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ENVOL DES PRIX ET DES PROFITS DANS LE SECTEUR PÉTROLIER ANALYSE SOCIO-ÉCONOMIQUE DES TROIS PLUS GRANDES PÉTROLIÈRES CANADIENNES INTÉGRÉES LA COMPAGNIE PÉTROLIÈRE IMPÉRIALE LTÉE (ESSO) SHELL CANADA LTÉE PETRO-CANADA POUR LA PÉRIODE DE QUINZE ANS ALLANT DE 1990 À 2004 MICHEL BERNARD, M.A.(philosophie), M.B.A., C.M.A. Professeur associé à la Chaire d’études socio-économiques et professeur au département des sciences comptables de l’Université du Québec à Montréal. LÉO-PAUL LAUZON, Doctorat en sciences de la gestion, M.B.A., C.A., C.M.A. Titulaire de la Chaire d’études socio-économiques et professeur au département des sciences comptables de l’Université du Québec à Montréal MARC HASBANI, Chercheur à la Chaire d’études socio-économiques AOÛT 2005

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ENVOL DES PRIX ET DES PROFITS DANS LE SECTEUR PÉTROLIER

ANALYSE SOCIO-ÉCONOMIQUE DES TROIS PLUS GRANDES

PÉTROLIÈRES CANADIENNES INTÉGRÉES

• LA COMPAGNIE PÉTROLIÈRE IMPÉRIALE LTÉE (ESSO) • SHELL CANADA LTÉE • PETRO-CANADA

POUR LA PÉRIODE DE QUINZE ANS ALLANT

DE 1990 À 2004 MICHEL BERNARD, M.A.(philosophie), M.B.A., C.M.A. Professeur associé à la Chaire d’études socio-économiques et professeur au département des sciences comptables de l’Université du Québec à Montréal. LÉO-PAUL LAUZON, Doctorat en sciences de la gestion, M.B.A., C.A., C.M.A. Titulaire de la Chaire d’études socio-économiques et professeur au département des sciences comptables de l’Université du Québec à Montréal MARC HASBANI, Chercheur à la Chaire d’études socio-économiques

AOÛT 2005

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CHAIRE D’ÉTUDES SOCIO-ÉCONOMIQUESUniversité du Québec à Montréal Case postale 8888 Succursale Centre-Ville Montréal, Québec H3C 3P8

Téléphone: (514) 987-3000 poste 7841# Télécopieur: (514) 987-0345 Courriel: [email protected] Site internet: http://www.unites.uqam.ca/cese

Cette étude a été réalisée aux frais de la Chaire d’études socio-économiques dans le cours normal de ses travaux de recherche. Elle n’a été commanditée et/ou financée par aucun organisme externe.

Cette cinquième étude de la Chaire d’études socio-économiques sur l’industrie pétrolière intégrée canadienne s’inscrit dans un continuum voulant cerner le comportement économique des pétrolières et ses effets sur la collectivité. Voici le titre et les dates de publication des quatre premières recherches: S Le danger du laisser-faire dans le domaine de la distribution des produits pétroliers.

Léo-Paul Lauzon et Michel Bernard. Septembre 1996 S Analyse financière des quatre grandes pétrolières intégrées opérant au Québec:

Provenance et utilisation de leurs bénéfices. Léo-Paul Lauzon et Michel Bernard. Juin 1998

S La compagnie Pétrolière Impériale Ltée (Esso): Analyse socio-économique. Léo-Paul

Lauzon. Juillet 2000 S La compagnie Pétrolière Impériale Ltée (Esso) et Shell Canada Ltée : Analyse socio-

économique des deux plus grandes pétrolières canadiennes intégrées à contrôle étranger. Léo-Paul Lauzon. Janvier 2003

Toute reproduction de cette présente étude, en totalité ou en partie, est interdite sans l’autorisation de la Chaire d’études socio-économiques et des ses auteurs.

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TABLE DES MATIÈRES

I. INTRODUCTION……………………………………………………………… 6 1) Hauteur des profits : des rendements spectaculaires…………………… 6 2) Les liquidités, les dividendes astronomiques et la timidité

dans le réinvestissement……………………………………………….. 8 3) Les pétrolières typiques d’un mouvement de concentration

de la propriété………………………………………………………….. 9 II. PARTICULARITÉS DE L’INDUSTRIE PÉTROLIÈRE INTÉGRÉE

VERTICALEMENT…………………………………………………………. 11 1) Concentration et gigantisme……………….………………………….. 11 2) L’oligopole, la collusion implicite, le contrôle de l’offre,

le contrôle des prix…………………………………………………….. 13

III. ÉTUDE DES PROFITS. Des rendements fabuleux au détriment des autres secteurs…………………………………………………………… 14 1) Dimension spectaculaire des profits nets après impôts réalisés

au Canada : 27,2 milliards$ en 15 ans ...........................…………….. 14 2) État des lieux : envol des profits et des taux de rendement au cours des dernières années………………………………………………………… 16 a) Accélération des profits au cours des deux dernières années :

9,2 milliards$ ou 34% des profits des 15 dernières années …….. 16 b) Bond des profits de 157% au cours des cinq dernières

années par rapport aux cinq années précédentes………………… 17 c) Croissance brusque du taux de rendement après impôts

sur l’avoir des actionnaires pour les cinq dernières années financières (2000-2004)…………………………………. 18

d) Hausse importante des cours de l’action + gros dividendes = rendement fabuleux……………..…………. 20

3) Des rendements de 25%-30% comme indices d’une imperfection du marché…………………………………………………..……………. 24 a) La manne tombée du ciel : l’élévation des prix dope

artificiellement les profits………………………………………. 24 b) L’argument biaisé du manque de contrôle sur le prix du brut…. 28 c) Conséquences : Profits réalisés au détriment

des autres secteurs économiques……………………………….. 33

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IV. ÉTUDE DES LIQUIDITÉS. Les distributions phénoménales de liquidités et timidité dans le réinvestissement………………………….… 35

1) Dimension fabuleuse des liquidités réalisées au Canada……………….. 36 2) Niveaux élevés des liquidités versées aux actionnaires :

dividendes et rachat d’actions…………………………………………… 37 3) Conséquence de l’existence d’un vaste actionnariat étranger…………… 41 a) La réduction de l’importance de l’actionnariat canadien……...… 41 b) Actionnariat étranger + gros dividendes =

fuite de liquidités à l’étranger……………………………………. 42 4) Examen de l’investissement sur une période de quinze ans……………... 47 a) Désinvestissement des pétrolières au Canada……………………. 49 b) Réduction des frais d’exploration au Canada……………………. 53 c) Baisse de l’emploi au Canada……………………………………. 56 V. CONCENTRATION DE LA PROPRIÉTÉ : les pétrolières,

typiques du mouvement de concentration de la propriété………………….. 58 1) Profits attribuables au manque de capacité……………………………… 59 2) La prudence excessive des oligopoleurs et la timidité dans le

réinvestissement malgré les hausses des prix, de la demande et la confirmation des réserves…………………………………………… 60

a) Attitude attentiste face aux prix………………………………….. 60 b) Le risque de la réglementation…………………………………… 61 c) La peur de la guerre de prix……………………………………… 61 d) Hausse de la demande……………………………………………. 62 e) La confirmation des réserves…………………………………….. 62 3) La trop grande retenue gouvernementale devant les ruses de la

concentration de la propriété…………………………………………….. 63 4) Barrière à l’entrée, guerre aux indépendants, réduction du nombre de stations-service………………………………………………………….. 65

a) Les majeures intégrées verticalement peuvent éliminer les indépendants du secteur du détail……………………………………... 65

b) La fermeture des stations-service au Canada…………………………. 67 5) Danger des pouvoirs accordés par le libre-échange…………………….. 69

VI. LES PÉTROLIÈRES COMME CONTRIBUABLES, COMME CITOYENS………………………………………………………… 71 1) Transactions inter-compagnies…………………………………………... 71 2) Niveau des impôts versés au Canada et à l’étranger par Petro-Canada…. 75 3) Dons effectués au Canada : blanchiment éthique et marketing à

bon compte………………………………………………………………. 76

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VII. TABLEAU RÉCAPITULATIF ET FAITS SAILLANTS…………………… 78

VIII. CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS : IMITER LES ÉTATS

QUI ONT GARDÉ OU REPRIS LE CONTRÔLE DE LEURS RESSOURCES PÉTROLIÈRES ET GAZIÈRES…………………………… 81

Annexe 1- Tableau consolidé des données socio-économiques des trois pétrolières étudiées : Impériale Esso, Shell Canada et Petro-Canada………………………………………………………….. 85

Annexe 2- Tableau complet: données socio-économiques de l’Impériale Esso.............................................................................……… 89 Annexe 3- Tableau complet: données socio-économiques de Shell Canada..................................................................................……… 93 Annexe 4- Tableau complet : données socio-économiques de

Petro-Canada.…………………………………………………………… 97

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I- INTRODUCTION L’étude a trait aux trois pétrolières majeures canadiennes : l’Impériale Esso, Shell Canada et Petro-Canada. Elles sont intégrées verticalement et chacune d’elle est présente à la fois dans l’exploration, l’extraction, le raffinage, la vente en gros et au détail. Les barrières à l’entrée étant élevées, elles sont moins nombreuses à se partager les fonctions plus en amont, l’extraction et le raffinage. D’où la présence d’une structure oligopolistique ou chacun évite la guerre de prix, tous les autres étant en mesure de riposter et aucune n’ayant de toutes façons une capacité libre de raffinage pour servir la clientèle acquise de l’autre. Par contre, elles peuvent s’appuyer sur des marges réalisées en amont pour concurrencer en aval dans la vente au détail là où la présence d’indépendants est constatée. Il s’agit justement d’examiner les données courantes de rentabilité en cette période de montée des prix. Les pétrolières disent ne pas avoir d’influence sur les prix du brut et profiter d’une conjoncture qui place le prix international à un niveau élevé… Ces hausses de prix sont-elles justifiées ? Si elles sont attribuables à une imperfection du marché plutôt qu’à des hausses de coûts, les profits devraient monter, provoquer une hausse de la valeur au marché des actions qui bat tous les indices moyens. Nous pourrions parler alors de profits réalisés aux dépends des autres secteurs comme celui du transport. Il en résulterait des rendements spectaculaires. Des séries sur cinq années et même sur une période de quinze ans s’étalant de 1990 à 2004 sont aussi nécessaires lorsqu’il s’agit de dégager des tendances. Par exemple lorsqu’il s’agit de savoir où sont allées historiquement les liquidités correspondant aux profits. Ont-elles été réinvesties ou distribuées en dividendes ou même considérées comme des excédents disponibles pour le rachat d’actions et la concentration de la propriété. L’examen sur plusieurs années permet aussi de suivre l’évolution des pourcentages d’actionnariat étranger et canadien sinon la tendance à la concentration suite à des rachats d’actions successifs: dans quelle mesure les dividendes sortent-ils du pays par milliards de dollars? D’un point de vue socio-économique, cela permet finalement de confirmer ou d’infirmer les principaux postulats ou les principales prétentions de l’économie capitaliste voulant que le marché crée un ordre spontané, un meilleur usage possible des ressources rares. 1) Hauteur des profits : des rendements spectaculaires Que se passe-t-il dans le monde du pétrole canadien? Sommes-nous en présence de profits excessifs attribuables à une position d’oligopoleurs dans l’extraction et le raffinage? Nous verrons que les profits engrangés au Canada atteignent en effet des dimensions spectaculaires. Mais le bond, la flambée des profits au cours des dernières années doit être observée particulièrement comme conséquence des hausses de prix. Un bond de 157% des profits au cours des cinq dernières années (2000 à 2004) par rapport aux cinq années précédentes (1995 à 1999) qui avaient été rentables. Quand plusieurs compagnies en concurrence fabriquent un produit semblable, on devrait s’attendre à de fortes compétitions au niveau des prix, à des profits certes suffisants pour retenir

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le capital dans ce genre d’activités, mais sûrement pas à des profits confiscatoires constitués au détriment des consommateurs et des autres secteurs utilisant l’énergie pétrolière. En plus, si les profits quittent le pays, il s’agit d’un double dépouillement, ils ne seront alors pas investis dans le développement de ressources canadiennes. Voici un échantillon de la destination des espèces laissées à la pompe par les Canadiens :

Rapport annuel 2004 de l’Impériale. (Page 5) «Le bénéfice de 2 052M$ a été le plus élevé de l’histoire de l’Impériale, dépassant ainsi le sommet de 1 705$ enregistré en 2003.» Page 2 «(…) le rendement du capital moyen utilisé a été de 28 % et celui des capitaux propres, de 35 %. Le dividende ordinaire a été relevé pour la dixième année de suite et près de 1,2G $ ont été versés aux actionnaires sous forme de dividendes et d’actions rachetées. Les gains réalisés par les actionnaires, grâce aux dividendes versés et à la plus-value de l’action, ont été de 25%. »

Ces profits sont en relation directe avec cet extrait sur le prix du brut (page 23) Prix de vente moyens et réalisés en dollars canadiens 2004 2003 2002 2001 2000 Prix touché pour le pétrole brut classique (le baril) 48,96 40,10 36,81 35,56 41,52

Où sont allées les liquidités ? Page 27 «En 2004, la compagnie a racheté plus de 14 millions d’actions pour 872M$ (16 millions d’actions pour 799M$ en 2003). Depuis le premier programme de rachat lancé par l’Impériale en 1995, la compagnie a acheté 233 millions d’actions1, soit environ 40 % du total des actions qui étaient en circulation au début du programme, ce qui s’est traduit par la distribution de 6,8G $ aux actionnaires. » (Extraits page 60) Nombre d’actionnaires inscrits au 31 décembre 2004 (a) 14 953 Nombre d’actionnaires inscrits au Canada 13 088 (a) Exxon Mobil Corporation détient 69,6% des actions de l’Impériale

On remarque plus haut que les profits des dernières années ont monté avec le prix du brut. Il faut se demander où cela va s’arrêter avec un baril à 60$. Il y a en effet 13 088 actionnaires inscrits au Canada sur 14 953 mais un seul des actionnaires étrangers, Exxon Mobil, détient 69,6% des actions. L’Impériale Esso est détenue, au 31 décembre 2004, à 85,4% (77,4% en 1990) par des

1 Il ne reste plus que 356,8 millions d’actions en circulation au 31 décembre 2004, ce qui donne un aperçu de l’importance relative des liquidités excédentaires consacrées aux rachats d’actions alimentées par les prix élevés de la ressource. Rapport annuel 2004 page 60.

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investisseurs étrangers dont 69,6% par l’américaine Exxon-Mobil Corporation. Quant à Shell Canada, elle appartient à 78% à des intérêts étrangers, soit en l’occurrence Shell Investments Limited qui, à son tour, est détenue à 60% par la société néerlandaise Royal Dutch Petroleum Company et à 40% par la firme anglaise The Shell Transport and Trading Company.

Rapport annuel 2004 de Shell page 5 Le rendement global pour les actionnaires pour 2004 s’est établi à 32,4 % (…) ce qui place la Société au premier rang des sociétés pétrolières intégrées». Rapport annuel 2004 de Petro-Canada (page12). En incluant l’appréciation du cours des actions et les dividendes, le rendement global des actionnaires a été de 31,5 % en 2003 tandis qu’il a été négatif de 3,4% en 2004. (page 1) Mais les dix dernières années ensemble ont procuré un cumulatif de 507%. Bonne moyenne quand même…le rendement cumulatif moyen de toutes les entreprises cotées a été de 160% en dix ans au Toronto Stock Exchange au Canada et de 168% au New York Stock Exchange des États-Unis. Des rendements annuels de 25-30% sont-ils nécessaires pour attirer ou retenir du capital dans le secteur pétrolier…? Sont-ils un indice d’une imperfection du marché ? Comme il en est des oligopoles bancaires et pharmaceutiques, les pétrolières peuvent se vanter dans leurs rapports annuels de profits et de rendements sur l’avoir des actionnaires très supérieurs à la moyenne de l’ensemble des secteurs. Les pétrolières disent profiter de la conjoncture… Le fameux syllogisme d’Aristote «Les Hommes sont mortels…Socrate est un homme…Socrate est mortel.» devra être remplacé par celui-ci : les pétrolières n’ont pas de contrôle sur le prix du brut… le prix du brut est le principal responsable de l’augmentation du prix de l’essence… les pétrolières n’ont pas de contrôle sur l’augmentation du prix de l’essence. Elles s’enrichissent, elles frisent le 30% de rendement après impôts sur le capital malgré elles… 2) Les liquidités, les dividendes astronomiques et la timidité dans le réinvestissement Quand les prix flambent, comme ce bond à 1,03 $ le litre d’essence à Montréal le 29 juillet 2005 ou à 62,30$ US le baril de brut le 1er août 2005 en après-midi, on nous sert comme excuse la mort d’un Scheik, une tempête dans le Golfe ou un incendie dans une raffinerie du Texas comme s’il ne se produisait pas de pétrole au Canada. Comment se fait-il que ces compagnies, ces gestionnaires n’ont pas de quoi faire face à des événements somme toutes marginaux ? Retenons simplement ici comme exemple que l’Impériale attribue un bond de 560 millions$ dans son profit de 2004 à la simple hausse du prix des ressources (30 % de hausse du prix du brut en 2004, en dollars américains). La faiblesse des capacités excédentaires de raffinage aptes à modérer les prix, est-elle sévère (ou maintenue insuffisante) au point que le moindre événement justifie de faire bondir le prix ? En effet, les pétrolières parlent de capacité de raffinage utilisée à quelque 93%. N’importe quelle industrie qui ferait bondir ses prix en chœur sous le prétexte d’événements aussi marginaux serait la cible des observateurs financiers sinon des humoristes.

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Une analyse doit donc examiner les investissements des pétrolières depuis 1990. Comment utilisent-elles leurs liquidités ? Dans quelle mesure sont-elles distribuées plutôt que réinvesties ? Chez l’Impériale Esso, on enregistre une diminution nette de 2,7 milliards$ du solde des immobilisations en usage en 2004 par rapport à 1990. Les longues séries sont utiles pour profiler un comportement : elle a réalisé 12, 1 milliards$ de profits de 1990 à 2004 au Canada, mais elle a distribué 12,5 milliards$ aux actionnaires… Peut-on généraliser? Qu’en est-il des autres majeures ? Nous verrons que le problème a sa source en effet dans les torrents de dividendes qui s’écoulent vers les actionnaires, surtout les actionnaires étrangers, et sa conséquence, le manque de réinvestissement. Impériale Esso et Shell Canada ont distribué à leurs actionnaires 84% de leurs profits en 15 ans (dividendes et rachats d’actions) et 68% de ces profits ont abouti dans les poches d’actionnaires étrangers de 1990 à 2004. 3) Les pétrolières typiques d’un mouvement de concentration de la propriété Des comportements dommageables pour les consommateurs, les autres secteurs et la société en général, sont causés par la concentration, l’absence de véritable concurrence et la collusion implicite pour réduire l’offre et les stocks disponibles. Ayant constaté le niveau très élevé de profits, ayant documenté un manque à investir qui creuse l’écart entre l’offre et la demande pour soutenir des prix élevés, l’analyse socio-économique du secteur doit s’appliquer à corréler ces phénomènes avec le degré de concentration dans la propriété des entreprises du domaine. La collusion implicite, l’imitation dans les prix est d’autant plus facile à réaliser que le nombre de firmes est limité. Les consommateurs, fortement préoccupés par la volatilité des prix et la symétrie de la réaction des pétrolières en matière de prix ont logé des plaintes auprès du Bureau de la concurrence et auprès de la Régie de l’énergie. Ils n’ont pas obtenu satisfaction : chez les oligopoles, la collusion est implicite donc difficile à prouver, elle devient génétique au système, les oligopoles agissent comme un monopole qui maximise les profits conjoints. Au niveau de la distribution au détail la présence d’indépendants est précaire, la fermeture des stations-service est en cours en faveur de stations de grosses capacités plus dispersées sur le territoire, au détriment des régions : les majeures sont à la fois présentes dans l’exploration, la production, le raffinage et la distribution de l’essence et elles peuvent mener des guerres de prix dans le secteur du détail en s’appuyant sur les marges réalisées en amont (interfinancement). Nous examinerons les données relatives aux fermetures de stations-service. Nous dirons un mot sur les pétrolières en tant que contribuables et citoyens. Le fait qu’elles soient des sociétés multinationales leur permet d’esquiver l’impôt via les prix de cession interne. Leurs rapports annuels font état d’un mécénat qui apparaît comme un «blanchiment éthique» de leur comportement et un marketing à bon compte. Les pétrolières invoquent les risques politiques et «réglementaires», invitent à regarder du côté des taxes comme élément constitutif du prix de détail. En vertu d’une répartition équitable par la main invisible du credo libéral, n’y aurait-il pas lieu qu’une partie des profits imputables aux opérations en amont comme la vente du brut aillent à la réduction des prix de détail élevés pour

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soulager les consommateurs individuels et institutionnels? Au moins, n’y aurait-il pas lieu que les immenses liquidités qui ruissellent dans les rachats d’actions, car considérées «excédentaires», soient réinvesties en plus grande partie dans les ressources productives, les capacités de raffinage…? Le Canada est un des rares pays au monde où l’exploitation de cette importante ressource est entièrement privatisée et dont l’industrie est contrôlée majoritairement par des étrangers. L’Arabie Saoudite, la Norvège, le Mexique, la Chine, le Venezuela, le Brésil, l’Argentine, etc., qui sont aussi de gros producteurs et exportateurs de pétrole, ont jugé bon, avec raison, de nationaliser leur industrie pétrolière qui est détenue par des sociétés étatiques. Des pays comme la Russie et la Bolivie, entre autres, ont mesuré l’impossibilité de laisser ce secteur aux oligopoles privés et sont en train de renationaliser leur industrie pétrolière. Il s’agit pour ces pays d’un immense levier économique et d’un instrument d’enrichissement collectif formidable qui profite au pays et à la population entière au lieu de servir principalement les intérêts d’actionnaires privés souvent étrangers. Ici, le laxisme gouvernemental fait qu’on se contente d’assister à notre propre dépouillement. Quand en aurons-nous assez de cette situation insoutenable?

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II- PARTICULARITÉS DE L’INDUSTRIE PÉTROLIÈRE INTÉGRÉE VERTICALEMENT 1) Concentration et gigantisme Au cours des quinze dernières années, nous avons été témoins d’une forte concentration dans l’industrie pétrolière intégrée mondiale par voie de fusions et d’acquisitions, ce qui a augmenté la mainmise des géants à travers le monde et a accru les risques de colonisation économique. Il suffit de penser aux fusions d’Exxon et de Mobil, de BP avec Amoco et avec Atlantic Ritchfield, de Chevron avec Texaco et avec Unocal, de Phillips avec Conoco, de Total avec Elf et avec Petrofina, etc. On peut affirmer, sans grands risques de se tromper, que nous sommes en présence aujourd’hui d’un véritable oligopole dominé aux niveaux mondial, national et provincial par une poignée de compagnies gigantesques qui peuvent manipuler les prix pour maximiser leurs profits conjoints. À l’échelle du Québec, le marché de l’essence au détail est contrôlé à environ 75% par les quatre pétrolières suivantes: Impériale Esso, Shell, Petro-Canada et Ultramar. Il est important de mentionner qu’en 2004, cinq des dix plus grandes compagnies au monde, toutes catégories confondues, sont des pétrolières intégrées verticalement, il s’agit d’Exxon Mobil la plus grande, puis de Royal Dutch Shell la deuxième, de BP Amoco, de Chevron Texaco et d’Elf Total Fina, les trois dernières étant respectivement aux cinquième, septième et huitième rang, selon la revue américaine Fortune. N’est-ce pas ce que l’on désigne en économie par le vocable d’oligopole? Un marché partagé par une petit nombre de grandes firmes qui contrôlent l’offre d’un produit. Pas besoin de faire une réunion dans un hôtel pour agir de concert en matière de prix. L’essence est un produit peu différencié : le consommateur est infidèle pour un produit qui ne génère guère de loyauté spéciale à une marque. Le prix est donc un facteur de différenciation mais chaque pétrolière serait en mesure de riposter pour reconquérir sa clientèle perdue. De plus, il faudrait servir cette nouvelle clientèle : or leurs capacités de raffinage sont à plus de 90% utilisées et le ticket d’entrée est cher pour une nouvelle raffinerie. À la tentative d’une d’entre elles de baisser les prix durablement pour grossir sa clientèle, ou de refuser de suivre une hausse, les autres réagiraient et ce serait coûteux pour tout le monde. Il est facile de riposter avec des clients infidèles à une marque. Les vertus que l’on attribuait au marché traditionnel en concurrence comme institution ne se manifestent plus dans ce secteur. Les rendements hors du commun, les prix élevés, les prix qui varient de concert au moindre prétexte sont autant d’indices de collusion implicite, d’imperfection du marché. En effet, quand plusieurs compagnies en véritable concurrence fabriquent un produit semblable, on devrait s’attendre à des profits certes suffisants pour retenir le capital dans ce genre d’activités, mais sûrement pas à des rendements après impôts sur le capital qui frisent les 30% alors que la moyenne des autres naviguent dans une moyenne de 5% d’intérêts composés, sûrement pas à des profits confiscatoires constitués au détriment des autres secteurs utilisant l’énergie pétrolière.

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Voici le chiffre d’affaires mondial réalisé et le profit net dégagé en 2004 par les sociétés mères des deux filiales canadiennes sous étude:

Ventes et profits nets des sociétés-mères Pour l’année 2004

(En milliards de dollars canadiens)

COMPAGNIES Ventes

Rang mondial

Profit net

Rang mondial

Exxon Mobil Corporation des États-Unis2

379 3 35 1

Royal Dutch/Shell Group des Pays-Bas et d’Angleterre 3

376

4

25

2

En termes de profits nets, Exxon Mobil est, toutes catégories confondues, la plus importante compagnie au monde. Quant à la Royal Dutch/ Shell elle se classait au deuxième rang à la fin de 2004. Ce rang mondial est celui obtenu parmi l’ensemble des compagnies de toutes les industries confondues tel que compilé par la revue américaine Fortune. Pour bien situer l’envergure de ces entreprises, disons que le budget du Québec et du Canada furent respectivement de 55 milliards$ et de 195 milliards$ en 2004, à rapprocher avec des ventes annuelles de 379 milliards$ (CAN.) et de 376 milliards$ (CAN.) pour Exxon-Mobil des États-Unis et Royal Dutch / Shell des Pays-Bas et d’Angleterre respectivement. Comme le montre le tableau suivant, Exxon Mobil et Royal Dutch/Shell ont réalisé chacune sept fois plus de revenus que le Gouvernement du Québec et deux fois plus que celui du Canada. Les discours patronaux nous ramènent souvent à des doléances concernant le poids excessif des États mais le jugement se relativise si l’on considère que chacune des deux pétrolières est deux fois plus importante que le Canada en termes de revenus. Il n’est pas étonnant de constater que les pétrolières jouent un rôle…déterminant dans la politique étrangère de pays aussi importants que les États-Unis. 2 Exxon Mobil Corporation détenait 69,6 % des actions de l’Impériale au 31 décembre 2004. 3 La Royal Dutch/Shell Group des Pays-Bas détient 60% de Shell Investments. L’autre 40% est détenu par la compagnie The Shell Transport and Trading Company d’Angleterre.

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DES MULTINATIONALES PLUS GRANDES QUE LES PAYS Comparaison des revenus annuels Revenus

annuels 2004 Exxon Mobil

Royal Dutch / Shell_________

Gouv. du Canada______

Gouv. du Québec___

(en milliards de dollars canadiens) Exxon Mobil

379$

- 1,0

1,9 6,9

Royal Dutch / Shell

376$ 1,0

-

1,9 6,8

Gouv. du Canada

195$ 0,5 0,5

- 3,5

Gouv. du Québec

55$ 0,1 0,1

0,3

-

2) L’oligopole, la collusion implicite, le contrôle de l’offre, le contrôle des prix Les plus grandes pétrolières mondiales et canadiennes sont totalement intégrées verticalement. Elles sont à la fois présentes dans l’exploration, la production, le raffinage et la distribution de l’essence. Elles peuvent donc, par le biais de prix de cession interne ou de prix de transfert entre divisions et filiales d’ici et d’ailleurs, manipuler les prix de détail de l’essence en s’appuyant sur des marges réalisées en amont et influencer les montants d’impôts à payer en transférant les profits d’une division et d’un pays à l’autre. En Amérique du Nord, il ne s’est construit aucune nouvelle raffinerie depuis les vingt dernières années. Bien au contraire, les pétrolières intégrées en ont fermé plusieurs afin de contrôler l’offre à leur guise, de réduire volontairement l’output afin de gonfler artificiellement les prix. Avec l’invasion de l’Irak par les Américains, les pays de l’Opep contrôlent maintenant moins du tiers de la production mondiale, la vaste majorité étant contrôlée par l’oligopole des transnationales pétrolières qui agissent comme bon leur semble et qui nous servent continuellement les mêmes excuses invraisemblables pour justifier leurs hausses continuelles de prix. Pendant ce temps, nos politiciens restent passifs, refusent d’intervenir pour que cesse ce vol intégral des consommateurs victimes de la dictature pétrolière. N’oublions pas que le pétrole constitue une ressource vitale pour l’économie qui entre dans la fabrication de plusieurs produits et services et qui ont un impact significatif sur les autres secteurs de l’économie en augmentant les prix de produits et de services privés comme le transport aérien et routier, le taxi, le plastique, etc. mais aussi sur le niveau des dépenses publiques en termes de transport en commun, de déneigement et d’entretien de nos routes, du chauffage de nos écoles et de nos hôpitaux, de l’enlèvement des ordures, du parc automobile des services policiers, etc. Nous sommes donc affectés comme contribuables autant que comme consommateurs. Ce comportement économique provoque une hausse des dépenses publiques et par conséquent de nos impôts, ce n’est pas un problème spécifique aux automobilistes.

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III- ÉTUDE DES PROFITS. DES RENDEMENTS FABULEUX AU DÉTRIMENT DES AUTRES SECTEURS Afin de déterminer ce qui se passe dans le monde du pétrole, de vérifier la présence de profits excessifs attribuables à une position d’oligopoleurs nous devons examiner ces profits et calculer les rendements. Ces chiffres appuient l’opinion des nombreux observateurs qui croient que les pétrolières abusent d’une position d’oligopole. 1) Dimension spectaculaire des profits nets après impôts réalisés au Canada : 27,2 milliards$ en 15 ans Les trois majeures ont réalisé 27,2 milliards$ de profits au cours des 15 dernières années dont une proportion de 67% au cours des 5 dernières années. Sur ces 27,2 $ milliards $ réalisés en 15 ans, les trois majeures ont réalisé deux fois plus de bénéfice net au cours des cinq dernières années (2000-2004) soit 18 311 millions $ (67%) qu’au cours des dix années précédentes (1990-1999) soit 8 935 millions$ ou 33%. Le libéralisme économique postule que le prix du marché est le juste prix là où existe un équilibre entre l’offre et la demande libres. Mais cela suppose qu’aucun des intervenants ne puisse contrôler à sa guise l’offre ou la demande afin de manipuler les prix dans un sens ou dans l’autre ou qu’aucun groupe de compagnies ne puisse agir de concert comme si elles formaient un monopole. Les taux de rendement anormaux sont supposément inexistants car ils attireraient de nouveaux concurrents qui ramèneraient alors les échanges au juste prix du marché. Examinons l’évolution et l’importance des profits réalisés au Canada. Dû aux fusions sans précédent et aux privatisations dans certains pays occidentaux (dont Petro-Canada au Canada) qui se sont produites au cours des quinze dernières années, les multinationales pétrolières ont accru considérablement leur pouvoir économique pour ne pas dire «politique». Leurs profits nets après impôts ont bondi au cours de cette période et plus particulièrement durant les cinq dernières années (2000 à 2004), années au cours desquelles elles ont réalisé, et de loin, les plus importants profits de leur histoire. Les trois plus grandes pétrolières intégrées du Canada ont profité comme jamais auparavant de la manne qui leur est tombée, non pas du ciel, mais qui a surgi de la terre le jour où l’on a décidé que des compagnies privées pouvaient s’approprier les ressources du sous-sol à la façon de l’ancien droit de capture des animaux sauvages.

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Bénéfice net réalisé au Canada (En millions de dollars canadiens)

Période de 10 ans Période de 5 ans Période de 15 ans

COMPAGNIES 1990 à 1999 2000 à 2004 1990 à 2004

1. Impériale Esso 4 534 $ 7 589 $ 12 123 $

2. Shell Canada 3 313 4 525 7 838

3. Petro-Canada 1 088 6 197 7 285

Total des 3 sociétés 8 935$ 18 311 $ 27 246 $

En pourcentage des 15 ans 33% 67% 100 % C’est donc dire que 67% de tous les profits réalisés au cours des quinze dernières années par les trois plus grandes pétrolières intégrées du Canada l’ont été au cours des cinq dernières années (2000 à 2004) et cela même si depuis 1996 elles réalisent à chaque année des profits records. Le président de l’Impériale ne savait plus quel superlatif employé pour décrire les records après records de son secteur raffinage qui fonctionne à 93 % de capacité ayant déjà annoncé des profits records l’an dernier : « En 2004, le secteur des produits pétroliers a affiché un bénéfice record de 500 M$ après impôts, tout juste après une année record en 2003 (407 M$), grâce à l’élargissement des marges de raffinage4 (…) Les trois majeures ont réalisé deux fois plus de bénéfice net au cours des cinq dernières années (2000-2004) qu’au cours des dix premières années retenues dans notre étude (1990-1999). Les profits réalisés au Canada de 27,2 milliards$ par ces trois compagnies au cours des quinze dernières années (1990-2004) sont dans les faits sous-estimés car grâce aux nombreuses transactions inter-compagnies effectuées à chaque année, que nous passerons en revue dans la section V, elles transfèrent par le biais de prix de cession interne et de frais de management des bénéfices à la société mère et à des sociétés apparentées souvent enregistrées dans des paradis fiscaux. 4 L’Impériale, Rapport annuel 2004, p. 10

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2) État des lieux : envol des profits et des taux de rendement au cours des dernières années a) Accélération des profits au cours des deux dernières années : 9,2 milliards$ ou 34% des profits des 15 dernières années Flambée des profits : en 2004 seulement les trois majeures ont réalisé des profits de 5,1 milliards$ soit 19% des bénéfices engrangés en quinze ans. Si on groupe les années 2003 et 2004, on trouve 9,2 milliards$ de profits, soit 34% des profits des quinze dernières années.

L’Agence internationale de l’Énergie parle de fin du pétrole à bon marché. Les pétrolières font leur part pour appuyer cette thèse…Comment expliquer que des acteurs économiques qui vendent un produit relativement semblable à lui-même à travers le temps puissent connaître une telle accélération. Au cours des deux dernières années, les profits nets des trois pétrolières ont littéralement explosé comme le démontre clairement le tableau suivant :

Bénéfice net réalisé au cours des 3 dernières années (En millions de dollars canadiens)

COMPAGNIES _2002_ __2003__ 2004 Total 1. Impériale Esso 1 210 $ 1 682$ 2 033$ 4 925$2. Shell Canada 561 810 1 286 2 6573. Petro-Canada 974 1 669 1 7575 4 400 Total des 3 sociétés 2 745 $ 4 161$ 5 076 $ 11 982$Hausse par rapport à l’année précédente

- 52 %

22 %

Profit annuel des 3 sociétés en % du profit total des 15 dernières années de 27 246$ (1990-2004)

10% 15%

19% 44%

En 2003 et 2004 seulement, elles ont engrangé 9,2 milliards$ de profits, ce qui représente 34% des bénéfices consolidés de 27,2 milliards$ réalisés durant les quinze dernières années (1990-2004). À elle seule, l’année 2004 avec des profits de 5,1 milliards$ totalise 19% des bénéfices engrangés en quinze ans, qui, ne l’oublions pas, furent aussi pendant plusieurs exercices des années de profits records. À qui profite donc véritablement et principalement les hausses continuelles du prix de l’essence? Plusieurs observateurs tiennent les prix du pétrole

5 Le bénéfice d’exploitation ajusté en fonction des éléments non récurrents et inhabituels a augmenté de 22 % pour atteindre 1 890 millions $ en 2004.

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responsables avec les médicaments brevetés, d’une partie appréciable de la hausse de l’inflation au Canada. b) Bond de 157% des profits au cours des cinq dernières années par rapport aux cinq années précédentes Un bond phénoménal de 157% : une augmentation de 11,2 milliards$ pour les cinq dernières années (2000-2004) par rapport aux cinq années précédentes (1995-1999)

Même en tenant compte de l’inflation, les profits ont connu un bond inouï dans les années récentes. Le tableau qui suit ventile les profits des trois pétrolières par bloc de cinq ans. Il est des plus probant pour démontrer l’évolution démesurée des bénéfices réalisés par les dites entreprises. La progression est tellement liée à la hausse des prix qu’il est difficile de ne pas penser à une forme de collusion. Au cours des cinq premières années couvertes par notre étude (1990-1994), l’Impériale Esso a réalisé 1,2 milliards $ de profits nets, Shell Canada 0,6 milliards$ et Petro-Canada 0,0 milliard$ contre, pour les cinq dernières années (2000-2004), 7,6 milliards$ pour l’Impériale, 4,5 milliards$ pour Shell et 6,2 milliards$ pour Petro-Canada. Ce qui signifie une augmentation de 16,5 milliards$ pour les trois pétrolières durant les cinq dernières années (2000-2004) par rapport aux profits de 1,8 milliards$ des cinq premières années observées (1990-1994), un bond phénoménal de 917% comme le laisse voir le tableau suivant (27,2 milliards $ - 1,8 milliards) / 1,8 milliards$ = 917 % :

Impériale Esso, Shell Canada, Petro-Canada Bénéfices nets réalisés par tranche de 5 ans

(En milliards$ canadiens) Bénéfice net réalisé 1990-1994 1995-1999 2000-2004 1990-2004COMPAGNIES 5 ans 5 ans 5 ans 15 ans

1. Impériale Esso 1,2 $ 3,3 $ 7,6 $ 12,1 $ 2. Shell Canada 0,6 2,7 4,5 7,8 3. Petro-Canada 0,0 1,1 6,2 7,3 Total des 3 compagnies 1,8 $ 7,1 $ 18,3 $ 27,2 $ En pourcentage du bénéfice net global des trois pétrolières pour les quinze dernières années (1990-2004)

6,6 %

26,1 %

67,3 %

100 %

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c) Croissance : croissance brusque du taux de rendement sur l’avoir des actionnaires pour les cinq dernières années financières (2000-2004 : 30% pour l’Impériale Esso, 18,8% pour Shell Canada et 21,0% pour Petro-Canada Taux de rendement après impôts sur l’avoir des actionnaires en 2004 : 32,7% pour l’Impériale Esso, 22,9% pour Shell Canada et 21,3% pour Petro-Canada. Pour les cinq dernières années financières (2000-2004), elles ont réalisé les taux de rendement moyens suivants après impôts : 30% pour l’Impériale Esso, 18,8% pour Shell Canada et 21,0% pour Petro-Canada. Une conséquence directe de ces profits colossaux, le taux de rendement après impôts sur l’avoir des actionnaires a subi une poussée brusque au cours des cinq dernières années (2000-2004) et plus particulièrement au cours des deux dernières années (2003 et 2004), comme le démontre éloquemment les tableaux qui suivent :

Taux de rendement après impôts sur l’avoir des actionnaires

Taux annuels moyens par blocs de 5 ans COMPAGNIES Période de

5 ans Période de 5 ans

Période de 5 ans

Période de 15 ans

1990-1994 1995-1999 2000-2004 1990-2004

Impériale Esso 3,8% 13,5% 30,0% 14,6%

Shell Canada 3,9% 15,6% 18,8% 13,8%

Petro-Canada 0,0% 5,9% 21,0% 11,9%

Les 3 compagnies regroupés

3,0% 11,8% 23,2% 13,6%

Le taux de rendement moyen après impôts sur l’avoir des actionnaires des trois pétrolières intégrées s’est littéralement envolé au cours des cinq dernières années à 23,2% contre 11,8% pour les cinq années précédentes (1995-1999) et 3,0% pour les cinq premiers exercices (1990-1994). Pour les cinq dernières années financières (2000-2004), elles ont réalisé les taux de rendement moyens suivants après impôts : 30% pour l’Impériale Esso, 18,8% pour Shell Canada et 21,0% pour Petro-Canada.

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Pour chacune des deux dernières années couvertes par notre étude, les taux de rendement après impôts sur l’avoir des actionnaires ont nettement excédé ce que l’on peut espérer d’une situation où règne une véritable concurrence comme le laisse voir le tableau qui suit :

Taux de rendement après impôts sur l’avoir des actionnaires 2003-2004

ANNÉES

Impériale Esso

Shell Canada

Petro-Canada

Ensemble des trois compagnies

2003 30,6% 15,1% 24,7% 23,7% 2004 32,7% 22,9% 21,3% 25,3% Moyenne des 15 dernières années (1990-2004)

14,6%

13,8%

11,9%

13,6%

Se référant au rendement de ses actionnaires, l’Impériale pouvait affirmer : «…ces dix dernières années, il a été en moyenne de près de 20% par an». Réaliser de tels taux de rendement après impôts sur le capital investi ou l’avoir des actionnaires alors que le taux d’inflation a oscillé entre 2% et 3% au cours des quinze dernières années relève de…l’exploit. Rappelons-nous que les taux de rendement montrés au tableau précédent sont calculés après impôts. Le patronat a beau clamer haut et fort sur toutes les tribunes que les impôts sur le revenu des entreprises sont confiscatoires, il en reste plus qu’il n’en faut aux pétrolières et leurs collègues du club des oligopoles, les banques, les pharmaceutiques qui, elles aussi, battent des records année après année. Le patronat se plaît à répéter que les impôts publics, toujours trop élevés à leur goût, tuent l’emploi et découragent l’investissement. Si un taux de rendement de 25% après impôts fait fuir les capitaux, il faut se demander ce qui sera nécessaire pour satisfaire les appétits. On ne peut pas dire dans ces cas que les impôts ont tué les profits. Si l’investissement chute, il faudra chercher la cause ailleurs. Peut-être dans le désir de restreindre l’offre…pour faire monter les prix.

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d) Hausse importante des cours de l’action + gros dividendes = rendements fabuleux

Dividendes et hausse du cours de l’action ont procuré un rendement de 32,4% en 2004 aux actionnaires de Shell Canada et de 25,3% à ceux de l’Impériale Esso. Pour Petro- Canada, le rendement global des actionnaires a été de 31,5% en 2003 tandis qu’il a été négatif de 3,4% en 2004. Mais les dix dernières années ont procuré un cumulatif de 507%.

Lorsqu’il s’agit d’examiner le rendement global obtenu par les actionnaires, il faut considérer le rendement procuré par l’appréciation de la valeur du marché de l’action plus les dividendes que les actionnaires ont encaissé. Voici des extraits des rapports annuels des trois pétrolières majeures canadiennes faisant état de rendement très élevé par rapport à la moyenne des compagnies cotées qui est de quelque 16% :

Rapport annuel 2004 de l’Impériale page 21 « L’Impériale considère le rendement du capital utilisé comme la meilleure mesure de la productivité passée de son capital.» et p.5 «Le rendement du capital moyen utilisé a continué de donner le ton dans le secteur en atteignant 28% contre 25% en 2003. » Le gain global annuel a été de 25,3% en 2004 si l’on compte la plus-value de l’action et les dividendes (page 1).

Rapport annuel 2004 de Shell page 5 «Les résultats de 2004 se sont traduits par un solide rendement du capital moyen utilisé de 19,9%. (…) Le rendement global pour les actionnaires pour 2004 s’est établi à 32,4%, et le dividende trimestriel déclaré est passé de 0,22$ à 0,25$ par action ordinaire, ce qui place la Société au premier rang des sociétés pétrolières intégrées».

Rapport annuel 2004 de Petro-Canada page 2 2004 2003 2002 Rendement d’exploitation du capital investi 18,8 % 16,1% 14,5% En incluant l’appréciation du cours des actions et les dividendes, le rendement global des actionnaires a été de 31,5% en 2003 tandis qu’il a été négatif de 3,4% en 2004 (page 12). Mais les dix dernières années ensemble ont procuré un cumulatif de 507%6». Bonne moyenne quand même…

6 Petro-Canada, Rapport annuel 2004, p. 1 Rapport de Gestion p.1

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Conséquence directe de ces profits spectaculaires couplés aux rachats d’actions, le bénéfice par action et la valeur au marché de l’action de chacune de ces trois sociétés ont monté en flèche.

Évolution du bénéfice par action de base 2002-2003-2004

2004 2003 2002 Impériale Esso Shell Canada Petro-Canada

5,75 $ 4,68 $ 6,64 $

4,58$ 2,95$ 6,23$

3,20$ 2,01$ 3,63$

L’ampleur du progrès de la valeur au marché des actions au cours des neuf dernières années apparaît au tableau suivant :

Hausse du cours de l’action Pour les 10 dernières années – 1995 à 2004

COMPAGNIES 1995 2004 Hausse en $ Hausse en % 1. Impériale Esso 16$ 71$ 55$ 344% 2. Shell Canada 14$ 80$ 66$ 471% 3. Petro-Canada 15$ 61$ 46$ 307% Rappelons que les actionnaires ont obtenu de grosses sommes en dividendes en plus de cette appréciation de valeur de la valeur marchande du titre. C’est pourquoi le rapport annuel de Shell pouvait parler d’un rendement global pour les actionnaires pour 2004 qui s’est établi à 32,4%. Quant à Petro-Canada : «En incluant l’appréciation du cours des actions et les dividendes, le rendement total pour les actionnaires de Petro-Canada a été de 507%7». Les entreprises font d’ailleurs grand état de leur habileté à battre la moyenne des autres secteurs dont le rendement total pour les actionnaires de l’indice Toronto Stock Exchange et Standard & Poor’s a été de 160% et celui de l’indice New-York Stock Exchange / Standard & Poor’s a été de 168%. La courbe de l’Impériale est encore meilleure. Shell Canada bat aussi la moyenne facilement. Reste à savoir si ce rendement fondé sur la hausse des prix n’est pas réalisé au détriment des autres secteurs. Voici un graphique que l’Impériale Ltée pouvait mettre en évidence dans son rapport annuel 2004 : la hausse de la valeur des actions depuis le 31 décembre 1993 exprimée par le progrès de 100$ qui aurait été placé en 1993. Là aussi de belles pentes rappelant celles des Rocheuses canadiennes sont nécessaires pour exprimer la croissance. Remarquons aussi comment la courbe de l’industrie pétrolière et gazière dépasse la moyenne. 7 Petro-Canada, Rapport annuel 2004, p. 1 Rapport de Gestion p.1

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L’Impériale Esso

Shell

Quant à l’administration de Petro-Canada, elle était aussi fière de montrer comment les indices TSX / S& P ont été battus8.

8 Petro-Canada, Rapport annuel 2004, p. 1, Rapport de gestion p. 1

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PETRO-CANADA

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3) DES RENDEMENTS DE 25%-30% COMME INDICES D’UNE IMPERFECTION DU MARCHÉ Le système de libre marché s’en remet au mécanisme des prix pour l’affectation et la répartition des ressources. Les rendements hors du commun, les prix élevés pour un produit peu ou pas différencié qui ne génère guère de loyauté spéciale à une marque (comme le pétrole) sont autant d’indices de collusion, d’imperfection du marché. En effet, le prix serait l’élément différenciateur par excellence. Quand plusieurs compagnies en concurrence fabriquent un produit semblable, on devrait s’attendre à de fortes compétitions au niveau des prix, à des profits certes suffisants pour retenir le capital dans ce genre d’activité, mais sûrement pas à des profits confiscatoires constitués au détriment des autres secteurs utilisant l’énergie pétrolière. Quand Nike payait 30 cents de l’heure à l’étranger malgré les fortunes colossales qu’elle réalisait avec la vente de ses produits, elle payait 30 cents parce que c’était suffisant pour retenir la main-d’œuvre misérable de ces pays. N’allez pas nous dire qu’il faut réaliser un taux de rendement après impôts sur le capital de 30% annuel pour attirer ou retenir du capital dans le secteur pétrolier…C’est l’indice d’une pratique de collusion. Comme il en est des oligopoles bancaires et pharmaceutiques, les pétrolières ne se privant pas de se vanter dans leurs rapports annuels de profits et rendements sur l’avoir des actionnaires très supérieurs à la moyenne de l’ensemble des secteurs. a)La manne tombée du ciel : l’élévation des prix dope artificiellement les profits La hausse des prix est le principal facteur expliquant le bond dans les profits des pétrolières. Les pétrolières profitent de leur position de force pour augmenter leurs profits et le rendement de leurs actionnaires.

Les PDG des pétrolières parlent de conjoncture favorable… Considérons la hausse des prix de détail moyens pondérés affichés au Québec au cours des dernières années.

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Ainsi, à la mi-mai 2001, dans la région de Montréal, les taxes représentaient 45% du prix de l’essence ordinaire sans plomb, soit 25% en taxes provinciales, 18% en taxes fédérales et 2% en taxe urbaine. Comparativement, le coût d’acquisition du pétrole brut comptait pour 32% alors que les marges de l’industrie du raffinage et de commercialisation représentaient respectivement 18% et 5%.

9 Adapté de Régie de l’énergie, Produits pétroliers informations utiles, 2005. http://www.regie-energie.qc.ca/energie/petrole_popup.html 10 On donnait une moyenne de 99,4 ¢ pour la région de Montréal en Juin 2005. Juillet montrait une moyenne pondérée mensuelle de 98,8 ¢ le litre pour l’ensemble du Québec. Le 2 août il était de 99,3 $ le litre. http://www.essencequebec.com/news/nv77.php

Essence ordinaire Prix moyens affichés en cents le litre Moyenne pondérée pour le Québec9

Taux de rendement après impôts et profits des 3 majeures

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004

2005 sept mois 10

Prix moyens

56,1¢

62,8¢

76,3¢

73,5¢

71,7¢

76,5 ¢

85,5¢

91,9¢

Taux de rendement sur l’avoir des actionnaires

3%

12,2%

25,2%

23,3%

18,1%

23,7%

25,3%

?

Profit des 3 majeures

2 745 Mdollars

4 161 M dollars

5 076 M dollars

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Composantes des prix de l’essence Prix moyen à la pompe de l’essence ordinaire sans plomb à Montréal Semaines du 15 mai 1998 à 2001 (En cents par litre)

15 mai 1998

15 mai 1999

15 mai 2000

15 mai 2001

Prix du brut 13,2 13,4 26,9 27,3

Marge du raffineur 6,5 6,6 9,3 15,1

Prix de gros 19,7 20,0 36,2 42,4

Coût de transport 0,3 0,3 0,3 0,3

Taxe d’accise 10,0 10,0 10,0 10,0

Taxe provinciale 15,2 15,2 15,2 15,2

Taxe urbaine 1,5 1,5 1,5 1,5

TPS (7 %) 3,5 3,7 4,6 5,1

TVQ (7,5 %) 3,9 4,2 5,3 5,9

Prix minimum 54,1 54,9 73,1 80,4

Marge de commercialisation 2,9 5,3 3,0 3,8

Prix moyen à la pompe 57,0 60,2 76,1 84,2

Sources : Régie de l’énergie, Bloomberg Oil Buyer’s Guide et Direction des études documentaires

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Composantes du prix de l’essence dans la région de Montréal 11 Matière première Acquisition du brut 32 % Fabrication Coût du raffinage 18 % Distribution Marge des détaillants 5 % Taxes Fédérales Taxe d’accise 10 cents le litre TPS 7,0 % 18 % Provinciales Taxe sur l’essence 15,2 cents le litre TVQ 7,5 % 25 % Urbaines 2 % 45 % 100 %

11 Commission de l’économie et du travail, «Mandat d’initiative portant sur la problématique des fluctuations du prix de l’essence et leur impact sur l’économie québécoise». Rapport final, Juin 2002

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b)L’argument biaisé du manque de contrôle sur le prix du brut L’Impériale a réalisé un profit total de 2 033 millions$ en 2004 mais elle attribue une bonne part de ce montant à son secteur amont : «Le bénéfice après impôts a atteint le chiffre record de 1 487 millions$, et le rendement du capital moyen utilisé, 39% (…)».

Rappelons que l’Impériale attribue un bond de 560 millions$ dans son profit de 2004 à la simple hausse du prix des ressources (30% de hausse du prix du brut en 2004, en dollars américains). Mais son approvisionnement vient de Cold Lake au Canada, 120 000 barils par jour et de Syncrude au Canada 60 000 barils par jour : il s’agit bien de son choix de faire comme si ce brut entrait dans ses propres raffineries au prix mondial et de charger ensuite le tout aux consommateurs dans le prix de ses ventes en gros ou au détail. Petro Canada pouvait affirmer : «L’année 2004 a été une année extraordinaire en ce qui a trait aux prix des marchandises énergétiques. Sur le marché international, les prix du pétrole brut léger pour le North Sea Brent (Brent) et le West Texas Intermediate (WTI) ont atteint des prix annuels moyens que l’on n’avait pas vus depuis 198212

. Que penser de l’argument voulant que les pétrolières canadiennes fassent de l’argent malgré elles ou sans le vouloir étant donné que le prix du brut est déterminé internationalement ? Elles disent profiter de la conjoncture. Autrement dit : - les pétrolières n’ont pas de contrôle sur le prix du brut - le prix du brut est le principal responsable de l’augmentation du prix de l’essence - les pétrolières n’ont pas de contrôle sur le prix de l’essence Cet argument «distillé» par les pétrolières est servi ad nauseam pour justifier les hausses de prix. Le Conference Board les résumaient ainsi dans son étude publiée en janvier 2001 : «le prix du principal facteur de production de l’essence, le pétrole brut, est déterminé à l’extérieur des frontières du Canada sur les marchés mondiaux, qui sont très fortement influencés par les décisions de l’OPEP d’augmenter ou de diminuer l’offre». «Le Canada produit environ 2 millions de barils de pétrole brut par jour, tandis que la production mondiale totale est d’environ 74 millions de barils par jour. Les producteurs canadiens n’ont donc aucune influence sur les prix mondiaux parce que notre production nationale totale est une petite fraction de la production mondiale totale (environ 2,7 p. 100). Les producteurs canadiens de pétrole brut sont par conséquent des preneurs de prix plutôt que des décideurs». «Il est moins coûteux pour les raffineries situées dans l’est du pays d’utiliser du brut importé étant donné les frais élevés pour le transporter depuis l’Ouest canadien. Les prix du pétrole sont établis sur les marchés internationaux et reflètent les conditions mondiales plutôt que les conditions qui prévalent au Canada». «La plupart des grandes raffineries du Canada, à l’exception des raffineries des Prairies, doivent acquérir leur pétrole brut. Cela signifie que la 12 Petro-Canada Rapport de gestion 2004, p. 2

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production totale de brut des grandes sociétés intégrées est considérablement inférieure (habituellement près du tiers) à leurs besoins de raffinage. Les grandes sociétés doivent donc importer une large part de leur brut d’autres parties du monde ou l’acheter auprès d’autres producteurs canadiens au prix mondial». Finalement l’argumentation voulant montrer que même si les pétrolières canadiennes voulaient contrôler le reste, elles ne pourraient avoir de l’influence que sur 16 % du prix. «Le prix du pétrole brut et les taxes comptent pour environ 84 p.100 du prix moyen d’un litre d’essence ordinaire sans plomb. Ce calcul laisse approximativement 16 p.100 pour couvrir les coûts du raffinage et de la commercialisation, ainsi que les frais d’exploitation et les frais fixes du détaillant13». Cette vision ou tentative de justification suggère que les pétrolières canadiennes sont pénalisées par les hauts prix du brut car elles sont acheteuses et qu’elles n’ont que peu de marges de manœuvre (16%) pour se rattraper sur les marges de raffinage et de ventes au détail. D’autre part, elles ne bénéficieraient pas du haut prix du brut car elles en produiraient peu. Si les pétrolières canadiennes ne faisaient qu’acheter du brut pour le raffiner, elles ne feraient pas les profits colossaux qu’elles réalisent dans le secteur amont. Voici un extrait du rapport annuel de l’Impériale : «Le secteur amont a continué d’afficher un rendement remarquable en 2004. La solidité de l’exploitation et l’excellente fiabilité des installations ont permis d’accroître de 4% la production pour un total de 357 000 barils d’équivalent pétrole par jour avant redevances». L’Impériale a réalisé un profit de 2 033 millions$ en 2004 mais elle attribue une grande portion de ce profit à son secteur amont : «Le bénéfice après impôts a atteint le chiffre record de 1 487 millions$, et le rendement du capital moyen utilisé, 39%. Les flux de trésorerie liés aux activités d’exploitation et à la vente d’actifs ont atteint 2,4 G$, dont environ 1,1 G$ ont été réinvestis dans le secteur. En 2005, les dépenses devraient de nouveau dépasser 1 G$, dont le gros ira aux sables pétrolifères». Encore mieux, dans son rapport annuel 2004, l’Impériale Ltée montrait le graphique reproduit plus bas pour illustrer comment le passage de son profit de 1 705 millions$ en 2003 à 2 052 millions$ en 2004 était redevable pour un montant de 560 millions$ à la simple hausse des prix touchés pour les ressources (30% de hausse en 2004 en dollars américains). Les deux graphiques suivants montrent combien l’augmentation des prix du brut a été important pour la progression en 2004 des profits de l’Impériale et de Petro-Canada. Elle ajoutait : «Le prix moyen annuel du Brent, pétrole brut de la mer du Nord le plus activement négocié et brut de référence courant sur le marché mondial, s’est élevé à 38$ US le baril en 2004, en hausse de plus de 30% par rapport au prix moyen de 29 $ touché en 2003 (25 $ en 2002)».14

13 Le Conference Board du Canada, Les quinze derniers pieds à la pompe, L’industrie de l’essence au Canada en 2000, Janvier 2001, p. iv et p. 1-2. Le Conférence Board ajoutait dans les remerciements : «La présente étude a été financée par Industrie Canada et Ressources naturelles Canada. » 14 La Compagnie Pétrolière Impériale Ltée, Rapport annuel 2004, page 22

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Clive Mather, pdg de Shell affirmait : «Pour Shell Canada, 2004 a été une année de grandes réalisations. Dans un contexte commercial où les prix du pétrole brut ont atteint 50$ US le baril, nos secteurs d’activités classiques de Ressources et des Produits ont tous les deux affiché d’excellents résultats». Rappelons qu’en juillet 2005 les prix du baril ont parfois dépassé 60$ US; quels superlatifs M. Mather pourra-t-il trouver pour désigner ses résultats de 2005, résultats nourris par les hausses de prix du brut ? «Shell Canada détient des intérêts de 60% dans le projet d’exploitation des sables bitumineux de l’Athabasca, qui comprend la mine de la rivière Muskeg et l’usine de valorisation de Scotford. Au cours de sa première année complète d’exploitation entièrement intégrée, le secteur des Sables bitumineux a confirmé que la mine et l’usine de valorisation peuvent atteindre le taux nominal de production moyenne de 155 000 barils/j. Les ressources exploitables pourraient être suffisantes pour permettre une production future supérieure à 500 000 barils/j15. «Les terrains en réserve de Shell à Peace River offrent un potentiel de 100 000 barils/j de bitume extractible sur une période de 30 ans16».

15 Shell, Rapport annuel 2004 p. 3 16 Shell, Rapport de gestion 2004 p. 24.

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Petro-Canada affirme aussi que son bénéfice est redevable aux prix du brut : «Le bénéfice d’exploitation ajusté en fonction des éléments non récurrents et inhabituels a augmenté de 22% pour atteindre 1 890 millions$ en 2004. Le bénéfice a subi l’influence favorable des prix des marchandises et des marges de raffinage élevés, ainsi que des frais d’exploration et des intérêts débiteurs plus bas». Petro-Canada présentait un graphique semblable à celui de l’Impériale et qui concluait aussi à l’influence de la hausse du prix du brut sur le profit17. (Deuxième colonne : la hausse des prix en amont a contribué pour 496 millions$ à la hausse de 22% du bénéfice d’exploitation qui a atteint 1 890 millions$ en 2004 (ajusté en fonction des éléments non récurrents et inhabituels).

Mais, si on revient à l’Impériale comme exemple, on note que son approvisionnement vient de Cold Lake, 120 000 barils par jour et de Syncrude, 60 000 barils par jour : il s’agit bien de son choix de faire entrer ce brut qu’elle a extrait elle-même au prix mondial dans le prix de revient de ses propres raffineries et de charger finalement le tout aux consommateurs via ses ventes au détail à un prix fixé pour absorber ce coût du brut au prix mondial. Il est vrai que le prix du pétrole brut et les taxes comptent pour plus de 80% du prix moyen d’un litre d’essence ordinaire. Ce n’est pas ce qu’invoquait l’Impériale en rendant compte de sa gestion à ses actionnaires18: 17 Petro Canada, Rapport de Gestion 2004, p. 13 18 Esso L’Impériale, Rapport annuel 2004, p. 6

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elle se vantait d’un rendement du capital investi moyen de 39,3%, d’un bénéfice de 1 487 millions$ sur un total de 2 033 millions$ et d’entrées de trésorerie de 2 400 millions$ pour son secteur amont19. Évidemment, elles vendent au prix mondial qui est un prix fixé par collusion, elles pourraient vendre moins cher ou fixer un prix de cession interne moins cher pour leurs raffineries. Autrement dit, c’est un coût d’opportunité, elles chargent à l’interne le prix qu’elles obtiendraient à l’externe. Elles ne sont pas obligées de le faire, elle pourrait fixer un prix moins élevé et accepter un rendement moindre pour leurs actionnaires et un meilleur prix pour leurs consommateurs. Elles pourraient faire une moyenne entre le coût du brut acheté et produit par elle-même. Même avec un taux inférieur à 25% de rendement, les actionnaires ne sortiraient pas à pleine porte. Par contre, cela laisserait peut être trop d’espace aux indépendants pour augmenter leur marge au détail. Elles préfèrent augmenter leur profit en amont et le réduire en aval. Le facteur prédominent est qu’elles ne sont pas intéressées à baisser le prix de leur brut, ni le prix de détail. Les oligopoleurs évitent les guerres de prix car ils n’auraient pas la capacité de production pour rencontrer la demande supplémentaire que les bas prix leur procureraient. Ils admettent qu’ils se partagent le marché. Lorsque les inventaires sont suffisants, la baisse des prix fonctionnent même en oligopoles, GM a connu une hausse de 47 % de ses ventes en juin suite à un rabais accordé égal à celui qu’elle accorde à ses employés…Évidemment, la riposte s’en vient.

19 L’industrie pétrolière désigne par Amont la partie de leur industrie qui veille à l’exploration et la production du pétrole brut. Elle désigne par Aval le secteur du raffinage et de la commercialisation.

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Pour Petro-Canada, les graphiques suivants démontrent l’association des progrès des bénéfices d’exploitation avec l’augmentation du prix de référence pour le pétrole brut20.

Quand le cartel des onze membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) réduit la production et fait monter les prix du brut, les pétrolières canadiennes jubilent et elles s’empressent de vendre le brut extrait au Canada au prix international même si au fonds les coûts d’exploration et d’extraction baissent. Elles sont complices d’une structure qui exploite le consommateur non pas pour retenir le capital mais pour distribuer des rendements faramineux à leurs actionnaires. c) Conséquences : Profits réalisés au détriment des autres secteurs économiques… Du point de vue de l’allocation des ressources, pouvons-nous conclure que des sommes sont soustraites à d’autres activités économiques en faveur des actionnaires des pétrolières ? Du point de vue de la répartition, il faut se demander si des consommateurs dont les revenus ne peuvent s’adapter aux hausses de prix en souffrent. Il faudra se poser un jour la question : un rationnement par les prix se fera d’abord aux dépens des ménages moins nantis. La comparaison des rendements peut servir d’indice du symptôme de l’existence de pratiques abusives. Nous avons vu que les pétrolières se félicitent de battre aisément la moyenne des 20 Petro Canada Rapport annuel 2004, p. 2

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rendements en faveur de leurs actionnaires. Les actionnaires y obtiennent de grosses sommes en dividendes en plus d’une appréciation de la valeur marchande du titre. C’est pourquoi le rapport annuel de Shell pouvait parler d’un rendement global pour les actionnaires pour 2004 qui s’est établi à 32,4% et que Petro-Canada pouvait se vanter d’un rendement total pour les actionnaires de 507% en dix ans alors que la moyenne des autres entreprises a été de 160% pour dix ans. Mais les prix artificiellement élevés des pétrolières affectent les autres secteurs par exemple l’industrie du transport. Ainsi, le fret aérien et ses gros avions est particulièrement touché21. Les coûts des dérivés du pétrole comme le plastique, le caoutchouc synthétique augmentent gonflant les prix des pneus, des ordinateurs, des emballages. L’industrie agricole est touchée par la hausse des pesticides et engrais. Durant les neuf premiers mois de 2004, les Canadiens ont dû dépenser 5,5 milliards$ de plus pour remplir leurs réservoirs d’essence ce qui est d’autant moins d’argent pour la consommation des autres biens. La hausse des prix du pétrole a annulé 50% de la hausse du pouvoir d’achat attribuable à la hausse des salaires obtenue au cours de cette période.22 S’appuyant sur leurs profits extravagants réalisés comme oligopoleurs du pétrole, les majeures enfoncent le domaine des dépanneurs. Par exemple, au Canada la majorité des 1 978 stations-service propriété de l’Impériale comprennent un dépanneur, un lave-auto et un comptoir Tim Hortons23. L’Impériale possède le principal réseau de lave-autos. Les petits dépanneurs locaux plus près des consommateurs sont privés d’une partie des profits nécessaires à leur survie comme commerces de proximité. Par exemple, les micro-brasseurs ne sont pas en état d’acheter des places pour leurs produits dans les grosses chaînes de dépanneurs et de se battre contre les grands brasseurs sur ce plan. L’ensemble des restaurants situés près des autoroutes souffriront de cette compétition appuyée sur la grande visibilité apportée par l’appartenance au secteur pétrolier.

21 Voir le site d’Essence Québec.com http://www.essencequebec.com/news/nv77.php 22 Canadian Business How high oil prices hurt Canada's economy. 2004-12-27 23 L’Impériale Rapport annuel 2004, p. 11

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IV. ÉTUDE DES LIQUIDITÉS. LES DISTRIBUTIONS PHÉNOMÉNALES DE LIQUIDITÉS ET LA TIMIDITÉ DANS LE RÉINVESTISSEMENT Pourquoi examiner les liquidités après avoir examiné les profits? (voir la note technique). La notion de bénéfice net ou de profit indique la rentabilité de l’activité au cours de l’exercice financier mais la notion d’entrée de liquidités indique la capacité de l’activité à générer des fonds et à nourrir le réinvestissement ou la distribution de dividendes aux actionnaires et éventuellement le rachat d’actions dans le cas de la présence de liquidités «excédentaires» ou pour contrer la dilution résultant de l’exercice d’options d’achats d’actions. Mais les liquidités de nos pétrolières ont-elles été orientées vers le réinvestissement ou vers la distribution de dividendes et le stérile rachat d’actions? Note technique Le bénéfice net d’un exercice met en rapport les revenus gagnés par l’activité de l’exercice et les sacrifices, les charges qu’il a fallu encourir pour réaliser cette activité de l’exercice et cela afin de conclure sur la rentabilité de l’activité de l’exercice. Le bénéfice ne traduit donc pas les mouvements d’espèces. Postulons qu’une société gagne et encaisse annuellement 15 M $ au chapitre des revenus pendant 20 ans. Au début elle achète à crédit des immobilisations de 20 M $ qui contribuent à l’activité d’exploitation pendant vingt ans : elle rembourse en 10 ans. Cela occasionnera une sortie de fonds de 2 M $ par exercice pour les dix premiers exercices seulement alors qu’elle soustrait dans le calcul du bénéfice net de chacun des vingt exercices financiers (1 M $ par année) via l’amortissement comptable. Dans cet exemple, le bénéfice net annuel des 10 premières années serait de 14 M $ (15 M $ moins 1 M $ d’amortissement), un chiffre supérieur de 1 M $ aux entrées de fonds de 13 M $ (15 M $ moins 2 M $ de remboursement). Par contre l’effet s’inversera pendant la deuxième décennie : le bénéfice serait toujours de 14 M $ mais les entrées de fonds seront de 15 M $ les immobilisations étant ayant été payées au cours de la première décennie. Mais, au bout de vingt ans les montants portés aux livres seront les mêmes : liquidités (13 M $ x 10 ans) + (15 M $ x 10 ans) = 280 M $ : profits ( 14 M $ x 20 ans) = 280 $. Le profit, la mesure sur «papier comptable» de l’enrichissement de 280 M $ doit se traduire un jour ou l’autre par une entrée d’espèces. Les liquidités générées par l’exploitation seraient les suivantes : Année 1 Année 11 20 ans Bénéfice net 14 M $ 14 M $ 280 M $ Plus : l’amortissement (charge qui a été soustraite pour arriver au 14 M $ de profit mais qui n’exige pas comme telle de sortie de fonds ) 1 M 1 M 20 M Liquidités générées par l’exploitation (1) 15 M $ 15 M 300 M Moins : Sortie de fonds dédiés au remboursement (premières dix années 2 M $) (2) M 0 (20) M Entrée nette de fonds 13 M $ 15 M $ 280 M $ (1)L’exploitation génère des liquidités de 15 M $ qui peuvent être dédiées au remboursement, au réinvestissement ou aux dividendes, rachat d’actions, etc. Dans ce petit exemple les profits de 20 ans se présente sous la forme d’autant de liquidités fin de la 20e année car il n’y a pas eu réinvestissement C’est pourquoi nous examinons les fonds des pétrolières générés par l’exploitation comme indice de ce qu’elles peuvent dédier au réinvestissement ou aux dividendes ou éventuellement aux remboursements. (À remarquer que les pétrolières ont peu de dettes, elles «baignent» dans les liquidités sans jeu de mots).

La philosophie du gigantisme qui se manifeste dans la recherche des profits et des liquidités est abandonnée lorsqu’il s’agit d’investir pour augmenter les capacités de raffinage… Une hausse des capacités pourrait modérer les prix.

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1) Dimension fabuleuse des liquidités réalisées au Canada En quinze ans, 27,2 milliards$ de profits mais entrée de 59,6 milliards$ de liquidités attribuables à l’exploitation normale

Les pétrolières sont timides dans leurs investissements : manquent-elles de liquidités? Si l’exploitation normale des trois pétrolières a généré pour 27,2 milliards$ de profits nets au cours des quinze dernières années (1990-2004), ses opérations liées à son exploitation normale ont produit pour 59,6 milliards$ de liquidités ou d’encaisse comme le démontre le tableau qui suit :

Liquidités générées par l’exploitation normale Période de 15 ans (1990 à 2004)

(En milliards de dollars canadiens) COMPAGNIES Bénéfice net généré par

l’exploitation normale Liquidités générées par l’exploitation normale

1. Impériale Esso 12,1 $ 23,8 $ 2. Shell Canada 7,8 15,7 3. Petro-Canada 7,3 20,1 Total des 3 compagnies 27,2 $ 59,6 $ Le tableau ci-dessous présente l’évolution de l’encaisse générée par l’exploitation normale des trois pétrolières par bloc de cinq ans pour les quinze dernières années :

Liquidités générées par l’exploitation normale Présentées par blocs de 5 ans

(En milliards de dollars canadiens) Années Impériale Esso Shell Canada Petro-Canada Total des 3

compagnies $ % $ % $ % $ % 1990-1994 (5 ans) 5,9 $ 25 % 3,2 $ 20 % 2,3 $ 11 % 11,4 $ 19 % 1995-1999 (5 ans) 6,7 $ 28 % 4,0 $ 26 % 4,6 $ 23 % 15,3 $ 26 % 2000-2004 (5 ans) 11,2 $ 47 % 8,5 $ 54 % 13,2 $ 66 % 32,9 $ 55 % Total sur 15 ans 23,8 $ 100 % 15,7 $ 100 % 20,1 $ 100 % 59,6 $ 100 %

Évolution des années 2002 et 2004 (en milliards de dollars canadiens) 2002 1,7 $ 1,4 $ 2,0 $ 5,1 $ 2004 3,3 $ 2,3 $ 4,3 $ 4,9 $

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On peut constater l’envolée des liquidités générées par les trois pétrolières au cours des cinq dernières années par rapport aux dix premières années couvertes par l’étude. Les cinq dernières années ont contribué 55% de toute l’encaisse générée par les trois pétrolières intégrées durant les quinze dernières années. Au cours des deux dernières années seulement, l’encaisse réalisée en 2004 par l’exploitation normale des trois pétrolières intégrées au montant de 9,9 milliards$ est presque le double des liquidités générées en 2002, soit deux ans plus tôt. Ce sont littéralement des machines à fabriquer de l’argent. 2) Niveaux élevés des liquidités versées aux actionnaires : dividendes et rachat d’actions

L’Impériale : L’avoir des actionnaires de la compagnie qui totalisait 6,8 milliards$ au 1er janvier 1990 est rendu à 6,6 milliards $ au 31 décembre 2004. Causes ? 12,1 milliards $ de profits en 15 ans mais 12,5 $ en dividendes et rachat d’actions…

Débutons avec la meilleure…ou la pire. L’impériale a retourné 1 200 millions$ à ses actionnaires en 2004 dont 872 millions$ pour le rachat de 14 millions d’actions. Il lui restait quand même 1 279 millions$ en encaisse en fin 2004… Au cours des quinze dernières années (1990-2004), l’Impériale Esso a versé à ses actionnaires 103% de ses bénéfices réalisés au Canada :

Impériale Esso Proportion du bénéfice net distribué en dividendes et en rachats d’actions

Période 1990-2004 Impériale Esso Période de 15 ans (1990-2004)

En milliards de dollars

En pourcentage du bénéfice net

Bénéfice net réalisé au Canada 12,1 $

Montants versés à ses actionnaires en dividendes et en rachats d’actions

12,5 $

103 %

L’avoir des actionnaires de la compagnie qui totalisait 6,8 milliards$ au 1er janvier 1990 est rendu à 6,6 milliards$ au 31 décembre 2004. Au cours des quinze dernières années, l’avoir des actionnaires de l’Impériale Esso a diminué de 200 millions$, ce qui veut dire que ses énormes profits n’ont pas été réinvestis dans l’entreprise pour fins de croissance mais distribués à ses actionnaires. Mesurés en dollars constants de 2004, la diminution de l’avoir des actionnaires de l’Impériale Esso aurait été de plusieurs milliards de dollars. Voilà qui démontre de façon implacable quelle est la véritable mission de l’entreprise et à qui elle est redevable en tout premier lieu. L’entreprise, et les dirigeants l’admettent bien volontiers eux-mêmes sans aucun scrupule, est là pour créer de la richesse pour ses actionnaires à tout prix. Pour y parvenir, on rationalisera dans l’emploi, on quémandera, pardon, on exigera des milliards de dollars en subventions, on fermera des raffineries sans en construire de nouvelles, on mettra en péril

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l’environnement, on paiera moins d’impôts grâce aux abris fiscaux et à l’évasion fiscale dans les paradis fiscaux et ici même au Canada, on réduira les conditions de travail des employés, on manipulera les prix grâce à la collusion, on fera un lobby intensif auprès des politiciens, on fermera de nombreuses stations-service, etc. Les chiffres illustrés ci-dessus sont éloquents et parlent d’eux-mêmes. Les entreprises ne se reconnaissent aucun rôle social sinon celui de créer le plus de richesse possible à leurs actionnaires dans le plus court laps de temps et selon tous les moyens possibles allant même jusqu’à renverser des gouvernements élus démocratiquement et à envahir militairement des pays gros producteurs de pétrole. Les tenants du libéralisme martèlent les cervelles en disant que les profits sont importants pour l’entreprise afin d’investir, créer de l’emploi, payer des impôts et finalement créer de la richesse pour tous. Pure foutaise! Au cours des quinze dernières années, les pétrolières, les banques, les pharmaceutiques et beaucoup d’autres entreprises ont utilisé la majeure partie de leurs profits records tout simplement pour racheter leurs propres actions ou acheter et fusionner avec des concurrents. Dans ces cas, où est la création de richesse collective sinon la richesse des actionnaires de la compagnie? Le rachat par une entreprise de ses propres actions réduit le nombre d’actions en circulation, ce qui, par le fait même, augmente le bénéfice par action des actionnaires restants. De même, lorsqu’une compagnie en achète une autre ou fusionne cela ne crée aucune nouvelle richesse collective. Bien au contraire, après un regroupement d’entreprises concurrentes, on rationalisera dans l’emploi, on fermera des usines et, grâce à la réduction de la concurrence, on sera en position de manipuler les prix au détriment des consommateurs. Donc, lors d’un regroupement d’entreprises, tout le monde y perd sauf, bien entendu, les actionnaires. Quant à l’investissement étranger, qui a pour seul objectif d’acheter un concurrent d’ici, cela n’apporte non seulement rien à la collectivité du pays hôte, mais lui nuit en diminuant son niveau de souveraineté. Ce qui crée vraiment de la richesse collective et de l’emploi, ce sont les nouveaux investissements effectués dans l’agrandissement ou la construction d’une usine, l’accroissement des frais d’exploration, de recherche, de formation et de développement effectués ici au pays, etc.

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Quant à Shell Canada, elle a versé une portion de 55% de ses immenses profits à ses actionnaires au cours des quinze dernières années (1990-2004):

SHELL CANADA Proportion du bénéfice net distribué en dividendes et en rachats d’actions

Période 1990-2004 Shell Canada Période de 15 ans (1990-2004)

En milliards de dollars

En pourcentage du bénéfice net______

Bénéfice net réalisé au Canada 7,8$

Montants versés à ses actionnaires en dividendes et en rachats d’actions

4,3$

55%

Voici les résultats consolidés pour ces deux pétrolières à contrôle étranger :

Impériale Esso et Shell Canada Proportion du bénéfice net distribué en dividendes et en rachats d’actions

(En milliards de dollars) Période de quinze ans 1990-2004

Impériale Esso

Shell Canada

TOTAL

Profit net réalisé au Canada 12,1$ 7,8$ 19,9$

Montants versés à leurs actionnaires

Dividendes 5,6$ 2,7$ 8,3$

Rachats d’actions 6,9 1,6 8,5

12,5$ 4,3$ 16,8$

Montants versés en pourcentage du bénéfice net total

103%

55%

84%

Incroyable mais vrai, ces deux entreprises détenues par des étrangers, qui ont réalisé au Canada 19,9 milliards$ de profits au cours des quinze dernières années, ont versé 16,8 milliards$ de leurs bénéfices à leurs actionnaires, soit 84%. Et, tout aussi invraisemblable, parmi ce montant se

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trouvent 8,5 milliards$ utilisés pour le rachat de leurs propres actions, soit 200 millions $ de plus que le montant versé en dividendes. Répétons-le, le rachat par une entreprise de ses propres actions est l’antithèse de l’investissement qui est à la base de la création d’emplois et de la croissance. Quant à Petro-Canada qui fut privatisé en 1991, sans aucun débat public, le pays a perdu un de ses plus importants leviers économiques ainsi que sa capacité de contrôle sur une ressource naturelle collective essentielle pour contrer le cartel des multinationales. Délestage de pouvoir auquel il faut ajouter la perte d’environ 20 milliards$ à ce jour pour les Canadiens, conséquence de cette vente à rabais. Elle a distribué 28,5% de ses bénéfices à ses actionnaires mais, imitant les deux autres pétrolières, elle a commencé à jouer en 2000 le jeu du rachat de ses propres actions pour un montant de 943 millions$. Au cours des cinq dernières années, Petro-Canada a racheté pour 943 millions$ de ses propres actions et a versé 585 millions$ en dividendes :

Petro-Canada Versements aux actionnaires en dividendes et en rachats d’actions

Période de cinq ans (2000-2004) (En millions de dollars)

Rachats d’actions 943 $ Dividendes versés 585 $ Total distribué aux actionnaires 1 528 $ La Bourse de Toronto a autorisé Petro-Canada en juin 2004 à racheter 21 millions d’actions d’ici le 21 juin 2005. Au 31 décembre 2004, 6,9 millions d’actions avaient été rachetées. Cela démontre de façon éloquente que Petro-Canada, qui n’avait jamais racheté de ses propres actions avant 2000, a adopté le même comportement économique que les autres pétrolières, celui qui consiste à distribuer ses gros profits aux actionnaires au lieu de les réinvestir afin de réduire volontairement l’offre, participer à la création d’une pénurie artificielle pour mieux doper les prix. Avec tous ces milliards$ versés aux actionnaires, elles auraient été en mesure de construire plusieurs nouvelles raffineries là où des goulots d’étranglement se manifestent. Avec le niveau des prix actuels, Ron A. Brenneman, président et chef de la direction, pouvait parler de fonds excédentaires. «Nos flux de trésorerie historiquement vigoureux nous donnent la flexibilité de faire face aux changements sur le marché tout en tirant parti de nouvelles occasions attrayantes. Ils nous permettent aussi de retourner des fonds excédentaires aux actionnaires. En vertu de notre programme de rachat d’actions actuel, nous avons racheté environ sept millions d’actions24». 24 Petro-Canada, Rapport annuel 2004 p. 5 et p. 60

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3) CONSÉQUENCE DE L’EXISTENCE D’UN VASTE ACTIONNARIAT ÉTRANGER a) La réduction de l’importance de l’actionnariat canadien

L’Impériale Esso est détenue au 31 décembre 2004 à 85,4% (77,4% en 1990) par des investisseurs étrangers dont 69,6% par l’américaine Exxon-Mobil Corporation. Quant à Shell Canada, elle appartient à 78% à des intérêts étrangers, soit en l’occurrence Shell Investments Limited qui, à son tour, est détenue à 60% par la société néerlandaise Royal Dutch Petroleum Company et à 40% par la firme anglaise The Shell Transport and Trading Company. Chez Shell Canada, le nombre d’actionnaires canadiens inscrits a diminué de 56% en quinze ans (1990-2004). Pour l’Impériale Esso, il a diminué de 6 815 actionnaires canadiens ou de 34% durant les quinze dernières années (1990-2004).

Les profits astronomiques des pétrolières seront accaparés par un groupe de plus en plus concentré de privilégiés, mais ces actionnaires sont de plus en plus étrangers. C’est une des conséquences des rachats massifs d’actions des dix dernières années : le nombre d’actionnaires inscrits au Canada pour les deux pétrolières contrôlées à l’étranger a diminué considérablement comme le laisse voir le tableau suivant:

Diminution du nombre d’actionnaires inscrits au Canada Sur une période de 15 ans

(1990-2004)

Nombre d’inscrits aux 31 décembre

Diminution en nombre Diminution en

pourcentage COMPAGNIES

___1990___ ___2004____ __________En 15 ans________

Impériale Esso 19 903 13 088 6 815 34 %

Shell Canada 5 559 2 454 3 105 56 %

Total 25 462 15 542 9 920 39 % Le nombre d’actionnaires canadiens fond comme neige au soleil. Pour l’Impériale Esso, il a diminué de 6 815 actionnaires canadiens ou de 34% durant les quinze dernières années (1990-2004). Cette compagnie est de moins en moins canadienne. En 1990, 22,6% de ses actions ordinaires émises étaient détenues par des Canadiens contre seulement 14,6% en 2004.

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Dans le rapport annuel 2004 de la Compagnie Pétrolière Impériale Ltée, on souligne ceci concernant les rachats d’actions: «Depuis le premier programme de rachats d’actions lancé par l’Impériale en 1995, la compagnie a racheté 233 millions d’actions, soit environ 40% du total des actions qui étaient en circulation au début du programme, ce qui s’est traduit par la distribution de 6,8 G $ aux actionnaires25.» Dans le seul but d’accroître la valeur au marché de l’action, la compagnie a consacré 6,8 milliards$ à des fins totalement stériles pour seulement racheter ses propres actions. Et dire que les gros profits des compagnies sont supposés servir aux fins d’investissements, de création d’emplois, de recherche et de développement, etc. Ça, c’est la théorie qui ne s’applique toutefois pas en pratique. En fin de compte, l’Impériale Esso a sorti de l’entreprise 6,8 milliards$ au cours des dix dernières années uniquement à des fins de spéculation. De plus gros profits et moins d’actions en circulation ont littéralement dopé le bénéfice par action de l’entreprise et la valeur au marché de son action qui a presque triplé depuis les six dernières années, passant de 25$ au 31 décembre 1998 à 71$ au 31 décembre 2004. Quant à Shell Canada, le nombre d’actionnaires canadiens inscrits a diminué de 56% en quinze ans (1990-2004), passant de 5 559 actionnaires canadiens en 1990 à seulement 2 454 actionnaires canadiens inscrits au 31 décembre 2004. La valeur au marché de son action a plus que triplé au cours des six dernières années, passant de 23$ au 31 décembre 1998 à 80$ au 31 décembre 2004. b)Actionnariat étranger + gros dividendes = fuite de liquidités à l’étranger

Pour l’Impériale Esso, c’est 84% (10,2 milliards$) des profits gagnés et réalisés ici (12,1 milliards$) et alimentés par des Canadiens qui ont été acheminés à l’extérieur du pays sous forme de liquidités au cours des quinze dernières années (1990-2004). Pour Shell Canada les liquidités expédiées à l’extérieur du pays s’élèvent à 3,3 milliards de dollars au cours des quinze dernières années (1990-2004), soit 42% de ses profits réalisés au Canada.

Rappelons que l’Impériale Esso est détenue à 85,4% (77,4% en 1990) par des investisseurs étrangers dont 69,6% par l’américaine Exxon-Mobil Corporation. Quant à Shell Canada, elle appartient à 78% à des intérêts étrangers, soit en l’occurrence Shell Investments Limited qui, à son tour, est détenue à 60% par la société néerlandaise Royal Dutch Petroleum Company et à 40% par la firme anglaise The Shell Transport and Trading Company. 25 L’Impériale, Rapport Annuel 2004, p. 27

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Voici la proportion des profits réalisés ici même au Canada par l’Impériale Esso qui sont sortis du pays et qui ont été versés à l’étranger au cours des quinze dernières années, soit la période 1990-2004 :

Impériale Esso Proportion des profits versés à l’étranger

Période de 15 ans (1990-2004)

En milliards de dollars

En pourcentage du profit net

Profit net réalisé au Canada 12,1 $ -

Montants versés aux actionnaires canadiens et étrangers

12,5 $

103 %

Montants versés aux actionnaires étrangers (dividendes rachats d’actions)

10,2 $

84 %

Montants versés à la société-mère américaine Exxon-Mobil Corporation (69,6 %)

8,7 $

72 %

L’exemple de la société Impériale Esso démontre objectivement à l’aide de leurs propres chiffres, le risque accru de colonisation, de perte de souveraineté et d’appauvrissement, et non d’enrichissement, du pays et des Canadiens, lorsque nous cédons le contrôle de nos ressources naturelles à des investisseurs étrangers qui toutefois, ailleurs dans plusieurs autres pays, sont contrôlés par des sociétés d’État. Pour le seul cas de l’Impériale Esso, ce sont 10,2 milliards$ de dollars gagnés et réalisés ici même au Canada, en exploitant notre propre pétrole et notre propre gaz naturel, qui sont sortis du pays au cours des quinze dernières années. Cela affaiblit grandement notre économie, appauvrit les Canadiens et affecte négativement la valeur du dollar canadien. C’est donc dire que les consommateurs d’essence canadiens versent une bonne partie de leur argent à des étrangers. Nous parlons ici du contrôle étranger d’une ressource naturelle (pétrole et gaz) collective vraiment importante au niveau stratégique et économique d’un pays. On parle ici d’un secteur crucial ayant un effet sur les autres secteurs et détenu par des intérêts étrangers. C’est donc 84% (10,2 milliards$) des profits gagnés ici et contribués par des Canadiens (12,1 milliards$) qui ont été acheminés à l’extérieur du pays au cours des quinze dernières années (1990-2004). Incroyable mais bel et bien vrai. Tout simplement pathétique. Soulignons qu’une firme peut distribuer plus de 100% de ses profits à ses actionnaires, car ne l’oublions pas, même si l’Impériale Esso a dégagé un bénéfice net de 12,1 milliards$ en quinze ans, son exploitation normale a généré pour 23,8 milliards$ de liquidités durant cette période, ce qui lui a permis de verser 12,5 milliards$ aux actionnaires à même ses liquidités réalisés.

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Les politiciens et le patronat font peur au monde avec la dette publique qui nous coûte, selon eux, toujours trop chère en intérêts versés annuellement, mais passent sous silence les milliards de dollars acheminés à l’extérieur du pays et de la province dû au fait que des pans entiers de notre économie sont détenus par des étrangers. La dette publique, et tout dette devrions-nous ajouter, constitue un titre de créance qui ne confère pas le contrôle de la compagnie ou de l’organisme à leurs détenteurs, ce qui nous permet de conserver notre souveraineté. De plus, les intérêts versés sur cette dette publique à des Canadiens sont imposables et l’argent reste ici au pays. Par contre, les actions ordinaires constituent un titre de propriété à leurs détenteurs. Ce qui fait que dans le cas des pétroliers Esso et Shell, nous avons perdu le contrôle juridique sur nos propres ressources naturelles et les propriétaires étrangers peuvent sortir l’argent du pays comme bon leur semble, peuvent déménager des usines et le siège social, relocaliser ailleurs des emplois, etc. Le contrôle étranger de nos entreprises et de nos ressources naturelles représentent une dette permanente que les Canadiens devrons payer à tout jamais et qui nous fait perdre le contrôle juridique de ces avoirs, augmentant ainsi notre perte de souveraineté. Le contrôle étranger de notre économie est beaucoup plus dommageable que notre dette publique, mais ça, nos élus et le patronat n’en disent rien. De sérieux économistes prétendent même que la hausse fulgurante du prix de l’essence enrichit les Canadiens et favorise la croissance du Produit intérieur brut du pays. Ces ignorants devraient savoir que lorsque le contrôle juridique de nos entreprises est détenue par des étrangers, l’argent que ces transnationales s’approprient ici sur le dos des Canadiens et à même nos ressources naturelles ne fait qu’appauvrir davantage ces mêmes Canadiens et enrichit principalement les étrangers. C’est ça le leurre de l’augmentation du PIB comme indice d’enrichissement d’un pays. S’il n’y a pas de mesures de redistribution adéquates de la richesse ou si nos ressources et nos entreprises appartiennent à des investisseurs étrangers, la majorité de l’augmentation du revenu national s’en va dans les poches d’une minorité d’ici et d’ailleurs. On peut facilement se retrouver avec une forte hausse du PIB et un appauvrissement de la majorité.

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Voici maintenant les montants versés à l’étranger par Shell Canada au cours des quinze dernières années, soit durant la période 1990-2004 :

Shell Canada Proportion des profits versés à l’étranger

Période de 15 ans (1990-2004)

En milliards de dollars

En pourcentage du profit net

Profit net réalisé au Canada 7,8 $ -

Montants versés aux actionnaires canadiens et étrangers (dividendes et rachats d’actions)

4,3 $

55 %

Montants versés aux actionnaires étrangers à la compagnie Shell Investments des Pays-Bas et de l’Angleterre (78%)

3,3 $

42 %

Bien que moins importants que les montants versés à l’étranger par l’Impériale Esso, ceux détournés par Shell Canada à l’extérieur du pays s’élèvent à 3,3 milliards de dollars au cours des quinze dernières années (1990-2004), soit 42% de ses profits réalisés ici même au Canada au cours de cette même période de temps. Ce montant ne constitue qu’un minimum car Shell Canada ne fournit pas, dans son rapport annuel, le détail de l’actionnariat détenu à l’étranger autre que le bloc d’actions de 78% détenu par la société-mère des Pays-Bas et de l’Angleterre.

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Voici les résultats regroupés pour les deux firmes à contrôle étranger étudiées:

Impériale Esso et Shell Canada

Proportion des profits versés à l’étranger Période de 15 ans (1990-2004)

(En milliards de dollars) Impériale Esso

Shell Canada Total

Bénéfice net réalisé au Canada 12,1 $ 7,8 $ 19,9 $

Montants versés aux actionnaires canadiens et étrangers (dividendes et rachats d’actions)

12,5 $

4,3 $

16,8 $

Montants versés aux actionnaires canadiens et étrangers en pourcentage du bénéfice net

103 %

55 %

84 %

Montants versés aux seuls actionnaires étrangers (dividendes et rachats d’actions)

10,2 $

3,3 $

13,5 $

Montants versés aux seuls actionnaires étrangers en pourcentage du bénéfice net

84 %

42 %

68 %

Pour les deux seules firmes détenues par des investisseurs étrangers (Esso et Shell) étudiées dans cette recherche, c’est 13,5 milliards de dollars sur des profits gagnés ici au Canada de 19,9 milliards$ au cours des quinze dernières années qui sont sortis du pays. Qu’en pensent les économistes néolibéraux d’ici? Avec l’abolition récente par le gouvernement du Canada de la limite du contrôle étranger dans Petro-Canada et de la vente du dernier bloc d’actions qu’il détenait dans cette entreprise, il faut s’attendre à l’avenir à ce que les étrangers détiennent de plus en plus d’actions dans Petro-Canada, ce qui est vivement souhaité par les dirigeants de la firme et encouragé par nos politiciens. On devient de plus en plus colonisé en perdant le contrôle sur nos instruments collectifs et sur nos leviers économiques grâce à la complicité de nos gouvernements.

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4) EXAMEN DE L’INVESTISSEMENT SUR UNE PÉRIODE DE QUINZE ANS Dans les années 80 et 90, le niveau de capacités excédentaires contribuait à la stabilité et à la modération des prix. Chez l’Impériale Esso, on enregistre une diminution nette de 2,7 milliards$ du volume des immobilisations en usage en 2004 par rapport à 1990. Sa capacité de raffinage a été utilisée à 93% en 2004. Les raffineries ne peuvent guère dépasser un taux d’utilisation de 96%.

Normalement, en situation de concurrence, la hausse des prix incite à produire davantage. La baisse des capacités de raffinage n’est-elle pas, dans ce contexte, le signe de pratiques abusives soutenant des prix élevés ? Le Sénat américain comme d’autres observateurs avait conclu que les raffineurs ont réduit l’approvisionnement dans l’espoir de faire augmenter les prix : «In concentrated markets, refiners can affect the price of gasoline by their decisions on the amount of supply. In a number of instances, refiners have sought to increase prices by reducing supply26.» Peut-on affirmer que les pétrolières canadiennes ont un comportement différent ? On estimait que les taux d’utilisation moyens des capacités de raffinage sur l’année 2004 s’établissaient, sur les trois principaux marchés Amérique du Nord, Europe de l’Ouest et Asie, entre 92 et 95%27. Par exemple, l’Impériale déclarait que sa capacité de raffinage a été utilisée à 93% en 200428. Les raffineries ne peuvent guère dépasser un taux d’utilisation de 96%29. Dans les années 80 et 90, le niveau de capacités excédentaires contribuait à la stabilité et à la modération des prix. Des investissements importants pourraient rétablir cette situation. Résultats ? D’une façon générale, les marges de raffinage sur les principaux marchés au cours des premiers mois de l’année 2004 représentent de 2,5 à 3 fois la moyenne observée sur la période 1995-2003 et de 1,2 à 1,5 fois les précédents niveaux records de l’an 200030. Les études prospectives menées par le Département Américain de l’Énergie, l’Agence Internationale de l’Énergie et le Conseil Mondial de l’Énergie s’accordent à dire que d’ici 2030, la demande mondiale d’énergie primaire devrait continuer de s’accroître. Tirée par une croissance économique de 3,2% par année, la demande d’énergie mondiale pourrait croître d’environ 1,7% par année d’ici 2030. Un observateur peu avisé des pratiques des firmes dans le capitalisme agressif contemporain pourrait croire que la restriction dans l’offre est fondée sur une stratégie de conservation volontaire devant la baisse des réserves de brut. Les rapports annuels des pétrolières montrent au

26 United States Senate, Permanent Subcommittee on investigations, Committee on Governemental Affairs, Gas Prices : How are they really set ? Avril 2002, p. 5 http://www.senate.gov/~gov_affairs/042902gasreport.htm 27 Institut Français du Pétrole, Le point sur l’offre et la demande pétrolière, 2005, p.2 http://www.ifp.fr/ifp/Search.jsp 28 Rapport annuel 2004, p. 10 29 Federal Trade Commission, p. 181 30 Ibid., p. 3.

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contraire qu’elles sont optimistes quant aux réserves prouvées, probables et possibles31 et quant à la progression de la demande. Poursuivant dans une perspective socio-économique, peut-on conclure à une imperfection du marché, à un oligopole créant une rareté artificielle lorsque l’on constate à titre d’exemple que dans le secteur du raffinage dans le Nord-est américain, les inventaires disponibles sont passés de trois mois à vingt jours d’approvisionnement32? Plusieurs économistes considèrent que l’investissement des pétrolières retarde par rapport aux hausses actuelles et prévues de la demande, surtout compte tenu des prix actuels obtenus pour les ressources33. Par exemple, l’Impériale déclarait utiliser 93% de sa capacité de raffinage en 200434. Cela est d’autant plus incompréhensible que les prix sont élevés depuis longtemps. La pression sur les prix est là pour rester avec la demande croissante. L’écart se creuse entre l’offre et la demande en Amérique du Nord, le marché est dominé par la demande à cause d’une hausse de la consommation américaine mais aussi à cause du manque à investir de la part des pétrolières majeures. Lors de la flambée du 29 juillet 2005, quand le prix de détail a bondi à 1,03$ à Montréal et à 62,30$ US le baril pour le brut le 1er août 2005 en après-midi (un baril de pétrole brut contient 159 litres), on nous a servi comme excuse de récents incendies dans une raffinerie de la pétrolière BP au Texas. Cette raffinerie, qui est la troisième plus importante au sud de la frontière, produit environ 3 % de l'essence aux États-Unis. Le record de 61,13$ US atteint le 6 juillet était dû à un ouragan sur la côte du golfe. Peut-on croire sérieusement ces prétextes ? Peut-on accepter que les prix soient affectés par des événements occasionnels et restent finalement plus élevés à long terme. La faiblesse des capacités excédentaires de distillation est-elle sévère ou maintenue insuffisante au point que le moindre événement justifie de faire bondir le prix ? Pourquoi la capacité de production est-elle à ce point utilisée à sa pleine capacité ? N’importe quelle industrie qui augmenterait ses prix sous le prétexte d’événements aussi marginaux serait la cible des observateurs financiers. «Un large consensus parmi les analystes se dégage en faveur de la nécessité de soutenir voire d’accroître les investissements afin de satisfaire les besoins en hydrocarbures sur les trois prochaines décennies35». Étant donné l’augmentation de la demande, le secteur pétrolier devrait 31 Pour la nuance entre prouvées, probables et possibles voir Institut Français du Pétrole, Réserves de pétrole : des données évolutives en fonction de la technique et de l’économie, Mai 2005. L’Impériale écrivait dans son rapport annuel 2004 p. 33 «Les principaux critères d’estimation comprennent des évaluations techniques rigoureuses revues par des pairs, l’analyse des données sur le rendement des puits et des gisements et l’obligation pour la direction de se prononcer sur la mise en valeur des réserves avant de les comptabiliser.» Les réserves prouvées sont celles des gisements dont la mise en production a fait l’objet d’un plan d’investissement approuvé. 32 Association Québécoise des Indépendants du Pétrole, Maintenir la concurrence et protéger les consommateurs, document d’analyse sur le fonctionnement du marché pétrolier, Janvier 2005, p. 19. 33 Tal Benjamin, How high oil prices hurt Canada’a economy. Canadian Business Outlook 2005, fév. 2005. http://www.canadianbusiness.com/outlook/article2.htm 34 L’Impériale, Rapport annuel 2004, p. 19 35 Institut Français du Pétrole, Le point sur les investissements et la déplétion,, 2004, p.4 http://www.ifp.fr/ifp/Search.jsp

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être un secteur à haut taux de réinvestissement. Notre analyse doit donc examiner les investissements des pétrolières depuis 1990. Comment utilisent-elles leurs liquidités ? Dans quelle mesure sont-elles distribuées plutôt que réinvesties ? Quels ont été à long terme leurs programmes d’immobilisations. Que le lecteur juge : chez l’Impériale Esso, on enregistre une diminution nette de 2,7 milliards$ du volume des immobilisations en usage en 2004 par rapport à 1990. Elle a réalisé 12, 1 milliards$ de profits de 1990 à 2004 au Canada, mais elle a distribué 12,5 milliards $ aux actionnaires… Peut-on généraliser? Qu’en est-il des autres majeures? Une enquête plus poussée pourrait examiner les programmes d’immobilisations des pétrolières, mais il faut déterminer si ces acquisitions sont destinées au remplacement, à la mise au niveau des exigences environnementales plutôt qu’à l’augmentation de l’offre. Un indice est présent dans leur faible recours à leur formidable capacité d’endettement fondée sur les profits dont nous avons parlés à la première partie et à leur capacité de générer des liquidités. Le Canada présente un solde net positif au chapitre des exportations de pétrole, la production canadienne est excédentaire par rapport à la demande mais dans ce contexte Nord Américain cela équivaut à un manque de capacité et cela n’influence pas à la baisse les prix offerts par les raffineries canadiennes. a) Désinvestissement des pétrolières au Canada Au cours des 15 dernières années, l’Impériale Esso a réduit le solde de ses immobilisations de 12, 2 G $ à 9,5 G $ une réduction de 2,7 G $ (22%) Le solde de son actif total canadien, a diminué de 1,6 milliards $ en quinze ans (1990-2004), passant de 15,6 milliards $ au 1er janvier 1990 à 14,0 milliards $ au 31 décembre 2004, soit une réduction de 10%. Shell Canada a augmenté le solde de ses immobilisations de 3,9 milliards $, en dollars non indexés, en quinze ans (1990-2004) ; la compagnie a versé au même moment 4,3 milliards$ à ses actionnaires et a remboursé pour 1,1 milliard$ d’emprunts à long terme. Chez Petro-Canada, pour 2002 et 2004, sur des dépenses totales en immobilisations et en frais d’exploitation de 4,7 et de 4,2 milliards$, 2,5 et 2,4 milliards $ furent investis à l’étranger du Canada, soit respectivement 53% en 2002 et 57% en 2004.

Un examen des bilans montre une certaine faiblesse dans les programmes d’immobilisations. Une partie va au maintient des capacités, des mises à niveaux pour satisfaire les exigences environnementales plutôt que pour l’accroissement de l’offre qui serait de nature à stabiliser les prix. Les pétrolières utilisent faiblement leur capacité d’endettement, ainsi l’Impériale pouvait affirmer : «À la fin de 2004, la dette comptait pour 19% dans la structure du capital de la compagnie contre 21% à la fin de 2003 (24% en 2002)36. 36 L’Impériale, Rapport annuel 2004, p. 29

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Tous s’accordent pour dire que le réinvestissement a été insuffisant. La capacité de raffinage a été utilisée à 93% en 2004 et à 90% les trois années précédentes chez l’Impériale37. Voici comment l’Impériale commentait son formidable programme d’immobilisations en matière de raffinage dont la capacité est déjà utilisé à 93% pour ses quatre raffineries au Canada : «Dans le secteur des produits pétroliers, les dépenses en immobilisations ont atteint 283 M$ en 2004, le tiers de celles-ci ayant été engagées dans des projets visant à réduire la teneur en soufre du carburant diesel et donc à réduire les émissions à l’origine du smog38». On n’a pas fini de voir les prix bondir à la moindre tempête ou petit incendie. Il est vrai que le ticket d’entrée est élevé pour ouvrir une nouvelle raffinerie. Mais l’Impériale avait de quoi faire face avec un encaisse de 1,6 milliard$ au 31 décembre 2004 ; les pétrolières n’hésitent pas à vendre leurs comptes débiteurs lorsqu’elles désirent des liquidités. Voici les deux postes les plus liquides de son bilan.

L’Impériale Esso a réalisé au Canada des profits nets de 12,1 milliards$ au cours des 15 dernières années (1990-2004) alors que le total de ses immobilisations investies ici même au Canada a diminué de 2,7 milliards$, passant de 12,2 milliards$ au 1er janvier 1990 à seulement 9,5 milliards$ au 31 décembre 2004, soit une réduction de 22%. Quant à son actif total canadien, il a diminué de 1,6 milliards$ en quinze ans (1990-2004), passant de 15,6 milliards$ au 1er janvier 1990 à 14,0 milliards$ au 31 décembre 2004, soit une réduction de 10% :

37 Ibid., p. 24 38 Ibid., p. 12

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IMPÉRIALE ESSO Évolution de l’investissement et de l’endettement

Période de 15 ans (1990-2004) (En milliards dollars)

Diminution en 15 ans Solde au 1er __janvier 1990__

Solde au 31 décembre 2004 ___en dollars___ _en pourcentage

Immobilisations 12,2$ 9,5$ 2,7$ 22%Actif total 15,6$ 14,0$ 1,6$ 10%Emprunts à long terme 3,9$ 0,4$

3,5$ 90%

Coefficient d’endettement 17,7% 2,6%

--- 85%

Même si elle a réalisé au Canada des profits de 12,1 milliards$, au cours des quinze dernières années (1990-2004), la compagnie Impériale a préféré diriger ses liquidités vers ses actionnaires en leur versant la phénoménale somme de 12,5 milliards$ au cours de cette période de temps. Comme les bénéfices dégagés ne suffisaient pas à couvrir les sommes versées aux actionnaires, la compagnie a tout simplement choisi de désinvestir au pays. Durant ce laps de temps, la compagnie a aussi remboursé pour 3,5 milliards$ d’emprunts à long terme, sa dette à long terme passant de 3,9 milliards$ au 1er janvier 1990 à seulement 400 millions$ au 31 décembre 2004. Pourtant, les économistes néolibéraux et les dirigeants d’entreprises prétendent que les profits servent à investir à des fins productives. L’Impériale Esso a fait tout le contraire et a utilisé ses énormes profits à des fins spéculatives dans le seul but d’améliorer le sort de ses actionnaires et surtout de la compagnie mère américaine Exxon Mobil Corporation. Il est bon de souligner que dans les faits, la diminution des immobilisations et de l’actif total au cours des quinze dernières années est beaucoup plus importante puisque nous n’avons pas indexé en dollars constants de 2004 les données financières de l’année 1990.

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Voici, en résumé, quelques chiffres qui contredisent les prétentions des tenants du capitalisme néolibéral, qu’ils tiennent pour des postulats :

Impériale Esso Portrait global

Période de 15 ans 1990-2004 (En milliards de dollars canadiens)

Profits nets réalisés au Canada 12,1 $

Montants versés à ses actionnaires 12,5 $

Remboursements d’emprunts à long terme 3,5 $

Désinvestissement net au Canada:

Immobilisations 2,7 $

Actif total 1,6 $ Quant à l’autre pétrolière détenue à l’étranger, Shell Canada, les résultats sont moins mauvais mais guère convaincants:

Shell Canada Portrait global

Période de 15 ans 1990-2004 (En milliards de dollars canadiens)

Profits nets réalisés au Canada 7,8 $

Montants versés à ses actionnaires 4,3 $

Remboursements d’emprunts à long terme 1,1 $

Investissement net au Canada:

Immobilisations 3,9 $

Actif total 4,7 $ Alors que ses immobilisations ont augmenté de seulement 3,9 milliards$, en dollars non indexés, en quinze ans (1990-2004), Shell Canada a versé, au même moment, 4,3 milliards$ à ses actionnaires et a remboursé pour 1,1 milliard$ d’emprunts à long terme. Rappelons que le PDG

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de la compagnie s’exprimait ainsi dans sa lettre aux actionnaires du rapport annuel 2004 : «il ne serait pas prudent de s’attendre à ce que les marges et les prix enregistrés en 2004 se maintiennent durablement. C’est la raison pour laquelle le modèle de gestion de Shell reste centré sur la saine gestion des finances, sur une stratégie d’investissement rigoureuse (…)» Il faut savoir lire entre les lignes. Voici le tableau récapitulatif:

Shell Canada Évolution de l’investissement et de l’endettement

Période de 15 ans 1990-2004 (En milliards de dollars)

Solde en 1990

Solde en 2004

Augmentation (diminution) en 15 ans

Immobilisations 4,1 $ 8,0 $ 3,9 $

Actif total 6,2 $ 10,9 $ 4,7 $

Emprunts à long terme 1,1 $ 0,0 $ (1,1) $

Coefficient d’endettement 18,1 % 0,0 % ----- Quant à Petro-Canada, depuis sa privatisation en 1991, une partie importante de l’argent qu’elle a gagné ici est de plus en plus investi à l’étranger comme en fait foi l’achat en 2002 pour 2,2 milliards$ de Veba Oil & Gas, une firme étrangère exploitant des gisements en Algérie, en Lybie et en Tunisie et en 2004 de Prima Energy Corporation, une compagnie des États-Unis ayant ses activités dans les Rocheuses américaines. Par exemple, pour 2002 et 2004, sur des dépenses totales en immobilisations et en frais d’exploitation de 4,7 et de 4,2 milliards$, 2,5 et 2,4 milliards$ furent investis à l’étranger, soit respectivement 53% en 2002 et 57% en 2004. b) Réduction des frais d’exploration réalisés au Canada Ensemble, Shell et l’Impériale Esso ont consacré 36% de leur profit net aux frais d’exploration durant les trois premières années couvertes par notre étude (1990-1992) contre seulement 5 % au cours des trois dernières années (2002-2004). Les années 2000 à 2002 montrent par rapport à la période 1995-1999 et pour les 14 plus importantes compagnies, d’une part un recul des budgets exploration de l’ordre de 30 %, d’autre part une baisse plus que proportionnelle des découvertes en volume, proche de 50%

L’entreprise capitaliste veut réaliser des profits. Cette mission est dans ses gènes, elle est créée uniquement pour ce but et cela devient le devoir de ses administrateurs aux risques de se faire

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poursuivre par les actionnaires. Dans ce cadre, la recherche, l’exploration n’existe que comme activité conduisant aux profits. Les profits colossaux des pétrolières sont-ils une garantie de découvertes? Ce ne sont pas les réserves qui permettent de contrôler les prix mais les capacités de raffinage. Mais il faut admettre que si les pétrolières ne sont pas pressées d’augmenter les capacités de raffinage pour tenir les prix élevés, cela affecte le degré d’empressement à explorer, à découvrir des réserves. Voici ce qu’en disait l’Institut Français du Pétrole : «Il apparaît que les efforts en matière d’exploration devront assurer une contribution majeure au renouvellement des réserves et constituent en cela un enjeu particulièrement important. Or, les années 2000 à 2002 montrent par rapport à la période 1995-1999 et pour les 14 plus importantes compagnies, d’une part un recul des budgets exploration de l’ordre de 30%, d’autre part une baisse plus que proportionnelle des découvertes en volume, proche de 50% si l’on exclut le cas exceptionnel du champ de Kashagan. Cette dernière tendance, certes courte et qui demande à être confirmée, trahit-elle la difficulté des principales compagnies à se positionner sur des actifs pétroliers de court terme ?»39 Face aux problèmes d’approvisionnement mondiaux en pétrole et en gaz, on serait en droit de s’attendre à ce que les pétrolières canadiennes intensifient de beaucoup leurs frais d’exploration en vue de trouver de nouveaux gisements. La demande de pétrole brut a crû de 3 % en 2004, un record faisant pression sur les actifs investis en amont et sur les frais d’exploration. Au contraire, au fil des ans, les deux pétrolières intégrées à contrôle étranger (Esso et Shell) ont choisi de réduire le poids relatif des frais d’exploration, comme le démontre le tableau ci-dessous. Les mesures en pourcentage du profit sont éloquentes. La fonction sociale des profits a changé : on attribue des pourcentages moins élevés de ceux-ci à l’exploration. La vocation de pompe à argent pour les actionnaires prime. Les pétrolières invoquent l’amélioration des technologies d’exploration mais cela n’explique pas tout. Cela s’inscrit dans la tendance des pétrolières à vivre dans un monde où la demande prime sur l’offre et permet les prix élevés. Comme ces frais sont déductibles d’impôts, nous les avons calculés, comme il se doit, nets d’impôts sur le revenu, soit le véritable coût brut pour l’entreprise avant subventions gouvernementales, tel que démontré à la page suivante : 39 Institut Français du Pétrole, Les investissements et la déplétion, Panorama 2004, p. 4

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Évolution des frais d’exploration en % du bénéfice net

Période de 15 ans 1990-2004 (en millions de dollars)

Années Impériale Esso Shell Canada Total

Frais d’exploration

Pourcentage du profit net

Frais d’exploration

Pourcentage du profit net

Frais d’exploration

Pourcentage du profit net

1990-1992 138 $ 23% 173 $ 66% 311 $ 36%1993-1995 95 $ 8% 106 $ 12% 201 $ 10%1996-1998 76 $ 3% 128 $ 8% 204 $ 5%1999-2001 67 $ 2% 118 $ 5% 185 $ 3%2002-2004 99 $ 2% 295 $ 11% 394 $ 5%Total des 15 dernières années

475 $ 4% 820 $ 10%

1 295$ 6%

Nous pouvons remarquer la baisse drastique du pourcentage du profit net consacré, au fil des ans, aux frais d’exploration, passant de 23 % pour les trois années 1990-1992 à seulement 2% pour les trois années 2002-2004 dans le cas de l’Impériale Esso et de 66 % à 11 % pour les mêmes années en ce qui concerne Shell Canada. Encore une fois, les chiffres parlent d’eux-mêmes. Ensemble, Shell et l’Impériale Esso ont consacré 36% de leur profit net aux frais d’exploration durant les trois premières années couvertes par notre étude (1990-1992) contre seulement 5% au cours des trois dernières années (2002-2004). Dans les faits, la baisse réelle des frais d’exploration en chiffres absolus est beaucoup plus importante puisque nous n’avons pas indexé nos chiffres des premières années afin de tenir compte de l’inflation. De plus, nous n’avons pas déduit des frais d’exploration engagés par ces firmes, les généreuses subventions gouvernementales, fédérales et provinciales, accordées au titre de la recherche et de l’exploration. Qu’à cela ne tienne, Impériale Esso a consacré au cours des quinze dernières années (1990-2004) un gros 4% de ses immenses profits à l’exploration, compte non tenu des subventions gouvernementales qui ramèneraient ce pourcentage à environ 2% seulement. Quant à Shell, elle a investi 10% de ses bénéfices en frais d’exploration, en excluant l’aide gouvernementale, au cours de la même période et les deux compagnies ensemble, il demeure un maigre 6% de 1990 à 2004. Bien évidemment, les pétrolières canadiennes, incluant Petro-Canada, n’ont construit aucune nouvelle raffinerie au cours des quinze dernières années. Bien au contraire, elles en ont fermé plusieurs. Une autre vérification empirique qui invalide le postulat capitaliste voulant que plus l’entreprise réalise de gros profits en satisfaisant la demande, plus elle investira (en immobilisations et en exploration) pour satisfaire cette demande en croissance avant que ses concurrents ne prennent les devants.

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Pour Petro-Canada, les résultats sont meilleurs comparativement aux deux autres compagnies, comme le laisse voir le tableau qui suit :

Petro-Canada Évolution des frais d’exploration en % du bénéfice net

Période de 15 ans 1990-2004 En millions de dollars canadiens

Années

Frais d’exploration totaux

Frais d’exploration réalisés à l’étranger

Pourcentage des frais d’exploration sur le bénéfice net

Totaux Au Canada 1990-1992 137 $ - - -1993-1995 55 $ - 9% 9%1996-1998 107 $ - 17% 17%1999-2001 307 $ 62 $ 15% 12%2002-2004 439 $ 112 $ 10% 7%Total des 15 dernières années 1 045 $ 174 $

14% 12%

On constate que les frais d’exploration effectués à l’étranger par Petro-Canada augmentent continuellement et que, comme les deux autres pétrolières à contrôle étranger, le pourcentage du bénéfice net consacré à l’exploration a diminué significativement depuis 1995. c) Baisse de l’emploi au Canada Hausse de 585 % des profits depuis 15 ans mais baisse de 54% de l’emploi. Le nombre d’emplois au Canada des trois pétrolières intégrées a diminué de 54%, passant de 32 162 en 1990 à seulement 14 874 en 2004.

Les bénéfices nets réalisés au Canada pour les trois pétrolières sont passés de 741 millions$ en 1990 à 5,1 milliards$ en 2004, pour une augmentation de 4,3 milliards$, soit 585% en 15 ans. Pendant cette période de forte croissance des bénéfices, le nombre d’emplois des trois pétrolières intégrées a, quant à lui, diminué de 54%, passant de 32 162 en 1990 à seulement 14 874 en 2004. Cette perte de 17 288 emplois au Canada s’est faite sans que les contribuables et les consommateurs canadiens en soient réellement informés. Pourtant le slogan le plus éculé du libre marché est que la croissance des profits est nécessaire pour assurer la création d’emplois et améliorer le bien-être de l’ensemble de la collectivité. Nous sommes ici en présence d’un exemple empirique probant qui démontre exactement le contraire, puisque la croissance des profits de 585% a été réalisé en partie en réduisant de 54% le nombre de travailleurs. Afin de verser des milliards de dollars aux actionnaires canadiens et surtout étrangers, il a bien fallu rationaliser les emplois au Canada, laissant à l’État la responsabilité de s’occuper de ces nouveaux chômeurs.

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IMPÉRIALE ESSO, SHELL CANADA, PETRO-CANADA ÉVOLUTION DU NOMBRE D’EMPLOYÉS

Période de 15 ans 1990-2004 IMPÉRIALE ESSO SHELL CANADA PETRO-CANADA TOTAL

Nombre d’employés

Profit net en millions

Nombre d’employés

Profit net en millions

Nombre d’employés

Profit net en millions

Nombre d’employés

Profit net en millions

1990 15 248 256 $ 7 108 309 $ 9 806 176 $ 32 162 741 $2004 6 083 2 033 $ 4 003 1 286 $ 4 788 1 757 $ 14 874 5 076 $Augmentation (diminution) en 15 ans

(9 165)

1 777 $ (3 105) 977 $ (5 018)

1581 $ (17 288) 4 335 $Augmentation (diminution) en pourcentage

(60 %)

694 % (44 %) 316 % (51 %)

898 % (54 %) 585 % En fait, les réductions du nombre d’emplois au Canada pour Petro-Canada, et par conséquent pour les trois pétrolières prisent dans leur ensemble, furent beaucoup plus importantes, puisqu’en 2002 Petro-Canada a acquis pour 2,2 milliards $, la compagnie Veba Oil & Gas qui opère principalement en Afrique du Nord, et en 2004 Prima Energy Corporation pour 644 millions $, une firme américaine. Ces acquisitions ont augmenté le nombre total d’employés de Petro-Canada sans création de postes puisqu’il s’agissait d’emplois existants. De plus, ces «nouveaux» emplois se trouvent à l’extérieur du Canada.

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IV. CONCENTRATION DE LA PROPRIÉTÉ : LES PÉTROLIÈRES TYPIQUES DU MOUVEMENT DE CONCENTRATION DE LA PROPRIÉTÉ Des comportements dommageables pour les consommateurs, les autres secteurs d’activités et la société en général, sont causés par la concentration, l’absence de véritable concurrence et la collusion implicite pour réduire l’offre et les stocks disponibles. Ayant constaté le niveau très élevé de profits à la première partie, ayant documenté un manque à investir qui creuse l’écart entre l’offre et la demande pour soutenir des prix élevés à la deuxième partie, l’analyse socio-économique du secteur doit s’appliquer à corréler ces phénomènes avec le degré de concentration dans la propriété des entreprises du domaine. La collusion implicite, l’imitation dans les prix est d’autant plus facile à réaliser que le nombre de firmes est limité. Sur le territoire américain, les 15 plus importantes firmes contrôlent à elles seules 79,3 % de la production, il y a de quoi inquiéter les consommateurs40. Lorsque le marché est partagé entre quelques grandes firmes, chacune est en mesure de répondre aux baisses de prix ou au refus d’une d’entre elles de suivre les hausses. Les oligopoleurs préfèrent donc agir de concert, ne pas déclencher de baisses de prix et entériner les hausses tant que le consommateur piégé par l’automobile peut suivre, pour maximiser les profits conjoints. La Sous-commission permanente d’enquête du Sénat américain pouvait affirmer en 2002 que la concurrence s’estompait sur le territoire américain pour faire place à un système plus concentré qui pénalisait les consommateurs : « In 1981, 189 firms owned a total of 324 refineries; by 2001, 65 firms owned a total of 155 refineries, a decrease of about 65 percent in the number of firms and a decrease of about 52 percent in the number of refineries. During this period the market share of the ten largest refiners increased from 55 percent to 62 percent»41. Qu’en est-il de la concentration au Canada ? Le Conference Board affirmait en 2000 que le comportement était semblable à celui de l’industrie américaine. Le nombre de raffineries productrices a chuté de 40 à 18, tandis que le nombre de points de vente au détail a diminué de 40 p. 10042». Avons-nous encore une masse critique d’indépendants ayant suffisamment de part du marché pour influencer le prix ? «En fait, la concurrence que pouvaient se livrer les raffineries canadiennes a été éliminée depuis plus de 10 ans alors que la notion de coût de substitution a été adoptée par l’ensemble des raffineurs ; c’est donc cette notion qui détermine les prix aux rampes de chargement43». Les grands raffineurs doivent donc tenir compte des prix auxquels ont accès les importateurs indépendants. L’absence d’une masse critique d’indépendants laisserait les mains libres aux grosses raffineries. Dès que la concurrence est présente, les prix baissent.

40 Association Québécoise des Indépendants du Pétrole, Maintenir la concurrence et protéger les consommateurs, document d’analyse sur le fonctionnement du marché pétrolier, Janvier 2005, p. 19. 41 United States Senate, op. cit., p. 4 42 Le Conference Board du Canada, Les quinze derniers pieds à la pompe, L’industrie de l’essence au Canada en 2000, Janvier 2001, p. 1 43 Association Québécoise des Indépendants du Pétrole, op. cit., p 16. Le prix à la rampe est le prix de vente de l’essence en gros affiché au dépôt, aux citernes d’essence.

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1) Profits attribuables au manque de capacité L’Institut Français du pétrole regrette le manque de capacités excédentaires à l’échelle mondiale nécessaires pour modérer les prix. Les raffineries continuent d’être poussées à leurs limites par la demande croissante de produits raffinés : les ventes ont augmenté de 4% en 2004. Les marges de raffinage se sont encore améliorées en 2004, surtout en raison de blocages dans l’industrie nord-américaine du raffinage.

L’Institut Français du pétrole regrette le manque de capacités excédentaires à l’échelle mondiale nécessaires pour modérer les prix. «Les perspectives de développement des capacités de production des pays de l'OPEP et de raffinage mondiales restent insuffisantes pour restaurer le niveau de capacités excédentaires qui ont caractérisé les années 80 et 90. Sauf récession économique mondiale majeure, les surcapacités qui ont contribué à la stabilité et à la modération des prix ont définitivement disparu aussi longtemps qu'il n'y aura pas les investissements nécessaires 44». Les pétrolières avouent aussi ouvertement dans leur rapport annuel que l’insuffisance de la capacité de raffinage fait augmenter leur marge : «Dans le secteur d’aval canadien, les ventes de produits pétroliers raffinés ont augmenté d’environ 4%, comparativement à 4,8% en 2003. Les marges de raffinage se sont encore améliorées en 2004, surtout en raison de blocages dans l’industrie nord-américaine du raffinage. Les raffineries continuent d’être poussées à leurs limites en raison de la combinaison de deux facteurs : d’une part, la demande croissante de produits raffinés et, d’autre part, les spécifications de produits de plus en plus rigoureuses imposées à l’industrie (…) 45». L’Impériale Esso, en 2004, dans son rapport annuel, fait état d’une capacité de raffinage utilisée à 93 % (p. 24) :

44 Institut Français du Pétrole, Niveaux records des prix du pétrole : l'analyse de l'IFP, 30 mars 2005, p. 2 45 Petro-Canada Rapport de gestion 2004, p. 3

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2) La prudence excessive des oligopoleurs et la timidité dans le réinvestissement malgré les hausses des prix, de la demande et la confirmation des réserves

Les oligopoleurs craignent d’investir pour des hausses passagères de leur demande que créerait une guerre des prix car chacun est en mesure de riposter. Elle adoptent une attitude attentiste en matière d’investissement : elles craignent que les prix ne se maintiennent pas. Pourtant les pétrolières ont confiance en la hausse de la demande, et plusieurs économistes pensent que la pression sur les prix est là pour rester avec la demande croissante de la Chine et de l’Inde. Question quantité, elles sont optimistes quant aux réserves. Les pétrolières ont inclus dans leur exigence de rendement des points pour le risque de la réglementation.

a) Attitude attentiste face aux prix La hausse des prix de vente couplée à une demande en progression aurait dû provoquer une hausse de la capacité de production. Les pétrolières attendent de voir si les prix vont se maintenir avant d’investir. Le PDG de l’Impériale exprimait cette attitude de prudence excessive : «Si l’on se tourne vers l’avenir, du fait de la nature cyclique de notre secteur d’activités, qui dépend fortement du jeu de l’offre et de la demande, il ne serait pas prudent de s’attendre à ce que les marges et les prix enregistrés en 2004 se maintiennent durablement. C’est la raison pour laquelle le modèle de gestion de l’Impériale reste centré sur la saine gestion des finances, sur une stratégie d’investissement rigoureuse et sur l’amélioration des éléments sur lesquels nous pouvons agir46». Le même rapport annuel nous annonçait à la page 10 que la capacité de raffinage de ces quatre raffineries avait été utilisée à 93% en 2004 et à 90% les trois années précédentes. Plusieurs économistes considèrent que l’investissement des pétrolières retarde par rapport aux hausses actuelles et prévues de la demande. Cela est d’autant plus incompréhensible que les prix sont élevés depuis longtemps et que la pression sur les prix est là pour rester avec la demande croissante de la Chine et de l’Inde47. L’écart se creuse entre l’offre et la demande en Amérique du Nord, le marché est dominé par la demande à cause d’une hausse de la consommation américaine mais aussi à cause du manque à investir de la part des pétrolières majeures. Les capacités de raffinage sont déficitaires : il semble qu’il y ait aussi collusion sur les quantités à produire afin de hausser les prix. Il serait surprenant que ces manques de capacité soient fondés sur une anticipation de la baisse de la demande. Les progrès technologiques ont réduit les coûts d’exploration, de forage, de récupération : normalement il y aurait dû y avoir une baisse de prix en faveur des consommateurs. 46 L’impériale Rapport annuel 2004, Lettre aux actionnaires du PDG Tim J. Hearn p. 3 47 Tal Benjamin, How high oil prices hurt Canada’a economy. Canadian Business Outlook 2005, fév. 2005. http://www.canadianbusiness.com/outlook/article2.htm

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b) Le risque de la réglementation Curieusement les pétrolières ont inclus dans leur exigence de rendement des points pour le risque de la réglementation : «Cet accroissement de la production n’est toutefois pas sans risque, notamment aux chapitres de l’exécution des projets, de l’interruption des activités d’exploitation, du rendement des gisements et des changements apportés à la réglementation48». c) La peur de la guerre de prix Au Québec, le marché de la distribution de l’essence au détail est contrôlé à quelque 75% par les quatre pétrolières suivantes: Impériale Esso, Shell, Petro-Canada et Ultramar. Cela correspond assez bien à la définition d’un oligopole. Lorsque le marché est partagé entre quelques grandes firmes, chacune est en mesure de riposter aux baisses de prix ou au refus d’une d’entre elles de suivre les hausses. De plus, chez les pétrolières, les produits sont indifférenciés. Ces oligopoleurs préfèrent donc agir de concert, ne pas déclencher de baisses de prix et entériner les hausses tant que le consommateur peut suivre, pour maximiser les profits conjoints. En un sens, c’est pire qu’un monopole : les collusions instaurent une situation s’apparentant à la présence d’un monopoleur sauf que l’État peut plus facilement intervenir dans une situation clairement monopolistique. Les procès anti-collusion échouent faute de preuves, les accords sont tacites. Les pétrolières majeures évitent les guerres de prix car cela suppose qu’une firme pourrait absorber une hausse de clientèle via une capacité de raffinage inutilisée. Ce serait risqué d’augmenter sa capacité de raffinage pour une clientèle qui peut être reprise par un autre oligopoleur ripostant par une réduction des prix. 48 L’impériale, Rapport annuel 2004, p. 26

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d) Hausse de la demande Les pétrolières parsèment leurs rapports annuels d’énoncés de leur foi en la hausse de la demande. Le tableau suivant montre qu’une grande pétrolière comme L’Impériale croit dans la hausse de la demande :

e) La confirmation des réserves Pourtant les réserves sont immenses et la demande est présente : l’Agence internationale de l’énergie (AIE) déclare que le pétrole et le gaz comptent pour environ 60 % de toute l’énergie consommée dans le monde et que, étant donné la croissance prévue de la demande, la situation ne devrait guère se modifier au cours des prochaines décennies. Voici comment l’Impériale s’exprime sur les ressources qu’elle contrôle : «Les ressources diversifiées de la compagnie en pétrole et en gaz au Canada, parmi les plus considérables du pays, dépassent les 13 milliards de barils d’équivalent pétrole, et nous avons accès à de l’expertise de pointe en recherche, en technologie et en réalisation de projets49».

49 L’Impériale, Rapport annuel 2004 , p.3 L’évaluation des réserves prouvées répond aux exigences des autorités du marché boursier, comme cette directive controversée de la Securities and Exchange Commission des États-Unis, qui exige une déclaration des réserves en se fondant sur les prix et les coûts du dernier jour de l’exercice.

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La divulgation de réserves prouvées fait l’objet d’une divulgation contrôlée qui répond aux exigences des autorités du marché boursier. Les réserves prouvées sont celles des gisements dont la mise en production a fait l’objet d’un plan d’investissement approuvé. C’est pourquoi le graphique traite de réserves non prouvées, cela ne veut pas dire qu’elles n’ont pas été repérées et évaluées. 3) La trop grande retenue gouvernementale devant les ruses de la concentration de la propriété… Les oligopoleurs maximisent conjointement leurs profits au moyen d’accords implicites ne laissant pas de preuves de collusion que pourraient repérer les organismes enquêteurs. Les organismes de contrôle marchant sur des œufs ont conclu au libre fonctionnement du marché dans la détermination des prix.

Les organismes de contrôle font preuve de beaucoup trop de retenue. Les consommateurs, fortement préoccupés par la volatilité des prix et la symétrie de la réaction des pétrolières dans les hausses et les baisses dans le prix de détail pour une région donnée, ainsi que les exploitants indépendants de postes d’essences condamnés à opérer à faibles marges malgré les hauts

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rendements des pétrolières, ont logé des plaintes auprès du Bureau de la concurrence50 et auprès de la Régie de l’énergie51. Ces organismes ont conclu au libre fonctionnement du marché dans la détermination des prix52. Certaines interventions ad hoc comme celle de la Commission de l'économie et du travail se sont montrées plus sensibles à la position des détaillants indépendants allant jusqu’à réclamer une législation de type « divorcement » qui défendrait aux raffineurs de vendre de l’essence aux consommateurs par le truchement de stations-service exploitées par leurs propres employés ou par des gestionnaires sous contrat.53 Évidemment, les oligopoleurs maximisent conjointement leurs profits au moyen d’accords implicites ne laissant pas de preuves de collusion que pourraient repérer les organismes de contrôle, comme celui du Bureau de la concurrence. Ceux-ci marchent donc sur des œufs quand vient le temps de conclure fermement à une collusion et entreprendre des poursuites. Sans parler des think thank payés pour désamorcer la colère des consommateurs, comme celui du Conference Board et du Fraser Institute. Aux États-Unis, la Federal Trade Commission surveille les pétrolières54. Les pétrolières ont toujours craint l’intervention de l’État tout en comptant sur lui. Elles ont tenté de contrôler les gouvernements : un classique en 1952, l’élection d’Eisenhower fut la victoire des grandes sociétés et «les estimations du coût de la campagne électorale s’élevaient jusqu’à cent millions de dollars, dont à eux seuls les intérêts pétroliers auraient fourni la moitié, et cela exclusivement en faveur d’Eisenhower55». Est-il nécessaire de souligner que la politique étrangère actuelle des États-Unis est déterminée en bonne partie par les pétrolières, par l’argent du pétrole? La montée du néolibéralisme américain, son idéologie de l’État minimal couplé à la présence d’un bataillon de lobbyistes, la présence parmi les membres du gouvernement d’anciens administrateurs de pétrolières et de personnes qui ont des intérêts dans le pétrole fait que le gouvernement américain intervient agressivement pour défendre les intérêts des pétrolières. Au cours des quinze dernières années, nous avons assisté à une forte concentration de l’industrie pétrolière intégrée mondiale par voie de fusions et d’acquisitions, ce qui a augmenté la mainmise

50 Roseman Frank, Les effets de l’instabilité récente des marchés internationaux du pétrole sur les prix de gros et sur les prix de détail au Canada, Rapport préparé pour le Bureau de la concurrence, Mars 2005. http://www.competitionbureau.gc.ca/internet/index.cfm?itemID=185&lg=f 51 Régie de l’énergie, «Analyse des impacts de l’exercice des pouvoirs de la Régie de l’énergie sur les prix et les pratiques commerciales dans la vente au détail d’essence ou de carburant diesel,» Juin 2004, Rapport au Ministre des Ressources naturelles de la Faune et des Parcs du Québec. http://www.regieenergie.qc.ca/documents/autres/rapport169_Juin2004.pdf

52 Pour le Bureau de la Concurrence. «Le Bureau de la concurrence termine son examen des plaintes relatives aux prix élevés de l’essence». OTTAWA, 31 mars 2005 http://www.competitionbureau.gc.ca/internet/index.cfm?itemID=181&lg=f

53Commission de l'économie et du travail, «Mandat d'initiative portant sur la problématique des fluctuations du prix de l'essence et leur impact sur l'économie québécoise» Rapport final Juin 2002 http://www.assnat.qc.ca/fra/publications 54 Federal Trade Commission The Petroleum Industry : Mergers, Structural Change, and Antitrust Enforcement, Août 2004. 55 O’Connor, Harvey, L’empire du pétrole, Éditions du Seuil, Collection Esprit, p. 124.

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de ces «majeures» à travers le monde et a accru les risques de domination économique. Pensons aux fusions d’Exxon et de Mobil, de BP avec Amoco et avec Atlantic Ritchfield, de Chevron avec Texaco et Unocal, de Phillips avec Conoco, de Total avec Elf et avec Petrofina, etc. Un aperçu de la concentration est possible si l’on pense que l’Impériale Esso disposait en 2003 de 26% de la capacité totale de raffinage au Canada. Seul l’État peut rétablir le rapport de force des consommateurs atomisés face à un tel pouvoir économique. 4) Barrière à l’entrée, guerre aux indépendants, réduction du nombre de stations-service La barrière à l’entrée semble importante pour les indépendants dans le domaine du forage et du raffinage. La structure oligopolistique est née de l’érection ce cette barrière à l’entrée des indépendants dans l’exploration et le raffinage. Le ticket d’entrée dans le raffinage est un milliard de dollars alors que l’exploitation normale des trois pétrolières majeures canadiennes a généré pour 59,6 milliards$ de liquidités au cours des quinze dernières années (1990-2004) dont 9,9 milliards$ au cours des deux dernières années. L’Impériale seule avait pour 1 279 millions$ en encaisse à la fin de 2004. a) Les majeures intégrées verticalement peuvent éliminer les indépendants du secteur du détail La marge de commercialisation du détaillant bouge peu et se situe généralement entre 4 à 6¢ par litre. L’Impériale Esso affirmait pour 2004 : la progression du bénéfice s’explique avant tout par l’élargissement des marges de raffinage à l’échelle internationale, annulée en partie par la contraction des marges de commercialisation des carburants.

Le consommateur ne peut véritablement « magasiner » ce bien essentiel qu’est l’essence que dans un contexte normal de compétition juste et saine. Le nombre limité d’acteurs, leur taille, leur intégration verticale et leur comportement coordonné dans les variations de prix donnent la nette impression que le marché est totalement dominé par quelques compagnies. La marge de commercialisation du détaillant bouge peu et se situe généralement entre 4 à 6¢ par litre. Dans son rapport annuel l’Impériale Esso indiquait : «Dans le secteur du raffinage, les marges ont été plus élevées en 2004 qu’en 2003, les prix de gros sur le marché international ayant augmenté davantage que le coût des matières premières. (…). Les marges sur la vente au détail des carburants ont diminué en 2004 par suite de la vive concurrence qui s’est exercée sur le marché56.» Il faut savoir lire entre les lignes ; les marges réalisées sur le brut et le raffinage permettent une guerre de prix aux indépendants dans le secteur de la vente au détail. Le Conference Board n’hésite pas à l’affirmer «À notre avis, il existe une certaine forme d’interfinancement entre les diverses activités de l’industrie de l’essence. Toutefois,

56 L’Impériale Esso rapport annuel 2004, p. 25

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l’interfinancement des activités n’est ni illégal ni inhabituel en tant que pratique commerciale dans l’économie canadienne»57. Confiante en elle-même à cause de cet interfinancement, l’Impériale Esso pouvait affirmer : «L’Impériale s’est engagée à avoir les coûts unitaires les plus bas dans tous ses principaux secteurs d’activité. Le secteur de la vente d’essence au détail y est arrivé dès 2002 et a maintenu sa position en 200458». Mais, l’intégration verticale des activités des majeures fait que les marges importantes au niveau de la vente de brut et du raffinage peuvent permettre d’éliminer les indépendants qui ne sont présents que dans la distribution au détail. Les consommateurs, comme ces propriétaires des quelques 237 millions de véhicules aux États-Unis risqueraient d’être captifs des majeures qui maintiennent des postes à grand débit mais moins nombreux, plus dispersés sur le territoire, absents des petites localités. Au Québec, le prix minimum de référence de l'essence, établi par la Régie de l'énergie, pour la région de la Capitale-Nationale est composé de plusieurs éléments. La marge était de 8,7 ¢ le litre pour couvrir les profits et les coûts d’exploitation. L’exemple suivant était disponible : le prix de l'essence ordinaire en cents par litre (¢/litre) observé dans la semaine du 24 février 2003 dans la région de la Capitale-Nationale se détaille ainsi :

¢/litre

Prix de gros minimum de l'essence à la sortie de la raffinerie ou des terminaux 42,90

Coût moyen de transport de la raffinerie ou du terminal jusqu'à l'essencerie : 0,35

Taxe d'accise fédérale : 10,00 Taxe fixe sur les carburants du Québec : 15,20 Sous-total : 68,45 TPS (7 %) : 4,79 TVQ (7,5 %) 5,49

Prix minimum de référence : 78,74 Prix moyen observé à la pompe : 87,50

Écart (marge de commercialisation du détaillant et du distributeur incluant les coûts d'exploitation) 8,76

Comme on peut le constater, ce sont les activités des grandes pétrolières dans le marché du

57 Le Conference Board du Canada, Les quinze derniers pieds à la pompe, L’industrie de l’essence au Canada en 2000, Janvier 2001, p. 62 58 L’impérale Esso Rapport annuel 2004, p. 11-12

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pétrole brut et le raffinage qui provoquent les augmentations qui frappent les consommateurs et entraînent les profits records qu’annoncent à l’unisson les multinationales du pétrole. Voici comment L’Impériale Esso parlait de ses marges de 2004 59 : Produits pétroliers «Le bénéfice net tiré des produits pétroliers a atteint le sommet de 500 M$ (1,6 cent le litre) en 2004 contre 407 M$ (1,3 cent le litre) en 2003 (127 M$ ou 0,4 cent le litre en 2002). La progression du bénéfice s’explique avant tout par l’élargissement des marges de raffinage à l’échelle internationale, annulée en partie par la contraction des marges de commercialisation des carburants et l’incidence négative de la montée du dollar canadien. Les ventes de produits pétroliers ont augmenté, en raison notamment de la demande industrielle accrue. » b) La fermeture de stations-service au Canada En 1995, l’Impériale Esso détenait 750 stations au Québec contre seulement 506 au mois de juin 2002, soit une diminution de 244 stations en six ans et demi ou de 33%. Une réduction de 1 638 à 1 258 stations (25 %) au cours des sept dernières années (1997-2004), soit une baisse de 380 stations ou de 25% du nombre de stations service exploitées par des propriétaires indépendants franchisés d’Esso. Les trois pétrolières ont fermé 6640 stations-service au cours des quinze dernières années au Canada. Impériale Esso a été la championne en fermant 61% de ses stations et l’ancienne société d’État Petro-Canada est entrée allègrement dans le bal du cartel pétrolier, abandonnant 57% de ses points de vente au détail de 1990 à 2004.

Au niveau de la distribution au détail la présence d’indépendants est précaire, la fermeture des stations-service est en cours en faveur de stations de grosses capacités plus dispersées sur le territoire au détriment des régions : les majeures sont à la fois présentes dans l’exploration, la production, le raffinage et la distribution de l’essence et elles peuvent mener des guerres de prix dans le secteur du détail en s’appuyant sur les marges réalisées en amont. Au Québec, le marché de la distribution de l’essence au détail est contrôlé à quelque 75% par les quatre pétrolières suivantes: Impériale Esso, Shell, Petro-Canada et Ultramar. C’est exactement ça que l’on désigne en économie par le vocable d’oligopole. Nous avons souligné déjà que L’impériale exploitait 1 978 stations-service Esso au Canada en 2004. Rappelons que son avoir des actionnaires qui totalisait 6,8 milliards$ au 1er janvier 1990 est rendu à 6,6 milliards $ au 31 décembre 2004 suite à 12,1 milliards$ de profits en 15 ans mais 12,5 $ en dividendes et rachats d’actions… La majorité des stations, propriété de la compagnie, offre aux clients une gamme de services comprenant un dépanneur pour faire tous leurs achats, un lave-auto et un comptoir Tim Hortons. L’Impériale possède le principal réseau de lave-autos. Les grands peuvent se permettre des programmes de fidélisation : comme celui de l’Impériale Esso Extra bonifié en 2004 avec

59 L’Impériale Esso, Rapport annuel 2004, p. 16

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l’ajout du programme Aéroplan – les clients peuvent désormais accumuler des milles Aéroplan ou des points Esso Extra60. Qu’arriverait-il aux régions si les majeures réussissaient à implanter leur stratégie de grosses stations-service dispersées, accompagnées de dépanneurs, et évidemment absentes des plus petites localités? Allant de pair avec le désinvestissement, les frais d’exploration réduits et les pertes d’emplois, les trois compagnies pétrolières intégrées ont réduit considérablement le nombre de stations- service qu’elles exploitaient au Canada au cours des quinze dernières années, comme le démontre très bien le tableau qui suit:

Diminution du nombre de nombre de stations-service Période 1990-2004

Années Petro-Canada Impériale Esso Shell Canada Total

1990 3 205 5 100 3 450 11 755

2004 1 375 1 978 1 762 5 115

Diminution en 15 ans (1 830) (3 122) (1 688) (6 640)

Diminution en pourcentage (57) % (61) % (49) % (57) % Imaginez, les trois pétrolières ont fermé 6640 stations-service au cours des quinze dernières années. Impériale Esso a été la championne en fermant 61% de ses stations et l’ancienne société d’État Petro-Canada est entrée allègrement dans le bal du cartel pétrolier, abandonnant 57% de ses points de vente au détail. Fermeture de raffineries et de stations, et réduction de la production de pétrole brut, puis on essaie de nous faire croire en l’existence d’une industrie férocement concurrentielle qui en aucun cas cogite pour réduire volontairement l’offre. Les compagnies étudiées ont aussi pour objectif d’éliminer les stations exploitées par leurs propres détaillants propriétaires afin d’accroître leur contrôle sur tout et en particulier sur les prix. Au cours des sept dernières années (1997-2004), l’Impériale Esso a passé de 1 638 à 1 258 stations, soit une baisse de 380 stations ou de 25% le nombre de stations-service exploitées par des propriétaires indépendants franchisés. Il faut même éliminer la concurrence qui peut venir de leurs propres franchisés. C’est beaucoup mieux avec des stations corporatives. Cette stratégie de rationalisation affecte également le Québec et plus particulièrement les régions et les consommateurs de ces régions. Par exemple, en 1995, Esso détenait 750 stations au Québec contre seulement 506 au mois de juin 2002, soit une diminution de 244 stations en six

60 Idem.

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ans et demi ou de 33%. Peut-on tolérer que l’on sacrifie à la fois les emplois et la disponibilité des produits pour les consommateurs dans le seul but d’enrichir quelques gros actionnaires? Ces pétrolières, tout comme les banques, évoluent dans un contexte d’oligopole puisqu’il n’y a pas de concurrence véritable. Elles peuvent donc réduire à leur guise le nombre de points de vente au détail, tout en augmentant considérablement leur profit. Les consommateurs sont donc contraints de subir une réduction de la disponibilité de l’offre au détail accompagné d’une hausse des tarifs et des prix. Ceci va à l’encontre de la théorie du libre marché voulant que l’augmentation des profits entraîne une augmentation de la concurrence par la présence accrue de compétiteurs dans l’industrie en question. 4) Danger des pouvoirs accordés par le libre-échange Joseph Stiglitz, qui a été économiste en chef de la Banque Mondiale note que l’économie mondiale est en train de se transformer en faveur du profit des grandes entreprises61. Il rappelle les dangers créés par la signature de l’Aléna appuyé sur le dogme de la libre circulation. Cet accord comporte son propre cadre juridique transcendant ceux des pays participants et dans lequel seuls les droits des investisseurs sont considérés. Il en résulte un modèle d’économie internationale où les compagnies prédominent sur les États. Les gouvernements ne sont plus en mesure de protéger leurs citoyens. Ils ne peuvent plus refuser l’accès à des entreprises étrangères qui polluent sans devoir les compenser pour perte de profit, serait-ce même le refus de recevoir un dépotoir de produits toxiques62. Capitulant sans condition, Ottawa qui refusait le MMT, un additif à l’essence, sur son territoire, a payé 19 millions $ à Ethyl Corp. pour perte de profits. «Les grandes compagnies étrangères n’ont qu’à démontrer qu’elles auraient pu faire beaucoup plus d’argent si les gouvernements n’avaient pas dressé des obstacles sur leur route, comme des décrets relatifs au zonage ou des lois sur la protection de l’environnement63. » Ces lois briment l’intérêt collectif au bénéfice de l’intérêt particulier. La Commission des droits de l’homme de l’ONU n’a aucun moyen de faire appliquer ses décisions, mais une multinationale étrangère peut obtenir promptement des millions de dollars du tribunal de l’Alena pour perte de profits quand une municipalité lui refuse d’ouvrir un dépotoir de produits dangereux. Cela témoigne d’une société où le droit au profit prévaut sur les droits collectifs. Par exemple, le gouvernement américain qui défend avec forces ses multinationales pétrolières refuse l’adhésion au protocole de Kyoto et à l’Organisation internationale du Travail… Pourrait-on y échapper, rétablir le pouvoir de l’État par la nationalisation du pétrole ? Le jour est proche où les programmes gouvernementaux dans la santé, l’éducation, les postes, etc. seront vus comme des monopoles coupables d’entraves aux profits des compagnies étrangères. Face à

61 McQUAIG, Linda, Le grand banquet, la suprématie de la cupidité et de l’appât du gain, Écosociété, 2003. L’auteure est chroniqueure au Toronto Star. 62 Ibid., Chapitre 2. 63 Ibid., p. 81

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Postes Canada, «UPS a jeté à la face du Canada une poursuite de 230 millions de dollars en dommages et intérêts pour son manque à gagner dans les messageries64». Évidemment, les compagnies laissées à elles-mêmes ne répondront qu’à la demande solvable : un service postal privé, se bornerait aux grandes villes, les compagnies du domaine de la santé ne traiteront que les maladies rentables, leurs programmes d’éducation ne s’adresseront qu’aux riches. Quant aux pays pauvres, le FMI et l’OMC se chargent déjà de les obliger à restructurer «leurs institutions et leurs lois afin qu’ils puissent fournir un terreau fertile où pourront prospérer les investissements des compagnies étrangères65». Dans la crise du sud-est asiatique, Stiglitz démontre comment les pays riches ont forcé les pays asiatiques à ouvrir leurs frontières aux capitaux occidentaux, ont arrosé leurs banques de capitaux spéculatifs pour ensuite faire payer aux peuples déjà démunis la déconfiture de ces banques au nom de la préservation du système financier international.

64 Ibid., p. 89 65 Ibid., p. 97

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VI. LES PÉTROLIÈRES COMME CONTRIBUABLES, COMME CITOYENS Les pétrolières peuvent, par le biais de prix de cession interne ou de prix de transferts entre divisions et filiales d’ici et d’ailleurs, jouer à leur guise avec les prix de détail de l’essence et leurs impôts à payer.

Nous dirons un mot sur les pétrolières en tant que contribuables et citoyens. Le fait qu’elles soient des sociétés multinationales leur permet d’esquiver l’impôt via les prix de cession interne. Leurs rapports annuels font état d’un mécénat qui apparaît comme un «blanchiment éthique» de leur comportement et un marketing à bon compte. 1) Transactions inter-compagnies Nous avons vu qu’une particularité de l’industrie pétrolière est que les plus grandes pétrolières mondiales et canadiennes sont totalement intégrées verticalement. Elles sont à la fois présentes dans l’exploration, la production, le raffinage et la distribution de l’essence. Elles peuvent donc, par le biais de prix de cession interne ou de prix de transfert entre divisions et filiales d’ici et d’ailleurs, jouer à leur guise avec les prix de détail de l’essence et leurs impôts à payer et, transférer les profits et les impôts d’une division et d’un pays à l’autre. Lors de l’analyse des états financiers des trois compagnies faisant l’objet de notre étude, nous ne pouvons pas ignorer les transactions entre les compagnies appartenant à un même groupe (compagnies apparentées). Impériale Esso et Shell Canada sont les deux seules entités qui mentionnent par voie de note aux états financiers, leurs transactions entre apparentées; Petro-Canada ne fournit aucune information à cet effet. Il s’agit principalement de ventes et d’achats de produits pétroliers et gaziers, de frais de gestion et de transfert, de charges d’intérêts et autres frais d’administration. La détermination du prix de cession interne ou du prix de transfert se fait de façon subjective et la fourchette de prix acceptable est suffisamment grande pour offrir une grande flexibilité aux sociétés mères. Il est de notoriété publique que ces prix de transfert entre filiales d’un même groupe permettent de transférer des profits vers des entreprises situées dans des pays où les taux d’impôts sont moins élevés. Comme l’indique le tableau suivant, pour la période de 15 ans (1990-2004) le total des transactions inter-compagnies pour Esso Impériale et Shell Canada s’est élevé à 58,5 milliards de dollars, soit une moyenne de 3,9 milliards annuellement. La tendance des résultats démontre une progression fulgurante au cours des 5 dernières années (2000 à 2004). En effet, comme le montre le tableau qui suit, entre 2000 et 2004 les transactions inter-compagnies ont augmenté de 89% tandis que la croissance des ventes n’a été que de 30%. Les échanges entre les filiales ont par conséquent augmenté trois fois plus rapidement que les activités commerciales des deux pétrolières. Il semble donc que les sociétés mères utilisent de plus en plus les transactions inter-compagnies pour augmenter la «souplesse» dans la gestion de leurs entreprises afin de transférer des fonds et du profit d’une compagnie affiliée et d’un pays à l’autre.

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Impériale Esso et Shell Canada

Évolution des transactions inter-compagnies et de ventes pour les années 2000 et 2004

Ventes Impériale Esso Shell Canada Total (En millions de dollars canadiens) 2004 22 408$ 11 228$ 33 636$2000 17 829$ 8 100$ 25 929$% augmentation 25,7% 38,6% 29,7%Transactions inter-compagnies 2004 4 756$ 5 889$ 10 645$2000 2 291$ 3 340$ 5 631$% augmentation 107,6% 76,3% 89%

Impériale Esso et Shell Canada Transactions inter-compagnies Pour la période de 15 ans 1990-2004

Années Impériale Esso Shell Canada Total(En millions de dollars canadiens)

1990 1 824$ - 1 824$1991 1 756 410 2 1661992 1 634 310 1 9441993 1 829 316 2 1561994 1 978 500 2 4781995 765 1 153 1 9181996 988 1 411 2 3991997 974 1 610 2 5841998 692 1 412 2 1041999 1 033 1 766 2 7992000 2 291 3 340 5 6312001 2 703 3 202 5 9052002 3 227 3 008 6 2352003 3 428 4 316 7 7442004 4 756 5 889 10 645 29 878$ 28 643$ 58 521$Moyenne annuelle 1 992$ 1 910$ 3 902$ La note 16 reproduite ci-dessous, des états financiers 2004 de l’Impériale Esso, constitue un exemple typique du détournement de profit vers des paradis fiscaux. Tel que mentionné dans

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cette note, en 2003, l’Impériale Esso du Canada a emprunté 818 millions de dollars à Exxon Overseas Corporation qui est située dans un paradis fiscal. L’Impériale Esso a ainsi réduit ses impôts sur le revenu canadiens grâce à la charge d’intérêt encourue sur cet emprunt, alors qu’Exxon Overseas Corporation réalisait des revenus d’intérêts et ne payait pratiquement aucun impôt sur ces montants. Il n’existe aucune raison valable pour qu’une entreprise qui a un taux d’endettement global de 2,6%, qui détient un montant d’encaisse de 1,3 milliards de dollars au 31 décembre 2004 et qui a versé 12,5 milliards à ses actionnaires durant les quinze dernières années se doive d’emprunter 818 millions$ à une filiale du groupe Exxon. D’ailleurs, en 2003 et en 2004 (318 millions$), le total de la dette a long terme de l’Impériale Esso du Canada provenait de Exxon Overseas Corporation. La stratégie de détournement de profits dans les paradis fiscaux est tellement évidente qu’il faut être totalement naïf pour parler de transactions commerciales effectuées dans le cours normal des affaires au prix du marché comme si les entreprises n’avaient aucun lien de dépendance entre elles.

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Voici la note 16 tirée des états financiers de l’Impériale Esso66 : «16. Opérations entre parties apparentées Les produits et les charges de la compagnie comprennent les résultats d’opérations conclues avec Exxon Mobil Corporation et ses sociétés affiliées (ExxonMobil) dans le cours normal des activités. Ces opérations, conclues dans des conditions aussi favorables qu’elles l’auraient été entre parties sans lien de dépendance, ont porté principalement sur l’achat et la vente de pétrole brut, de produits pétroliers et de produits chimiques. Des services ont aussi été échangés dans les domaines du transport, de la technologie et de l’ingénierie. Les opérations conclues avec ExxonMobil comprenaient aussi les sommes payées et reçues du fait de la participation de la compagnie dans des coentreprises du secteur des ressources naturelles au Canada. La compagnie a une entente avec des affiliés d’Exxon Mobil Corporation visant la mise en commun de leurs services généraux et de soutien à l’exploitation qui permet aux entreprises de rationaliser les activités et les systèmes faisant double emploi. Les sommes payées ou reçues ont été classées dans l’état des résultats comme suit :

66 L’Impériale Esso Rapport annuel 2004, p. 56

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2) Niveau des impôts versés au Canada et à l’étranger par Petro-Canada À la note 3 portant sur l’information sectorielle de ses états financiers de l’année 2004, Petro-Canada ventile ainsi ses profits réalisés et ses impôts sur le revenu versés à l’étranger et en Amérique du Nord (Canada et États-Unis), pour les trois dernières années, soit de 2002 à 2004 : Profits et impôts

À l’étranger

Canada et États-Unis

Total : Étranger et Amérique du Nord

(En millions de dollars canadiens) 2002 2003 2004 Total 2002 2003 2004 Total 2002 2003 2004 Total Bénéfice avant impôts

647$

1039$

850$

2536$

1151$

1921$

2395$

5467$

1798$

2960$

3245$

8003$

% des profits gagnés ici et à l’étranger

36%

35%

26%

32%

64%

65%

74%

68%

100%

100%

100%

100%

Impôts sur le revenu payés

413

644

727

1784

546

603

734

1883

959

1247

1461

3667

% des impôts payés ici et à l’étranger

43%

52%

50%

49%

57%

48%

50%

51%

100%

100%

100%

100%

Taux d’impôt effectif payé

64%

62%

86%

70%

47%

31%

31%

34%

53%

42%

45%

46%

Au cours des trois dernières années, les profits avant impôts réalisés à l’étranger (Afrique, Moyen-Orient, Amérique latine et Europe du Nord) ont contribué à seulement 32 % des profits globaux (2 536 $ versus 8 003 $), mais les impôts sur le revenu payés à l’étranger ont représenté 49 % (1 784 $ sur 3 667 $) des impôts totaux acquittés par Petro-Canada de 2002 à 2004 inclusivement. En 2004, les profits avant impôts gagnés à l’étranger ont contribué à 26% des profits totaux (850 $ versus 3 245 $), mais les impôts sur le revenu payés à l’étranger ont été de l’ordre de 50% (727 $ sur 1 461 $) du total des impôts versés par la compagnie. Aussi, en 2004, le taux d’impôt effectif à l’étranger payé par Petro-Canada a été de 86% contre seulement 31% versé principalement au Canada. Pourtant, le patronat décrit souvent le pays comme un enfer fiscal et nos élus s’empressent alors de diminuer l’impôt des compagnies afin, dit-on, de créer de la richesse et des emplois pour tous et de stimuler vigoureusement l’investissement. On dit aussi que les impôts élevés font fuir les capitaux. Leurs prétentions, qu’ils prennent pour des théories et encore plus pour des lois naturelles, ne résistent pas du tout à l’observation objective des faits et ne reposent sur aucun fondement théorique. Mais que fait Petro-Canada à l’étranger où elle doit payer des taux d’impôts sur le revenu réels de 86 % en 2004, tel qu’indiqué dans ses propres états financiers?

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3) Dons effectués au Canada : blanchiment éthique et marketing à bon compte Durant les quinze années (1990 à 2004) couvertes par notre étude, les trois pétrolières ont versé 117 millions de dollars en dons de tous genres sur des bénéfices cumulatifs de 27,2 milliards de dollars, soit quatre dixième de 1%.

Les pétrolières sélectionnent leurs «pauvres», leurs organismes d’éducation et de recherche en fonction de leurs propres intérêts. Avec ce saupoudrage d’argent, les pétrolières arrivent à se donner bonne conscience et à faire des bilans sociaux les présentant comme des citoyens corporatifs exemplaires. Par exemple, au cours des quinze dernières années (1990-2004), la Fondation philanthropique Pétrolière Impériale a versé des dons nets d’impôts de 53,8 millions $ à plus de 400 organismes du Canada, ce qui représente 1/4 de 1% de ses profits nets réalisés au Canada durant cette période. Charité bien ordonnée commence par soi-même, comme le dit le dicton, et bien une partie importante de ses dons a été effectuée à des professeurs et des universités qui font l’affaire de la compagnie, comme il est souligné dans son rapport annuel 2004: «Le programme de subventions à la recherche universitaire de la Fondation Pétrolière Impériale a octroyé 30 bourses totalisant 650 000 $ à 15 universités pour aider à financer la recherche dans des domaines d’intérêt de l’Impériale67». Le financement privé des universités publiques se poursuit de plus belle au Canada. Allons-nous en déduire que la charité privée peut remplacer l’aide publique consentie par l’État à tous ceux qui sont frappés de contingences dans la vie. C’est ça le rôle éthique et social de l’entreprise! 117 millions$ versés en dons par les trois pétrolières, soit une moyenne annuelle de 2,6 millions $ par pétrolière en quinze ans. Plusieurs de ces montants répondent difficilement à la définition de la notion de don et on ne peut que relativiser leur importance par rapport aux 18,9 milliards$ versés aux actionnaires en «cold cash» au cours de cette période. Mais certains diront que les compagnies ne doivent rien à personne.... 67 Ibid., p. 18

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Le tableau suivant fournit le total des dons nets d’impôts versés par les trois pétrolières au cours des quinze dernières années (1990-2004) à des organismes et à des fins qui répondent difficilement à la notion de dons :

Dons nets d’impôts versés par les trois pétrolières Période de quinze ans (1990-2004)

Période de 15 ans (1990-2004) Dons nets d’impôts Bénéfice net

Pourcentage du profit net

(En millions de dollars canadiens) Impériale Esso 54$ 12 123$ 0,004%Shell Canada 33$ 7 838$ 0,004%Petro-Canada 30$ 7 285$ 0,004%Total 117$ 27 246$ 0,004%

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VII. TABLEAU RÉCAPITULATIF ET FAITS SAILLANTS

IMPÉRIALE ESSO, SHELL CANADA, PETRO-CANADA Tableau récapitulatif

Période de 15 ans 1990 – 2004

IMPÉRIALEESSO

SHELL CANADA

PETRO-CANADA

TOTAL

(En milliards de dollars) 1. Profit net réalisé au Canada 1990 0,3$ 0,3$ 0,2$ 0,8$ 1995 0,5$ 0,5$ 0,2$ 1,2$ 2000 1,4$ 0,9$ 0,9$ 3,2$ 2004 2,0$ 1,3$ 1,8$ 5,1$ 5 ans (1990 – 1994) 1,2$ 0,6$ 0,0$ 1,8$ 5 ans (1995 – 1999) 3,3$ 2,7$ 1,1$ 7,1$ 5 ans (2000 – 2004) 7,6$ 4,5$ 6,2$ 18,3$ 15 ans (1990 – 2004) 12,1$ 7,8$ 7,3$ 27,2$2. Liquidités générées par l’exploitation – 15 ans (1990 – 2004) 23,8$ 15,7$

20,1$ 59,6$

3. Taux de rendement après impôts sur l’avoir des actionnaires

1990 3,7% 9,7% 6,8% 5,9% 1995 8,6% 16,0% 6,5% 10,0% 2000 32,4% 22,1% 20,6% 24,7% 2004 32,7% 22,9% 21,3% 25,3% 5 ans (1990 – 1994) 3,8% 3,9% 0,0% 3,0% 5 ans (1995 – 1999) 13,5% 15,6% 5,9% 11,8% 5 ans (2000 – 2004) 30,0% 18,8% 21,0% 23,2% 15 ans (1990 – 2004) 14,6% 13,8% 11,9% 13,6%4. Montants versés aux actionnaires canadiens et étrangers – 15 ans (1990 – 2004) 12,5$ 4,3$

- 16,8$ - En pourcentage du profit net 103% 55% - 84%5. Montants versés aux seuls actionnaires étrangers – 15 ans (1990 – 2004) 10,2$ 3,3$

- 13,5$

- En pourcentage du profit net 84% 42% - 68%

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IMPÉRIALE ESSO, SHELL CANADA, PETRO-CANADA Tableau récapitulatif

Période de 15 ans 1990 – 2004

IMPÉRIALEESSO

SHELL CANADA

PETRO-CANADA

TOTAL

(En milliards de dollars) 6. (Désinvestissement) Investissement en immobilisations au Canada – 15 ans (1990 – 2004) (2,7)$ 3,9$

-

1,2$7. (Désinvestissement) Investissement en actif total au Canada – 15 ans (1990-2004)

(1,6)$ 4,7$

- 3,1$

8. Frais d’exploration nets d’impôts effectués au Canada (en millions de dollars) – 15 ans (1990 – 2004)

1990 – 1992 – 3 ans 138$ 173$ 137$ 448$ 1993 – 1995 – 3 ans 95$ 106$ 55$ 256$ 1996 – 1998 – 3 ans 76$ 128$ 107$ 311$ 1999 – 2001 – 3 ans 67$ 118$ 245$ 430$ 2002 – 2004 – 3 ans 99$ 295$ 327$ 721$ 1990 – 2004 – 15 ans 475$ 820$ 871$ 2166$9. Frais d’exploration nets d’impôts effectués au Canada en pourcentage du profit net

1990 – 1992 – 3 ans 23% 66% - - 1993 – 1995 – 3 ans 8% 12% 9% 10% 1996 – 1998 – 3 ans 3% 8% 17% 7% 1999 – 2001 – 3 ans 2% 5% 12% 6% 2002 – 2004 – 3 ans 2% 11% 7% 6% 1990 – 2004 – 15 ans 4% 10% 12% 8%10. Pertes d’emplois subies au Canada – 15 ans (1990 – 2004) 9 165 3 105

5 018 17 288

11. Pertes d’emplois subies en pourcentage 60% 44%

51% 54%

12. Fermeture de stations-service au Canada – 15 ans (1990-2004) 3 122 1 688

1 830 6 640

13. Fermeture de stations-service en pourcentage 61% 49%

57% 57%

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IMPÉRIALE ESSO, SHELL CANADA, PETRO-CANADA

Tableau récapitulatif Période de 15 ans

1990 – 2004 IMPÉRIALE

ESSO SHELL CANADA

PETRO-CANADA

TOTAL

(En milliards de dollars) 14. Diminution du nombre d’actionnaires canadiens – 15 ans (1990 – 2004) (6 815) (3 105)

- (9 920)

15. Diminution de l’actionnariat canadien en pourcentage 34% 56%

- 39%

16. Coefficient d’endettement au 31 décembre 2004 2,6% 0,0%

12,6% 6,1%

17. Impôts sur le revenu reportés au 31 décembre 2004 1,3$ 1,5$

2,7$ 5,5$

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VIII. CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS : IMITER LES ÉTATS QUI ONT GARDÉ OU REPRIS LE CONTRÔLE DE LEURS RESSOURCES PÉTROLIÈRES ET GAZIÈRES Est-il possible d’affirmer que nous sommes encore devant un ordre, un équilibre dans la production et les prix créé par le «libre marché» dans ce secteur ? On peut affirmer, sans grands risques de se tromper, que nous sommes en présence aujourd’hui d’un véritable oligopole économique dominé aux niveaux mondial, national et provincial par quelques compagnies gigantesques qui peuvent influencer les prix à leur guise. La concentration a pu apparaître comme une bonne chose si on se reporte aux gaspillages et à la situation anarchique qui a régné au cours des premières décennies de la montée du pétrole ou une concurrence atomistique régnait et engendrait des gaspillages. C’est la concentration et la collusion qui crée aujourd’hui des gaspillages. Des aberrations se manifestent aujourd’hui par rapport à un système concurrentiel. Ainsi au niveau mondial, on observe une envolée des prix due à un sous-investissement des dernières années dans la capacité de raffinage, indice d’une restriction volontaire de l’offre, d’une rareté planifiée devant une demande anticipée assurée, et en croissance continue et devant le progrès technique facilitant pourtant l’exploration. Par exemple, la montée de la Chine et de l’Inde est une variable facilement observable et incite à l’optimisme du côté de la demande. Les spéculateurs influencent aussi les prix, les grandes banques d’investissement affectent plusieurs dizaines de milliards de dollars au marché à terme. Le progrès des substituts ne met pas non plus la demande en péril. Les pétrolières offrent un produit peu différencié; les prix pourraient être un facteur de concurrence et de différenciation en plus de la publicité de marque. Le Canada est un pays net exportateur de pétrole, ce qui signifie qu’il est autosuffisant. Il est d’ailleurs le plus important fournisseur de pétrole et de gaz naturel des États-Unis. Par contre, il est un des rares pays producteur au monde à avoir privatisé entièrement cette importante ressource et, comme si cela n’était pas assez, son industrie est contrôlée majoritairement par des étrangers. L’Arabie Saoudite, la Norvège, le Mexique, la Chine, le Koweït, le Venezuela, le Brésil, l’Argentine, etc. qui sont aussi de gros producteurs et exportateurs de pétrole, ont jugé bon, avec raison, de nationaliser leur industrie pétrolière qui est détenue par des sociétés étatiques. Il s’agit pour ces pays d’un immense levier économique et d’un instrument d’enrichissement collectif formidable qui profite au pays et à la population entière au lieu de servir principalement les intérêts d’actionnaires privés souvent étrangers. Des pays comme la Russie et la Bolivie, entre autres, ont compris et sont en train de renationaliser leur industrie pétrolière. Tout de même ahurissant que le Mexique, qui fait partie des accords de libre-échange avec les États-Unis et le Canada, n’ait pas voulu privatiser sa société pétrolière étatique Pemex et, ait exclu son pétrole et son gaz naturel des traités de libre-échange alors que le Canada a privatisé le peu qu’il détenait de cette industrie par le biais de Petro-Canada et a inclus son pétrole et son gaz naturel dans les dits traités, ce qui lui a fait perdre sa souveraineté sur ces cruciales ressources naturelles. Il faut dire que le Bureau de la Concurrence ou la Régie de l’énergie reculent devant les collusions de nature implicite. La dilapidation de nos ressources naturelles s’est

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définitivement faite avec la complicité de nos élus qui poussent le mépris envers la population jusqu’à verser des milliards de dollars annuellement en subventions aux pétrolières qui nous volent littéralement. Et, le bon peuple canadien soumis accepte tout ça sans rien dire ou presque ce qui serait impossible à faire au Mexique, la population ne l’accepterait pas. Les rapports annuels parlent année après année de profits records. Nous avons vu que les profits des pétrolières intégrées sont en augmentation rapide avec les hausses du prix du brut. Les trois majeures ont réalisé 27,2 milliards$ de profit au cours des 15 dernières années (1990 – 2004) dont 18,3 millions de dollars ou 67% au cours des cinq dernières années (2000-2004) Quant à 2004, l’année a permis aux trois majeures «canadiennes» de réaliser des profits de 5,1 milliards de dollars soit 19% des bénéfices engrangés en quinze ans. La hausse du prix du brut y est pour beaucoup : Prix de vente moyens et réalisés en dollars canadien 2004 2003 2002 2001_ Prix touché pour le pétrole brut classique (le baril) 48,96$ 40,10$ 36,81$ 35,56$ Plusieurs économistes pensent que la pression sur les prix est là pour rester avec la demande croissante de la Chine et de l’Inde. Durant les neuf premiers mois de 2004, les Canadiens ont dû dépenser 5,5 milliards $ de plus pour remplir leurs réservoirs d’essence ce qui est d’autant moins d’argent pour la consommation des autres biens et constituent de fait une taxe à la consommation. Les rendements sont tels qu’ils témoignent d’une imperfection dans le marché qui permet un enrichissement aux dépends d’autres secteurs : dividendes et hausse du cours de l’action ont procuré un rendement de 32,4 % en 2004 aux actionnaires de Shell Canada et de 25,3 % à ceux de l’Impériale Esso. Pour Petro-Canada, le rendement global des actionnaires a été de 31,5 % en 2003 et les dix dernières années ont procuré un cumulatif de 507%... En quinze ans, 27,2 milliards$ de profits et une entrée de 59,6 milliards $ de liquidités attribuables à l’exploitation normale. Parallèlement, l’Impériale Esso a réduit le solde de ses immobilisations de 12, 2G $ à 9,5G $, une réduction de 2,7G $ (22%). Pour les trois majeures, une hausse de 58 % des profits depuis 15 ans mais une baisse de 54% de l’emploi. Ces liquidités partent en bonne partie pour l’étranger ou servent à la concentration de la propriété, au rachat d’actions. L’Impériale Esso est détenue à 85,4% (77,4% en 1990) et Shell Canada à 78% par des investisseurs étrangers. Il est incompréhensible que les Canadiens doivent payer leur essence si cher au Canada, alors qu’il s’agit d’un pays net exportateur de pétrole. Il n’y a aucune véritable justification économique à ces prix élevés de l’essence, ici et ailleurs, et encore plus ici qu’en Italie ou en France puisqu’il s’agit de notre pétrole produit ici alors que la plupart des pays de l’Europe de l’Ouest n’ont pas de pétrole et de gaz naturel qu’ils doivent importer. Les prix découlent de spéculations et de manipulations répétées, pratiquées par une poignée de multinationales qui règnent en maîtres incontestés avec la complicité des gouvernements américain, canadien et albertain entre autres. Les augmentations de prix à la consommation sont justifiées lorsque l’agent économique producteur subit des hausses dans ses coûts. Mais, dans le

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cas de l’industrie pétrolière, les coûts d’exploration, de fabrication ont diminué au fil des ans. Aussi, plus les quantités vendues augmentent, plus le coût de production à l’unité diminue grâce à l’amortissement des importants frais fixes comme le raffinage sur un volume de ventes plus élevé. Inutile d’insister sur l’envahissement de l’Irak par les États-Unis afin de s’approprier et de piller leurs importantes ressources pétrolières et gazières.

Cette étude empirique fondée sur les chiffres puisés dans les rapports annuels mêmes des deux pétrolières intégrées étrangères ne peut être plus évidente et plus concluante. Nous sommes bel et bien en présence d’un puissant oligopole dans l’industrie pétrolière ici même au Canada et dans le monde. Comme la concurrence est réduite au minimum et comme nous sommes en présence de multinationales étrangères gigantesques qui sont totalement intégrées verticalement (de l’exploration, à la production, au raffinage et à la distribution au détail), ces firmes peuvent agir à leur guise au détriment des consommateurs, des employés, des collectivités locales, du pays et même des gouvernements. Il n’y a plus de rapport de force entre les différents groupes sociaux et économiques qui composent la société. Dans un secteur d’activités aussi vital (le pétrole et le gaz), le contrôle étranger de ces ressources met en péril d’autres agents économiques et sociaux au pays et la souveraineté même du Canada. On peut parler, sans grands risques de se tromper, de la colonisation du pays qui perd le contrôle de ses moyens et de ses politiques d’intervention. L’État a le devoir d’intervenir dans ce secteur économique crucial dans lequel nous sommes, ne l’oublions pas, un pays net exportateur de pétrole et de gaz. Les choses pourraient être tellement différentes, pour le mieux-être de tous au pays, tant les agents économiques que sociaux, si collectivement nous détenions le contrôle de ces importantes ressources (pétrole et gaz) comme cela se fait dans la majorité des pays producteurs de pétrole et de gaz naturel du monde entier. Dans ces conditions, il faudrait nationaliser cette imprimante à argent, cette ressource naturelle névralgique (exploration, production et raffinage) au profit de la majorité de la population, des entreprises et de l’économie du pays. Le boycottage des pétrolières, l’instauration de saines règles de gouvernance et la pression des fonds d’investissement éthique, sont des mesures insignifiantes qui ne font qu’amuser les dirigeants des pétrolières. Oubliez aussi la mise en place de politiques de contrôle des prix et des profits et le démantèlement ou le «divorce» de leurs activités de production de pétrole brut, de raffinerie et de vente au détail en compagnies distinctes ce qui ne règleraient que partiellement le problème. Si nous avons été en mesure de privatiser des sociétés d’État comme le CN, Air Canada, Téléglobe, Petro-Canada, Télésat, Canadair, Les Arsenaux Canadiens, les Aéroports, etc., le contraire est aussi possible lorsque l’intérêt supérieur de la collectivité et la sécurité nationale du pays le commandent. Faisons comme la vaste majorité des pays producteurs qui sont maîtres de leur pétrole et de leur gaz naturel et qui n’ont jamais pensé privatiser cette ressource naturelle vitale ou qui sont en train de la renationaliser. Pour que cesse l’exploitation, il faut avoir le courage de nationaliser toute notre industrie pétrolière et gazière du pays. Faut donc que la population élise des gouvernements autres que ceux qui prônent l’État minimal et les privatisations. La solution est éminemment politique. Disons enfin que l’Impériale Esso et Shell Canada n’ont depuis toujours, et pas seulement en 2001, aucun francophone et aucune femme parmi la haute direction. Une seule femme au conseil

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d’administration de ces entreprises et, pour la forme, un francophone chez l’Impériale Esso et aucun pour Shell Canada à ce même conseil d’administration. Quant à Petro-Canada, ce n’est guère mieux, aucun francophone à sa haute direction et deux pour la forme à son conseil d’administration et une seule femme à la haute direction et trois à son conseil d’administration. En Amérique du Nord, il ne s’est construit aucune nouvelle raffinerie depuis les vingt dernières années. Bien au contraire, les pétrolières intégrées en ont fermé plusieurs afin de contrôler l’offre à leur guise, de réduire volontairement l’output afin de gonfler artificiellement les prix. Avec l’invasion de l’Irak par les Américains, les pays de l’Opep contrôlent maintenant moins du tiers de la production mondiale, la vaste majorité étant contrôlée par l’oligopole des transnationales pétrolières qui agissent comme bon leur semble et qui serinent continuellement les même banalités pour justifier leurs hausses continuelles de prix. Pendant tout ce temps, nos politiciens refusent d’intervenir pour que cessent ce vol intégral des consommateurs qui sont victimes de la dictature pétrolière. N’oublions pas que le pétrole constitue une ressource vitale pour l’économie qui entre dans la fabrication de plusieurs produits et services et qui ont un impact significatif au niveau des dépenses publiques en termes de transport en commun, de chauffage, etc. et donc de nos impôts.

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ANNEXE 1

TABLEAU CONSOLIDÉ DES DONNÉES SOCIO-ÉCONOMIQUES DES TROIS PÉTROLIÈRE ÉTUDIÉES :

IMPÉRIALE ESSO, SHELL CANADA ET PETRO-CANADA

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ANNEXE 2

TABLEAU COMPLET : DONNÉES SOCIO-ÉCONOMIQUES DE L’IMPÉRIALE ESSO

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ANNEXE 3

TABLEAU COMPLET : DONNÉES SOCIO-ÉCONOMIQUES DE SHELL CANADA

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ANNEXE 4

TABLEAU COMPLET : DONNÉES SOCIO-ÉCONOMIQUES DE PETRO-CANADA