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ENTRETIEN AVEC RUY GUERRA ROBERT BENAYOUN, MICHEL CIMENT, JACQUES DEMEURE, MICHÈLE FIRK ET PAUL-LOUIS THIRARD En Provence du Mozambique, via l’ID.H.E.C., il débarque au Brésil pour touner l’histoire d’une jeune fille qui se crayait enceinte d’un gros poisson et qui se prenait pour la Sainte Vierge. Le scénario nous avait bien amusés mais le projet échoue. Ruy Guerra attend plusieurs années avant d’écrire, avec Miguel Torres, Le Cheval d’Oxumare. Par amour d’un Noir, une Blanche accepte de s’initier aux rites africains du Candomblé. J’étais là-bas et j’ai vu les images : les danses forcenées jusqu’à l’oubli de soi-même, le blanc au noir mêlé dans la poussière, les longs cheveux coupés, le sang des animaux égorgés qui ruisselle sur crâne chauve de la jeune femme, les plumes de volailles qui s’y agglutinent. Le film reste inachevé. La poésie est dans les boîtes à la disposition de qui voudra. Avec le même Miguel Torres, il écrit Os Cafajestes. Le film va jusqu’à Berlin et, sur la plage du Midi-Minuit, le désir sert d’alibi à la constetation sociale. Os Fuzis, c’est un vieil atavisme qu’il a longtemps portés en bandoulière. Voici le récit qu’il en faisair déjà il y a presque dix ans : des montagnards isolés demandent des armesau gouvernement pour lutter contre les loups qui dévorent leurs moutons, c’est- à-dire leur nourriture. On ne leur envoie pas des fusils, mais des soldats. Ça devait se passer en Europe – Espagne ou Grèce – il le tourne au Brésil. Pour adapter l’histoire au pays, il fait encore appel à Miguel Torres. La logique géografique les pousse à remplacer les loups par la faim mais, dans les deux versions, les soldats s’en vont sans avoir tué ni les loups ni la faim. Ruy Guerra a peur des bottes, des uniformes et des fusils parce qu’il les aime, comme beaucoup qui ne le disent pas. Un autre cinéaste, Robert Enrico, les vomit parce qu’il les adore, et peint la mort violente, vue par Ámbrose Bierce, dans Au coeur de la vie. Là ausse, la poésie reste en boîtes, prisonnière et inoffensive. On se méfie des armescomme de soi-même, on rejette la violance mais on sait que la révolte est nécessaire. Dans Os Fuzis, elle serait vaine. Alors on ne tue pas les soltats, on vise à la tête, on tue le saint, on le dépèce et on le mange. Etrange communion, révolution anthropophage. Abbatez les idoles, dévorez les saints et, s’il pleut enfin, ce sera des larmes de sang, pas des médailles. Pour ces raisons, je suis heureux d’avoir collaboré à ce scénario avec Philippe Dumarçay et Démosthène Théocart. Pierre PELEGRI — Parlons d’abord des Os Fuzis. Il m’a semblé que ce film comporte une exposition, une première partie assez lente, comme si elle avait été pensée après l’élaboration des scènes essentielles. J’ai retrouvé là une impression voisine de celle que m’avait HOME COM O RUY FILMOGRAFIA TEATRO POESIA PROSA LETRAS DE MÚSICA GLOBETROTTER OFICINAS CONTATO Entretien avec ruy guerra http://www.ruyguerra.com.br/entrevista.php?id=107&idioma=1 1 of 11 22/09/15, 14:24

Entretien Ruy Guerra Positif

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En Provence du Mozambique, via l’ID.H.E.C., il débarque au Brésil pour touner l’histoire d’une jeune fille qui se crayait enceinte d’un gros poisson et qui se prenait pour la Sainte Vierge. Le scénario nous avait bien amusés mais le projet échoue.Ruy Guerra attend plusieurs années avant d’écrire, avec Miguel Torres, Le Cheval d’Oxumare. Par amour d’un Noir, une Blanche accepte de s’initier aux rites africains du Candomblé. J’étais là-bas et j’ai vu les images : les danses forcenées jusqu’à l’oubli de soi-même, le blanc au noir mêlé dans la poussière, les longs cheveux coupés, le sang des animaux égorgés qui ruisselle sur crâne chauve de la jeune femme, les plumes de volailles qui s’y agglutinent.Le film reste inachevé. La poésie est dans les boîtes à la disposition de qui voudra.Avec le même Miguel Torres, il écrit Os Cafajestes. Le film va jusqu’à Berlin et, sur la plage du Midi-Minuit, le désir sert d’alibi à la constetation sociale.Os Fuzis, c’est un vieil atavisme qu’il a longtemps portés en bandoulière. Voici le récit qu’il en faisair déjà il y a presque dix ans : des montagnards isolés demandent des armesau gouvernement pour lutter contre les loups qui dévorent leurs moutons, c’est- à-dire leur nourriture. On ne leur envoie pas des fusils, mais des soldats.Ça devait se passer en Europe – Espagne ou Grèce – il le tourne au Brésil. Pour adapter l’histoire au pays, il fait encore appel à Miguel Torres. La logique géografique les pousse à remplacer les loups par la faim mais, dans les deux versions, les soldats s’en vont sans avoir tué ni les loups ni la faim.Ruy Guerra a peur des bottes, des uniformes et des fusils parce qu’il les aime, comme beaucoup qui ne le disent pas. Un autre cinéaste, Robert Enrico, les vomit parce qu’il les adore, et peint la mort violente, vue par Ámbrose Bierce, dans Au coeur de la vie. Là ausse, la poésie reste en boîtes, prisonnière et inoffensive.On se méfie des armescomme de soi-même, on rejette la violance mais on sait que la révolte est nécessaire. Dans Os Fuzis, elle serait vaine. Alors on ne tue pas les soltats, on vise à la tête, on tue le saint, on le dépèce et on le mange. Etrange communion, révolution anthropophage. Abbatez les idoles, dévorez les saints et, s’il pleut enfin, ce sera des larmes de sang, pas des médailles.Pour ces raisons, je suis heureux d’avoir collaboré à ce scénario avec Philippe Dumarçay et Démosthène Théocart.Pierre PELEGRI

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ENTRETIEN AVEC RUY GUERRAROBERT BENAYOUN, MICHEL CIMENT, JACQUES DEMEURE, MICHÈLE FIRK ET PAUL-LOUIS

THIRARD

En Provence du Mozambique, via l’ID.H.E.C., il débarque au Brésil pour touner l’histoired’une jeune fille qui se crayait enceinte d’un gros poisson et qui se prenait pour la SainteVierge. Le scénario nous avait bien amusés mais le projet échoue.

Ruy Guerra attend plusieurs années avant d’écrire, avec Miguel Torres, Le Chevald’Oxumare. Par amour d’un Noir, une Blanche accepte de s’initier aux rites africains duCandomblé. J’étais là-bas et j’ai vu les images : les danses forcenées jusqu’à l’oubli desoi-même, le blanc au noir mêlé dans la poussière, les longs cheveux coupés, le sangdes animaux égorgés qui ruisselle sur crâne chauve de la jeune femme, les plumes devolailles qui s’y agglutinent.

Le film reste inachevé. La poésie est dans les boîtes à la disposition de qui voudra.

Avec le même Miguel Torres, il écrit Os Cafajestes. Le film va jusqu’à Berlin et, sur laplage du Midi-Minuit, le désir sert d’alibi à la constetation sociale.

Os Fuzis, c’est un vieil atavisme qu’il a longtemps portés en bandoulière. Voici le récitqu’il en faisair déjà il y a presque dix ans : des montagnards isolés demandent desarmesau gouvernement pour lutter contre les loups qui dévorent leurs moutons, c’est-à-dire leur nourriture. On ne leur envoie pas des fusils, mais des soldats.

Ça devait se passer en Europe – Espagne ou Grèce – il le tourne au Brésil. Pouradapter l’histoire au pays, il fait encore appel à Miguel Torres. La logique géografique lespousse à remplacer les loups par la faim mais, dans les deux versions, les soldats s’envont sans avoir tué ni les loups ni la faim.

Ruy Guerra a peur des bottes, des uniformes et des fusils parce qu’il les aime, commebeaucoup qui ne le disent pas. Un autre cinéaste, Robert Enrico, les vomit parce qu’il lesadore, et peint la mort violente, vue par Ámbrose Bierce, dans Au coeur de la vie. Làausse, la poésie reste en boîtes, prisonnière et inoffensive.

On se méfie des armescomme de soi-même, on rejette la violance mais on sait que larévolte est nécessaire. Dans Os Fuzis, elle serait vaine. Alors on ne tue pas les soltats,on vise à la tête, on tue le saint, on le dépèce et on le mange. Etrange communion,révolution anthropophage. Abbatez les idoles, dévorez les saints et, s’il pleut enfin, cesera des larmes de sang, pas des médailles.

Pour ces raisons, je suis heureux d’avoir collaboré à ce scénario avec PhilippeDumarçay et Démosthène Théocart.

Pierre PELEGRI

— Parlons d’abord des Os Fuzis. Il m’a semblé que ce film comporte une exposition,une première partie assez lente, comme si elle avait été pensée après l’élaboration desscènes essentielles. J’ai retrouvé là une impression voisine de celle que m’avait

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faire. Est-ce que je me trompe ?

— Il y a une différence . Os Cafajestes était un film destiné à contrecarrer le cinémacommercial traditionnel, mais il était essentiel d’en faire un film qui remporte un succèscommercial. Il est donc réellement construit pour dex ou trois scènes, le reste n’estqu’un prétexte. Il fallait jouer le peu : érotisme et violence. La construction a été faite enfonction de ça.

Si Os Fuzis te semble avoir un peu le même aspect, c’est pour d’autres raisons. Làl’histoire existait vraiment, une histoire dramatique avec des scènes vraiment justifiées.Mais j’au dû d’abord la replacer dans un contexte brésilien, et donc y apporter un tas demodifications. Et puis Os Fuzis devait être en fait deux histoires parallèles : l’histoiresdes soldats, qui est restée, et l’histoire d’un paysan qui allait jusqu’à tuer le boeuf saint.Le personnage qui, au début, creuse la terre pour en extraire des racines, le type quifabrique une petite croix devaient être le même que celui qui apporte son gosse mort, etfinalement c’est lui qui tuait le boeuf. Mais l’acteur engagé n’a pas pu rester sur le lieu detournage et comme j’avais déjà tourné une scéne avec lui, j’ai été obligé de sacrifiercette deuxième histoire. C’est , je pense, ce qui t’a donné cette impression.

— Je crois d’ailleurs que cette différence entre les scènes très lentes et les scènes trèsexplosives, très violentes, n’a pas été tellement méditée, mais fait partie dutempérament brésilien, où les moments d’explosion surviennent après une concentrationdes forces.

— Oui, c’est certain. C’est vraiment dans le tempérament brésilien, surtout du Nord, oùles gars sont d’une passivité totale, ou bien alors explosent. Surtout des explosions degroupe, de masse, mais parfois à l’échelon individuel. Cette lenteur et ces paroxysmessont vraiment du pays.

— Dans cette impression lenteur de l’explosition, il y a aussi le fait que je n’ai pascompris la raison de certaines insistances. Par exemple , la procession, avec la satut dusaint : on promène cette statue vraiment très longtemps à mon avis. Et il y a à cemoment-là une prière ou une litanie qui n’est pas sous-titrée.

— Je ne sais pas dans quelle mesure des sous-titres avec le texte de la chansonpourraient éclairer le sujet. En fait, le même thème est traité ici sous trois aspects. Il y aune precession vraiment « religieuse », autour de l’église por demander la pluie. Puis il ya l’aspect régional, à un niveau d’absurdité totale et de fétichisme, avec le boeuf saintqui, lui aussi, doit apporter la pluie. Enfin l’aspect populaire donné par un joueurdeguitare aveugle (ce qui est typique du Nord-Est, où tous des joueurs sont aveugles) quichante exactement le même thé,e religieux sous une forme populaire. Ce sont là lestrois aspects que prena la réligion dns le Nord-Est Brésilien, pour le reste, la notion dedurée, c’est des subjectif.

— Est-ce que tu pourrais nous préciser quelles on été tes difficultés de production,quelles sont les choses que tu n’as pas pu faire comme tu le voulais ? Par exemple, tuviens de parler de l’acteur qui devait jouer un rolê important de paysan.

— Les prob ;èmes sont les mêmes dans n’importe quel pays, pour n’importe quel film.On envisage un film avec un acteur donné, mais il est trop cher ou n’est pas libre. Je nepense pas que cela joue tellement. Mais l’acteur qui devait jouer le rôle paysan dansl’histoire parallèle à celle des soldats, ça m’est arrivé dans les quinze derniers jours dutournage. J’avais tourné tout le débutdu film, et mon scénario, mes dialogues étaientdéjà très structurés. Là, c’était vraiment un gros pépin, un personnage central qui n’étaitplus disponible. Cet acteur, Joel Barcelos, a demandé un rpix impossible pour rester

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n’avais plus qu’une possibilité : réduire le film à l’histoire des soldats en enlevant tout lecôté boeuf saint – et ça, c’était vraiment énorme par rapport à mon projet initial. Puis j’airéfléchi et je me suis dit : si je prends un autre acteur, je nepourrai quand même pasrefaire la scène avec le gosse, alors je vais traiter ça comme un docimentaire trèssimple, avec différents types pris dans la région même.

Et je crois que le film a gagné dans un sens, et a perdu dans un autre. A mon avis, il agagné du fait que le personnage, tel qu’il était conçu pour traverser le film, le limitait unpeu en ce sens qu’il y avait vraiment une intention trop voulue d’établir un parallèle. D’unautre côté, je crois que le film a perdu au point de vue compréhension : il n’y avait pasdéjà une vraie ligne dramatique dans l’histoiredu boeuf saint, donc cette histoire estdevenue encore plus floue.

— Oui, la révolte finale des gens qui d’un seul coup massacrent le boeuf saint est unpeu surprennante.

— Oui, la fin est un peu inattendue. Moi, personnellement, j’avoue qu’aujourd’hui jepréfère la chose vue comme cela, de loin. Je crois que tels imprévus parfois portentpréjudiceet parfois favorisent. J’aime mieux le film comme ça, mais je comprends queles gens soient déroutés par la partie initiale. D’ailleurs, j’avais fait un premier montageoù j’essayais de faire démarrer l’action beaucoup plus tôt et de mettre certains élémentsde cette permièrepartie plus tard. Mais ça n’allait pas non plus. Finalement, il n’y a riende changé du point de vue du déroulement de l’action. Mais il aurait dû y avoir en plusune scène que j’avais déjà tournée avec Joel Barcelos, dans l’église. C’était un scène oùil regardait des enluminurs, des ex-voto apposés en reconnaissance des miraclesaccomplis. Je n’ai pas pu la monter.

— Mais Os Fuzis, ou plutôt Les Fusils, c’est un scènario auquel tu travaillais déjà en1953 ou 54.

— Oui, mais c´était uniquement l´histoire des soldats. Il n’y avait pas encore d´histoireparallèle, le contexte était entièrent. La situation était bien la même, des soldats face àun danger, mais ce danger n’était pas le même : c’était les loups. En principe, celadevait se passer en Grèce, dans petit village où il n’y a plus d’armes, faute de pouvoir enacheter à nouveau, parce qu’à la suite d’une révolution, quinze années plus tôt, elles onété consfisquées aux paysans. Les armes ont pris un sens mytique, car tous les ans,avec l’hiver, les loups descendent des montagnes pour revager les troupeaux demoutons, et il faut se défendre avec des pics, des haches. Par l’intermédiaire d’unprêtre, les paysans font une demande d’armes , mais elles ne viennent pas. Et l’hiversuivant, quand ils ne les attendent plus, c’est un petit détachement de soldats qui arrive.Les loups jouaient un rôle très abstrait ; on ne les voyait jamais, mais on les entendaittout au long du film, et ils conditionnaient le comportement des soldats. Ces gens de laville leur attribuaient une dimension mytique, mais eux-mêmes, avec leurs armes,avaient introduit un mythe parmi soldats finissaient par partir. Quand ils étaient partis, lesloups decendaient pour attaquer les troupeaux de moutons. Et les paysans seretrouvaient dans une situation pire qu’au départ. Voilá l’histoire originale.

— Donc, quand tu l’as conçue, elle n’avait aucun rapport avec le Brésil.

— Aucun.

— Et quand tu en as fait la transposition, tu as cherché à remplacer les éléments grecspar des éléments...

— Non. D’ailleurs, je n’avais jamais pensé touner Les Fusils au Brésil, je trouvais quec’était une histoire étrangère au Brésil. Puis, un jour, je ne sais pas commentr, j’en suisvenu au problème de l’exode provoqué par la faim dans le Nord-Est. Et parce qu’il avait

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des loups qui avaient d’excellentes raisons de venir ravager les provisions. Evidemment,cela m’obligeait à changer beaucoup de choses.

— Tu avais commencé à nous parler de tes difficultés de tournage.

— Elles on été énormes, parce que , chaque fois qu’on veut faire un film sur lasécheresse, il pleut...

— C’est pet-être toi le vrai boeuf saint...

— Déjà, quand Nelson Pereira dos Santos a voulu touner Vidas Secas, en 1962, il y aeu un vrai déluge, quatre on cinq jours avant qu’il ne commence son film. Dès qu’unecaméra arrive dans cette région, il commence à pleuvoir, on ne sait pas porquoi. Lamême année, quand j’y suis venu en repérage, depuis cind ans il n’avait pas plu. Jerentre à Rio pour faire les derniers préparatifs, et voilà qu’il commence à pleuvoir àMilagres, le village que j’avais choisi. Alors je monte plus au nord en jeep, avec ledirecteur de production et Miguel Torres – qui devait être mon assistant. Là où nouspassions, il commeçait à pleuvoir. On arrivait, et chaque fois on demandait aux gens : «Depuis combien de temps il ne pleut pas ici? – Depuis six ans » Et il se mettait àpleuvoir. Finalement, cela a retardé d’une année le début du tournage.

L’année suivante on s’est dit : « Comme il a plu l’année dernière, il ne va pas pleuvoircette année, c’est certain. » Et alors j’ai preparé mon film sur place, dans le Nord-Est,pendant en principe trois mois. J’ai tourné d’abord les interieurs, avec le plus possibled’extérieurs aperçus à travers les fenêtres et les portes. Ç’aurait été vraiment inutiled’aller si loin pour montrer des pans de murs, même si ces murs étaient très beaux.

Mais il y avait une chose que je ne savais pas, qu’on ne sous avait pas dite. C´estsombrés : on avait tout le temps l’impression que n’avait preuvoir. Faire un non sut lasécheresse avec de gros nuages noirs, ce n’était pas donner l’image de la sécheresse.Donc très souvent, alors que je savais qu’il n’allait pas pleuvoir, j’avais des nuages, et ilfallait attendre qu’ils s’en aillent. Il y avait peu d’arbres sur la place du village, mais ilportaient des feuilles que j’étais obligé d’arracher. Je commençais à touner une scène,eh bien, trois heures après, il y avait de nouveau des feuilles trop apparents qu’il fallaitenlever. Tout ça nous a donné un rythme de tournage assez lent, d’autant que por detelles conditions mon équipe n’était pas assez nombreuse.

— Il y a poutant les produits Jonhson pour la défoliation.

— A côté de ça, j’ai eu des problèmes de figuration. On était dans une région où il y avait très peu de gens. Et pour les scènes où il fallait donner une impression de masse, ilfallait mobiliser jusqu’à quatre ans cents figurants. On arrivait à en recruter deux centssur place, les gens du village et des alentours, mais les autres deux cents, il fallait allerles chercher plus loin, dans des fazendas. Quelquefois, quand ils arrivaient, c’était déjàtrop tard, parce qu’à parti de trois heures de l’après-midi l’ombre de la montagne voisineenvahissait tout le village. A partir de trois heures, trois heures et demie au plus tard, onne pouvait plus touner. Et comme le matin, trés souvent, le ciel commençait à s’éclaircirseulement vers neuf heures, les journées étaient très, très courtes. En plus, notregroupe électrogène est tombé en panne, il a fallu aller en chercher un autre à quatrecents kilomètres de là ; le plan de travail s’en est trouvé bouleversé.

Enfin, au bout de deux mois, on a commencé à tous tomber malades. Leonides Bayerqui joue le rôle du sergent, a attrapé des amibes, il a mis une année à s’en remettre. Aubout d’un certain temps, Ricardo Aronovitch, le chef-opérateur, a eu les nerfscomplètement détraqués. Moi, j’ai fait une espèce d’allergir, ça me démangeait departout, j’étais tout rouge ; pendant trois jours, je n’ai pas pu tourner. Il y avait toujoursquelqu’un de malade. Les deux premières semaines de tournage, on a abattu le travail

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— Le film a bien été tourné au même moment que Le Dieu Noir et le Diable Blond en1963 ?

— Oui, pratiquement en même temps. Je suis parti en tournage une semaine avantGlauber Rocha, je crois. D’ailleurs, c’est Le Dieu Noir et Le Diable Bond qui a retardé lafinition de mon film. Je n’ai pu rentrer à Rio que trois semaines après Glauber. Il occupaitdéjà la salle de montage avec la seule bonne Maviola qu’on ne payait pas. J’ai étéobligé d’attendre qu’il finisse de monter son film, puis d’attendre qu’il finisse sondoublage, etc. Comme il était toujours en avance sur moi, j’étais toujours en traind’attendre. J’ai mis d’octobre 1963 à juin ou juillet 1964, je crois, pour faire mon film.

— Vidas Secas, aussi, a été tourné à peu près au même moment?

— Vidas Secas avait été tourné à la fin de l’année précedente, quand moi je fuyaislapluie. C’est Miguel Torres qui aurait dû jouer la rôle d’Atila dans Vidas Secas, mais il avoulu participer à Os Fuzis : il devait être mon assistant.

— Ton film lui est dédié. Que lui est-il arrivé?

— On a eu un accident de jeep, lui, le directeur de production et moi, Je conduisais on adérapé, il a pris un coup avec le siège, il a eu le bassin fracturé, il est mort aussitôt.C’était le 31 décembre 1962. Ça a été une fin d’année terrible. En cherchant un lieu detournage plus au nord que Milagres, nous étions justement passés à Palmeira dosIndios oùNelson Pereira dos Santos était en train de tourner Vidas Secas avec LuizBarreto. Nelson est revenu de Palmeira dos Indios pour l’enterrement de Miguel.

— Tu nous disais tout à l’heure que les figurants d’Os Fuzis étaient des villageois.

— Oui, tous.

— Et pendant des mois, ils sont venus tous les jours?

— Oui, c’est une région où les gens n’ont rien à faire. Milagres c’est très spécial,Milagres, ça veut dire miracle. C’est la deuxième ville du Sertão où on vient tous les ansen pèlerinage. C’est une des raisons pour lesquelles je l’ai choisie. Il y a là une grotte oùse produisent soi-disant des apparitions, et il s’est établi une sorte de commerce. Il y aune petite bourgeoisie locale qui vit en louant ses maisons, vides le reste de l’année,aux pèlerins. Ces gens-là n’ont pas grand chose à faire. Les autres travaillent dans leschamps. Mias, comme l’année de mon tournage marquait le début d’une nouvellesécheresse, j’ai vu arriver des types qui se repliaient sur le sud du Sertão. Ils sontextraordinaires, ces types-là : vous leur donnez une position, ils la gardent cinq heures.Pas encore, qu’ils sont bêtes, ils comprennent très bien ce que c’est que la caméra.Mais pendant que l’équipe se détendait en attendant que le soleil chasse les nuages, ilsrestaient sur place à ne rien faire.

Ils ont vraiment une résistance incroyable. Un jour, pendant le tournage de la scène dudémontage des fusils, je repère un type qui ne tenait pas sa place, toujours en train dese balader, de se déplacer.Et, tout à coup, il tombe, il tombe par terre, parce qu’il n’avaitpas mangé depuis cinq ou six jours...Pour payer ces gens, nous recevions l’argent d’unebanque de Rio qui l’envoyait à Salvador, qui l’ envoyait à Feira de Santana, à deux centskilomètres de Milagres ; ça prenait du temps pour arriver.On avait imaginé un systèmede bons avec lesquels on réglait les types chaque semaine, amis ils ne pouvaient pastenir jusqu’à ce qu’on leur rembourse leurs petits papiers, ils ne pouvaient pas manger. Ily a eu un type qui a mis au point un sustéme de spéculation, on achetant tout de suiteles bons à moitié prix...

— Est-ce que les villageois connaissaient le scènario?

— Non, on ne leur a rien raconté. Je me demandais même comment ils allaient réagir à

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étonnement, ils ont trouvé ça tout fait normal. Il y en a même qui se sont pris au jeu, et,tout en sachant que c’était un film, ont commencé à croire au bouef. Ils le rspectaientbeaucoup.

— Et comment ontíls réagi quand on l’a tué?

— Très simplesment. Une fois le boeuf tué, c’était de la viande. On leur a dit : « Jettezvous là-dessus! » Ils se sont jetés dessus avec une telle violence qu’il a fallu les retenirun peu. Il a été découpé. Je ne sais pas, moi, en quinze ou vingt minutes, tout entier.

— Justement, il y a certaines scènes qui dommemt l’impression du reportage. Parexemple quand le vieux au nez fendu parle du « Conselheiro », du « Conseiller », quandles paysans racontent spontanément ce qui s’est passé, quand la vieille femme parle deVargas.

— La vieille femme raconten vraiment. J’avais parlé avec elle, je lui avais posé desquestions. Et j’ai réussi à touner le 24 août, le jour anniversaire de la mort du présidentGetulio « Aujord’hui, on est le combien? », on n’a pas eu besoin de lui donner de texte,c’est elle qui l’a fait. Mias pour les ajutres, aussi sien le vieux au nez cassé ou le vieillardqui parle après la mort de Gaucho, j’ai été obligé de faire des textes. Bien que les typesde cette région aient entendu parler de Canudos, ils ne l’ont pas vécu et n’ont rien à diredessus. On leur a soufflé les textes qu’ils répètent dimplement.

— Mais á quoise réfèrent-ils exactement ?

— A Canudos en 1896 et 1897, il y a eu quatre exoéditions. Trois ont échoué. Latroisième avait amené dix-huit cents hommes sous le commandement de Moreira César,qui était le grand général du Sud, le grand bonhomme des « Gauchos », le plus hautmilitaire de la République. Il a eu cette phrase célèbre : « On va déjeuner à Canudos. »Il y est allé et ses hommes on été tués jusqu’au dernier. Alors il y a eu une quatrièmeexpédition avec, je crois, dix-huit cents ou deux mille hommes, commandés parBettancourt. Les gueux qui étaient là ne pouvaient plus soutenir un siège, ils savaientperdus et ont parlementé : « On se rend à condition que vous laissiez partir les femmeset les enfants. » Bettancourt a dit : « D’accord. » Ils ont fait sortir les femmes et lesenfants, puis ont dit : « Nous, maintenant, les hommes, on reste ici. » Ils ont été tuésjusqu’au dernier.

— C’était une sorte de ligue, d’organisation paysanne ?

— Non, non, pas du tout. Ce n’était pas une ligue. Les derniers à mourir ont vraiment étéun vieillard, deux hommes et un gosse de seize ans. Ces types n’ont pas abandonné, ilsont été extermonés jusqu’au dernier. Ils avaient suivi Conselheiro, un « beato » quiannonçait la fin de ces temps amers et promettait le paradis. Avec tous ces gensderrière lui, il a commencé à faire la loi.

— Mais alors qu’il a eu une influence telle qu’il a menancé la République, dans OsFuzis, les prophétes paraissent être les apôtres de la résignation.

— Oui, mais c’est une tout autre époque, trente ans après. Et le « beato » d’Os Fuzis estquand même le seul des gens du pays à être violent. On voulait que je lui fasse dire untexte très joli avec une voix très belle. J’ai dit non. On essaie toujours de limiter ça à unpoint de vue très mystique, mais ces type-là, les « beatos », sont les seuls quirépresentent vraiment la violance dans le Nord-Est. Avec Cangaceiros.

— El Gaucho.

— Gaucho, c’est entièrement différent. C’est ancien militaire, et surtout ce n’est pasquelqu’un de la région. Il y a là une chose qui risque d’échapper au public étranger, etmêmeau public brésilien qui ne connaît pas le Nord-Est, c’est qu’il existe deux modes de

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particulier parce que ce sont des types du littoral ; il y avait déjà cela dans le premiersscènario avec les loups ; mais sous un autre aspect. Ce sont des types mis en contactavec une réalité nouvelle, obligés de reformuler les choses en fonction d’une culturequ’ils ignoraient, même si cela se passe seulement à l’échelon réduit de leurs problèmespersonnels. C’est ce nouveau contact qui change leur comportement. Gaucho aussi estun type d’un autre monde, un type du littoral. C’est un aristocrate, ce chauffeur decamion.

— Il y a tout de même des notions élémentaires de justice sociale. C’est lui qui serévolte à la fin.

— Oui et non. Il n’aurait pas fait cela s’il n’avait pas commencé lui aussi à subir, à êtreatteint. Son camion ne marche plus, il n’a plus d’argent, plus de crédit. C’est comme celaqu’il commence à se rapprocher de la masse, même s’il est moins atteint qu’elle. Ilcherche à résoudre son problème personnel, mais il pleut établir un lieu avec les autres.Avant, il s’en foutait un peu, son problème, c’était ses relations avec Mario. Avant, c’étaitle démerdard, le type qui escroquait les chômeurs. Après, il commence lui aussi à êtreatteint.

— Ces précisions que tu viens de donner, cette opposition entre les soldats, gens d’unPys riche, et les habitants du pays pauvre et très différent où ils sont arrivés, c’est celledes Milanais ou des Piémontais, et des Siciliens. Cela fait à Salvatore Giuliano.

— Les critiques ont beaucoup parlé de Salvatore Giuliano à propos de mon film, en effet.

— La, il y a une chose (----------------------------------------------------------) le film vraimentaujourd’hui, et j’ai mis au générique la date du tournage : « Nord-Est 1963. » Je regrettede ne pas avoir mis : « Nord-Est aujord’hui », car c’est aujourd’hui que cela se passe, etcela risque de se passer ainsi longtemps encore, je le crains.

— La région où tu as touné estélle celle des lingues paysannes, des ligues de Juliao ?

— Non, les ligues étaient beaucoup plus au nord. Il n’y en a pas eu dans cette région.Les ligues, c’était en 1960. Moi, j’ai tourné plus tard, j’ai commencé mon film sous legouvernement. Goulart, et je l’ai terminé après le coup d’Etat, la « Révolution ». J’étaisau montage quand il y a eu le coup d’Etat, j’ai caché les bobines parce que je ne savaispas ce qui allait arriver, si le film passerait. En fait, il a été très mal accueilli, mais pas parles militaires, pas par la droite. Par les intellectuels de gauche, et ça dès le départ.J’avais fait une lecture publique du scènario avec les gens du « Théâtre d’Art » deSão-Paulo. Parce que, dans les débuts du Cinema Novo, on se réunissait, on discutait,on allait voir les films en cours de montage ; c’était très ouvert. On m’avait reprochébeaucoup de choses, et surtout, parce que l’armée brésilienne, jusqu’alors, avait été, partradition, légaliste, d’attaquer un des bastions de la légalité ; ´resque d’agir dans un senssontre-révolutionnaire. J’avais répondu : « L’armée, c’est toujours pareil. L’armée dupeuple, bien sûr, ça existe.Mais dans le contexte actuel, nous avons une arméepolicière. »

— Mais alors, pourquoi te fait-on dire dans Cinéma 67 : « Mon film n’a aucune intentionpolitique, etc. » ? (n°113, p. 44).

— Quand j’ai lu ça, j’ai trouvé ça malheureux, parce que ça a été séparé du contexte. Orpendant que je montais mon film, pendant le coup d’Etat, il y avait dans les rues de Rioune partie de l’armée qu’on saluait, qui passait pour l’armée de peuple : la troisièmearmée reniée par Castelo Branco, la deuxième armée restée indépendante. Les soldats,eux, (----------------------------------------------------------) « révolutionnaires » . Et mon film fini,les intellectuels de gauche n’ont pas voulu admettre qu’il correspondait à cette idée del’armée fidèle d’abord à elle-même. Parce qu’aujourd’hui encore , au sein de l’armée, il y

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l’ont éreinté complètement.

— A ces propos, justement, comment te situes-tu à l’interieur du Cinema Novo ? QuandRobert Benayoun était à Rio, on commençait toujours par dire quand on lui parlait de toi(qu’on en dise du bien ou du mal) : « Ah ! mais Ruy Guerra n’est pas Brésilien ! »Le faitque tu viennes du Mozambique a-t-il joué un rôle dans jugement que tu as porté sur leBrésil et, au sein du Cinema Novo, n’as-tu quand même pas été un peu à part ? Sais-tu,par exemple, qu’à l’époque du Festival du Cinema Novo á Gênes, Capdenac a écritdans Les Lettres Française quelque chose comme : «Un noir du Mozambique, RuyGuerra » ?

— Ce n’est pas par hasard que j’ai atteri au Brésil. Le hasard, ç’aurait été que j’atterisseen Chine. Mais on ne peut pas faire de films au Mozambique où il n’y a pas de cinéma.Et je ne peux pas en faire non plus au Portugal, parce que lá-bas je suis condamné à laprision et qu’il n’y a pas non plus de cinéma...

— Il y a se Souza Oliveira Ramos...

— Il y a Paulo Rocha qui est quelqu’un de très bien, il y a Fernando Lopes qui a fait unfilm très intéressant, Belarmino, mais à mon avis, il n’y a pas les conditions, pour fairevraiment du cinéma. Et puis le Portugal, pour moi, c’est un pays très différent duMozambique. Le Mozambique est un pays tropical, de langue portugaise, une colonie. Ila le même climat, les mêmes fruits, le même mélange de blancs et de noirs que leBrésil. Mais le Brésil, ancienne colonnie, a tout cela à une échelle moderne, actuelle,nationale. Tandis qu’au Mozambique, quand je suis allé en prision à dix-huit ans pouraction séparatiste, il semblait n’y avoir aucune possibilité d’avenir (aujourd’hui, c’estdifférent). Alors, au Brésil, je me suis vraiment sentil comme chez moi. De plus, quand,j’étais jeune, au Mozambique, la littérature qu’on lisait, c’ était la littérature brésilienne, etnon la littérature portugaisequi présente une réalité trop différante. Et la musique. Unjour, au Brésil, un type a commencéà jouer à la guitare de vieilles sambas. Je lesconnaissais toutes, depuis l’âge de huit ans.

Et pourtant...Bien que le Brésil soit un pays d’immigration, donc très ouvert bien que lesuccès populaire et de critique de Os Cafajestes ait apporté la possibilité concrète defaire un cinéma différent, et parce que l’Armée, l’Eglise, Lacerda sont intervenus pourretirer ce film « scandaleux » de l’affiche, je me suis retrouvé un peu seul. Seul à ne pasavoir accès aux conférences organisées dans l’enceinte de l’Université Catholique deDroit, par exemple. Nopus formions quand même un groupe très uni, mais aprés il y eudes probèmes au sein du groupe. Pas parce que j’[etais Mozambiquais – personne n’estraciste. Mias enfin, qaundon se met à ne pas aimer un type, s’il est noir, on dir : « Salenègre ! »

— Alors, tu es bien un noir du Mozambique. Mais que veut dire exactement OsCafasjestes ?

— C’est difficile à traduire. Il existait à Rio un groupe formé par des aviateurs, unmillionnaire, des gens très aisés qui n’avaient pas vraiment accès à l’aristocratie.C’étaient de beaux gars qui réussissaient à coucher avec les femmes de la hautesociété, mais n’étaient pas admis entièrement dans cette haute société contre laquelleils réagissaient par un comportement d’agressivité. Le comportement « cafajeste » c’estle comportement de quelqu’un qui se conduit comme un voyou, pas comme un voleur,qui n’a pas de orale, est un peu goujat, un mufle. Et avec un côté très anarchiste aussi.Traiter quelqu’un de « cafajeste », c’est une insulte.

— Et à l’époque d’Os Cafajestes, le Cinema Novo c’était vraiment un groupe ?

— Oui, un groupe qui s’est constitué vers 1961-62, et qui existe toujours, même si je

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autour de Roberto Pines. Puis sont venus bous rejoindre très vite Paolo-Cesar Saraceni,Joaquim Pedro, Leon Hirschman, Carlos Diegues. Puis d’autres encore. C’était nous quiavions fait des longs-métrages qui étions le plus en évidence et formions le noyau.C’était vraiment un groupe : Nelson a monté Barravento de Glauber, j’ai monté Escolade Samba, le sketch de Diegues moi avons été en froid, pendant presque deux ans

— Dans son livre Revisão critica do cinema Brasileiro, Glauber dit à peu près que danston premier film tu n’as pas très bien saisi la reálité sociale du Brésil.Et dans ton secondun peu mieux.

— Dans ce genre de groupes, il ya deux comportements possibles : ou touner lesdifficultés par un jeu politique, ou devenir agressif. Moi j’ai pris le parti de l’agressivité partempérament. Le conflit le plus grave a eu pour les conditions économique du ciné,abrésilien. Une loi de l’Etat de Guanabara (l’Etat de Rio) prévoyait pour les taxes sur lesspectacles qu’une moitié allait et l’autre au cinéma. Mais sans préciser commentni àquel secteur du cinéma : studios, production, etc. Le gouverneur Lacerda petaitvraimentcontre le Cinema Novo, mais ne pouvait guère empêcher une partie de l’argentprélevé grâce à cette loi d’aller au Cinema Novo. Nous réclamions que l’on donne defaçon automatique, sans discrimination, à chaque film 15% ou même 20% de la recettequ’il faisait surr le marché de Rio. Ça nous était égal que l’on aide le film le plusmauvais, ou le plus réactionnaire. Nous savions que sur notre lancée. Nous pourrionsl’emporter sur les autres productions. Mais Lacerda a voulu faire quelque chosed’entièrement différent, distribuer des primes variables, et a gi de façon très intelligente.Sans se référer à des critères précis et avoués, il a attrbué d’énormes primes aux filmsdu Cinema Novo : Vidas Secas, Garincha, etc.

Tout le monde ou presque a reçu de l’argent . J’ai pris ussitôt positin contre ce syséme,qui était le système du cinéma espagnol, du film d’intérêt national. J’aurais voulu quenouslancions tous une campagne de presse contre cette façon de décerner des prixsans critères, cette espèce de subornation, d’achat. Les autres n’ont pas été d’accord.J’ai fait un peu cavalier seul, j’ai donné des interviews contre ce systéme de primes.Aujourd’hui, les prix sont distribués absolument comme bon semble à ceux qui lesdécernent sans aucun critière. Et le Cinema Novo n’en est pas plus avancé, sauf pourles quelques films qui ont pu sur le moment, et c’était très bien, s’en sortit ainsifinancièrement. Mais moi je me suis retrouvé è l’écart : Ruy Guerra était trés agressif ertrès radical.

— Je voudrais que tu nous expliques pourquoi tu disais tout á l’heure que Os Cafajestesavait joué un rôle important lors du démarrage du Cinema Novo.

— C’est le premier film Cinema Novo, je ne dis pas du point d vue esprit ou intention,mais du point de vue économique. C’est le premier film qui a fait sauter le barrage : auquatrième jour d’exploitation, il était déjà em train de battre tous les records de recettes.Avant le succès d’Os Cafajestes, au Brésil on ne pouvait même pas faire un film policier.Tout était comédies et films de cha-cha-cha. Lima Barreto avait fait O Cangaceiro dansle cadre de la campagnie Vera Cruz, mais n’a pas pu faire d’autres films sur le «cangaço » avant le succès d’Os Cafajestes. Même un bon policier comme Mulheres eMilhões, de Jorge Ileli, n’avait pas eu de succés.

— Os Cafajestes a été fait avant ou après O Pagador de Promesa (La Parole Donnée)d’Anselmo Pasquale Duarte ?

— Les deux films ont été présentés pour la sélection dans les festivals en même temps.Le mien a été choisi pour Berlin, celui de Duarte pour Cannes. Alex Viany a appelé JourJ du cinéma brésilien le jour où à l’Intitut du Cinéma Educatif Anselmo et moi avonsprésenténos films au public. Anselmo avait voulu faire commerciale, mais son film a très

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succés a pris des proportions inimaginables, dementielles, que le film ne méritait tout demême pas.

— Alors comment explique-tu ces succès ?

— A ce moment-là, au Brésil le sentiment national était très fort. Et le cinéma restait enarrière. N’importe quel fim traitant quel problème national aurait catalysé ce sentiment,ce besoin d’un cinéma national. Puis Os Cafajestes vait aussi des atoutsd’ordrecommercial, l’érotisme par exemple. Et également un côté européem « nouvellevague » dans la mise en page ; un côté produit bien fabriqué, déroutabt mais qui laissaitpeu de prises aux gens qui auraient pu être contre. Mais je crois que le succès di film estsurtout dû á ce besoin que l’on ressentait d’un cinéma national.

— Tu nous disais à l’heure que l’Eglise, Lacerda avaient attaqué Os Cafajestes.

— Le cardinal à Rio a appelé plus d’un milier de paroisses à se prononcer contre le film.Dix jours après sa sortie, en dépit de la réglementation, Lacerda a fait saisir la copie aucours d’une projection. L’actrice principale, Norma Bengell, devait touner l’an dernierunfilm de Sergio Ricardo, un film très éloigné de l’érotisme d’Os Cafagestes, Á Minas, lesbastion de la réaction, le point de départ du coup d’Etat. Les demmes de cette ville quiont participé à la « Révolution » se sont groupées pour déclarer : « Si elle vient, on labatra, à cause d’ps Cafajestes. »

— Tu nous a dit aussi que Os Fuzis avait été mal accueilli par une parie de la gauche.Mais les milieux de droite ont bien dû réagir contre le film.

— Après le coup d’Etat, je me suis dit : «Os Fuzis ne passera jamais ». Puis j’ai penséque la seule chance de le faire admettre au Brésil, c’était de le faire d’abord connaître àl’étranger. La commission de sélectiom pour les Festivals, elle, n’avait pas été modifiéeet n’exigeait pas que les films aient déjà leur visa de censure. J’ai présenté mon filmavant mixage – ce qui n’était peut-être pas très rpeglementaire – et il a été sélectionné ài’unanimité. Mais voilà que s’est mis à courir le bruit qu’un cinéaste brésilien avaitdéclaré pendant le Festival de Cannes 1964 que le nouveau gouvernement était unedictature. Alors le Comité de Sécurité de l’Etat, composé de militaires, a demandé à voirtous le films qui devaient représenter le Brésil á l’étranger. J’ai cru que tout était foutu,parce que j’avais escompté qu’à son retour, même non primé, mon film serait protégécontre le censure par le fait qu’il avait représenté le Brésil. Os Fuzis, mixé, a donc étéprésenté devant ces militaires, dont quatre généraux. A la fin de la projection – je n’yétais pas mais mon producteur y était – silence, un silence inquiétant.Il aurait suffi quequelqu’un dise : « C’est in film communiste », c’était foutu. Et lá, coup de pot, il y a unmilitaire qui s’est levé et a dit : « C’est un film de mâle. » Personne n’a osé dire lecontraire, le débat était faussé dès le départ. Ils on laissé partir le film pour Berlin. C’étaitle premier film sélectionné pour représenter le Brésil après le coup d’Etat...

— Mais, en fait, comment fonctionne la censure brésilienne ?

— Il y a une censure fédérale qui siégeait à Rio, et maintenant à Brasilia. Et puis il y ales censures des Etats officieuses ou officielles. Lacerda était un censeur acharné. Il afriné lçe plus possible le transfert de la censure fédérale de Rio à Brasilia, pour garderun oeil dessus. Sachant qu’en dernier ressort ce sont les Etats qui décident, l censurefédérale accorde presque toujours son visa. Aprés il faut se battre Etat par Etat. Lesalliances politiques, électorales rendent les gouverneurs ou libéraux. C’est ainsi que lesuccesseurde Lacerda, Negroa de Lima est actuellement libéral sur ce plan. Avec cegenre de jeu, il y a des Etats où on ne peut guère passer de films, mais on a toujours àpeu près la possibilité de passer un film donné dans la moitié du Brésil. Qaund Lacerdaa interdit Os Cafafestes, de Rio on allait facilement le voir hors de l’Etat de Guanabara,en traversant simplement la baie. J’estime que c’est mieux d’avoir beaucoup de

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— Et où en est actuellement le Cinema Novo ? On a dit que le nouveau gouvernementallait à la fois l’utiliser et le soutenir.

— Je ne sais pas très bien, parce que je suis parti du Brésildepuis plusieurs mois déjà,quand Castelo Branco était encore au pouvoir. Je ne pense pas le nouveaugouvernement prenne pour politique de favoriser le cinéma. Tout au plus saura-t-iladmettre certains films, si on arrive à faire les faire... Mais une aide au cinéma brésilien,je crois pas. Ces gens-là ne premmemt pas tellement au sérieux le cinéma, sauflorsqu’ils se retouvent devant un fait accompli, un film fait. Et des films s’élevant contrela situation actuelle, ayant des implications politique, je crois que cela restera limité àdeux ou trois par an.

— Ces films seront ceux du Cinema Novo.

— Oui. Le Cinema Novo, ce n’est pas le Néo-Réalisme, ce n’est pas un mouvementartistique, une esthétique. Cela relève, plus que d’autre chose, d’une prise de positinpolitique dans un contexte national. Les films d’avant le Cinema Novo, les films de laVera-Cruz partaient d’un propos artistique. C’étaient des films intimiste, psychologiques,qui ignoraient les problèmes du pays, les problèmes économiques, les problèmes demasse. Ils ne concernaient que petits mondes. C’était le cinéma de la petite bourgeoisie.Avec bien sûr quelques exceptions, mais perdues dans le tas.

Aprés avoir, pour l’O.R.T.F., collaboré aux Carnets de Voyage au Brésil, de Pierre Kast.Ruy Guerra tourne actuellement Vocabulaire, épisode de fiction dans le cadre d’un filmsur le Vietnam auquel participent par ailleurs Resnais, Varda, Godard, Klein, Lelouch,Reichenbach, Ivens et coordonné par Chris Marker.

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