes alimentaires en abats issus d’agneaux partant à l’équarrissage. On peut considérer que 30% des abats d’agneaux partent à l’équarrissage (calculs réalisés à partir des données de FranceAgriMer, 2010 et de l’Institut de l’Elevage, 2015). Si l’on considère que les abats de brebis et d’agneaux de lait ne sont pas valorisés, on peut considérer qu’au final 43% du total des abats partent à l’équarissage et seulement 7% sont valorisés en pet food. Ces abats pourraient potentiellement être tous valorisés en alimentation humaine, hormis la cervelle des petits ruminants âgés de plus de 6 mois si la règlementation reste la même. A cet égard, il y a une demande forte des acteurs d’autoriser la vente des cervelles d’agneaux jusqu’à 12 mois, comme dans le reste de l’Europe (France AgriMer, 2013). Les viandes saisies aux différents niveaux de la filière peuvent actuellement être utilisées i) pour l’alimentation des animaux de compagnie (‘pet food’), ii) en verminière (fosse pour le développement des vers ou des larves d’insectes servant à la nourriture de la volaille), iii) et pour certaines (déchets à faible risque) pour les animaux de zoos et de meute. A signaler que les farines animales sont interdites dans l’alimentation des animaux dont la chair est destinée à la consommation humaine.

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4. Analyse du « manque à produire» au stade de la production Les manques à produire sont liés aux maladies et aux mortalités d’animaux. Les maladies animales peuvent occasionner des ‘manques à produire’ non négligeables dans les élevages. A noter que les petits ruminants sont particulièrement sensibles aux parasites gastro-intestinaux et exposés aux risques de prédation. Par ailleurs, l’élevage ovin allaitant se caractérise par une gestion des animaux intermédiaire entre une gestion individuelle (bovins) et une gestion collective (volailles) ; les petits ruminants sont souvent gérés et manipulés en lots.

4.1 Mortalité des jeunes Le taux de mortalité des agneaux jusqu’à 60 jours est en moyenne de 13.6% (médiane de 54 élevages français). On constate une variabilité importante entre élevages (de 4% à 32%), ce qui laisserait supposer des marges de progrès. Cependant, une enquête conduite dans plusieurs régions françaises en 2010-2011 auprès de 353 éleveurs des réseaux d’élevage ovins viande montre que ceux-ci estiment avoir peu de marges de progrès sur cet aspect, en lien avec la charge de travail. La mortalité avant 48h de vie représente plus de 50% de la mortalité totale avant 60 jours (54%), la mortalité entre 10 jours et 60 jours de vie ne représentant que 30% de la mortalité totale. Entre la naissance et 2 jours, les causes de mortalité sont souvent inconnues (notamment pour les avortons et les mort-nés, -24.9% des mortalités-) et non infectieuses (poids à la naissance -11.6% des mortalités-, noyade, problèmes de tétée -7.5%-). Après 10 jours d’âge, les causes infectieuses deviennent prépondérantes (entérotoxémie, affections respiratoires, diarrhées). La mortalité des agneaux augmentant avec la taille de la portée (Dwyer et al., 2016), le taux de mortalité est plus élevé pour les troupeaux dont la prolificité est supérieure à 150% (12% vs 10.6%). Les agneaux issus de brebis jeunes ou à l’inverse âgées (plus de 6 ans) sont plus à risque. Les facteurs de risque sont liés à la mère (âge, taille de la portée, nutrition et état corporel à la mise-bas, rythme de reproduction, production de colostrum), à l’agneau (poids à la naissance, tétée du colostrum, sexe) et à l’environnement (système d’élevage, ambiance du bâtiment, gestion du parasitisme) (Dwyer et al. 2016). Les pratiques d’élevage pour contenir la mortalité des agneaux sont globalement connues (réforme des brebis à risque, alimentation suffisante des brebis en gestation, évaluation du parasitisme des brebis pour un éventuel traitement, surveillance des agnelages, prise du colostrum par les agneaux, désinfection du nombril, ambiance et hygiène -dont paillage et densité animale-), mais ne sont pas toujours rigoureusement appliquées (Dwyer et al., 2016). Les facteurs de risque les plus fréquemment constatés sont : i) une note d’état corporel et un statut en sélénium des brebis trop faibles (27% des lots), ii) un taux de réforme des brebis à problème insuffisant (10% à 60% des lots suivant le problème), iii) le temps de surveillance des agnelages (33% des lots), iv) une prise colostrale insuffisante (45% des lots) et v) des défauts d’ambiance et d’hygiène de l’aire de vie des agneaux. L’UMT Santé des Petits Ruminants a publié des recommandations à cet égard pour diminuer la mortalité des agneaux en élevage. Compte tenu de la forte variabilité intra-système d’élevage, il est difficile d’observer des différences significatives entre systèmes d’élevage. Cependant, le suivi sur 2 campagnes de 54 élevages du Massif Central montre des valeurs médianes de 12.7%, 14.6% et 18.4% pour les systèmes d’élevage avec 2 périodes d’agnelage dans l’année, les systèmes d’élevage pastoraux et les systèmes d’élevage dont le rythme de reproduction est accéléré. Par ailleurs, des données obtenues sur plus de 1000 élevages ovins allaitant français adhérents au contrôle de performances entre 2000 et 2010 (plus de 340 000 agneaux) montrent une dégradation du taux de mortalité des agneaux depuis 2007 (le taux était relativement stable entre 2000 et 2006 autour de 10% à 10.5% et a augmenté depuis 2007). Cette dégradation peut être liée, au moins en partie i) à une meilleure qualité de l’enregistrement des mortalités, ii) à une augmentation de la taille des

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troupeaux et une diminution de la main d’œuvre entraînant une diminution des possibilités de surveillance, notamment lors des mises bas, et iii) à la FCO qui a touché la France à partir de 2007 (et plus récemment le virus de Schmallenberg). Trois facteurs sont ainsi essentiels : le manque de ‘bras’, l’augmentation de la taille des troupeaux et les problèmes sanitaires nouveaux. 4.2 Mortalité liée à la prédation Les pertes ovines et caprines liées à des attaques de chiens (chiens errants ou ayant échappé au contrôle de leur propriétaire) sont pour la moitié des cas le fait de chiens du voisinage (Brunschwig et al., 2007). Ce problème est géré localement avec une rapide mise hors d’état de nuire de ce prédateur domestique après sa première attaque sur un troupeau. Durant ces 6 dernières années, les pertes en élevage liées à la prédation par les loups ont été multipliées par trois. En 2015, 8935 victimes ont été indemnisées dont environ 90% sont des ovins (source : Dreal Rhône-Alpes). A cela, s’ajoutent 20 à 30% de pertes liées à des animaux disparus lors des attaques ou non indemnisables en raison de constats tardifs et/ou de surconsommation par les vautours (Garde et al., 2015). La région PACA est la principale impactée, mais le rayon d’action des loups s’élargit en France, les départements colonisés ou en voie de colonisation par des loups étant aujourd’hui au nombre de 32. La population de loups augmente aussi, sa croissance observée en France étant de l’ordre de 20% par an (données ONCFS). Enfin, les attaques concernent maintenant des systèmes et des modes d’élevage très divers, et plus seulement les troupeaux en alpage et les grands troupeaux collectifs. Dans toutes les situations d’élevage, la fréquence des attaques, l’adaptabilité du loup face aux moyens déployés pour protéger les troupeaux, ainsi que les effets induits pour les autres usagers de l’espace (ex. de certains chiens patous, utilisés pour protéger les troupeaux, mais agressifs envers les randonneurs), génèrent des conditions de stress pour les éleveurs de moins en moins supportables (MSA Ardèche, Drôme Loire, 2013).

4.3 Quantification des effets du ‘manque à produire’ liés à la mortalité des jeunes

Nous avons quantifié les effets de ce manque à produire de la manière suivante. Le nombre d’agneaux prêts à abattre est de 4.13 millions de têtes (somme du nombre d’agneaux abattus, 3.7 millions de têtes, et du nombre d’agneaux vivants exportés, 433 000 têtes) (Institut de l’Elevage, 2015). Un taux de mortalité des agneaux moyen de 13.6% conduit à une estimation du nombre d’agneaux nés de 4.78 millions de têtes et de 650 000 agneaux morts. Tableau 3: Estimation des effets du manque à produire sur les volumes de viande et 5ème quartier liés à la mortalité des agneaux

Pertes en volumes abattus (carcasses, tec) 11635 Pertes en poids frais de peaux (t) 107 Pertes en poids frais d’abats (t) 69 Pertes en poids frais autres co-produits provenant de l’abattoir (t) 474 Pertes en poids frais autres co-produits provenant du stade de la découpe (graisses animales, os, co-produits de découpe/parage (t)

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5. Leviers d’action (techniques, organisationnels, règlementaires etc.) et innovations pour la réduction et la valorisation des pertes alimentaires, questions à la recherche

5.1 Leviers d’action et innovations pour la réduction des manques à gagner au niveau de l’élevage

5.1.1 Assurer la réactivité de la recherche face à des émergences pathologiques, comme dans le cas du virus de Schmallenberg (qui provoque des malformations des jeunes à la naissance, Mounaix et

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al., 2013) ou de la Fièvre Catarrhale Ovine (qui a des impacts parfois importants sur la fertilité des animaux et la mortalité, notamment des jeunes) et veiller aux outils d’épidémio-surveillance qui permettent de suivre l’évolution de ces maladies et de mettre en œuvre les outils nécessaires à leur maîtrise (comme la vaccination à grande échelle pour la FCO). Au-delà, des maladies émergentes ou ré-émergentes peuvent mettre à mal un élevage, une région, voire toute une filière par perte du statut ‘officiellement indemne’ (Benoit et al., 2014). 5.1.2 Travailler autour du concept d’animal adapté, autonome et robuste pour contenir la mortalité et maîtriser la santé sans augmenter la charge de travail qui est un verrou majeur en élevage de petits ruminants : i) qualités maternelles des mères (mises-bas nécessitant moins de surveillance et d’interventions), ii) facilité pour l’agneau à naître et à téter, vigueur de l’agneau à la naissance, iii) protection du jeune par la qualité de la toison qui joue sur la résistance au froid et la survie lors d’agnelages en extérieur, iv) bonne intégration de l’animal dans le troupeau et faible réactivité à l’homme (animal ‘facile’), v) maîtrise du parasitisme, qui reste un point crucial chez les petits ruminants. La sélection d’animaux génétiquement plus résistants aux parasites et le développement d’outils de détection des animaux les plus sévèrement infestés sont des enjeux forts (Benoit et al., 2014). Cependant, il y a beaucoup de races ovines en France et pas de très grande race en effectif. Si ce nombre de races peut être une chance pour les signes de qualité et leur lien au terroir, il peut aussi représenter un frein pour la sélection. 5.1.3 Croiser les regards des zootechniciens, des sociologues et des éleveurs pour diminuer la mortalité, notamment néo-natale, en élevage de petits ruminants. Une publication récente montre que cette dernière est restée inchangée depuis 40 ans, bien qu’elle représente un manque à produire et à gagner significatif et que les pratiques d’élevage pour la contenir soient connues (Dwyer et al., 2016). Des études en sciences sociales suggèrent que les éleveurs ont généralement une attitude positive envers la réduction de la mortalité néonatale, mais qu’ils diffèrent dans leurs avis sur les moyens d’y parvenir, voire que certains pensent qu’ils ne peuvent pas la contrôler (Dwyer et al., 2016). 5.1.4 Améliorer l’efficacité des actions de protection des troupeaux face aux loups C’est devenu un enjeu prioritaire pour la filière (voir, entre autres, Mouton Infos, N° 243, Février 2015), du fait de la croissance exponentielle des attaques et des victimes, de la diversité des systèmes d’élevage aujourd’hui concernés, et de l’extension rapide du rayon d’action national de ce prédateur. La synthèse récente de Vincent (2015) a conclu à l’échec des mesures actuelles de protection des troupeaux, notamment en raison de la capacité des loups à s’adapter rapidement. En 2015, la population française d’environ 300 loups (effectif minimal estimé) ayant été jugée par le Ministère de l’écologie « en état favorable de conservation », ceci autorisait la mise en œuvre d’une « régulation ». Depuis l’été 2015, des actions nouvelles ont donc été menées : demande auprès de l’Europe de déclassement des loups dans la Directive Habitat ; autorisation d’un prélèvement de 36 loups, action organisée sous la responsabilité des préfets. La demande de déclassement a semble-t-il peu de chance d’aboutir car certains pays de l’UE y sont opposés. En revanche, l’autorisation donnée aux éleveurs ainsi qu’à certaines personnes habilitées, de procéder à des « tirs de défense renforcés », aussitôt la ou les premières attaques, semble une voie d’amélioration prometteuse des actions de protection. Comme le soulignent les experts nord-américains il s’agit d’inciter davantage « les loups à associer le bétail avec les humains, et les humains avec le danger » (Vincent, 2015).

5.2. Leviers d’action et innovations pour la réduction des pertes alimentaires au niveau de l’abattage et de la découpe

Au-delà de la présence d’un débouché, la valorisation du 5ème quartier dépend de nombreux facteurs : 5.2.1 En élevage : information aux éleveurs sur les déclassements ou saisies à l’abattoir, notamment celles liées au parasitisme, et actions correspondantes en élevage pour limiter ces déclassements et

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saisies. Le parasitisme peut provoquer des manques à gagner et des pertes importantes ; cependant, il est illusoire d’imaginer l’éradiquer (NB : ne pas oublier la vermifugation des chiens de ferme). 5.2.2 En abattoir, notamment dans les petites structures : développer la valorisation du 5ème quartier en i) sensibilisant à son importance économique, ii) investissant le cas échéant en équipement de froid/congélation et en capacité de traitement et iii) améliorant la formation du personnel sur sa valorisation. 5.2.3 Au niveau de la règlementation : demande forte actuellement des acteurs d’autoriser la vente des cervelles d’agneaux jusqu’à 12 mois, comme dans le reste de l’Europe (France AgriMer, 2013). 5.2.4 Développement de la demande pour les abats et la viande caprine : éducation et reconquête des consommateurs via une information et une diversification de l’offre produits (quantification des qualités nutritionnelles des abats, qui sont peu connues, et informations aux consommateurs à cet égard, amélioration de l’image des produits auprès des non-consommateurs, informations aux transformateurs et développement de l’innovation produit, gamme de produits transformés halal).

- Réaliser i) une étude de marché sur les produits cuisinés halal à base de viande et d’abats ovins (abats concernés : pieds, panse, langue) et ii) une campagne de communication auprès des consommateurs sur les aspects nutritionnels et hédoniques.

- Développer l’offre d’abats de type PAI (Produits Alimentaires Intermédiaires) pour développer la demande de consommation des ménages ou celle de la RHD (logique d’assemblage). Tous les abats sont concernés.

6. Conclusions et perspectives Nous avons essayé de compiler et d’analyser les données concernant les pertes alimentaires et les manques à produire dans la filière viande de petits ruminants et de rapporter les causes et les moyens de les prévenir. La quantification des pertes alimentaires aux différents stades a souvent été difficile du fait du manque de données. Les pertes à la distribution et à la consommation notamment sont absentes, alors que le rapport FAO (2011) indique que ce sont probablement les plus importantes. Les pertes au niveau des industries d’abattage et de découpe sont liées à la taille des abattoirs, laquelle conditionne leurs possibilités de valoriser le 5ème quartier, à la règlementation et au parasitisme en élevage. Les manques à gagner liés à la mortalité des jeunes en élevage ne sont pas négligeables. Si les causes de la mortalité néonatale et les pratiques d’élevage pour la réduire sont bien connues, force est de constater qu’il n’y a pas eu de réelle amélioration depuis 40 ans (Dwyer et al., 2016). Ceci est dû, au moins partiellement, à l’accroissement de la taille des troupeaux, qui rend plus difficiles la surveillance et l’assistance aux animaux, notamment lors des mises-bas, ainsi qu’à l’émergence de nouvelles pathologies. Les pertes liées à la prédation sont en augmentation et les professionnels demandent une amélioration de l’efficacité des actions de protection des troupeaux face au loup. Au-delà des leviers d’actions proposés pour réduire ces manques à produire et ces pertes alimentaires au niveau de l’élevage, de l’abattage et de la distribution, le coût de cette prévention est très difficile à quantifier.

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