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Monsieur Karacian, comment envisa- gez-vous ce nouveau rôle qu’est celui de CEO de Maison Moderne ? Je ne serai pas un CEO qui ne fait que de la représentation. Une de mes missions est évi- demment d’être l’ambassadeur de l’entreprise à l’extérieur, mais j’ai pour habitude de m’im- pliquer dans les dossiers, de vouloir me situer au carrefour de l’organisation. Je m’appuie sur mon expérience pour passer d’un sujet à l’autre et j’apprécie cette mnastique intellectuelle. Ce mode de management est-il caracté- ristique de votre approche du leadership en entreprise ? Le CEO doit en effet se placer à un niveau stra- tégique sans pour autant négliger les aspects opérationnels. Il doit aussi exercer une veille permanente et élaborer une vision à court et moyen termes. Je ne prétends pas disposer d’une vision à long terme de notre secteur, car la période actuelle est marquée par un tsunami technologique. Il met les métiers tra- ditionnels des médias à rude épreuve et force les entreprises à avancer par expérimentation lorsqu’elles envisagent des projets de longue haleine. Comment diriger Maison Moderne dans ce contexte de « tsunami » technologique ? Deux axes structurent mon approche du monde du travail et de l’entreprise. Tout d’abord, j’accorde beaucoup d’importance au respect des collaborateurs ainsi qu’à leur développe- ment. J’aime les gens, sinon je n’aurais pas tra- vaillé aussi longtemps dans les RH. Ceci dit, on ne peut pas faire de business sans clients. C’est une évidence que l’on a parfois tendance à oublier au quotidien. Je crois beaucoup à la notion d’expérience du client, elle doit être réfléchie de façon professionnelle. C’est donc à l’entreprise, au fournisseur de contenus et de services que nous sommes, de trouver les bonnes marges et de veiller en permanence à la satisfaction du client. C’est essentiel pour moi et vital pour l’entreprise. Et ce d’autant plus dans un paysage média- tique dont l’offre s’est élargie avec l’avène- ment du numérique… Absolument. La volatilité dont les lecteurs et les clients peuvent faire preuve dans le numérique n’existe nulle part ailleurs. Si le produit n’est pas parfait, nous pouvons perdre le lecteur ou le client avec une rapidité déconcertante. Il faut donc capter leur attention et les fidéliser avec des produits qui sont excellents tant sur le plan graphique que technique, tout en gardant une mise sur le marché dans un temps adéquat par rapport à la concurrence. Il ne faut pas négli- ger la notion de « time to market ». Comment peut-on résumer votre parcours ? Je suis un « touche-à-tout ». Je suis juriste de formation en droit privé et droit des affaires. J’ai commencé ma carrière en tant que juriste- rédacteur au sein de l’association de défense des consommateurs UFC-Que Choisir. J’ai ensuite occupé des postes de directeur des RH et direc- teur juridique dans différents groupes : Future France, Axel Springer France et Altice Media. Autant de grands noms qui m’ont permis d’ex- périmenter des modes de management diffé- rents et complémentaires à la fois. J’ai été attiré par le poste de DRH, car je crois véritablement que la première richesse d’une entreprise est son capital humain, notion que je préfère d’ailleurs à celle de ressources humaines. J’ai Richard Karacian succède ce 4 septembre à Mike Koedinger en tant que CEO de Maison Moderne. Après avoir occupé des fonctions dans des groupes média internationaux comme Altice et Axel Springer, il relève un double défi: poursuivre la croissance de la première entre- prise média indépendante au Luxembourg et la faire entrer dans une nouvelle dimension. PHOTOS Eric Chenal RICHARD KARACIAN (CEO DE MAISON MODERNE) « Je crois beaucoup à la notion d’expérience du client  » RICHARD KARACIAN BIO EXPRESS Passionné depuis toujours par l’univers des médias, Richard Karacian, 48 ans, dispose d’une expérience dans le droit, les ressources humaines, la transformation digitale, l’entrepreneuriat et le management global d’entreprise: 2016-2017 Libération, directeur général 2014-2016 Groupe Altice Media, secrétaire général du groupe 2007-2014 Axel Springer France, DRH et Juridique, responsable France M&A 2003-2007 Future France, Paris, DRH et Innovations Outre ses études dans le domaine du droit, il a récemment complété sa formation par un troisième cycle à HEC Paris : 2016-2017 HEC Paris, Executive MBA Program 2016 HEC Paris / Stanford Graduate School of Business San Francisco, leading digital transformation of businesses and corporate innovation 1992-1995 Université René Descartes Paris V, droit privé et droit des affaires ENTREPRISES – MANAGEMENT ENTREPRISES – MANAGEMENT Septembre 2017 — — Septembre 2017

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Monsieur Karacian, comment envisa-gez-vous ce nouveau rôle qu’est celui de CEO de Maison Moderne ? Je ne serai pas un CEO qui ne fait que de la représentation. Une de mes missions est évi-demment d’être l’ambassadeur de l’entreprise à l’extérieur, mais j’ai pour habitude de m’im-pliquer dans les dossiers, de vouloir me situer au carrefour de l’organisation. Je m’appuie sur mon expérience pour passer d’un sujet à l’autre et j’apprécie cette gymnastique intellectuelle.

Ce mode de management est-il caracté-ristique de votre approche du leadership en entreprise ?Le CEO doit en effet se placer à un niveau stra-tégique sans pour autant négliger les aspects opérationnels. Il doit aussi exercer une veille permanente et élaborer une vision à court et moyen termes. Je ne prétends pas disposer d’une vision à long terme de notre secteur, car la période actuelle est marquée par un tsunami technologique. Il met les métiers tra-ditionnels des médias à rude épreuve et force les entreprises à avancer par expérimentation lorsqu’elles envisagent des projets de longue haleine.

Comment diriger Maison Moderne dans ce contexte de « tsunami » technologique ?Deux axes structurent mon approche du monde du travail et de l’entreprise. Tout d’abord, j’accorde beaucoup d’importance au respect des collaborateurs ainsi qu’à leur développe-ment. J’aime les gens, sinon je n’aurais pas tra-vaillé aussi longtemps dans les RH. Ceci dit, on ne peut pas faire de business sans clients. C’est une évidence que l’on a parfois tendance à oublier au quotidien. Je crois beaucoup à la

notion d’expérience du client, elle doit être réfléchie de façon professionnelle. C’est donc à l’entreprise, au fournisseur de contenus et de services que nous sommes, de trouver les bonnes marges et de veiller en permanence à la satisfaction du client. C’est essentiel pour moi et vital pour l’entreprise.

Et ce d’autant plus dans un paysage média-tique dont l’offre s’est élargie avec l’avène-ment du numérique…Absolument. La volatilité dont les lecteurs et les clients peuvent faire preuve dans le numérique n’existe nulle part ailleurs. Si le produit n’est pas parfait, nous pouvons perdre le lecteur ou le client avec une rapidité déconcertante. Il faut donc capter leur attention et les fidéliser avec des produits qui sont excellents tant sur le plan graphique que technique, tout en gardant une mise sur le marché dans un temps adéquat par rapport à la concurrence. Il ne faut pas négli-ger la notion de « time to market ».

Comment peut-on résumer votre parcours ?Je suis un « touche-à-tout ». Je suis juriste de formation en droit privé et droit des affaires. J’ai commencé ma carrière en tant que juriste- rédacteur au sein de l’association de défense des consommateurs UFC-Que Choisir. J’ai ensuite occupé des postes de directeur des RH et direc-teur juridique dans différents groupes : Future France, Axel Springer France et Altice Media. Autant de grands noms qui m’ont permis d’ex-périmenter des modes de management diffé-rents et complémentaires à la fois. J’ai été attiré par le poste de DRH, car je crois véritablement que la première richesse d’une entreprise est son capital humain, notion que je préfère d’ailleurs à celle de ressources humaines. J’ai

Richard Karacian succède ce 4 septembre à Mike Koedinger en tant que CEO de Maison Moderne. Après avoir occupé des fonctions dans des groupes média internationaux comme Altice et Axel Springer, il relève un double défi : poursuivre la croissance de la première entre-prise média indépendante au Luxembourg et la faire entrer dans une nouvelle dimension.

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RICHARD KARACIAN (CEO DE MAISON MODERNE)

« Je crois beaucoup

à la notion d’expérience du client »

RICHARD KARACIAN

BIO EXPRESSPassionné depuis toujours par l’univers des médias, Richard Karacian, 48 ans, dispose d’une expérience dans le droit, les ressources humaines, la transformation digitale, l’entrepreneuriat et le management global d’entreprise :

2016-2017 Libération, directeur général

2014-2016 Groupe Altice Media, secrétaire général du groupe

2007-2014 Axel Springer France, DRH et Juridique, responsable France M&A

2003-2007 Future France, Paris, DRH et Innovations

Outre ses études dans le domaine du droit, il a récemment complété sa formation par un troisième cycle à HEC Paris :

2016-2017 HEC Paris, Executive MBA Program

2016 HEC Paris / Stanford Graduate School of Business San Francisco, leading digital transformation of businesses and corporate innovation

1992-1995 Université René Descartes Paris V, droit privé et droit des affaires

ENTREPRISES – MANAGEMENTENTREPRISES – MANAGEMENT

Septembre 2017 — — Septembre 2017

Page 2: ENTREPRISES – MANAGEMENT ENTREPRISES – MANAGEMENT …download.rtl.lu/2017/09/04/014a80e470359eb2a4f8e2ea409b5... · 2017. 9. 4. · C’est donc à l’entreprise, au fournisseur

récemment souhaité compléter mon cursus par un Executive MBA à HEC Paris et à la Stanford Graduate School of Business de San Francisco.

Pourquoi ?J’ai appris beaucoup de choses sur le ter-rain, mais j’avais besoin d’y ajouter une cer-taine méthodologie. Les personnes qui ont cru en moi avaient jugé que j’avais les capa-cités managériales sans pour autant avoir le diplôme correspondant. Je suis donc allé chercher chez HEC Paris la certification qui me manquait tout en approfondissant mes connaissances et découvrant d’autres tech-niques. Cette formation très dense m’a ouvert d’autres horizons. J’évoluais dans le monde des médias en France, je connaissais aussi les médias en Belgique via mon expérience chez Roularta et l’approche allemande chez Axel Springer, mais HEC m’a permis de faire de nouvelles rencontres, notamment à l’inter-national, dans le marketing digital, les tech-niques de vente, la transformation digitale des « business models »… Le réseau formé par les anciens de cette école vous permet en outre de gagner en efficacité en obtenant rapide-ment des réponses à vos questions et en trou-vant les interlocuteurs adaptés à vos besoins.

Cette formation reflète-t-elle une certaine forme d’exigence que vous vous fixez ?Je suis un leader complexe, mais en effet exi-geant avec moi-même, ainsi qu’avec mes colla-borateurs. Je prends le temps d’écouter avant de décider, car j’accorde beaucoup d’impor-tance à la responsabilisation des équipes, à leur point de vue. Je suis à leurs côtés et les soutiens. J’aime travailler en mode agile. En revanche, la notion de « bon » ou de « mauvais » collaborateur m’intéresse moins. Je dis souvent que l’expérience est le nom que l’on donne à ses erreurs. Je m’applique ce principe et je sou-haite aussi le transmettre à mes collaborateurs. Ma seule grille de lecture pour juger de leurs performances est la façon dont ils travaillent pour comprendre leur client, et dans le cas de Paperjam, les lecteurs, et comment ils s’ef-forcent de les satisfaire.

Dans un marché évolutif, la thématique de la formation continue est au cœur des entreprises. Comment l’envisagez-vous ?Il est primordial que les dirigeants d’entre-prise soutiennent leurs collaborateurs dans ce domaine. Mais cette démarche doit venir des collaborateurs qui doivent se prendre en main pour mettre leurs envies en phase avec les besoins de l’entreprise. Je crois beaucoup au « tailoring », je pense que c’est l’avenir. Les années 2000 étaient synonymes de consomma-tion de masse. Les entreprises profitables seront celles qui seront capables de faire du sur-me-sure. Ceci est valable tant pour le client externe

que pour le client interne qu’est le salarié de l’entreprise. Nous devons faire du sur-mesure pour garder nos clients et nos talents.

Que retenez-vous de l’expérience passée, à la fin des années 90, auprès de la start-up Progiware qui deviendra Keyrus, acteur important dans le conseil informatique et l’univers de la data ?C’était une expérience hors du temps. Avec quelques copains, nous avons eu envie de faire partie d’une vague que l’on a aussi appe-lée bulle. Mais nous avons surfé de manière contrôlée avec un résultat plutôt positif. Je garde de cette période une envie de réussir, de ne pas renoncer, un apprentissage de l’hu-milité et un constat : il faut relativiser en se disant que si on ne s’amuse pas, cela ne vaut pas le coup.

Quelle était votre perception de Maison Moderne au moment de postuler en tant que CEO ?Maison Moderne dispose d’une marque formidable et qui est son bateau amiral  : Paperjam. Mon objectif premier est de sécu-riser cette marque et de déterminer com-ment générer de nouveaux revenus à travers celle-ci. Mike Koedinger et les dirigeants de Maison Moderne ont été visionnaires, car ils ont réussi à diversifier les revenus sous cette marque en offrant, en plus du contenu, des services ciblés. C’était très intelligent. Je remarque que des médias en France exploitent cette piste, trop tardivement. La force de Maison Moderne est d’avoir misé sur la différenciation dès le départ. Il faut maintenir cet état d’esprit et créer des bar-rières d’entrée pour que l’environnement de Paperjam ne soit pas chahuté.

Nous allons envisager la manière d’appro-fondir l’expérience client que nous offrons aux membres du Paperjam Club avec des services encore plus personnalisés. Je veux, par ailleurs, faire de notre agence l’une des trois références au Luxembourg.

Quelles sont les ambitions à l’étranger ?Le modèle de Maison Moderne peut être exporté, car malgré sa petite taille le marché luxembourgeois est un magnifique laboratoire multiculturel et multilingue idéal pour expéri-menter le comportement de consommateurs.

Quel est justement votre état d’esprit à l’égard du marché luxembourgeois ?J’y arrive en toute humilité, une valeur à laquelle je crois fondamentalement. Elle incite à la remise en question qui est d’autant plus nécessaire dans la période que nous vivons.

Comment vont se répartir les rôles avec le fondateur de Maison Moderne, Mike Koedinger, qui devient président du conseil d’administration de l’entreprise ?C’est un sujet que nous avons abordé dès le début. La volonté a été claire de part et d’autre : je dirigerai les équipes dès le premier jour. Mike a d’ailleurs choisi en bonne intelligence de ne plus travailler dans nos locaux. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y aura pas une naturelle période de transition autour de certains dossiers. Nous nous sommes du reste réparti les rôles stratégiques. Je m’occuperai du développement local et Mike conduira l’aventure internationale de Maison Moderne. J’ai la chance de pouvoir débuter ma mission en comptant sur le réseau de Mike, sur son soutien ainsi que celui des membres du comité de direction et du conseil d’administration. C’est un atout extraordinaire dont je compte bien profiter. T.R.

FICHE TECHNIQUE

MAISON MODERNEÉdition, Agence, Régie et Business Club, ces quatre activités complémentaires font de Maison Moderne la première entreprise média indépendante du Luxembourg.

Fondée en 1994

Plus de 100 collaborateurs

11,5 millions de chiffre d’affaires (2016)

« J’ai pour habitude de m’impliquer

dans les dossiers. »RICHARD KARACIAN CEO Maison Moderne

Vous venez de quitter votre poste de direc-teur général du journal Libération. Que retirez-vous de cette expérience ?Les 14 mois que j’ai passés au journal ont néces-sité un investissement hors norme en raison des difficultés financières qu’il rencontre alors que, paradoxalement, la marque média est très forte. Je retiens l’implication de 130 journa-listes qui travaillent avec passion. Le journal traverse néanmoins d’importantes difficultés en raison notamment de problèmes de diffu-sion, mais surtout d’un positionnement vis-à-vis d’un électorat de gauche qui a profondément évolué, comme l’ont montré les résultats des dernières élections. La feuille de route dont je disposais était celle menant vers l’équilibre de l’entreprise. Pour y parvenir, j’ai mis l’accent sur les coûts, tout en disposant d’une nouvelle manne de recettes par le kiosque SFR, à savoir la distribu-tion en ligne du contenu du journal aux abon-nés des services SFR en France. Une avancée majeure pour Libération.

Vous avez donc dû osciller entre coûts et recettes en permanence…Un CEO doit constamment maîtriser ces deux piliers. Il est parfois nécessaire de mettre l’ac-cent sur les coûts en raison de difficultés de marché, mais, en temps normal, il faut privi-légier les recettes, tout en maîtrisant naturel-lement les dépenses.

Le nouveau CEO Richard Karacian (3e d.g.) entouré des membres du conseil d’administration (d.g. à dr.) Guido Kröger, Daniel Schneider, Etienne Velasti, Mike Koedinger, Francis Gasparotto et Jean-Claude Bintz.

Septembre 2017 — — Septembre 2017

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