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ENQUÊTE 22 N° 3608 du 10 octobre 2014 Le visiteur du futur, websérie lancée en 2009. Wrong Cops de Quentin Dupieux, film transformé en websérie. LES WEBFICTIONS SUSCITENT DE PLUS EN PLUS L’INTÉRÊT DES PROFESSIONNELS, ET SONT PARFOIS DIFFUSÉES À LA TÉLÉ. Mais économiquement, le modèle se cherche encore. Sont-elles juste un tremplin vers d’autres écrans ou ont-elles un avenir en ligne ? CÉCILE BLANCHARD DES MODES DE FINANCEMENT À TROUVER Tour d’horizon des moyens de financer des webfictions LE CROWDFUNDING : c’est actuellement le moyen le plus utilisé, particulièrement aux États-Unis. En moyenne, il permettrait de récolter un peu moins de 10 000 €. LE FAN FUNDING : dérivé du crowdfunding, ce modèle a été déployé par YouTube aux États-Unis. Il permet aux fans de financer le contenu vidéo de leur choix en cliquant sur un bouton intégré au player vidéo. LA PUBLICITÉ : Les préroll financent une vidéo en fonction de son audience. Un modèle efficace uniquement à partir d’un nombre de vues considérables. LE BRANDCONTENT : De plus en plus de marques s’intéressent au format des webséries, soit en finançant leur propre contenu (comme la CAF, avec Voilà) ou le sponsorisant (comme Orangina avec Mission 404, véritable carton d’audience). “Un modèle intéressant à condition que les marques acceptent de ne pas s’immiscer dans la création”, souligne Arnaud Hacquin, directeur du Jardin des marques. Y A-T-IL UNE VIE APRèS INTERNET ? WEBFICTIONS D ans un parc, un jeune homme s’apprête à jeter une canette dans une poubelle quand soudain, un type venant du futur apparaît, et lui somme de n’en rien faire au risque de déclencher une catas- trophe écologique mondiale. Ce pitch, c’est celui du tout pre- mier épisode du Visiteur du futur (VDF), websérie lancée en 2009 et désormais l’une des plus regardées en France (entre 400 000 et 500 000 vues en moyenne par épisode). “Mon impulsion de départ était d’expérimenter des concepts, avec très peu de moyens et une bande de copains. Internet permet cette spontanéité”, explique François Descraques, créateur et réalisateur de la websérie. “Contre toute attente, Le visiteur du futur a plu. J’ai donc développé une vraie narration, pour en faire une série feuilletonnante.” Un pari gagnant qui permet au VDF d’accroître encore son public… jusqu’à être repérée par le studio de production Ankama et France Télévisions Nouvelles Écritures, qui décident de coproduire les saisons suivantes. “Nous sommes alors pas- sés du bénévolat à un budget de 20 000 € par épisode. Cela nous a permis de payer les équipes, mais aussi de revoir nos ambitions à la hausse. Le paradoxe, c’est que si j’ai créé Le visiteur du futur sur le web au départ, c’est parce que personne n’aurait voulu le diffuser à la télévision !”, s’amuse François Descraques. LES CHAÎNES TÉLÉ OUVRENT LEURS ÉCRANS AUX WEBFICTIONS Et cet exemple n’est pas isolé. La plateforme web de France 4 dédiée à la fiction produite pour le web, Studio 4.0, opère une veille constante pour repérer les talents… et les (co) produire, voire parfois les mettre à l’antenne, dans l’émis- sion du même nom diffusée chaque vendredi en troisième partie de soirée. “Les webfictions permettent à la télévision de toucher un public plus jeune, qui la délaisse au profit d’internet”, estime François Descraques. Un moyen égale- ment de tester de nouveaux concepts et formats à peu de frais. “Les webséries françaises se sont construites autour du phénomène geek. Mais elles peuvent toucher un public Les festivals audiovisuels, qui accueillent de plus en plus souvent une catégorie webfictions, participent à la reconnaissance du genre et offrent un espace de rencontre aux auteurs et aux professionnels. De plus en plus, les contenus passent d’un écran à l’autre. Le cinéma lui- même n’est pas insensible au phénomène : le film Wrong Cops de Quentin Dupieux vient d’être divisé en sept épi- sodes de 13 minutes diffusés sur le web ! “À l’avenir, je pense qu’un nombre croissant de webséries va connaître des succès planétaires. Et elles seront probablement récupérées par les chaînes de télévision. Aux États-Unis par exemple, ABC vient d’acheter Wastelander Panda, une websérie australienne”, note Joël Bassaget. Reste à savoir comment ces fictions créées pour le web se comporteront sur l’écran, plus formaté, de la télévision. * La mise en ligne de la websérie a été bloquée par la justice. Arte et le Dr Muller, dont s’inspire “Intime conviction”, sʼaffrontent encore en justice. Jugement rendu le 5 novembre. plus large, et aborder des thèmes profonds”, affirme Joël Bassaget, journaliste et auteur du blog Webséries Mag. Par ailleurs, les chaînes ne se contentent pas de regarder ce qui se fait, elles en produisent parfois elles-mêmes, soit pour accompagner leurs programmes avec des webisodes (Clem sur MyTF1, Quand les parents sont pas là, déclinée de la série Fais pas ci, fais pas ça, sur France 2, ou l’audacieuse websérie interactive Inside engrenage par Canal+), soit pour donner naissance à des contenus transmédias, loin de la websérie bricolée entre amis. “Chez Arte, les webfictions s’inscrivent dans notre mission : innover, en testant de nouvelles formes narratives, et en privilégiant l’interaction et le mélange des genres”, rappelle Gilles Freissinier, directeur du pôle web d’Arte France. La chaîne, qui prévoit de développer plus de webfictions interactives ou linéaires pour l’an prochain, a ainsi produit la websérie 60 secondes, diffusée uniquement sur Facebook, ou l’ambitieuse fiction bimédia Intime convic- tion* (un téléfilm accompagné de 35 webfictions). D’UN ÉCRAN À L’AUTRE “Les chaînes sont en train d’ouvrir des canaux. Cela veut dire qu’il va y avoir des opportunités de distribution de plus en plus grandes pour les créateurs de webséries”, s’enthousiasme Joël Bassaget. Et qui dit opportunités de distribution dit moyen de se faire connaître pour les jeunes talents. “Le visiteur du futur m’a ouvert d’autres opportunités. J’ai créé la série Les opérateurs, produite par Telfrance, toujours pour France 4, et j’ai un agent qui me permet de développer des projets pour le cinéma”, témoigne François Descraques. © ANKAMA/FRANCE TÉLÉVISIONS © UFO DISTRIBUTION © ARTE 60 secondes, produite par Arte, uniquement diffusée sur Facebook. Un festival intégralement consacré aux webséries Créé en 2011 en partenariat avec le L.A. Web Fest, le Marseille Web Fest aura lieu les 17 et 18 octobre. Au programme : 25 webséries internationales en compétition, des conférences animées par des professionnels, ainsi qu’un marché des nouveaux contenus. 

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N° 3608 du 10 octobre 2014

Le visiteur du futur, websérie lancée en 2009.

Wrong Cops de Quentin Dupieux, film transformé en websérie.

Les webfictions suscitent de pLus en pLus L’intérêt des professionneLs, et sont parfois diffusées à La téLé. Mais économiquement, le modèle se cherche encore. Sont-elles juste un tremplin vers d’autres écrans ou ont-elles un avenir en ligne ? ■ CéCile BlanChard

des modes de finanCement à trouver Tour d’horizon des moyens de financer des webfictions

le Crowdfunding : c’est actuellement le moyen le plus utilisé, particulièrement aux États-Unis. En moyenne, il permettrait de récolter un peu moins de 10 000 €.

le fan funding : dérivé du crowdfunding, ce modèle a été déployé par YouTube aux États-Unis. Il permet aux fans de financer le contenu vidéo de leur choix en cliquant sur un bouton intégré au player vidéo.

la puBliCité : Les préroll financent une vidéo en fonction de son audience.

Un modèle efficace uniquement à partir d’un nombre de vues considérables.

le BrandContent : De plus en plus de marques s’intéressent au format des webséries, soit en finançant leur propre contenu (comme la CAF, avec Voilà) ou le sponsorisant (comme Orangina avec Mission 404, véritable carton d’audience). “Un modèle intéressant à condition que les marques acceptent de ne pas s’immiscer dans la création”, souligne Arnaud Hacquin, directeur du Jardin des marques.

y a-t-il une vie après internet ?

Webfictions 

Dans un parc, un jeune homme s’apprête à jeter une canette dans une poubelle quand soudain, un type venant du futur apparaît, et lui somme de n’en rien faire au risque de déclencher une catas-

trophe écologique mondiale. Ce pitch, c’est celui du tout pre-mier épisode du Visiteur du futur (VDF), websérie lancée en 2009 et désormais l’une des plus regardées en France (entre 400 000 et 500 000 vues en moyenne par épisode). “Mon impulsion de départ était d’expérimenter des concepts, avec très peu de moyens et une bande de copains. Internet permet cette spontanéité”, explique François Descraques, créateur et réalisateur de la websérie. “Contre toute attente, Le visiteur du futur a plu. J’ai donc développé une vraie narration, pour en faire une série feuilletonnante.” Un pari gagnant qui permet au VDF d’accroître encore son public… jusqu’à être repérée par le studio de production Ankama et France Télévisions Nouvelles Écritures, qui décident de coproduire les saisons suivantes. “Nous sommes alors pas-sés du bénévolat à un budget de 20 000 € par épisode. Cela nous a permis de payer les équipes, mais aussi de revoir nos ambitions à la hausse. Le paradoxe, c’est que si j’ai créé Le visiteur du futur sur le web au départ, c’est parce que personne n’aurait voulu le diffuser à la télévision !”, s’amuse François Descraques.

les Chaînes télé ouvrent leurs éCrans aux weBfiCtionsEt cet exemple n’est pas isolé. La plateforme web de France 4 dédiée à la fiction produite pour le web, Studio 4.0, opère une veille constante pour repérer les talents… et les (co)produire, voire parfois les mettre à l’antenne, dans l’émis-sion du même nom diffusée chaque vendredi en troisième partie de soirée. “Les webfictions permettent à la télévision de toucher un public plus jeune, qui la délaisse au profit d’internet”, estime François Descraques. Un moyen égale-ment de tester de nouveaux concepts et formats à peu de frais. “Les webséries françaises se sont construites autour du phénomène geek. Mais elles peuvent toucher un public

Les festivals audiovisuels, qui accueillent de plus en plus souvent une catégorie webfictions, participent à la reconnaissance du genre et offrent un espace de rencontre aux auteurs et aux professionnels. De plus en plus, les contenus passent d’un écran à l’autre. Le cinéma lui-même n’est pas insensible au phénomène : le film Wrong Cops de Quentin Dupieux vient d’être divisé en sept épi-sodes de 13 minutes diffusés sur le web ! “À l’avenir, je pense qu’un nombre croissant de webséries va connaître des succès planétaires. Et elles seront probablement récupérées par les chaînes de télévision. Aux États-Unis par exemple, ABC vient d’acheter Wastelander Panda, une websérie australienne”, note Joël Bassaget. Reste à savoir comment ces fictions créées pour le web se comporteront sur l’écran, plus formaté, de la télévision. ❖

* La mise en ligne de la websérie a été bloquée par la justice. Arte et le Dr Muller, dont s’inspire “Intime conviction”, sʼaffrontent encore en justice. Jugement rendu le 5 novembre.

plus large, et aborder des thèmes profonds”, affirme Joël Bassaget, journaliste et auteur du blog Webséries Mag. Par ailleurs, les chaînes ne se contentent pas de regarder ce qui se fait, elles en produisent parfois elles-mêmes, soit pour accompagner leurs programmes avec des webisodes (Clem sur MyTF1, Quand les parents sont pas là, déclinée de la série Fais pas ci, fais pas ça, sur France 2, ou l’audacieuse websérie interactive Inside engrenage par Canal+), soit pour donner naissance à des contenus transmédias, loin de la websérie bricolée entre amis. “Chez Arte, les webfictions s’inscrivent dans notre mission : innover, en testant de nouvelles formes narratives, et en privilégiant l’interaction et le mélange des genres”, rappelle Gilles Freissinier, directeur du pôle web d’Arte France. La chaîne, qui prévoit de développer plus de webfictions interactives ou linéaires pour l’an prochain, a ainsi produit la websérie 60 secondes, diffusée uniquement sur Facebook, ou l’ambitieuse fiction bimédia Intime convic-tion* (un téléfilm accompagné de 35 webfictions).

d’un éCran à l’autre“Les chaînes sont en train d’ouvrir des canaux. Cela veut dire qu’il va y avoir des opportunités de distribution de plus en plus grandes pour les créateurs de webséries”, s’enthousiasme Joël Bassaget. Et qui dit opportunités de distribution dit moyen de se faire connaître pour les jeunes talents. “Le visiteur du futur m’a ouvert d’autres opportunités. J’ai créé la série Les opérateurs, produite par Telfrance, toujours pour France 4, et j’ai un agent qui me permet de développer des projets pour le cinéma”, témoigne François Descraques.

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Un festival intégralement consacré aux websériesCréé en 2011 en partenariat avec le L.A. Web Fest, le Marseille Web Fest aura lieu les 17 et 18 octobre. Au programme : 25 webséries internationales en compétition, des conférences animées par des professionnels, ainsi qu’un marché des nouveaux contenus.