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7/26/2019 Entretien Avec Philippe Beck Par Isabelle Baladine Howald
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Entretien avec Philippe Beck
Pote affect, homme discours
Samedi de Prose est inverse. Un repos de posie le hante. Visage est travail de samedi. Lemasque est dvisag particulirement ou interrogau risque dpuisement. Lecteur Epuis cesse
dtre enfant et devient quoi ? Philippe Beck, Un Journal
Admettons quen posie on bricole. Philippe Beck Contre un Boileau
Cette sorte de semainier sous tendu, enfantin, propose le mouvement, comme surune balanoire, entre posie et prose. Mais le visage change voqu et la question
est bante.Philippe Beck vient de publier Contre un Boileau, un art potique (Fayard), un travail encours depuis vingt ans. Il remonte l aux sources de la posie et de son hritagephilologique, inscrivant sa recherche si dense, fabriquant son art potique enprenant appui de faon impressionnante sur ses lectures et rfrences nombreuses,inscrivant cet art dans lhistoire de la posie, pour le dire trs vite, de Malherbe Boileau et Ponge sans oublier ne serait-ce que le Moyen ge et les contes, LaFontaine, Perrault, Lautramont et Mallarm, Joyce, Beckett, Roger Giroux, Paul
Celan etc. Cest un livre impossible rsumer, un monde, vraiment. Pas questionde vouloir le contenir, on nen voquera que quelques aspects. Il nest jamaisquestion de Philippe Beck, lui, limpersonnage , mais de la posie en tant quetelle : monologue, extrieur dedans .
Une uvre, en latin, opera, est en construction sous nos yeux. Une uvreprotiforme, clairement oriente vers la pense, par la pense, une uvre dont lacomposition, souvent musicale, trs travaille, trs structure. Pour autant uneuvre non crbrale, mais incarne, vivante, traverse, secoue, souleve dans salangue mme. La langue de Philippe Beck na pas dquivalent. Operaest le termequi dit loeuvre, Opradiques est le livre paru en 2014 chez Flammarion, un livre
vertigineux. Hant de lectures, dcrivains, de musique, et du prfixe pr- : pr-posie, pr-danse etc.
On succde aux livres qui vous prcdent dit une intervenante dans les Actes ducolloque Philippe Beck parus chez Corti. Cest exactement leffet de lecturebeckienne.
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Philippe Beck est un chercheur, un trouveur, il crit cet indit dans la languerevisite (Grard Tessier).
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Philippe Beck, ce titre Contre un Boileau voque pour moi immdiatement deuxchoses : Pour un Malherbe de Ponge dune part, ton Contre un Boileau dautre partsignifie quil y ena au moins deux : Malherbe pure, rforme, discipline en quelquesorte la langue (cest le premier thoriser sur le sujet), Boileau, lui, dfinit le got,il a fait la posie de la posie ,dis-tu. Ponge, lui, est le pote de la dfinition-description de lobjet. O te situerais-tu entre un parti pris des choses et un parti
pris des mots ?
PB : (Juste une prcision, avant de dire deux ou trois choses : cest Jean Royre qui attribue
Boileau la force de faire la posie de la posie. ) A lalternative que tu construis,jajouterai, mon tour, les ides dans les choses, et les ides deschoses, qui se disent et doiventse dire, ou lmotion qui se dcrit mme le rel se faisant, bref un objectivisme, lide dun
chant objectif : l-dedans, aucune primaut du langage sur les choses. Il nempche: les mots
ne peuvent faire fleurir ce quils dsignent do la scheresse (mot romantique allemand, jen
conviens) et la rhumidit du lyrisme en question. Do, en un mot, linterruption ou la
suspension du symbolisme rv depuis Goethe. Ce qui ne supprime aucunement lallgorie
dans le pome. Les signes vivent de lloignement de ce quils en viennent chanter. Dcrire et
chanter, cest tout un au fond.
Et par rapport Valry, linvitable et si indispensable Valry,le fabricationniste ,quel serait lobjet que tu te donnes tudier, concernant lh istoire et/ou la tche, si
elle en a une, de la posie, dans la mesure o tu es hant par la signification, lenvieou la volont dinquiter la langue, doprer quelque chose en elle, de la dplacer.
PB : Je ne suis pas du tout hant par la signification. Ou plutt : le sens est la hantise
naturelle de chacun, videmment. Etre hant par la signification , cela voudrait dire :
avoir le dsir de sen carter et constater le fantme bien prsent . Non, les mots signifient
en se formant et se composant : reste leur rendre leur puissance estompe, dlaisse, sils ne
sinquitent plus de ce quils disent. Je nai donc pas non plus la volont dinquiter la langue,
car le projet, si cen est un, est daccompagner en pome (en forme ouverte) linquitude du
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mouvement vivant de la langue dans le langage. Le langage montre assez la vivacit inquite
des expressions, des dsirs de formuler ou des formules dsireuses ; il ny a pas vouloir
inquiter il y a plutt laisser linquitude quotidienne des expressions (des formes
possibles) apparatre autrement, se retendre et se reproposer, quitte faire des expriences avec
des mots parfois. (Jinsiste : parfois, et non toujours.) Mais le langage dit ordinaire, pr-potique , exprimente sans cesse, tente de penser en formes et formules linformeou le chaos
inquitant qui le transit.
Le livre Contre un Boileauest sous-titr : un art potique . Boileau crit : Pourmoi, je ne sais pas si jy ai russi mais quand je fais des vers, je songe toujours dire
ce qui ne sest point encore dit dans notre langue (lettre Maucrois en 1695). A
quelle ncessit rpond pour toi aujourdhui dlaborer un art potique? Quel seraitventuellement le manque, dans lhistoire de la posie, dans sa pratiquecontemporaine ou moderne, qui taurait pouss llaborer?
PB : Tout dabord, le Boileau que tu cites, cest le bon. Cest un Boileau: il y a lautre, le
Doctrinaire, qui dessche mal en posant lintelligence spareet la forme en langue qui doit lui
succder. Mais le Boileau du nouveau est le bon. Cestle Boileau qui aime ce que la langue
rvre permet encore de penser : car tout est nouveau sous le soleil. Et le nouveau peut venir
mieux en se configurant dans des mots ajusts et suivis, objectivs la faveur dune
impersonne ; sil y a de lvnement penser, que rebattent nos langues, alors il y a encore
penser dans le fait mme de formuler et de rythmer les noncs qui nous viennent. Il y a donc
encore et encore du pensable dans le mouvement qui aboutit au pome ( ce quon appelle
toujours pome, largi ou non) ; do la constante possibilit dun art potique en chacun et en
tout temps. Art potique veut dire seulement : reconstitution de llan de formuler en les
rythmant les noncs qui nous viennent. Car ce qui simpose en nous, auprs de chacun disons,
ressemble toujours au nouveau quand mme lancien sy refait.Chacun redcouvre des vrits
devenues insensibles. Le nouvel art potique essaie dapprofondir ce que les anciens essayaient
dj dapprofondir: le mouvement de dire exactement ce qui fait dj pression en chacun
savoir, limpens quicre linsatisfaction. Le besoin de se reposer dans des formules convenues,
la sagesse des nations, vient de la mme insatisfaction, mais il vise se dfaire de toute
nouveaut qui rveillerait linquitude: le dj pens doit dispenser du pensable, et cest
impossiblecest pourquoi chacun,o quil soit, avance avec une certaine ide du pome.Le
pome est la hantise ordinaire ; cest vrifier auprs des uns et des autres.
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Ce livre est une une commande philosophique , dis-tu, et on touche ici talongue pratique de la philosophie. Peux-tu nous clairer sur les rapports que tuentretiens avec ou entre Posie et Philosophie (comme pr-nommes) ?
PB :Je ne suis pas certain davoir une longue pratique de la philosophie. En tout cas, cette
longueur de temps ne me parat pas vidente. Dj, parce que je suis un littraire venu aux
tudes de philosophie ; ensuite, parce que jai plutt t sensible tout ce qui interrompt les
constructions philosophiques, si assures quelles soient. Non que je mdise de la philosophie
(il faut laisser cette mdisance la sagesse des nations) ; simplement, je ne suis pas un
philosophe. Mais un professeur de philosophie, qui plus est matre de confrences (beau
titre o sentend moins la domination quun art de faire circuler une parole) peut bien, ct
de sa profession, avoir un mtier potique. Par mtier potique, il faudrait entendre alors : une
activit o se refont les dsirs dinterrompre la philosophie sans la dtruire. Le dsir de nepas
se livrer au pur concept est humain ; tout dpend de la faon dont les uns et les autres
rendent sensibles ou forment ce quils croient penser.
Quels sont les philosophes qui taident penser la posie?
PB : Jaimerais dj savoir en quoi des philosophes souhaitent aider la posie. Et que veut
dire aider ? On aide le faible. Il leur arrive de supposer queux seuls pensent la posie.
Mais un pote doit supposer la force philosophique commune pour exposer ses raisons ; donc,
il doit faire lhypothse de sa propre force participante. Le philosophe-roi naide aucunement le
pote-sujet. Cela pos, tous les philosophes qui continuent la force commune des expressions
inquites (ou veilles entre deux sommeils ncessaires) aident ceux qui peroivent les raisons
de la faiblesse ; ces philosophes, comme Rancire et Nancy, dautres galement, ne sexceptent
pas du sort de chacun. Dans le cas de Contre un Boileau, la commande philosophique,double, et mme contradictoire, venant de deux philosophes opposs et amis (Barbara Cassin
et Alain Badiou), signifie plutt que la philosophie peut, loccasion, sans mme sen
apercevoir (voire), demander la posie de laider penser le pome.Merci bien !
Dans Un Journal tu cris : Si Prose contient Posie, elle est pareille au MasqueEtendu, appel ici Dmasque. En regardant le masque, je demande : Quelleest sa gnralit ? Quelle est sa philosophie ? Il simplifie un Visage. Pourquoi ? Philosophie est le nom dune apparition du Discours gal une Impersonne. Posieest le nom de lapparition dune Impersonne gale au Discours. La rserve de
posie, cest la rserve de posie en chacun. (p. 71) Y a-t-il entre elles une tension,
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une possibilit de se toucher ou bien un dtroit passer, quelque chose rejoindre ?Quel est donc ce visage, dmasqu qui revient souvent ? Et comment sadresse-t-il lautre? Ou comment est-il atteint par lautre (je pense ici Lvinas)?
PB : Le Dmasque est plutt ici ce quifait disparatre le visage du parlant. Limpersonne du
pote apparat ; le discours est alors le discours dun visage. Do que le pome dmasque le
faux visage (le Dmasque, le masque cach) du philosophe qui, en effet, savance masqu(il
masque le masque en parlant publiquement ou en publiant ses propos). Le pome fait
apparatre la loi du Larvatus prodeo ; Descartes a fait allusion ce processus quUnJournal essaie de dcrire. Le philosophe cache sa nature de parlant dou de visage.Evidemment, le processus philosophique exige une telle impersonnalit. Le visage du pote en
parlant fait apparatre la gnralit de quelquun; il peut donc toucher les autres parlants, enprincipe.Et cest parce que le pome dmasque le dmasque philosophique, parcequil y a du
visage parlant, du masque social vivant et offert, que le texte philosophique est toujours prs
de se dmasquer dans lapparence. Do une haine de la posie, de lironie potique, chez
certains philosophes, qui rvent dune parole sans visage, dune communication sans
individuation, dune gnralit sans tre.
Tu poses deux prceptes : a) jamais la thorie ne fera pratique ; b) il y a une
ide de ce qui est fait (et non pas jai une ide de ce que je fais, on retouche iciaussi bien ce que tu nommes lobjectif qu cette notion dimpersonnage qui testchre (cf Beck limpersonnage, entretien avec Grard Tessier, Argol).
PB : Les deux propositions se compltent, parce que le rve de causer une pratique par une
thorie antrieure voile lide pratique, lide qui se pense en pratique.Lobjectif satteint en se
formant, quelles que soient les ides antrieures (il y en a toujours, naturellement).
Cette commande a-t-elle t une occasion de rpondre quelque chose, de quelquechose, dclaircir en toi un projetlatent ?
PB : La commande dun livre est toujours une demande, donc un dsir. Et ce dsir rencontre
un autre dsir, inexprim ou inconscient. La commande fait dire Oui ou Non au dsir
exprim. Si je dis Oui, alors je donne sens un possible dsir enfoui, ici : le dsir de configurerdes ides pratiques parses et de les retendre ensemble. Dans Contre un Boileau, cela se voit
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et se saisit la Table des matires , sorte de configuration de la configuration que la
commande fait apparatre.
La question du corps est trs prsente aussi, cest une criture incarne dans unsens mcanique, le corps comme mcanique, tuyaux, muscles, os ; et un parler rude,prsence des pierres, des cailloux, etc. ( mon avis cest ici en particulier que se joueta proximit avec lcriture de Jean-Luc Nancy, non ?) En as-tu conscience ?
PB : Tu men fais prendre conscience, disons. Le toucher sobre, le rcitatif sec , oui, je sais
que Nancy y est sensible de son ct aussi. Cest une affaire de corps parlant, aucun doute.
Une parole sans corps nest pas une parole.
Tout cela, au fond, est-il contre le cur (contre le lyrisme, le pathos, etc.) ?
PB : Non, non. Le sans cur dpend dun autre cur, dun cur futur: Inciseiv estconsacr cette ide sensible. Ce qui reste du cur peut tre diminu: une augmentation, une
revisite au cur parlant dEmpdocle, par exemple, se prparent elles peuvent intresser le
lecteur insatisfait de ses dispositions, mme sil est tent de dormir et de tranquilliser son cur
chaotique ( Toi, mon cur, reste ta place...). Le pathos inverse de la modernit froide est aussi redoutable que les panchements complaisants. Sentiment est le nom dune tche.
Quelle est alors la place du sentimental (on pense Schiller dont tu as dcouvertlimportance pour toi-mme par le travail commun fait Cerisy lors du colloque quita t consacr)?
PB : Le sentimental de Schiller ne signifie rien que la disposition moderne de chacun : chacunest dispos rver dune navet o il sentirait le monde en le pensant et le penserait en le
sentant. Rver cette navet, cest la savoir impossible sans pour autant dtruire son rve ou
son ide enttante. Le besoin de navet intoxique et enivre la fois les lans expressifs et les
manires de vivre quils traduisent.
Que sagit-il dasscher, de rendre sec ?
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PB : Il faut un peu tenir ou asscher (rhumidifier) la disposition lide dela navet, qui ne
peut disparatre dun insatisfait.
Veux-tu museler la muse, et laisser plutt souvrir la pense?
PB : La dicte den haut est en question. La Fontaine a bien compris le problme qui faitcrire.Jai parcouru le pays des Muses, etny ai trouv en effet que de vieillesexpressions que vous dites que lon mprise. De l jai pass au pays desGrces, o je suis tomb dans le mme inconvnient. Les Jeux et les Ris sontencore des galanteries rebattues, que vous connaissez beaucoup mieux que jene fais. ( Saint-vremond, 18 dcembre 1687) Il y a de la dicte cependant, ou
plutt une ide de la dicte ; elle continue de nous tendre, de battre nos noncs sentis. MmeSpicer la maintient ; sa Muse est un poste de radio. Le moi se fait Muse ou Poste de radio. Moi = non-moi , comme dirait Novalis. Les Muses ne diffusent pas des messages denhaut. Elles sont gracieusement atterres. Les museler ne servirait rien. Elles doivent serenouveler, se gracier terre ; le monde dicte des formes o se recharme le sans-charme.
Je te propose une citation de Ponge : Prome Le jour o lon voudra bienadmettre comme sincre et vraiela dclaration que je fais tout bout de champ queje ne me veux pas pote, que jutilisele magma potique maispour men dbarrasser,que je tends plutt la conviction quaux charmes, quil sagit pour moi daboutir
des formules claires, et impersonnelles, on me fera bien plaisir, on spargnera bien desdiscussions oiseuses mon sujet
Et toi, es-tu pote, acceptes-tu le nom, la dnomination de pote ?
PB : Dabord, Ponge nignore pas quil y a deux magmas : la prose comme prive de sa
langue en forme un, si on peut dire, et lensemble des expressions convenues, des pulsionschantantes et ptrifies, en constitue un autre. Il y a deux feux employer. Les formules nont
qu re-charmer le sans-charme, et les deux feux naturels (les deux puissances du chaos en
chacun) servent dans ce cas. Linforme et linerte nous rchauffent au risque de nous brler,
mais sans leur chaleur rien ne peut se former en langue. Le formant chauff peut bien
sappeler pote, pas de problme.
Tu as rouvert la notion de limpersonnage, de Mallarm Ponge jusqu toi; tucris dans Un Journal: J nest pas lhistoire des tatsde X. Il tudie premirement
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un tat suspendu J est presque limpersonnage principal. Ce J , est-ce aussi lesujet ?
PB :Non, J. cest le Journal devenu Sujet Impersonnel dune vie gnrale ...
Leo Spitzer, que tu cites beaucoup dans ton Boileau, crit : On peut tre unrveur sa table de travail et un sec calculateur au bord du ruisseau . Ce mesemble tre trs exactement ta position. Une position de fait ou une position
volontaire (je penche pour la seconde proposition) ?
PB : Non, cest une position de fait. Le bord du ruisseau a souvent t mon bureau, et
inversement, dans la disposition au calcul rveur et bien sec. Il y a deux scheresses comme il y
a deux magmas.
Il y a aussi Pour un Kleist , dans ce livre, qui ne vient pas de la traditionromantique, novalisienne , cest le moins quon puisse dire, un Pour un Kleist,
peux-tu nous dire en quoi ce Kleist, pourquoi lui ? Est-il un cas part pour toi ?
PB : Kleist vient aprs les premiers romantiques ; il est cependant romantique quand
il traduit en prose les enjambements du renard de la fable de La Fontaine Les animaux
malades de la peste . Mais il a si bien compris llaboration progressive des penses dans le
discours , et la mcanique lyrique des marionnettes... Les premiers romantiques, surtout
A. W. Schlegel, ont dailleurs parfaitement saisi que le langage est le mdium-de-la-
rflexion propre au pome, si cest encore un propre. Ils en ont conclu lide ambivalente de
laposie largie, surtout Novalis, mais cest dj vrai du fragment 116 de lAthenaeum, etc.Les ides de Kleist sur limmanence de la pense au langage sont transposer au pome, qui
ne lintresse pas vraiment.Le pome intresse Benjamin ( novalisien sil en est), mais cest
dans la perspective du roman, finalement, serait-il en crise.
Ta dcision, ta volont de pote est trs claire : Je ne me laisse pas faire par lesmots qui me viennent et jajoute une autre phrase de toi, parce que je les crois
lies, Admettons quen posie on bricole. Cest aussi un art potique? Est-ceune mfiance ou une mthode, ce bricolage ? Comment procdes-tu ? Pense, vers
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qui te vient, son, image ? Cest galement un travail de couture, travail de laiguille(relatif aux contes, je pense aux mailles, tissus, ailes des cygnes par exemple) ?
PB : Le bricolage volontaire (couture, reprise, etc.) tient aux deux sens de la phrase que tu
cites : les mots nont pas dicter ce quils transportent, mais je dois mappuyer sur eux (ou
plutt ilspeuvent sappuyer sur eux-mmes) pour que le langage retrouve une souplesse, une
capacit douverture, une venue sans automatisme, un sens du monde en somme. Les mots
qui nous viennent viennent du monde, mais le monde entre aussi en conformit (en soumission
et disposition obir) par les mots qui le traduisent et le fixent. La mthode est sans
mthode ; elle se calcule avant-pendant.
A quoi correspond cette soif dindpendance des mots ? Ton autonomie est-ellesolitaire, indispensablement solitaire ?
PB : Je ne suis pas seul. La solitude est un mythe. Lesseulement est une ralit qui provient
toujours dun enfermement du discours dans sa soif dindpendance. La libert, cest autre
chose : une dpendance transporte ailleurs, la connaissance de la ncessit .
Pourquoi dis-tu : Je sais bien trop ce que je vais dire. Je le sais avant dcrire, etdans ce cas, que faut-il faire, refuser, accepter, ou bricoler, recoudre, dplacer ?
PB : Mais je ne dis pas cela ! Cest Joubert qui lcrit dans son journal, pour se le reprocher!
Je cite le passage. Joubert se reproche en somme dtre un peu tomb dans le Pige dun
Boileau. Si lcriture est intellectuelle avant de sentir ses noncs, il lui faut encore se disposer bien rajuster son mouvement, devenir exacte dans la battue de sa pense, et bon courage !
Que reste-t-il dun premier souffle si on peut oser ce mot, dun premier jet,dune premire ide?
PB : Elle reste, elle ne sest pas arrte si elle a souffl en se calculant et se composant : enformant ses formules et en formulant les raisons pratiques de sa forme.
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Quen est-il du lyrisme, lacceptes-tu, le resserres-tu, comme dirait Anne-MarieAlbiach ?
PB : Comme dit, le lyrisme sec et objectif vient du chant de prose, du chant desserr et
magmatique qui sappelle le langage ordinaire. Le langage ordinaire, qui est le rve dune
posie contemporaine, se rve chaque jour en multipliant ses chants commenants ; dans ce
multiple dlans commence loratio soluta, le discours dli qui est le rve de Novalis. Le chant
resserr dAlbiach forme ses formules dans lespace du sens; il dlie la prose en pome. Le
pome est la dliaison de la prose, mais la dliaison est le fait dun chant penser. Lide
dune dliaison du pome par la prose sobre est encore une ide lyrique.
Que reste-t-il du silence, de la question du silence qui hante aussi la musique quitest trs chre? Ou de celle de lcriture blanche des annes 70, je pense Blanchot mais pas seulement, pas seulement puisque nombre de potes sy sont, jetrouve, chous ?
PB : Le silence est ce qui fait battre le cur du sens, et garantit le repos de la pense entre ses
lments composs (mots, phrases, strophes ou paragraphes, chapitres...). Le langage rduit lesilence adversaire du langage (lindicible, qui repose absolument la pense); il se constitue de
silence antirythmique pour rduire lempire de lindicible.
Un pome a-t-il une fin, volontaire elle aussi ?
PB : La fin extrieure senveloppe dans la forme ouverte: le pome dpendant refait le sens dela dicte du monde. Le pome nest donc jamais absolument volontaire: il dpend de ce quil a
dire, former en langue.
Le pome est-il, lheure actuelle, en difficult? Sa prosodie ? Sa pense ?
PB : Il est en difficult depuis longtemps, au moins depuis Hlderlin (qui dplorait la fin delenseignement du calcul potique), sans doute avant, depuis que le pome tragique a cess de
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chanter en sourdine puissante, en clairon berceur ou bercement rveill. Cest galement cela, la
vieillesse dAlexandre. Rimbaud na pas dit par hasard sa dpendance Racine.
Naturellement, un pome contemporain fait le difficile (et le dur), et des descendants de
Novalis ne manquent pas de lui reprocher sa posture malaise, loin dun public atterr; mais
il faut aussi (et surtout) dsigner les proses faciles et dominantes auxquelles un journalismetient comme une victoire espre dfinitive ? Et pourtant : mme des romanciers grand
public font des calligrammes... Ils veulent la posie sans le pome. Cest un monde en eux
qui le veut. Le vers libre nest aucunement responsable de sa libration, sil est un vers. La
libration conditionnelle dune forme ne signifie pas llargissement de lide qui lui donne son
intensit dans une poque. De la prose est entre dans le pome sans que le pome en prose soit
devenu la loi de la posie. Le mtier de difficult se proportionne aux degrs de facilit et
dsotrisme du monde quotidien.
Enfin, et cest sans rapport avec Contre un Boileau, mais en cho ta jeunesse dans laville o tu es n et o je vis, y-a-t-il toujours pour toi une prose de Strasbourg, sons,accent, langues ?
PB : Oui, en arrire-fond, apodoses alsaciennes comprises...
Merci, Philippe.
Isabelle Baladine Howald, 2015 partir dun entretien oral la librairie Klber Strasbourg en mars 2015