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ESH Camille Vernet 2017-2018 Nicolas Danglade ECE 1 1 Chapitre 1 – Les acteurs et les grandes fonctions économiques Une première approche de la construction d’un modèle en science économique 1. L’utilisation d’un modèle descriptif de la réalité économique 1.1 Pourquoi utiliser un modèle scientifique ? Document 1 : pas de science, sans modèle L’expression « science économique » est généralement utilisée dans deux sens. Une définition se concentre sur le domaine d’étude ; en ce sens, il s’agit d’une science sociale se consacrant à la compréhension du fonctionnement de l’économie. La seconde définition porte davantage sur les méthodes : la science économique est une manière de faire des sciences sociales à l’aide d’outils bien spécifiques. (…) Les méthodes économiques peuvent s’appliquer à bien d’autres domaines que l’économie – des décisions familiales aux questions portant sur les institutions politiques. (…) En vérité, des modèles simples tels qu’en construisent les économistes sont absolument essentiels pour comprendre le fonctionnement de la société. Leur simplicité, leur formalisme et leur ignorance de certains aspects du monde réel sont précisément ce qui les rend précieux. Ce sont des qualités et non des défauts. Un modèle est utile en ce qu’il saisit une facette de la réalité. Il est indispensable, s’il est bien utilisé, en ce qu’il saisit l’aspect le plus pertinent de la réalité dans un contexte donné. Source : Dani Rodrik « Peut-on faire confiance aux économistes ? Réussites et échecs de la science économique », De Boeck, 2017, p.20 Document 2 : Les vertus de la simplification de la réalité Au lycée, le professeur de sciences naturelles enseigne les rudiments d’anatomie en s’appuyant sur des répliques en plastique du corps humain. Ces maquettes montrent les principaux organes et permettent de montrer aux élèves comment ces organes sont agencés les uns par rapport aux autres. Bien sûr, ces modèles en plastique ne sont pas de véritables humains et personne ne s’y trompe. Parce qu’ils sont stylisés, ils omettent de nombreux détails. Mais malgré ce manque de réalisme – en fait, grâce à ce manque de réalisme - l’étude de ces modèles est très utile pour comprendre le fonctionnement du corps humain. Les économistes aussi utilisent des modèles pour comprendre le monde, mais au lieu de les faire en plastique, ils ont recours aux diagrammes et aux équations. Comme la maquette du professeur de biologie, le modèle économique néglige nombre de détails afin de se concentrer sur les éléments essentiels. De même que la réplique en plastique du corps humain ne présente pas tous les muscles et tous les vaisseaux capillaires, le modèle économique ne représente pas l’intégralité des relations économiques. (…) Les économistes négligent certains points de détail de l’économie s’ils les considèrent comme non pertinents à l’égard du problème étudié. Tous les modèles (physiques, biologiques ou économiques) simplifient la réalité pour nous en faciliter la compréhension. Gregory Mankiw, Principes de l’économie, coll. Ouvertures économiques, De Boeck, 2013 Document 3 Les modèles économiques sont pertinents et nous apprennent des choses sur le monde parce qu’ils sont simples. La pertinence n’exige pas la complexité et la complexité peut constituer un obstacle à la pertinence. Des modèles – au pluriel – simples sont indispensables. Les modèles ne sont jamais vrais, mais il y a de la vérité en eux. On ne peut comprendre le monde qu’en le simplifiant. Source : Dani Rodrik « Peut-on faire confiance aux économistes ? Réussites et échecs de la science économique », De Boeck, 2017, p.46 1.2 Un modèle descriptif simple : le circuit économique de la comptabilité nationale Document 4 : la Comptabilité nationale Le circuit est une représentation macroéconomique de la réalité ; il ne prétend pas refléter l’ensemble des activités de chaque agent, mais seulement des résultantes par catégories d’agents. Par exemple, les entreprises s’achètent et se vendent beaucoup les unes aux autres, ce qui a comme contrepartie d’importants flux monétaires, mais la macroéconomie considère souvent l’ensemble des entreprises comme un tout et ne s’attache pas à l’étude des flux internes à leur catégorie, bien que pour chaque chef d’entreprise (niveau microéconomique) il s’agisse là de quelque chose de très important. En quelque sorte, on retient des achats de

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Chapitre 1 – Les acteurs et les grandes fonctions économiques Une première approche de la construction d’un modèle en science économique

1. L’utilisation d’un modèle descriptif de la réalité économique

1.1 Pourquoi utiliser un modèle scientifique ?

Document 1 : pas de science, sans modèle L’expression « science économique » est généralement utilisée dans deux sens. Une définition se concentre sur le domaine d’étude ; en ce sens, il s’agit d’une science sociale se consacrant à la compréhension du fonctionnement de l’économie. La seconde définition porte davantage sur les méthodes : la science économique est une manière de faire des sciences sociales à l’aide d’outils bien spécifiques. (…) Les méthodes économiques peuvent s’appliquer à bien d’autres domaines que l’économie – des décisions familiales aux questions portant sur les institutions politiques. (…) En vérité, des modèles simples tels qu’en construisent les économistes sont absolument essentiels pour comprendre le fonctionnement de la société. Leur simplicité, leur formalisme et leur ignorance de certains aspects du monde réel sont précisément ce qui les rend précieux. Ce sont des qualités et non des défauts. Un modèle est utile en ce qu’il saisit une facette de la réalité. Il est indispensable, s’il est bien utilisé, en ce qu’il saisit l’aspect le plus pertinent de la réalité dans un contexte donné.

Source : Dani Rodrik « Peut-on faire confiance aux économistes ? Réussites et échecs de la science économique », De Boeck, 2017, p.20

Document 2 : Les vertus de la simplification de la réalité

Au lycée, le professeur de sciences naturelles enseigne les rudiments d’anatomie en s’appuyant sur des répliques en plastique du corps humain. Ces maquettes montrent les principaux organes et permettent de montrer aux élèves comment ces organes sont agencés les uns par rapport aux autres. Bien sûr, ces modèles en plastique ne sont pas de véritables humains et personne ne s’y trompe. Parce qu’ils sont stylisés, ils omettent de nombreux détails. Mais malgré ce manque de réalisme – en fait, grâce à ce manque de réalisme - l’étude de ces modèles est très utile pour comprendre le fonctionnement du corps humain. Les économistes aussi utilisent des modèles pour comprendre le monde, mais au lieu de les faire en plastique, ils ont recours aux diagrammes et aux équations. Comme la maquette du professeur de biologie, le modèle économique néglige nombre de détails afin de se concentrer sur les éléments essentiels. De même que la réplique en plastique du corps humain ne présente pas tous les muscles et tous les vaisseaux capillaires, le modèle économique ne représente pas l’intégralité des relations économiques. (…) Les économistes négligent certains points de détail de l’économie s’ils les considèrent comme non pertinents à l’égard du problème étudié. Tous les modèles (physiques, biologiques ou économiques) simplifient la réalité pour nous en faciliter la compréhension.

Gregory Mankiw, Principes de l’économie, coll. Ouvertures économiques, De Boeck, 2013

Document 3 Les modèles économiques sont pertinents et nous apprennent des choses sur le monde parce qu’ils sont simples. La pertinence n’exige pas la complexité et la complexité peut constituer un obstacle à la pertinence. Des modèles – au pluriel – simples sont indispensables. Les modèles ne sont jamais vrais, mais il y a de la vérité en eux. On ne peut comprendre le monde qu’en le simplifiant.

Source : Dani Rodrik « Peut-on faire confiance aux économistes ? Réussites et échecs de la science économique », De Boeck, 2017, p.46

1.2 Un modèle descriptif simple : le circuit économique de la comptabilité nationale

Document 4 : la Comptabilité nationale

Le circuit est une représentation macroéconomique de la réalité ; il ne prétend pas refléter l’ensemble des activités de chaque agent, mais seulement des résultantes par catégories d’agents. Par exemple, les entreprises s’achètent et se vendent beaucoup les unes aux autres, ce qui a comme contrepartie d’importants flux monétaires, mais la macroéconomie considère souvent l’ensemble des entreprises comme un tout et ne s’attache pas à l’étude des flux internes à leur catégorie, bien que pour chaque chef d’entreprise (niveau microéconomique) il s’agisse là de quelque chose de très important. En quelque sorte, on retient des achats de

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machines ou de produits intermédiaires de l’entreprise A à l’entreprise B le fait que A n’utilise pas les services de ces seuls salariés, mais aussi ceux des salariés de ses fournisseurs, et on renonce d’analyser dans le cadre du circuit les rapports complexes qui existent entre A et B, lesquels intéressent la microéconomie. Le paradigme du circuit peut se décliner en de multiples versions, des plus schématiques aux plus complexes. La plus élémentaire fait abstraction des administrations publiques et des intermédiaires monétaires et financiers. Ne restent en présence que les entreprises non financières et les ménages : les premières produisent à l’aide du travail des seconds, à qui elles fournissent les biens et services qu’elles produisent, (…). Le circuit se limite alors à deux flux réels, des ménages vers les entreprises (travail) et des entreprises vers les ménages (biens et services) et deux flux monétaires (…) des entreprises vers les ménages (salaires) et des ménages vers les entreprises (paiement des achats réalisés).

Ivan Samson et alii, Leçons d’économie contemporaine, 2ième édition, Sirey, 2009

Document 5 : distinguer les flux réels et les flux monétaires entre acteurs économiques

Document 6 : un modèle plus complexe (liens antre acteurs économiques)

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Document 7 : distinguer des liens entre opérations économiques

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2. Les acteurs du circuit économique et leurs fonctions dans le modèle de la CN

2.1 Les acteurs économiques dans la comptabilité nationale

Document 8 : Une classification des acteurs économiques dans une optique institutionnelle Les comptes de la nation regroupent les agents en 6 secteurs institutionnels : les ménages, les sociétés non financières, les sociétés financières, les administrations publiques, les institutions sans but lucratif au service des ménages et le reste du monde. Les ménages Le ménage est constitué par tout individu ou tout groupe d’individus vivant sous le même toit. (…) Les fonctions économiques principales des ménages consistent à fournir des facteurs de production (force de travail et capitaux) aux autres agents, et à utiliser les revenus de ces facteurs pour la consommation et l’épargne. (…) Cette catégorie est la seule qui concerne tous les membres d’une société. Toute personne constitue ou appartient à un ménage, quelles que soient par ailleurs ses autres fonctions (banquier, entrepreneur, chef de l’Etat, …). Les sociétés non financières (SNF) Les sociétés non financières regroupent toutes les organisations dont l’activité principale consiste à produire des biens ou des services non financiers marchands. Les biens sont des produits matériels. Les services sont des produits immatériels. (….) Les sociétés financières (SF) Les institutions financières regroupent les organisations qui produisent des services financiers et d’assurance. Elles comprennent les banques et les autres établissements de crédit, les caisses d’épargne, les organismes de placement collectif en valeurs mobilières, la banque centrale et le Trésor public. Les services financiers consistent à assurer l’émission, la collecte, la circulation et les échanges des différents instruments de paiement, de placement et de financement. La fonction principale des institutions financières consiste donc à assurer le financement de l’économie, ce qui recouvre en fait trois fonctions : un rôle d’intermédiaire entre les agents disposant de capacités de financement et les agents ayant des besoins de financement ; un rôle de transformation de l’épargne des ménages, souvent disponible à court terme, en ressources disponibles à long terme pour les entreprises ; un rôle de création de la monnaie nécessaire au fonctionnement de l’économie. Les administrations publiques (APU) Les administrations publiques regroupent toutes les organisations dont l’activité principale consiste à produire des services non marchands ou à redistribuer le revenu et les richesses nationales. Les administrations publiques sont principalement financées par des prélèvements obligatoires (taxes, impôts et cotisations sociales). Elles comprennent les administrations centrales (Etat), les administrations de sécurité sociale et les administrations locales (commune, département, région). (…) Les institutions sans but lucratif de service aux ménages (ISBLSM) (…) Il s’agit des organisations privées dont la fonction principale consiste à fournir des services non marchands aux ménages et qui sont pour l’essentiel financées par des dons et des cotisations volontaires. Concrètement, cela recouvre une grande partie des associations, les églises, les partis politiques et les syndicats. Le reste du monde : un agent fictif Enfin, pour retracer l’ensemble des opérations des agents économiques d’un pays avec l’étranger, on imagine un agent « reste du monde ». Cet agent regroupe en fait les ménages, les entreprises, les administrations et les institutions financières non-résidents qui effectuent des opérations avec des agents résidents. Un agent est considéré comme résident s’il exerce une activité sur le territoire national pendant au moins un an.

Jacques Généreux, Introduction à l’économie, 4ième édition, Seuil, 2001

Document 9 : la production Selon l’Insee, la production correspond à l’activité exercée sous le contrôle et la responsabilité d’une unité institutionnelle qui combine des ressources en main d’œuvre, capital et biens et services pour fabriquer des biens ou fournir des services ; elle correspond aussi au résultat de cette activité.

Document 10 : définir l’entreprise Une entreprise peut se définir comme « une unité de production qui acquiert sur les marchés des facteurs de production qu’elle combine en vue de produire un bien ou d’offrir un service, destinés à satisfaire une demande solvable exprimée sur un marché » (F.Teulon, 1995).

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Document 11 : L’objet des entreprises et l’économie sociale et solidaire Les entreprises cherchent à réaliser des profits. Le profit correspond à la différence entre les recettes et les coûts de production. Dans le cas des entreprises privées à but lucratif, une partie de ces profits est versée aux propriétaires de l’entreprise (par le biais des dividendes). L’entreprise ne peut donc plus utiliser ces profits versés, pour investir ou épargner, par exemple. Lorsque le propriétaire de l’entreprise est l’État, il s’agit d’une entreprise publique. C’est donc l’État qui perçoit ici une partie des profits. Il existe aussi des entreprises privées à but non lucratif : il s’agit des organisations marchandes du secteur de « l’économie sociale et solidaire ». Ces organisations peuvent être des coopératives ouvrières (l’entreprise appartient à ses salariés), des mutuelles, qui mènent des actions dans le domaine de la prévoyance et de la solidarité en faveur de leurs membres (les membres d’une mutuelle sont des adhérents qui versent une cotisation), ou des Fondations (elles sont créées par des donateurs et interviennent pour accomplir une œuvre d’intérêt général). Lorsque ces entreprises à but non lucratif réalisent des profits, elles les réinvestissent dans les projets de l’entreprise ; dit autrement, les profits réalisés ne sont pas distribués aux actionnaires de l’entreprise, ils sont conservés dans l’entreprise afin de réaliser l’objet de l’entreprise.

Document 12 : Qu’est ce que les pouvoirs publics ? Ensemble des unités institutionnelles dont la fonction principale est de produire des services non marchands ou d'effectuer des opérations de redistribution du revenu et des richesses nationales. Elles tirent la majeure partie de leurs ressources de contributions obligatoires. Le secteur des administrations publiques comprend les administrations publiques centrales, les administrations publiques locales et les administrations de sécurité sociale.

Source : Apprendre avec l’Insee Document 13 : Définir les ISBLM

Les institutions sans but lucratif au service des ménages (ISBLM) regroupent l'ensemble des unités privées dotées de la personnalité juridique qui produisent des biens et des services non marchands au profit des ménages. Leurs ressources principales proviennent de contributions volontaires en espèces ou en nature effectuées par les ménages en leur qualité de consommateurs, de versements provenant des administrations publiques ainsi que de revenus de la propriété.

Source : www.insee.fr

Document 14 : la diversité des organisation productives

Organisations productives

Services non marchands

APU

ISBLSM

Biens ou services marchands

Entreprises privées

Entreprises de l’ESS Ex : les mutuelles

Entreprise à but lucratif

Ex : Apple

Entreprises publiques

Ex : SNCF

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Document 15 : Définir les ménages

Un ménage, au sens statistique du terme, désigne l’ensemble des occupants d’un même logement. Il faut distinguer cette notion de celle de foyer fiscal qui représente l’ensemble des personnes inscrites sur une même déclaration de revenus. Ainsi, il peut y avoir plusieurs foyers fiscaux dans un seul ménage comme dans le cas d’un couple non marié et non pacsé qui partagerait le même logement. Il faut aussi distinguer ménage et famille (ensemble des personnes unies par des liens de parenté) : un ménage peut comporter zéro, une ou plusieurs familles.

Alain Beitone et alii, Economie, sociologie et histoire du monde contemporain, Armand Colin, 2013

2.2 Les grandes opérations économiques dans la comptabilité nationale

2.2.1 La production

Document 16 : Mesurer la production : une convention Dans le système actuel (de comptabilité nationale), la production est définie comme l’activité (socialement organisée) qui « combine des ressources en main d’œuvre, capital et biens et services pour fabriquer des biens ou fournir des services » (c’est la production du point de vue du producteur) et comme le résultat de cette activité (c’est la production du point de vue des produits). Dans le premier cas, la définition n’acquiert un sens que si on la précise en examinant les trois types qui constituent la production : production marchande (PM), production pour emploi final propre (PEFP), autre production non marchande (ANPM). Production marchande Toujours évaluée au prix de base (prix de vente – TVA + subventions), c’est « la production écoulée ou destinée à être écoulée sur le marché » : produits vendus à un prix économiquement significatif (c’est à dire couvrant plus de 50 % des coûts de production, le prix pouvant être un péage, une redevance ou un droit) ou entrant dans les stocks du producteur (on fait comme s’il se les vendait à lui-même ; les produits en cours de fabrication font partie des stocks), ou cédés contre rémunération en nature, ou livré à un autre établissement de la même société pour sa consommation intermédiaire. La production souterraine, au noir, non déclarée notamment pour éviter impôts et cotisations sociales est prise en compte par les comptables nationaux (évidemment à partir de sources indirectes). (…) Production pour emploi final propre Représentant 6,2 % de la production totale en 2010, c’est une production destinée à la consommation finale ou à la FBCF de l’agent producteur : 86 % sont imputables aux ménages. Elle recouvre la production de « services de logement » réalisée par les ménages qui occupent le logement dont ils sont propriétaires (lorsque le propriétaire loue à un tiers, la production de services de logement est mesurée par les loyers effectifs et fait partie de la production marchande). Cette production des propriétaires occupants est mesurée par les loyers imputés (appelés jadis loyers fictifs), évalués en référence à ceux pratiqués sur le marché pour des loyers équivalents : ces revenus gonflent à la fois le revenu des ménages et leur consommation. On peut s’étonner d’une telle convention, mais elle renvoie à l’idée que la mesure de la production doit être indépendante du statut juridique de l’occupant : il ne faut pas que le PIB baisse lorsque la proportion des propriétaires de leur logement augmente. Les ménages ont aussi un PEFP lorsqu’ils emploient du personnel domestique salarié. Les ménages (et non pas le personnel, car dans la comptabilité nationale, c’est toujours l’employeur qui produit, pas le salarié) produisent alors des services (évalués par la somme des salaires versés) qui sont directement utilisés sans passage sur le marché comme dépense de consommation des ménages. Du coup, le PIB baisse lorsque Monsieur épouse sa femme de ménage, ou Madame son chauffeur. La PEFP des ménages comprend enfin leur production agricole autoconsommée (potagers…). La PEFP des sociétés et des administrations est inférieure à 1% de leur production. Autre production non marchande 12 % de la production totale. Elle est définie comme la production qui est « fournie à d’autres unités soit gratuitement, soit à un prix économiquement non significatif ». L’appellation repose sur le fait que la PEFP n’est pas véritablement marchande. Les services non marchands recouvrent des services qui ne peuvent pas être vendus sur le marché parce qu’ils sont indivisibles (défense, police, éclairage public…) et des services qui ne sont pas vendus (ou à un prix très faible) par volonté politique et/ou parce qu’ils sont à l’origine d’externalités positives (éducation, vaccination…). Par similitude avec le secteur marchand dans lequel le niveau des ventes est fixé par le producteur comme la somme des coûts et d’une marge de profit, on évalue ces services non

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marchands par la somme de leurs coûts de production : rémunérations des salariés, (fonctionnaires…), produits utilisés comme consommations intermédiaires pour produire ces services, impôt sur la production et montant de l’amortissement pour usure du matériel et des bâtiments, mais sans marge de profit.

Jean-Paul Piriou, Jacques Bournay, La comptabilité nationale, Grands Repères, La Découverte, 2012

2.2.2 Mesurer le Produit intérieur brut

Document 17 : trois manières de mesurer le PIB

Le PIB est calculé pour une zone géographique donnée (…). Il est également calculé pour un certain intervalle de temps, généralement l’année ou le trimestre, car le PIB est une variable de flux, de même nature que le débit d’un fleuve au cours d’une période. En revanche, les variables de stock, à l’image de la quantité d’eau retenue par un barrage, sont toujours définies à un moment particulier. Le PIB d’un pays mesure l’activité productive en recensant les ventes finales de biens et services. Voici donc une première définition du PIB. On parle de ventes finales, c’est-à-dire de ventes de biens et services faites aux consommateurs ou aux administrations qui en sont les derniers utilisateurs. (…) Les ventes intermédiaires portent sur des biens et services acquis pour produire d’autres biens et services. Un exemple est la vente de farine à une boulangerie. Les ventes intermédiaires sont exclues du calcul du PIB afin d’éviter tout double comptage. Il faut donc bien distinguer le PIB du chiffre d’affaires total ou des ventes totales d’une économie. Notre seconde définition du PIB indique que chaque vente finale d’un bien ou d’un service constitue l’étape ultime qui valide tous les efforts qui ont contribué à le produire et à le mettre à disposition de l’acheteur. Elle synthétise une chaîne d’activités économiques dont chacune est perçue comme une valeur ajoutée. La valeur ajoutée résulte de la transformation par les entreprises de matières premières et de produits semi-finis en produits vendables sur le marché. La valeur ajoutée créée par une entreprise correspond à la différence entre ses ventes totales (son chiffre d’affaires), et le coût d’acquisition de ses matières premières et autres biens et services intermédiaires. Si l’entreprise produit des biens intermédiaires, ses ventes seront des coûts de production pour ses clients. La valeur ajoutée créée ne sera comptabilisée qu’une seule fois, au niveau des producteurs de biens intermédiaires. Par contre, lorsqu’un consommateur final acquiert un bien ou un service, le prix qu’il paye comprend la totalité de la valeur ajoutée à toutes les étapes du processus de production. Le PIB est la somme de tous les revenus perçus au sein d’une zone géographique donnée par les agents économiques, résidents ou non. Le fait que toute dépense d’un agent constitue un revenu pour un autre assure la cohérence entre la troisième et la première définition du PIB.

Source : Michael Burda et Charles Wyplosz « Macroéconomie à l’échelle européenne », De Boeck, 4ième édition, 2006, p.28

2.2.3 La répartition des revenus : du revenu primaire au revenu disponible brut

Document 18 : Répartition primaire et répartition secondaire des revenus Les opérations de répartition comprennent l’ensemble des opérations contribuant à la formation, la circulation et la redistribution du revenu des différents agents économiques. (…) Ces opérations ne modifient pas le revenu national ; il s’agit simplement de transferts, d’un agent vers un autre, des revenus préexistants issus de la production ; la répartition ne détermine donc pas le revenu national, mais elle détermine le revenu disponible d’un agent ou d’un secteur institutionnel particulier, c’est-à-dire le revenu dont il peut disposer librement pour consommer. Certains transferts sont la contrepartie directe de la fourniture d’un facteur ou d’un service (exemple : les entreprises versent des salaires en contrepartie d’un travail) ; d’autres transferts sont sans contrepartie (exemple : l’administration verse une subvention à une entreprise). (…) Dans l’ensemble des opérations de répartition, on traite à part les transferts en capital, qui constituent des transferts d’épargne.

Jacques Généreux, Economie politique 1. Concepts de base et comptabilité nationale, collection Les Fondamentaux, Hachette Supérieur, 2012 (6ème édition), p49

Document 19 : La répartition secondaire des revenus

Le compte de distribution secondaire des revenus montre la formation du revenu disponible des agents. Le revenu disponible est égal au revenu primaire, augmenté de tous les transferts dont le secteur a bénéficié, et diminué des transferts qu’il a du effectuer au profit d’autres secteurs. Ce qui apparaît donc ici est la redistribution du revenu qui s’opère principalement par les prélèvements fiscaux ou sociaux et par les

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prestations sociales dont bénéficient les ménages. Au terme de cette redistribution, il reste à chaque agent un revenu disponible, c’est-à-dire dont l’agent peut disposer librement pour constituer une épargne, financer des investissements (…) ou consommer (…).

Jacques Généreux, Economie politique 1. Concepts de base et comptabilité nationale, collection Les Fondamentaux, Hachette Supérieur, 2012 (6ème édition), p59

Document 20 : Des revenus primaires aux RDB ajusté des ménages

Revenus d’activité + revenus de la propriété REVENUS PRIMAIRES DES MENAGES - cotisations sociales - impôts directs + prestations sociales en espèces perçues REVENU DISPONIBLE BRUT (RDB) DES MENAGES + Transferts sociaux en nature reçus REVENU DISPONIBLE BRUT AJUSTE (RDBA) DES MENAGES

Document 21 : variation annuelle du revenu disponible brut des ménages depuis 1960

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2.2.4 Les opérations financières et l’intermédiation financière

Document 22 : A quoi correspondent les opérations financières ? La résultante de toutes les opérations non financières (rémunération des salariés, impôts sur la production et les importations, subventions, revenus de la propriété, impôts courants sur le revenu et le patrimoine, transferts sociaux, autres transferts courants) est pour certains agents une capacité de financement (des moyens financiers disponibles excédant leurs besoins) et au contraire, pour d’autres, un besoin de financement (des moyens disponibles inférieurs à leurs besoins). La fonction essentielle des opérations financières est de permettre aux uns d’employer leurs capacités de financement et aux autres de combler leurs besoins de financement. (…) Un agent qui dispose d’une capacité de financement a quatre options principales quant à son emploi. Il peut : 1°) la détenir sous une forme monétaire en la déposant sur un compte bancaire ou un compte d’épargne ; 2°) acquérir un titre sur le marché financier (acheter une obligation, une action, une part d’un fond de placement, etc.) ; 3°) en prêter une partie directement à un autre agent en concluant avec lui un contrat de crédit ; 4°) rembourser des dettes anciennes. De façon symétrique, l’agent qui a un besoin de financement peut puiser dans les avoirs monétaires ou les dépôts accumulés dans le passé, émettre des titres sur le marché financier, emprunter directement auprès d’un autre agent, ou encore recouvrer une créance ancienne (se la faire rembourser).

Jacques Généreux, Economie politique 1. Concepts de base et comptabilité nationale, collection Les Fondamentaux, Hachette Supérieur, 2012 (6ème édition), p51-52

Document 23 : Le besoin de financement des APU

Comme les SNF, les APU ont un besoin de financement, en particulier l’Etat, ce qui n’est pas nécessairement un scandale puisque de nombreuses dépenses publiques sont un investissement pour l’avenir : FBCF, mais aussi dépenses d’éducation qui accroissent le niveau du « capital humain » et sont une condition de l’élévation future de la productivité.

Jean-Paul Piriou, Jacques Bournay, La comptabilité nationale, Grands Repères, La Découverte, 2012, p89

2.3 Equilibre emplois-ressources et identités comptables

Document 24 Le circuit économique peut être résumé à l’aide des définitions 1 et 3 du PIB réel (désormais noté Y). En termes de ventes finales (définition 1), le PIB se décompose en quatre grandes catégories : ventes de biens et services de consommation (C), investissement, c’est-à-dire formation brute de capital fixe et variation de stocks (I), ventes aux administrations publiques (G) et ventes au reste du monde (X). Comme une partie du revenu intérieur fuit à l’étranger pour payer des biens et services importés, les importations (Z) doivent être soustraites pour obtenir la première décomposition du PIB, en termes de dépenses finales : Y : C+I+G+X-Z Le schéma du circuit économique représente aussi le PIB en tant que somme des revenus (définition 3) perçus par les facteurs de production. Que fait le secteur privé de ses revenus ? Trois possibilités s’offrent à lui : il paye des prélèvements nets (T), il épargne (S) et il consomme (C). D’où la deuxième identité comptable : Y = C+S+T

Charles Wyplosz et Michael Burda, Macroéconomie. A l’échelle européenne, De Boeck, 4ième édition, 2006, p. 39

Document 25 : l’équilibre emplois-ressources

Les flux de revenus et de dépenses retracés par le circuit constituent l’économie réelle, par opposition à la sphère financière. Une partie de ces flux, l’épargne des entreprises et des ménages, se retrouve dans le secteur financier de l’économie, où elle s’accumule sous forme de patrimoine financier. Une autre partie fuit vers les administrations publiques sous forme d’impôts ou de contribution à la sécurité sociale. Une dernière, enfin, vers le reste du monde sous forme d’importations. Dans la mesure où les ressources soustraites au circuit par un secteur donné, ne sont pas compensées, la position créditrice nette de ce secteur doit nécessairement changer. Par exemple, si l’épargne du secteur privé excède l’investissement, l’accumulation nette d’actifs par ce secteur sera positive. De même pour les administrations publiques, si les prélèvements nets excèdent leurs dépenses en biens et services ; ou pour la nation, si les exportations nettes de biens et services sont positives. (…)

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Les deux décompositions du PIB sont des identités comptables : elles sont vraies par définition. Il est donc toujours vrai que : C+S+T = C+I+G+X-Z Si on élimine la consommation C, présente dans les deux membres de l’égalité, et que l’on réorganise les termes restants, on peut tirer une troisième identité qui se lit comme suit : (S-I) + (T-G) = (X-Z)

Charles Wyplosz et Michael Burda, Macroéconomie. A l’échelle européenne, De Boeck, 4ième édition, 2006, p. 40

Document 26 : Le circuit économique

La partie inférieure gauche du cercle représente les ventes de biens et services intérieurs, somme des dépenses de consommation (C), des dépenses d’investissement (I), des dépenses d’administrations publiques en biens et services (G) et des exportations (X) diminuées des importations (Z). Dans la partie supérieure gauche du cercle, ces dépenses se transforment en revenus des résidents. Ces revenus font l’objet de prélèvements (pour simplifier, des impôts) de la part des administrations publiques. Par ailleurs, celles-ci effectuent des transferts en faveur des ménages et des entreprises. Après impôts, ce qui reste – le revenu brut disponible des ménages et des entreprises – peut être, soit épargné (S), soit consommé (C). En outre, le secteur privé emprunte pour financer ses investissements (I). Le solde S-I est l’épargne nette du secteur privé. Le solde T-G est la capacité de financement des administrations publiques. Le solde X-Z constitue les exportations nettes de la nation.

Charles Wyplosz et Michael Burda, Macroéconomie. A l’échelle européenne, De Boeck, 4ième édition, 2006

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3. Les modèles macroéconomiques permettent d’obtenir de nombreuses informations

3.1 Les informations données par le modèle de la comptabilité nationale

3.1.1 La décomposition de la demande globale

Document 27 : décomposition de la croissance par les composantes de la demande, zone euro

Document 28 : part des composantes de la demande globale dans le PIB, France

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3.1.2 L’équilibre emplois-ressources en économie ouverte et la situation de financement de l’économie nationale

Document 29

(S-I) + (T-G) = (X-Z) Les parenthèses rappellent que les expressions correspondantes apparaissent en tant que flux nets émanant respectivement du secteur privé (ménages et entreprises), des administrations publiques et du reste du monde. Chacune des expressions entre parenthèses peut être interprétée comme une forme d’épargne, une fuite du circuit des dépenses et des revenus si elle est positive, ou une injection si elle est négative. Si S>I, le secteur privé dans son ensemble constitue une épargne nette. Si S<I, au contraire, il est emprunteur net. De même si T>G, les administrations publiques accumulent une épargne, tandis que si G>T, elles doivent emprunter en plaçant des titres dans le pays ou à l’étranger. L’identité montre comment ces fuites et injections sont liées, par définition. Une épargne nette positive est une capacité de financement, une épargne nette négative un besoin de financement. (X-M) peut s’interpréter comme la capacité (nette) de financement de la nation, qui est la somme de celles du secteur privé et des administrations publiques. Le tableau suivant présente l’identité comptable pour quelques pays en 2005. Aux Etats-Unis, tant le secteur privé que les administrations publiques dépenses plus qu’ils ne gagnent : la nation encourt un déficit extérieur de 6,5% du PIB ; la situation est exactement inverse au Japon, où l’excédent massif du secteur privé « écrase » le déficit public, assurant un excédent extérieur de 3% du PIB. au total, l’UE se comporte comme le Japon, mais les soldes intérieurs y sont de moindre ampleur et se compensent presque les uns les autres, ce qui entraîne un solde extérieur proche de zéro.

Charles Wyplosz et Michael Burda, Macroéconomie. A l’échelle européenne, De Boeck, 4ième édition, 2006, p. 40

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Document 30 : évolution soldes balances commerciales zone euro

3.1.3 L’évolution du produit global sur le long terme : la stagnation séculaire ?

Document 33 : évolution du taux de croissance à partir des années 1950, France

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Document 34 : évolution du taux de croissance depuis le 19ième siècle

3.1.4 Construire des modèles explicatifs : relier produit, inflation et chômage

Document 35 : la relation de Phillips : taux de salaire / taux de chômage

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Document 36 : Courbe de Phillips aux Etats-Unis durant la décennie 1960

Document 37 : relier taux de croissance et taux de chômage, la loi d’Okun (France, période 1990-2007 ;

source : Sénat)

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Document 38 : quand la courbe de Phillips « ne marche plus »

Document 39 : l’exemple des Etats-Unis depuis 2010, la courbe de Phillips disparaît à CT et à LT

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3.2 Faire évoluer les modèles descriptifs des relations macroéconomiques

3.2.1 Des conventions moins pertinentes : l’exemple de la production industrielle

Document 40 : évolution de la part de l’industrie dans l’économie française

Document 41 : évolution de la production manufacturière en indice

Document 42 : une désindustrialisation en trompe l’oeil Les indicateurs généralement utilisés pour rendre compte de l’activité industrielle sont :

- l’emploi industriel dans l’emploi total, - la part de l’industrie en valeur dans le PIB et, - la part de l’industrie en volume.

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En observant l’évolution de ces indicateurs, peut-on parler de désindustrialisation de l’économie française, c’est-à-dire de recul du poids de l’industrie dans l’économie française ? L’emploi industriel atteint son point culminant à la fin des années 1960 avec 8,2 millions d’ouvriers. Entre 1980 et 2007, il perd 36% de ses effectifs, environ 2 millions de personnes, soit une moyenne de 71 000 emplois par an. Sa part dans la population active décline, et passe de 22% en 1980 à 12,5% en 2007. Comment expliquer cette baisse de l’emploi dans l’industrie ? Pour Lisa Demmou (Le recul de l’emploi industriel en France entre 1980 et 2007. Ampleur et principaux déterminants, Economie et statistiques, vol.438, n°1, p.73-296 et La désindustrialisation en France, DG Trésor, Juin 2010), la baisse de l’emploi industriel s’expliquer par trois facteurs explicatifs, mais leurs poids ne sont pas les mêmes avant et après 2000. Sur la période 1980-2000 : 25% des emplois industriels détruits s’expliquent par les stratégies d’externalisation des tâches (gardiennage, nettoyage …) que mettent en place les entreprises industrielles. Dans l’industrie automobile, par exemple, 40% des emplois sont externalisés en 2007. Cette externalisation correspond en réalité à un transfert des emplois des entreprises industrielles aux entreprises de services. Une partie de la désindustrialisation/tertiarisation n’est donc qu’un changement de classification des emplois, ce qui conduit à relativiser la désindustrialisation. Sur cette même période, le second facteur explicatif, qui pèse 29% de la destruction d’emploi, est celui des gains de productivité. Enfin, la concurrence étrangère expliquerait 13% des emplois. Cette concurrence étrangère est celle des pays positionnés comme la France sur le bas et moyen de gamme et dont les coûts unitaires de production sont plus faibles. Il s’agit de pays asiatiques, mais surtout européens, comme l’Espagne ou la Pologne. Après 2000 : Ce sont les gains de productivité qui fournissent l’explication dominante à la baisse de l’emploi industriel : ils expliquent deux tiers de la destruction d’emplois industriels. De 1995 à 2015, la production industrielle est multipliée par deux tandis que dans le même temps, le total des heures travaillées dans l’industrie est divisé par deux. Cela signifie donc que le produit par heure dans l’industrie a été multiplié par 4. C’est le progrès technique qui explique ici l’ « économie » de travail, puisque la demande augmente moins vite que la productivité. Cela conduit à revenir sur la notion de désindustrialisation : nous observons bien moins d’emplois industriels, mais la demande et la production de ces biens ne baisse pas en volume. Elle augmente d’ailleurs au même rythme que celui de la croissance économique. En effet, si l’on observe l’évolution de la part de l’industrie dans le PIB en volume, on constate qu’elle est stable depuis les années 1980 ; cette stabilité illustre bien la hausse proportionnelle de la production industrielle avec la croissance économique. Comment alors expliquer la baisse du troisième indicateur : la part de l’industrie dans le PIB en valeur, qui a été divisée par 2,5 entre 1960 et aujourd’hui ; elle passe de 25% du pib à 10% ? Pierre Veltz dans La société hyper-industrielle (2017) rappelle que les prix des biens industriels ont baissé plus rapidement que ceux des services en raison d’une productivité plus élevée dans l’industrie. Cette baisse des prix relatifs industriels fait automatiquement baisser leur part en valeur dans le PIB. La dernière question que nous pouvons nous poser est alors la suivante : comment se fait-il que la baisse des prix des biens industriels ne se soient pas traduite par davantage de demande adressée à l’industrie, et donc à une croissance du volume des ventes plus importante ? Lisa Demmou rappelle que lorsque les revenus par habitant sont relativement faibles, l’élasticité prix de la demande des biens industriels est supérieure à 1, par contre lorsque les revenus par tête sont relativement élevés, cette élasticité devient inférieure à 1. Dit autrement, plus le niveau de vie augmente, moins les consommateurs réagissent à une baisse des prix des biens produits par l’industrie. C’est la loi d’Engel. On se retrouve donc dans la situation suivante : les gains de productivité font augmenter les revenus, cette hausse des revenus fait croître le pouvoir d’achat, qui est de plus en plus utilisé pour achat des produits non industriels. La demande de biens augmente donc moins vite que la productivité. En conclusion, si l’on observe bien une baisse de l’emploi industriel et une baisse de la part de l’industrie dans le Pib en valeur, il faut relativiser ce phénomène de « désindustrialisation » car l’industrie n’a pas disparu et sa production en volume continue même d’augmenter. Les gains de productivité sont un élément central pour comprendre la situation de l’industrie aujourd’hui : ils alimentent une hausse des revenus qui déforme la demande en faveur des services ; l’écart entre la croissance de la demande et celle de la productivité explique la baisse des emplois industriels. Si certains indicateurs permettent de conclure à une désindustrialisation, celle-ci est en réalité en trompe-l’œil.

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Document 43 : la définition de l’industrie par l’Insee pose problème Par ailleurs, les indicateurs statistiques semblent aujourd’hui dans l’incapacité de rendre compte des transformations des activités économiques. Il existe un angle mort de l’outil statistique. La définition de l’industrie par l’Insee est la suivante « relèvent de l’industrie les activités économiques qui combinent des facteurs de production (...) pour produire des biens matériels destinés au marché ». Lionel Fontagné, Pierre Mohnen et Guntram Wolff dans Pas d’industrie, pas d’avenir ? (Rapport du CAE n°13, juin 2014) montrent que cette définition s’accorde de plus en plus mal avec la réalité. Elle donne à voir une industrie moribonde alors que celle-ci se transforme. D’une part, les entreprises industrielles sont de plus en plus associées à des activités de services : c’est exemple le cas dans l’automobile où le service après-vente est un élément central de compétitivité des fabricants de voiture. Les constructeurs de voitures sont aussi des « garagistes ». On peut alors parler de services de l’industrie. En 2007, « un quart environ des entreprises manufacturières installées en France ne vendait que des services en 2007, un tiers environ vendait majoritairement des services et 87 % vendaient aussi des services. »1On assiste donc à une tertiarisation de leur activité « industrielle ». D’autre part, certaines entreprises de services nécessitent des investissements matériels croissants, donc des coûts fixes élevés et des rendements d’échelle, ce qui est le cas « des centres de données, des moteurs de recherche, du cloud informatique, toutes activités fortement consommatrices d’énergie, imposant de fortes immobilisations (fermes de serveurs, systèmes de refroidissement, sites sécurisés) » Dans le rapport du CAE, Lionel Fontagné, Pierre Mohnen et Guntram Wolff écrivent : « Si les usines (industrielles) n’ont plus de cheminée, les producteurs de services ont pris le relais : chaque centre de données de Google comprend des centaines de milliers de serveurs devant être refroidis. Parmi les vingt premières capitalisations boursières américaines (au 11 mars 2014), Apple, Google, Microsoft, IBM, Verizon, Facebook, Oracle, Amazon sont-elles des entreprises industrielles, ou des entreprises de services ? ». Certaines activités de service ont donc des caractéristiques identiques aux activités industrielles traditionnelles. Enfin, une troisième transformation modifie considérablement la définition des activités industrielles. En pratiquant le découpage de la chaîne de valeur, les entreprises « industrielles » se concentrent désormais sur des activités … de services. C’est le cas par exemple, dans l’informatique où une entreprise comme Dell ou Apple fondent leur valeur ajoutée sur le marketing, l’image de marque, le design et où la « production » au sens d’activité manufacturière ne prend que quelques minutes lors de l’assemblage des pièces. C’est le cas aussi dans le vêtement, Nike par exemple ne fabrique plus un seul vêtement. En résumé, les entreprises industrielles ont de plus en plus besoin de fournir des services pour être compétitives (les services de l’industrie). Certaines entreprises de services ont des activités proches de l’industrie (l’industrie de service). La DIPP et le découpage de la chaîne de valeur transforment des entreprises qui vendent des produits sous leur marque en des entreprises qui ne fabriquent plus leurs biens mais assurent la conception, le design, le marketing, la communication … le découpage de la chaîne de valeur conduit au développement d’un « commerce de tâches » et rend la définition actuelle des activités industrielles obsolètes. Le rapport Lionel Fontagné, Pierre Mohnen et Guntram Wolff suggèrent ainsi de modifier la définition de l’industrie : « L’industrie change de nature et ne fait plus qu’une avec les services. Le périmètre des entreprises change avec le fractionnement des chaînes de valeur. Ce qui définit une entreprise « industrielle » c’est l’implication dans la conception des produits, la propriété intellectuelle, la prise de risque économique. Ce qui définit l’« industrie », c’est la production de masse, la réalisation d’économies d’échelle, les gains de productivité et l’application du progrès technique. » L’ensemble de ces transformations conduit à redéfinir les « métiers industriels » qui s’éloignent de plus en plus du métier de l’ouvrier d’usine.

 

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3.2.2 Le regard que l’on souhaite porter sur la réalité change

Document 44 : le problème de la qualité On ne sait pas tenir compte du fait qu’une automobile de 2016 est en réalité un autre produit qu’une automobile de 2000 ou de 1990, même lorsqu’elle est vendue au même prix et porte le même nom. La production de masse traditionnelle était axée sur la productivité en volume (faire plus avec moins). Or, depuis une trentaine d’année, des critères de « qualité » (au sens large) sont devenus déterminants, et non plus secondaires, dans la concurrence : la fiabilité des produits, la diversification des variantes (ce que l’on appelle le sur-mesure de masse), la réactivité temporelle par rapport aux demandes. Au centre du jeu économique, il y a désormais une « productivité des qualités » (faire mieux avec moins) que nos outils de mesure saisissent mal. Deplus, chacun voit que ce qui est vrai des automobiles ou des machines à laver est encore plus vrai des services où ces dimensions de qualité sont à la fois centrales et particulièrement difficiles à estimer. Enfin, les nouveaux services numériques achèvent de brouiller les cartes, ou plutôt les comptes. Wikipédia n’existe pas dans le PIB, Blablacar le fait baisser, de même qu’Airbnb et tous les services dits de l’économie du partage qui mobilisent des ressources dormantes ou sous-utilisées. (…) Dira-t-on que leur apport à la création de valeur dans la société est nul ou négatif ? Ce point est crucial car il jette un doute sérieux sur les chiffres de la croissance exprimés à partir du PIB marchand (…).

Source : Pierre Velz « La société hyper-industrielle », la République des idées, 2017, p.30

3.3 Les modèles macroéconomiques cherchent à répondre à certaines questions

Document 45 : deux niveaux différents d’étude de la réalité économique Depuis la thèse de doctorat de Paul Samuelson, publiée en 1947 sous le titre Les fondements de l’analyse économique, la science économique se partage entre microéconomie et macroéconomie. Le domaine de la microéconomie est celui de la théorie des prix (…). La macroéconomie traite du comportement des agrégats économiques : l’inflation, la production globale et l’emploi, principalement. La macroéconomie se donne pour problématique centrale les fluctuations de l’activité économique que les économistes appellent les « cycles économiques ».

Source : Dani Rodrik « Peut-on faire confiance aux économistes ? Réussites et échecs de la science économique », De Boeck, 2017, p.20

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