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ENTRE DÉVELOPPEMENTALISME ET INSTRUMENTALISATION DE LA PUISSANCE PUBLIQUE. LE RÉENGAGEMENT DE L'ÉTAT DANS L'ÉCONOMIE RUSSE Cédric Durand De Boeck Supérieur | Innovations 2007/2 - n° 26 pages 47 à 67 ISSN 1267-4982 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-innovations-2007-2-page-47.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Durand Cédric, « Entre développementalisme et instrumentalisation de la puissance publique. Le réengagement de l'État dans l'économie russe », Innovations, 2007/2 n° 26, p. 47-67. DOI : 10.3917/inno.026.0047 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur. © De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - National Chung Hsing University - - 140.120.135.222 - 13/04/2014 03h02. © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - National Chung Hsing University - - 140.120.135.222 - 13/04/2014 03h02. © De Boeck Supérieur

Entre développementalisme et instrumentalisation de la puissance publique. Le réengagement de l'État dans l'économie russe

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ENTRE DÉVELOPPEMENTALISME ET INSTRUMENTALISATION DELA PUISSANCE PUBLIQUE. LE RÉENGAGEMENT DE L'ÉTAT DANSL'ÉCONOMIE RUSSE Cédric Durand De Boeck Supérieur | Innovations 2007/2 - n° 26pages 47 à 67

ISSN 1267-4982

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-innovations-2007-2-page-47.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Durand Cédric, « Entre développementalisme et instrumentalisation de la puissance publique. Le réengagement de

l'État dans l'économie russe »,

Innovations, 2007/2 n° 26, p. 47-67. DOI : 10.3917/inno.026.0047

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Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur.

© De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites desconditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votreétablissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière quece soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur enFrance. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

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ENTRE DÉVELOPPEMENTALISMEET INSTRUMENTALISATION

DE LA PUISSANCE PUBLIQUE.LE RÉENGAGEMENT DE L’ÉTAT

DANS L’ÉCONOMIE RUSSE

Cédric DURANDIUTA- Lyon 1

Centre d’étude des modes d’industrialisation (CEMI),EHESS, et Centre d’économie de Paris Nord (CEPN)

[email protected]

Le retour de l’État dans l’économie semble marquer une inflexion signifi-cative dans la trajectoire de la Russie postsoviétique. Des vocables tels queCapitalisme d’État ou Corporate State 1 ont été introduits par des commenta-teurs et experts pour suggérer une bifurcation. Cet article propose de préciserl’ampleur et les caractéristiques de ce réengagement de l’État russe avant deproposer une double interprétation en termes de stratégie développementa-liste et d’instrumentalisation de la puissance politique dans le cadre d’unerecomposition du pouvoir économique. Kebabdjian (2005) identifie quatrefigures économiques de l’État qui ont progressé simultanément dans les écono-mies capitalistes avancées après la seconde guerre mondiale : l’État régulateurqui organise et réglemente les marchés ; l’État providence qui, notamment àl’aide de la fiscalité, produit des biens collectifs ; l’État keynésien qui, à traverssa politique macroéconomique, joue un rôle stabilisateur et influe sur leniveau de l’emploi et des prix ; enfin, l’État producteur ou entrepreneur quiest constitué d’un ensemble d’interventions visant plus à l’accroissement de lapuissance de l’État et de la nation qu’à suppléer aux défaillances du marché.Ce recul de l’État producteur est l’élément le plus marquant du retrait de l’Étatsous le coup des politiques néolibérales.

1. A. Illarionov, “When State Means Business”, International Herald Tribune, January 25, 2006;A. Illarionov, “The rise of the corporate state in Russia”, conference, The Cato Institute, march 72006, http://www.cato.org/event.php?eventid=2764; Zlotowski, 2006, “Russie, le retour de l’État”in (CEPII, 2006).

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Cédric DURAND

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En Russie (Durand, 2005a), comme dans l’ensemble des pays postsocia-listes, les privatisations ont conduit à un repli spectaculaire de cette fonctiond’organisation de la production. Or, certains changements intervenus depuisle début du second mandat de Vladimir Poutine en 2004 rompent avec cettetendance. L’État s’est doté de nouveaux instruments pour jouer un rôle plusactif dans l’orientation du développement économique (mobilisation de res-sources dans le cadre projets nationaux, zones économiques spéciales, créa-tion d’un fonds d’investissements). Surtout, la propriété publique est étendueet restructurée. C’est principalement à cette amplification / réorganisationde la propriété publique que cet article est consacré. La section 1 présenteles traits généraux du retour de l’État producteur, traits qui sont détaillésd’un point de vue sectoriel dans les sections 2 et 3 respectivement consa-crées à l’énergie et aux autres industries. La section 4 esquisse à travers lanotion de développementalisme instrumentalisé un cadre socioéconomiqued’interprétation.

LE RETOUR DE L’ÉTAT PRODUCTEUR : L’AFFIRMATION D’UNE TENDANCE

Les années 2004 et 2005 marquent une inflexion très nette dans la tendanceà la désétatisation de l’économie observée depuis 1992. Le processus de priva-tisation reste à l’ordre du jour, mais il se poursuit à un rythme très ralenti. En2004, des opérations significatives ont encore eu lieu avec la vente de parti-cipations de l’État dans l’entreprise pétrolière Loukoïl et dans le combinatmétallurgique de Magnitogorsk. En 2005, en revanche, la poursuite des priva-tisations reste à l’ordre du jour mais il s’agit d’opérations de second ordre alorsque toutes les opérations importantes ont été repoussées à l’instar de la privati-sation de la holding de télécommunications Svyazinvest (OCDE, 2006 ; IET,2006a).

Parallèlement, une importance nouvelle semble être donnée à la pro-priété publique. Un décret présidentiel du 4 août 2004 établit ainsi une listede 1064 entreprises publiques qui ne peuvent être privatisées et sociétés paractions dans lesquelles la part de l’État ne peut être diminuée 2. Au delà dusecteur de la défense, cette liste inclut les établissements dont « la productiona une signification stratégique pour la préservation des capacités de défenseet de sécurité de l’État, la protection de la morale, de la santé, du droit et des

2. Oukaze n° 1009 dont le texte est disponible ici : http://document.kremlin.ru/doc.asp?ID=23799&PSC=1&PT=3&Page=1;  %20ID=23799&PSC=1&PT=3&Page=2

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Le réengagement de l’État dans l’économie russe

n° 26 – innovations 2007/2 49

Tableau 1 – Les principales acquisitions de l’État depuis 2004

ENTREPRISE SECTEUR DATE MÉCANISME

Guta Bank banque août 2004 La banque publique Vnechtorgbank acquiert une part de 85,8 % avec le soutien de la banque centrale

Mosenergo production d’électricité

été et automne 2004

Gazprom dépasse le seuil de blocage (25 %+1)

Promstroibank St- Petersburg

banque septembre 2004

Vnechtorgbank acquiert une participation équivalente au seuil de blocage (25 %+1)

Atomstroieksport construction nucléaire

octobre 2004

La banque contrôlée par Gazprom, Gazprom-bank prend une participation de 50 %

RAO UES production d’électricité

automne 2004

Gazprom augmente sa participation à 10,5 %

Raffinerie de Tuapse

raffinerie pétrolière

décembre 2004

Rosneft achète 40 % à des actionnaires minoritaires afin de prendre le contrôle complet de la raffinerie

Iouganskneftgaz pétrole et gaz

décembre 2004

suite à la mise en faillite de Ioukos et à l’empri-sonnement et à la condamnation de son PDG, Rosneft achète une participation de 76,8 % dans son principal actif, la société Iougans-kneftgaz, à la firme Baikalfinansgroup qui l’a elle-même obtenue lors de l’enchère organisée par l’État pour liquider les dettes fiscales.

Tambeyneftgaz pétrole et gaz

mai 2005 Gazprombank achète une participation de 25 % à Novatek

Northgas pétrole et gaz

juin 2005 Gazprom prend possession de 51 % de la firme suite à une procédure de litige

Izvestia (quotidien) Chas pik (hebdomadaire)

média juin-septembre 2005

Gazprom média prend le contrôle

Gazprom pétrole et gaz

juillet 2005

La firme publique Rosneftgaz achète 10,7 % de Gazprom ce qui fait passer la participation de l’État à plus de 50 %

Selkupneftegas pétrole et gaz

juillet 2005

Rosneft achète une participation de 34 % à Novatek

Sibneft pétrole et gaz

octobre 2005

Gazprom achète une participation de 69,66 % à Roman Abramovitch.

Verkhnechons-kneftgaz

pétrole et gaz

octobre 2005

Rosneft achète une participation de 25,9 % à la holding Interros

AvtoVAZ automobile octobre 2005

L’entreprise publique d’exportation d’armes Rosoboronexport achète une participation de 62 % et met en place un nouveau management

OMZ construction mécanique

novembre 2005

Gazprombank achète une participation de 75 %

diverses usines impliquées dans la production d’hélicoptères

aviation 2005 L’entreprise publique Oboronprom prend le con-trôle de ces entreprises en vue de constituer une holding unifiée d’hélicoptère à travers la consolidation de la participation publique déjà existante, l’achat de participation additionnelle et l’échange de participations

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Cédric DURAND

50 innovations 2007/2 – n° 26

Source : OCDE (2006)

intérêts légaux des citoyens russes ». Elle comprend ainsi 65 entreprises deGazprom, une vingtaine de ports fluviaux et maritimes, des aéroports, desunités de production d’explosifs, d’ascenseurs, des banques, des usines de pain...Parmi les entreprises d’État, on trouve également un combinat d’ambre, le stu-dio Mosfilm et l’agence de presse RIA Novosti.

Enfin, comme le tableau 1 le montre, on assiste depuis 2004 à une exten-sion significative de la propriété publique. Le mouvement s’est accéléré en2005 avec un montant d’acquisitions évalué à plus de 17 milliards de dollars(EBRD, 2006) et s’est poursuivi en 2006. Outre l’ampleur du phénomène, ladiversité des méthodes employées pour faire passer les entreprises sous con-trôle public doit être notée. Il ne s’agit pas à proprement parler des nationa-lisations mais une combinaison pragmatique de méthodes administratives etde mécanismes de marché. Ainsi, des procédures fiscales et/ou judiciaires ontcontraint des propriétaires à céder leurs actifs. Le cas le plus connu est ledémantèlement de Ioukos entamé en 2003, officiellement pour cause defraude fiscale, et qui a conduit à l’emprisonnement de son PDG, MikhaïlKhodorkovski. Mais ce n’est pas le seul cas, on peut par exemple citer la prisede contrôle de la holding pétrochimique Sibour en 2002 après que son di-recteur a été emprisonné pendant 6 mois ou, en 2006, l’utilisation instru-mentale des normes environnementales contre les multinationales dans lesecteur des hydrocarbures. Ces reprises en main déterminées envoient auxmilieux d’affaires un message extrêmement clair : il est préférable de négo-cier un transfert de propriété dans des conditions formellement respectueu-ses d’une logique de marché plutôt que de se voir imposer une expropriationde fait.

Mashiny Silovye construction mécanique

décembre 2005

UES achète une participation de 22,4 % ce qui amène sa participation a plus de 25 % et acquiert les droits de votes jusqu’à fin 2007 pour 30,4 % supplémentaires

Oudmourtneft pétrole juin 2006 Rosneft acquiert auprès de Sinopec une partici-pation de 51 % après que celui-ci ait acheté une participation de 96,7 % à TNK-BP pour environ 3,5 milliards de dollars

Sibneftegaz gaz juin 2006 Gazprom achète une participation de 51 % à Itera

Novatek gaz juin-juillet 2006

Gazprom achète une participation de 19,9 % pour une somme supérieure à deux milliards de dollars

VSMPO-Avisma titane septembre 2006

L’entreprise publique d’exportation d’armes Roso-boronexport achète une participation de 41 %

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Le réengagement de l’État dans l’économie russe

n° 26 – innovations 2007/2 51

LA REPRISE EN MAIN DU SECTEUR ÉNERGÉTIQUE

Les opérations indiquées dans le tableau 1 concernant des actifs pétroliers etgaziers mettent en évidence une consolidation du secteur de l’énergie sousl’égide de l’État qui devrait se poursuivre. L’alliance annoncée en novembre2006 par les deux entreprises géantes de l’énergie en Russie, Gazprom etRosneft, est un nouveau rebondissement dans le processus de réorganisationen cours 3. Ce rapprochement pourrait conduire à terme à la création d’unnouvel ensemble dirigé par Vladimir Poutine lorsqu’il quittera son poste en2008 4 et illustre l’actualité des discussions sur la constitution d’un géantpublic russe des hydrocarbures 5. Une question clé de ce processus de repriseen main du secteur énergétique concerne le positionnement de l’État parrapport aux multinationales pétrolières et gazières. L’année 2006 a de ce pointde vue été marquée par une pression accrue sur les firmes étrangères 6, signed’une inflexion politique significative mais non dénuée d’ambivalences.

Les multinationales sous pression

Au mois de septembre 2006, le ministère de l’écologie a retiré l’agrément ac-cordé au consortium international Sakhalin-énergie pour le projet Sakhalin II,arguant que les standards environnementaux requis n’étaient pas respectés.Il a également menacé le groupe Exxon-Mobil qui mène le projet Sakhalin1 de refuser l’autorisation d’extension en raison de problèmes identiques. Leministère des ressources naturelles – approuvé par les écologistes 7 – affirmeagir sur la base des seules normes environnementales 8 mais, à l’évidence, il

3. Mettant fin, du moins sur le papier, à une rivalité exacerbée, les deux compagnies ont mis enplace une structure de gouvernance paritaire « Halph spheres of influence », Kommersant, 29 no-vembre 2006.4. « Gazprom et Rosneft réservent un job pour Poutine pour après 2008 (Gazeta) », RIA Novosti,16 novembre 2006 http://fr.rian.ru/russia/20061116/55694163.html5. Ce sujet est ainsi à l’ordre du jour des discussions du conseil de sécurité que préside VladimirPoutine « Вот компания какая », КОММЕРСАНТЪ, 11 décembre 2006, http://www.kommersant.ru/doc.html?path=/daily/2006/231m/13173948.htm6. Sur l’évolution du secteur russe de l’énergie et le rôle des multinationales, voir les travaux deCatherine Locatelli : http://webu2.upmf-grenoble.fr/iepe/Publications/publicRech1.html7. “Environmentalists back Putin over Shell’s energy permit”, The Guardian, september 25 2006,http://business.guardian.co.uk/story/0,,1880102,00.html; Pacific Environment, Sakhalin II Overviewof Problems, March 2006, http://pacificenvironment.org/article.php?id=1316; Sakhalin II update,The Project and Russia’s People, ECA Watch Campaign, http://www.eca-watch.org/problems/eu_russ/russia/sakhalin/index_people.html8. “Shell makes Sakhalin offer”, The Moscow Times, december 12, 2006.

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Cédric DURAND

52 innovations 2007/2 – n° 26

existe de puissants motifs économiques aux actions entreprises 9. Le projetSakhalin II s’élève à 20 milliards de dollars et Gazprom souhaite depuis long-temps prendre une participation significative dans le consortium 10 . Or, lesprocédures administratives bloquant le projet ont accéléré spectaculairementles discussions à ce sujet : les compagnies anglaise (Shell) et japonaises (Mitsui,Mitsubishi) qui contrôlaient complètement le projet ont finalement venduen décembre 2006 50 % et une part du projet à Gazprom 11. Par ailleurs, l’in-vestissement de Total dans le gisement de Khoriaga régit également par desaccords de partage de production est aussi sous la menace d’une suspensiondes licences d’exploitation 12.

En fait, les procédures engagées contre les multinationales découlent dela volonté du gouvernement, annoncée en août 2006, de réviser ces accordsde partage de production signés dans les années 1990 et qui sont très désa-vantageux pour l’État. D’autres cas confirment qu’elles s’inscrivent aussidans une stratégie de croissance de Gazprom. A l’automne 2006, la sociétéanglo-russe TNK-BP est à son tour visée par les autorités judiciaires à traversses investissements dans les champs gaziers de Novo Ourengoï et VostotchnoOurengo ainsi que dans le gisement de Kovytka en Sibérie orientale 13. Lesactionnaires russes du consortium TNK-BP instruits par les divers précédentsse prépareraient à céder leur participation à Gazprom 14. En octobre 2006, leprésident de Gazprom a également annoncé que le développement du gigan-tesque gisement gazier de Chtokman dans la mer de Barents se ferait finale-ment sans participation internationale alors que, depuis plusieurs années, denombreuses firmes étaient engagées dans un processus de sélection pour pou-voir être parties-prenantes de ce projet très convoité 15.

9. “Sakhalin Oil and Gas Projects : what is behind Russia’s coercive behaviour ?”, Eurasia Daily Moni-tor, october 3, 2006, http://jamestown.org/edm/article.php?article_id=2371502; « Russie: révision desaccords sur gaz et pétrole », Le blog finance, http://www.leblogfinance.com/2006/05/russie_rvision.html10. “Gazprom holding talks with Shell”, Financial Times, october 11, 2004.11. “Shell offers to cut Sakhalin-2 stake by 30 %”, Financial Times, december 11, 2006; “Gazpromstrikes $7.45bn Sakhalin-2 deal”, FT.com, december 21, 2006.12. « La Russie menace Total d’un retrait de licence d’exploitation », Les Echos, 30 octobre 2006.13. « Генпрокуратура занялась добычей газа », Коммерсантъ, 8 novembre 2006, http://www.kommersant.ru/doc.html?docId=719680; « L’offensive de Moscou contre la major russeTNK-BP », Le Monde, 13 novembre 2006, http://abonnes.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3234,36-833855,0.html?xtor=RSS-323414. “Kremlin Pressuring TNK-BP Oil Project”, Associated Press, november 17, 2006, http://biz.yahoo.com/ap/061117/russia_targeting_bp.html?.v=215. « Gazprom écarte les pétroliers occidentaux du projet Chtokman », Les Echos, 10 octobre2006 ; « Deutschland Uber Alles », Kommersant, 10 octobre 2006, http://www.kommersant.com/p711628/Gazprom_without_foreign_partners/ et « Gazprom has new information on Stockmandeposit », Kommersant, 19 octobre 2006, http://www.kommersant.com/p714498/Stockman_natural_gas_deposit/

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Le réengagement de l’État dans l’économie russe

n° 26 – innovations 2007/2 53

L’interventionnisme des pouvoirs publics russes en vue d’accroître leurcontrôle sur les ressources naturelles fait écho aux évolutions observées dansplusieurs pays tels que le Venezuela, la Bolivie, l’Equateur ou le Tchad 16. Ilrésulte d’un contexte marqué, d’une part par des prix mondiaux élevés et,d’autre part, par des bilans de plus en plus critiques sur les politiques indiffé-renciées d’attraction des investissements directs étrangers (CEPAL, 2004 ;UNCTAD, 2001 et 2003 ; Durand, 2005b), notamment dans le secteur del’énergie (voir le cas du secteur gazier dans la République caribéenne de Trinité-et-Tobago (Barclay, 2003).

Les ambivalences d’une politique énergétique pragmatique

Le renforcement du poids de l’État dans le secteur énergétique et la pressionaccrue mise sur les multinationales montrent que la politique énergétiquedes autorités russes s’inscrit dans une perspective stratégique (Larsson, 2006 ;Boussena et Locatelli, 2006) visant à éviter que la Russie ne se transforme enpays dépendant. Les ressources énergétiques constituent en effet un levieressentiel pour l’action de l’État : au niveau géopolitique, d’abord, à traversnotamment les prix du gaz à l’exportation et les choix d’investissement con-cernant les routes d’exportation des hydrocarbures ; au niveau de la politiquede croissance et des grands équilibres macroéconomiques ensuite, du fait desrevenus considérables générés par ce secteur mais aussi de l’impact sur l’en-semble de l’économie des prix internes de l’énergie. Le cas de Gazprom estemblématique : le rôle de cette société dans la stabilité sociale et dans la po-litique étrangère du pays est tel que l’État ne peut que s’en préoccuper, ce quiexplique l’extension de la participation publique au dessus de 50 % en 2005.Le rapprochement avec Rosneft peut apparaître comme un prolongement decette logique, avant tout politique, de gestion du secteur énergétique.

Pourtant, le mouvement d’extension du contrôle de l’État n’est pas uni-forme et ne tourne pas le dos aux mécanismes marchands. Début juillet 2006,Rosneft a réalisé une des plus importantes opérations de l’histoire financièreen introduisant sur les bourses de Londres et Moscou près de 15 % de soncapital pour un montant de 10,4 milliards de dollars, tandis que l’entière pri-vatisation de la firme à un horizon de 3 à 10 ans était évoquée 17. Un peuplus tôt dans l’année, c’est Gazprom qui levait les restrictions à la prise de

16. « Bolivia’s energy move follows nationalisation trend », Financial Times, may 2, 2006; « Natio-nalismes en sous-sol », Le Monde, mardi 5 décembre 2006.17. « Pétrole : Rosneft privé à 100 % d’ici 3 à 10 ans », Le blog finance, http://www.leblogfinance.com/2006/09/ptrole_rosneft.html

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54 innovations 2007/2 – n° 26

participation des sociétés étrangères. Le cas Lukoil entre aussi assez mal dansun schéma de pure nationalisation : seconde société pétrolière au monde entermes de réserves d’hydrocarbures prouvées, elle n’est pourtant pas majori-tairement contrôlée par l’État. Son président, Vaguit Alekperov, est certesun proche de Vladimir Poutine et son action, notamment au niveau interna-tional, semble parfaitement articulée avec les visées stratégiques du Kremlin(Larsson, 2006). L’évolution du secteur électrique montre également l’ambi-valence de la politique énergétique russe. D’un côté, sous la direction d’AnatoliTchoubaïs, Unified Energy System (UES) qui fournit en Russie 70 % del’électricité et 1/3 du chauffage a été démantelée en 21 filiales et entre dansla dernière phase de sa privatisation 18. D’un autre côté, le débat sur la libé-ralisation des prix de l’électricité – comme du gaz – avance difficilement 19,ce qui renforce le sentiment que les privatisations annoncées n’impliquerontpas nécessairement une perte de contrôle public.

La politique énergétique des autorités russes, marquée par une combinai-son pragmatique d’interventions administratives coercitives et d’instrumen-talisation des mécanismes de marché, résulte à notre sens de trois types depréoccupations partiellement contradictoires. D’abord, il s’agit pour le pou-voir de s’assurer de la loyauté de l’ensemble des acteurs énergétiques, soit demanière directe à travers les structures étatiques, soit par l’assurance de lasoumission réelle d’alliés dans le secteur privé aux vues stratégiques du pou-voir. Ensuite, il convient de donner au secteur de l’énergie une apparence delibéralisation afin de ne pas obérer les possibilités des firmes russes de se déve-lopper elles-mêmes à l’étranger ou de lever des fonds sur les marchés finan-ciers internationaux. Enfin, la mise au pas des multinationales correspond àun conflit assez classique sur le partage de la rente entre gouvernements etmultinationales (Sweezy and Magdoff, 1974), mais les possibilités de coopé-ration restent ouvertes : la Russie a de considérables besoins d’investissementspour relancer l’exploration, exploiter les ressources disponibles et faire face àla pénurie de gaz et d’électricité qui menace en raison du vieillissement desinfrastructures, de l’accroissement de la demande et de l’épuisement desprincipaux gisements de gaz actuellement exploités.

18. « Le russe UES veut lever en 2007 10 milliards de dollars en bourse », Les Echos, 24 et 25novembre 2006.19. « Газ перетек на декабрь », Коммерсантъ, 23 novembre 2006.

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Le réengagement de l’État dans l’économie russe

n° 26 – innovations 2007/2 55

UN VASTE MOUVEMENT DE RESTRUCTURATION INDUSTRIELLE

Une tentative de réorganisation des actifs civils et de défense du complexe militaro-industriel

Après avoir connu une crise particulièrement aiguë au cours de la décennie1990 20, le complexe militaro-industriel fait l’objet d’un regain d’intérêt de lapart des autorités pour des raisons géopolitiques, sociales – le secteur emploieenviron 2 millions de personnes, jusqu’à 70 % dans certaines localité 21 et esttouchés par des mobilisations salariales 22 – mais aussi strictement économi-ques : la Russie est juste avant les États-Unis le premier exportateur d’armes(31 % sur la période 2001-2005 contre 30 % : SIPRI, 2006) 23. L’évolutionobservée se manifeste notamment par un renforcement de la présence del’État dans les principales entreprises de défense 24 et, de manière plus signi-ficative, la mise en place de holdings dominées par l’État, notamment dansl’industrie aéronautique, la construction navale et la production d’hélicoptè-res menée par la holding publique Oboronpom 25. L’objectif de ces regrou-pements est d’améliorer les performances du secteur à travers une meilleuregestion des entreprises et une moindre dispersion des projets ; il s’agit ausside mieux articuler activités civiles et militaires, afin de faciliter le processusde reconversion d’une partie de l’appareil productif.

20. La production civile est militaire du complexe militaro-industriel représentait en 2002 45,5 %de son niveau de 1991 après être descendu à 20,1 % en 1996 “Russia: output of the military–industrial complex, 1991-2002”, http://www.sipri.org/contents/milap/milex/aprod/nat_data.html.Au sujet des ressors de cette crise voir Sapir (1994) ; une présentation synthétique de l’évolutiondu contrôle du complexe militaro-industriel au cours de la décennie 1990 a été faite par le jour-nal Kommersant, “Military-Industrial Complex 1991-2000”, 4/12/2001. Disponible en ligne:http://www.kommersant.com/tree.asp?rubric=3&node=36&doc_id=30025721. Gazeta Wyborcza, “Arms Are More Than Gold”, interview with Ruslan Pukhov, december17, 2001, p. 9, disponible en ligne: http://www.cast.ru/eng/publications/?id=6222. Krasnaïa Zvezda, « Горячая пора «оборонки» », 24/12/2005, http://www.redstar.ru/2005/12/24_12/5_01.html23. Pour la Russie ces ventes représentent 6,1 milliards de dollars en 2005, dont l’essentiel s’effec-tue par le biais de l’entreprise publique Rosoboronexport. “Russia’s Arms Trade with Foreign Sta-tes in 2005”, Moscow Defense Brief, n°2, 2006, http://mdb.cast.ru/mdb/1-2006/arms_trade/item2/ 24. Société contrôlées complètement par l’État réalisent ainsi 71 % des ventes des vingt premiè-res firmes russes de défense en 2004 contre 59 % en 2002 d’après les données présentées sur le sitedu Center for analysis of strategies and technologies (CAST), http://mdb.cast.ru/mdb/2-2005/facts/owner25. Rosbalt, « Гендиректор ‘Оборонпрома’ возглавил Совет директоров ‘Камова’ », 3/11/2005,disponible en ligne: http://www.rosbalt.ru/2005/11/03/233372.html et site web de la compagnie:http://www.oboronprom.com

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Création de la compagnie de construction aéronautique unifiée (OAK)

L’industrie aéronautique civile est complètement sinistrée. Dans le secteurmilitaire, la situation est également très dégradée mais l’effondrement a étélimité en raison de la persistance de débouchés à l’exportation. Face à cettesituation difficile, le gouvernement s’affirme prêt à investir massivement 26.La création en novembre 2006 de la Compagnie de Construction Aéronau-tique Unifiée (« Объединенная авиастроительная компания » – ОАК) 27

qui intègre les fleurons de l’industrie aéronautique russe 28 s’inscrit dans cetteperspective reconstruction du secteur.

Si ce processus de consolidation n’implique pas mécaniquement la miseen cohérence des actifs, il met en évidence le volontarisme de l’État, forçantau besoin la main aux acteurs privés 29. Il faut souligner, qu’en parallèle, lesdirigeants russes favorisent des partenariats internationaux dans le domainede l’aviation civile, par exemple en assouplissant les règles concernant lesinvestissements étrangers dans le secteur 30. Le rapprochement en cours avecEADS, une société dominée également par des capitaux publics, est unsignal encore plus important 31. Il faut ajouter sur le dossier des coopérationsinternationales que la prise de contrôle en juillet 2006 du principal produc-teur mondial de titane, VSMPO-Avisma, qui est aussi depuis le milieu des

26. Rosbalt, « Авиапром заражён государством », TRAD 22/09/2005, disponible en ligne:http://www.rosbalt.ru/2005/09/22/227525.html27. « ОАК официально зарегистрирована в налоговых органах », TRAD РИА Новости, 20novembre 2006.28. Viktor Khristenko, annonçait ainsi à l’automne 2005 que les investissements nécessaires à sasauvegarde du secteur d’ici à 2015 s’élèvent à environ 20 milliards de dollars et pourraient êtrefinancés par l’État à hauteur de 13,7 milliards Rosbalt, « Документы по созданию ОАКвнесены в Правительство РФ TRAD », 08/11/2005, disponible en ligne: http://www.rosbalt.ru/2005/11/08/233845.html; voir également: Алексей Хазбиев, « Лидерство или смерть »,Эксперт, n° 10 (504), 13 марта 2006. Disponible en ligne : http://www.expert.ru/economy/2006/03/aviaprom_rossii_editorial; « Industrie aéronautique russe : problèmes et solutions », RIANovosti, 9 octobre 2006.29. Il semble que dans ce cas également, les autorités russes aient forcé la main aux acteurs privés :le processus de valorisation des actifs qui a précédé leur consolidation aurait donné lieu à unesurvalorisation des actifs du groupe public Soukhoï par rapport à ceux du groupe privé Irkout« Soukhoï coûte plus cher qu’Irkout » (Vedomosti), RIA Novosti, 10 novembre 2006. 30. “Russia to relax rules on foreign investment in aviation industry”, Financial Times, August 24,2006.31. « EADS envisage une augmentation de son capital », Les Échos, 7 décembre 2006 ; « ИгорьШувалов выбрал EADS », Коммерсантъ, 8 décembre 2006, http://www.kommersant.ru/doc.html?docId=728581; Reuters, « Russia needs political finesse to boost EADS link », http://in.news.yahoo.com/060927/137/67zly.html; Airbus associe d’ailleurs déjà la compagnie Irkout audéveloppement de l’A350 et envisage de proposer d’ici 2007 aux compagnies russes une série decontrats de 110 millions de dollars. Airbus Letter, janvier 2006, http://www.airbus.com/store/mm_repository/press_kits/att00006457/media_object_file_Airbus_Letter_Jan_2006_French.pdf

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années 1990 un fournisseur de Boeing et d’Airbus, constitue un atout pour lapartie russe 32.

La construction navale

La construction navale est le secteur le plus dynamique lié aux industries dedéfense avec, ces dernières années, un rythme de croissance plus rapide quecelui du PIB. L’année 2005 a été marquée par une tendance nette à la conso-lidation du secteur 33 : d’un côté, l’État a organisé le regroupement des actifsqui touchent à la construction de sous-marins ; d’un autre côté, Mejprombank(la Banque industrielle Internationale), à travers sa compagnie industrielleunifiée (OPK), a pris en main le processus de réorganisation de l’industrienavale de surface en s’appuyant sur sa proximité avec la société Rosoboro-nexport. L’étape suivante devrait être la création d’une holding de la cons-truction navale de surface contrôlée par l’État, même si le processus denégociation qui s’ouvre semble difficile 34, dans la mesure où l’État doit con-trôler au moins 51 % de la nouvelle holding alors qu’il n’a que peu d’actifs àapporter.

L’État producteur comme garant de la préservation de l’appareil productif national

Energie, défense, aéronautique et, dans une moindre mesure, constructionnavale, sont des secteurs économiques où l’implication de l’État demeure im-portante dans de nombreux pays. Le réinvestissement actuel de l’État russedans l’organisation de l’économie semble cependant aller au-delà d’un sim-ple retour de balancier après une décennie de confiance aveugle dans les ver-tus du marché. D’un côté, certaines prises de contrôle publiques relèvent trèsclairement d’une logique politique, en particulier la constitution du groupeGazprom-médias aujourd’hui incontournable 35 . D’un autre côté, diversesopérations semblent relever, dans la continuité de celles évoquées, d’une dy-namique de préservation/reconstruction de l’appareil productif national.

32. « VSMPO-Avisma Gets under the Govt’s Control », Kommersant, july 19, 2006, www.kommersant.com33. Konstantin Makienko, “Consolidation and restructuring of the Russian Shipbuilding Sectorduring 2005”, Moscow defense Brief, n°1, 2006. www.cast.ru34. ARMS TASS, « Роспром в 2006 году представит в правительство концепциюреформирования судостроения », 30/06/2005, http://arms-tass.su/?page=article&aid=16212&cid=9435. voir le site de la compagnie : http://www.gazprom-media.com/

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Marina Deriabina 36, de l’institut d’économie de l’Académie des sciences deRussie résume ainsi la position du pouvoir russe qui sous-tend ces opérations : lapercée des entreprises russes sur les marchés mondiaux « n’est à la taille qued’une entreprise importante, une multinationale, qui est soit crée par l’État, soitfonctionne selon des règles adoptées d’un commun accord avec lui ». Plus large-ment, « C’est le renforcement de la présence de l’État et le soutien qu’il apporteà certaines industries qui est considéré par les milieux politiques et d’affairescomme une garantie de leur essor et de leur positionnement sur le marché ».

Des actifs clés du secteur automobile passent sous le contrôle de Rosoboronexport

Si la perspective évoquée par l’agence fédérale pour l’industrie (Rosprom) 37

de créer un producteur automobile national à partir des divers actifs (Uaz,Gaz, Kamaz et AvtoVaz) ne semble pas se concrétiser, l’État ne reste pasinactif. A l’automne 2005, Rosoboronexport a pris le contrôle d’AvtoVaz, laprincipale entreprise de construction automobile. L’administration présiden-tielle a pris la décision d’intervenir en raison des difficultés de l’entrepriseface à la concurrence des sociétés occidentales et asiatiques mais aussi parcequ’elle était liée aux affaires de Boris Berezovski et au centre de diversréseaux mafieux 38. AvtoVaz est déjà engagée dans une joint-venture avecGeneral Motors, mais depuis le changement de direction, celle-ci est mise àmal et c’est vers Renault que les projets de coopération les plus ambitieuxsemblent se tourner 39. L’entreprise n’est pas en mesure de produire elle-mêmedes voitures capables de concurrencer celles que les principaux constructeursmondiaux assemblent ou vont assembler en Russie (Ford, Hyundai, BMW,GM, le chinois Chery, Nissan, Toyota et VV). L’arrivée de Rosoboronexportsuggère une réorientation partielle de l’activité de l’usine vers la productionde véhicules militaires qui pourraient bénéficier des réseaux de commercia-lisation de la société d’exportation d’armements. La prise de contrôle duproducteur de camions Kamaz par Rosoboronexport évoquée début 2006répondrait alors à la même logique 40 : déjà 1/3 des véhicules exportés par

36. « Russie : l’État revient dans l’économie », RIA Novosti, 19 octobre 2006.37. “AvtoVAZ, KAMAZ, GAZ to Consolidate into National Automobile Corporation”, RussiaProfile, july 4, 2006.38. “Revving Up Russia’s Automotive Industry”, Russia Profile, july 4, 2006.39. « Les Usines VAZ pourraient sacrifier la Lada-Kalina au profit de la Logan », Ria Novosti, 23octobre 2006, http://fr.rian.ru/russia/20061023/55042805.html Kommersant, january 27, 2006,http://www.kommersant.com/p-8021/AvtoVAZ_KAMAZ_GAZ_to_Consolidate_into_National_Automobile_Corporation/40. « ‘Рособоронэкспорт’ нацелился на КамАЗ », Коммерсантъ, 8 février 2006, http://www.kommersant.ru/doc.html?docId=647650

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Le réengagement de l’État dans l’économie russe

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Kamaz le sont à travers le canal de Rosoboronexport, et ces exportationspourraient se développer 41.

Vers une holding de l’industrie atomique

Gazprom a pris le contrôle en 2004 de la société AtomStroïExport puis de laprincipale entreprise de construction d’équipement mécanique OMZ quiproduit notamment des cuves pour les centrales nucléaires en novembre2005. En décembre de la même année, la société Interros vend à l’entreprisepublique d’électricité RAO-UES un bloc de contrôle dans le constructeur deturbines Siloviye Mashiny et une autre une minorité de blocage à Siemensen janvier 2006 42. Ces différents actifs constituent la base pour la créationd’une holding dans le secteur du nucléaire civil annoncée par ailleurs parl’agence RosAtom 43.

Une consolidation annoncée dans le transport aérien

Le ministère des transports et l’administration présidentielle veulent réduirela fragmentation du secteur dans le pays en consolidant les actifs de l’État ausein de la compagnie majoritairement publique Aeroflot 44. Le 20 novembre2006, un accord a ainsi été annoncé concernant l’intégration des compa-gnies régionales privées de Sibérie orientale Dalavia et Sakhaline Airlinesdans une filiale d’Aeroflot spécialisée sur l’Extrême-Orient russe 45. Enrevanche, le transfert à Aeroflot des 25 % que possède l’État dans la compa-gnie S7 (ex-Sibir) ne fait pas accord entre le ministère des transports d’uncôté et, d’un autre côté, celui du développement économique qui continue àévoquer une privatisation des participations de l’État dans le secteur ainsique les actionnaires privés de Sibir 46. Le ministère des transports envisage-rait également de créer une compagnie unifiée de gestion des aéroports souscontrôle public pour procéder à cette consolidation 47.

41. “‘Rosoboronexport’ is interested in development of ‘KAMAZ’ and Kazan helicopter plant”,Tatar-inform, may 13, 2006, http://www.tatar.ru/?DNSID=552490b8a167dc50d036797ff817c8a1&full=2282642. site du groupe Interros : www.interros.ru/eng/assets/powermachines le 11 décembre 2006.43. « L’État crée l’équivalent nucléaire de Gazprom », Ria Novosti, le 2 septembre 2006, http://fr.rian.ru/russia/20060209/43443607.html44. “Aviation Companies form a Flock”, Kommersant, april 11 2006, www.kommersant.com/page.asp?id=665357 45. “Aeroflot, Dalavia and Sakhalin Airlines Propose to Establish Far-East Aviation Company”,Press release from Aeroflot web site, november 20, 2006, www.aeroflot.ru/eng/news.asp?ob_no=712&d_no=533546. “Russian airline S7 may form alliance with Aeroflot”, Ria Novosti, http://en.rian.ru/russia/20060731/52065104.html47. « Минтранс выруливает на взлетные полосы », Коммерсантъ, 10 juillet 2006.

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Un appui à la consolidation privée d’autres dans la métallurgie

Il existe des pans entiers de l’économie où l’État est actif sans intervenir par lebiais de participations. C’est notamment le cas dans l’industrie chimique 48

ou dans la métallurgie, où le mouvement de concentration d’actifs privés apermis la constitution de firmes de taille mondiale. Les autorités ont accom-pagné la création du numéro un de l’aluminium Rusal, soutenu la tentativede fusion entre Mittal et Arcelor (Durand, 2007) et encouragé les investis-sements de Roman Abramovitch dans la sidérurgie en vue d’une prochaineconsolidation du secteur 49. Si l’on excepte les enjeux spécifiques du secteurénergétique, le cas de la métallurgie suggère que l’extension de la propriétépublique répond à une logique palliative : rassembler des actifs dispersés dansdes domaines où l’industrie nationale est affaiblie et incapable de se réorga-niser de manière endogène sur une base nationale.

UN DÉVELOPPEMENTALISME INSTRUMENTALISÉ

Il est délicat dans les limites de cet article d’entreprendre une analyse del’essor de l’État producteur. Pour esquisser un cadre d’interprétation socioéco-nomique du processus observé, il convient d’abord de situer succinctementle mouvement d’extension de la propriété publique dans un contexte histo-rique très particulier : la sortie de la grande dépression post-socialiste russe etla remise en cause de l’influence occidentale des années 1990. Sur cette base,l’émergence d’une forme de nationalisme développementaliste peut êtreévoquée ; elle doit cependant s’accompagner d’une prise en compte du pro-cessus de redistribution du contrôle sur les actifs productifs et les flux finan-ciers qui lui est consubstantiel.

Les conditions économiques et sociopolitiques de la période de reconstruction

L’évolution de l’économie russe au début du XXIe siècle est un contrecoup dela crise transformationnelle des années 1990 (graphique 3). Les réformeslibérales se sont traduites par un chaos économique et politique (Sapir,1996) qui a conduit à une régression économique considérable (Burawoy,2001 ; Petrovski, 2006). Ainsi, la croissance forte du début des années 2000

48. « Chemical Industry Development Strategy », Kommersant, 2 décembre 2006 http://www.kom-mersant.com/p726907/Chemical_Industry_Development_Strategy/ et http://www.kommersant.ru/doc.html?docId=72690749. “An Iron Grip on the Metals Industry”, Kommersant, september 8, 2006, www.kommer-sant.com

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s’effectue sur la base d’une modification en profondeur de l’appareil produc-tif désormais dominé par les secteurs rentiers tels que les hydrocarbures ou lamétallurgie (Durand, 2004 et 2007 ; Benaroya, 2006).

Graphique 3 – L’évolution du PIB russe depuis 1989

Ressources budgétaires abondante et continuité partielle avec les réformes néolibérales

La forte croissance du PIB – située entre 5 et 7,5 % – depuis 2001 s’appuiesur les cours mondiaux élevés des matières premières qui ont soutenu lesexportations et permis la création d’un important excédent commercial. Elles’accompagne d’une politique macroéconomique très rigoureuse qui s’est tra-duite par un assainissement spectaculaire des finances publiques (IET, 2006aet 2006b ; OCDE, 2006). Sur toute la période les budgets publics ont dégagéun excédent. Cet excédent qui en 2006 approche le niveau considérable de12 % du PIB a permis de résorber l’essentiel de la dette externe et d’accumu-ler dans un fond de stabilisation des ressources plus que suffisantes pour pro-téger le budget fédéral contre les fluctuations des prix des hydrocarbures(7,6 % du PIB au 1er octobre 2006 !).

Le poids des budgets publics dans l’économie est très modeste. Le totaldes revenus du budget consolidé de la fédération russe s’est élevé en 2005 à35,2 % (GKS, 2006), un chiffre très proche de la moyenne OCDE (36,3 %en 2003 : OCDE, 2006). Mais étant donné l’excédent budgétaire dégagé, leniveau des dépenses publiques se situe à un niveau extrêmement faible(environ 25 % du PIB : IET, 2006). Si on prend un peu de recul (graphique4), ce qui apparaît clairement c’est la réduction drastique de la part des bud-gets publics dans l’économie, évolution qui n’est pas remise en cause.

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Cette orthodoxie macroéconomique s’inscrit dans une continuité par-tielle avec l’esprit néolibéral de la transition que l’on retrouve dans plusieursréformes importantes - code du travail, fiscalité, retraites et réforme foncière– et dans la perspective rapprochée d’adhésion à l’OMC. D’ailleurs, les in-dicateurs normatifs de transition de la BERD montrent un approfondissementdu processus dans la plupart des domaines à l’exception du champ de la poli-tique de la concurrence et des privatisations des grandes firmes [EBRD, 2006].

Graphique 4 – Évolution du niveau des prélèvements obligatoires (1992-2005)

Montée en puissance de l'extrême droite et regain de mobilisations sociales

Sur le plan sociopolitique, cette période de sortie de crise est marquée par lamontée en puissance idéologique et organisationnelle de l’extrême droite(Parland, 2006). Les évènements de l’année 2006 illustrent ce mouvementde fond : aux émeutes anticaucasiennes de l’automne et la violente rhétori-que du Président Poutine contre les Géorgiens s’ajoutent le parachèvementde la mue nationaliste du KPRF (Parti communiste de Fédération de Russie)qui peut être illustré par l’invitation à la manifestation du 1er mai 2006 faiteau Mouvement contre l’immigration illégale. L’affirmation d’un pouvoir autori-taire constitue une hypothèse sur laquelle des politistes travaillent depuis denombreuses années [Robinson, 2000]. Elle est alimentée dans la populationpar le déclassement géopolitique brutal de la Russie et l’hostilité aux puissan-ces occidentales qui ont joué un rôle significatif dans le façonnement du pro-cessus de transformation (Appel, 2004 ; Hough, 2001 ; Sapir 2001 ; Wedel,1998), mais aussi par la profonde crise économique et sociale. Sur le plan desluttes sociales, les années 2004 et 2005 suggèrent l’entrée dans une nouvelle

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phase. Pour la première fois dans un pays en transition, un gouvernement aété contraint renoncer à l’essentiel d’une réforme sous la pression de la rue(IET, 2006). Ces mobilisations ont fait apparaître une nouvelle générationmilitante (Clément, 2006). Elles interviennent alors que la progression dessalaires et la réduction de la pauvreté permettent à la population d’exprimercollectivement l’immense frustration sociale accumulée depuis le début desannées 1990.

Un nationalisme développementaliste

Frustration nationale et frustration sociale participent d’un fort sentiment denostalgie vis-à-vis de l’époque soviétique et alimentent une demande socialede développement. Combinées avec les impératifs de reconstruction del’appareil productif et la disponibilité de ressources budgétaires, elles créentles conditions de la mise en œuvre d’un nationalisme développementaliste.Cette orientation politique se concrétise par une préoccupation explicite desautorités pour l’indépendance nationale et par le retour de l’État producteurque nous avons examiné. Les opérations réalisées dans l’énergie, la défenseet les autres secteurs correspondent à trois tendances imbriquées : d’une part,maintenir le contrôle de l’État sur une grande part des flux de revenus liés auxressources énergétiques ; ensuite, assurer une présence nationale autonomedans les secteurs jugés vitaux ou dans lesquels les firmes étrangères sont forte-ment impliquées ; enfin, concentrer les ressources afin de favoriser l’émer-gence de champions nationaux là où l’industrie nationale semble en péril.

Plus largement, il s’agit de procéder à une certaine centralisation de res-sources, ce dont témoigne la définition de priorités dans le cadre de projetsnationaux et la mise en place d’un fond d’investissement (OCDE, 2006 ;IET, 2006a) : les objectifs affichés sont ici l’amélioration à court terme desconditions de vie de la population et, pour le fond d’investissement, la réali-sation d’infrastructures d’importance nationale. Une citation du directeurgénéral de la holding de défense Oboronprom, Denis Mantourov, témoignede cette nouvelle orientation dans le domaine de la politique industrielle(souligné par nous) : “I am sure that our national industry competing withfinancially successful western transnational corporations will find its survivalthrough maximum intellectual, production and financial concentration” 50.Face aux compagnies occidentales perçues comme une menace, la survie del’industrie nationale passe par la concentration des ressources. Le volonta-risme visant à renforcer le « pouvoir structurel » (Strange, 1996) du groupedominant en Russie peut alors s’appuyer sur la frustation populaire née dudéclassement brutal des années 1990.

50. www.oboronprom.ru

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Une redistribution au sein de l’élite du contrôle des actifs et des flux de richesses

La centralisation des actifs et des flux de richesses ne s’inscrit pas seulementdans la perspective que l’on vient de décrire. La redistribution qui s’opèreaccroît la concentration du pouvoir économique au sein d’un groupe res-treint de personnes occupant des postes politiques de premier plan ou quisont alliées au nouveau pouvoir 51. Du point de vue des intérêts des acteursconcernés, le nationalisme développementaliste a donc une valeur instru-mentale.

Plusieurs éléments plaident en faveur d’une telle interprétation. D’abord,le caractère arbitraire de la discrimination opérée entre les différents intérêtsd’affaires. Si le démantèlement du groupe Ioukos et les poursuites engagéescontre Boris Berezovski s’appuient sur des éléments fondés en droit, il esttout aussi certain que la plupart des autres grands groupes non inquiétés ontégalement été coupables de graves violations de la loi. Ensuite, il faut souli-gner que le retour de l’État dans l’économie ne remet pas formellement encause les mécanismes institutionnels hérités d’une décennie de transformationpost-socialiste. Par conséquent, rien ne s’oppose à ce que les actifs qui pas-sent aujourd’hui sous contrôle public soient demain de nouveau privatisés.Les nouvelles directions mises en place au cours du mouvement de réorgani-sation des actifs que nous avons décrit seraient alors les mieux placées pouren bénéficier. Enfin, contrairement à la dynamique politique qui accompa-gne le retour de l’État au Venezuela ou en Bolivie, le processus en cours n’estaucunement lié à un processus organique de mobilisation sociale. Au con-traire, d’un côté, la forme de pouvoir politique autoritaire théorisée en tantque « démocratie dirigée » par Vladimir Poutine et, d’un autre côté, l’inté-gration corporatiste du salariat à travers des syndicats majoritaires domesti-qués renforcent la passivité de la population et s’opposent à toute dynamiquede socialisation effective de la propriété publique. La montée en puissancede la propriété publique doit donc être analysée avec prudence. Il est en par-ticulier essentiel de ne pas fétichiser les formes de propriété et de mettre àjour les rapports de propriété réels que peuvent parfois masquer les formesjuridiques. Les débats sur la nature des rapports de propriété en URSS con-servent de ce point de vue un grand intérêt (Durand, 2002).

51. Le Financial Times du 19 juin 2006 présente les principaux membres du gouvernement et del’administration présidentielle et les fonctions de direction économique qu’ils exercent. “Back inBusiness – How Putin’s Allies are turning Russia into a Corporate State”, reproduit dans le Cour-rier International du 16 juillet 2006.

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CONCLUSION

L’extension / consolidation de la propriété publique qui s’accélère depuis 2004concerne principalement le secteur énergétique et divers types d’activitésindustrielles (aéronautique, construction navale, armement, industrie auto-mobile, construction nucléaire..). Elle s’effectue parfois en mobilisant desméthodes administratives (réglementation fiscale ou environnementale) maisemprunte toujours, au moins formellement, des mécanismes de marché. Deuxentreprises publiques, Gazprom et Rosoboronexport, fréquemment impli-quées, apparaissent comme des instruments privilégiés du pouvoir politique.L’importance du processus observé suggère une réorientation significative dela trajectoire économique russe postsoviétique dont l’objectif est double :d’une part, permettre à l’État de reprendre le contrôle de flux de richessesconsidérables liés à l’exploitation des réserves d’hydrocarbures et, d’autrepart, préserver un appareil productif national autonome. Cette inflexion dela trajectoire russe postsoviétique s’effectue cependant sans rupture institu-tionnelle majeure par rapport au processus transitionnel. La libéralisation del’économie se poursuit dans une série de domaines et l’absence de véritablenationalisation rend le processus en cours largement réversible. Le mouve-ment de réorganisation de la propriété se traduit ainsi par une redistributiondu contrôle des actifs et des flux de richesses au profit du petit groupe socialexerçant le pouvoir politique et de ses alliés. Entre nationalisme développe-mentaliste et recomposition oligarchique, les logiques sociales et économi-ques restent donc à démêler.

En haut de l’agenda de recherche ouvert par le retour de l’État producteurse trouvent les contradictions socio-économiques immédiatement à l’œuvre.D’abord, alors que les infrastructures et l’outil de production hérité de l’épo-que soviétique sont de plus en plus obsolètes, le sous-investissement chroni-que menace à brève échéance la croissance russe. Ensuite, l’extension de lapropriété publique pose de nouveaux problèmes de coordination et de miseen cohérence des actifs consolidés. L’accent mis sur la compétition avec leséconomies occidentales et la logique de puissance nationale correspondantesont en partie contradictoires avec une orientation du développement éco-nomique tourné vers la satisfaction des immenses besoins sociaux du pays.Enfin, la réduction de l’espace public qui accompagne le durcissement auto-ritaire du régime affaiblit le processus de reconstruction ; les limites imposéesaux discussions sur l’orientation du développement du pays restreignent lesressources cognitives mobilisées et diminuent la légitimité des décisions prises.Plus largement, un travail théorique et comparatiste sur la dynamique du pro-cessus décrit reste à faire. Il conviendrait en particulier d’effectuer une miseen perspective par rapport aux expériences développementalistes dans les

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66 innovations 2007/2 – n° 26

pays d’Asie et d’Amérique latine et de reconstruction dans les pays d’Europecontinentale après les guerres mondiales.

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