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Entre familiarité et légende… L’ancien Jardin botaniquescolaire de Colombes a fortement marqué des générationsde Colombiens qui y ont pratiqué des activités multiples,toujours enrichissantes et passionnantes.

Il n’a pas livré tous les secrets de son histoire, maisquelques lignes fortes permettent d’en retracer lescontours : tout d’abord, la personnalité et l’œuvre d’unenseignant progressiste et inventif, Pierre de Salabert, àl’origine de cet espace, selon un projet original bien éloignédes espaces à jardiner que l’on rencontrait fréquemmentdans les écoles. Ensuite, un lieu qui a continué à rayonnergrâce à l’énergie d’un autre instituteur, Alain Spohn, etd’une association qui a vu le jour en 1984. Enfin, un projetencore en devenir grâce au travail d‘une équipe municipaled‘animateurs-jardiniers.

Devenu le Centre Nature, ce site exceptionnel reste singulierà l’échelle de l’Île-de-France, comme une marque tangibledes initiatives qu’a pu susciter le Front populaire, et aussicomme une illustration, au fil de ses 70 ans d’existence, del’évolution de la sensibilisation à la nature et à l’environne-ment.

Cette publication a pour ambition de faire mieux connaîtreun site, qui à sa manière retrace presque un siècle del’histoire de Colombes, et d’œuvrer à sa protection. Nousavons aussi l’espoir de faire resurgir d’autres souvenirs etpeut-être d’autres documents qui permettront de continuerà écrire l’histoire de l’ancien jardin botanique et despersonnes qui l’ont fait.

Philippe SarreMaire de Colombes

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Pierre de Salabert dans les années 1930Collection particulière © Ville de Colombes

PREMIEREPARTIE

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La naissance du Jardinbotanique scolaire deColombes

Grâce au Jardin botanique, plusieursgénérations d’enfants de Colombes ontpu s’initier aux mystères de la nature,dans un lieu entièrement conçu poureux. L’origine en reste cependant diffi-cile à cerner, ce projet ô combien origi-nal n‘ayant laissé que peu de tracesdans les archives : à peine quelquesdélibérations du conseil municipalconcernant des acquisitions de ter-rains, un plan de 1954, et aux Archivesdépartementales de Paris un dossieradministratif sur le créateur du jardin.

École et Patronage dans les années1920-1930

Le Jardin botanique scolaire deColombes accueillait la classe entemps scolaire et les élèves duPatronage laïc, le soir, le jeudi ou pen-dant les vacances. Le contexte de lapremière moitié du XXe siècle permetde mieux saisir l’origine de cette belleaventure.

Le Patronage laïc, inspiré des œuvrescatholiques, est surtout destiné auxenfants des classes populaires, qu’ilentend soustraire à l’influence del’Église d’une part, et d’autre part auxdangers de la rue, les jeunes dont lesparents travaillaient étant en effet leplus souvent livrés à eux-mêmes aprèsl’école. Pour cela, les municipalités,qui géraient déjà la construction et lefonctionnement des établissementsscolaires, ont fortement encouragé lesinitiatives qui concouraient à encadrerla jeunesse en dehors de l’école. ÀColombes, la ville attribue des ter-

rains, comme en 1926 celui où s’édi-fiera le gymnase Bienvêtu, rue de Paris(actuelle avenue Henri Barbusse). Lesanimations sont assurées par desassociations pour les sports ou par desinstituteurs pour les autres activités.Les loisirs de plein air, le sport et lesjeux vont donc constituer le pro-gramme du Patronage municipalcolombien. En 1928, une subventionexceptionnelle lui est accordée pourl’achat de jeux et d’un appareil de ciné-matographe.

L’arrivée au pouvoir du Front populaireen 1936 annonce d’importantesréformes en matière d’éducation. Sousle ministère de Jean Zay, la fréquenta-tion obligatoire de l’école primaire estprolongée d’un an, tandis que les pro-grammes sont modifiés pour combat-tre un enseignement qui tendait encoreà accentuer les inégalités sociales. Lespatronages laïcs prennent aussi unessor important, souvent pris en mainspar l‘instituteur. C’est ce qui se passe àColombes avec l’apparition dans nossources en 1936 de Pierre de Salabert,qui se voit cette année-là affecter unappartement dans l’école Victor-Hugo,où il enseignait déjà.

Une passionet une ambition communes

Pierre de Salabert a bénéficié du sou-tien de la municipalité Bruneau,proche du Front populaire, pour créerle jardin botanique en 1936, conçucomme l’un des sièges du patronage.L’instituteur, avec une force de convic-tion et une énergie que tous les témoi-gnages s’accordent à lui reconnaître,ne tarde pas à donner à cette initiative

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un développement et une autonomiequi tranchent sur celles de ses pairs.L’appellation de «patronage» s’effaced’ailleurs très rapidement derrièrecelle de «Jardin botanique»: le projet,avec sa profonde originalité, prend net-tement le pas sur la structure qui lui apermis de voir le jour. La ville n’encontinue pas moins à soutenir l’initia-tive de l‘enseignant. Malgré des rela-tions avec les autorités assez fluc-tuantes, ce dernier est cependantresté, jusqu’à son départ de Colombesen 1963, l’animateur du jardin, qui à cetitre est authentiquement son œuvre.

Une note manuscrite conservée auCentre Nature met en évidence saconviction en une éducation ouverte,qui selon lui pouvait changer la vie desjeunes qu’on lui confiait. En quelqueslignes, l’instituteur livre l’essentiel deses préceptes :

«A — But du patronageI — Éviter aux enfants de Colombes lesdangers de la rue.II — Créer pour eux des travauxmanuels qui les amusent et les inté-ressent comme des hommes au lieude les garder comme des enfants.Les initier à la beauté du travailhumain par des cultures, des prome-nades, des œuvres d’art qu’ils feronteux-mêmes.III — Développer leur goût personnel etne jamais les faire copier un travail quiviendrait de l‘extérieur».La seconde partie de ce document meten lumière les principes qu’il entendfaire respecter, dans le cadre du règle-ment intérieur du patronage:«1° — Vivre en parfaite amitié avecses camarades et les aider toujours

aimablement s’ils en ont besoin.2° — Obéir strictement aux ordresdonnés.3° -Ne jamais détruire ou dégrader unobjet quelconque, qu’il soit propriétéprivée ou collective.4° — Être correct dans sa tenue, sesgestes, ses paroles.5° — En résumé, pratiquer toujours laplus large solidarité qui seule permet-tra le parfait fonctionnement du patro-nage comme elle permettra plus tardune vie plus agréable dans la société.»

On retrouvera ces mêmes valeursexprimées dans la carte de conseillerdu « Jardin botanique scolaired‘application de Colombes», sansdoute plus tardive, reproduite ci-des-sous, qui met l’accent sur le plaisir dela recherche, le respect de la nature, etqui détaille les différents « clubs »ouverts aux jeunes en été.

Carte du jardin botanique, début des années 1960/collectionparticulière© Ville de Colombes

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Pierre de Salabert naît ruedu Conseil à Asnières le24 février 1904 d’une mèreinstitutrice, qui deviendradirectrice d’école mater-nelle, et d’un père employé,qui fera quelques annéesplus tard partie du conseild’administration de lasociété d’habitations à bonmarché de Bois-Colombes.Après son mariage, il s’ins-talle à la Garenne-Colombes, qu’il quittera àla fin de 1936 lorsque laville de Colombes lui loueun appartement situé dansl’école Victor Hugo.Il a d’abord été suppléantde novembre 1922 àmai 1924 dans le départe-ment de la Seine, sans quel’on dispose de plus de pré-cision. Il part en mai 1924pour l’Ecole militaired’Autun où il effectue sonservice militaire. Il racon-tera plus tard à son fils queces dix-huit mois pendantlesquels il avait enseignéaux Enfants de troupe, pourla plupart orphelins deguerre, avaient été très for-mateurs. Ce contact avecdes jeunes en grande diffi-culté a eu une influencedéterminante sur ses orien-tations pédagogiques etsans doute sur l‘idée qu‘ilse faisait de sa missionéducative. À son retour, ilest nommé instituteur sta-giaire avec un traitementannuel de 6500 F et est

titularisé en janvier 1927.Selon son fils, il seraitarrivé à l’école Victor Hugode Colombes un peu avant1930. C‘est en 1936 qu‘ilcommence à aménager lejardin.

Pendant la guerre, il resteprisonnier en Allemagne.Rentré tardivement de cap-tivité, il porte un œil diffé-rent sur le monde qui l’en-toure. Il reprend ses activi-tés à l’école Victor Hugo etau jardin botanique. Dans lecourant des années 1950,sa carrière évolue lorsqu’onlui confie des «Certificatsd’études», des élèves plusâgés, généralement enéchec scolaire, qui sortentdu système éducatif. Cettenouvelle affectation est pro-bablement due à l’inventi-vité qu’il a toujoursdéployée pour faire naîtrechez ses élèves des quali-tés et des talents qui leurpermettraient «une vie plusagréable dans la société »,selon ses propres termes.Un de ses anciens élèves,Daniel Marie, avoue n’avoircompris que bien plus tardles bienfaits de cet ensei-gnement hors normes. Apartir du moment où Pierrede Salabert a eu des jeunesplus âgés et aussi moinsnombreux, il semble qu’ilait délaissé de plus en plusles locaux de l’école au pro-fit du jardin.

À son départ à la retraite en1963, il se retire à Breteuil-sur-Iton, dans l’Eure, où ilpossède une maison defamille. Là, toujours fidèle àses convictions sociales, ils’insère facilement dans letissu associatif local etnoue également des liensavec le milieu éducatif : labelle expérience du jardinbotanique, lieu de tant d’ex-périmentations et de ren-contres, devait en effet luiavoir fourni la matière denombreux et fructueuxéchanges avec d’autresenseignants.

Pierre de Salabert meurt àBreteuil en 1978. AlainSpohn, qui venait dereprendre officiellement lejardin et conduisait les pre-mières recherches surl‘histoire du site, se rend là-bas à l’invitation de sa fille,Micheline Barnes, pour ychercher des éléments sus-ceptibles de retracer l’œu-vre de son père àColombes. Il y trouve denombreux objets, beaucoupde travaux d’élèves, yremarque des ouvragespédagogiques de cher-cheurs allemands du débutdu XXe siècle, et en rapportequelques pièces de collec-tions minéralogiques, l’unedes passions de P. deSalabert, avec la botaniqueet, à la fin de sa vie, l’ar-chéologie.

Un enseignant atypique,Pierre de Salabert

À entendre les témoignages deproches, on sent à quel point il s’estengagé dans les nouvelles perspec-tives sociales qu’avait ouvert le Frontpopulaire. En effet, il prend aussi enmain d’autres initiatives, s’investissantpar exemple dans les premières colo-nies de vacances pour les jeunesColombiens, d‘abord dans les Vosges,où il entretenait des relations avec leThéâtre du Peuple créé par MauricePottecher à Bussang. Après la SecondeGuerre mondiale, il a participé à l’amé-nagement des abords des sites d’hé-bergement, comme au château de laBrosse ou plus tard sur l’île de Groix,où, nous raconte-t-on, il campait dansun blockhaus. En mettant en place unambitieux programme d’activitésludiques et culturelles, Pierre deSalabert ouvre aux jeunes des quar-tiers dits du Drapeau et desChamparons des horizons inouïs.

Tout pour les enfants!

Très vite, Pierre de Salabert développeson travail au patronage en fondantune «Association du Jardin botaniquescolaire de Colombes». Une carted’adhérent de 1938-1939 présente leprogramme des activités. Sous le titrede « promenades » sont proposéeschaque jeudi des animations, uneséance par mois étant réservée à lavisite d’un musée. Des balades enforêt, des randonnées à vélo, desexcursions à but d’observation géolo-gique, botanique ou archéologique,alternent avec des sorties culturelles :soirées pour des cycles thématiquesau Louvre, visites au musée del’homme au Trocadéro, au muséeCernuschi ou à Carnavalet, mais aussi

à l‘aéroport du Bourget. Deux fois paran, pendant les vacances, des randon-nées cyclistes lointaines, jusqu’à LaRoche Guyon, Pierrefonds, Saint-Rémyde Chevreuse, Gisors ou Vernon, don-nent lieu à du camping. Pierre deSalabert a d’ailleurs organisé prati-quement jusqu’à sa retraite au jardinde Colombes une initiation au cam-ping. Les adhérents de l’associationpouvaient venir y passer un week-endsous la tente.

Activités de camping au jardin/collection particulière ©Ville de Colombes

Notons également que le jardinaccueille le 21 mai la fête kermesse del’association et en juillet la clôture d’un«rallye parents — juniors – jeunes».Michel de Salabert évoque aussiChâteau-Gaillard et le récit que faisaitson père des promenades par le trainou en car qu’il y avait organisées.

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Daniel Marie quant à lui a conservé unsouvenir très vif d’un voyage en train àvapeur pour les falaises de Dieppe, encompagnie d’une seconde classe degarçons, celle de Madame Brucker.

Le choix de créer un jardin n’est pas unhasard: Pierre de Salabert est en effetun passionné de botanique. Pour lessorties du patronage, il emmenait fré-quemment les jeunes en forêt. DanielLegros, un ancien élève, se souvientavoir rapporté de la forêt de Cormeillesun merisier de quelques dizaines decentimètres, devenu depuis un arbresuperbe. Cette pratique de préleverdans la nature des végétaux n’est plustolérée aujourd’hui, mais elle représen-tait à l’époque unemanière économiqued’aménager le site. Sans nul doute, ellecontribuait aussi à éveiller l’intérêt desjeunes participants pour la botanique,grâce à une approche concrète et diver-tissante des sciences naturelles, quiaurait été autrement plus rébarbativedans le cadre de la classe.Pendant la guerre, Pierre de Salabertécrivait à sa femme de lui envoyer dessachets de graines et des livres debotanique, et, selon son fils, il s’estintéressé à l’étude de la flored’Allemagne et de Pologne, malgré sasituation difficile de prisonnier deguerre.

Une autre rencontre déterminante, queMichel de Salabert désigne commeune véritable amitié de son père, estcelle de M. Posmorny, horticulteur etfleuriste qui avait fui laTchécoslovaquie devant la menaceallemande, et s’était installé àColombes dans le quartier.M. Posmorny a beaucoup travaillé avecPierre de Salabert, tant au jardin bota-

nique qu’au château de la Brosse, dontils avaient conçu et réalisé ensembleles espaces paysagers. Il semble quele dessin du jardin doive beaucoup àl’association des deux hommes.

Un pédagoguemoderne

Enseignant dans l’âme, Pierre deSalabert a développé des méthodeséducatives peu conventionnelles,même si elles sont dans l’air du tempsen 1936. Les enjeux sociaux de l’édu-cation ont rarement été aussi bien prisen compte que pendant le ministère deJean Zay, qui a réformé l’école pour enfaire un lieu où les enfants devraientdévelopper des compétences qui lesengageraient vers une vie meilleure.Le projet éducatif du Front populaireétendait la formation à des champsnouveaux, en même temps qu’il s’em-ployait à allonger la durée de l’instruc-tion élémentaire obligatoire et essayaitde lancer des passerelles entre l’en-seignement primaire et l’enseigne-ment secondaire. A côté des matièresprincipales (français, histoire et géo-graphie, mathématiques et enseigne-ments scientifiques), on met l’accentsur les «cours spéciaux» (chant, des-sin, dessin industriel, éducation phy-sique, langues vivantes, travauxmanuels) assurés lorsque c‘est néces-saire par des spécialistes, comme àColombes le peintre et sculpteur Pechdans l‘après-guerre.

L’objectif de ces projets de réformesest de pallier les carences liées aumilieu social, ainsi les propositionsGosse visant à renforcer dans le pre-mier cycle le français et les enseigne-ments artistiques, à partir du constatque «l’enseignement de culture actuel

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est un enseignement de classe». Uneautre priorité est de former le juge-ment des jeunes et de les inciter àl‘initiative, à l’aide des méthodesactives, en pleine expansion.

Cette volonté politique a rencontré enPierre de Salabert un écho enthou-siaste. Il privilégiait la compréhension,par l’observation et l’expérimentation,à la « leçon» classique, apprise parcœur. Il recherchait en chacun de sesélèves des dispositions ou des talents,qu’il essayait de leur faire développer,avec pour objectif d’en faire des «per-sonnes», selon l’expression employéedans plusieurs témoignages… et il yréussissait souvent, comme ont pu ledire certains, en particulier ceux quiont embrassé une carrière artistique:l’un d’eux, devenu sculpteur, avouequ’il n’aimait pas l’école et que c’estPierre de Salabert qui lui a fait décou-vrir le monde de l’art et a fait de lui«quelqu’un». A côté de ces réussites,la modernité et l’engagement de l’en-seignant pouvaient être mal perçues,d’abord par certains enfants, qui, éle-vés dans un enseignement tradition-nel, ont pu avoir l’impression de raterune année, avant de se rendre comptebien plus tard des richesses dispen-sées par le maître. Ces mêmesméthodes n’étaient pas non plus dugoût de tous les parents, qui appréhen-daient pour certains que leur fils —notre histoire se situe avant l’écolemixte — «tombe» dans la classe decet instituteur hors normes. Il y a fort àparier que quelques-uns des collèguesde Pierre de Salabert partageaientcette méfiance! Pour ce qui concernel’appréciation de son travail àl’Inspection, les sources manquent :quelques anecdotes, invérifiables, font

état d‘un « incident» avec un inspec-teur. Sa personnalité, affirmée et auto-ritaire, comme son dévouement total àla cause des enfants qui prévalait pourlui sur toute autre considération, n’ontpas toujours été comprises.

Tous les témoignages concordent pourdresser le portrait d’un instituteur quicherchait avant tout à obtenir un résul-tat avec chacun de ses élèves, s’éloi-gnant quand cela lui semblait néces-saire des méthodes classiques. C’estsans doute aussi l’explication d’uneparticularité, plutôt rare à cetteépoque: pourtant sévère -et très res-pecté !- il ne frappait pas les enfants.Enfin, cette vie avec ses élèves sembleavoir été pour lui une source de satis-faction, à en croire une lettre dedécembre 1963 adressée à l’Inspecteurau moment où il complétait son dos-sier de retraite, qu’il concluait ainsi :«Ceci dit pour ajouter simplement que jesuis heureux de m’être occupé de maclasse bien au-delà du dernier instant.Je compte d’ailleurs établir le bilan demes années d’expériences dans les réa-lités avec les enfants que j’ai reçus et ini-tiés au contact des terroirs ou desmusées, et de la vie, comme le pré-voyaient les programmes dès 1922, aux-quels je me suis toujours référé directe-ment en les élargissant comme le firenttant de maîtres».

Le Centre Nature possède un intéres-sant fonds de documents anciens, dontplusieurs sont à situer entre 1946, datedu retour de captivité de Pierre deSalabert, et 1950. L’un d’entre euxporte le tampon de la société «Stuccod’Art – Pillon & Cie – 4 rueBeauséjour». Ceci nous renvoie à des

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témoignages disant que l’instituteurfaisait venir devant ses élèves des pro-fessionnels, artisans ou artistes, pourdes conférences agrémentées de pro-jections fixes (sans doute avec unappareil Photoscope MP III, dont lamairie avait équipé ses écoles dès1936) ou des démonstrations desavoir-faire. Il devait se fournir auprèsde certains d’entre eux des matériauxnécessaires à ses ateliers, comme lapierre pour la sculpture ou le lino,l’étain ou le zinc pour les activités degravure. Le Centre Nature conserveégalement des travaux d’art, mode-lage, sculpture, plaques de zinc oud’étain gravées ou repoussées et untirage sur tissu d’après une œuvre del’Antiquité.

Travaux de modelage et de sculpture, collection du CentreNature

Un souvenir marquant pour DanielLegros et Daniel Marie, élèves deSalabert vers 1948, a été une visite àRaymond Duncan, alors âgé d’environ80 ans, le frère aîné de la célèbre dan-seuse Isadora Duncan, dans son ate-lier à Paris. Architecte, artiste, poète, ila été l’un des inspirateurs du mouve-ment de la «danse libre». MichelineBarnes, la fille de Pierre de Salabert,se rappelle l’avoir vu plusieurs fois àColombes. En ce jeudi de l’automne1947 ou de 1948, Raymond Duncan,

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longs cheveux blancs tombant sur sesépaules, vêtu d’une sorte de longuetunique en laine brute inspirée de laGrèce antique, avait fait effectuer auxjeunes Colombiens des danses ryth-miques inspirées des travaux deschamps, sans parvenir à convaincrevéritablement ce groupe exclusive-ment composé de garçons! Duncan etses émules travaillaient sur le «mou-vement naturel», celui du travail phy-sique, élaboré instinctivement pouraméliorer le rendement et épargner lapeine. Ces recherches font écho biensûr aussi à celles d’Isadora Duncan età sa volonté de faire sortir la danse deson carcan classique. RaymondDuncan avait également mis au pointune casse d’imprimerie, ce que l’onappellerait aujourd’hui une «police»de caractères, dans laquelle il compo-sait l’édition de recueils de poèmes etd’aphorismes, comme les «Poèmes deparole torrentielle », «Etincelles demon enclume», les «Echos de monatelier», ou encore le journal hebdo-madaire «Exangelos», commencé àAthènes en 1914 et continué à Paris àpartir de 1916, qu’il imprimait lui-même.

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L’aménagement du jardin

En 1936, le projet d’un jardin destinéaux enfants des écoles était apparudans une première délibération du22 mai, dans laquelle la municipalitéenvisageait d’acquérir les parcellesvoisines d’un terrain communal situérue Solférino. Le Jardin botanique deColombes se met en place immédiate-ment. Dix ans plus tard, le 12 avril1946, une nouvelle délibérationréclame à nouveau une déclarationd’intérêt public, pour «l’éducation desenfants des écoles». Ce même textementionne «l’utilisation des terrainssans titre réglementaire » et « unenécessaire régularisation». Bien queles procédures légales n’aient pasencore abouti, nous avons là la preuveque l’instituteur occupait, sans douteavec l’accord des propriétaires voisins,la totalité du terrain, soit environ2200 m2. Deux parcelles seront ache-tés, l’une en 1947, l’autre en 1954, res-pectivement d’une superficie de 209m2

et de 110 m2 ! La décision d’acquérirles trois parcelles restantes ne serafinalement validée qu’en juin 1955.

Les débuts sont difficiles à retracer,par manque de témoignages directs,d’une part, et d’autre part à cause del’absence presque complète d’archivessur le sujet. Une photographieancienne, qui date de 1938, montre ungroupe d’une dizaine d’enfants au tra-vail, en compagnie d’un adulte, qui neserait pas Pierre de Salabert, maisplutôt un élu de l‘époque manifestantpar sa présence son intérêt pour leprojet. Très soigneusement cadré, avecau premier plan un jeune arbre fruitieren fleurs, le cliché nous montre un sitetrès ensoleillé, à rattacher aux débuts

de l‘aménagement et aux premièresplantations.

L’aménagement du terrarium (vers 1938)/collection particu-lière.

Équipés de pelles, les jeunes sontoccupés à creuser un large trou. Si lemur que l’on voit au fond est bien celuide la chapelle Saint-Etienne — Saint-Henri, construite en 1935, le groupe estdéjà en train d’aménager le terrarium,fosse dans laquelle on mettait pour lesobserver des lézards, des orvets, etc.,capturés lors d’excursions.

Le terrarium à la fin des années 1970/Collection du CentreNature© Ville de Colombes

Ces premiers grands travaux ont sansdoute été réalisés par les jeunes dupatronage, sur leur temps de loisir. Lesélèves de Cours moyen rencontrés nese rappellent pas avoir réalisé

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DEUXIEMEPARTIE

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Plan du jardin intitulé «Projet» en 1954© Ville de Colombes

d’activités pénibles, seulementquelques plantations de végétaux rap-portés de leurs promenades ou deplants provenant de la pépinière muni-cipale, qui jouxtait l’ancien stade duDrapeau.

Pierre de Salabert et le jardin corres-pondent dans la mémoire des anciensélèves de Victor Hugo à une périodevéritablement marquante de leur sco-larité. Or, dans le courant des entre-tiens, on constate que l’essentiel desactivités se faisait à l’école, y comprisles travaux créatifs, comme le mode-lage ou l’imprimerie. La classe se ren-dait au jardin surtout à la belle saison.Selon le témoignage de Daniel Marie,l’instituteur y avait cependant faitapporter du mobilier scolaire, pupitreset bancs, qui permettait de faire classeen extérieur lorsque le temps le per-mettait, ou sous le préau qui existaitdéjà en 1947-1948. Pierre de Salabertavait ménagé au centre du jardin unesorte de petit terrain d’évolution pourla danse et des exercices de gymnas-tique, la «pelouse de danse et de mou-vement» du plan de 1954. Une petitescène était également réservée aux« jeux dramatiques» des enfants.

Un«jardin botaniqued’application»Dans les années de l’Entre-deux-guerres, le jardin scolaire était vive-ment conseillé dans les écoles.Comme actuellement, il servait à ini-tier les enfants, par des petits travauxdivertissants, au rythme des saisons età l’observation de la nature. Leurs plusardents défenseurs mettent aussi enavant d’autres objectifs, comme dedévelopper le sens des responsabilités

et le respect du travail des autres. Eneffet, on demandait au maître d’y fairecoexister des zones réservées au tra-vail collectif et à l’observation avec despetites parcelles individuelles,allouées à chaque élève. Le dessin enest toujours simple, consistant à divi-ser l’espace en carrés ou rectanglesdestinés à la culture.

Rien de tel à Colombes, où l’on observed’emblée un véritable aménagementpaysager, avec par exemple la largecourbe de l’allée soigneusement bor-dée de gros pavés, sur la photo de1938. Toujours attentif à éveiller l’inté-rêt de ses jeunes élèves, Pierre deSalabert a conçu son plan sur celuid’un parc d’agrément, selon un des-sein vraiment ambitieux. Sur un terrainqui devait être relativement délaissé aumoment de sa prise en mains par l’ins-tituteur, ce dernier décide de réaliserun véritable « jardin botanique » !Pendant près de trente ans, il s’attacheà enrichir et diversifier les collectionsbotaniques.

C’est lorsque la Préfecture rend unavis favorable à la demande de décla-ration d‘utilité publique, plusieurs foisréclamée dans les séances du conseildepuis 1936, qu’apparaît le premierdocument iconographique officiel rela-tif à l’aménagement du jardin. Il s’agitd’un plan dressé par l’architecte de laville en janvier 1954 (cf. illustrationdouble page précédente).

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Malgré la dénomination de «projet», ilest apparu à travers les proposd’élèves qui avaient fréquenté le lieubien avant 1954 qu’une grande partiedes aménagements étaient déjà réali-sés. Hormis quelques arbres déjà enplace, deux peupliers, deux saules, unsorbier, des fruitiers ont été plantés,comme plusieurs cerisiers, des poi-riers, des pruniers et des pommiers.Un noyer apparaît également.Les constructions sont elles-aussi pré-sentes : l’abri d’abord, avec son auventlargement débordant, puis quelqueséléments maçonnés, comme la scènedéjà évoquée, servant aussi de stationmétéo, le terrarium, un petit bassinsimplement creusé au fond du jardin,et surtout, le plus remarquable, lebeau bassin rectangulaire dénommé« jardin aquatique », précédé d’unevasque en arc de cercle ornée d’unemosaïque.

Une classe de Pierre de Salabert au bord du grand bas-sin/Collection particulière© Ville de Colombes

L’ensemble et la qualité des équipe-ments construits sur le site conduisentbien sûr à penser à l’intervention deprofessionnels (peut-être bénévolespour leur prestation), mais aussi à unvéritable financement, sans doute par

le patronage, pour la mise en eau:lorsque Alain Spohn reprend le jardin,il a la surprise de constater que l’eaun’a pas été coupée au moment dudépart de Pierre de Salabert. Aprèsenquête, il découvre que la facturationest adressée à un centre de loisirs deColombes! La source mentionnée surle plan de 1954 n’a pas été retrouvée.Aujourd’hui encore, c’est l’eau de laville qui alimente les différents bas-sins. Situation à laquelle le serviceÉcologie urbaine tente de remédier.

Le jardin aquatique a été, et resteencore, un sujet d’émerveillementpour les enfants. Cet imposant bassinà degrés, bordé sur son pourtour deplantes, permet d’observer les cyclesde la vie aquatique. Le décor demosaïque a sans doute été réalisédans le cadre des travaux artistiquesdes élèves de Pierre de Salabert. Sesdimensions et sa conception permet-tent une grande diversité biologique,tant végétale qu’animale.

Le grand bassin au moment de la reprise du jardin© Ville deColombes

On sait par des témoignages que cettediversité des espèces servait de sup-port à une initiation à la botanique. Enregardant les végétaux présents dansle jardin, en se rendant en excursion

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dans d’autres sites, le plus souventsauvages, où leur maître les aidait àidentifier les plantes et leur famille,enfin en décidant avec lui des sujetsqu’il serait utile de rapporter pourcompléter les collections, les enfantsfaisaient en s’amusant une partie deleur programme de sciences natu-relles. Pour l’enseignant, cetteapproche curieuse et sensible devaitavoir aussi pour but d’éveiller l’intérêtde ses élèves pour la connaissance, oude faire naître en eux l’étincelle d’unepassion pour la botanique semblable àla sienne.

Le plan de 1954 montre qu’environ untiers de la superficie, au fond, étaitsans doute réservé aux essais de cul-ture, comme c’est encore le casaujourd’hui. On y trouvait une champi-gnonnière, contournée par une petiteallée secondaire, un dépôt de terreauet une pépinière où l’on semait pourobtenir des plants que l’on transplan-terait ailleurs dans le jardin, ou bienqui seraient vendus pour alimenter lacaisse de la coopérative scolaire.

Même si ce n’est pas leur souvenir leplus vif, il est à peu près certain quePierre de Salabert faisait réaliser à sesélèves les exercices horticoles préconi-sés dans l’enseignement de l’Entre-deux-guerres : le jardinage scolairereprésentait à la campagne uneméthode de formation aux nouvellestechniques agricoles, tandis que dansles villes, il avait pour objet de préparerles jeunes à l’entretien d’un potagerindividuel, complément de ressourcestrès précieux dans les classes popu-laires. On ne peut pas interpréterautrement les trois petites zones quiapparaissent sous l’appellation de

«zone acide», «zone non calcaire» et«zone calcaire» qui permettaient d’ex-périmenter la culture dans les diffé-rents types de sols. L’oisellerie, lesruches, des orchidées et des plants devigne complètent cette partie du jardin.

Au-delà du grand bassin de la vieaquatique s’étendent, en remontantvers le portail d’entrée, les zones plusspécifiquement orientées vers l’étudedesmilieux naturels et de la botanique.

Les collections botaniques

C’est là en effet que le jardin deColombes mérite le mieux son appel-lation de « jardin botanique».Lorsqu’en 1963, dans sa lettre àl’Inspection, Pierre de Salabert évo-quait l’initiation des enfants « aucontact des terroirs», il devait se réfé-rer à l’aspect le plus exceptionnel deson projet : celui de créer artificielle-ment plusieurs «milieux», et par làoffrir sur la petite superficie du site deColombes un panorama des paysagesde France. Des apports de pierres -n’oublions pas la passion de l’ensei-gnant pour la minéralogie- ont permisde recréer le long de la rue Solférinoune zone granitique, dite «zone mon-tagne», bordée d’un épandage desable et de rochers. De l’autre côté del’entrée, il a disposé des conifères dansun sol de grès vosgien. Plus loin, àhauteur du jardin aquatique, le dessind’un petit secteur émaillé de pierres etbordé d’un alignement courbe derochers évoque, sous le nom de «zonesèche», le milieu méditerranéen.Pierre de Salabert entendait sansdoute élargir l’horizon des petits cita-

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dins qui lui étaient confiés, en cestemps où, comme le rappelle DanielMarie, le tourisme des classes popu-laires était loin d’être une réalité.L’observation de ces zones géologiqueset botaniques devait également lui ser-vir à enseigner la géographie de laFrance. Cependant, à partir du grèsvosgien et de la zone montagne del’entrée, on peut avancer deux autresinfluences probables de Pierre deSalabert : d’une part, l’amphithéâtregrandiose de la forêt qui formait àBussang le fond de scène du Théâtredu Peuple que fréquentait l’instituteur ;d’autre part, à quelques kilomètres deColombes, à Boulogne-Billancourt, la«Forêt vosgienne» des déjà célèbresjardins Albert Kahn, dans laquelle lecréateur de ce parc avait voulu recréerl‘atmosphère des forêts de sonenfance, autour de Marmoutier.L’idéal de paix entre les peuplesd’Albert Kahn a peut-être aussi inspiréles relations des classes de Pierre deSalabert avec d’autres écoles, enFrance et dans le monde. Michel deSalabert nous a parlé de lettres et degraines échangées avec des établisse-ments scolaires des anciennes colo-nies françaises en Afrique du nord etde l‘ouest. L’enseignant entretenaitaussi une correspondance avec lesgrands jardins botaniques, commeceux de Rio de Janeiro ou Pékin.

En 1960, un envoi du Jardin botanique de Pékin/Collection du

Centre Nature© Ville de ColombesDes échanges lointains sont corrobo-rés par des témoignages et par despreuves matérielles, comme l’enve-loppe portant l’en-tête du jardin bota-nique de Pékin, ou encore par la pré-sence au jardin d’essences exotiques,comme le faux-poivrier du Japon.D‘autres, telle une correspondancepersonnelle entre Pierre de Salabert etle dernier empereur de Chine, Pu Yi(1906-1967), devenu, après de longuesannées de camp en Sibérie et en Chine,simple jardinier au jardin botanique dePékin en 1959, malgré la concordancedes dates, relèvent peut-être de lalégende…

Faux poivrier du Japon© Ville de Colombes

L’œuvre de Pierre de Salabert àColombes s’achève en 1963 lorsqu’ilpart pour Breteuil-sur-Iton.Commence alors une périoded‘abandon, durant laquelle la naturereprend ses droits.

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La renaissance du jardin

La redécouverte

Vers 1973-1974, en rangeant l’armoirede sa classe à l’école Victor Hugo, AlainSpohn, jeune instituteur nommé defraîche date, trouve quelques docu-ments relatifs au jardin, dont un plan. Ilse met à sa recherche et découvre leterrain de la rue Solférino, retourné àl’état sauvage après dix annéesd’abandon.

Il se passionne vite pour le singulierprojet pédagogique que les notesrecueillies de son prédécesseur luipermettent d’imaginer, et il décide deremettre le site en état. Il s’y rend seulles premiers temps, et à partir de 1977parvient à intéresser d’autres ensei-gnants et des parents. La magie du lieufait son œuvre et c’est le point dedépart d’une nouvelle aventure, quis’attache à en retrouver et à faire revi-vre les traits disparus. A partir de 1978,lorsque Alain Spohn est régulièrementprésent rue Solférino, d’anciens élèvesde Pierre de Salabert commencent àvenir raconter leurs souvenirs.

Une nouvelle histoirepeut commencerUn groupe constitué d’enseignants etde bénévoles est donc à pied d’œuvre!La question du devenir du jardin et deses objectifs se place rapidement aucœur de débats fiévreux. Quelquespropositions, comme un terraind’aventures ou une ferme scolaire,sont écartés. Les deux axes qui guidentle nouveau projet sont la prise encompte de l’histoire du lieu et la notionde jardin pédagogique. Une différence

cependant, le projet délaisse les activi-tés artistiques à l’honneur jusqu’en1963 pour se concentrer sur l’appren-tissage de la nature.Les premiers travaux consistent àrecréer des espaces botaniques et desaires de travail. Gérard Gadois,employé aux Espaces verts de la Ville àl’époque, se souvient d’avoir participé àl’entretien pendant quelques années.Des parents d’élèves ont pour leur partproposé de participer à la fermeture età l’aménagement de l’ancien préau.

Le hall au moment des travaux/Collection du centre Nature© Ville de Colombes

En mai 1979, une association est crééepour prendre en charge dans debonnes conditions la gestion du site. Lapremière assemblée générale définitainsi les objectifs de l’association :«apporter aux enfants une meilleureconnaissance de la nature en relationavec la vie du quartier et au travers d’ac-tivités de jardinage ou d’ateliers décou-verte». On retrouve là l’ouverture auxhabitants du quartier, qui avait déjàtant d’importance au temps de Pierrede Salabert. Au printemps 1980, le jar-din botanique ouvre ses portes etaccueille dans l’année environ cinqcents enfants. Dans le même temps,certaines difficultés, comme lemanque de volontaires pour l’encadre-

TROISIEMEPARTIE

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ment des ateliers de jardinage, com-mencent à apparaître.

La municipalité, qui subventionne l’as-sociation, propose en 1982 à cette der-nière de signer une convention d’ob-jectifs afin d’assurer la pérennité duprojet. Aux termes de ce texte, la villemet à disposition les terrains et prenden charge les travaux de réhabilitation.Elle assume également la rémunéra-tion d’un «gestionnaire des activitésbotaniques» pour ouvrir en temps sco-laire aux écoles voisines (Victor-Hugo,Langevin Wallon, J.-J. Rousseau,M. Berthelot et Maintenon) et en soiréeaux enfants du quartier pour des ate-liers. Pour revenir à la vocation primi-tive d’équipement scolaire, les direc-teurs d’écoles et des enseignants semanifestent auprès de la mairie pourque le poste d’animateur soit confié àun enseignant. Le 1er septembre 1982,Alain Spohn prend ses fonctions sur unposte contractuel de deux ans, qui semuera ensuite en un détachement del’Education nationale. En 1984, le jardinbotanique prend le nom de «CentreNature» et il fait l’objet d’une inaugu-ration officielle. Il constitue uneréserve ornithologique et un sentierdécouverte y est conçu.

Alain Spohn au Centre Nature© Ville de Colombes

Un projet pédagogique et ludique

Le Centre Nature met en scène lanature dans toutes ses dimensions: laflore des bois et celle des champs yretrouvent droit de cité, tandis que lenouvel animateur s’attache à recréerles différents milieux naturelsqu‘avaient imaginés Pierre deSalabert. Les familles botaniques ysont représentées, des zones mettenten lumière les utilisations de plantesparticulières (médicinales, tincto-riales…), ailleurs, des familles chroma-tiques sont regroupées. La vocationpédagogique est réaffirmée avecl’aménagement de stations d’observa-tion (des types de sols, du systèmeracinaire d’un arbre, de l’âge desarbres). La faune a sa part dans le nou-veau projet avec la remise en eau desmares et des bassins, la délimitationde réserves naturelles, comme le«petit bois» au fond du jardin, l’instal-lation de gîtes, de nichoirs, de nourris-soirs et d‘observatoires, et enfin debacs et d’aquariums pour certainesespèces animales ou végétales.

Le petit bois© Ville de Colombes

Lorsqu’il accueille les classes (de uneà deux par jour), Alain Spohn proposeune découverte du jardin, parfois com-plétée par le visionnage d‘une cassettevidéo sur un thème au choix des ensei-gnants. Ceux qui le souhaitent peuvent,s’ils ont suivi plusieurs animationsl’année précédente, assurer seuls lesséances avec leur classe. Les élèvesobservent les changements liés auxsaisons. Orientée vers une approchesensible, la visite est une balade atten-tive, où l’on se laisse guider par ce quise passe.

Comme son prédécesseur, AlainSpohn privilégie les méthodes actives :les enfants doivent pouvoir observer etsurtout pratiquer, par exemple lesgreffes ou les marcottes. Des zones dereconnaissance sont aménagées, lais-sées volontairement sans étiquetage,afin de permettre aux jeunes de don-ner libre cours à leurs interprétations,à partir de ce qu’ils ont déjà acquis. LeCentre abrite des activités d’observa-tion scientifique, grâce aumatériel dis-ponible dans le «hall», qui comprendaussi une bibliothèque, un labo-photoet un laboratoire d’archives naturelles.Des panneaux-jeux d’identificationsont disséminés à l’extérieur.

Le jardin redevient un lieu de convivia-lité et de partage. Les enfants du quar-tier sont accueillis pour des activitésindividuelles : ceux qui le souhaitentdisposent de parcelles personnelles,au sein d’une coopérative enfantine. Ilssuivent une initiation à la botanique, àla culture des plants, du semis jusqu’àla récolte. Ils sont bien entendu pré-sents aux sorties naturalistes propo-sées gratuitement par l’association.Les adolescents sont invités à pren-

dre part à des ateliers tels que répara-tion de vélos, aménagement d’unenouvelle mare ou encore four à pain !L’association organise de grandesexpositions et des portes ouvertes.

Exposition mycologique© Ville de Colombes

Le rayonnement du Centre Nature

En 1994, le départ à la retraite d’unentrepreneur propriétaire d’une par-celle voisine et d’un bâtiment de200 m2 offre des opportunités de déve-loppement inespérées. En achetant leterrain, la ville porte à 2900 m2 lasuperficie du jardin, et elle dote ce der-nier d’un équipement qui lui manquait :une vaste salle capable d’accueillir desmanifestations en rapport avec l’im-portance et le rayonnement de ce lieu,telles que des expositions, des anima-tions de grande ampleur ou encore descongrès.

En 1998, l’association a souhaitéencourager à partir du site deColombes le développement d’unréseau de «Centres Nature» en Île-de-France: le nouveau local aurait abritéles débats d’un séminaire annuel, tan-dis que la Maison des Jeunes et de laCulture offrait grâce à son centre inter-

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national de séjour la possibilité deloger les participants. Ce projet, noyédans des initiatives parallèles, n’a paseu le développement souhaité, mais lanotion de réseau a prévalu avec l’affi-liation du Centre Nature auG.R.A.I.N.E.-IDF(Groupement Régionald’Animation et d’Information sur laNature et l’Environnement).

Portée par l’intervention de spécia-listes en mycologie, botanique, ento-mologie ou ornithologie, la program-mation de l’association et son exigencecontinuent cependant à faire du site de

Colombes une référence dans larégion. De nouveaux travaux de réamé-nagement et de rénovation du hall sontentrepris en 2002 et en 2003 aumoment du départ à la retraite d’AlainSpohn, une équipe de trois jardiniers-animateurs est mise en place par laville pour assurer l’ouverture du jardinet les activités pédagogiques.L’association continue à œuvrer aurayonnement du Centre Nature enorganisant des conférences, desexcursions, des expositions et des ate-liers.

En ce début du XXIe siècle, leCentre Nature se veut àl’écoute de l’intérêt généralet souhaite rendreconcrètes les notions deDéveloppement Durable.Pour ce faire, l’équipe vaintégrer les grands prin-cipes de cette notion tantsur le point des animationsque dans la gestion du site.

Une gestion en harmo-nie avec la natureConscient des grandsenjeux actuels, le CentreNature a pour objectif demettre en place une gestionécologique du jardin. Celle-ci prend en compte lespotentialités naturelles dusite dans le but de favoriserla biodiversité.Ce changement de pratique

implique un arrosage sensi-ble et raisonné, la mise enplace de gîtes et refugespour la faune locale, et lafin de l’utilisation de toutproduit phytosanitaire.

Une éducation à l’envi-ronnement pour undéveloppement durableL’éducation à l’environne-ment est une pratique enconstante évolution. Aprèsles différents travaux péda-gogiques qui ont su définirdeux tendances majori-taires, à savoir l’éducation«par» et «pour» l’environ-nement, les dernièresréflexions sur le sujet ontpour ambition de promou-voir une éducation à l’envi-ronnement pour unDéveloppement Durable.

Les animateurs du CentreNature tentent doncd’adhérer à cette nouvellepratique. Leur démarchebasée sur l’alternance desapproches vise à créer uncontact émotionnel entre lepublic et la nature dans lebut de modifier son rapportau monde, s’élever et avoirune vision globale dessujets environnementaux.

En somme, les années ontpassé, les courants pédago-giques se sont succédés,mais le Centre Naturepoursuit sa mission éduca-tive en faveur de l’environ-nement avec le souci per-manent de s’améliorer.

Laurent SenftlebenAnimateur au Centre Nature

L’entrée dans le XXIe siècle

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SOURCES

- Archives municipales de Colombes- Archives départementales de Paris- Mission des archives du Ministère del’Education nationale

- Fonds de l’Association du CentreNature

- Fonds du Centre Nature- Bibliothèque Sainte-Geneviève à Parispour les éditions de Raymond Duncan.

- Pascal Ory, La Belle illusion : culture etpolitique sous le signe du Front popu-laire 1935-1938, Plon, 1994.

- Joseph Soleil, Le Livre des instituteurs,Traité complet des droits et devoirs demembres de l’enseignement, 5e édi-tion, librairie H. Le Soudier, Paris,1929.

- André Vimeux, Le Jardin scolaire,Hachette, réédition de 1942.

- Jacques de Givry, Les jardins AlbertKahn, JDG Publications, 2004

REMERCIEMENTS

- à Mme Micheline Barnes et M. Michel deSalabert, les enfants de Pierre deSalabert, à M. Alain Spohn et à l’asso-ciation du Centre Nature en la per-sonne de Mme Henry et de M. Don, àM. Daniel Legros et Mme Figus, del’Association des Amis du Musée, quiont collecté des témoignages, àM. Daniel Marie, aux propriétaires pri-vés qui ont prêté des photographiesanciennes, et à toute l’équipe du CentreNature, Sylvie Bray, SébastienRochette et Laurent Senftleben, pourleur active participation,

- ainsi qu’à M. Thierry Holzer etMme Robillard.

RÉALISATION

Direction du patrimoine historique de laVille de Colombes.Textes : Marie-Pascale Etchart, respon-sable de la valorisation du patrimoine,avec la participation de LaurentSenftleben, animateur au Centre Nature.Photographies : Ville de Colombes.

Direction du Patrimoine historique14/16 Place Henri-Neveu92700 ColombesTél. : 0147608308