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ESH Économie Sociologie & Histoire du monde contemporain et Économie approfondie Michel Rozé Toute la 1 re année en 1 volume PRÉPAS ECE 2 e édition

ESH et économie approfondie - Prépas ECE 1re année - 2e

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ESHÉconomieSociologie

& Histoiredu monde contemporain

et Économie approfondie

Michel Rozé

Toute la 1re année en 1 volume

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ESH2e édition

M. Rozé

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ECE1re année

2e édition

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Cet ouvrage regroupe les nouveaux programmes de 1re année d’ESH et d’économie approfondie des classes préparatoires de la voie économique (ECE), et permet une compréhension approfondie du monde contemporain, tel qu’il s’est constitué dans toute sa complexité, depuis plus de deux siècles.

C’est pourquoi chaque thème est traité par des approches multiples : économiques, historiques, sociologiques, combinées di�éremment en fonction de l’objet en examen.

Ainsi, chaque chapitre présente :■ le cours portant sur le thème étudié,■ un résumé du cours,■ un rappel des principaux auteurs concernés par le thème,■ des citations,■ les chi�res-clés portant sur la question étudiée,■ des sujets de réflexion, des sujets d’épreuves de concours, dont

certains inédits,■ une bibliographie.

En fin de volume, un index complet des sigles et des organismes facilite la lecture de l’ouvrage.

Destiné en priorité aux étudiants de première année des CPGE, cet ouvrage sera aussi utile aux étudiants en Licence d’Économie, aux étudiants préparant les concours administratifs, et à tous les lecteurs soucieux de se doter d’une solide culture générale dans le domaine des sciences sociales, économiques et historiques.

Michel Rozé, Saint-Cyrien, est agrégé en sciences économiques et sociales et professeur de Chaire supérieure. Durant de nombreuses années, il a enseigné en classes préparatoires (lycée Pierre de Fermat et lycée Ozenne de Toulouse), et a été chargé de cours notamment à l’université de Toulouse-Capitole (préparation au CAPES et à l’Agrégation, ainsi qu’à la licence d’AES), à l’IUFM de Toulouse et au CESI. Il a également publié plusieurs ouvrages de sciences économiques et sociales destinés aux élèves des lycées.

9782340-034075_COUV.indd Toutes les pages 09/09/2019 11:45

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ÉconomieSociologie

& Histoire du monde contemporain

et Économie approfondie

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Michel RozéAgrégé en sciences économiques et sociales

et professeur de Chaire supérieure

ÉconomieSociologie

& Histoire du monde contemporain

et Économie approfondie

2e édition

Page 6: ESH et économie approfondie - Prépas ECE 1re année - 2e

ISBN 9782340-053700© Ellipses Édition Marketing S.A., 2019

32, rue Bargue 75740 Paris cedex 15

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Avant-propos

Cette nouvelle édition du manuel de classe préparatoire aux hautes études économiques et commerciales de la filière ECE a été soigneusement actualisée en fonction des données et des faits les plus récents.

Elle reprend par ailleurs les caractéristiques structurelles de la première édition et qui en ont fait le succès.

En effet les douze chapitres de ce volume traitent l’intégralité du programme de première année de la voie économique (ECE) des classes préparatoires aux grandes écoles économiques et commerciales en Économie, Sociologie et Histoire du Monde Contemporain (ESHMC) et en Économie approfondie (microéconomie et macroéconomie)

Ce volume fournit aux étudiants un exposé méthodique des faits, des concepts, des méthodes, des analyses concernant les principaux phénomènes économiques et sociaux depuis le début du XIXe siècle jusqu’à nos jours, en combinant de façon dynamique trois approches complémentaires : économique, sociologique et historique car, comme le dit le prix "Nobel" d'économie de 1974, Friedrich von Hayek,dans son ouvrage de 1944 La route de la servitude : "Serait piètre économiste, celui qui n'est qu'économiste" .

Les huit premiers chapitres concernent le programme d’Économie, Sociologie et Histoire du Monde Contemporain.

Ils sont suivis de deux chapitres qui approfondissent certains des concepts et méthodes de base de la microéconomie.

Les deux derniers chapitres sont consacrés à la macroéconomie: comptabilité nationale et fonctions et équilibre macroéconomiques.

Chaque chapitre est composé d’un exposé approfondi de l’un des thèmes du programme. Il est suivi d’un résumé permettant une révision rapide, d’indications de lectures complémentaires, éventuellement de citations, de sujets de réflexion concernant le thème sous examen et de sujets de dissertation, issus des annales des écoles, ou inédits.

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Sommaire

Économie, Sociologie et Histoire (ESH) pages

Chapitre 1. Les fondements de l'économie. Les acteurs et les 3 grandes fonctions de l'économie

Chapitre 2. L’évolution de la pensée économique du XVIe siècle 27 à nos jours

Chapitre 3. La monnaie et le financement de l’économie 132 Chapitre 4. Les Fondements de la Sociologie 182 Chapitre 5. L’économie de l’entreprise 212 Chapitre 6. Croissance Fluctuations et Crises 245Chapitre 7. Les transformations des structures économiques, 298

sociales et démographiques depuis le XIXe siècle Chapitre 8. Économie et sociologie du développement 366

Microéconomie approfondie Chapitre 9. La détermination de l’équilibre des agents 412Chapitre 10. L’offre et la demande. Le fonctionnement 450

du marché concurrentiel

Macroéconomie approfondieChapitre 11. La comptabilité nationale 468 Chapitre 12. Fonctions et équilibre macroéconomiques 509

Index général 535

Table des matières détaillée 547

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Chapitre 1 Les fondements de l'économie.

Les acteurs et les grandes fonctions de l'économie

1. Origine et définitions de l’économie

1.1. Origine et évolution du terme « économie »

Issu du grec ancien « oikonomia » le terme « économie » désigne à l’origine l’art d’administrer la maison. C’est le philosophe grec Aristote (384-322 av. J.C.), qui le premier élargit le concept à l’art de bien gérer la cité antique, donc l’État et la société dans son ensemble.

Depuis l’« économie » a connu différentes acceptions particulières. Au XVIe siècle, le Français Antoine de Montchrestien 1 publie son Traité

d’économie politique. Depuis, l’économie politique désigne jusqu’à nosjours l’étude du fonctionnement matériel des sociétés et plusparticulièrement des modalités d’action de l’État dans ce domaine.L’économiste apparaît dès lors comme le « conseiller du Prince » dans lesdomaines d’intervention de l’État : réglementation économique, fiscalité,etc.

À partir du XIXe siècle le qualificatif « politique » a été jugé trop normatifet nombre d’économistes ont préféré utiliser le terme de « scienceéconomique » (au singulier ou au pluriel). En effet certains économistesveulent faire passer leur discipline du statut d’art plus ou moins empiriqueà celui de science.

De nos jours l’«économie», l’«économie politique», la (les) «science(s)économique(s)», l’«économique» sont des appellations qui coexistent etdésignent (avec des nuances) le même objet.

1 Antoine de Montchrestien, 1576-1621

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1.2. L’économie, branche des sciences humaines et sociales

L’économie est une science sociale, tout comme la sociologie, les sciencespolitiques et les sciences juridiques.

Elle vise à expliquer une réalité à partir d’une démarche rationnelle etsystématique : observation et interprétation des faits ; formulation d’hypothèses etdéduction ; vérification et rejet ou adoption (toujours provisoire) des conclusions.Par cette démarche elle est semblable aux autres sciences.

Mais c’est une science sociale, ce qui la différencie des sciences de la nature surtrois points essentiels : Son objet d’analyse évolue rapidement ; il est même fuyant, car la société

est en perpétuel, et parfois très rapide, changement, contrairement à la nature,immuable, du moins à l’échelle humaine.

Conséquence : en règle générale, si l’on excepte quelques expériences depsychologie économique, les situations étudiées par l’économiste ne sontpas reproductibles, ce qui différencie l’économie, comme les autres sciencessociales, des sciences « dures », qui utilisent la méthode expérimentale pourvalider leurs hypothèses. L’on dit parfois que « le laboratoire de l’économiec’est l’Histoire », mais on sait que celle-ci ne se reproduit jamais à l’identique,que tout au plus, elle « bégaie ». C’est donc là, pour l’économiste un obstaclede taille qui peut limiter la portée de ses analyses dans le temps et dans l’espaceet l’oblige à « remettre sans cesse l’ouvrage sur le métier ». Il ne faut donc pass’étonner de la succession des écoles de pensée économique : elle est, engrande partie, la conséquence de l’évolution historique des sociétés.

Sciences humaines

Linguistique Psychologie Sciences sociales

Histoire

Sciences juridiques

Sciences économiques

Sciences politiques

Sociologie

Microéconomie Macroéconomie

Géographie humaine

Mathématiques Philosophie

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Enfin, l’économie n’est pas une science « froide » : il ne peut pas y avoir entrel’économiste et son objet d’étude la distance qui existe entre l’astronome et lesétoiles ou le biologiste et la grenouille qu’il dissèque. L’économiste fait lui-même partie de l’objet qu’il étudie, puisqu’il est d’une époque, d’une certainesociété, d’une certaine classe sociale ; il a ses affects et ses propres intérêtsdont il lui est difficile de se détacher. L’économie est donc une science« passionnelle ».

Aussi face à un même problème, d’un économiste à l’autre, trouverons-nous des hypothèses, des analyses, des conclusions différentes. Ceci ne doit cependant pas conduire à un relativisme qui renvoie chacun dos à dos : l’Histoire, bien que n’étant pas véritablement un laboratoire scientifique, se charge de faire le tri entre les théories qui se trouvent validées dans les faits et celles qui ne correspondent pas à la réalité observée de manière objective.

Le chapitre 2 dressera un tableau de la pensée économique. Il fera apparaître ces polémiques, toujours vivaces de nos jours.

1.3. Une définition de l’économie (parmi d’autres) : L’économie recherche comment les hommes et la société décident, en faisant ou non usage de la monnaie, d’affecter des ressources productives rares (qui sont susceptibles d’emplois alternatifs) à la production à travers le temps, de biens et services variés et de répartir ceux-ci, à des fins de consommation présente ou future, entre les différents individus et groupes constituant la société.

Paul A. Samuelson 2, L’économique, éd. A. Colin, 1972.

Cette définition met en évidence un certain nombre de notions essentielles : La monnaie.

Dans les sociétés traditionnelles ou primitives, la monnaie ne tientqu’une place restreinte ou nulle : le don, le contre-don, le troc jouent un rôleprépondérant.

Par contre dans nos sociétés contemporaines et développées, la plupartdes opérations économiques utilisent la monnaie. Néanmoins, il en est quine passent pas par son truchement : c’est le cas par exemple des activitésdomestiques (éducation des enfants, ménage, lavage, etc.) à l’intérieurdesquelles la monnaie n’intervient pas ; l’économie domestique, bien que nefaisant pas usage de la monnaie, n’en constitue pas moins une baseessentielle du fonctionnement matériel de la société et peut, à ce titre,intéresser l’économiste.

2 Paul A. Samuelson, économiste américain (1915-2009) prix « Nobel » d’économie en 1970

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La notion de ressources productives raresPour produire un bien ou un service quelconque, il est nécessaire

d’utiliser des ressources productives telles que du pétrole pour fabriquerdes engrais, des matières plastiques, des carburants, et bien d’autresproduits ; du fer et du coke issu du charbon, pour fabriquer de l’acier, etc.Il faut aussi du travail humain, car les machines ne fonctionnent pas toutesseules ni ne se reproduisent spontanément. Or toutes ces ressourcesproductives sont en quantités limitées. Elles sont rares, c’est pourquoi ellesont un coût et donc généralement un prix.

L’emploi de ces ressources rares est alternatif. La tonne de pétrole qui apermis de produire x hectolitres de fioul, gasoil, essence, etc. ne peut êtreégalement utilisée pour entrer dans la fabrication d’engrais ou de matièresplastiques, elle doit faire l’objet d’un choix alternatif dans lequell’économiste a son mot à dire en fonction des résultats recherchés, un choixen termes de comparaison entre le coût de la production et son efficacité.

Un bien n’est qualifié d’économique que dans la mesure, justement où ilest rare et a un coût. La lumière solaire, l’air que nous respirons, la mer oùnous nous baignons sont des biens en principe libres et gratuits ; en tant quetels ils n’intéressent pas l’économiste. Mais si la lumière naturelle, l’air pur,le libre accès au rivage font défaut et qu’il faille produire de la lumièreartificielle, assainir l’air, aménager l’accès à la plage, il y a productionhumaine d’un bien et ce bien, lumière, air, etc. devient économique.

On voit donc que la notion économique de production désigne latransformation par l’activité humaine de biens et services en d’autres bienset services. Les biens sont matériels (acier, automobiles, immeubles…) lesservices sont immatériels (soin médical, cours d’économie, plaidoiried’avocat…). Néanmoins, pour être produits, les services, nécessitent unecertaine quantité de biens matériels tels que des ordinateurs, une craie et untableau noir, etc. Inversement la production de biens matériels exige desservices de recherche, d’entretien des machines, etc.

Pour faire bref, la consommation est la destruction par l’usage de biens etde services. On distingue la consommation finale de la consommationintermédiaire :

Un bien ou un service fait l’objet d’une consommation finalequand il satisfait un besoin (alimentation, habillement, logement,etc.) sans entrer dans la production d’un autre bien ou service.

Par contre, un bien ou service constitue une consommationintermédiaire lorsqu’il sert à la production d’un autre bien ouservice. Tel est le cas d’une matière première, d’un produiténergétique, etc. qui entrent dans une combinaison productive.

La production conduit à la création de richesses qui sont réparties entreles habitants. Cette répartition, le plus souvent inégale, entre les individus

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et les groupes sociaux, est également un sujet d’étude pour les économistes.

Depuis 1933, à la suite des propositions de l’économiste norvégien Ragnar Frisch3,les sciences économiques se subdivisent en microéconomie et macroéconomie :

La microéconomie étudie le comportement des agents économiques telsque, par exemple, les ménages et les entreprises qui se « rencontrent » surdes marchés : marché du travail, marché des biens de consommation, etc.L’approche microéconomique des phénomènes repose le plus souvent surl’hypothèse que les agents sont rationnels et utilitaristes (ils recherchent le« meilleur rapport coût/efficacité » de leur action).

La macroéconomie étudie l'économie d’une manière globale, à l’échellenationale ou internationale. Elle s’appuie sur des agrégats (le PIB, Produitintérieur brut, la FBCF, formation brute de capital fixe, les exportations etimportations, etc.) afin de déceler leurs relations et prédire, si possible, leurévolution.

Il faut noter cependant que, de nos jours, la distinction entre les deux disciplines n’est plus aussi nette : la macroéconomie contemporaine a fréquemment tendance à s’appuyer sur des raisonnements de type microéconomique.

2. Les acteurs de l’économie : agents et marchés Le fonctionnement d’une économie résulte d’une myriade d’interactions entre des

agents économiques : ménages, entreprises, banques, administrations. [Dans levocabulaire de la comptabilité nationale française, ces agents sont appelés« secteurs institutionnels »]

Certaines de ces interactions : achat et vente de biens, fourniture de travail contreversement d’un salaire, prêt et emprunt de fonds, etc. se réalisent sur des marchés.Ici, il s’agit respectivement, du marché des biens, du marché du travail, du marchéfinancier. L’existence d’un marché présuppose qu’il y ait une offre et une demandelibres de s’exprimer qui aboutissent à un échange de biens, de services ou de fondset à la fixation d’un prix : prix d’une marchandise, salaire, taux d’intérêt, etc.

Mais d’autres interactions se font hors marché. Ainsi les administrations publiques[État, collectivités locales (en France : communes, départements, régions),organismes de sécurité sociale] prélèvent souverainement des impôts ou descotisations sur les agents privés et, en sens inverse, financent des services publicset octroient des prestations et des subventions à certains agents.

3 Ragnar Frisch (1895-1973) est aussi à l’origine de l’économétrie, ce qui lui valut le « prix Nobel » d’économie en 1969

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En somme toute économie moderne est plus ou moins mixte : une partgénéralement majoritaire des interactions entre agents se déroule sur des marchés,une autre part est hors marché.

2.1. Les agents ou secteurs institutionnels Les agents ou secteurs institutionnels se définissent par leurs fonctions

économiques principales et par leurs ressources principales. D’où le tableau suivant : Agents ou secteurs institution-nels

Fonctions principales Ressources principales

Ménages

dont :

Entreprises individuelles

Offre de travail

Consommation

Epargne

Fourniture de services de logement

Fourniture de biens et de services marchands

Salaires

Revenus de la propriété (loyers, intérêts, dividendes…)

Revenus mixtes du travail et du capital

Sociétés non financières (SNF)

Production de biens et de services marchands

Investissement

Vente de biens et de services marchands

Institutions financières et monétaires (IFM)

Fourniture de capitaux aux agents non financiers

Intérêts, dividendes et plus-values perçus

Administra-tions publiques

(APU)

Fourniture de services publics gratuits ou quasi-gratuits4

Aides et subventions à divers agents

Prélèvements obligatoires :

Impôts

Cotisations et contributions sociales

Il est à noter que, pour la Comptabilité nationale française, les entreprisesindividuelles (artisans, petits commerçants, certaines professions libérales) fontpartie des ménages parce que, en raison de l’absence de comptabilité détailléecomplète, il est impossible de distinguer clairement, parmi les sources de leursrevenus, ce qui est attribuable à leur travail ou à leur capital : ce sont des revenusmixtes.

4 Est réputé quasi-gratuit un bien ou un service qui est fourni moyennant un paiement inférieur à la moitié de son coût de production.

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2.1.1. Le secteur des ménages Dans l’ancienne France, on parlait de gens « vivant au même pot et au même

feu ». C’était peut-être plus éloquent que notre terme actuel de ménage, mais peu précis. De nos jours le secteur des ménages inclut :

les individus ou groupes d’individus dont la fonction principale consisteà consommer.

les personnes vivant en permanence en collectivité et dont l’autonomied’action ou de décision en matière économique est très limitée ouinexistante (c’est le cas, par exemple, des membres d’ordres religieuxvivant dans des monastères, des patients hospitalisés pour de longuespériodes, des prisonniers purgeant des peines de longue durée ou despersonnes âgées vivant en permanence en maisons de retraite). Onconsidère que ces personnes constituent, ensemble, une seule unitéinstitutionnelle, en fait un seul ménage.

des individus ou groupes d’individus dont la fonction principale consiste àconsommer et qui en outre produisent des biens et des services nonfinanciers exclusivement à usage final propre, c’est-à-dire les services delogement produits par les propriétaires-occupants et les servicesdomestiques résultant de l’emploi de personnel rémunéré.

les entreprises individuelles. Une entreprise individuelle est uneentreprise qui est la propriété exclusive d'une personne physique.L'entrepreneur exerce son activité sans avoir créé de personne juridiquedistincte. Les différentes formes d'entreprises individuelles sont :commerçant, artisan, profession libérale, agriculteur.

les institutions sans but lucratif au service des ménages qui ne sont pasdotées de la personnalité juridique.

Dans leur fonction de consommateurs, les ménages peuvent se définir comme depetits groupes de personnes qui partagent le même logement, mettent en communune partie ou la totalité de leurs revenus et de leur patrimoine et consommentcollectivement certains biens et services, essentiellement le logement etl’alimentation. Cette définition peut être complétée, le plus souvent, par le critèrede l’existence de liens familiaux ou affectifs.

Les ressources principales de ces unités proviennent de rémunérations desalariés, de revenus de la propriété, de transferts effectués par d’autres secteurs,de recettes tirées de la cession de la production (pour les entreprisesindividuelles).

En 2015 l’INSEE recensait ainsi un peu plus de 29 millions de ménages en Francecontre environ 22 millions en 1990. L’augmentation du nombre de ménages n’estpas seulement liée à l’accroissement de la population mais aussi à la diminution deleur taille : un nombre croissant de ménages est maintenant constitué de personnes

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seules, de couples sans enfants et de familles monoparentales. L’évolution des modes de vie et le vieillissement de la population expliquent cette diminution de la taille des ménages.

1990 1999 2015

Type de ménage en milliers en % en milliers en % en milliers en %

Ménage composé uniquement

d'un homme seul 2 210,9 10,1 3 022,8 12,4 4 389,5 15,1

d'une femme seule 3 705,6 16,9 4 468,9 18,4 5 856,7 20,2

d'un couple sans enfant 5 139,8 23,4 5 965,7 24,5 7 405,6 25,5

d'un couple avec enfant(s) 7 991,4 36,4 7 688,9 31,6 7 405,3 25,5

dont : avec enfant(s) de moins de 18 ans 6 374,2 29,1 6 075,7 25,0 6 027,8 20,8

d'une famille monoparentale 1 490,2 6,8 1 840,3 7,6 2 571,1 8,9

dont : avec enfant(s) de moins de 18 ans 821,9 3,7 1 102,6 4,5 1 645,7 5,7

Ménages complexes (a) 1 404,1 6,4 1 345,7 5,5 1 383,8 4,8

dont : avec enfant(s) de moins de 18 ans 431,9 2,0 422,5 1,7 341,1 1,2

(a) Un ménage complexe comporte plusieurs personnes dont les liens ne sont pas mis clairement en évidence par exemple des personnes vivant en cohabitation Source : Insee

2.1.2. Les entreprises

Selon la définition de l’INSEE, « L'entreprise est la plus petite combinaison d'unités légales qui constitue une unité organisationnelle de production de biens et de services jouissant d'une certaine autonomie de décision, notamment pour l'affectation de ses ressources courantes. »

Autrement dit pour qu’une unité productive soit considérée comme une entreprise, il faut qu’elle possède un statut légal (elle est inscrite au registre du commerce) et qu’elle jouisse d’une certaine autonomie de décision. Ainsi un atelier dans une usine n’est pas une entreprise (pas d’existence légale, ni d’autonomie de décision), mais la filiale d’un groupe est une entreprise (elle possède une personnalité juridique et, une certaine marge d’autonomie de gestion par rapport à la maison-mère) Les entreprises sont très diverses par leur taille, leur statut juridique, leur banche

de production, leurs effectifs salariés, leur importance dans le fonctionnement de l’économie.

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En France les 4,3 millions d’entreprises françaises (en 2016) donnent l’image d’uneéconomie assez peu concentrée, dominée numériquement par les moyennes et trèspetites entreprises. La question est de savoir si cette caractéristique est un atout ouune faiblesse pour la compétitivité de l’économie française : dans quelle mesure laréactivité plus rapide des petites entreprises face à une conjoncture changeante et lemaillage du territoire qu’elles permettent, compensent-ils leur sous-capitalisation etla médiocrité de leurs performances à l’export ?

2.1.3. Les institutions monétaires et financières (IMF)

Leur rôle sera détaillé dans le chapitre 3 consacré aux questions monétaires et de financement. Nous nous contenterons ici de présenter un tableau sommaire de ces IMF en prenant l’exemple de l’Union Européenne, particulièrement de la zone euro, ou de la France.

Les institutions monétaires et financières (IMF) comprennent principalement : La Banque centrale européenne (BCE) et les banques centrales nationales

(BCN), qui forment le système européen de banque centrale (SEBC). La Banquede France trouve place dans cette architecture au côté des 16 autres banquescentrales de la zone euro (en 2012)

Les établissements de crédit, qui ont le pouvoir de créer de la monnaie scripturale.En France, la loi bancaire les répartit en cinq catégories :

les banques commerciales qui peuvent collecter des dépôts et accorderdes crédits sans limitation de durée. Elles constituent le réseau le plusancien. Au sein des banques commerciales, les « trois vieilles » ont un poidsécrasant ; il s'agit des trois grandes banques de dépôts nationalisées en 1945:BNP-Paribas (privatisée en 1993), la Société générale (privatisée en 1987)et le Crédit lyonnais (privatisé en 1999) qui représentent à elles seules 50% du total du bilan des banques, et un cinquième des agences.

Les banques mutualistes ou coopératives, qui ont un statut spécial.Comme les banques commerciales, elles peuvent collecter des dépôts etaccorder des crédits sans limitation de durée. Elles forment cinq réseaux :le Crédit agricole, le Crédit mutuel, les Banques populaires, les Caissesd'épargne, et la Société coopérative de banques.

Les 21caisses du Crédit municipal : établissements publics qui ont lemonopole des prêts sur gage et peuvent réaliser des opérations de banques.

Des sociétés financières qui sont habilitées à réaliser des opérations debanques, à l'exception de la collecte des ressources à moins de deux ans quileur est interdite. Elles regroupent des sociétés spécialisées dans le crédit àla consommation, dans les prêts immobiliers, les sociétés de cautionmutuelle, les sociétés de crédit-bail immobilier... La plupart sont des filialesde groupes bancaires.

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Les institutions financières spécialisées sont des organismes créés parl'État et dotés de missions publiques ; c'est le cas du Crédit foncier de France(financement du logement), du Crédit d'équipement des PME, des Sociétésde développement régional (financement des PME dans les régions) ...

Les institutions financières, qui ne créent pas de monnaie mais serventd’intermédiaires entre les agents qui sont en besoin de financement et ceux qui sonten capacité de financement. Parmi ces institutions, on trouve notamment :

Les organismes de placements collectifs en valeurs mobilières(OPCVM). Les OPCVM sont spécialisés dans la gestion collective del'épargne ; ils regroupent et gèrent, dans un portefeuille de valeursmobilières, des ressources collectées auprès du public. On distingue lessociétés d'investissement à capital variable (SICAV) et les fonds communsde placements (FCP).

Les sociétés d'investissement à capital variable (SICAV)À partir du capital initial dont elles disposent, les SICAV seconstituent un portefeuille de valeurs mobilières diversifiéessouscrites sur les marchés de capitaux (actions, obligations…).Elles émettent ensuite des actions, ou parts de SICAV, quiconstituent une maquette, un modèle réduit, de leur portefeuille etseront souscrites par des investisseurs.À la différence des sociétés ordinaires, dont le capital social ne peutaugmenter qu'avec l'accord de l'assemblée générale desactionnaires, le capital de la SICAV est « variable », ce qui assureune relative liquidité du titre au souscripteur. Le prix des actions deSICAV est calculé (et non coté directement en bourse) à partir del'évolution des cours des titres qui composent le portefeuille de laSICAV ; la « valeur liquidative de l'action », publiéequotidiennement, est le rapport entre la valeur de l'actif, c'est-à-diredu portefeuille de la SICAV et le nombre de parts de SICAVsouscrites.

Les fonds communs de placementsCréés en 1979, les fonds communs de placements sont desregroupements d'épargnants sous forme de copropriétés des actifsdu fonds. Ils se distinguent des SICAV par plusieurs traits : ils n'ontpas la personnalité morale ; la taille de leur portefeuille est plusréduite car historiquement limitée, ce qui permet une plus grandespécialisation du portefeuille ; leur liquidité est plus faible car, à ladifférence des SICAV, la valeur liquidative des parts de fonds

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communs de placements n'est publiée, en moyenne, que tous les quinze jours.

Les entreprises d'investissementCe sont des personnes morales ayant vocation à fournir des servicesd'investissement, c'est-à-dire à recevoir, transmettre, exécuter des ordrespour le compte de tiers, de gérer des portefeuilles, de participer auplacement d'instruments financiers. Depuis 1996, elles regroupentnotamment les agents du marché interbancaire, les sociétés de bourse, lessociétés de gestion de portefeuille, etc.

Les sociétés d’assurance et les mutuellesLeur rôle consiste à vendre des contrats contre des primes d’assurance oudes cotisations volontaires. Les fonds recueillis permettent de garantir auxassurés le versement de dédommagements stipulés à l’avance, en cas desurvenue des aléas (accidents, maladies, décès, sinistres divers) qui ont faitl’objet du contrat.

2.1.4. Les administrations publiques

Elles ont comme caractéristique commune de fournir des services publics à la population. Ces services étant fournis gratuitement ou quasi gratuitement, mais ayant bien sûr un coût de production, doivent être financés par des prélèvements obligatoires : des impôts et des cotisations.

Dans le cas de la France, on peut distinguer les administrations publiques, au sens strict, des organisations du système de protection sociale. Les organismes du système de protection sociale

Comme leur appellation l’indique clairement, leur rôle est de protéger lescitoyens contre les risques de l’existence et de la vie en société, ou du moins certainsd’entre eux : la maladie et l’accident, le handicap, le chômage, la perte de revenuconsécutive à la venue d’un enfant, la vieillesse, la dépendance, etc.

Le système assure une redistribution horizontale. Schématiquement les bien- portants paient pour les malades, ceux qui ont un emploi pour les chômeurs, les actifs pour les retraités, etc. Des cotisations et des contributions obligatoires alimentent des caisses (Caisse d’assurance maladie, Caisse d’allocations familiales, etc.) qui versent aux ayants droit des prestations en espèces ou en nature leur permettant de faire face à leur situation.

Les administrations publiques proprement ditesEn France, il convient, sans entrer dans le détail du « mille feuilles »

administratif, de distinguer au moins quatre niveaux :

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Le niveau de l’État. C’est en principe5 le niveau politique souverain,constitué de la Présidence de la République, du Gouvernement et duParlement (Assemblée Nationale et Sénat) et de l’ensemble desadministrations centrales (des ministères) et déconcentrées (au niveaudes préfectures de département et de région).

Le niveau régional. Le territoire est découpé en 13 régions métropolitaineset 5 régions ou départements d’outre-mer (DROM) et 3 Collectivitésd’outre-mer (COM)

Le niveau départemental. 101 départements de métropole et d’outre- mer Le niveau communal. 34 970 communes en France métropolitaine et dans

les départements d’outre-mer. À quoi s’ajoutent de très nombreusesorganisations intercommunales, d’agglomération, etc.

L’ensemble des administrations publiques, d’État, hospitalière et territoriale cumulent environ de 5,5 millions d’agents.

2.2. Les marchés

2.2.1. Qu’est-ce qu’un marché ? On sait concrètement, dans notre vie courante, ce qu’est un marché : c’est un

lieu où se rencontrent des vendeurs de marchandises et des acheteurs qui désirent éventuellement acquérir ces marchandises.

Sur de tels marchés, aux fruits et légumes, aux poissons, etc. les vendeurs proposent leurs produits ; ils font une offre aux chalands qui, en fonction de leurs besoins, de leurs goûts et de leurs moyens financiers, décident ou non de les acheter. Il y a donc échange d’une certaine quantité de produits contre une certaine quantité de monnaie. Ainsi s’établit pour chaque produit un prix. Celui-ci peut avoir été fixé au préalable par le vendeur ou faire l’objet d’un marchandage. Même dans le premier cas, il se peut qu’à la fin du marché, constatant des invendus qu’il ne veut pas remporter, le vendeur baisse son prix pour écouler davantage de marchandise. On voit que le prix et la quantité écoulée dépendent de plusieurs facteurs : la qualité des produits, les besoins ressentis par les clients et leur pouvoir d’achat, la capacité des vendeurs à stocker ou non les invendus, etc. En généralisant et synthétisant ces opérations, qui prennent des formes très variées selon les circonstances concrètes, les économistes vont définir un marché de façon abstraite :

Un marché est un mécanisme qui, pour un produit ou un service donné, organise la confrontation de son offre et de sa demande, et permet de fixer son prix et la quantité échangée.

5 En principe, car dans les faits, de nombreux abandons de souveraineté ont été concédés par la France, comme tous les autres pays membres de l’Union Européenne, aux instances communautaires.

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Il est à noter que cette confrontation entre offre et demande est supposée volontaire et qu’en conséquence, si les parties prenantes se mettent d’accord sur un prix et une quantité échangée, c’est que l’une et l’autre y trouve son intérêt : l’échange est, a priori, mutuellement avantageux.

2.2.2. La diversité des marchés

Les marchés sont très divers. Certains sont localisés en des lieux précis, tels les marchés évoqués ci-dessus.

D’autres, comme le marché des changes, ne sont fixés nulle part : ils sont organisésen réseaux informatisés qui relient les salles de marché dispersées dans les banquesdu monde entier et font apparaître sur leurs écrans les offres et les demandes dedevises.

Pour simplifier on peut distinguer, à l’échelle macro-économique quatre types demarchés :

Les marchés des biens et services de consommation, qui répondent à desbesoins finaux (alimentation, équipement du logement, etc.) des ménages.

Les marchés des biens de production. Ils permettent aux entreprises de seprocurer les matières premières, l’énergie, les machines nécessaires à laproduction d’autres biens.

Les marchés financiers qui permettent aux agents en besoin definancement de se procurer auprès des agents en capacité de financementles fonds dont ils ont besoin.

Les marchés du travail sur lesquels les ménages offrent leur force detravail aux entreprises contre un salaire.

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3. Les principales fonctions économiques 6

3.1. La production

Produire c’est faire apparaître un produit ou un service nouveau, grâce à la combinaison de différents moyens matériels et humains : des machines, des matières premières, de l’énergie, du travail. Pour modéliser la production, on peut écrire de manière symbolique, que le

produit obtenu Y est le résultat d’une « fonction » f de différents facteurs deproduction : du capital K, du travail L, etc. Soit la formulation canonique :

Y = f (K, L, ….) En quelles unités mesurer la production ?

Soit en quantités physiques : x tonnes d’acier, y ordinateurs, zautomobiles, etc.

Soit en valeur. En effet les produits étant hétérogènes, même au niveaud’une seule entreprise, il faut pouvoir agréger, c’est-à-dire évaluerglobalement ces divers produits et services.

Cette dernière solution étant le plus souvent retenue en économie, il importe cependant de ne pas comptabiliser plusieurs fois une même production.

En effet, prenons l’exemple d’une boulangerie qui a produit pour 1000 euros de pain en utilisant 300 euros de farine achetée à la meunerie et 50 euros d’électricité achetée à EDF.

Pour calculer la contribution des trois entreprises à l’accroissement de la richesse nationale on ne peut additionner leurs productions 1000 + 300 + 50 : ce serait compter deux fois la valeur de la farine (dans la production de la boulangerie et celle de la meunerie) et deux fois celle de l’électricité (dans la production de la boulangerie et dans celle d’EDF). Le calcul correct consiste donc à soustraire de la valeur du pain les dépenses en farine et en électricité, ainsi la véritable valeur de la richesse produite par le boulanger correspond à son apport propre, c’est-à-dire :

1000 – 300 – 50 = 650 €. C’est ce que l’on appelle la valeur ajoutée. Au niveau d’une entreprise, la valeur ajoutée est donc la différence entre sa

production (mesurée par son chiffre d’affaires) et ses consommationsintermédiaires, c’est-à-dire la valeur des « intrants » (en franglais on ditaussi les « inputs ») qui ont concouru à la production : essentiellementénergie et matières premières.7

6 Cette partie trouvera des prolongements et d’autres développements dans la partie « économie approfondie » 7 Attention la valeur du travail (des salaires) n’est pas comprise dans ces intrants !

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Cette valeur ajoutée est dite « brute » (VAB) quand on n’en déduit pas la valeur du capital fixe qui a été absorbé dans la production (l’usure des équipements, ou consommation de capital fixe) ; dans le cas contraire la valeur ajoutée est nette (VAN). Nous avons donc les relations suivantes : Valeur ajoutée = chiffre d’affaires – consommations intermédiaires

VA = production – CI Valeur ajoutée brute = Valeur ajoutée nette + consommation de capital fixe

VAB = VAN + consommation de capital fixe

Par exemple en 2017, d’après le TEE (tableau économique d’ensemble, (cf. chap11. Comptabilité nationale) les sociétés non financières (SNF) françaises ont réalisé une production de 2819,1 milliards d’euros, une consommation intermédiaire de 1633,1 milliards, ce qui leur a permis de dégager une VAB de 1186 milliards d’euros. Leur consommation de capital fixe étant évaluée à 235,1 milliards d’euros, leur VAN se monte à 950,9 milliards.

Au niveau macroéconomique la somme des valeurs ajoutées brutes et desimpôts sur les produits est le produit intérieur brut (PIB). En déduisant laconsommation de capital fixe on obtient le Produit intérieur net (PIN) :

PIB = ∑VAB + impôts sur les produits. PIN = PIB – consommation de capital fixe

Exemple. En 2017, le PIB et le PIN de la France se sont établis à partir des éléments suivants (en milliards d’euros):

Production = 4028,5 ; CI = 1986,4 ; impôts nets de subventions sur les produits = 249,6 ; consommation de capital fixe = 413,4. Il en a résulté :

PIB = 4028,5 – 1986,4 + 249,6 = 2291,7 et PIN = 2291,7 – 413,4 = 1878,3 La production n’est pas nécessairement vendue sur des marchés, c’est le cas

de la valeur des biens et des services publics. On distingue donc uneproduction marchande et une production non marchande. Pour laFrance, en 2017, la production marchande s’élevait à 3276,1 milliards, soit81% des 4028,5 de la production totale.

Comment se répartit la VAB ?La répartition de la VAB s’effectue à ce niveau, celui des revenus primaires,

entre trois parties prenantes : les salariés, l’État et les entreprises. Pour ces dernières on distingue les revenus mixtes perçus par les entreprises individuelles

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(revenus du capital et du travail) du revenu des entreprises sociétaires : l’EBE, excédent brut d’exploitation, que l’on peut assimiler au profit des entreprises sociétaires.

À un autre niveau, celui de la redistribution des revenus, par le jeu combiné des prélèvements obligatoires et des prestations versées, on aboutit au revenu disponible brut de la nation et des agents économiques.

Sur la base du chiffrage effectué par l’INSEE (TEE 2017), nous avons (en milliards d’euros) :

3.2. La consommation

La consommation est la destruction par l’usage de biens et de services. Nous avons déjà vu un premier type de consommation : la consommation

intermédiaire. Ici nous considérerons un deuxième type : la consommation finale. C’est celle des ménages ; elle n’est destinée qu’à répondre à des besoins dits « finaux » (ou finals) d’alimentation, d’habillement, de logement, etc. Dans cette consommation finale la destruction de l’objet consommé est plus ou

moins rapide : Elle est immédiate pour les services que ce soit un diagnostic médical ou une

plaidoirie d’avocat, par exemple. Elle est également immédiate pour les biensde consommation non durables tels que les biens alimentaires, l’énergie…

Par contre elle s’étale dans le temps pour les biens de consommation semi-durables (vêtements) ou durables (automobiles).

VAB = 2291,7

Rémunération des salariés 1195,9

Impôts sur la production et les importations nets de subventions 309,3

Revenus mixtes (121,4) + excédent brut d’exploitation (665,1)

= 786,5

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La consommation est l’un des deux emplois possibles du revenu (l’autre étantl’épargne, comme nous le verrons plus loin). Il ne s’agit pas ici d’analyser ce quidétermine la consommation (domaine qui sera étudié en microéconomie, auchapitre 9) mais de mesurer la place que tient la consommation dans l’utilisation durevenu. Pour ce faire, les économistes utilisent les concepts de propension àconsommer.

La propension moyenne à consommer (cM) La propension moyenne à consommer d’un agent est le rapport entre sa consommation finale (CF) et son revenu disponible (RDB), c’est-à-dire le revenu restant après paiement des impôts. Globalement, au niveau macroéconomique, la cM sera égale au rapport entre la

consommation finale et le revenu disponible brut de la nation. Les chiffres de l’INSEE (en milliards d’euros) nous permettent d’évaluer cette propension à consommer pour 2017 : RDB 2017 = 2302,8 ; CF 2017 = 1779,3. Donc : cM = 1779,3 / 2302,8 = 0, 772. Ceci signifie qu’en 2017, les Français ont consacré, en moyenne, 77% de leur revenu disponible à l’achat de biens et de services finaux.

La propension marginale à consommer (cm) est le rapport entre la variation de la consommation et celle du revenu disponible entre deux dates.

Ainsi pour 2016, les chiffres étant les suivants : RDB = 2229,3 milliards d’euros et CF = 1741,2 milliards. Nous trouvons : Δ RDB17/16 = 2302,8 - 2229,3 = 73,5

Δ CF17/16 = 1779,3 - 1741,2 = 38,1 Ceci nous donne la propension marginale à consommer entre 2016 et 2017 : Cm = 38,1/ 73,5 = 0,518. Ce qui signifie que, en 2017 par rapport à 2016, les Français

ont consacré environ 52% de leur revenu disponible brut supplémentaire à l’achat de biens et de services finaux. 3.3. L’épargne

L’épargne (généralement désignée par S, de l’anglais spare, épargner) est l’antithèse de la consommation : par définition elle est égale au revenu qui, dans la période considérée, n’est pas consommé.

Donc, avec les notations précédentes l’épargne S = RDB – CF L’épargne est donc retirée du circuit de l’économie réelle (celle des flux de

biens et de services) pout être placée dans le secteur bancaire ou… sous lespiles de draps.

Selon l’un ou l’autre des termes de cette alternative, les conséquences sur l’économie ne sont évidemment pas les mêmes : l’épargne déposée dans le système bancaire peut être prêtée à des agents qui en ont besoin pour consommer ou investir ;

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dans ce cas l’épargne ne reste pas inactive, elle contribue à financer les activités économiques. Par contre si l’épargne est thésaurisée (en billets ou en lingots, etc.) elle est stérilisée.

De même que nous avons défini les propensions moyenne et marginale àconsommer nous pouvons définir des propensions moyenne et marginale àépargner :

La propension moyenne à épargner : La propension moyenne à épargner d’un agent est le rapport entre son épargne (S) et son revenu disponible (RDB)

sM = S / RDB = (RDB – CF) / RDB = 1- (CF / RDB) = 1 – cM soit encore cM + sM = 1

Ainsi en 2017, sM = 1 – 0,772 = 0, 228 = 22,8% La propension marginale à épargner : est le rapport entre la variation de l’épargne et celle du revenu disponible entre deux dates.

sm = ΔS / Δ RDB, d’où on déduit facilement que : cm + sm = 1 Donc, sur la période 2016- 2017, nous trouvons sm = 1 – 0,518 = 0,482: un peu plus

de 48 % du supplément de revenu perçu entre 2016 et 2017 a été épargné (ce qui révèle une certaine crainte pour l’avenir…). 3.4. L’investissement8 L’investissement est l’opération économique consistant à acquérir des biens de

production. L’investissement est donc un flux, tandis que le capital est un stock. Au niveau microéconomique, on peut distinguer trois types d’investissements :

Les investissements de capacité : acquisition d’équipements semblables àceux qui existent déjà dans l’entreprise. Ils augmentent le stock de capitaltechnique sans en élever l’efficacité.

Les investissements de remplacement : substituent, à l’identique, denouveaux biens d’équipement à des biens usés ou obsolètes. Ainsi le stockde capital reste inchangé.

Les investissements de productivité : il s’agit d’installer des équipementsnouveaux plus performants que les équipements déjà existants. Ainsi laproductivité dans l’entreprise s’accroît.

8 Il ne faut pas confondre l’investissement productif, le seul dont il sera question ici, et l’investissementfinancier. Celui-ci, très souvent qualifié d’investissement, tout court, mais qu’il vaudrait mieux, pour la clarté, qualifier de placement, consiste en l’achat d’actifs financiers qui n’ont fréquemment pas de rapport, tout au moins direct, avec la production réelle.

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En pratique ces trois types d’investissement sont souvent combinés : quand une entreprise remplace une machine usée, elle lui en substitue le plus souvent une plus moderne donc plus productive, ce qui peut aussi augmenter la capacité de production de l’entreprise.

Au niveau macroéconomique, l’investissement est qualifié de FormationBrute de Capital Fixe (FBCF). En France, en 2017, la FBCF s’est élevée à515,9 milliards d’euros.

4. Les relations entre les agents économiques

4.1. Le circuit de l’économie Schématisons le fonctionnement d’une économie nationale en recourant au

concept de circuit économique exposé pour la première fois par François Quesnay9 dans son Tableau économique des physiocrates (1758).

À travers les marchés, les agents sont reliés par des flux monétaires et financiers, d’une part et réels d’autre part.

Les administrations publiques ont des activités essentiellement hors marché : prélèvements obligatoires contre la fourniture de biens et de services publics gratuits ou quasi gratuits et le versement de prestations et de subventions.

Pour simplifier le schéma, nous n’avons pas fait figurer les marchés financiers ni les flux d’achat des administrations sur le marché des biens de production ainsi que leurs relations avec les actifs des ménages qu’elles emploient.

9 François Quesnay, chef de file de l’école des Physiocrates (1694-1774) (cf. chapitre 2)

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Salaires Marché du travail

Travail

Prélèvements obligatoires

prestations subventions

Administrations

Ménages crédits achat publiques entreprises

d’actifs publics

Dépôts

Financement des entreprises

Fourniture de services publics

Marché des biens

Ventes

Achats de consommation

marché des biens Ventes

de production Achats

Économie nationale

exportations Importations flux financiers

Légende

Flux réels agent

Flux monétaires et financiers

4.2. L’équilibre macroéconomique

La représentation « quesnaysienne » du circuit correspond à un fonctionnement équilibré d’une économie. Il s’agit de l’équilibre « macro-comptable » qui repose sur cette évidence que, dans toute économie et à tout instant, les ressources, d’où qu’elles viennent, sont en fin de compte nécessairement égales aux emplois, c’est-à-dire aux usages qui en sont faits.

Institutions

financières

marché

Reste du monde

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Considérons tout d’abord une économie très simplifiée sans État et sans relationsextérieures.

Soit Y le revenu dégagé par cette économie. Y est une ressource qui peut fairel’objet de deux types d’emplois : la consommation C (finale) ou l’épargne S. Nousavons donc Y = C + S

Y est aussi égal à la valeur des marchandises produites dans l’économie durantla période considérée, marchandises qui peuvent être soit consommées pour unevaleur C, soit investies pour une valeur I. Par conséquent :

Y = C + S = C + I et donc l’équilibre est représenté par l’égalité de l’épargneet de l’investissement :

I = S Dans cette économie toujours autarcique introduisons l’État. Celui-ci opère des

prélèvements obligatoires pour un montant T (T pour taxes) et dépense un montantG (G pour dépense gouvernementale). Désormais la valeur des biens et services decette économie se décompose en trois éléments : valeur des biens de consommationprivée (C), valeur des biens d’investissement privés (I), valeur des biensgouvernementaux (G). Nous avons donc Y = C + I + G.

Par ailleurs les revenus sont dépensés en biens de consommation C ou épargnésS ou servent à payer des impôts pour un montant T. Donc Y = C + S + T

Y = C + I + G = C + S +T. Donc I + G = S + T ou encore : I – S = T - G

Donc l’investissement net (I – S) est égal au solde budgétaire (T – G). Notons que T – G peut être positif, négatif ou nul, selon que le budget de l’État

est excédentaire, déficitaire ou équilibré. Dans le premier cas l’investissement est supérieur à l’épargne, dans le second cas c’est l’inverse, enfin dans le troisième nous retrouvons I = S, la condition de l’équilibre sans État. Maintenant considérons que l’économie s’ouvre au reste du monde : elleexporte X et importe Z. (X – Z) est la balance commerciale. Les exportations sontdes emplois de la production nationale, tandis que les importations constituent uneressource supplémentaire pour cette économie. Nous avons donc désormais, sousl’angle de la production : Y + Z = C + I + G + X ou encore Y = C + I + G + (X – Z). Sous l’angle de l’utilisation du revenu nous avons

toujours : Y = C + S + T. Ce qui donne : S + T = I + G + X – Z.

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En outre, un pays possédant à l’étranger un actif net F, rémunéré au taux r, perçoit de l’étranger un revenu égal à r F qui, en s’ajoutant au solde de sa balance commerciale constitue le compte courant10 du pays : CC = (X – Z) + r F

Donc, pour finir :

(S – I) + (T – G) = (X – Z) + r F = CC

Autrement dit le compte courant CC est l’équivalent exact de la somme de l’épargne intérieure nette privée (S - I) et du solde budgétaire des administrations publiques (T – G).

Par construction l’équilibre macro-comptable qui vient d’être défini est toujours vérifié. Mais nous pouvons avoir différents types d’équilibres, qui correspondent à des états très divers de l’économie d’un pays.

Sept équilibres sont envisageables11 : 1er cas : CC = 0 = (S-I) + (T-G).

Le compte courant est strictement équilibré, ce qui suppose, de trois choses l’une : (S –I) <0 est strictement compensé par un excédent budgétaire

(T-G) >0, avec donc |S-I| = |T-G| ou (S –I) > 0 et (T-G) <0 et toujours |S-I| = |T-G| ou (S-I) = (T-G) =0

2ème cas : CC > 0 et (S – I) > 0 ainsi que (T – G) >0 L’excédent du compte courant correspond à un excédent de l’épargne sur

l’investissement en même temps qu’à un excédent budgétaire. 3ème cas : CC > 0 et (S – I) > 0 ainsi que (T – G) < 0 à condition que |S-I| > |T-G|

Le compte courant reste excédentaire malgré un déficit budgétaire, ceci grâce à un excédent de l’épargne sur l’investissement permettant le financement du déficit public. 4ème cas : CC > 0 et (S – I) < 0 ainsi que (T – G) > 0 à condition que |S-I| < |T-G|

Ici, le compte courant reste excédentaire bien que l’épargne soit insuffisante pour financer l’investissement, mais cette insuffisance est compensée par un excédent budgétaire.

10 Le compte courant, que l’on appelle aussi « balance des paiements courants » est précisé au chapitre 11, La comptabilité nationale. Notons aussi que le solde commercial est parfois désigné sous le vocable de « compte courant primaire » (CCP), de telle sorte que CC = CCP + r F 11 Pour plus de développements voir Macroéconomie approfondie, Chapitre 11 La comptabilité nationale et Chapitre 12 Fonctions macroéconomiques et équilibre macroéconomique

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5ème cas : CC < 0 et (S – I) < 0 ainsi que (T – G) < 0 : le déficit du compte courant correspond à un double déséquilibre intérieur : de l’épargne par rapport à l’investissement et du solde budgétaire. 6ème cas : CC < 0 et (S – I) > 0 ainsi que (T – G) < 0 à condition que |S-I| < |T-G|

Le compte courant déficitaire coexiste avec un excédent de l’épargne sur l’investissement, mais cet excédent est surcompensé par le déficit budgétaire. 7ème cas : CC < 0 et (S – I) < 0 ainsi que (T – G) > 0 à condition que |S-I| >|T-G|

Le compte courant déficitaire va de pair avec une insuffisance de l’épargne par rapport à l’investissement et qui n’est pas compensée par l’excédent budgétaire.

Mais on ne peut évidemment pas avoir : CC < 0 en même temps que (S – I) > 0 et (T – G) > 0 ou CC > 0 en même temps que (S – I) < 0 et (T – G) <0

Résumé1. La discipline appelée au IVe siècle avant J.C « économie » par Aristote, a pourraison d’être d’étudier rationnellement le fonctionnement matériel des sociétés. Elleprend ainsi place parmi les autres sciences humaines et sociales, telles que l’histoireou la sociologie, par exemple, et entretient des rapports étroits avec elles. La microéconomie a pour objet l’étude des décisions économiques des agents et de

leurs interactions sur les marchés. La macroéconomie analyse le fonctionnement des économies globales.

2. Une économie nationale peut être décrite comme un jeu complexe d’acteurs ouagents qui sont les ménages, les entreprises, les institutions monétaires et financièreset les administrations publiques. Les relations entre les agents sont monétaires et financières ou réelles.

Dans une économie de marché, la plupart des flux correspondants transitent par des marchés : du travail, des biens et services, des actifs financiers, etc. sur lesquels les prix se forment. Il existe cependant une économie non marchande qui relie les administrations

publiques et les autres agents. 3. Les fonctions économiques des agents sont :

- la production qui aboutit à l’apparition de biens et de services nouveaux,marchands ou non marchands et donne lieu à la distribution de revenus ;- la consommation qui est la destruction par l’usage des biens et servicesproduits afin de répondre aux besoins des agents ;- l’épargne qui consiste à s’abstenir de consommer immédiatement une partie desrevenus découlant de la production pour un usage ultérieur ;- l’investissement qui, en finançant de nouveaux équipements productifs, permetà la production de se poursuivre et de s’accroître.

4. Les relations entre les agents forment un circuit économique. Le circuit del’économie nationale est relié au reste du monde par des opérations sur biens et

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services d’exportation et d’importation et des flux financiers entrants et sortants. Chaque flux correspondant à un contre-flux de sens inverse et de même valeur, l’ensemble du circuit de l’économie nationale et du reste du monde est nécessairement équilibré.

L’équilibre macro-comptable qui exprime cette situation s’écrit : (S – I) + (T – G) = (X – Z) + r F = CC

Où S = épargne ; I = investissement ; T= prélèvements publics ; G = dépenses publiques ; X = exportations ; Z = importations ; rF = revenus nets en provenance des avoirs à l’étranger, CC = compte courant

Principaux auteurs cités Aristote (384-322 av. J.C.), Antoine de Montchrestien (1576-1621), François Quesnay ((1694-1774), Ragnar Frisch (1895-1973), Paul Samuelson (1915-2009)

Lectures complémentaires P.A. Samuelson et W.D Nordhaus. Micro-économie chap. 1. Introduction, Les Éditions d’organisation N. Gregory Mankiw, Principes de l’économie, partie 1, Economica

Comparaisons internationales de PIB Quelques estimations du Fonds monétaire international, FMI, en milliards de dollars américains en 2017 et (rang), sur 193 pays. PIB mondial : 79 865 ; (1) États-Unis 19 390 ; (-) Union Européenne : 17 308 ; (2) Chine : 12 014 ; (3) Japon : 4 872 ; (4) Allemagne : 3 684 ; (5) Royaume-Uni : 2 624 ; (6) Inde : 2 611 ; (7) France : 2 583 ;… ; (12) Russie : 1527 ;….

Sujet de réflexion Que pensez-vous de cette réflexion des économistes Jean Gadrey et Florence Jany-

Catrice (Les nouveaux indicateurs de richesse, éd. La Découverte, 2005) ? « Si un pays rétribuait 10 % des gens pour détruire des biens, faire des trous dans les routes, endommager les véhicules, etc., et 10 % pour réparer, boucher les trous, etc., il aurait le même PIB qu'un pays où ces 20 % d'emplois (dont les effets sur le bien-être s'annulent) seraient consacrés à améliorer l'espérance de vie en bonne santé, les niveaux d'éducation et la participation aux activités culturelles et de loisir. »

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Chapitre 2

L’évolution de la pensée économique

du XVIe siècle à nos jours

Introduction. Un peu d’épistémologie12

Le présent chapitre va nous confronter aux difficultés que rencontrent depuis cinq siècles les économistes dans le développement de leur discipline. Ce qui, d’emblée, frappe le lecteur d’une histoire de la pensée économique, c’est la succession et la confrontation des écoles, la diversité des points de vue et des analyses. Dès lors se pose la question de l’intérêt que peut présenter pour un contemporain du XXIe siècle une histoire des idées économiques. En effet, il ne s’agit pas seulement d’élargir le champ culturel du lecteur, car visiter la pensée économique des siècles passés n’est pas une promenade dans le musée des théories obsolètes. Pour en être persuadé, il faut faire un petit détour épistémologique en comparant les sciences de la nature et les sciences sociales, dont l’économie fait partie.

Dans l’évolution historique des sciences de la nature, on peut distinguer deux types de situations.

Premier type de situations : des périodes d’unanimité autour de certains paradigmes (au sens de Thomas Kuhn13, ce sont des consensus très forts au sein de la communauté des scientifiques d’une époque donnée). Durant ces périodes assez longues, le travail du scientifique consiste à se spécialiser sur une pièce du « puzzle » des disciplines à l’intérieur du cadre général, qui n’est pas remis en cause. Deuxième type de situations : des « révolutions scientifiques », périodes plus brèves, où les spécialistes révisent leurs convictions et en changent radicalement, généralement à la suite d’expériences permettant de détecter des anomalies inexplicables dans le cadre du paradigme en vigueur. À titre d’exemple, les résultats des expériences menées au XIXe siècle sur la vitesse de la lumière s’avérèrent incompatibles avec la mécanique newtonienne et conduisirent à rechercher un autre paradigme, celui de la relativité. Dans les sciences « dures », le paradigme vaincu dans la bataille des idées se retire, disparaît, n’est plus qu’une pièce de musée.

En économie, il en est différemment. On y observe aussi des changements de paradigme (on parle, par exemple de la « révolution keynésienne » au XXe siècle), mais,

12 Epistémologie : discipline qui prend la connaissance scientifique comme objet 13 Thomas Kuhn, La Structure des révolutions scientifiques, 1962

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contrairement à ce qui se passe dans les sciences de la nature, les paradigmes anciens ne disparaissent pas nécessairement du débat scientifique. Keynes, par exemple, réutilise certaines idées fondamentales des mercantilistes des XVIe et XVIIe siècles, idées que les analyses des classiques et néo-classiques des siècles suivants semblaient avoir définitivement écartées. On voit même des « contre-révolutions » apparaître, telle celle des « nouveaux classiques », anti-keynésiens, des années 1970-1980. Ainsi, à mainte époque de l’histoire des idées économiques, dont la nôtre, plusieurs paradigmes peuvent coexister et s’affronter.

Comment expliquer cette démarche hésitante et apparemment contradictoire de la science économique ?

Elle provient essentiellement de la difficulté que l’on éprouve, dans les sciences humaines et en économie en particulier, à appliquer ce que Karl Popper14 a appelé le principe de démarcation, c’est-à-dire la séparation nette entre les énoncés scientifiques et les énoncés non scientifiques. Pour Popper un énoncé scientifique est une proposition testable qui a résisté à toutes les expérimentations qui, jusqu’à présent, n’ont pu l’infirmer. Ainsi la « terre est plate » n’est pas un énoncé scientifique, puisque des expériences ont montré qu’elle ne pouvait l’être. Par ailleurs certains énoncés sont tautologiques et n’ont pas de caractère scientifique, par exemple « la terre est plate ou n’est pas plate ». Enfin des énoncés métaphysiques sur l’ « essence » des phénomènes ne sont pas du domaine scientifique.

Cependant, même dans le domaine des sciences de la nature, le critère de démarcation poppérien n’est pas toujours simple à appliquer, notamment lorsqu’il revêt un caractère probabiliste et non déterministe. Par exemple les expériences du CERN ont récemment démontré, en 2012, que le « boson de Higgs » existait avec une probabilité de 99,9999%. Mais il reste toujours une probabilité de 0, 0001% pour que cette particule n’existe pas. Certes, c’est là un degré d’incertitude dont les économistes seraient heureux de se contenter, néanmoins, il n’est pas nul !

Dans leur démarche rationnelle, les économistes rencontrent aussi les mêmes difficultés que les autres scientifiques, mais les choses sont encore plus compliquées15.

Ainsi certaines propositions des économistes ne sont pas testables : par exemple l’équilibre général de concurrence parfaite des néo-classiques16 ne peut faire l’objet de test dans la vie économique réelle. La théorie de l’équilibre général n’en présente pas moins un intérêt certain pour comprendre, indirectement, certaines réalités observables du fonctionnement des économies de marché.

D’autres propositions sont quasi-tautologiques. Il en est ainsi des « lois tendancielles », par exemple la loi de baisse tendancielle du taux de profit17 qui se

14 Karl Popper, La logique de la découverte scientifique, 1935 15 Ce qui, paraît-il, faisait dire à Robert Oppenheimer, le directeur du programme Manhattan à l’origine de la bombe atomique, qu’il avait abandonné le projet de se consacrer à l’étude de l’économie et avait finalement opté pour la physique nucléaire, parce que l’économie lui paraissait trop compliquée… 16 Cf. infra, partie 5. Les néo-classiques 17 Cf. infra, partie 4. Le marxisme

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réalise... à moins que certains facteurs ne l’empêchent de baisser ! Faut-il pour autant rejeter de telles « lois » ? C’est discutable.

Et de manière plus générale, comme il y a été fait allusion dans le premier chapitre, l’économiste se heurte à des obstacles insurmontables pour réaliser des expériences scientifiques, c’est-à-dire précisément contrôlées et reproductibles. Ainsi, il est socialement et politiquement impossible de provoquer une crise pour tester les différentes théories sur les crises économiques ! Comme nous l’avons vu, le seul substitut à l’expérience de laboratoire c’est l’expérience historique, substitut très imparfait puisque l’histoire ne se reproduit jamais à l’identique.

On ne peut dès lors s’étonner ni des difficultés que rencontrent les économistes pour expliquer les phénomènes, ni du fait que les paradigmes du passé ne sont jamais totalement supplantés par les plus récents, ni de la coexistence et de la confrontation de plusieurs paradigmes à la même époque.

Dans les pages qui suivent nous allons présenter dans un ordre à peu près chronologique (à peu près, puisqu’il y a des chevauchements de paradigmes) la succession des théories. Elles sont au nombre de six : le mercantilisme, la physiocratie, l’école classique, le marxisme, l’école néo-classique, le keynésianisme. Nous terminerons par un panorama de la situation actuelle, caractérisée par la confrontation des nouveaux classiques, nouveaux keynésiens, nouveaux institutionnalistes, etc. Très schématiquement, la chronologie est la suivante:

XVIe XVIIe XVIIIe XIXe siècle XXe siècle XXIe

Mercantilistes Physiocrates Classiques Marx Néoclassiques Keynes Débats actuels…

1. Le mercantilisme1.1. Le contexte économique, social, politique, culturel et religieux

À l’orée du XVIe siècle l’économie et la société sont bouleversées par une série de facteurs : Un essor économique sans précédent

Au milieu du XVe siècle, l’Europe se relève des catastrophes qui l’ontfrappée au XIVe : principalement la Guerre de Cent ans (1337-1453) quiopposa le royaume d’Angleterre des Plantagenêt au royaume de France desCapétiens-Valois et la peste noire, qui à partir de 1359 faucha entre 30 et 50%de la population européenne.

Le Nord-Ouest de l’Europe connaît alors d’importants progrès techniquesagricoles et industriels. Aux Pays-Bas la rotation des cultures se substitue àla jachère. En Angleterre les premières « enclosures 18» permettent uneélévation des rendements des cultures et un élevage plus intensif des moutons,

18 Enclosures. Appropriation par des propriétaires privés de terres jusqu’alors dévolues à la vaine pâture communale

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la laine alimentant une industrie drapière florissante. Les techniques minières se perfectionnent. L’imprimerie apparaît et devient une activité importante.

La fin du XVe siècle est surtout la période des « grandes découvertes ». LePortugais Diaz contourne l’Afrique par le cap de Bonne Espérance en 1487, leGénois Christophe Colomb découvre le « Nouveau Monde » en 1492, Magellanréalise la première circumnavigation entre 1519 et 1522. L’Europe, repliée surelle-même à la fin du Moyen Âge, se lance à la conquête du monde.

Débute alors le premier âge de la colonisation. Le traité de Tordesillas concluen 1494, sous l’égide du Pape, entre les royaumes d’Espagne et du Portugalpour éviter les affrontements entre eux deux et exclure les autres royaumeseuropéens du partage du monde, ne peut contenir les appétits des autrespuissances, notamment de la France, de l’Angleterre et de la Hollande.

Ainsi se développe le commerce maritime international, qui rend obsolètesles anciennes voies commerciales entre l’Europe et l’Asie : le centre de gravitéde l’Europe se déplace de la Méditerranée vers les côtes de l’Atlantique.

Les épices des Iles de la Sonde, les produits nouveaux des Amériques (tabac,tomates, pommes de terre, maïs, …), affluent en Europe. Le sucre de canne està l’origine d’un commerce triangulaire : l’Europe échange en Afrique desproduits manufacturés contre des esclaves (ce qui dépeuple le continent) ; lesesclaves sont vendus aux planteurs de cannes du Brésil et des Antilles ; le sucreainsi produit est vendu en Europe.

Mais c’est surtout l’or et l’argent du Nouveau Monde qui bousculentl’ancienne économie européenne en augmentant la circulation monétaire.

La montée de la classe marchandeLes grands bénéficiaires de ces transformations sont bien sûr les marchands

(on entend par là les manufacturiers, les armateurs et les banquiers), qui dans lemême temps perfectionnent leurs techniques commerciales, comptables etfinancières.

La montée de la classe marchande est également liée aux transformationspolitiques, comme on va le voir.

L’affermissement de l’État moderneL’État centralisateur tend, partout en Europe, à supplanter le régime féodal qui

reposait sur l’émiettement des fiefs et la propriété terrienne.L’État moderne est parfois une république marchande et aristocratique (dans

les Provinces-Unies en lutte contre l’Espagne à partir de 1581), mais prend plusgénéralement la forme d’une monarchie absolue, comme en France (François Ier), enAngleterre (Henri VIII), en Espagne (Charles-Quint).

La lutte contre les féodaux, les guerres étrangères, l’instauration d’arméespermanentes, une diplomatie dispendieuse, obligent les monarques à recourir auxservices des marchands pour se procurer les fonds nécessaires à leur politique.

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La dynastie des Fugger, la plus puissante firme commerciale et bancaire d’Europe, illustre cette montée en puissance d’un capitalisme commercial et financier. C’est notamment grâce au prêt des Fugger à Charles-Quint (il faut acheter les voix des électeurs) que celui-ci triomphe de François Ier lors de l’élection au Saint-Empire Romain Germanique de 1519.

Les bouleversements culturels et religieuxLe mouvement de la Renaissance, parti d’Italie au milieu du XVe siècle gagne toutel’Europe. Dans le domaine des arts et des lettres la Renaissance est synonyme deredécouverte de l’Antiquité par suite de l’afflux de réfugiés byzantins chassés deConstantinople, conquise par les Turcs en 1453.

Dans le domaine intellectuel, les Humanistes de la Renaissance affirment surtoutla prééminence de l’homme et de la raison. Sans rompre totalement avec l’Église, ilsse font les pourfendeurs de son obscurantisme et de son dogmatisme. L’Église estégalement affaiblie par un nouveau schisme, la Réforme, qui oppose dans des luttesviolentes catholiques et protestants (Luther, 1483-1546 ; Calvin 1509-1564)

Sur le plan économique et idéologique, la doctrine thomiste (de Saint Thomasd’Aquin, 1227-1274) qui, depuis le treizième siècle, tendait à contrôler le marchépar l’organisation des corporations et des règles de juste prix, est bousculée par ledéveloppement de la banque, de la manufacture et du commerce.

1.2. Les idées et les auteurs mercantilistes Ce qu’on appelle « mercantilisme » n’est pas une théorie économique comme il en

naîtra plus tard, mais plutôt une pensée multiple et évolutive, qui d’ailleurs n’a été baptisée ainsi, pour des raisons polémiques, que très tardivement, en 1776, par Adam Smith.

Les auteurs « mercantilistes » ne sont donc pas à l’origine d’une doctrine unifiée mais partagent une attitude intellectuelle commune, celle d’une pensée sécularisée. Par cet aspect, ils sont en phase avec l’humanisme de la Renaissance, qui en matière d’analyse politique a été illustré par Nicolas Machiavel19. Comme ce dernier, ils adoptent dans leur domaine, celui de l’économie, une démarche rationnelle et réaliste et rejettent les préoccupations religieuses et morales de l’économie thomiste du Moyen Âge.

Les mercantilistes abordent les questions économiques sous deux angles principaux : la richesse des habitants et d’abord des marchands, et celle du monarque. Leurs œuvres ont souvent une portée plus pragmatique que théorique : la question posée est de savoir comment, pratiquement, accroître la richesse des uns et des autres et développer la puissance de l’État.

19 Nicolas Machiavel, homme politique et penseur florentin (1469-1527).

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1.2.1. La revanche du marchand Au Moyen Âge, l’Église et l’aristocratie méprisent et tiennent en suspicion les

activités manufacturières et marchandes ; à l’inverse, dans son Traité d’économie politique (1619), Antoine de Montchrestien fait l’éloge du marchand. Comme lui, les mercantilistes, dans leur ensemble, le réhabilitent en s’efforçant de démontrer que ses intérêts coïncident avec ceux du monarque.

Pour ce faire, ils s’appuient sur une théorie monétaire dite du « bullionnisme » (l’amour du lingot, de l’anglais bullion) ou du chrysohédonisme (la recherche du bonheur par la possession d’or). En voici les éléments essentiels. Le Trésor royal finance les dépenses de l’armée, de la diplomatie, et de la cour.

Le Trésor étant alimenté par les impôts et ceux-ci rentrant d’autant plusfacilement que la circulation monétaire est abondante, il importe donc deconserver ou de capter le plus possible d’or et d’argent dans le pays. Face à cetimpératif, l’Espagne et le Portugal d’une part, le reste de l’Europe, d’autre part,sont dans des positions radicalement différentes :

L’Espagne et le Portugal disposent des métaux précieux du NouveauMonde. Les mercantilistes ibériques, comme Ortiz20, conseillent donc auxsouverains d’adopter des dispositions empêchant les sorties d’or et d’argentde leur royaume. Dispositions réglementaires et administratives d’ailleurspeu efficaces, dans la mesure où elles entrent en contradiction d’une partavec la politique étrangère belliqueuse, qui nécessite des sorties« d’invisibles » pour payer les troupes engagées dans de longs conflits avecle reste de l’Europe et, d’autre part, en raison d’une demande intérieurealimentée par l’or du Nouveau Monde, demande principalement enproduits manufacturés très supérieure à l’offre locale, ce qui provoque unflot d’importations réglables en or.

La situation des autres pays européens est diamétralement opposée à cellede l’Espagne et du Portugal : ne disposant que de peu de ressourcesminières d’or ou d’argent, ils doivent s’en procurer par les activitéscommerciales et manufacturières orientées de telle sorte qu’elles facilitentles exportations, sources d’entrée d’or, et limitent les importations, àl’origine des sorties de métaux précieux.

Le commerce est donc un « jeu à somme nulle ». L’entrée d’or dans un pays, quirésulte de sa balance commerciale excédentaire, se réalise nécessairement auxdépens de pays déficitaires. Dans ces conditions la guerre commerciale a tôt faitde se transformer en lutte armée. De fait le XVIe et surtout le XVIIe siècles voientles grandes puissances européennes s’affronter pour des raisons de rivalitécommerciale : guerres maritimes et guerres de course opposent l’Espagne, laHollande, l’Angleterre et la France. Par exemple, en 1672, Louis XIV déclare laguerre à la Hollande essentiellement pour des raisons économiques.

20 Ortiz, Mémoire au roi pour empêcher les sorties d’or, 1558.

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1.2.2. L’interventionnisme et le nationalisme économique Les questions politiques et économiques étant intimement liées, l’État se doit d’intervenir dans le domaine de l’économie. Autrement dit les mercantilistes qui, rappelons-le, défendent le point de vue des marchands, ne sont pourtant nullement partisans du libéralisme économique. Ils sont résolument interventionnistes. Les principales mesures qu’ils préconisent sont les suivantes :

Il faut restreindre, voire interdire, les exportations de produits agricoles afinde les réserver à la consommation nationale pour des raisons de sécuritéalimentaire et pour rendre les « subsistances » moins chères et doncles salaires plus bas (le niveau des salaires étant étroitement corrélé au prixdes céréales).

De même, il convient d’exporter le moins possible de produits bruts afin deles transformer sur place et d’accroître ainsi, ce qu’on n’appelait pasencore, la valeur ajoutée.

De façon plus générale, les industries de transformation à forte valeurajoutée et fortement exportatrices doivent être encouragées (les industriesde luxe notamment).

Il faut donc promouvoir les exportations de produits manufacturés, tout enlimitant leurs exportations.

L’État doit également favoriser les armateurs et les intermédiairescommerciaux nationaux afin que leurs services de transport et de courtagefassent rentrer des espèces dans le pays. Ainsi les « actes de navigation »appliqués en Angleterre à partir de 1651, réservèrent le monopole ducommerce avec les îles britanniques à la marine anglaise.

Dans cette optique, la flotte marchande - et militaire qui la protège- doiventêtre développées.

Ces mesures ont été appliquées de manière différenciée selon les pays : Les Espagnols et les Portugais n’ont pas réussi à garder leur or : il a fui

vers les pays (Angleterre, Pays-Bas, France) capables d’alimenter enproduits manufacturés la demande des classes sociales de la péninsule,enrichies par l’exploitation coloniale, mais qui n’ont pas su mettre enplace une activité productive correspondant à leurs besoins. Et lamultiplication des interdits bureaucratiques n’a pas pu contenir l’hémorragiede métaux précieux.

En Angleterre et en Hollande la classe marchande, tout en étant encouragée etprotégée par le pouvoir politique, a d’elle-même investi ses capitaux dans lesactivités manufacturières, commerciales et financières permettant uneentrée nette d’or et d’argent dans le pays.

En France, la bourgeoisie était plus préoccupée, dans son ensemble, parl’acquisition des charges (les offices) vendues par le pouvoir royal pouralimenter ses caisses et par l’achat de terres, étapes indispensables pour s’élever

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en plusieurs générations dans la hiérarchie sociale et, éventuellement, sortir du Tiers-état et accéder à la noblesse. Aussi, faute d’une bourgeoisie suffisamment entreprenante, l’État a-t-il été en France plus interventionniste qu’ailleurs.

C’est ainsi que, sous le règne d’Henri IV, Barthélémy de Laffemas fut à l’origine de la manufacture royale de tapisserie des Gobelins à Paris et, qu’avec l’aide de l’agronome Honoré de Serres, il poussa le pouvoir royal à encourager la sériciculture (élevage du ver à soie) dans la vallée du Rhône.

Mais c’est surtout Jean-Baptiste Colbert (1619-1683), Contrôleur Général des Finances de 1665 à 1683, qui a attaché son nom à l’interventionnisme étatique à la française. Inspiré par le souvenir de Laffemas, il développa systématiquement les manufactures royales et magasins royaux. Entre 1665 et 1674 une douzaine d’établissements dotés de lettres patentes du Roi, et donc relevant du droit public et non du droit privé, furent créés. Il s’agissait de fabriquer en France des produits de luxe, donc de haute valeur ajoutée, naguère importés : tapisseries (à Aubusson), porcelaines (à Sèvres), miroirs et glaces (à Saint-Gobain), etc. Par ailleurs les manufactures d’armes (Saint-Étienne), les fonderies, les magasins à poudre furent développés pour assurer la régularité et la qualité de la production d’armements. Secrétaire d’État à la Marine en 1669, Colbert développa également une puissante flotte de guerre (triplement de la flotte), pour protéger la flotte marchande et les colonies contre les flottes ennemies, anglaise et hollandaise.

1.2.3. Une approche macro-économique Soucieux de formuler des recommandations de politique économique appuyées sur

une connaissance précise du fonctionnement de l’économie nationale, lesmercantilistes s’efforcent d’établir les relations causales qui unissent différentesvariables : la masse monétaire et les prix, la production et le taux d’intérêt, l’activitéet l’emploi, etc.

Il s’agit aussi pour eux de quantifier l’économie. D’où les recherches en vue derecenser les hommes et de chiffrer la richesse des royaumes (cf. Économieapprofondie, chapitre 11, La comptabilité nationale)

Cette démarche préfigure donc les méthodes de la macroéconomie, qui ne seraainsi baptisée que bien plus tard (en 1933)

1.2.4. La querelle de Malestroit et de Bodin. À l’origine de la théorie quantitative de la monnaie

Au XVIe siècle les Européens constatent une hausse générale et rapide des prix. Quelle en est l’explication ? En 1566, dans « Les paradoxes du seigneur de Malestroict sur le faict des

monnoyes », l’économiste Jean de Malestroit attribue cette hausse des prix aux

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incessantes « mutations monétaires » auxquelles se livraient les souverains depuis la fin du XIIIe siècle. Il s’agissait pour eux de diminuer le poids réel de leur dette en frappant de plus en plus de pièces d’une même valeur faciale à partir d’une quantité donnée de métal précieux. Ces dévaluations de la monnaie, augmentaient le seigneuriage (le bénéfice qu’en tirait le roi) et allégeaient la charge de remboursement du Trésor. Malestroit prétend, statistiques à l’appui de sa thèse, que la hausse des prix en monnaie correspond en réalité à une stabilité en poids de métal précieux ; d’où le paradoxe. En somme, en termes modernes, les prix réels restent stables, contrairement aux prix courants, qui augmentent.

En 1568, dans la « Réponse aux paradoxes de monsieur de Malestroit touchant lefait des monnaies et l’enrichissement de toutes choses » Jean Bodin, s’appuyantsur d’autres données statistiques, démontre que l’explication de Malestroit estincomplète et il émet l’hypothèse que la hausse des prix (ce que nous appelons denos jours l’inflation) est due à l’augmentation de la quantité d’or et d’argent encirculation en Europe. Cette réflexion de Bodin est la première qui formuleclairement ce que l’on appellera plus tard la théorie quantitative de la monnaie.

Bodin explique que l’afflux d’or à Séville fait augmenter la demande alorsque l’offre locale ne suit pas, car les Espagnols se comportent en rentiers de l’ordes Amériques. Il en résulte que les prix augmentent en Espagne. L’excès dedemande de produits par rapport à l’offre locale et l’augmentation des prix, qui enest le corollaire, attirent les exportateurs du reste de l’Europe. La balancecommerciale espagnole devient déficitaire et l’or part d’Espagne et se répand dansles pays exportateurs. Dans ces derniers l’afflux d’or provoque également uneaugmentation des prix, qui ainsi se généralise dans toute l’Europe.

1.2.5. L’abondance des hommes et de la monnaie, sources de croissance

Des auteurs populationnistesL’aphorisme de Bodin : « il n’est ni richesse ni force que d’hommes » (Les Six livres

de la République, livre V, chapitre II) est célèbre. Comme Bodin la plupart des mercantilistes sont populationnistes. L’abondance des hommes est un facteur essentiel de puissance militaire, mais aussi d’activité économique : la croissance démographique, en baissant les salaires, comprime les coûts et favorise la production ainsi que l’exportation.

Il y a cependant, comme chez A. de Montchrestien, une amorce de réflexion sur une forme d’optimum démographique. La quantité de population ne doit pas nuire à sa qualité et il faut développer l’enseignement et l’apprentissage et contrôler les métiers. Si la population croît trop vite, il faut favoriser l’émigration notamment vers les colonies et inversement, en cas d’insuffisance, encourager l’immigration principalement de la main-d’œuvre qualifiée.

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La relation entre monnaie, intérêt et activitéLa plupart des mercantilistes sont favorables à un faible niveau du taux d’intérêt,

conséquence de l’abondance de la circulation monétaire. Pour l’anglais Thomas Culpeper (1577-1662), qui publie en 1621 un Petit traité contre l’usure, un taux d’intérêt élevé pousse les marchands à prêter plutôt qu’à entreprendre et investir ; a contrario, un taux d’intérêt faible est donc une condition nécessaire sinon suffisante pour soutenir l’activité économique et l’emploi. Implicitement, le taux d’intérêt est donc conçu comme le rendement minimum requis pour l’investissement. C’est là une conception pré-keynésienne du taux d’intérêt. 1.3. Le legs des mercantilistes

Comme nous allons le voir dans les pages qui suivent, la pensée mercantiliste a été pendant des siècles ou vilipendée, ou caricaturée ou complètement oubliée : vilipendée parce que « le mercantilisme, c’est la guerre » et non pas le « doux commerce » comme le souhaitait Montesquieu ; caricaturée, car réduite à un protectionnisme obtus ; oubliée par la tradition classique et néo-classique des siècles suivants. N’est-ce pas injuste ou excessif ? Résumons l’apport des mercantilistes à la pensée économique. Ils font œuvre scientifique en initiant une démarche rationnelle et réaliste là où

préexistait une attitude dogmatique. Leurs travaux utilisent fréquemment un appareillage statistique très fin et

perfectionné pour l’époque. Les premiers, ils emploient une démarche de type macroéconomique, qui tente de

relier logiquement les divers phénomènes expliquant le fonctionnement global deséconomies.

Ils lient explicitement l’économique et le politique, la richesse et la puissance,thèmes toujours d’actualité.

Ils sont à l’origine de l’étude de la relation entre la quantité de monnaie encirculation et les prix, ce que reprendront plus tard les classiques et néo-classiques.Mais ils s’opposent à la théorie de la neutralité de la monnaie, car via le tauxd’intérêt, la masse monétaire a, selon eux, un impact réel sur l’activité économiqueet l’emploi. C’est pourquoi Keynes leur reconnaîtra sa dette intellectuelle dans saThéorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie de 1936.

Bien que la théorie du libre-échange l’ait en grande partie supplanté à partir dumilieu du XIXe siècle, le protectionnisme continue de nourrir la controverse sur lesrelations entre le régime de change et le régime douanier d’une part et la croissanceet le développement d’autre part.

Bref nous rencontrons là, pour la première fois, mais non pour la dernière, cet aspect paradoxal de la science économique où les paradigmes en apparence dépassés ne sont jamais complètement morts.

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2. La transition vers le libéralisme. La physiocratieVers le milieu et la fin du XVIIe siècle, le consensus relatif autour des idées

mercantilistes se fissure sous le triple effet du mouvement des idées, de la situation politique en Angleterre et des difficultés économiques et financières de la fin du règne de Louis XIV. Émerge ensuite en France un nouveau paradigme économique porté par l’école physiocratique.

2.1. Du mercantilisme au libéralisme

2.1.1. L’évolution de la situation idéologique, politique et économique en Angleterre et en France, des années 1640 à 1700

L’évolution des idées politiques en Angleterre Jusqu’alors l’idée prévalait que le monarque tenait son pouvoir de Dieu. En

1651, Thomas Hobbes (1588-1679) fait paraître son Léviathan dans lequel ilrompt avec cette conception théologique du pouvoir souverain. Pour lui, lepouvoir absolu du monarque, qu’il ne conteste pas, repose sur un contrat socialpar lequel les hommes, pour éviter de s’entredétruire comme dans l’état denature (« homo lupus homini est » 21, l’homme est un loup pour l’homme),doivent s’en remettre à un souverain absolu qui dira le droit et pacifiera lasociété.

John Locke, en 1690, dans son Traité du gouvernement civil, adopte, toutcomme Hobbes une démarche sécularisée, mais à la différence de ce dernier ilfait reposer le contrat social sur un « droit naturel » à la propriété privée. Cedroit s’oppose à la fois aux tendances communistes de l’Utopie de ThomasMore (1516) et au prélèvement arbitraire de l’impôt et donc à l’absolutismeroyal. Le droit de propriété contient également en germe celui d’échanger sanscontrainte les produits de son travail et donc le libéralisme économique.

Les révolutions anglaises de 1640 et 1688Ces idées nouvelles sont en interaction avec les deux révolutions qu’a connues l’Angleterre au XVIIe siècle. Celle de 1640 déboucha finalement sur la dictature de Cromwell. Mais celle de 1688 aboutit à l’instauration d’une monarchie constitutionnelle, limitée par un Parlement auquel revenait le pouvoir de consentir à l’impôt.

21 Sentence de Plaute, poète latin (vers 195 av. J.C.)

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Les difficultés économiques et financières de la fin du règne de Louis XIV Dans le même temps la France louis-quatorzienne incarnait au contraire

l’apogée de la monarchie absolue de droit divin. Mais à partir de la guerre de Hollande (1672-1678) et de la mort de Colbert en 1683, les difficultés économiques et financières ne cessèrent de s’accumuler jetant le doute sur le système mercantiliste en vigueur. La guerre de Hollande en effet, si elle permit finalement une nouvelle extension territoriale du royaume, n’apporta pas les bénéfices économiques attendus : La France ne réussit pas à mettre la main sur le commerce hollandais et ruina ses finances. Aussi à partir de 1683, le Trésor ne vécut plus que d’expédients, les « affaires extraordinaires », en vendant toutes sortes d’offices et en recourant aux prêts des marchands. Les fonds ainsi détournés d’une utilisation productive, manquèrent aux investissements des manufactures. Dès lors la stratégie colbertiste axée sur le marché extérieur se retrouva en porte-à-faux, cependant que le pays s’enfonçait dans une profonde dépression.

Cette situation n’était pas l’apanage de la France, car l’Europe connaissait aussi une dépression liée à la diminution de l’afflux de métaux précieux mais, à tort ou à raison, cette crise fut attribuée au système en vigueur, le colbertisme. Deux auteurs, Boisguillebert et Cantillon, s’illustrèrent dans cette critique et ouvrirent la voie à la pensée économique libérale.

2.1.2. Des précurseurs du libéralisme économique : Boisguillebert et Cantillon

Pierre Le Pesant de Boisguillebert, dit Boisguillebert (1646-1714) publie en 1697le Détail de la France et, en 1707, le Factum de la France. Dans ces ouvrages,Boisguillebert essaie d’analyser les causes de la crise que traverse le royaume ettente d’avancer des remèdes. Quelles sont ses idées principales ? En premier lieu, Boisguillebert rompt avec la conception mercantiliste de la

richesse : ce n’est pas la monnaie qui fait la richesse mais l’ensemble des biensque produit l’économie. Parmi ces biens, il distingue les biens nécessaires quisont issus de l’agriculture et les biens commodes ou superflus, c’est-à-dire lesbiens manufacturés et les services. Selon lui l’agriculture forme le socle del’économie : toutes les autres activités en dépendent.

La crise provient donc du mauvais état de l’agriculture française : sesproduits trop taxés limitent la consommation de l’ensemble de la population, cequi provoque la baisse des prix et la misère paysanne. La baisse des revenus despaysans se répercute à son tour dans la baisse de la demande de produitsmanufacturés, d’où une diminution des revenus des producteurs de ces biens,lesquels diminuent leur consommation de produits agricoles, etc. Ce

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raisonnement de Boisguillebert préfigure celui du multiplicateur de Kahn22 et de Keynes deux siècles et demi plus tard.

La société est constituée de trois classes : les paysans, les producteurs de biensmanufacturés et le « beau monde » (clergé, noblesse, propriétaires fonciers)dont la fonction consiste non à produire, comme les deux précédentes, mais àrecevoir des impôts et des rentes. L’appauvrissement des paysans diminue lesrevenus du « beau monde », dont la consommation diminue, ce qui aggrave lacrise. Boisguillebert esquisse ainsi un circuit économique reliant les« laboureurs », les « marchands » et le « beau monde ».

Pour remédier à la crise Boisguillebert préconise : une réforme fiscale (comme son parent Vauban) : diminution des

« aides », taxes portant sur les ventes, et élargissement de l’assiette et baissedu taux de la « taille », impôt direct payé par les roturiers

et surtout la liberté du commerce des grains, tant entre les provincesqu’avec l’étranger : « on n’a qu’à laisser agir la nature, en ce qui concerneles blés, comme on fait à l’égard des fontaines » (Le factum de France,1707).

Boisguillebert ne sera nullement entendu, ses positions critiques lui vaudrontun exil forcé de Normandie en Auvergne.

Richard Cantillon (1680-1733) exprime des idées assez proches de celles deBoisguillebert mais innove sur divers points : Parmi les producteurs de biens manufacturés, il fait la distinction entre ceux qui

ont des revenus certains (les salariés) et ceux qui ont des revenus incertains (lesemployeurs). Il introduit ainsi la figure de l’entrepreneur qui encourt unrisque compensé par le profit.

Comme les mercantilistes, Cantillon, accepte l’idée qu’un excédent commercialest profitable à un pays mais doute qu’il soit durable. En effet l’entrée d’orconsécutive à l’excédent commercial fait monter les prix dans le pays ce quidiminue sa compétitivité à l’exportation et réduit l’excédent. Cette conceptiondu rôle de la balance commerciale anticipe celle de David Hume (1711-1776)sur le rétablissement automatique de l’équilibre commercial.

22 Richard Kahn (1905-1989) publie en 1931 un article où il expose le mécanisme du multiplicateur de l’emploi, mécanisme que J.M. Keynes généralisera dans sa Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie de 1936.

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2.2. La « secte des économistes ». La physiocratie Le terme physiocratie, forgé par Pierre du Pont de Nemours23 à partir de deux

mots grecs « physis », la nature et « kratos », la puissance, contient explicitement le programme de l’école qui s’en réclame.

A la différence du mercantilisme, il s’agit véritablement d’une communauté de pensée, uniquement française, qui fut surtout active entre 1750 et les années 1770 et s’organisa autour de quelques figures majeures, principalement celle de François Quesnay.

2.2.1. François Quesnay (1694-1774) Quesnay fut d’abord médecin-chirurgien, il finit par devenir celui de Madame de

Pompadour et du Roi, ce qui lui permit de répandre ses idées dans la haute société du règne de Louis XV. Il ne s’intéressa que tardivement à l’économie, mais y apporta des contributions majeures malgré certaines erreurs manifestes. L’idée fondamentale de Quesnay est que seul le travail appliqué directement à

la nature (agriculture, pêche, mine) est productif. Cette idée présentée commeune propriété de l’ordre naturel voulu par Dieu repose sur un constat : un grain deblé mis en terre produit un épi ; nulle autre activité humaine ne produit ce miraclede l’apparition d’un produit net, d’un surplus. En conséquence la classeproductive (des agriculteurs), se distingue de la classe stérile des « marchands » :manufacturiers, artisans et autres commerçants, qui ne font que transformer etmettre en circulation le surplus tiré de la nature. En outre la classe des propriétairesfonciers, du souverain et des « décimateurs » (l’Église), ne fait que tirer son revenude la propriété de la terre. En fin de compte, la richesse produite dans un pays semesure à la seule valeur de sa production agricole, redistribuée ensuite dans lesautres activités et entre les classes sociales.

Ces idées ne pouvaient avoir de postérité, ni sur le plan historique, puisque le développement de l’industrie au XVIIIe siècle se trouvait en porte-à-faux avec la primauté attribuée à l’agriculture, ni sur le plan de la science expérimentale, puisque Lavoisier (1743-1794), fondateur de la chimie moderne, démontrera dans les années 1780 la loi de conservation de la masse « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ». Mais, malgré cette approche dogmatique de la richesse, Quesnay peut être crédité de deux apports décisifs : le concept de capital et le circuit économique.

Se fondant sur sa propre expérience de propriétaire foncier, il constate que, si laterre est cultivée avec l’aide d’instruments plus perfectionnés mais plus chers (lacharrue plutôt que l’araire), d’animaux de traits plus efficaces mais plus coûteux(des chevaux à la place des bœufs), le produit obtenu augmente dans un rapport plusque proportionnel au supplément de la dépense engagée. Quesnay découvre ainsi

23 Pierre Samuel du Pont de Nemours (1739-1817), économiste et homme politique, s’exila aux États-Unis en 1799. Son fils Eleuthère fonda une poudrerie à l’origine de la puissante firme chimique américaine actuelle.

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l’efficacité du capital conçu comme un détour de production24 qui, grâce à une avance en argent, permet d’acheter des moyens de production. Marx reconnaîtra cet apport de Quesnay.

La notion de circuit économique n’est pas nouvelle, puisque nous l’avons déjàrencontrée chez Boisguillebert, mais Quesnay lui donne dans son « Tableauéconomique » de 1758, un contenu plus précis et qui, débarrassé de certains erreurset approximations, inspirera certains de ses lointains successeurs de la comptabiliténationale (cf. chap.11, La comptabilité nationale,). Quesnay, médecin et cartésien, voit la société comme un mécanisme ou plus

précisément comme un organisme dans lequel la richesse circulerait toutcomme le sang, dont le « circuit » a été découvert un siècle plus tôt par unmédecin britannique, William Harvey (1578-1657).

Mais surtout l’idée fondamentale de Quesnay est que, pour comprendre lefonctionnement de l’économie, il faut partir du capital et de sa reconstitutionaprès les « avances » en nature ou en monnaie qui en sont faites dans laproduction.

Le Tableau économique connaît plusieurs versions, dont voici celle de 1766.Malgré une simplification par rapport aux versions antérieures, le tableau est

assez difficile à comprendre et comporte encore des erreurs et des insuffisances. Mais, tel quel, il apporte un éclairage nouveau sur le fonctionnement d’une économie capitaliste (de type agraire, ici).

Quesnay distingue trois types d’avances : - les « avances annuelles » servant à la « classe productive » et à la « classe

stérile » à payer les dépenses d’exploitation au cours de l’année considérée. (Ce que les classiques appelleront le capital circulant, qui disparaît dans le processus productif, par opposition au capital fixe, les machines, etc. qui servent dans plusieurs processus). Pour les fermiers ces avances consistent en un stock de moyens de subsistance leur permettant de vivre en attendant la prochaine récolte. Pour les artisans, elles correspondent à une somme d’argent leur permettant d’acheter des matières premières à la classe productive :

- les « avances primitives » des fermiers qui forment le capital fixe (instruments,etc.) qui s’usera au fil du temps ; Quesnay en fixe la valeur à 10 milliards (chiffre ne figurant pas dans le tableau) ;

- les « avances foncières » réalisées par les propriétaires terriens (routes,chemins, etc.), c’est aussi un capital fixe, considéré comme permanent et dont on néglige l’usure.

Sur la première ligne du tableau figurent les avances des classes productive et stérile. Y figure également le revenu des propriétaires, du souverain et du décimateur (le clergé), qui a été payé par les fermiers l’année précédente et qui est disponible en début de période ; c’est ce revenu que les physiocrates appellent le produit net.

24 C’est ainsi que l’économiste autrichien Böhm-Bawerk (1851-1914) définira le capital.

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Ainsi le fonctionnement de l’économie dans l’année en cours dépend des résultats qui ont été obtenus dans l’année passée.

Les diagonales représentent les achats effectués par une classe à une autre, la monnaie circulant dans le sens de la pente. Le montant des achats est indiqué au point d’arrivée.

Production agricole (ou reproduction totale) : 5 milliards

Avances Revenu Avances annuelles pour les de la classe

de la classe propriétaires des terres stérile

productive le souverain, le décimateur

2 milliards 2 milliards 1 milliard Sommes qui servent 1 milliard 1 milliard

à payer le revenu 1 milliard

et les intérêts des 1 milliard 1 milliard

avances primitives

Dépenses des avances 2 milliards Total 2 milliards

dont la moitié est retenue

par cette classe pour les

avances de l’année suivante

Total 5 milliards

Lecture : - les propriétaires achètent 1 milliard de produits agricoles aux paysans et1 milliard de produits aux artisans.- Les artisans achètent aux paysans 1 milliard de denrées consommables et1 milliard de matières premières.- les paysans achètent 1 milliard de produits aux artisans. Ici il faut noter une

incohérence dans l’exposé de Quesnay : puisque les avances des paysans ne sont pas monétaires, comme exposé plus haut, et qu’elles sont entièrement dépensées à l’intérieur de la classe productive (comme l’indique le total des avances : 2 milliards), il faudrait faire partir la flèche non des 2 milliards d’avances annuelles mais de l’un des milliards reçus des autres classes, ce que nous indiquons en pointillés sur le tableau (Correction effectuée d’ailleurs, après la mort de Quesnay par l’un de ses disciples, le marquis de Mesmon, en 1775).

- Le total de gauche correspond à la valeur de la production agricole, qui se composede 3 milliards de produits vendus et des 2 milliards d’avances dépensées.

- le total de droite (2 milliards) représente le chiffre d’affaires des artisans. En fonction de ce tableau, voyons comment les revenus des paysans et des

artisans ont été utilisés et comment ils permettent de reconstituer les avances annuelles permettant d’entamer un nouveau cycle l’année suivante :

- les agriculteurs prélèvent 2 milliards en versement aux propriétaires de la terre. Unautre milliard est utilisé en achats aux artisans, ce que Quesnay appelle de façon peu claire « intérêts de leurs avances primitives » et que l’on peut interpréter comme un amortissement de leur capital fixe. Les avances primitives (hors tableau) étant de

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10 milliards, le milliard en question correspond à un amortissement de 10%. Après ces versements, il reste 2 milliards qui permettent aux agriculteurs de reconstituer leurs avances pour l’année suivante.

- les artisans ont reçu 2 milliards, en ont dépensé 1 en produits agricoles, il leur restedonc 1 milliard qui reconstitue leurs avances annuelles pour l’année prochaine.

Par conséquent au début de l’année suivante, on retrouve les avances annuelles, les « reprises » dans le vocabulaire de Quesnay, permettant au processus productif de se poursuivre à l’identique.

Interprétation du tableau. - On remarque que les paysans comme les artisans font des « avances » et des

« reprises », mais que, conformément au postulat physiocratique, seuls les paysans dégagent un surplus, un produit net, versé aux propriétaires terriens.

- Remarquons aussi que ce tableau représente une économie sans croissance, uneéconomie stationnaire. Mais contrairement au circuit de Boisguillebert, c’est un tableau dynamique, puisqu’il indique comment on peut passer d’une année à l’année suivante.

-Notons également une lacune majeure : le profit n’apparaît pas dans ce tableau.Nous sommes face à une étrange économie capitaliste agraire où les fermiers, les artisans et les propriétaires font des avances en capital sans qu’il en découle un quelconque profit !

-Mais cela peut s’expliquer par le fait que Quesnay ne prétend nullement êtreréaliste : son tableau est un modèle théorique, correspondant à une situation idéale, un optimum.

Toutefois, pour atteindre cet optimum, il convient d’accroître la production par des avances croissantes de période en période, ce qui suppose un « bon prix » pour les céréales (préoccupation constante de Quesnay, qui ressort notamment de son article des « grains » dans l’Encyclopédie de Diderot). Comme chez Boisguillebert, ceci ne peut être atteint que par la liberté de circulation des grains. D’où la maxime popularisée par Vincent de Gournay (1712-1759) « Laisser faire et laisser passer ».

2.2.2 Turgot, un économiste dans l’action Turgot (Anne, Robert, Jacques Turgot, baron de l’Aulne, 1727-1781), quoique

fréquentant le cercle des physiocrates et partageant avec eux des idées libérales, s’en démarque sur plusieurs points ; il est notamment plus proche des « industrialistes » comme Vincent de Gournay que des « ruralistes » comme Quesnay lui-même. Par ailleurs, du fait de ses nombreuses activités administratives et politiques, Turgot n’a laissé qu’une œuvre économique dispersée et parfois seulement esquissée, mais qui n’en revêt pas moins une grande importance. Ses écrits les plus marquants concernent la théorie des prix, la nature des rendements, la monnaie et l’intérêt.

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La théorie des prixDans un article de 1769 intitulé « Valeurs et monnaies » et laissé à l’état de

manuscrit, Turgot jette les bases d’un certain nombre de concepts et de théorèmesétonnamment modernes, concernant principalement : L’égalisation à l’équilibre du taux marginal de substitution psychologique et du

taux de transformation technique entre deux biens ; (cf. microéconomieapprofondie, chap. 9)

La fixation du prix en situation de monopole bilatéral (cf. microéconomieapprofondie, seconde année)

L’esquisse de la théorie des valeurs internationales de Ricardo-Mill (cf. infra 3.La théorie classique)

La loi des rendements décroissants, dite loi de TurgotEn 1768, dans un article intitulé « Observations sur le mémoire de M. de Saint-

Péravy en faveur de l’impôt indirect », Turgot part du constat suivant : Si le grain est semé sur une terre sans aucune préparation, il sera

presqu’entièrement perdu, mais si la terre est travaillée grâce à des « avances » enlabours, engrais, etc. la production va augmenter d’un montant plus élevé que lavaleur de ces avances : le rendement est croissant. Toutefois, à partir d’un certainseuil, l’augmentation de la production consécutive à des avances supplémentairesdevient de plus en plus faible : le rendement devient décroissant. (en termesmodernes on parle de productivité décroissante).

Cette « découverte » de Turgot revêt une importance capitale pour la suite del’analyse économique, on la retrouvera dans :

L’analyse malthusienne de l’évolution démographique ; La conception de Ricardo de la rente différentielle et de l’état stationnaire ; La théorie néo-classique de la répartition ; L’analyse de la croissance reposant sur des ressources naturelles limitées

La monnaie et l’intérêt Dans la théorie mercantiliste, le « prix de l’argent » relève de deux approches : dans

la première il correspond à la quantité de marchandises que l’on peut obtenir avecune unité de monnaie (c’est en fait l’inverse de l’indice général des prix) ; dans laseconde approche, c’est ce qu’il faut payer pour emprunter une certaine sommedurant un laps de temps donné (c’est le taux d’intérêt).

Dans ses « Réflexions sur la formation et la distribution des richesses », publiéesen 1769 et 1770, Turgot clarifie les deux notions :

- le prix de la monnaie rapporté aux autres marchandises relève d’après lui del’analyse de Bodin, celle de la théorie quantitative de la monnaie, qui seraprécisément formulée beaucoup plus tard par l’Américain Irving Fisher (1867-1947).

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- quant au taux d’intérêt, il ne dépend pas de la quantité de monnaie, mais del’offre et de la demande de fonds prêtables, thèse qui sera celle de l’orthodoxie libérale en matière financière jusqu’à ce que Keynes lui oppose la thèse de la préférence pour la liquidité.

Turgot est également un praticien de l’économie qui tente de mettre en œuvre sesidées libérales lorsque le jeune Louis XVI, confronté à la situation désastreuse desfinances royales, le nomme contrôleur général des finances en 1774. Il s’attaquealors vigoureusement aux graves problèmes économiques que connaît le royaume. Il libéralise le commerce des grains, y compris à l’exportation ; abolit les

jurandes et corporations ; impose un budget à la Maison du Roi ; tente deréformer l’impôt dans le sens de plus de justice et d’efficacité fiscales.

Mais il rencontre des difficultés de plus en plus grandes : La récolte de 1774 étant très mauvaise, le prix du pain flambe et

déclenche des émeutes, c’est la « guerre des farines », qu’il réprimefermement, ce qui lui vaut de perdre le soutien d’une grande partie dela population.

Surtout ses réformes heurtent de front tous les privilèges, ceux descorporations, des parlementaires, de la noblesse, du clergé et surtout dela Cour et de la Reine très dépensières.

Devant cette coalition d’opposants, le faible Louis XVI cesse de lesoutenir et le contraint à la démission en 1776. Le ministériat de Turgotconstitue sans doute la dernière chance qu’eut l’Ancien Régime de seréformer.

3. la pensée classique3.1. Le contexte de la révolution industrielle

L’Europe occidentale du milieu du XVIIIe au milieu du XIXe siècle connaît de profondes transformations techniques, économiques et sociales. L’évolution des techniques de production s’accélère. Citons parmi les plus

importantes : Les perfectionnements de la machine à vapeur de Denis Papin (1687) à James

Watt (1774) en passant par Thomas Savery (1698 : la pompe à vapeur) etNewcomen (1712). Perfectionnements successifs qui permettent d’extraire etd’utiliser à moindre coût la houille qui remplace progressivement le bois et lecharbon de bois.

La production de la fonte au coke de Darby (1709), en liaison avec l’extractionhouillère, abaisse le prix de la fonte et de l’acier et en améliore la qualité, ce quipermet de construire toutes sortes de machines, principalement pour l’industrietextile.

En effet la production textile se mécanise : dans la filature (« spinning jenny »de Hargreaves en 1767, « waterframe » d’Arkwright en 1768, « mule jenny »

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de Crompton en 1779) et dans le tissage (« navette volante » de Kay en 1733, métier à tisser de Cartwright en 1785, métier à tisser semi-automatique de Jacquard en 1801).

La machine à vapeur est aussi appliquée aux transports : principe del’automobile de Cugnot en 1770, du bateau à vapeur de Jouffroy d’Abbans en1778, premières locomotives de George Stephenson en 1814-1817.

L’ensemble de ces techniques forment une « grappe d’innovations »selon l’expression de Schumpeter (cf. infra 5.4.2.2) et sont à l’origine de la« première révolution industrielle ».

L’agriculture n’est pas en reste. La fin de la jachère remplacée par des « culturesdérobées » de plantes fourragères (luzerne, trèfle, sainfoin) permet d’augmenter laproduction et les rendements agricoles. Les plantes fourragères nourrissent le bétailqui fournit viande, lait, cuir et fumier. La fumure permet à son tour d’augmenter laproduction des plantes alimentaires pour l’homme. Cette évolution vers uneagriculture savante (que l’on qualifie parfois de révolution agricole) permet defaire face à l’augmentation de la population et surtout de la population urbaine.

L’urbanisation en effet s’accentue ; elle résulte principalement de la concentrationdes entreprises industrielles autour des machines à vapeur. De ce fait l’atelierartisanal et la manufacture reculent au profit de l’usine. La croissance urbainerésulte d’une part de l’exode rural et d’autre part de l’augmentation naturelle de lapopulation citadine. Elle pose de redoutables problèmes, de logement, depromiscuité, d’hygiène, de sécurité.

La question sociale se pose donc en des termes nouveaux. En effet une masse grandissante d’ouvriers connaît des conditions de vie et de

travail très dures : travail des femmes et des jeunes enfants, journées de travailde 12 à 15 heures, sans jour de repos (jusqu’en 1814 en France) et pour unsalaire permettant tout juste de survivre dans ces conditions misérables de viemorale et matérielle, lesquelles forment un contraste violent avec l’opulence, laculture, le raffinement de la vie bourgeoisie.

Aussi le XIXe siècle est-il jalonné des explosions de ces « Classes laborieuses,classes dangereuses » comme le titre en 1958 l’historien Louis Chevalier. Parexemple la révolte des « luddites » en Angleterre en 1811-1812 qui détruisentles machines accusées de « voler le pain des ouvriers », ou les insurrections descanuts de Lyon (ouvriers de la soierie) en 1831 et en 1834.

Ces explosions de violence s’expliquent aussi par la quasi absence deprotection sociale. En 1819, le Parlement anglais vote une loi interdisant letravail des enfants de moins de 9 ans dans les filatures de coton. En 1841, à lasuite du rapport du docteur Villermé, la loi française interdit le travail enusine des enfants de moins de 8 ans. Mais ces quelques lois restent le plussouvent lettres mortes faute de contrôle de leur application et de sanctions encas d’infraction.

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De plus la classe ouvrière est juridiquement discriminée. En France le décretd’Allarde et la loi Le Chapelier de 1791 abolissent les corporations etinterdisent toute « coalition » professionnelle et toute grève. Mais il est facileaux employeurs de s’entendre secrètement sur les conditions de travail et lessalaires, et à la police de poursuivre tout rassemblement, bien plus visible, desouvriers. D’ailleurs, en 1803, un livret ouvrier obligatoire est institué, quipermet à la police de contrôler les ouvriers et, en 1804, l’article 1781 du codecivil stipule, qu’en cas de litige entre l’ouvrier et son employeur, c’est la parolede ce dernier qui l’emporte.

Cependant, progressivement, des organisations de défense de la classe ouvrièrevont se créer, d’abord de façon illégale, puis de façon officielle. En France, cen’est qu’en 1864 que, par la loi Ollivier, la grève cessera, sauf en cas deviolence, d’être un délit. La même année à Londres fut fondée la « Premièreinternationale ouvrière ».

Le début d’une croissance de long terme mais entrecoupée de crises Les XVIIIe et XIXe siècles connurent une croissance jamais atteinte auparavant.

Selon l’économiste et historien Paul Bairoch 25 sur une base 100 en 1700, leproduit national brut des pays de l’Europe de l’Ouest, des États-Unis et du Japonest passé à l’indice 147 en 1800 et 937 en 1900 ; la production industrielle àl’indice 157 en 1800 et 1600 en 1900. Entre les mêmes dates, la productionsidérurgique fut multipliée par 4 puis par 50 !

La population croissant moins vite que la production (contrairement à la loi deMalthus, cf. 3.2.2 et 3.5.2), le niveau de vie moyen des pays en voied’industrialisation s’en trouva considérablement accru. Selon les calculsd’Angus Maddison26, le PIB par habitant en Europe de l’Ouest, par exemple,qui en l’an 1500 équivalait à 774 dollars internationaux de 1990, était passé à1232 $ en 1820 et à 1974 $ en 1870.

Dans ce mouvement d’ensemble, la Grande-Bretagne fut pionnière et devint aumilieu du XIXe siècle « l’usine du monde ». Selon W.W. Rostow27 elle« décolla » dans les années 1780-1800. La France ne la suivit qu’entre 1830 et1860, les États-Unis aux alentours de 1843-1860, l’Allemagne entre 1850 et1873 et le Japon entre 1878 et 1900.

Cependant, tous les 8 à 10 ans, cette croissance était entrecoupée de crises desurproduction, assez brèves, mais violentes qui multipliaient les faillitesd’entreprises et accroissaient la misère ouvrière.

25 P. Bairoch « Le Tiers Monde dans l’impasse », 1983 26 Angus Maddison « L’économie mondiale. Une perspective millénaire », OCDE, 2001 27 Walt Whitman Rostow, homme politique et économiste américain (1916-2003), « Les étapes de la croissance économique », 1960

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Tous ces bouleversements n’ont pas manqué d’influencer la pensée des économistes classiques qui en furent les témoins.

3.2. Qui sont ces « classiques » ? 3.2.1. Une terminologie à clarifier C’est Karl Marx qui, le premier, en 1867, dans le livre I du Capital, a qualifié

de « classiques » les économistes tels qu’Adam Smith et Ricardo, qui avaientadopté la théorie de la valeur-travail de William Petty (1623-1687). Les autres,les adeptes de la valeur-utilité, étaient rejetés par lui dans la catégorie deséconomistes « vulgaires ».

En 1936, une autre acception du terme est utilisée par Keynes, qui l’appliqueaux auteurs ayant succédé à Ricardo tels que J.S Mill, A. Marshall,F.Y Edgeworth et A.C Pigou, qui ont en commun la caractéristique de partager laconception de Jean-Baptiste Say sur les crises formulée dans sa « loi desdébouchés », conception que Keynes conteste dans sa « Théorie générale del’emploi, de l’intérêt et de la monnaie ».

L’usage qui prévaut de nos jours, et que nous adoptons, est d’utiliser le terme de« classique » dans le même sens que Marx, en l’étendant toutefois à J.S. Mill et dequalifier de « néo-classiques » les auteurs qui, de la fin du XIXe au premier tiers duXXe siècle, séparent Marx de Keynes. (Ils feront l’objet de la partie 5). L’écoleclassique couvre donc le dernier tiers du XVIIIe siècle et la première moitié du XIXe.

3.2.2. Les principaux économistes classiques Avant d’exposer les idées débattues par les économistes classiques qui se

répondent, se contredisent ou se recoupent, nous allons succinctement présenter les principaux d’entre eux, dans un ordre approximativement chronologique. Adam Smith. (1723-1790). Cet Écossais est souvent présenté comme le « père »

de la science économique moderne. Il fut d’abord professeur de philosophie àl’université de Glasgow et publia en 1759 sa « Théorie des sentiments moraux ».Les idées qu’il y exprime sur le ressort des comportements humains influencèrentnotablement sa vision du fonctionnement de l’économie. Entre 1764 et 1766 unvoyage en France lui permet de fréquenter les physiocrates et notamment Quesnay.De retour en Angleterre, il publie en 1776 son maître-ouvrage : ses « Recherchessur la nature et les causes de la richesse des nations », dont on abrège souvent letitre en « Richesse des nations » (ce qui sera noté RDN, dans nos références).

David Ricardo. (1772-1823). Il fait fortune comme agent de change à la Boursede Londres et se fait connaître dans les années 1810 par sa prise de position dansla controverse sur le « Bullion report » qui tente d’analyser les causes de l’inflationen Angleterre et de proposer une réforme monétaire. En 1817, il publie sonprincipal ouvrage : les « Principes de l’économie politique et de l’impôt »(Désignés par « Principes » dans nos références ultérieures). Membre du

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Parlement de 1819 à sa mort en 1823, il milite pour l’abolition des lois protectionnistes, les « Corn laws ».

Thomas Robert Malthus (1766-1834). Malthus est surtout connu pour son« Essai sur le principe de population » de 1798. Quoique pasteur, ou peut-êtreparce qu’il était pasteur, il a milité pour l’abolition des lois sur les pauvres, dont lacharge reposait sur les paroisses. Il est aussi l’auteur d’une « Enquête sur la natureet le progrès de la rente » de 1815 ainsi que de « Principes d’économie politique »en 1820. Ami de Ricardo, il n’en partageait pas nécessairement les idées,notamment en ce qui concerne la question des « Corn laws », dont il préconisaitle maintien.

Jean-Baptiste Say (1767-1832) Il est l’auteur de trois ouvrages importants : un« Traité d’économie politique » publié en 1803 et réédité en 1814, un« Catéchisme d’économie politique » en 1815, et un « Cours complet d’économiepolitique » en 1830. Libéral, il s’opposa à Napoléon, dirigiste et protectionniste. Ileut aussi une activité économique dans une compagnie d’assurances et à la têted’une filature de coton. A partir de 1819, il enseigna au Conservatoire des Arts etMétiers et, cette même année, participa à la fondation de l’Ecole spéciale decommerce et d’industrie de Paris (actuellement ESCP-Europe). Peu de tempsavant sa mort il devint le premier titulaire de la chaire d’économie politique duCollège de France. Un de ses frères, Louis Say, fonda les sucreries Say, devenuesBéghin-Say en 1973.

John-Stuart Mill (1806-1873) est considéré comme le dernier de la lignée desgrands auteurs classiques. Fils du philosophe et économiste James Mill, il reçut deson père une formation précoce dans ces deux disciplines. Auteur de nombreuxouvrages, dont un « Système de logique déductive et inductive » de 1843, ilcontribua à l’avancée de la pensée économique par ses « Principes d’économiepolitique » de 1848 qui, jusqu’à l’avènement des néo-classiques à la fin du siècle,constituèrent l’ouvrage de base des études en économie. Adepte de l’utilitarismede Jeremy Bentham (1748-1832), et du libéralisme, il prôna néanmoins desréformes sociales visant à adoucir le sort des classes laborieuses et milita, commeBentham, pour la démocratie, l’émancipation des femmes, et l’abolition del’esclavage.

Malgré un certain nombre de divergences, tous ces auteurs adhèrent aux mêmes idées centrales et s’interrogent sur les mêmes problèmes économiques et sociaux. Les classiques étudient principalement :

- la richesse, sa nature et ses causes ;- la nature de la valeur des marchandises et la fixation de leur prix ;- la répartition du revenu et les implications de la démographie dans cette

répartition ;- l’accumulation du capital, ses relations avec les débouchés, ses limites

éventuelles ;

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ESHÉconomieSociologie

& Histoiredu monde contemporain

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C’est pourquoi chaque thème est traité par des approches multiples : économiques, historiques, sociologiques, combinées di� éremment en fonction de l’objet en examen.

Ainsi, chaque chapitre présente :■ le cours portant sur le thème étudié,■ un résumé du cours,■ un rappel des principaux auteurs concernés par le thème,■ des citations,■ les chi�res-clés portant sur la question étudiée,■ des sujets de réflexion, des sujets d’épreuves de concours, dont

certains inédits,■ une bibliographie.

En fin de volume, un index complet des sigles et des organismes facilite la lecture de l’ouvrage.

Destiné en priorité aux étudiants de première année des CPGE, cet ouvrage sera aussi utile aux étudiants en Licence d’Économie, aux étudiants préparant les concours administratifs, et à tous les lecteurs soucieux de se doter d’une solide culture générale dans le domaine des sciences sociales, économiques et historiques.

Michel Rozé, Saint-Cyrien, est agrégé en sciences économiques et sociales et professeur de Chaire supérieure. Durant de nombreuses années, il a enseigné en classes préparatoires (lycée Pierre de Fermat et lycée Ozenne de Toulouse), et a été chargé de cours notamment à l’université de Toulouse-Capitole (préparation au CAPES et à l’Agrégation, ainsi qu’à la licence d’AES), à l’IUFM de Toulouse et au CESI. Il a également publié plusieurs ouvrages de sciences économiques et sociales destinés aux élèves des lycées.

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