98
L’ESSENTIEL L’ESSENTIEL AOÛT - OCTOBRE 2012 France métro. : 6,95, Bel. : 8,20, Lux. : 8,20, Maroc : 90 MAD, Port. Cont.: 8,90, Suisse :15FS, Canada : 11,99 $ CAN., TOM :1170XPF, DOM : 8,253:HIKNQJ=UU[^Z[:?k@a@b@l@a; M 03690 - 11 - F: 6,95 E - RD Cerveau Cerveau Psycho Psycho & & Do Do nner l’envie nner l’envie d’ap d’ap p re re ndre ndre & Cerveau Cerveau Psycho Psycho Des élèves motivés Travailler avec plaisir Être attentif Corriger ses erreurs Stimuler le cerveau La motivation L’autonomie La mémoire Les troubles à l’école Le manque de sommeil La dyslexie La rébellion

Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

L’ESSENTIELL’ESSENTIELAOÛT - OCTOBRE 2012

Fran

ce m

étro

. : 6

,95€

, Bel

. : 8

,20€

, Lux

. : 8

,20€

, Mar

oc : 9

0 M

AD, P

ort.

Cont

. : 8,

90€

, Sui

sse :

15FS

, Can

ada :

11,

99 $

CAN.

, TOM

:117

0XPF

, DOM

: 8,

25€

AO

ÛT -

OC

TOB

RE

2012

L’ES

SEN

TIE

LL’

ESSE

NT

IEL

- n°

11 •

L’e

nvie

d’a

ppre

ndre

3:HIKNQJ=UU[^Z[:?k@a@b@l@a;M 03690 - 11 - F: 6,95 E - RD

CerveauCerveau PsychoPsycho&&DoDonner l’envienner l’envie

d’apd’apprerendrendre

&C

erve

auC

erve

auPs

ycho

Psyc

ho

Des élèves motivés• Travailler avec plaisir• Être attentif• Corriger ses erreurs

Stimuler le cerveau• La motivation• L’autonomie• La mémoire

Les troubles à l’école• Le manque de sommeil• La dyslexie• La rébellion

Ess_011_couverture_grand_format - def.indd 1Ess_011_couverture_grand_format - def.indd 1 05/07/12 12:5605/07/12 12:56

Page 2: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

2e_PUG_grd.xp 4/07/12 11:21 Page 1

Page 3: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

Cette phrase du poète latin Virgile traduit le plai-sir d’apprendre que manifestent notamment lesenfants. À l’image de l’Enfant d’éléphant desHistoires comme ça de Rudyard Kipling (1865-1936), les petits sont naturellement d’une « insa-

tiable curiosité ». Mais également à l’instar des proches duhéros de cette nouvelle, les adultes sont parfois sourds à cesquestions. Quand les réponses qu’obtiennent les enfants ne lessatisfont pas, quand ils ne les comprennent pas, quand ilsn’osent plus en poser, leur curiosité naturelle s’émousse.

Aux enseignants et aux parents de comprendre alors com-ment les motiver pour qu’ils reprennent confiance en eux etlaissent à nouveau leur curiosité s’exprimer. Et c’est là que lesspécialistes des sciences du cerveau notamment peuvent appor-ter leurs connaissances sur la façon dont les élèves apprennent,sur leurs motivations, leurs erreurs de raisonnement, mais aussileurs difficultés, telles que l’inattention ou la dyslexie. Cesdiverses connaissances peuvent aider les enfants, y comprisceux qui se rebellent ou se résignent, à retrouver le plaisir d’ap-prendre. Dans sa lettre aux instituteurs rédigée en 1883, leministre de l’Instruction publique Jules Ferry qualifiait la tâchedes maîtres « d’une très grande importance – extrêmementsimple, mais extrêmement difficile ».

L’envie de comprendre devient alors une seconde nature. Ons’interroge sur chaque expérience de la vie, sur le monde envi-ronnant, sur les personnes rencontrées, sur soi. Et plus on sepose de questions (ou plus on en pose aux personnes compé-tentes), plus on mesure son ignorance, ce qui renforce sa curio-sité intellectuelle et son désir de comprendre. Et, pour paraph-raser Virgile, sans doute faudrait-il dire : « On se lasse de tout,excepté de comprendre. » Mais pour le poète, les deux étaientcertainement indissociables.

© L’Essentiel n° 11 août - octobre 2012 1

Directrice de la rédaction : Françoise Pétry

L’Essentiel Cerveau & PsychoRédactrice en chef : Françoise PétryRédactrice : Bénédicte Salthun-LassalleCerveau & PsychoRédacteur : Sébastien Bohler

Pour la ScienceRédacteur en chef : Maurice Mashaal Rédacteurs : François Savatier, Marie-Neige Cordonnier, Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly

Dossiers Pour la ScienceRédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

Directrice artistique : Céline LapertSecrétariat de rédaction/Maquette :Annie Tacquenet, Sylvie Sobelman, Pauline Bilbault, Raphaël Queruel, Ingrid Leroy

Site Internet : Philippe Ribeau-Gesippe, assisté de Yoan Bassinet

Marketing : Élise AbibDirection financière : Anne GusdorfDirection du personnel : Marc LaumetFabrication : Jérôme Jalabert, assisté de Marianne SigognePresse et communication : Susan MackieDirectrice de la publication et Gérante : Sylvie MarcéConseillers scientifiques : Philippe Boulanger et Hervé ThisOnt également participé à ce numéro : Bettina Debû, Hans Geisemann, Mélanie Jucla.

Publicité FranceDirecteur de la publicité : Jean-François Guillotin([email protected]), assisté de Nada Mellouk-RajaTél. : 01 55 42 84 28 ou 01 55 42 84 97 Télécopieur : 01 43 25 18 29

SSeerrvviiccee aabboonnnneemmeennttssGinette Bouffaré : Tél. : 01 55 42 84 04

Espace abonnements : http://tinyurl.com/abonnements-pourlascienceAdresse e-mail : [email protected] Adresse postale : Service des abonnements - 8 rue Férou - 75278 Paris cedex 06

Commande de magazines ou de livres :0805 655 255 (numéro vert)Diffusion de Cerveau & Psycho :Contact kiosques : À juste titres ; Benjamin BoutonnetTel : 04 88 15 12 41Canada : Edipresse : 945, avenue Beaumont, Montréal, Québec,H3N 1W3 Canada.Suisse : Servidis : Chemin des châlets, 1979 Chavannes - 2 - BogisBelgique : La Caravelle : 303, rue du Pré-aux-oies - 1130 BruxellesAutres pays : Éditions Belin : 8, rue Férou - 75278 Paris Cedex 06

Toutes les demandes d’autorisation de reproduire, pour le public françaisou francophone, les textes, les photos, les dessins ou les documentscontenus dans la revue « Cerveau & Psycho », doivent être adressées parécrit à « Pour la Science S.A.R.L. », 8, rue Férou, 75278 Paris Cedex 06.© Pour la Science S.A.R.L.Tous droits de reproduction, de traduction, d’adaptation et dereprésentation réservés pour tous les pays. Certains articles de cenuméro sont publiés en accord avec la revue Spektrum derWissenschaft (© Spektrum der Wissenschaft Verlagsgesellschaft, mbHD-69126, Heidelberg). En application de la loi du 11 mars 1957, il estinterdit de reproduire intégralement ou partiellement la présente revuesans autorisation de l’éditeur ou du Centre français de l’exploitation dudroit de copie (20, rue des Grands-Augustins - 75006 Paris).

www.cerveauetpsycho.fr

Pour la Science8 rue Férou, 75278 Paris cedex 06

Standard : Tel. 01 55 42 84 00

ÉditorialFrançoise PÉTRY

Indispensablecuriosité

« On se lasse de tout, excepté d’apprendre. »Virgile

Ess_011_p001001edito.xp 6/07/12 11:01 Page 1

Page 4: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

2 L’envie d’apprendre © Cerveau & Psycho

Motiver les élèves à l’école La motivation, l’attention et l’inhibition sont des moteurs de l’apprentissage. Les psychologues étudient comment les mettre en œuvre.

L’apprentissage dans le cerveau Les mécanismes cérébraux et cognitifs impliqués dans les apprentissages se révèlent. On découvre comment les renforcer.

7 39

Donner l’envie d’apprendre 4Préface Fabien Fenouillet et Alain Lieury

Motiver les élèves à l’école

La motivation, moteur de l’apprentissage 8De nombreuses formes de motivations existent : le plaisir d’apprendre, l’estime de soi, les récompenses, l’autonomie, etc. Fabien Fenouillet et Alain Lieury

Pour une meilleure attention à l’école 14Des journées plus courtes, des semaines plus longues et moins de congés amélioreraient l’attention des élèves. Christophe Boujon et Sandrine Poupet

Inhiber son cerveau pour raisonner 22La correction des erreurs de raisonnement, via l’inhibition cérébrale, est un moteur de l’apprentissage. Olivier Houdé

« Pour » les notes à l’école élémentaire ! 28Le système de notation est utile à l’école s’il permet d’informer l’élève sur ses performances. Alain Lieury

Clavier ou stylo : comment apprendre à écrire ? 30Écrire les lettres favorise leur mémorisation, ainsi que la lecture ; l’usage du clavier ne le permet pas. Jean-Luc Velay et Marieke Longcamp

Comment enseigner la lecture ? 36Il faut associer les méthodes de lecture globale et syllabique pour que les élèves apprennent à lire correctement. Alain Lieury

L’apprentissage dans le cerveau

Les neurosciences inspirent l’enseignement 40Six capacités cérébrales favorisent les apprentissages. Les enseignants devraient les prendre en compte. Daniel Favre

L’apprentissage modifi e le cerveau 48Les neurones se connectent davantage et leurs « câbles de communication » se renforcent quand on apprend. Jan Scholtz et Miriam Klein

Un système cérébral de la motivation ? 54Les neuroscientifi ques identifi ent les systèmes cérébraux mis en jeu dans différentes formes de motivation. Mathias Pessiglione

Ess11_sommaire essentiel.indd 2Ess11_sommaire essentiel.indd 2 05/07/12 09:2305/07/12 09:23

Page 5: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

© L’Essentiel n° 11 août - octobre 2012 3

n° 11 - Trimestriel août - octobre 2012

Donner l’envie d’apprendre

Les troubles de l’apprentissage Élève démotivé, inattentif, rebelle, agité… Plusieurs facteurs perturbent les apprentissages. Des solutions effi caces existent.

65

Apprendre par cœurou comprendre ? 60Il faut valoriser l’apprentissage par cœur, mais il est indispensable de comprendre ce que l’on apprend. Alain Lieury

Les troubles de l’apprentissage

Les racines de la démotivation 66Un enfant peut être démotivé ou rebelle. Les motivations « négatives » doivent être prises en compte à l’école. Alain Lieury et Fabien Fenouillet

La maladie de l’inattention 70Diffi cultés de concentration, impulsivité, agitation motrice : les troubles de l’attention touchent un enfant sur 20. Vania Herbillon

Des problèmes de calcul et de lecture 76Les mécanismes neurobiologiques impliqués dans les diffi cultés de lecture et de calcul se dévoilent. Yves Chaix et Jean-François Demonet

Dormir pour mieux apprendre 84La mémorisation à long terme d’informations pertinentes est meilleure après une bonne nuit de sommeil. Géraldine Rauchs

Comment gérer les classes diffi ciles ? 88Des élèves perturbateurs ou agités transforment parfois une classe en chaos. Mais l’enseignant peut intervenir ! Jean-Claude Richoz

Art et neurosciences

La leçon de lecture 94La leçon (1906) de Pierre-Auguste Renoir analysée par un neurobiologiste. François Sellal

Test

Êtes-vous motivé ? 96Un test simplifi é qui vous permettra d’évaluer la motivation de votre enfant à l’école.

En couverture : Artur Gabrysiak / Shutterstock.com - Cerveau & Psycho

Elen

a Ro

stu

no

va /

Sh

utt

erst

ock

.co

m

cerveauetpsycho.fr Rendez-vous sur le site de Cerveau & Psycho

Ce numéro comporte un encart d’abonnement Cerveau & Psycho broché en p. 32 de la totalité du tirage et une offre d’abonnement en p. 21.

Ess11_sommaire essentiel.indd 3Ess11_sommaire essentiel.indd 3 05/07/12 09:2305/07/12 09:23

Page 6: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

4 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho

La motivation permet d’expliquer le«dynamisme » du comportement,ce que l’on nomme communément« l’envie ». Mais l’envie n’est qu’unedes multiples formes de la motiva-

tion. Étymologiquement, le terme motivationvient du verbe latin moveo qui signifie mouvoir,bouger. Depuis quelques dizaines d’années, leschercheurs en psychologie tentent de compren-dre ce dynamisme, c’est-à-dire ce qui motivel’homme à agir et l’enfant à apprendre. À la findu XIXe siècle, les scientifiques cherchaient àcomprendre l’instinct plus que la motivation,mais ce terme est aujourd’hui tombé en désué-tude quand il s’agit de motivation humaine ; ilest réservé à l’étude du comportement animal.Toutefois, il persiste dans quelques expressions,par exemple l’instinct maternel (la motivationd’une mère à s’occuper de son enfant).

Pour parler de motivation, on emploie sou-vent, outre l’instinct, des termes tels que besoin,curiosité, envie, intérêt ou encore plaisir. Il estéquivalent de dire qu’un élève est motivé pourapprendre ou que ce qu’il apprend l’intéresse,mais dans ce second cas, on comprend mieuxpourquoi il apprend. Un élève intéressé, etdonc motivé, est-il plus performant dans sesapprentissages qu’un élève qui ne l’est pas ?Pas nécessairement, car la motivation n’estpas le seul déterminant de la réussite scolaire,et l’intérêt est parfois temporaire. En 1992,Ulrich Schiefele, de l’Université de Postdam enAllemagne, a proposé le concept d’intérêt« situationnel », qui se manifeste seulementdans le contexte où il émerge, par exemple dans

des situations ludiques ou d’apprentissage engroupes. Quand le contexte change, l’intérêt etdonc la motivation disparaissent…

Pour comprendre les effets de la motiva-tion, il faut en démêler les causes et d’aborddéfinir précisément le phénomène. C’est ce àquoi travaillent les chercheurs qui étudientnon pas la motivation, mais les motivations,qu’elles soient positives ou négatives, tel ledécouragement. Pourquoi un enfant motivéperd-il cet élan et cette soif d’apprendre quicaractérisent les petits ? Comment redonnerl’envie d’apprendre à ceux qui l’ont perdue ?Comment éviter que des enfants ne se rebel-lent contre le système et ne se mettent enmarge de l’école, et très vite de la société ? Enétudiant précisément les différentes facettesdes phénomènes « motivationnels ».

Un phénomèneaux nombreuses facettes

La motivation peut être étudiée comme phé-nomène global, mais aussi en tant qu’ensem-ble de manifestations – par exemple le but àatteindre et l’intérêt – qui caractérisent desaspects possibles du dynamisme du compor-tement. Il est impossible de dissocier la moti-vation des motifs, lesquels peuvent être liés àl’intérêt pour l’activité, à l’estime de soi, auxbuts à atteindre, aux besoins, etc.

Cependant, avoir un motif pour agir nesuffit pas. De nombreuses théories soulignentque pour qu’une personne soit motivée, elledoit non seulement anticiper positivement ce

Donnerl’envie d’apprendre

Préface

L’«envie» nous pousse à apprendre et à agir.C’est une autre façon de nommer la motivation, qui permet

notamment aux élèves de réussir leur « métier » : acquérirdes connaissances pour s’épanouir.

Fabien Fenouilletest professeurde psychologiecognitiveet coresponsabledu master 2de Psychologiecognitive appliquéeà l’Université Paris-Ouest-Nanterre-La Défense.Alain Lieuryest professeurémérite de psychologiecognitivede l’UniversitéRennes 2,et ancien directeur du Laboratoire de psychologieexpérimentale.

1-Ess11_pxxxxxx_preface_fenouillet_bsl.qxp 3/07/12 16:59 Page 4

Page 7: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

© L’Essentiel n° 11 août -octobre 2012 5

qui peut se produire, mais aussi estimer si sesactes ont des chances de produire l’effetrecherché. Cette «vision de l’avenir» accom-pagnant la motivation n’apparaît pas claire-ment pour certains motifs, tel le besoin de senourrir ou l’instinct maternel, mais pourd’autres, il est plus facile de montrer que l’an-ticipation du résultat influe beaucoup sur ledynamisme du comportement. Ainsi, dans lecadre de l’apprentissage scolaire ou universi-taire, la croyance que nourrit l’élève sur sacapacité à maîtriser certaines matières est unmeilleur indicateur de sa performance auxexamens que le motif de son action, parexemple devenir avocat.

D’autres stratégies sont à prendre encompte si l’on veut avoir une vision complètede la motivation. C’est, par exemple, le cas dela procrastination, c’est-à-dire le fait de tou-jours remettre au lendemain ses décisions ouactions. Cela suggère que la prise de décisionimplique des mécanismes motivationnelscomplexes. Et pour se motiver encore plus,une fois la décision prise, certaines person-nes envisagent le pire en espérant secrètementobtenir le meilleur, par exemple lors d’exa-mens importants. Cette stratégie, nomméepessimisme défensif, utilise l’anxiété d’unpossible échec comme moteur de l’action :elle est souvent mise en place par les meil-leurs élèves et doit être considérée commeune stratégie de réussite et non d’échec.

Pour que la motivationperdure…

Ces exemples montrent que pour compren-dre ce qu’est la motivation, il ne suffit pas derépertorier les différents motifs de l’action, telle plaisir d’agir. Qui plus est, la motivation évo-lue au fil du temps et il faut en tenir comptepour comprendre le dynamisme du compor-tement humain. Ainsi, dans les apprentissa-ges scolaires, la motivation a un effet sur lesperformances à condition de persister au-delàd’un simple effort ponctuel... Et ce sont alorsles théories dites de la volition qui prennentle relais des théories de la motivation en cher-chant à mettre au jour les mécanismes mis enplace pour atteindre un objectif à long terme.

Dès lors, la motivation est le moteur parexcellence de l’apprentissage. Parfois lesenfants la perdent, avec le risque de se sentirexclus ou, au contraire, de devenir des enfantsrebelles qui perturbent les classes.

Ainsi, comme nous allons le voir dans cedossier, les recherches sur la motivation per-mettent, par exemple, d’expliquer que l’anxiétéde l’élève découragé qui se trouve en situationd’échec n’est pas la même que celle de l’indi-vidu qui envisage le pire pour obtenir le meil-leur. Dans le premier cas, on peut entrevoir dessolutions pour sortir l’élève de la spirale infer-nale dans laquelle il s’est engagé : l’enseignantpeut par exemple diminuer sa charge de tra-vail. Dans le second cas, l’enseignant doitajuster son comportement ; s’il rassure cetélève qui utilise le pessimisme défensif pourse motiver, ce dernier réussira... moins bien.

Tous ces aspects, et d’autres telle l’attention,évoqués dans ce numéro, permettront auxparents, aux enseignants et aux élèves de com-prendre comment faire pour que la motiva-tion perdure au fil des années d’études. �

Petro

Feke

ta/S

hutte

rstoc

k.com

Bibliographie

F. Fenouillet,Les théories

de la motivation,Dunod, août 2012.

L. Cosnefroy et F. Fenouillet,

Motivationet apprentissages

scolaires, in P., Carré& F., Fenouillet (Ed.),

Traité de psychologiede la motivation,

Dunod, 2009.A. Lieury

et F. Fenouillet,Motivation et Réussite

scolaire, Dunod, 2006.

Quand apprendreest un jeu, les résultatsobtenus sont toujours

meilleurs.

1-Ess11_pxxxxxx_preface_fenouillet_bsl.qxp 3/07/12 16:59 Page 5

Page 8: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

96 pages – prix de vente : 6,95 € – Disponible en format classique et pocket

Cerveau & Psycho no 52Face au bruit et à une agitation ininterrompue, chacun

aspire à retrouver calme et sérénité. La méditation permet d’y parvenir. Elle améliore le bien-être psychique et la santé,

ainsi que la concentration et l’attention des enfants. En plus de ce dossier, retrouvez les incontournables de Cerveau & Psycho,

par exemple la critique psychologique du fi lm Les Aventures de Tintin.

➔ Feuilletez les premières pages sur www.cerveauetpsycho.fr

➔ Trouvez le kiosque le plus proche sur http://bit.ly/cerveauetpsycho-en-kiosque

Actuellement

en kiosque

1P_cp52.indd 11P_cp52.indd 1 04/07/12 12:1104/07/12 12:11

Page 9: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

© L’Essentiel n° 11 août - octobre 2012 7

Motiver les élèves à l’école

Elena

Ros

tunov

a /

Shutt

ersto

ck

Peut-on favoriser les apprentissages à l’école ? Doit-on noter les devoirs ou utiliser un ordinateur pour enseigner ?

La motivation, l’attention, l’inhibition des comportements inadaptés sont des moteurs de l’apprentissage.

Les psychologues étudient comment les mettre en œuvre.

Ess11_p007007_ouverture1.qxp 4/07/12 16:44 Page 7

Page 10: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

8 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho

Pourquoi un enfant est-il motivé àhabiller ses poupées des heuresdurant, à jouer tard le soir auxjeux vidéo ou à lire un roman ?Pourquoi n’a-t-il pas envie d’aller

à l’école ou de lire ? Pourquoi certains sont-ilssi démotivés qu’ils ne peuvent même pas selever le matin ? La motivation est l’ensem-ble des raisons et des facteurs qui influent surle comportement, la façon d’agir ou de pen-ser. La plupart des situations de la vie quoti-dienne, à l’école ou à la maison, mettent enœuvre une forme ou une autre de motiva-tion. Les psychologues tentent depuis long-temps d’expliquer le comportement de l’êtrehumain et ce qui le pousse à agir, mais lesthéories de la motivation sont récentes.Prenons l’exemple de l’apprentissage del’élève à l’école. Les récompenses et les puni-tions ne suffisent pas à expliquer pourquoiles enfants adorent l’école (ou la détestent) :le plaisir d’apprendre et d’autres formes demotivation jouent un rôle prépondérant.

Les premières recherches expérimentales surla motivation sont nées entre les années1920et 1950, quand les scientifiques s’intéressaientà l’apprentissage... chez l’animal. On utilisaitalors des modèles animaux – le rat et la sou-ris notamment – en pensant qu’ils disposaientdes mêmes mécanismes neuronaux et com-portementaux que l’homme. Or le rat de labo-

ratoire ne se déplace dans son labyrinthe ques’il est affamé et récompensé ; à l’UniversitéYale aux États-Unis, Clark Hull a proposé quela motivation est déterminée par le « besoin »(de se nourrir) potentialisé par le « renforce-ment » (le rat est récompensé) ; c’est la loi durenforcement. Chez l’animal, le renforcementpositif ou récompense est par exemple la nour-riture dans un labyrinthe. À l’inverse, pourempêcher un pigeon d’agir, on peut, par exem-ple, éteindre la lumière : c’est un renforcementnégatif ou punition.

L’estime de soi

Les parents et les enseignants n’ont pasattendu les chercheurs pour trouver cette loidu renforcement : c’est le principe de la carotteet du bâton. De fait, plusieurs études montrentque les compliments, par exemple « Qu’est-ceque tu lis bien ! », et les réprimandes, « Tuaurais pu t’appliquer, recommence ! », utilisésà l’école fonctionnent selon la loi du renfor-cement. L’enfant doit travailler (c’est le besoin)et fait ce qu’il peut pour obtenir des récompen-ses et éviter les punitions (c’est le renforce-ment). Notons que cette loi est appliquée dansle monde du marketing : le vendeur est payéavec un salaire minimum insuffisant (c’est lebesoin) et il reçoit une prime ou un bénéficeà chaque vente (c’est le renforcement).

La motivation, moteurde l’apprentissage

Motiver les élèves à l’école

Pourquoi un enfant demande-t-il à aller à l’école et à faireses devoirs ? Le plaisir d’apprendre, l’estime de soi,

les récompenses, les sanctions et de nombreusesformes de motivations interviennent.

Fabien Fenouilletest professeurde psychologiecognitiveet coresponsabledu master 2de Psychologiecognitive appliquéeà l’Université Paris-Ouest-Nanterre-La Défense.Alain Lieuryest professeurémérite de psychologiecognitivede l’UniversitéRennes 2,et ancien directeur du Laboratoire de psychologieexpérimentale.

2-Ess11_pxxxxxx_motivation_Lieury_fenouillet_bsl.qxp 3/07/12 17:03 Page 8

Page 11: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

© L’Essentiel n° 11 août -octobre 2012 9

Toutefois, d’autres études ont mis en évi-dence des besoins plus « sociocognitifs »,notamment le besoin d’estime, qui dérive dece que Freud nommait le narcissisme ou l’ego.Ce concept a engendré plusieurs travauxautour de l’estime de soi (le self) et plusieursthéories de la motivation utilisent des varia-tions de ce concept : Henry Murray (1893-1988) parle d’estime de soi, Edward Deci etRichard Ryan, de l’Université de Rochester à

New York, de compétence perçue, et DavidNicholls, de l’Université de Manchester auRoyaume-Uni, reprend le terme d’ego.Cependant, dans le cadre de l’apprentis-sage, les scientifiques montrent que si l’es-time de soi est importante pour la moti-vation, elle n’est pas suffisante : croire enses capacités de réussite est encore plusimportant, indépendamment de la valeurqu’on accorde à une activité ou à une disci-pline. D’autres théories ont donc vu le jour.

Le sentiment d’efficacité ou de compétence

Selon le psychologue américain AlbertBandura, la motivation est essentiellementcontrôlée par le sentiment d’efficacité per-sonnelle, qui serait en quelque sorte unenuance du besoin d’estime. Ce dernier cor-respond à la vision globale que l’on a desoi, alors que le sentiment d’efficacité estplus spécifique de certaines compétencesdans un domaine particulier. Par exemple,un élève peut avoir une bonne estime delui-même, car il est choyé par ses parentset qu’il a de nombreux copains ; mais cetenfant peut se sentir faible, voire nul, enespagnol ou en musique. Son sentimentd’efficacité personnelle est alors faible ounul dans ces matières.

La théorie de Bandura s’exprime enquelques principes. Parce qu’il est capa-ble de se représenter mentalement ses actes,l’individu peut anticiper des satisfactionsou des déceptions issues respectivement deses réussites ou de ses échecs. Le « ressort »O

rang

e Lin

e M

edia

/ S

hutte

rstoc

k.com

• Récompenser et sanctionner un élève à l’école est une techniquede motivation, dite extrinsèque ; seules les récompenses donnentde bons résultats à court et à long termes.

• Mais les motivations qui peuvent animer un élève sont diverses :la motivation intrinsèque ou plaisir d’apprendre, la motivationextrinsèque contrôlée par différents renforcements, jusqu’àl’absence de motivation (c’est la démotivation).

• Les mécanismes en cause dans les différentes motivationssont surtout le sentiment d’efficacité et le sentiment d’autonomie.

En Bref

1. De nombreuses théories tententd’expliquer pourquoi un élève est motivé

à l’école... Elles montrent qu’il existeplusieurs types de motivation.

2-Ess11_pxxxxxx_motivation_Lieury_fenouillet_bsl.qxp 3/07/12 17:03 Page 9

Page 12: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

10 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho

de la motivation consiste à se fixer un objec-tif supérieur à un standard personnel, desorte que l’individu augmente son efficacité.L’engagement dans l’action s’explique alorspar le renforcement du sentiment d’efficacité.La connaissance des résultats est nécessairepour déterminer mentalement si l’on a pro-gressé entre son résultat et son niveau initial.Si la progression est assez importante, elleprocure un sentiment d’efficacité.

Cette théorie s’applique à de nombreuxdomaines et explique les diverses « passions »et hobbies qu’on ne peut pas justifier parautant de besoins. Une personne commenceune activité par hasard – parce que c’est lamode, ses parents la lui ont imposée ou elleveut imiter un ami. Si elle se sent mentale-ment satisfaite (c’est le sentiment d’effica-cité), elle va se fixer des défis de plus en plusimportants : par exemple, l’enfant réalise desconstructions de plus en plus compliquées ;l’alpiniste tente d’atteindre des sommets tou-jours plus élevés ; le collectionneur de tim-bres, d’insectes, de voitures, recherche tou-jours la « pièce » unique.

Alors n’agissons-nous que pour obtenir desrécompenses, dépasser nos limites, battre desrecords, et éviter des sanctions ? Non, desétudes plus récentes ont identifié une autregamme de motivations. Cette forme de moti-

vation a été découverte chez le singe par le psy-chologue américain Harry Harlow (1905-1981). Alors que l’on supposait que les singesne travaillaient que pour obtenir une récom-pense alimentaire (des bananes par exemple),Harlow a observé avec étonnement qu’ils pou-vaient faire des jeux (des puzzles), pendantune longue période, sans aucune récompense,simplement pour le plaisir de l’activité. Il adonc supposé que certains besoins, telles lacuriosité et la nécessité de manipuler un objet,correspondent à d’autres motivations, sansrenforcement. Il les a nommées les motiva-tions « intrinsèques », car elles viennent desoi. Il est alors nécessaire de réinterpréter laloi du renforcement comme une autre moti-vation : la motivation « extrinsèque », com-mandée par des renforcements extérieurs.

Récompensé par le plaisir

E. Deci a confirmé l’existence de la motiva-tion intrinsèque chez l’homme ; dans une pre-mière étape, il a proposé à des étudiants dejouer à des puzzles en trois dimensions. La moi-tié d’entre eux étaient payés à chaque puzzleréussi, l’autre n’obtenait rien. Dans une secondeétape de libre choix où l’on proposait aux étu-diants d’autres jeux, des magazines ou lesmêmes puzzles, seuls les étudiants non payéscontinuaient de jouer (voir la figure 3). Ainsi,quand on renforce une activité (par exemple,par une récompense monétaire), la motiva-tion intrinsèque – ici le plaisir de jouer – setransforme en une motivation extrinsèque…L’étudiant ne joue plus pour le plaisir, maispour obtenir une récompense. Certes, la moti-vation extrinsèque est efficace, mais elle s’ar-rête dès que les renforcements disparaissent.Alors qu’en motivation intrinsèque, l’individuagit pour le plaisir que lui procure l’activité etprolonge le jeu. La motivation intrinsèque estla motivation de la persévérance.

Ensuite, E. Deci et R. Ryan, ainsi que d’au-tres chercheurs, ont montré que toutes sortesde renforcements ou de contraintes engen-drent une diminution de la motivation intrin-sèque ; c’est par exemple le cas quand l’élèvese sent surveillé, quand on impose un temps

Cerv

eau

& Ps

ycho 2. L’estime de soi est une valeur sur laquelle

repose la motivation. Les réseaux sociauxrenforcent l’estime de soi « sociale » : chacunse sent devenir une personnalité importante.

2-Ess11_pxxxxxx_motivation_Lieury_fenouillet_bsl.qxp 3/07/12 17:03 Page 10

Page 13: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

© L’Essentiel n° 11 août -octobre 2012 11

limite de jeu ou d’examen, ou quand un pro-fesseur contrôle en permanence le travail etl’attitude de ses élèves.

Que se passe-t-il si la motivation diminue ?L’enfant est-il démotivé ? Il est fréquent d’en-tendre un parent dire que son enfant n’ap-prend plus, car il est découragé et résigné. Àquoi cela correspond-il ? La démotivation etle découragement peuvent avoir des consé-quences dramatiques, en ce qui concerne la

réussite scolaire notamment. Les premièresexpériences mettant en évidence ces facet-tes de la motivation sont issues des recher-ches chez l’animal. En 1975, le psychologueaméricain Martin Seligman travailla avecdeux groupes de chiens. Dans la premièrephase de l’expérience, les chiens du premiergroupe pouvaient éviter un faible choc élec-trique en appuyant sur un bouton, tandisque ceux du second groupe étaient soumisaux mêmes chocs sans pouvoir les éviter. Dansla seconde phase de l’expérience, les deux grou-pes devaient sauter une barrière pour éviterun choc électrique de forte puissance.

Le découragement

Les chiens n’ayant pas pu éviter les chocsdans la première phase ne réagissaient pas dansla seconde ; ils étaient devenus passifs, résignés.Selon M. Seligman, cette passivité a été apprisedurant la première phase où les chiens étaientimpuissants. Il a nommé cet état la « résigna-tion apprise ». Ce phénomène est fondamen-tal, car il suggère que, dans de nombreusessituations, le découragement ou la démotiva-tion ne sont pas forcément dus à des facteursde personnalité (anxiété, manque de dyna-

misme, etc.), mais à des situations antérieuresoù l’individu aurait intégré qu’il n’avait pasprise sur le cours des événements.

Car ce n’est pas le choc électrique (faible dansla première phase de l’expérience) qui crée cetterésignation, mais bien le fait de ne pas pouvoiragir. Les scientifiques ont montré que diver-ses situations engendrent le même état chezl’homme. Les premiers ont été Caroll Dweck,professeur de psychologie sociale, et ses collè-

gues à l’Université Stanford aux États-Unis. Ilsont proposé à des élèves de résoudre des pro-blèmes de réflexion. Quand les expérimenta-teurs rendaient les parties infaisables (parexemple en créant des erreurs), certains élè-ves se résignaient et pensaient qu’ils n’étaientpas assez intelligents pour réussir. D’autressituations, à l’école notamment, peuvent créerde la résignation. En 1989, Stéphane Ehrlich etAgnès Florin, à l’Université de Nantes, ont

montré que la surcharge de travail en dictée ouen mathématiques (trop de notions à assimi-ler) décourage les élèves. Et en 1996, nous avonsconstaté que c’est aussi le cas dans l’apprentis-sage des cartes de géographie.

Ainsi, il existe trois types de motivations :extrinsèque et intrinsèque qui sont positives, etla résignation (ou démotivation) qui est néga-tive. Pour en tenir compte, E. Deci et R. Ryanont proposé la théorie de l’autodétermination

Le plaisir d’apprendre estla motivation de la persévérance.

3. Le plaisir de jouer et l’envied’obtenir une récompense sont deux

types de motivation, la seconde pouvantsupplanter la première. On propose

à des étudiants de jouer à des puzzlesen trois dimensions, la moitié d’entre eux

recevant de l’argent s’ils réussissentle puzzle. Au début, chaque groupe joue

avec plaisir, mais quand on leur laissele choix, seuls les élèves du premier

groupe continuent de jouer (a).Ceux qui ont obtenu leur récompense

perdent l’envie de continuer à jouer (b).

a b

Jean

-Mich

el Th

iriet

2-Ess11_pxxxxxx_motivation_Lieury_fenouillet_bsl.qxp 3/07/12 17:03 Page 11

Page 14: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

(en anglais Self-determination Theory), selonlaquelle ces trois types de motivations corres-pondent à divers degrés du sentiment d’au-tonomie. Quand un individu choisit lui-même son activité, pour le plaisir de lapratiquer, il a un fort sentiment d’autono-mie : c’est la motivation intrinsèque. Quandson environnement contrôle plus ou moinsses loisirs, la motivation extrinsèque est àl’œuvre. Enfin, quand cette activité n’a plusde sens pour lui, il est démotivé.

E. Deci et R. Ryan ont précisé leur théo-rie en distinguant quatre formes de motiva-tion extrinsèque. L’activité d’un individu peutêtre régulée par des renforcements extérieurs(c’est la régulation externe) ; par exemple,l’élève va à l’école parce qu’il y est contraintpar la loi. Ou bien l’élève se plie aux règlessociales : « Je le fais sinon j’aurais honte demoi ; je travaille à l’école pour que mes parentssoient fiers de moi. » C’est la régulation intro-

jectée. Dans la troisième forme, nomméerégulation identifiée, l’individu considère l’ac-tivité comme étant importante pour lui :« J’essaie d’avoir de bonnes notes, car c’estimportant pour le métier que je voudrais faireplus tard. » Pour la dernière forme de moti-vation extrinsèque, ou régulation intégrée,l’individu réalise une activité peu intéressante,mais qui est en accord avec ses valeurs. C’estle cas par exemple du tri sélectif que les éco-logistes s’astreignent à respecter, alors que celane présente guère d’intérêt pour eux-mêmes.

Robert Vallerand, de l’Université du Québecà Montréal, a proposé une théorie de la moti-vation qui s’insère dans cette perspective,mais apporte quelques nuances ; son modèlehiérarchique de la motivation (en anglaisHierarchical Model of Intrinsic and ExtrinsicMotivation) s’applique notamment au sport,et précise pourquoi certains athlètes persévè-rent ou abandonnent. R. Vallerand supposeque trois formes de motivation intrinsèqueexistent : une motivation orientée vers laconnaissance (c’est la découverte), une autreorientée vers l’accomplissement (c’est la satis-faction d’atteindre des objectifs personnels)et une orientée vers la recherche de sensations(c’est l’excitation).

Motivé et persévérant

R.Vallerand et ses collègues ont notammentmontré que la persévérance dans une activitédépend de la motivation intrinsèque. En 2001,ils ont évalué, avec des questionnaires, la moti-vation de plus de 600 joueuses de handball.Ainsi, la perception d’autonomie est plus fai-ble chez les sportives qui souhaitent aban-donner que chez les joueuses qui continuent.D’après la théorie de l’autodétermination, lesmotivations intrinsèques,notamment la décou-verte et la satisfaction d’atteindre des objectifs,sont plus fortes chez les joueuses persévéran-tes que chez celles qui veulent abandonner.

Plusieurs études en milieu scolaire (au lycéeet à l’université) ont confirmé ce résultat. Parexemple, on a demandé à 1 000 élèves anglo-phones inscrits dans un cours optionnel defrançais de répondre à un questionnaire demotivation ; ceux qui se sentaient les moinsmotivés intrinsèquement dès la premièresemaine de cours abandonnaient avant la findu premier semestre, c’est-à-dire plus tôt queles élèves motivés. La motivation intrinsèquefavorise la persévérance à l’école.

12 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho

4. Dans le modèle proposé par les auteurs,les motivations résultent d’un besoin de compétence et d’un besoind’autonomie.Quand un individu est compétent dans un domainequ’il a librement choisi, il « prend du plaisir» et est mû par une motivationintrinsèque. Mais s’il se sent moins compétent ou que la contrainteaugmente, il passe en motivation extrinsèque. Dès que l’individuse sent contraint ou incompétent, il est démotivé.

Besoin d’estimeou compétence

perçue

Besoin d’autonomie

RÉSIGNATION

MOTIVATIONINTRINSÈQUE

MOTIVATIONEXTRINSÈQUE

« J’adore apprendredes choses intéressantes »

« J’aime écrireet dessiner »

« À quoi ça sert d’allerà l’école ? »

« De toute façon,je n’y arriverai pas ! »

« Je veux devenirmédecin »

« Papa est fierde moi »

2-Ess11_pxxxxxx_motivation_Lieury_fenouillet_bsl.qxp 3/07/12 17:03 Page 12

Page 15: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

Toutefois, nous avons vu que la motivationdépend d’un autre besoin : l’estime de soi, ouselon A. Bandura, le sentiment d’efficacité per-sonnelle. L’être humain doit se sentir compé-tent, beau, fort, etc. C’est sans doute l’expres-sion de ce besoin qui pousse les enfants à rêverqu’ils sont des superhéros ou des princesses,et les adultes qu’ils passent à la télévision. Lesréseaux sociaux, tel Facebook, correspondenten grande partie à ce besoin d’estime de soi :on « passe à la télévision » sans avoir décou-vert un vaccin, un nouveau carburant non pol-luant ou sorti un disque (voir la figure 2).

L’ensemble de ces travaux nous ont conduitsà proposer une variante de la théorie de E. Deciet R. Ryan (et R. Vallerand) : nous considé-rons les différentes motivations comme le résul-tat de deux besoins fondamentaux, le besoinde compétence et le besoin d’autonomie.E. Deci, R. Ryan et R. Vallerand montrent bienque la compétence perçue intervient dans leurmodèle, mais de façon indirecte, en valorisantl’autonomie ; en d’autres termes, ce qui importepour l’individu, c’est qu’il ait pris l’initiative del’activité. À l’inverse, A. Bandura ne tientcompte que du sentiment d’efficacité person-nelle et pense que l’autonomie n’intervient pas.

« Je suis le meilleur ! »

Dans notre modèle, les deux besoins sontfondamentaux et interagissent. Par exemple,nous venons d’étudier auprès de 31 120 élèvesde classe de 6e comment le sentiment d’effica-cité personnelle et les trois types de motiva-tions sont liés. Si l’on identifie la compétenceperçue au sentiment d’efficacité personnellede A. Bandura, on trouve qu’elle augmenteavec la motivation intrinsèque, qu’elle estindépendante de la motivation extrinsèqueet qu’elle diminue quand la démotivationaugmente. D’autres recherches sur le senti-ment d’autonomie, notamment une étude deLuc Pelletier et de l’équipe de R. Vallerand àMontréal réalisée auprès de 369 nageurs decompétition, obtiennent les mêmes relationsentre le sentiment d’autonomie et les motiva-

tions. La compétence perçue et l’autonomiedéclenchent, ensemble, les motivations.

En conséquence, selon notre modèle (voirla figure 4), la motivation intrinsèque corres-pond au cas où l’individu se sent compétentet a l’impression d’avoir librement choisi sonactivité. On constate que les activités des pas-sionnés sont presque toujours des choix per-sonnels, de la collection de timbres aux jeuxvidéo, des mots croisés aux sports... Notonsque la compétence (qui est forte en motiva-tion intrinsèque) est souvent subjective et necorrespond pas forcément à la réalité ; c’est lecas de la petite fille qui coud maladroitementdes robes pour sa poupée, mais qui s’imagineêtre une grande couturière ; ou du gâteau àmoitié brûlé que des enfants ont préparé pourleurs parents, qui est bien meilleur que celuidu pâtissier. L’essentiel, c’est de penser qu’onest le meilleur : voilà un des deux moteurs duplaisir à pratiquer une activité ou à appren-dre (l’autre étant, rappelons-le, le fait de choi-sir librement son activité).

Mais dès que la sensation de compétencebaisse ou que la contrainte augmente, ou lesdeux à la fois, l’individu ne fait plus l’activitépour le plaisir qu’elle procure, mais pour lesavantages qui y sont associés : c’est la motiva-tion extrinsèque (sous ses différentes formes).

Enfin, la baisse de la compétence perçuedans un climat de contrainte ou d’obligationpeut démotiver, décourager ou entraîner larésignation. Ainsi, dès qu’un professeur faitsentir à un élève qu’il est mauvais, ou que sesparents l’obligent à faire une activité où il sesent incompétent, celui-ci peut glisser vers ladémotivation : il se décourage.

Pour développer l’envie d’apprendre, ilfaut valoriser à la fois le sentiment de com-pétence et le besoin d’autonomie. Un ensei-gnant peut par exemple adapter la difficultéà des groupes d’élèves et développer des acti-vités « libres ». Ces dernières existent déjà : cesont par exemple les classes nature et décou-verte, les exposés, les exercices en groupes oules travaux personnels encadrés (les TPE) quel’on pratique au collège et au lycée. �

© L’Essentiel n° 11 août -octobre 2012 13

L’essentiel, c’est de penser qu’on est le meilleur :voilà un des moteurs du plaisir à pratiquerune activité ou à apprendre.

Bibliographie

S. Blanchard et al.,Motivation et sentimentd’efficacité personnelle

chez les élèves de 6e

de Collège, in Bulletinde Psychologie,

à paraître, 2012.F. Fenouillet,

Les théoriesde la motivation,

Dunod, août 2012.A. Lieury et al.,Psychologie pourl’enseignant, coll.

« manuels visuels »,Dunod, 2010.

L. Pelletier et al.,Associations amongperceived autonomy

support, formsof self-regulationsand persistence :

A prospective study,in Motivation andEmotion, vol. 25,

pp. 279-306, 2001.R. Ryan et E. Deci,Intrinsic and extrinsicmotivations : classicdefinitions and new

directions,in Contemporary

EducationalPsychology, vol. 25,

pp. 54-67, 2000.

2-Ess11_pxxxxxx_motivation_Lieury_fenouillet_bsl.qxp 3/07/12 17:03 Page 13

Page 16: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

14 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho

«La captation de l’attention estaujourd’hui un énorme mar-ché mondial. Il est massif ausens où il touche toutes lesgénérations, toutes les couches

sociales. […] Le niveau de captation audio-visuelle atteint ainsi plus de six heures parjour aux États-Unis. […] Jamais l’humanitén’a connu un tel phénomène d’hallucinationcollective, hyperréaliste, hypersynchronisée.En 1939, il y a moins de 70 ans, 55 pour centdes Français n’avaient ni radio, ni téléphone, nitélévision bien sûr : le seul moyen de synchro-nisation de leur attention à un niveau au-delàde leur famille, c’était le garde champêtre ou lecuré. Et cela n’arrivait qu’une fois par semaine,et pendant une heure ou deux. Il y avait aussiévidemment l’instituteur qui captait alors l’at-tention des enfants six heures par jour. »

Ainsi s’exprime le philosophe BernardStiegler dans l’ouvrage collectif Enfants tur-bulents : l’enfer est-il pavé de bonnes préven-tions ? Il nous invite à réfléchir sur l’attentiondont sont capables les enfants aujourd’hui, àl’école. Les enseignants ne le démentiront pas.Obtenir l’attention des enfants pendant les

cours est plus difficile que par le passé. Deuxenquêtes diligentées par la Direction de l’éva-luation et de la prospective du ministère del’Éducation nationale en 1994 et 1995 faisaientdéjà ressortir (et c’était avant les téléphonesportables, Facebook et les jeux vidéo omnipré-sents) que la majorité des enseignants trou-vait difficile le manque d’attention des élèves.De surcroît, un peu moins de la moitié desenseignants soutenait qu’une séquence d’ap-prentissage était réussie quand ils parvenaientà maintenir l’attention des élèves.

S’adapter aux nouvellescontingences

Pour autant, il ne faudrait pas en tirer desconclusions trop hâtives qui consisteraient àinterpréter l’agitation comportementale de unou plusieurs élèves comme le signe indubita-ble d’un défaut irrémédiable d’attention et, aucontraire, la docilité comportementale et labienveillance offertes par d’autres comme lapreuve de leur niveau élevé d’attention. Ce quiest indéniable, c’est que l’attention des élèvesest moins facile à capter et à maintenir qu’elle

Pour une meilleureattention à l’école

Motiver les élèves à l’école

Comment améliorer l’attention des élèves,aujourd’hui fragmentée par un excès de stimulations ?

Journées plus courtes, semaines plus longueset congés moins étendus sont à l’étude, ainsique de nouvelles méthodes pédagogiques.

ChristopheBoujon

est maîtrede conférenceset chercheur dansle Laboratoirede psychologiedes Pays de la Loire(UPRES EA 4638),à l’Université Nantes-Angers-Le Mans oùSandrine Poupet

est étudianteen Masterde psychologie.

3-Ess11_pxxxxx_attention_boujon_bsl.qxp 4/07/12 12:01 Page 14

Page 17: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

© L’Essentiel n° 11 août -octobre 2012 15

l’a été en d’autres temps. Elle ne peut plus seconcevoir comme une injonction naturelle del’enseignant : « Maintenant, fais attention », etil faut prendre en compte d’autres contingen-ces. Que faire face à cette évolution, largementimputable aux nouveaux rythmes de vie et dela famille ? Quels bénéfices pourrait-on tirer del’application des données biologiques et psy-chologiques liées aux rythmes scolaires ? Desdonnées scientifiques existent. Nous en donne-rons ici les grandes lignes en espérant qu’ellespuissent être un jour reconnues et partagées parl’ensemble de la communauté éducative : ensei-gnants, animateurs socioculturels et... parents.

Des journées chargées

Aujourd’hui, à l’école primaire, les enseigne-ments sont répartis sur quatre journées de huitheures, comportant cinq heures et demie d’en-seignements fondamentaux. Cette situationest-elle adaptée aux capacités attentionnellesde l’enfant ? L’attention chez les plus jeunesn’est pas uniforme au cours de la journée. Demultiples études ont établi qu’elle est maximaleen fin de matinée, puis baisse notablement en

début d’après-midi, avant de remonter en find’après-midi (voir l’encadré page 16). La capa-cité de détection visuelle, notamment, suit cetteévolution. Pour la plupart des apprentissagesliés à l’écrit ou à la lecture, mieux vaut unebonne matinée de cours, suivie d’une partie del’après-midi consacrée à d’autres activités péri-éducatives (artistiques, culturelles et sportives).Ces dernières permettent aussi aux enfants,mais sous une autre forme, de développer leursfonctions exécutives et l’estime de soi.

Claire Leconte, professeur en psychologiede l’éducation à l’Université de Lille 3, suitdepuis 1996 un groupe scolaire lillois qui a eu

• Selon des données scientifiques récentes, l’attention des enfantsaugmente au cours de la journée ; elle est optimale en fin de matinée.

• Il serait préférable de concentrer les apprentissages le matin,et de prévoir des journées moins longues, mais plus nombreuses.

• Une meilleure attention peut être obtenue en apprenantaux élèves à gérer leurs « fonctions exécutives », tellesque planification, gestion de la mémoire de travail, alternanceentre diverses tâches et résistance aux distractions.

En Bref

1. Le rêve de toutenseignant :

captiver son auditoire.Outre le talent

personnel, les loisphysiologiques

et psychologiques qui régissent

les fluctuationsde l’attention au fil

de la journée doiventêtre prises en compte.

Dmitr

y Sh

irono

sov /

Shu

tterst

ock.c

om

3-Ess11_pxxxxx_attention_boujon_bsl.qxp 4/07/12 12:01 Page 15

Page 18: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

16 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho

pendant 12 années une semaine d’école desix jours avec trois après-midi libres. Elle abou-tit à la conclusion qu’idéalement, les coursdevraient être plutôt répartis entre 8 heures 30et 12 heures 30, avec un accueil en classe durantenviron 30 minutes. Évidemment, cela pose desdifficultés de réorganisation de la vie scolaireet périscolaire, mais la réalité physiologique estun fait dont on ne peut faire abstraction.

Aujourd’hui, les journées d’école sontsurchargées au regard des capacités atten-tionnelles naturelles des enfants, a fortioridans un contexte où leur attention est déjàcaptée de multiples façons par l’environne-ment. La semaine de quatre jours, en vigueurdepuis 2008, a certainement contribué à cetétat de fait. L’abolition de l’école le samedimatin, associée à l’absence de cours le mer-credi, crée une situation où toutes les heuressont concentrées sur ces quatre journées. Lesécoliers français ont ainsi les journées d’écoleles plus longues du monde avec un nombretotal de jours de scolarité le plus court sur uneannée : chaque journée à l’école élémentairecompte cinq heures et demie de travail péda-gogique – sans compter les 30 minutes de

récréations quotidiennes –, soit sur une annéeentière 864 heures de cours pour seulement144 jours d’école. Cette situation a une consé-quence évidente : les limites de l’attention desenfants sont dépassées. Ainsi, François Testu,professeur de psychologie à l’Université deTours, a souligné que les études internatio-nales d’évaluation des niveaux à l’écrit, enlecture et en compétences mathématiquesavaient généralement reculé dans les pays(rares) qui avaient adopté la semaine de qua-tre jours au moment de l’entrée en vigueurde cette mesure (voir l’encadré page 20).

Des week-ends trop longs ?

Par ailleurs, un certain nombre d’études ontétabli que les performances mnésiques sontmeilleures après un week-end d’une journéeet demie comparées à un week-end de deuxjours comme avec la semaine actuelle de qua-tre jours. En effet, les rythmes de l’enfant sontimposés par des stimulations que l’on nommesynchroniseurs, tels que l’heure du coucher etcelle du réveil, les devoirs, l’heure à laquellecommence l’école le matin, etc. Deux joursd’interruption dus au week-end perturbentles rythmes de la semaine, avec généralementun coucher et un lever plus tardifs, et des acti-vités qui ne mobilisent pas l’attention aumême moment de la journée. Il faut alors se« recaler » en début de semaine. Plus l’envi-ronnement des enfants met en place despériodes longues avec des couchers et deslevers tardifs, plus il est difficile de revenirau fonctionnement habituel de la semaine.

Dès lors, si l’on se fiait à ces études d’im-pact des week-ends longs, il serait plus judi-cieux de réintroduire la matinée du samedi.En juillet 2011, un rapport du Comité depilotage sur les rythmes scolaires a été publié.Il proposait de porter la durée des horairesscolaires de 8 heures 30 à 15 heures 30, au lieude 16 heures 30. C’est probablement un pasdans la bonne direction.

Reste la question des vacances d’été, dont lalongueur pose un certain nombre de difficul-tés. En effet, en imaginant une semaine de cinqjours, chaque jour comptant une heure d’ap-prentissages en moins, la durée des apprentis-sages resterait à peu près équivalente, aux envi-rons de 864 heures par an. La question qui sepose aujourd’hui est : ce nombre est-il suffi-sant ? En 1910, le nombre d’heures par an étaitde 1310. Ce nombre n’a fait que décroître sur

L’attention du matin au soir

D e 1960 à 2011, la plupart des études sur l’attention des enfantsont utilisé des variantes de l’épreuve des lettres barrées, dite

épreuve de barrage, proposée pour la première fois à la fin duXIXe siècle par les psychologues Alfred Binet et Benjamin Bourdon,et qui visait à évaluer l’attention des enfants.Depuis lors, ces épreu-ves de barrage consistent à retrouver un élément cible (une let-tre particulière) plusieurs fois présent au sein d’une série d’autreséléments qu’il faut ignorer (d’autres lettres). En 1967, une expé-rience a été mise au point, qui consistait à demander à des sujets,à plusieurs moments de la journée,de réaliser une épreuve de bar-rage. Elle a ainsi montré que les performances attentionnellesvarient au cours de la journée : elles augmentent de façon conti-nue du matin jusqu’en fin d’après-midi, pour décroître ensuitedurant la soirée, avec cependant une forte baisse aux alentours de13 heures.Cette courbe est proche de celle de l’évolution,au coursde la journée,de la température corporelle – un indicateur impor-tant du métabolisme.En conséquence,cette forme d’attention per-ceptive fluctue selon des rythmes biologiques.

8h00 11h00 13h00 19h0018h00

3-Ess11_pxxxxx_attention_boujon_bsl.qxp 4/07/12 12:01 Page 16

Page 19: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

© L’Essentiel n° 11 août -octobre 2012 17

un siècle, avec deux décrochements notablesau moment de l’adoption des congés payés,puis en 1968 (voir la figure 2). La conséquencedirecte en est que les élèves doivent apprendreaujourd’hui la même chose avec 450 heures declasse en moins.

Sachant que leur attention est en outreaccaparée par des sollicitations qui n’exis-taient pas auparavant, il serait peut-être judi-cieux de leur redonner un peu plus de temps,réparti de façon adaptée, pour qu’ils puissentacquérir ces compétences et ces connaissan-ces. Cela supposerait, notamment, d’écour-ter l’immense pause d’été, par ailleurs préju-diciable aux rythmes de l’enfant qui prendsouvent d’autres habitudes de coucher, les-quelles modifient la courbe de son attentionau fil de la journée. Là encore, le rapport duComité de pilotage sur les rythmes scolairessemble avoir pris la dimension du problème.

Les connaissances acquises sur les fluctua-tions de l’attention peuvent aussi aider àmieux agencer les différents apprentissages aufil de la journée. Les psychologues américainsSimon Folkard et Timothy Monk ont étudiéces fluctuations en faisant réaliser plusieursfois par jour trois variantes de l’épreuve deslettres barrées. La version modifiée fait inter-venir, non plus la seule capacité attentionnelle,mais la mémoire de travail. Les enfants ontpour consigne de mémoriser deux, quatre ousix lettres cibles qu’ils doivent barrer dans untexte qu’on leur donne à lire.

L’attention endogène

Qu’observe-t-on dans pareil cas ? Les per-formances des enfants ayant réalisé les troisépreuves ne sont pas identiques (voir lafigure 3). Pour la tâche à deux lettres, propreaux tâches d’attention visuelle maintenue, onobserve une progression de l’attention au filde la journée, de 8 heures 30 à 17 heures envi-ron. Mais pour la tâche à quatre lettres, quifait aussi intervenir la mémoire de travail, onobserve le contraire, c’est-à-dire une diminu-tion jusqu’à 17 heures, puis un regain entre17 heures et 19 heures 30, suivi d’une dernièrephase de diminution. Pour la tâche à six let-tres, on constate aussi une décroissance jusqu’à17 heures et une augmentation au-delà.

Comment interpréter ces différences selonles tâches ? Certaines font intervenir uneforme d’attention perceptive (reconnaissance

visuelle de certains motifs ou de lettres), etd’autres l’attention et la mémoire de travail.La première forme d’attention est exogène(attention automatiquement attirée par lescaractéristiques physiques de l’environne-ment), la seconde endogène (attention contrô-lée volontairement et avec plus d’effort parl’individu à partir de ses représentations men-tales de l’environnement). On peut comparerl’attention exogène à la réaction à la nouveautéet l’attention endogène à la concentration.Cette expérience montre que l’attention endo-gène est plus « fraîche » le matin, et l’atten-tion perceptive exogène, plutôt en fin de mati-née et en milieu d’après-midi.

Il semble que la mémoire de travail dépendemoins que l’attention perceptive (visuelle,notamment) des fluctuations du métabo-lisme. Lorsqu’elle est peu sollicitée, ce sont lesvariations d’attention perceptive qui détermi-nent les variations de performance au fil de lajournée, produisant une augmentation jusqu’à17 heures. En revanche, quand elle est mise àl’épreuve avec une tâche à quatre lettres, c’estelle qui joue le rôle de facteur limitant. Elles’épuise dans un premier temps, avant de pas-ser le relais à la mémoire à long terme : lesquatre lettres passent de la mémoire de tra-vail à une mémoire plus profonde à partir de17 heures, et les performances s’améliorent.

2. Le nombre d’heures de cours à l’école n’a fait que diminuerdepuis 100 ans. L’augmentation de la part des congés a été

déterminante, ainsi que, plus récemment, l’adoption de la semainede quatre jours en 2008. Malgré cette diminution, le nombre de jours

d’école est si faible (144 sur l’année) que les journées d’écoledes Français sont les plus longues du monde. Une situation

peu compatible avec le rythme de l’attention.

1400

1300

1200

1100

1000

900

800

Heu

res

de

cou

rs a

nn

uel

les

1910 1930 1950 1970 1990 2010

3-Ess11_pxxxxx_attention_boujon_bsl.qxp 4/07/12 12:01 Page 17

Page 20: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

Pour une tâche à six lettres, le phénomène estamplifié, et l’avantage d’une mémorisation àlong terme se fait sentir même en soirée.

Qu’en tirer pour la pratique pédagogique ?Le niveau de maîtrise des apprentissages déter-mine l’équilibre entre ces deux formes d’at-tention. Les règles acquises la veille, telles lesopérations arithmétiques, gagneraient à êtrepratiquées plus tôt dans la matinée. La décou-verte de stratégies nécessaires aux nouveauxapprentissages, comme les accords syntaxiquesou les déclinaisons grammaticales, pourraitêtre appliquée en début d’après-midi. En effet,les règles mémorisées de la veille ou la miseen œuvre des stratégies d’apprentissage requiè-rent plus d’attention endogène. En revanche,les travaux de calligraphie, d’appariementsvisuel, spatial ou phonologique à partir de for-mes nouvelles, profitant plus aisément à l’at-tention exogène et sollicitant moins la mémoirede travail, seraient réalisés en fin de matinée.

Écriture le matin,grammaire l’après-midi ?

Il ne serait guère raisonnable de vouloirgraver de telles propositions dans le marbre,et de les imposer au corps enseignant. Dansl’idéal, les instituteurs peuvent réfléchir à cequi, selon eux, relève plutôt de l’attentionendogène à pratiquer en début de matinée ouen début d’après-midi, et de l’attention exo-gène à réserver plutôt en fin de matinée.

Le chronopsychologue F. Testu a constaté,dans ses expériences sur les fluctuations des

performances quotidiennes, que lorsque desélèves maîtrisent un exercice, leur réussite variepeu en fonction de la journée, alors que pourun nouvel exercice, la performance est sujetteaux variations du cycle circadien. Une épreuvemaîtrisée fait appel à des compétences et desroutines automatisées : elle nécessite par consé-quent moins d’attention endogène qu’un nou-vel apprentissage. Dès lors, les activités en classepourraient être également alternées selon leurcaractère attractif, le niveau de contrôle atten-tionnel qu’elles demandent et le degré de maî-trise atteint. Par exemple, les tâches mieux maî-trisées ou apprises la veille, requérant moinsde contrôle attentionnel, gagneraient à êtreréalisées en début de journée.

Si l’application de ce principe d’ajustementdes activités scolaires par matière peut êtrefacilement réalisable en école primaire, ellenécessite au collège et au lycée de prévoir desemplois du temps où les mêmes matières nesont pas toujours enseignées dans la semaineaux mêmes heures de la journée. Les évalua-tions des connaissances ou compétences acqui-ses dans chaque matière devraient être logi-quement placées le matin.

Cela signifie aussi que les apprentissagespeuvent être déplacés dans la journée au coursde l’année. Une tâche nouvelle serait abordéeen fin de matinée pendant quelques semaines,puis à mesure que son assimilation progresse,elle pourrait être déplacée en début de mati-née pour laisser le créneau optimal (vers11 heures) libre pour des situations nouvellesrequérant une attention perceptive optimale.

18 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho

2 lettres

6 lettres

4 lettres

8h30 11h30 17h00 18h30

3. L’attention fluctue au cours de la journée, avecun profil différent selon les tests pratiqués. Lorsque le testdemande peu de mémoire de travail (faire attention à deuxlettres énoncées initialement, et les barrer dans un texte),les fluctuations correspondent à celles de l’attention perceptive,avec un minimum le matin et un maximum en fin d’après-midià 17 heures. Lorsque le test fait davantage appel à la mémoirede travail (quatre lettres à mémoriser et à repérer), cette formed’attention exogène ne détermine plus autant les résultats.Ce sont les fluctuations de la mémoire de travail (attentionendogène) qui ont un rôle sur les variations des performancesau test : les résultats sont meilleurs le matin et diminuent jusqu’à17 heures, pour ensuite augmenter de nouveau et décroîtrefinalement au-delà de 19 heures 30. Enfin, lorsque la chargeen mémoire de travail est maximale (six lettres), on observeune diminution des résultats jusqu’à 17 heures,puis une augmentation jusqu’au coucher.

3-Ess11_pxxxxx_attention_boujon_bsl.qxp 4/07/12 12:01 Page 18

Page 21: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

En supposant que les enseignements soientrépartis de façon à s’adapter au mieux auxrythmes attentionnels de l’enfant, commentexploiter au mieux ce « temps d’attention » ?Les recherches fondamentales nous ont apprisque cette faculté mentale est difficile à maîtri-ser de l’extérieur, et qu’il ne suffit pas d’obte-nir qu’un individu regarde dans une directionpour qu’il perçoive réellement et mémorise lesinformations qui y sont délivrées. En d’autrestermes, il ne suffit pas de demander aux élèvesde regarder le tableau, d’écouter l’enseignant,de « faire attention », pour que l’attention soitréellement engagée.

Le maître, guide attentionnel

Chacun a constaté ce phénomène : nouspouvons avoir le regard posé sur une paged’un livre, sans faire réellement attention à ceque nous lisons. Nous pouvons arriver en basde la page sans avoir rien retenu. Cet effet sur-prenant est qualifié de cécité attentionnelle.Daniel Simons et l’équipe du Laboratoire decognition visuelle de l’État d’Illinois ont étu-dié ce phénomène, et montré que nous pou-vons être aveugles à des éléments pourtanttotalement incongrus, lorsque notre atten-tion ne s’y fixe pas.

Il a ainsi utilisé une expérience restée célè-bre, où un personnage déguisé en gorille tra-verse un terrain de basket sans être aperçu parles spectateurs. L’enregistrement des déplace-ments oculaires montre que le regard des spec-tateurs s’est posé plusieurs fois près de cet élé-ment saillant. Dès lors, l’absence de perceptionconsciente est interprétée comme résultantd’une sélection attentionnelle : l’attention sefocaliserait sur les déplacements du ballon etdes joueurs. D. Simons explique ce phénomènede la façon suivante : l’homme n’est pas capa-ble de percevoir ou de se rappeler des objetsou des détails très différents de ceux sur les-quels il porte volontairement son attention.

Ainsi, en classe, un enfant peut très bienavoir le regard posé sur le tableau, sans rienvoir de ce qui y est écrit. De même, il peutsembler plongé dans son cahier de mathéma-tiques et sur des lignes d’additions ou de sous-tractions, sans rien en retenir. L’enseignant vacertes essayer de solliciter son attention, defaire en sorte que son regard et son écoute seportent sur ce qu’il voit ou entend, mais il n’aaucun moyen de vérifier qu’il y réussit.

L’enfant est seul à pouvoir vérifier qu’il faitattention. Il faut l’amener à la découverte età l’utilisation de ses outils mentaux, qui luipermettent de savoir s’il fait attention ou non.Il prendra ainsi les commandes de son atten-tion, en supervisant lui-même les grandes éta-pes de résolution d’un nouveau problème.

Pour cela, il faut faire appel aux fonctionsexécutives de l’enfant, qui correspondent auxgrandes stratégies d’exécution d’une tâche. Laplanification, la surveillance des donnéesmaintenues temporairement en mémoire etdu moment où l’on peut les oublier, la gestionde l’alternance entre deux tâches, et l’inhibi-tion sont les quatre principales composantesdes fonctions exécutives dans le domaine ducontrôle attentionnel des activités.

Prenons l’exemple d’un jeune élève à quil’on demande combien font 13 + 9, le toutmultiplié par 4. Pour réaliser cette opération,l’élève doit d’abord mettre en œuvre sa capa-cité d’inhibition (réprimer l’envie de faireautre chose), activer une stratégie de planifi-cation (je vais m’asseoir, prendre mon stylo,et effectuer la tâche. Pour cela, d’abord, cal-culer 13 + 9, puis multiplier par quatre), et

© L’Essentiel n° 11 août -octobre 2012 19

4. Discuter pour maintenirl’attention. Pour s’assurer que l’attentiond’un enfant reste mobilisée lors d’un apprentissage,l’enseignant peut lui poser diverses questions.Il vérifie ainsi si l’enfant reste concentrésur la tâche demandée ou bien s’il commence à « décrocher ».

Dmitr

y Sh

irono

sov /

Shu

tterst

ock.c

om

3-Ess11_pxxxxx_attention_boujon_bsl.qxp 4/07/12 12:01 Page 19

Page 22: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

une stratégie de surveillance des données àmanipuler en mémoire (dans 13 + 9, com-mencer par ajouter les unités, obtenir « deuxet je retiens un », mémoriser le « un » jusqu’àl’addition des dizaines, pour obtenir deux,enfin oublier cette donnée pour passer à l’étapesuivante de l’exercice).

Les fonctions exécutives

Au fil de cette démarche mentale, l’ensei-gnant peut vérifier que l’élève a engagé sonattention, en lui demandant comment il vas’y prendre : l’élève répond qu’il exécuted’abord l’addition, puis la multiplication. Untel échange permet à l’enseignant de savoirque l’enfant met en œuvre la stratégie de pla-nification. En outre, cela fixera chez l’enfantl’habitude de procéder ainsi. De même l’en-seignant peut interroger l’élève sur les don-nées qu’il conserve en mémoire dans les dif-férentes étapes de l’addition (te souviens-tude la retenue ? Très bien, maintenant tu peuxl’oublier, car tu n’en as plus besoin, etc.). Ainsi,le contact permanent avec les fonctions exé-cutives de l’enfant et les stratégies qu’il appli-que est un moyen assez sûr de vérifier que sonattention n’a pas décroché.

Pour ce qui concerne la capacité d’alter-nance des tâches, il est possible de proposer àl’élève de réaliser deux activités (un exercicepeu attrayant et une activité plus ludique). Ilgère l’alternance dans l’accomplissement de

ces deux activités sur lesquelles il peut reve-nir plusieurs fois. Il lui est conseillé de diffé-rer le plus tard possible la plus attrayante, enla considérant comme une récompense. Endehors de l’école, certaines pratiques éduca-tives peuvent également développer les fonc-tions exécutives d’inhibition et de planifica-tion. Il existe ainsi un test dit du cadeaudifféré, qui consiste à offrir un cadeau à unenfant de deux à trois ans, et à lui demanderde l’ouvrir plus tard. Une telle situation faitappel aux fonctions d’inhibition et de planifi-cation, essentielles dans la gestion et la résolu-tion de nombreuses activités quotidiennes.À l’école, savoir parfaitement les mettre enapplication peut être très utile pour résoudreun exercice : savoir prendre le temps de com-prendre la consigne d’un exercice ou d’uneactivité avant de se lancer dans sa réalisation.

Toutefois, de telles recommandations doi-vent être prises en compte dans le respect descaractéristiques individuelles propres à cha-que élève. Celles-ci déterminent en grandepartie les fluctuations des performances. Ilfaut y inclure la quantité de sommeil néces-saire chaque jour (il existe des petits et desgros dormeurs), la meilleure heure de leveret de coucher (certains élèves sont plus per-formants le matin, d’autres le soir) et les stra-tégies employées pour identifier et isoler deséléments dans une scène visuelle complexe(certaines personnes ont tendance à voir plu-tôt l’arbre ou plutôt la forêt, elles sont dites« indépendantes à l’égard du champ », ou« dépendantes à l’égard du champ »).

Reste évidemment la question de la moti-vation, essentielle dans la mobilisation desfacultés attentionnelles. La meilleure motiva-tion, on le sait aujourd’hui, est la motivationintrinsèque, liée au plaisir d’apprendre. Maisavant d’en arriver là, les étapes nécessaires àl’acquisition des compétences peuvent êtreingrates. Nous pensons que l’enseignant, enentrant dans le jeu attentionnel de l’enfant (enlui posant des questions sur la façon dont ilmet en œuvre les différentes composantes deses fonctions exécutives, par exemple), suscitechez lui une valorisation et un intérêt. En luidemandant s’il a réussi à faire attention à telou tel aspect de l’apprentissage, ou ce qui a leplus retenu son attention durant le cours, onlui confère un statut qui le gratifie. L’attentionpeut alors être une porte d’entrée vers la moti-vation ; loin d’être un pensum, elle peut alorsdevenir un outil puissant. �

20 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho

La semaine de quatre jours sur la sellette

E n 1996, une étude de Nicole Dévolvé, professeur de psycho-logie à l’Université de Toulouse, et de sa collègue W. Davila, a

comparé quatre modes d’organisation hebdomadaire :quatre joursde six heures et demie (comme aujourd’hui), quatre jours de sixheures, neuf demi-journées dont le samedi matin, et neuf demi-journées dont le mercredi matin. Les résultats mesurés sur lesperformances mnésiques des élèves montrent que l’organisa-tion en quatre journées de six heures et demie semble la plus per-turbante pour les processus de mémorisation. Une autre étudea évalué l’influence de la durée du week-end (deux jours ou unjour et demi) sur les performances mnésiques d’élèves de l’écoleprimaire durant la journée du lundi. Les résultats montrent queles performances mnésiques, évaluées par les performances derappel d’informations mémorisées avant le week-end et la qua-lité de la mémorisation, sont meilleures après une interruptiond’un jour et demi qu’après une coupure de deux jours.

Bibliographie

C. Leconte,Des rythmes de vieaux rythmes scolaires :quelle histoire !, Presses universitaires du Septentrion, 2011.H. Montagner,Les temps, les rythmes et la sécurité affective de l’enfant : fondements obligés de l’aménagement du temps scolaire, in Les CahiersPédagogiques, 2008.Ch. Boujon,Attention et contrôle de l’activité,D. Gaonac’h (coord.) :Psychologie cognitiveet basesneurophysiologiquesdu fonctionnementcognitif, PUF, 2006.Ch. Boujon,Attentionet apprentissage(chapitre 8), A. Weil-Barais (coord.) :Les apprentissagesscolaires, Bréal, 2004.F. Testu et R. Fontaine,L’enfant et ses rythmes.Pourquoi il fautchanger l’école,Calmann-Lévy, 2001.

3-Ess11_pxxxxx_attention_boujon_bsl.qxp 4/07/12 12:01 Page 20

Page 23: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

Retrouvez toutes nos offres d’abonnement sur www.cerveauetpsycho.fr

Toutes les clés pour comprendreToutes les clés pour comprendre les comportements humains les comportements humains

au lieu de 69,50 €

6 numéros de Cerveau & Psycho4 numéros de L’Essentiel Cerveau & Psycho

1 an • 48 €En cadeau, le CD Le Cerveau

Un entretien avec le neurologue Yves Agid.CD audio de 60 minutes - Collection « L’Académie raconte les sciences »édité par De Vive Voix - Mars 2012 – Valeur : 9,90 € - Réf. 444119

Soit 3 Essentiels offerts !

CerveauCerveau PsychoPsycho

Cerveau Psycho✁

Cerveau Psycho

CerveauCerveau PsychoPsychoà retourner accompagné de votre règlement dans une enveloppe non affranchie à : Groupe Pour la Science • Service Abonnements • Libre réponse 90382 • 75281 Paris cedex 06

BUL LE T I N D ’ ABONNEMENT

Je souhaite recevoir la newsletter Cerveau & Psycho à l’adresse e-mail suivante (à remplir en majuscule) :

En application de l’article 27 de la loi du 6 janvier 1978, les informations ci-contre sont indispensables au traitement de votre commande. Elles peuvent donner lieu à l’exercice du droit d’accès et de rectifi cation auprès du groupe Pour la Science. Par notre intermédiaire, vous pouvez être amené à recevoir des propositions d’organismes partenaires. En cas de refus de votre part, merci de cocher la case ci-contre ❑.

* Pour le suivi client (faculatif)

J’indique mes coordonnées :Nom :

Prénom :

Adresse :

CP : Ville :

Pays : Tél.* :

Je choisis mon mode de règlement :❑ Par chèque à l’ordre de Pour la Science

❑ Par carte bancaire ou carte de crédit

Numéro de carte

Date d’expiration Signature obligatoire Clé(les 3 chiffres au dos de votre CB)

❑ Oui, je m’abonne 1 an et reçois 6 numéros de Cerveau & Psycho + 4 numéros de L’Essentiel Cerveau & Psycho au prixde 48 € * (au lieu de 69,50 €, prix de vente au numéro).

*Offre valable en France métropolitaine et d’outre-Mer. Pour l’étranger, participation aux frais de port à ajouter au prix de l’abonnement : Europe 11,50 € - autres pays 23 €.

❑ Je préfère m’abonner 2 ans et reçois 12 numéros de Cerveau & Psycho + 8 numéros de L’Essentiel Cerveau & Psycho au prix de 91 € * (au lieu de 139 €, prix de vente au numéro).

*Offre valable en France métropolitaine et d’outre-Mer. Pour l’étranger, participation aux frais de port à ajouter au prix de l’abonnement : Europe 23 € - autres pays 46 €.

À noter : vos numéros seront expédiés au format classique (21 x 28 cm). Si vous souhaitez les recevoir au format pocket (16,5 x 23 cm), merci de cocher la case ci-contre ❑.

Quelle que soit la fomule choisie, je reçois en cadeau le CD « Le Cerveau » (444119) et bénéfi cie des versions numériques en créant mon compte sur www.cerveauetpsycho.fr

ESE1

1GF

– O

ffre

rese

rvée

aux

nou

veau

x ab

onné

s, v

alab

le ju

squ’

au 3

0.11

.201

2

abo_cps_52_grand.indd 1abo_cps_52_grand.indd 1 04/07/12 11:5404/07/12 11:54

Page 24: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

22 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho

Les neurosciences et l’imagerie céré-brale en particulier apportent indis-cutablement des clés pour mieuxcomprendre les comportements hu-mains normaux et pathologiques.

Le domaine médical en offre déjà beaucoupd’exemples, le domaine de l’économie quel-ques-uns, et ce sera le cas, peut-être plus encore,dans le domaine de l’éducation. Au-delà de la

santé, aucun secteur de la société ni de la viepsychologique des individus n’échappe au label« neuro », qu’on s’en réjouisse ou qu’on ledéplore : neuroéconomie, neuropédagogie, etc.,sont de nouveaux champs d’exploration de lapsychologie expérimentale contemporaine.

Cela soulève bien entendu des questionséthiques, déjà analysées dans le domaine bio-médical, mais qui peuvent se poser aussi dansle domaine de l’éducation où la réflexion bio-éducative reste à conduire. Quoi qu’il en soitet sans céder à une vision trop scientiste etnaïve, voire idéologiquement dangereuse,d’une technoscience de l’éducation parfaite-ment contrôlée et contrôlable, on ne peutrefuser l’idée qu’une recherche pédagogiquenouvelle, exploitant les ressources actuellesde l’imagerie cérébrale, puisse éclairer cer-tains mécanismes neurocognitifs d’appren-tissage dont dépendent des phénomènes édu-catifs, sociaux et culturels plus complexes.

Inhiber son cerveau

pour raisonner

Motiver les élèves à l’école

L’un des moteurs de l’apprentissage est de corriger

ses erreurs de raisonnementet de choisir une stratégie cognitive

adéquate. L’inhibition de certainsautomatismes cérébraux est nécessaire.

Olivier Houdéest professeur de psychologieà l’Université ParisDescartes.

• Les recherches en « neuropédagogie » peuvent éclairercertains mécanismes cognitifs et cérébraux de l’apprentissage.

• L’apprentissage de l’inhibition de certains automatismespermet d’éviter les biais de raisonnement. Les élèvesprennent ainsi conscience de leurs erreurs de logique.

• Le cerveau ayant « appris » à inhiber ses erreurs se reconfigure :le cortex préfrontal contrôle le raisonnement.

En Bref

M.L

ightm

an /

Shu

tterst

ock.c

om

Inhiber son cerveau

pour raisonner

4-Ess11_pxxxxx_pedago_houde_bsl.qxp 3/07/12 17:05 Page 22

Page 25: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

© L’Essentiel n° 11 août -octobre 2012 23

L’apprentissage est une modification de lacapacité à réaliser une tâche sous l’effet d’uneinteraction avec l’environnement. Dès la nais-sance, le bébé est génétiquement programmépour apprendre. Il est par exemple capable dereproduire par imitation des modèles (mou-vements du visage ou des mains) que lui pré-sente l’adulte, ce qui montre que son cerveauest d’emblée réceptif à l’apprentissage culturelhumain. Pour l’essentiel, on peut considérerqu’il existe, chez l’adulte comme chez l’enfant,deux formes complémentaires d’apprentissa-ges cognitifs : l’automatisation par la pratiqueet le contrôle par l’inhibition. Voyons ce quecachent ces notions.

Dans le cas de l’automatisation par la pra-tique, l’imagerie cérébrale fonctionnelle apermis de montrer que la partie préfrontale(avant) du cerveau est activée en premier lieu ;en effet, la mise en place des habiletés néces-site un contrôle exécutif et un effort cognitif(apprendre par cœur une liste de mots écritspar exemple). Puis ces habiletés s’automati-sent avec la pratique et c’est la partie posté-rieure du cerveau ainsi que les régions sous-corticales qui prennent le relais.

Dans le cas inverse (on parle de désauto-matisation), il s’agit d’apprendre à inhiberles automatismes acquis pour changer destratégie cognitive. L’imagerie cérébrale a misen évidence les modifications qui s’opèrent

dans le cerveau lorsque, sous l’effet d’unapprentissage, on passe, au cours d’une mêmetâche de raisonnement, d’un mode percep-tif facile, automatisé, mais erroné, à un modelogique, difficile et exact. Il y a alors un bas-culement des activations cérébrales, de lapartie postérieure du cerveau au cortex pré-frontal, ce qui se traduit par une dynamiquecérébrale inverse de celle qui a lieu lors del’automatisation.

Apprendre l’inhibitionavec un professeur

Le premier type d’apprentissage, l’auto-matisation par la pratique, correspond auxconnaissances générales, bien établies, appri-ses par la répétition, la mémorisation, et quidoivent être connues de tous (les programmesà l’école par exemple). C’est ce que l’on nomme« l’intelligence cristallisée » par la culture. Àl’inverse et de façon complémentaire, le secondtype d’apprentissage, le contrôle par l’inhibi-tion, fait appel à l’imagination, à la capacité dechanger de stratégie de raisonnement en inhi-bant les automatismes habituels (eux-mêmescristallisés). C’est « l’intelligence fluide ».Apprentissage et intelligence sont étroite-ment liés via la culture et le raisonnement.

Décrivons de façon plus détaillée l’appren-tissage de l’inhibition, forme d’apprentissage

1. Lors des tests de logique, on demande aux volontairesde déplacer des formes colorées présentées sur un écran d’ordi-nateur pour répondre à des règles déductives du type :« S’il y a uncarré rouge à gauche, alors il y a un cercle jaune à droite » (a). Latotalité des personnes testées réussit ce problème (b). Mais si ondemande aux participants de rendre fausse la règle « S’il n’y a pasde carré rouge à gauche, alors il y a un cercle jaune à droite », alors

90 pour cent des sujets proposent comme réponse : un carrérouge à gauche d’un cercle jaune (c). Ils se trompent et commettentce que l’on nomme une erreur perceptive. Pour rendre la règlefausse, il faut rendre l’antécédent vrai, c’est-à-dire ne pas mettre decarré rouge à gauche (on met,par exemple,un carré vert) et rendrela conclusion fausse, c’est-à-dire ne pas mettre un cercle jaune àdroite (on place,par exemple,un losange bleu à droite).

Tous

les d

essin

s son

t de

Jean

-Mich

el Th

iriet

a b c

4-Ess11_pxxxxx_pedago_houde_bsl.qxp 3/07/12 17:05 Page 23

Page 26: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

24 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho

cognitif (ou plus exactement « métacognitif »)explorée ces dernières années par la neuro-pédagogie expérimentale et absente (pour lemoment) des programmes scolaires. Il s’agitd’étudier un mécanisme particulier de correc-tion d’erreurs dans le cerveau humain. Pour cefaire, on développe une sorte de « pédagogiede laboratoire » : apprendre à l’individu (et àtravers lui à son cerveau) à inhiber ses erreurssystématiques (ou biais) de raisonnement. Parexemple, on propose à des volontaires de dépla-cer des formes colorées sur un écran d’ordina-teur pour répondre à des règles déductives.Maispour certaines règles, les participants font pres-

que tous les mêmes erreurs de logique (voir lafigure 1) ; l’apprentissage consiste à inhiber cesbiais de raisonnement. Les questions d’appren-tissage et de plasticité neurocognitive, essen-tielles en psychologie de l’enfant et de l’ado-lescent, le sont aussi en neurosciences cognitives.

Pour l’exemple des erreurs de raisonne-ment logique, nous avons émis l’hypothèseque la difficulté des individus tient, dans cer-taines situations pièges, à ce que deux straté-gies de raisonnement entrent en compétitionet se télescopent dans leur cerveau, l’une per-ceptive (ou sémantique selon les cas : unecroyance sur le monde), l’autre logique. Face

Les conditions d’apprentissage pour une pédagogie de laboratoire

L e volontaire doit rendre fausse la règle déductive « S’iln’y a pas de carré rouge à gauche, alors il y a un cer-

cle jaune à droite », en sélectionnant sur un écran d’or-dinateur deux formes géométriques. Pour améliorer lescore – mauvais – des participants à ce test (90 pour centde réponses fausses), on dispose de trois stratégies d’ap-prentissage : l’inhibition de la stratégie perceptive, l’expli-cation logique et la répétition de la tâche.

Éliminons d’emblée la troisième qui ne donne aucun résul-tat : la répétition d’une « tâche piège »,pour laquelle on necomprend pas l’origine de l’erreur, ne corrige pas l’erreur.

Dans la condition d’apprentissage de l’inhibition de lastratégie perceptive, on tente d’inhiber les biais de rai-sonnement.Pour ce faire,on émet des « alertes » qui pré-viennent le participant des pièges de raisonnement. Onlui explique d’où vient l’erreur, on le met en garde pourqu’il ne tombe pas dans le piège, c’est-à-dire qu’il ne selaisse pas abuser par les formes et par les couleurs enoubliant la consigne logique. Dans la deuxième stratégie(l’explication logique), on se contente d’expliquer la logi-que de la tâche sans expliciter les causes des erreurs.Comment procède-t-on ? Nous proposons d’abord un

exercice préliminaire, en présentant quatre cartes (A,D, 3 et 7), chacune ayant, d’un côté une lettre, de l’autreun chiffre. Les quatre cartes sont disposées face aux per-sonnes testées qui doivent indiquer quelle(s) cartes(s) ilest indispensable de retourner pour vérifier si la règle esttoujours respectée : « S’il y a un A d’un côté d’une carte,alors il y a un 3 de l’autre. » La réponse erronée corres-pondant à un biais de raisonnement serait A et 3.Ce pro-blème est connu sous le nom de test de Wason.

Pour vérifier la règle, on doit effectivement retourner Apour savoir si oui ou non il y a un 3 au dos, mais il est inu-tile de vérifier ce qu’il y a au dos du 3 :ou bien c’est un A etla règle n’est pas mise en défaut ; ou bien c’est un D et lacondition requise (il y a un A d’un côté) n’est pas remplie :dès lors, la carte 3 ne peut pas rendre la règle fausse. Enrevanche, la seconde carte à tirer est le 7 :si de l’autre côtédu 7, on a un A, la règle est fausse ! Ainsi, la réponse cor-recte est A et 7,car seules ces deux cartes sont susceptiblesde rendre la règle fausse, c’est-à-dire de présenter un casoù l’antécédent est vrai (A) et le conséquent faux (non-3).

Au début de l’apprentissage, tous les participants fontl’erreur et proposent la paire A et 3 (voir la figure a). On

aExercice préliminaire

4-Ess11_pxxxxx_pedago_houde_bsl.qxp 3/07/12 17:05 Page 24

Page 27: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

© L’Essentiel n° 11 août -octobre 2012 25

à cette compétition neuronale, les élèvesferaient des erreurs s’ils ne parvenaient pasà inhiber la stratégie perceptive (ou séman-tique), sans qu’il s’agisse pour autant d’unmanque de logique en tant que tel.

Un apprentissage efficace

Pour le montrer, nous avons d’abord testé,par des études de psychologie expérimentale,l’efficacité de trois conditions d’apprentissagesur des groupes de sujets indépendants : la pre-mière condition consistait à inhiber une stra-tégie perceptive avec des instructions venant

d’autrui. Par exemple, un professeur mettait engarde les sujets en leur précisant qu’ils devaientéviter un piège perceptif, une erreur de raison-nement, et qu’ils ne devaient pas se laisser abu-ser par les formes ni par les couleurs. C’estl’apprentissage dit « métacognitif », car il portesur les stratégies cognitives à sélectionner. Ladeuxième condition était l’explication logiqueet rationnelle du problème, réalisée par le mêmeprofesseur. Et le dernier apprentissage était larépétition de la tâche, ce qui correspond auxeffets de la pratique (voir l’encadré ci-dessous).

Seul l’apprentissage de l’inhibition s’estrévélé efficace, c’est-à-dire source de progrès

réalise alors les deux procédures d’apprentissage choi-sies : l’explication logique (voir le scénario b) et l’appren-tissage de l’inhibition de la stratégie perceptive (voir le scé-nario c). Dans l’explication logique, on explique de façon« froide » comment réfléchir pour réussir ce test (b1).Dans l’autre méthode d’apprentissage (c1), le « profes-seur» ne se contente pas de cet enseignement froid,maisdonne en plus des « conseils d’inhibition », prévient lors-que l’« élève » risque de se laisser abuser par ses per-ceptions, fait intervenir une dimension émotionnelle dansson enseignement qui n’apparaît pas dans la méthode pré-cédente. La procédure se termine lorsque les sujets attei-

gnent le critère d’apprentissage, c’est-à-dire lorsqu’ils sontcapables d’expliquer de façon autonome la résolutioncorrecte de la tâche de sélection de cartes. Ils finissentpar réussir par l’une ou l’autre des procédures (b2 et c2).Sont-elles pour autant équivalentes ? Non, car dans ladernière étape de l’expérience, on refait le test avec latâche initiale (rendre fausse la règle : « S’il n’y a pas decarré rouge à gauche, alors il y a un cercle jaune àdroite ») et l’on constate que la méthode d’explicationlogique échoue (b3) tandis que la méthode d’apprentis-sage de l’inhibition des biais de raisonnement donne desrésultats meilleurs (c3).

b1 b2 b3

c1 c2 c3

Pendant l’apprentissage Après l’apprentissage

Exp

licat

ion

log

iqu

eIn

hib

itio

n d

e la

str

atég

iep

erce

ptiv

e

4-Ess11_pxxxxx_pedago_houde_bsl.qxp 3/07/12 17:05 Page 25

Page 28: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

cognitifs transférables aux problèmes logiquesdu même type : le taux de réussite, initialementinférieur à 10 pour cent, a dépassé les 90 pourcent lors de la résolution du second problème.Alors que dans les deux autres conditions (l’ex-plication logique et la pratique), la proportiond’erreurs était comparable au niveau initial faceà des problèmes du même type. C’est donc lemécanisme exécutif de blocage (l’inhibition)qui faisait psychologiquement défaut aux indi-vidus interrogés et non pas la logique formelleou la pratique (comme c’est le cas pour d’au-tres situations d’apprentissage).

Une façon de penserreconfigurée

Que se passe-t-il dans le cerveau des élèvesavant et après l’apprentissage de l’inhibitionde la stratégie perceptive, c’est-à-dire avant etaprès la correction de l’erreur de raisonnement ?Existe-t-il un support biologique, neuronal (etlequel ?) montrant que les élèves ont appris àinhiber une stratégie ? Nous avons repris lamême expérience en observant l’activité céré-brale des sujets par imagerie fonctionnelleavant l’apprentissage avec le professeur, et après.

Nous avons observé une spectaculaire recon-figuration – ou plasticité – des réseaux neu-ronaux, de la partie postérieure du cerveau àsa partie antérieure, dite préfrontale (voir lafigure 2). Cette expérience illustre ainsi defaçon dynamique comment peut se mettre enplace, sous l’effet d’une forme particulière depédagogie expérimentale, un processus d’abs-traction par inhibition cognitive (de laréponse perceptive à la réponse logique) dansle cerveau. C’est « le cerveau qui apprend eninhibant ». En d’autres termes : l’intelligence

fluide se déclenche et s’observe chez l’élèveaprès l’intervention pédagogique d’autrui.Éducation et neurosciences peuvent donc seconjuguer ; l’imagerie cérébrale a apporté lavisualisation de l’effet pédagogique précé-demment testé en psychologie expérimentaledu raisonnement.

L’adulte, comme l’enfant, peut sans douteapprendre à inhiber les stratégies inadéquatesde trois façons : soit en analysant lui-même seséchecs et en constatant ses erreurs, soit par imi-tation, soit en étant instruit par autrui, commedans l’étude réalisée. Dès lors, on pourrait déve-lopper à l’école une pédagogie de « l’inhibi-tion » (au sens positif du terme) et du contrôlecognitif en général. Or l’école apprend plu-tôt l’activation des connaissances, dans tou-tes les matières, que l’inhibition cognitive.Certains psychologues, tels qu’Adele Diamondau Canada, testent déjà avec succès, dès l’écolematernelle, des programmes expérimentauxde ce type : par exemple, le programme Toolsof the Mind où l’on apprend aux jeunes enfantsl’inhibition et le contrôle cognitifs. Aux États-Unis, l’équipe de Michael Posner a montrécomment des exercices de contrôle attention-nel modifient le cerveau de jeunes enfants(4-6 ans) dans des régions telles que le cortexpréfrontal et le cortex cingulaire antérieur.

Dans une autre étude, nous avons comparéles conséquences cérébrales de l’apprentissagede l’inhibition (qui implique des mises engarde sur le danger du piège perceptif, c’est-à-dire sur l’erreur possible) et de l’apprentissagerationnel et logique, que l’on peut considérercomme plus « froid » et scolaire. Au niveaucomportemental, nous avons à nouveau trouvéque seul l’apprentissage de l’inhibition est effi-cace dans les situations pièges étudiées.

26 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho

2. L’apprentissage de l’inhibitiondes erreurs de raisonnement se traduitpar une modification du débit sanguin cérébral,visible en imagerie fonctionnelle. Lorsqueles sujets se trompent quand on leur demandede rendre fausse la règle logique :« S’il n’y a pasde carré rouge à gauche, alors il y a un cerclejaune à droite », le débit sanguin est plus élevédans les régions postérieures et perceptivesdu cerveau (a). Quand ils ont appris à inhiberleur erreur, le débit sanguin est modifié,et les régions antérieures (préfrontales)sont davantage activées (b).

O. H

oudé

, CN

RS

a b

Arrière Avant Arrière Avant

4-Ess11_pxxxxx_pedago_houde_bsl.qxp 3/07/12 17:05 Page 26

Page 29: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

En outre, nous avons montré qu’une régiondu cerveau s’active plus lors de l’apprentissagede l’inhibition que lors de l’apprentissage logi-que : c’est le cortex préfrontal ventro-médiandroit. Cette région se situe dans « l’intimité »du cerveau droit, à l’avant (préfrontal), en bas(ventro) et au milieu (médian), près du sys-tème limbique qui est considéré comme « lecerveau des émotions ».

Depuis les travaux du neuropsychologueAntonio Damasio aux États-Unis, on sait quecette région paralimbique est impliquée dansles relations étroites entre émotion, senti-ment de soi et raisonnement. Dans notre cas,il s’agit de l’émotion liée au sentiment des’être trompé, d’être « tombé dans un piège »,mais de pouvoir néanmoins corriger sonerreur de raisonnement ; c’est une émotioncomplexe mêlant peur (de se tromper) etplaisir (de se corriger). C’est ici l’apprentis-sage du contrôle inhibiteur qui déclencheet entretient cette émotion.

Le rôle de l’émotion

En mesurant la différence de débit sanguincérébral, nous avons confirmé que le cortexpréfrontal ventro-médian droit est activé cheztous les élèves qui accèdent à la réponse logi-que après l’apprentissage de l’inhibition (doncaprès correction de l’erreur), alors qu’il nel’est pas chez ceux qui restent dans l’erreuraprès un apprentissage logique « froid ». Lathéorie d’A. Damasio est une théorie de la« conscience réflexive », c’est-à-dire que l’émo-tion liée au sentiment de soi participe à l’ac-tivité cognitive. C’est bien ce que nous obser-vons : avant l’apprentissage de l’inhibition, lesparticipants ne sont pas conscients (n’ont pasle sentiment) qu’ils commettent une erreurde logique (ils pensent tous répondre juste !).Alors qu’après, ils en sont conscients – état ditde conscience réflexive.

Après avoir exposé ces exemples de recher-ches en neuropédagogie expérimentale, rappe-lons, pour conclure, que les scientifiques, pas-

sionnés, à juste titre, par leurs recherches etleurs découvertes, ont néanmoins en cedomaine un devoir d’humilité.

Neuropédagogie : un devoir d’humilité

D’abord parce qu’il s’agit de premières don-nées encore ponctuelles et partielles. Ensuiteparce qu’il ne faut pas dire aux professeurs desécoles ce qu’ils doivent faire dans leurs classes,mais simplement les informer, ainsi que lescadres de l’éducation et hommes politiques,des avancées scientifiques récentes en matièred’apprentissages cognitifs et d’interventionpédagogique. Ces découvertes, tel le rôle péda-gogique positif de l’inhibition cognitive et sonapprentissage cérébral, sont parfois contre-intuitives pour les professionnels. Mais ellespeuvent avoir des conséquences importantesdans la société et l’éducation.

La pédagogie est un « art » qui doit s’ap-puyer sur des connaissances scientifiquesactualisées. En apportant des indications pré-cises sur les capacités et les contraintes du« cerveau qui apprend », la psychologie etl’imagerie cérébrale peuvent aider à expli-quer, au cas par cas, pourquoi certaines situa-tions d’apprentissage sont efficaces, alors qued’autres ne le sont pas. Par exemple, les résul-tats exposés ici incitent, face aux blocages,erreurs ou difficultés de certains élèves, àtenir compte des résultats acquis en neuro-pédagogie. En l’occurrence, il s’agit de deuxmécanismes clés, sans doute liés à des phé-nomènes éducatifs, sociaux et culturels pluscomplexes : d’une part, l’inhibition de stra-tégies neurocognitives en compétition et,d’autre part, l’émotion associée au sentimentde soi, qui paraissent toutes deux utiles aucerveau (parfois plus que la pure logique)pour corriger ses erreurs de raisonnement.En retour, le monde de l’éducation, bieninformé de la pratique quotidienne, pour-rait suggérer des idées originales d’expéri-mentation aux neuropédagogues... �

© L’Essentiel n° 11 août -octobre 2012 27

Bibliographie

O. Houdé,La psychologie

de l’enfant, (Que sais-je ?), Paris, PUF, 2012.

A. Diamondet K. Lee, Interventionsshown to aid executive

function developmentin children

4 to 12 years old,in Science, vol. 333,pp. 959-964, 2011.

O. Houdé,First insights

on neuropedagogyof reasoning, in Thinking& Reasoning, vol. 13,

pp. 81-89, 2007.O. Houdé, Neural

foundations of logicaland mathematical

cognition, in NatureReviews Neuroscience,

vol. 4, pp. 507-514,2003.

O. Houdé et al.,Access to deductive

logic dependson a right ventromedialprefrontal area devotedto emotion and feeling,in NeuroImage, vol. 14,pp. 1486-1492, 2001.

Le mécanisme de blocage – l’inhibition – faitpsychologiquement défaut aux élèves, et nonpas la logique formelle ou la pratique.

4-Ess11_pxxxxx_pedago_houde_bsl.qxp 3/07/12 17:05 Page 27

Page 30: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

28 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho

Rien ne va plus dans le monde dela notation ! Fin 2010, une péti-tion s’est élevée contre les notesscolaires et une autre pour leurmaintien, alors que le ministre

de l’Éducation, de son côté, soutenait lesnotes. Que penser d’une telle controverse ?Mais d’abord de quoi parle-t-on ? En fait, ilexiste deux grandes catégories d’évaluation :l’« évaluation contrôlante » et l’« évaluationinformative », dont les mécanismes et leseffets divergent.

Les notes peuvent être une façon de contrô-ler l’élève, de le « punir » en cas de résultatsinsuffisants ou de le récompenser en cas debons résultats. C’est ce qu’on nomme l’éva-luation contrôlante. Elle correspond à la loidite du renforcement, selon laquelle la moti-vation est déterminée par le besoin multipliépar le renforcement (positif ou récompense,négatif ou punition). Plusieurs expérien-ces ont montré que les compliments et lesréprimandes, classiquement utilisés à l’école,

agissent selon cette loi. Dans ces expérien-ces, des élèves filles, du CM1 à la sixième,devaient résoudre le plus de problèmes pos-sibles parmi 30 en 15 minutes, chaque jour,cinq fois par semaine. Dans un premiergroupe, chaque élève était réprimandéepubliquement sans tenir compte des répon-ses correctes. Dans un deuxième groupe,chaque élève recevait des compliments (quelque soit le résultat réel). Il existait aussi ungroupe « ignoré », et un groupe témoin tra-vaillant sans exigence de résultats. Le groupecomplimenté progressa rapidement pouratteindre une vingtaine de problèmes réso-lus en cinq jours d’entraînement. Tous lesautres groupes stagnèrent. Ainsi, les renfor-cements positifs et négatifs ne sont pas symé-triques. Mieux vaut encourager que punir.

Encourager l’élève

En fait, une autre recherche concernantl’apprentissage de cartes de géographie pardes étudiants plus âgés a montré que les ren-forcements négatifs (stigmatisation de « l’in-compétence ») agissent négativement chezles étudiants les plus faibles. Toutefois, chezles étudiants de niveau élevé, les renforce-ments positifs et négatifs produisent uneaugmentation de 50 pour cent des perfor-mances par rapport à des sujets témoins deniveau équivalent. Il faut donc dissocier larécompense de la punition, et tenir comptede l’âge des élèves auxquels on s’adresse.

Motiver les élèves à l’école

Alain Lieuryest professeurémérite de psychologiecognitivede l’UniversitéRennes 2,ancien directeur du Laboratoire de psychologieexpérimentale.

Les notes sont des chiffres, [...]c’est aux enseignants de les utilisercomme un outil et non de les faire

ressentir comme un fléau.

« Pour» les notes à l’école élémentaire !

À condition qu’elles soient utilisées pour informer l’élève et non pour le décourager.

5-Ess11_pxxxxx_notes_lieury_bsl.qxp 4/07/12 12:03 Page 28

Page 31: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

© L’Essentiel n° 11 août -octobre 2012 29

Les notes peuvent aussi constituer une éva-luation dite informative. Celle-ci donne àl’élève des informations sur le niveau de sa per-formance. Une expérience du psychologueaméricain Albert Bandura le montre : des étu-diants devaient s’entraîner à soulever despoids, sous prétexte de mettre au point desexercices d’aérobic. Trois conditions étaientprévues : dans une première dite de « butseul », les étudiants devaient soulever à cha-que séance 40 pour cent de plus qu’à l’essaiprécédent. Dans une deuxième condition ditede « feedback seul », on informait chaque étu-diant qu’il avait soulevé tant de kilogrammes.Il s’agissait en fait d’un chiffre fictif, qui cor-respondait pour tous les participants à uneprogression supposée de 24 pour cent. Enfin,dans le troisième groupe, nommé « but + feed-back », on fixait l’objectif – augmenter la per-formance à chaque fois de 40 pour cent –, eton transmettait au sujet un feedback (fictif)correspondant à une amélioration de 24 pourcent de sa performance.

Connaître son niveau

On a constaté que, par rapport à un groupetémoin s’entraînant sans consigne, seul pro-gresse le groupe à qui l’on annonce clairementl’objectif et le résultat de ses performances.La progression est même surprenante : les étu-diants améliorent leur performance initialede 60 pour cent. On comprend facilementpourquoi. Comment sauter à la perche oucourir un 100 mètres si l’on ignore son score ?Comment progresser en orthographe ou enmathématiques, sans comprendre la naturede ses erreurs ? Il faut une évaluation aussiprécise et informative que possible. Sans pourautant confondre évaluation et notes. Prenonsun exemple : lors d’une dictée, le nombre etla nature des fautes doivent être signalés,mais on n’est pas obligé de retrancher cenombre de fautes de la note maximale, 20.Dans ce dernier cas, l’évaluation redevien-drait contrôlante, puisque l’élève pourraitavoir 0 sur 20, ce qui reviendrait à le quali-fier de nul. L’évaluation pourrait être présen-tée sous forme du nombre de fautes.

La notation doit donc subsister. Pas for-cément sous forme de score sur un totalde 10 ou 20. Car les dangers de l’évaluationcontrôlante sont réels. Les psychologuesEdward Deci et Richard Ryan montrent ainsique la motivation intrinsèque (le fait que

l’élève soit motivé par le simple fait de tra-vailler la matière, et non par des gratifica-tions extérieures) résulte de deux besoinsfondamentaux : le besoin de se sentir com-pétent et celui de choisir librement ses acti-

vités. Autrement dit, dès que la sensation decompétence baisse ou que la contrainte s’ac-croît, l’élève ne pratique plus l’activité pourle plaisir qu’elle procure, mais pour les avan-tages qui lui sont associés ou pour éviter lessanctions. Il fonctionne alors selon un modeextrinsèque – régulé par des agents exté-rieurs : récompenses, bons points, compli-ments, mais aussi punitions, réprimandes,etc. Avec des professeurs sévères ou humi-liants, cette motivation extrinsèque peutsaper le sentiment de compétence.

Sachant que certains enseignants prati-quent l’acharnement évaluatif, friands dedéclarations tonitruantes telles que : « Tu n’ar-riveras à rien », ou « Votre place n’est pas ici »,on comprend que certains s’insurgent contreles notes. Mais en réalité, ce sont certains com-portements des enseignants ou parents qu’ilfaut changer : les notes sont des chiffres, ellesn’y sont pour rien et c’est aux enseignants deles utiliser comme un outil et non de les faireressentir comme un fléau. �

Bibliographie

F. Fenouillet,La motivation, Dunod,

2012.A. Lieury, La réussite

expliquée aux parents,Dunod, 2010.

A. Lieury et al.,Motivation et Réussite

scolaire, Dunod, 2006.F. Fenouillet et al.,

Faut-il secouerou dorloter les élèves ?

Apprentissageen fonction

de la motivationinduite par l’ego

et du niveaude mémoire

encyclopédiqueen géographie,

in Revue de Psychologiede l’Éducation, vol. 1,

pp. 99-124, 1996.

Elena

Ros

tunov

a /

Shutt

ersto

ck.co

m -

Cerv

eau

& Ps

ycho

5-Ess11_pxxxxx_notes_lieury_bsl.qxp 4/07/12 12:03 Page 29

Page 32: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

30 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho

Dans un discours prononcé le23 janvier 2002, Jack Lang,alors ministre de l’Éducationnationale, déplorait la dégra-dation de l’écriture manus-

crite et réclamait avec insistance que l’onremette l’accent sur son enseignement dansles écoles. Selon lui, il était urgent de « redon-ner toutes ses lettres de noblesse à l’activitéd’écriture à l’école ». L’école doit accorder uneplus grande importance à l’acte d’écrire, à la« belle écriture », selon ses propres termes.Les programmes d’enseignement ont suivi :aujourd’hui, ils mettent l’accent sur l’écriturecursive, qui doit être enseignée de préférenceavant la fin de l’école maternelle.

Pourtant, l’écriture manuscrite est de moinsen moins utilisée au quotidien. La dominationécrasante du courrier électronique dans les acti-vités professionnelles et privées, les progrès destraitements de texte et leur utilisation au bureau,la folie des SMS des téléphones portables, toutcela fait intervenir un clavier, et nous nous sur-prenons nous-mêmes quand nous reprenonsnotre plume pour écrire à un proche.

À l’école, les élèves utilisent des ordinateursde plus en plus souvent et de plus en plus tôt.

Clavier ou stylo :comment apprendre

à écrire ?

Motiver les élèves à l’école

La reconnaissance des lettres passe autant par la mémoiredu geste que par la mémoire visuelle. C’est pourquoi

des enfants ayant appris à lire et à écrire avec un clavier les reconnaissent moins bien ensuite.

Vive l’apprentissage de la calligraphie !

Jean-Luc Velayest chargéde rechercheau CNRS,au Laboratoirede neurosciencescognitives,à Marseille.MariekeLongcampest maîtrede conférences au Laboratoireadaptationperceptivo-motrice et apprentissage,à l’Université PaulSabatier de Toulouse.

6-Ess11_pxxxxx_clavier_stylo_velay_bsl.qxp 4/07/12 10:39 Page 30

Page 33: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

© L’Essentiel n° 11 août -octobre 2012 31

Voilà pourquoi certains n’hésitent pas à poserla question : « Pourquoi ne pas apprendre àécrire directement au clavier ? » Cette éventua-lité, formulée de façon aussi abrupte, a quel-que chose de choquant. La plupart d’entre nousconsidéreraient comme une régression l’éven-tuelle disparition de l’écriture manuscrite, fruitd’une lente évolution technique, culturelle,sociale et peut-être… biologique. Bien souvent,on se rassure en se disant que ce n’est pas pourdemain, mais il ne faut pas sous-estimer lespressions techniques, et surtout économiques,qui suscitent de nouveaux comportements.

Quel avantage y a-t-il à apprendre l’écrituremanuscrite ? Que perdrait-on si elle n’était plusenseignée ? C’est ce que nous allons examiner,en nous appuyant sur les expériences scienti-fiques les plus récentes du domaine.

Un détour par l’Extrême-Orient et le mondedes idéogrammes nous sera profitable. Lesidéogrammes japonais, ou kanji, sont à la foistrès nombreux et visuellement complexes. Lestraits de plume qui les composent doivent êtreécrits selon un ordre précis et rigoureusementcodifié. Savoir lire les kanji demande aux jeu-nes Japonais de nombreuses années d’appren-

tissage. Quelle méthode utilisent les élèves pourles mémoriser ? Il faut les écrire des centainesde fois sur le papier, ou avec le doigt, sur la tableou dans l’air. D’ailleurs, lorsqu’un lecteur japo-nais adulte hésite devant un caractère com-plexe ou peu fréquent, il fait appel au Ku-sho :il fait mine d’écrire le caractère avec son doigten l’air. C’est un peu ce que vous faites lorsquevous ne vous souvenez plus du code d’entréed’un immeuble, mais que le mouvement devos doigts vous aide à le retrouver. Le lecteurde kanji trace en l’air les traits constitutifs ducaractère, dans l’ordre approprié, et… sasignification lui revient en mémoire. Quedéduire de cette observation ? Tout simple-ment que la forme visuelle des idéogrammesne suffit pas toujours pour retrouver leursens, et qu’il est parfois utile de faire appel àla mémoire « sensorimotrice ».

Un programme cérébrald’écriture

Quand on écrit, l’information nerveuse quidétermine l’ordre d’écriture des traits consti-tuant les caractères est codée dans certaineszones du cerveau : le cortex moteur et le cor-tex somatosensoriel. Elle forme en quelquesorte une mémoire du mouvement des sen-sations qui lui sont associées : on parle demémoire sensorimotrice. Or cette mémoiresemble parfois utile chez des personnes pré-sentant des difficultés de lecture. Ainsi, danscertains cas d’alexie pure, c’est-à-dire lorsquedes patients porteurs d’une lésion cérébraledeviennent incapables de reconnaître deslettres, leur performance est parfois amélio-rée si le patient est autorisé à les écrire, ou sim-plement à les tracer du doigt. On parle alorsde facilitation kinesthésique, une techniquequi fut utilisée pour améliorer la lecture chezdes Japonais souffrant d’alexie. Lorsque le lien

• Au quotidien, on utilise de moins en moins souvent le stylo pourécrire, et davantage un clavier d’ordinateur, de téléphone portable, etc.

• Pourtant, l’écriture à la main provoque l’activation d’une régioncérébrale motrice, qui se « réactive » quand on voit des lettres(ou des caractères).Cette activation n’existe pas quand on tape au clavier.

• La calligraphie serait essentielle à la mémorisation des lettresou des caractères. Les Japonais l’ont bien compris et écrivent souvent« avec leur doigt » pour se remémorer les idéogrammes de leur alphabet.

En Bref

Serg

ei Te

legin

/ Sh

utter

stock

6-Ess11_pxxxxx_clavier_stylo_velay_bsl.qxp 4/07/12 10:39 Page 31

Page 34: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

32 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho

entre la forme visuelle d’un caractère et sonidentité est rompu, il est possible d’accéderau sens du caractère en faisant appel à sareprésentation motrice.

La reconnaissance visuelle des caractèreskanji ne nécessite pas toujours leur exécutionmanuelle. Toutefois, des chercheurs se sontdemandé si cette activité motrice ne serait pasmise en jeu de façon automatique dans le cer-veau, même en absence de mouvement mani-feste. Lors d’une étude d’imagerie cérébrale,ils ont présenté à des sujets japonais les pre-miers traits d’un kanji et leur ont demandé deretrouver l’intégralité du caractère. Ils ontobservé que des zones du cerveau normale-ment mises en jeu dans l’écriture du kanjiétaient activées dans ces conditions. Ainsi,retrouver les kanji en mémoire sensorimotriceengendrerait une sorte d’écriture mentale,automatique et non intentionnelle.

Qu’en est-il dans notre système alphabéti-que ? Là aussi, il s’agit d’associer des traits etde les reconnaître comme formant une seuleet même lettre. Dans ce cas, une questions’impose : pourquoi les zones cérébrales sen-sorimotrices, qui commandent les mouve-ments et reçoivent en même temps les ten-sions musculaires résultant du mouvement,ne seraient-elles pas mises en œuvre automa-tiquement, comme chez les Japonais ? C’estprécisément pour répondre à cette question

que nous avons placé des volontaires dans desscanners d’imagerie par résonance magné-tique fonctionnelle (IRMf), qui visualisent lecerveau en action, et nous leur avons montrédes lettres qu’ils devaient reconnaître.

L’objectif était de révéler le réseau cérébralmis en jeu lorsque des droitiers observent deslettres. Nous souhaitions aussi nous assurerque d’éventuelles activations motrices obte-nues dans cette situation perceptive correspon-daient bien à des mouvements d’écriture. Pourcela, nous avons mis en place deux stratégies.

Lire, c’est écrire

D’une part, nous avons comparé l’acti-vation cérébrale suscitée par des formesconnues et inconnues (des lettres et des« pseudolettres », symboles ressemblant à deslettres, mais n’appartenant pas à l’alphabet).Si nos hypothèses étaient fondées, les pseudo-lettres, n’ayant jamais été écrites par les sujets,ne devaient correspondre à aucune représen-tation motrice prédéfinie en mémoire et nedevaient donc pas entraîner d’activationsmotrices. D’autre part, nous avons mesuré l’ac-tivité cérébrale des sujets lorsqu’ils écrivaient,afin de repérer les zones cérébrales mises enœuvre par l’écriture.Ainsi, nous avons constatéque seule la vue de lettres (et non de pseudo-lettres) active, chez des droitiers, une zone

zD

zD

1. Quelles zones du cerveau s’activentquand on lit des lettres ? En partie les mêmes quequand on les écrit avec un stylo. On enregistre lesaires qui s’activent quand on lit des lettres (a) et

quand on les écrit (b) : la même aire (une zone ducortex prémoteur gauche chez les droitiers) s’activeaussi bien à la lecture qu’à l’écriture (flèches en a eten b). En revanche, quand on enregistre l’activité

LETTRES

Lecture Écriture

a b

Jean

-Luc V

elay

6-Ess11_pxxxxx_clavier_stylo_velay_bsl.qxp 4/07/12 10:39 Page 32

Page 35: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

© L’Essentiel n° 11 août -octobre 2012 33

située dans le cortex prémoteur gauche, quis’active également lorsque les sujets écriventles lettres et les pseudolettres (voir la figure 1).

Cette zone du cortex prémoteur intervien-drait dans les mouvements graphiques. Le faitque seul l’hémisphère gauche, qui commandeles mouvements de la main droite, soit activépar la présentation visuelle des lettres, confortel’idée selon laquelle ces activations sont bienreliées aux mouvements réalisés par la mainpendant l’écriture, car la main droite est com-mandée par le cortex moteur de l’hémisphèregauche. Nous avons toutefois cherché à le véri-fier en réalisant une expérience similaire avecdes gauchers (qui ne savaient pas écrire de lamain droite). Pourquoi cette précaution ?Chez les gauchers, c’est l’hémisphère droit quiprend en charge les mouvements d’écriture.Les résultats de cette expérience ont confirméque la même zone du cortex prémoteur, cettefois dans l’hémisphère droit, s’active lorsqueles gauchers identifient des lettres. Ces résul-tats montrent que les mouvements de l’écri-ture sont en quelque sorte « simulés » men-talement pendant la lecture.

De telles observations confirment ce que l’onpensait depuis quelques années : les lettresseraient représentées dans le cerveau de façon« plurimodale », c’est-à-dire qu’on les perçoitnon seulement par la vue, mais aussi par letoucher, ou plutôt par la simulation mentale

(inconsciente des mouvements que l’on exé-cute en écrivant). Lire, c’est aussi un peu écrire,et un réseau neuronal étendu participe à ce pro-cessus. Or ce réseau se mettrait en place quandon apprend en même temps à lire et à écrireavec un stylo. Pendant cette période, les enfantsqui apprennent la lettre A associent sa formevisuelle avec le son [a] et le mouvement quipermet d’écrire un A. Cela s’explique par le faitque la correspondance entre le mouvementgraphique et la forme produite est unique : àchaque lettre correspondent un seul mouve-ment et donc un « patron moteur » spécifique.

Le clavier : plus arbitraire

La situation diffère lorsqu’on écrit avec unclavier. Il s’agit cette fois d’atteindre un pointdu clavier où se trouve une forme donnée. Lacorrespondance entre le mouvement et laforme de la lettre est arbitraire : un mouve-ment identique peut aboutir à la productionde deux lettres différentes, et inversement, lamême touche peut être atteinte par des mou-vements distincts… Il n’y a pas une relationunique entre la lettre et le mouvement, et riendans le mouvement d’atteinte des touches nerenseigne sur la forme ou l’orientation de lalettre formée. Si, comme nous le supposons,il est essentiel de développer la perception desmouvements de la main pour bien apprendre

cérébrale déclenchée par la lecture et l’écriturede pseudolettres, des symboles qui ressemblent àdes lettres, mais n’en sont pas (c et d), on constateque la même aire du cortex prémoteur s’active

uniquement à l’écriture. La lecture des pseudo-lettres n’active pas de représentation motrice déjàmémorisée.En somme, lire, c’est écrire,et un réseauneuronal étendu participe à ce processus.

DD

PSEUDOLETTRES

Lecture Écriture

c d

6-Ess11_pxxxxx_clavier_stylo_velay_bsl.qxp 4/07/12 10:39 Page 33

Page 36: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

34 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho

Bibliographie

J.-P. Fischer,L’écriture en miroir,in Cerveau & Psycho,n° 52, juillet-août 2012.M. Longcamp et al., Contributionde la motricitégraphique à la reconnaissancevisuelle des lettres,in PsychologieFrançaise, vol. 55,pp. 181-194, 2010.M. Longcamp et al., Learningthrough hand- ortype-writing influencesvisual recognitionof new graphicshapes : Behavioraland functional imagingevidences, in Journalof CognitiveNeuroscience, vol. 20, pp. 802-815,2008.J.-L. Velay et al.,De la plume auclavier : Est-il toujoursutile d’enseignerl’écriture manuscrite ?,in Comprendre les apprentissages :Sciences cognitives et éducation, sous ladirection de E. Gentazet P. Dessus, Dunod, pp. 69-82, 2004.

à reconnaître les lettres, il ne devrait pas êtreindifférent d’apprendre à lire au clavier etau stylo. C’est ce que nous avons vérifié avecnotre collègue M.-T. Zerbato-Poudou, del’Institut universitaire de formation des maî-tres d’Aix-Marseille, auprès de jeunes enfants.

Tenir un stylodès l’âge de quatre ans

L’enseignement de la lecture et de l’écri-ture commence très tôt, en général à partirde la deuxième année de maternelle. Pourles besoins de notre expérience, il nous fal-lait donc procéder avec des enfants de pre-mière et de deuxième année de maternelle,âgés de trois à cinq ans. Le principe étaitsimple : proposer à un premier groupe d’en-fants un apprentissage traditionnel de l’écri-ture manuscrite, à un second groupe unapprentissage des lettres au clavier, et observerlequel a finalement les meilleures performan-ces de reconnaissance des lettres.

Soixante-seize enfants âgés de 33 à 57 moisont participé à l’expérience. Ils ont été répar-tis en deux groupes de 38, chaque groupe secomposant de trois classes d’âges : les petits(33 à 41 mois), les moyens (42 à 50 mois) etles grands (plus de 50 mois).

Lors de la phase d’apprentissage, nousavons fait apprendre aux enfants 15 lettresmajuscules pendant trois semaines. Pour lesenfants du groupe « écriture manuscrite »,chaque lettre était présentée sur une feuillede papier et les enfants devaient la reproduirejuste au-dessous. Pour le groupe « clavier »,chaque lettre était présentée sur un écrand’ordinateur et les enfants devaient la taperau clavier, afin qu’elle s’affiche sous le modèle.

Le clavier, aménagé pour cette étude, com-portait uniquement les 15 touches nécessai-res pour écrire les lettres à apprendre.

Avant l’apprentissage et trois, puis quatresemaines après, nous avons testé la capacitédes enfants à reconnaître visuellement les let-tres. Sur un écran d’ordinateur, quatre carac-tères étaient présentés, dont trois étaient malorientés ou déformés. L’enfant devait mon-trer la bonne lettre du doigt.

Chez les enfants les plus âgés (entre quatreet cinq ans), nous avons constaté que l’écri-ture manuscrite était bénéfique : les enfantsreconnaissaient mieux les lettres qu’ils avaientécrites à la main.Au contraire, les enfants ayantappris au clavier avaient des difficultés à recon-naître certaines lettres. Cet avantage se mani-feste dès la fin de l’apprentissage et persiste unesemaine plus tard. Ainsi, il est bon d’appren-dre à écrire avec un stylo si l’on souhaite déve-lopper, chez un enfant âgé de quatre à cinq ans,une bonne reconnaissance visuelle des lettres.Le clavier semble peu recommandé à cet âge.

En revanche, nous n’avons pas constaté ceteffet sur les plus jeunes. Cela résulterait du faitque les structures neuronales contrôlant lamotricité fine, nécessaire pour produire desmouvements précis des doigts et du poignet,ne sont pas suffisamment matures chez cestout-petits. D’ailleurs, les lettres qu’ils produi-sent sont souvent éloignées du modèle. Parconséquent, non seulement ils voient une let-tre mal tracée, mais de plus, les signaux senso-rimoteurs engendrés par leurs mouvements nesont pas adéquats pour informer correctementle cerveau sur la forme esquissée par le crayon.

Nous avons aussi observé que les enfants onttendance à confondre les lettres qu’ils ont appri-ses avec leur image en miroir. Cette tendance

2. Des adultesayant appris à écriredes caractères tamoulsou bengalis (à gauche)à la main savent mieux et plus longtempsreconnaître siun caractère estcorrectement orienté(à droite, en rouge) queles adultes ayant apprisà écrire ces mêmescaractères au clavier(à droite, en bleu).

Clavier Écriture manuscrite

Reco

nn

aiss

ance

des

car

actè

res

mal

orien

tés

Nombre de semaines après l’apprentissage0 1 2

Cerv

eau

& Ps

ycho

6-Ess11_pxxxxx_clavier_stylo_velay_bsl.qxp 4/07/12 10:39 Page 34

Page 37: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

© L’Essentiel n° 11 août -octobre 2012 35

est naturelle en bas âge, mais, il faut peu à peuapprendre à ne plus faire cette confusion, sinonl’on devient « mauvais lecteur », une catégoried’élèves en difficulté dont font partie les dys-lexiques. Nous pensons que les mouvementsd’écriture à la main peuvent aider à mieuxreconnaître l’orientation des lettres.

Pour preuve, nous avons conçu une expé-rience semblable avec des adultes. Cette fois,nous leur demandions d’apprendre à écrirede nouveaux caractères, empruntés à des sys-tèmes graphiques étrangers tels le tamoul oule bengali (voir la figure 2). Chaque partici-pant a appris un jeu de caractères, soit en lesécrivant à la main, soit en les tapant sur unclavier conçu à cet effet. Puis nous avonsdemandé à tous les adultes de décider le plusvite possible si ces caractères présentés surl’écran étaient bien ou mal orientés. Ainsi, lesadultes ayant écrit les caractères à la mainreconnaissaient mieux leur orientation queceux ayant tapé les caractères sur le clavier.L’écriture manuscrite est bénéfique aussi bienpour les petits que pour les grands.

Ces résultats suggèrent que les mouvementsd’écriture participent à la représentation et àla mémorisation des caractères et à leur recon-

naissance visuelle. Cela a-t-il un impact sur lalecture, quand il s’agit de percevoir et de recon-naître des mots et non plus des lettres isolées ?Il reste à le vérifier. En tout état de cause, ilparaît très probable que, lorsque l’on sait mieuxreconnaître les lettres, on a franchi une étapeimportante dans l’apprentissage de la lecture.Alors, faut-il apprendre à écrire à la main pouravoir une meilleure maîtrise de l’écrit et de lalecture ? La réponse semble bien être oui.

Ne pas bannir le clavier !

Doit-on pour autant bannir définitivementl’ordinateur pour apprendre à écrire ? Non.En effet, si l’écriture manuscrite enrichit lareprésentation des caractères et facilite leurreconnaissance chez la majorité des enfants,elle pourrait produire l’effet inverse chez ceuxqui, pour des raisons diverses, ont des difficul-tés à effectuer les mouvements fins et précisimposés par l’écriture. Dans ce cas, l’usage duclavier, beaucoup plus simple au plan moteur,associé à l’ordinateur pour lequel les enfantsmanifestent un engouement prononcé, consti-tuerait une étape intermédiaire pour préparerle passage à l’écriture manuscrite. �

6-Ess11_pxxxxx_clavier_stylo_velay_bsl.qxp 4/07/12 10:39 Page 35

Page 38: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

36 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho

Tollé général ! En 2006, le minis-tre de l’Éducation nationale,Gilles de Robien, a interdit pardécret la méthode globale dansl’enseignement de la lecture…

C’est le retour de la méthode syllabique degrand-papa, une régression.

En réalité, le décret du 24 mars 2006 ne citepas le terme de méthode globale, mais recom-mande « un entraînement systématique à larelation entre graphèmes et phonèmes », ce quiest conseillé par la majorité des chercheurs dudomaine. Une grande part de l’incompréhen-sion tient, à mon sens, à la méconnaissance desmécanismes en jeu et au vocabulaire ambigudes méthodes. Commençons par un petit his-torique pour rappeler l’origine des méthodes.

Derrière cet acte apparemment tout sim-ple qu’est la lecture, se cache une activité trèscomplexe mettant en jeu de multiples systè-mes de perception et de mémoire, telles lavision, l’audition, la mémoire lexicale et lamémoire sémantique. Ces systèmes de per-

ception et de mémoire interagissent par lebiais de « codages ». Ainsi, le codage phono-logique réalise une équivalence entre cer-tains groupes de lettres nommés graphèmeset des entités sonores nommées phonèmes.La lecture met en jeu quatre codages fonda-mentaux, les codages dits visuographique,phonologique, lexical et sémantique. Il fautcomprendre ces codages pour saisir l’enjeude la méthode globale.

Lire, c’est réaliserquatre tâches mentales

Abordons tout d’abord le codage visuo-graphique. Il s’agit des mécanismes par les-quels l’œil et le cerveau perçoivent et iden-tifient les différents éléments graphiques del’écriture, syllabes, mots, phrases. Or ce quenous enseignent les recherches sur la per-ception, c’est que la vision n’est pas pano-ramique. L’acuité visuelle n’est réalisée quepar une toute petite partie centrale de la

Comment enseignerla lecture ?

Motiver les élèves à l’école

Les méthodes d’enseignement de la lecture, la globaleet la syllabique, mettent en œuvre des aptitudes

et des mécanismes cognitifs et cérébraux distincts...mais nécessaires. Il faut intégrer ces deux

apprentissages : ce sont les « méthodes mixtes ».

Alain Lieury est professeuréméritede psychologiecognitivede l’UniversitéRennes 2,ancien directeurdu Laboratoire de psychologieexpérimentale.

7-Ess11_pxxxxx_meth_glob_lieury_bsl.qxp 3/07/12 17:06 Page 36

Page 39: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

© L’Essentiel n° 11 août -octobre 2012 37

rétine, la fovéa, qui ne « voit » que dans unangle de deux à quatre degrés, alors que lechamp visuel total couvre 220 degrés (voirla figure page 38). Les analyses de la lectureréalisées avec une caméra élaborée montrentque les yeux remuent sans arrêt à raison detrois saccades oculaires par seconde defaçon à ce que les cibles (visages ou mots)soient en face de la fovéa.

Percevoir et analyserdes groupes de 5 lettres

Le regard se fixe généralement sur chaquemot du texte, car la fovéa étant très petite onne voit avec acuité qu’un mot d’environ qua-tre ou cinq lettres. Ainsi, la méthode stricte-ment globale, qui consiste à faire apprendredes phrases entières, ne permet pas l’analysedes mots ni des lettres. A fortiori, elle n’au-torise pas une analyse orthographique cor-recte du mot, puisque les zones fixées corres-pondent généralement à des parties de motset non à un mot entier.

Le deuxième type de codage, dit phonolo-gique, réalise une équivalence entre graphè-mes et phonèmes. Lorsque nous lisons, les

mots ne sont pas « photographiés » nienvoyés directement en mémoire sous formeglobale. Au contraire, il faut chez l’apprentilecteur une étape précoce de décodage entrel’assemblage des lettres pour les transformeren phonèmes (c’est le codage graphèmes-phonèmes). Cette étape est nommée par leschercheurs « maîtrise phonologique ». Denombreux travaux de recherche (notammentla synthèse de Linnea Ehri à l’Université deNew York à partir de 38 études) montrentque l’entraînement à la maîtrise phonolo-gique facilite l’apprentissage de la lecture.

• La lecture met en jeu quatre types de « codage » mental :la perception des éléments graphiques, leur association avec des sonsparticuliers du langage, le développement de la mémoire lexicale(des mots) et celui de la mémoire du sens des mots et des phrases.

• Chaque méthode d’apprentissage, la globale et la syllabique,développe plus ou moins ces quatre codages.

• Apprendre la lecture en utilisant les deux méthodes est doncessentiel ; c’est d’ailleurs ce qui se fait dans les écoles en France.

En Bref

Mar

cel M

ooij

/Sh

utter

stock

7-Ess11_pxxxxx_meth_glob_lieury_bsl.qxp 3/07/12 17:07 Page 37

Page 40: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

38 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho

Vient ensuite le codage lexical : dans la lec-ture, les lettres (orthographe) ou les sons(codage lettres-phonèmes) servent d’indicespour retrouver les bons mots dans la mémoirelexicale. C’est pourquoi, par exemple, lesenfants se trompent de mots lorsque certainsindices se ressemblent. Ils lisent « bateau » àla place de « barreau ». Des expériences mon-trent naturellement que, plus le vocabulaireest riche, plus la lecture est correcte et rapide.

Enfin, intervient le codage sémantique, quisous-tend la compréhension de ce qui est lu.Pour comprendre, il faut connaître la fonc-tion du mot dans la phrase, identifier le motsous différentes formes conjuguées (syn-taxe), les marques de temps, d’où la néces-sité d’exercices appropriés.

Les méthodes mixtesse sont imposées

Toute méthode est bonne du momentqu’elle permet ces quatre codages fondamen-taux. Faute de recherches avancées, les pre-miers psychologues et pédagogues ont eu l’in-tuition de certaines de ces étapes, mais parfoisen excluant l’une ou l’autre, d’où les critiquesformulées par la suite par les enseignants etles chercheurs. Les concepteurs des métho-des récentes ont pris en compte ces critiques,si bien que les méthodes actuelles sont majo-ritairement mixtes, c’est-à-dire faisant appelà plusieurs des éléments évoqués ci-dessus. Ilest évident que plus une méthode met l’ac-

cent sur les codages visuographique et pho-nologique, moins elle est globale. À l’inverse,une méthode entièrement globale met uni-quement l’emphase sur les codages lexical etsémantique. Dans la réalité, c’est un mélangedes quatre qui est pratiqué par les ensei-gnants. C’est ce que révèle l’enquête (réali-sée sur 1 253 enseignants) de Éliane et JacquesFijalkow, de l’Université de Toulouse, pour leministère de l’Éducation nationale en 1993.

La plupart des enseignantssont d’accord

Selon cette enquête, 91 pour cent des ensei-gnants insistent sur « la maîtrise des corres-pondances entre les lettres et les mots » (codagephonologique) et 85 pour cent souhaitent queles élèves puissent reconnaître des mots ou lesanticiper dans une phrase (codages lexical etsémantique). L’étude montre aussi que l’ac-cent mis sur l’activité plutôt phonologique ousémantique varie au cours de l’année. Ainsi,pour le plus grand nombre des enseignantsfrançais (et suisses), en début d’année les deuxtiers du temps sont consacrés aux activités« structurantes » (codage phonologique) et untiers aux activités signifiantes, mais ce rapports’inverse en fin d’année.

En conséquence, sur le terrain de la prati-que scolaire, on est loin d’une guerre civileentre partisans de la lecture syllabique et lestenants de la méthode globale : la majoritédes enseignants pratiquent... les deux ! �

Le champ fovéal est minuscule et ne permet de voir net qu’un seul motà la fois. La périphériede la rétine couvreun grand angle, maisla vision y est floue.

Angle de vuepériphérique

Périphériede la rétine

Fovéa

Nerf optique

Angle de vuede la fovéa

Raph

ael Q

ueru

elBibliographie

A. Lieury, Tousles secrets de votrecerveau, Dunod,2012.A. Lieury,Psychologie cognitive, Coll. Manuels visuelsde licence, Dunod,2008.R. Goigoux,Apprendre à lireà l’école : les limitesd’une approcheidéovisuelle,in PsychologieFrançaise, vol. 45,2000.E. Jamet, Lectureet réussite scolaire,Dunod, 1997.J. Gombertet M. Fayol,La Lecture,compréhension, in Manuelde Psychologie pourl’Enseignement, sous la dir. de D.Gaonac’het C.Golder, Hachette,1995.

7-Ess11_pxxxxx_meth_glob_lieury_bsl.qxp 3/07/12 17:07 Page 38

Page 41: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

© L’Essentiel n° 11 août - octobre 2012 39

L’apprentissage dans le cerveau

Elena

Ros

tunov

a /

Shutt

ersto

ck

Quelles capacités cognitives sont sollicitées par un apprentissage ? Quelles sont les aires cérébrales qui y participent ? Les mécanismes

neurocognitifs impliqués se révèlent, et l’on découvre qu’il est possible de les stimuler et de les entretenir.

Ess11_p039039_ouverture2.qxp 4/07/12 16:43 Page 39

Page 42: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

40 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho

Àl’heure où tant de questionsse posent sur l’enseignement,on se prend à rêver : et si lesconnaissances sur le cerveaudont nous disposons aujour-

d’hui servaient à mieux comprendre com-ment les élèves apprennent et à mieux ciblerles méthodes et stratégies utilisées pour trans-mettre les connaissances ? Mais dans les sphè-res de l’enseignement, on ignore à peu prèstout de la façon dont notre cerveau permetd’avoir prise sur le temps et l’espace, l’atten-tion, la motivation et, d’une façon générale,la régulation des émotions.

Aujourd’hui, on peut se demander pour-quoi ceux qui conçoivent la formation des

enseignants n’ont pas jugé pertinent d’intro-duire, comme pour les futurs psychologues,des bases de neurosciences. Car c’est bien lecerveau qui permet d’apprendre, et ce der-nier obéit à des règles de fonctionnement.

Les neuroscientifiques savent à quel pointémotion et cognition sont liées. L’appren-tissage n’est pas possible sans que ne se pro-duise une déstabilisation cognitive, un pro-cessus d’« assimilation et d’accommodation »comme l’a nommé le psychologue suisse JeanPiaget (1896-1980). Cette déstabilisationcognitive qui a des répercussions au plan affec-tif engendre dans un premier temps une frus-tration liée au fait que ce que l’on savait n’estplus pertinent et qu’on doit le remettre enquestion. En effet, la nécessité de l’apprentis-sage se présente quand on s’aperçoit que nousne disposons pas des savoir-faire ni des res-sources nécessaires à la résolution de tel ou telproblème. Il faut alors sortir de la sécurité dela routine, et tant que l’apprentissage n’estpas terminé, les frustrations s’accumulent àchaque « raté ». Ces frustrations résultentpresque toujours du fait que nous prenonsconscience que nous ne sommes pas tout-

Les neurosciencesinspirent l’enseignement

L’apprentissage dans le cerveau

Psychologues et neuroscientifiques identifient six grandescapacités cérébrales à prendre en compte pour favoriser les apprentissages. D’où l’intérêt d’établir des passerelles

entre les recherches et les pratiques enseignantes.

Daniel Favre,docteuren neurosciences,est professeuren sciencesde l’éducationà l’IUFMde Montpellier.

• Six fonctions cognitives et affectives jouant un rôle clédans l’apprentissage ont été identifiées.

• Ces fonctions cognitives sont toutes sous-tenduespar une même aire cérébrale : les lobes frontaux.

• Une meilleure prise en compte de cette réalité psychobiologiqueéviterait sans doute bien des échecs scolaires.

En Bref

8-Ess11_pxxxxx_neuroens-favre_bsl.qxp 4/07/12 12:04 Page 40

Page 43: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

puissants et que nous devons rectifier l’imageque nous avons de nous-mêmes, ce qui nousrend plus modestes. C’est le désir d’obtenir« tout, et tout de suite » qui, parce qu’il n’estpas satisfait, peut engendrer des frustrationsde plus en plus difficiles à supporter.

« Naturellement» motivé

La déstabilisation cognitive et affective pré-sente dans tout apprentissage ouvre chezl’« apprenant » une période de vulnérabilité aucours de laquelle il ne faut pas l’affaiblir. Carl’élève affaibli peut devenir à son tour affai-blissant : l’échec scolaire entraîne la violencescolaire, comme l’ont montré diverses études.

Heureusement, le cerveau de l’homme et denombreux mammifères est également orga-nisé pour fournir des « récompenses biologi-ques », en particulier sous forme de dopamine,à l’individu qui explore et résout des problè-mes ou surmonte des difficultés. On a montréque c’est précisément au moment où le rat

résout l’énigme posée par un labyrinthe queson cerveau libère de la dopamine dans sapartie préfrontale (voir la figure 2). Des émo-tions agréables peuvent donc accompagner unapprentissage réussi. Comme chacun a pule vérifier par lui-même, tout apprentissageréussi, tout gain d’autonomie procure unplaisir particulier qui n’est dû qu’à soi-même.L’apprentissage est « naturellement » motivé,sans qu’il soit besoin d’une source externe.

Que conclure de ce préambule ? Qu’appren-dre suscite des émotions différentes selon lespersonnes et aussi selon que l’apprentissage enest à son début, en cours ou terminé. Tout porteà penser que lors d’un apprentissage au moinsdeux types d’émotions et de motivations oppo-sées et complémentaires, de l’ordre de la pertede sécurité pour la première et du plaisir d’in-nover pour la seconde, animent l’apprenant.

Le phénomène d’assimilation et d’accom-modation met aussi en exergue l’importancede la flexibilité mentale dans les processusd’apprentissage. Ce qui suscite de l’anxiété

© L’Essentiel n° 11 août -octobre 2012 41

1. Les savoirsse mémorisentet se construisent grâce au cerveau.

Et pourtant,les professionnels de l’enseignement

connaissent encoreassez peu les grandes

lois du fonctionnementcérébral.

Anat

omica

l des

ign

- Sun

ny_b

aby

/ Sh

utter

stock

.com

8-Ess11_pxxxxx_neuroens-favre_bsl.qxp 4/07/12 12:04 Page 41

Page 44: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

42 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho

chez l’élève en situation d’apprentissage,c’est bien souvent le fait de devoir renon-cer momentanément à ce qu’il croyait vraipour accéder à de nouvelles méthodes derésolution, ou à de nouvelles représenta-tions. Cette capacité relève de la flexibilitémentale, une capacité qui dépend de certai-nes zones du cerveau, en l’occurrence leslobes frontaux. Ce sont aussi les lobes fron-taux qui donnent la possibilité d’avoir uneprise sur nos émotions, ce qui permet aujeune de ne pas être esclave de ses émotions,mais d’en prendre conscience et de les uti-liser au mieux pour progresser.

Comme nous le verrons, les lobes frontauxsont la clé de l’apprentissage : comprendreleur fonctionnement et le faire comprendreaux personnes chargées de l’enseignementprojette un éclairage nouveau sur la façondont l’être humain apprend.

Une particularité de l’être humain semblerésider dans la possibilité qu’il a de prendre,en partie, les « commandes » de lui-même.C’est possible pour la motricité des jambes versl’âge de un an. Parfois, la commande est mixte :c’est le cas pour la respiration, qui fonctionneen grande partie sur un mode automatique,mais peut aussi être contrôlée volontairement,par exemple avant de plonger en apnée.

La cabine de pilotage qui offre une prise surle temps, l’espace et nos émotions est rarementprésentée aux élèves et peu d’enseignants oude parents connaissent les possibilités du cer-veau de ceux dont ils ont en charge l’éducation.C’est la conscience qui fait l’objet de l’éduca-tion ; or la structure nerveuse, qui offre la pos-sibilité de « prendre conscience », est consti-tuée essentiellement par nos lobes frontaux.

Ces aires antérieures du cerveau font partiedes structures nerveuses apparues le plusrécemment dans l’évolution des vertébrés.Ce sont également celles dont la maturations’achève en dernier puisque la fin de la myéli-nisation des fibres nerveuses des lobes frontauxhumains a lieu vers l’âge de 15-16 ans. Le volu-me des lobes frontaux augmente au cours dela croissance pour constituer chez l’hommepresque un tiers de la totalité du cortex, unrecord absolu chez les primates (voir la figure 3).

Que font les lobes frontaux en classe, lors-que le professeur fait son cours ? Ils remplis-sent six grandes fonctions, qui peuvent aussiêtre considérées comme six grands « pou-voirs » donnés à un sujet sur le temps, l’espaceet l’affectivité. Trois de ces fonctions – capa-cité de représentation, flexibilité mentale etplanification – donnent à l’élève une prise surle temps au cours de l’apprentissage ; deuxautres – attention et initiative – lui confèrentun pouvoir sur l’espace. La dernière, la modu-lation émotionnelle, permet de réguler sonniveau d’émotivité pour tirer le meilleur partides situations d’apprentissage.Voyons en quoiconsistent ces six grandes fonctions.

Voir les yeux fermés

La première fonction des lobes frontaux estl’évocation de ce qui n’est pas présent : c’est lacapacité de représentation mentale. La perma-nence des perceptions sensorielles en l’absencede nouveaux stimulus est, en effet, la conditionnécessaire pour disposer de représentationsdurables du monde et de soi. On peut ainsiévoquer le visage d’un parent ou d’un ami, sachambre d’enfant. Tout se passe comme si, au-

2. La dopamine, une substanceassociée au plaisir, est libérée dansle cerveau quand on apprend à trouverla solution à un problème.Le neuroscientifique allemand Holger Starka étudié le comportement de rats cherchantla solution à des difficultés (ici, atteindreune récompense dans un labyrinthe). Le plaisirest éprouvé même en l’absencede récompense explicite, preuveque le cerveau est naturellementmotivé pour l’apprentissage.

Sexto

acto

/ S

hutte

rstoc

k

8-Ess11_pxxxxx_neuroens-favre_bsl.qxp 4/07/12 12:04 Page 42

Page 45: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

© L’Essentiel n° 11 août -octobre 2012 43

dessus du plan des yeux et à environ 30 centi-mètres en avant, dans un « espace psychiqueprivé », nous pouvions convoquer d’anciennesperceptions sensorielles visuelles. Il en est demême pour les autres sens : auditif, olfactif, tac-tile ou vestibulaire, mais les évocations sontmoins faciles à repérer spatialement. Avec noslobes frontaux, nous voyons sans les yeux,entendons sans les oreilles…

Cet espace de simulation pourrait permet-tre d’apprendre les yeux fermés.Voici un exem-ple en géométrie inspiré de la pédagogie deCaleb Gattegno, auteur en 1972 de l’ouvrageCes enfants : nos maîtres ou la subordination del’enseignement à l’apprentissage. Cette leçonparticulière commencerait ainsi : « Veuillez fer-mer les yeux et visualiser un carré ou un rec-tangle vertical. Une fois que cette image est sta-ble, visualisez un axe vertical qui coupe lesdeux côtés horizontaux par leurs milieux etfaites bouger ce carré ou ce rectangle autourde cet axe qui reste fixe. Une fois que le qua-drilatère a été rendu mobile autour de cet axe,faites-le tourner de plus en plus vite… Quevoyez-vous ? » Ce petit exercice, qui doit nousmontrer le cylindre engendré par la rotationdu carré ou du rectangle, présente l’avantagede fournir une expérience perceptive person-nelle avant de se voir attribuer par l’enseignantla définition du cylindre et la formule qui per-met de calculer son volume.

Dans cet exemple, l’élève devient acteuret explorateur ; celui pour qui cet exercice estplus difficile ou inhabituel pourra être accom-pagné afin de voir avec lui à quelle étape il n’yparvient pas et pourquoi.

Je connais plusieurs professeurs d’éduca-tion physique et sportive qui, intuitivement,

ont utilisé la « pédagogie des yeux fermés »pour faire effectuer mentalement à des élèvesun exercice complexe leur paraissant impos-sible, par exemple un saut au cheval-d’arçons.Ce faisant, ils ont permis aux élèves de repé-rer l’étape qui les bloquait et, après quelquessimulations mentales, de se débloquer et devisualiser l’ensemble du mouvement… Puisde le réaliser effectivement ! Chaque ensei-gnant peut essayer de reprendre, en classe,cette notion fondamentale concernant leslobes frontaux : il s’agit de travailler sur lavisualisation et l’imagination, deux actes men-taux qui stimulent ces aires cérébrales et aidentà mieux aborder les concepts traités.

Se remettre en question

La deuxième grande fonction des lobes fron-taux permet d’échapper à la répétition et, parconséquent, d’apprendre. Il s’agit de la capa-cité d’abandonner une règle, une façon derésoudre un problème, une représentation ouun comportement, pertinents à un momentdonné, mais qui ne correspondent plus aux exi-gences d’une situation nouvelle.

Si apprendre consiste, comme on le penseactuellement en sciences de l’éducation, àchanger de système de représentation, alorschacun dispose de l’équipement nécessairepour apprendre tout au long de sa vie. Rappe-lons que, d’après le principe d’assimilationet d’accommodation de Piaget, l’élève doitpouvoir se séparer d’anciennes représen-tations pour les faire évoluer face au pro-blème à résoudre. Or si le changement derègles dans un test classique de flexibilitémentale en laboratoire se fait sans difficulté,

Chat Chien Singe

Homme

3. Les lobes frontaux (en blanc) se sont développés au fil de l’évolution, durant des millions d’années. Notre espècea progressivement acquis des capacités cognitives, telles que la planification, l’attention ou la capacité de représentation,

qui sont aujourd’hui les piliers de l’apprentissage chez l’enfant. L’enseignement gagnerait certainement à tenir comptede l’existence de ces capacités spécifiques de l’être humain qui se sont élaborées au fil du temps.

Raph

ael Q

ueru

el

8-Ess11_pxxxxx_neuroens-favre_bsl.qxp 4/07/12 12:04 Page 43

Page 46: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

l’attachement affectif à des idées et la néces-sité de les remettre en question se révèlentparfois anxiogènes.

À mon sens, cette période de vulnérabi-lité pour les élèves devrait faire l’objet d’unaccompagnement sur deux plans. Sur leplan émotionnel, il s’agirait de faire pren-dre conscience à l’élève de sa propre peurde se tromper, pour qu’il puisse s’en libérerau moins en partie. Sur le plan cognitif, cettesituation de remise en question des idéespréalables peut être l’occasion de réfléchirde façon moins dogmatique et de se déga-ger de l’emprise des certitudes. Pendant cettepériode d’apprentissage, on peut inviter lesélèves à préciser leur pensée, à faire des hypo-thèses, à se tromper, recommencer, tâtonner,utiliser les erreurs comme des informationspertinentes. De cette façon, l’abandon desidées préalables n’est plus vécu comme angois-sant, mais comme un moyen de progresser.

C’est pourquoi il est important de créer unclimat de sécurité, sans jugement ni stress, quisoit suffisant pour que les émotions accompa-gnant la déstabilisation cognitive ne soient pastrop fortes et ne provoquent pas une inhibi-tion des lobes frontaux. Les évaluations PISA

de l’OCDE (Programme international pour lesuivi des acquis des élèves) de 2003 ont mon-tré que les élèves français sont sept à huit foisplus nombreux qu’en Finlande à se déclarerstressés durant un contrôle de mathématiques.

Se projeter dans l’avenir

Une troisième fonction temporelle deslobes frontaux confère la capacité de se repré-senter l’avenir, de former un projet ou de seconstruire un programme d’action et de véri-fier son exécution. Grâce aux lobes frontaux,il devient possible de sortir de la logique de

l’immédiateté pour se projeter dans une tem-poralité plus longue en introduisant uneliberté nouvelle : celle de créer un projet per-sonnel permettant ainsi à un sujet potentielen devenir de se manifester.

Pour utiliser cette capacité, chaque élèvegagnera à avoir une idée claire de la tâche àaccomplir. L’élève doit aussi avoir consciencedu temps de son parcours, qu’il s’agisse del’année scolaire ou, au minimum, d’un tri-mestre. À cet égard, c’est l’enseignant qui peutlui permettre de repérer un point de départet un point d’arrivée. Comment ? En réalisantce qu’on pourrait appeler une « évaluationdiagnostique ». Il s’agit pour l’élève d’acqué-rir une vision claire de ce qu’il sait faire, endébut d’année. Une telle évaluation doit êtretrès précise en fonction de la matière ensei-gnée et du niveau scolaire. De cette façon,l’élève sera en mesure de se représenter sescompétences réelles, ce qu’il a déjà acquis parapprentissage, et les compétences et connais-sances qu’il doit acquérir pour passer dans laclasse supérieure ou s’orienter vers les spécia-lités de son choix.

Prendre des initiatives

Les trois fonctions temporelles des lobesfrontaux agissent en synergie. Par exemple, laréalisation d’un projet nécessite d’accéder à unespace de représentation et de simulation men-tale où sont convoquées d’anciennes percep-tions sensorielles ; de pouvoir se dégager de larépétition et de ce qui a été une solution perti-nente, mais dans un autre contexte ; enfin, dese représenter l’écoulement du temps à venir.Les deux fonctions suivantes des lobes fron-taux, la capacité d’initiative et l’attention,concernent la relation de l’élève avec l’espace.

La première lui confère la capacité dedéclencher une suite de gestes pour résoudreune tâche donnée. Les neurobiologistes dis-tinguent deux sortes de mouvements à cetégard : d’une part, ceux qui sont hétérodéter-minés (c’est la réaction d’un sujet qui obéit àune consigne telle que « Lorsque la lamperouge s’allumera, vous prendrez avec votremain droite le cube qui est posé sur la tabledevant vous ! ») et, d’autre part, les mouve-ments autodéterminés (« Quand vous le déci-derez, prenez le cube ! »).

Dans le premier cas, les lobes frontaux sontinactifs. Les personnes aux lobes frontaux lésésrestent capables de produire de tels mouve-

44 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho

4. Jean Piaget, psychologue suisse,a étudié le développement des capacitéscognitives de l’enfant et a proposéle concept d’assimilation etd’accommodation, selon lequelun élève doit déstabiliserses représentations préexistantespour qu’elles puissent s’adapterau nouveau problème à résoudre.

8-Ess11_pxxxxx_neuroens-favre_bsl.qxp 4/07/12 12:04 Page 44

Page 47: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

ments en réaction à des injonctions. Toutefois,dans le second cas, les lobes frontaux sont lespremières zones du cerveau à devenir actives ;ce sont eux qui déclenchent le mouvement.Tout se passe comme si, dans cette partie denotre cerveau, existait une interface séparantl’espace psychique de représentation (le faitde se représenter un cube, une décision, unmouvement) et les neurones qui comman-dent la longue chaîne d’effecteurs (allant desaires motrices corticales aux motoneuronesde la moelle épinière responsables de lacontraction des différents muscles) permet-tant de saisir l’objet en question.

Quel enseignement en tirer ? Certains pro-fesseurs donnent à leurs élèves des consignesdu type : « Prenez le livre de mathématiques,allez à la page 32, faites l’exercice numéro 4 ! »Il est évident que de telles consignes placent lesélèves en « référence externe », où ils décidentde leurs conduites en réaction à une stimula-tion qui leur est extérieure. Je trouve impor-tant que les enseignants puissent ménager despauses pour solliciter un peu plus les lobesfrontaux de leurs élèves en leur permettant depasser, au contraire, en référence interne. Parexemple : « Quand vous pensez avoir compristelle notion, choisissez un exercice dans telleliste pour vérifier que vous l’avez effectivementcomprise et inventez une méthode personnellepour mémoriser cette définition. »

Car c’est bien l’enjeu de l’éducation et del’apprentissage : à chaque étape de la vie sco-laire, du primaire à l’université, l’élève doits’autodéterminer, acquérir toujours plus d’au-tonomie. Alors, proposons-lui le plus tôtpossible un type d’interaction avec l’ensei-gnant qui favorise la prise d’initiative per-sonnelle. Souvent, il suffit que l’enseignants’en convainque pour que le ton change et quela référence interne soit choisie par le jeune.

Dirigeret maintenir l’attention

Mais abordons la deuxième fonction spa-tiale des lobes frontaux, à savoir la capacitéà diriger et à maintenir durablement sonattention lors de la formation et de la réali-sation d’un projet. Cette capacité est néces-saire pour planifier les actes et les exécuter enconformité avec des intentions ordonnées.

L’attention sélective, imputable aux lobesfrontaux, est une faculté qui se développe parla pratique et l’entraînement (voir la figure 5).

L’enjeu, au fil de la scolarité et du développe-ment d’un enfant, est d’acquérir une certaineendurance attentionnelle, pour accéder à larésolution d’exercices de plus en plus com-plexes. Alors pourquoi ne pas inviter les élèvesà se tester, à mesurer, montre en main, com-bien de temps ils arrivent à rester focalisés surun problème à résoudre ? Et ajouter des pointssupplémentaires quand ils progressent ?

La capacité d’autodétermination et celled’endurance attentionnelle, toutes deuxsous-tendues par les lobes frontaux, confè-rent une prise sur l’espace extérieur : la pre-mière permet de déclencher des mouvementsselon des intentions, et la seconde de se repé-rer dans l’espace en identifiant parmi lesinnombrables informations qui nous par-viennent celles qui sont signifiantes. Maispour de nombreuses raisons, l’élève peut ne

© L’Essentiel n° 11 août -octobre 2012 45

I l s’agit de la capacité de représentation (imagination), la flexi-bilité mentale (capacité à abandonner d’anciennes représenta-

tions pour de nouvelles plus adaptées), la planification (organi-ser son travail selon une échelle de temps), la capacité d’initiative(décider par soi-même de faire tel ou tel exercice), l’attention(sélectionner les informations pertinentes au milieu des autres)et la régulation des émotions (avoir conscience de l’état affectifoù l’on se trouve au moment de commencer un travail).Toutesces capacités sont associées aux lobes frontaux.

Six grandes capacités cérébrales

Capacité de représentationImagination

Planification Conscience du temps

Régulation des émotions

Attention

Flexibilité mentale :sélection des informations pertinentes et abandondes représentations inadaptées

Capacité d’initiative Autodétermination

Shutt

ersto

ck -

Raph

ael Q

ueru

el

8-Ess11_pxxxxx_neuroens-favre_bsl.qxp 4/07/12 12:04 Page 45

Page 48: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

pas être attentif à ce que l’enseignant lui pro-pose : envie de distraction, attitude de refusou de confrontation, besoin de sensationsimmédiates.

Cela nous ramène à la question des diffé-rents types de motivations qui interviennenten situation d’apprentissage : la motivation parsécurisation, à l’origine du plaisir lors de la réa-lisation de tâches maîtrisées, ou lorsque l’élèvereçoit de l’affection ou de la reconnaissance ;la motivation d’innovation qui procure du plai-sir lorsque l’élève se sent progresser, ou en phasede découverte ; et enfin la motivation d’addic-tion, qui favorise les conduites répétitives, enpoussant l’élève à satisfaire des jugements quiont été émis sur lui (par exemple, il rate sondevoir de mathématiques, car il a toujoursentendu qu’il était mauvais en mathémati-ques, mais il a le plaisir de se sentir exemptéà vie de faire des efforts dans cette discipline).Lorsqu’un élève ne mobilise pas suffisammentd’attention lors d’un apprentissage, il faut savoiractiver ces deux premières motivations (maispas la troisième !), selon les circonstances.

Dernière caractéristique essentielle deslobes frontaux : ils sont étroitement connec-tés aux structures nerveuses associées à lagenèse des émotions. Mais il s’agit d’une dou-ble commande, car si les lobes frontaux peu-vent inhiber le fonctionnement du cerveauaffectif et émotionnel, l’inverse est aussi vrai.Notre liberté d’action et de pensée réside dansla possibilité de ne pas obéir à l’impulsivité.Cela suppose d’avoir le choix entre se laisser

aller à un débordement émotionnel ou, aucontraire, le moduler ou même l’inhiber selonnos projets. Quand le « pilote » donne sonaccord aux lobes frontaux et autorise le débor-dement émotionnel, agréable ou désagréable,à s’installer, ce dernier entraîne en retour uneinhibition fonctionnelle temporaire des lobesfrontaux et donc la perte de contrôle sur letemps, l’espace et sur les comportements pro-voqués par ce débordement émotionnel.

Réguler ses émotions

Dans la cabine de pilotage, le pilote qui veutconserver ce statut doit rester en contact avecses émotions, ses sources de motivations etses sentiments, bref avec ce qui le meut, luidonne de l’énergie ou l’en prive. Être vivant,c’est être traversé par toutes sortes d’émo-tions généralement peu durables allant de ladétresse paroxystique aux sommets de l’eu-phorie et du plaisir. La « bonne santé psycho-logique » consiste à pouvoir rester conscientdes mouvements s’opérant entre ces extrêmes.

En outre, il est d’autant plus importantd’être en contact avec ses émotions que de leurintensité dépend notre perception du monde.En effet, dès lors que l’intensité des émotions(agréables ou désagréables) augmente, les lobesfrontaux commencent à être inhibés, suscitantun sentiment de perdre le contrôle. Le mondeintérieur et la réalité extérieure se mélangentet le sujet a tendance à projeter ses émotionset ses sentiments sur le monde extérieur. Cesont des émotions réelles, mais qui ne sont pasforcément en relation avec la réalité.

En revanche, les émotions moins intensesn’inhibent pas les lobes frontaux. Ceux-ci,associés à d’autres structures cérébrales commele cortex prémoteur où siègent les neuronesmiroirs, ont la capacité de réfléchir la réalitéextérieure. Il en résulte une sensibilité à autrui,à ses émotions et ses modes de pensée (enprenant garde de ne pas les confondre avecles siens propres). Cela suppose de vérifierque l’on n’est pas soi-même dans un état dedébordement émotionnel.

Savoir apprécier son état de débordementémotionnel est, pour cette raison, un préala-ble qui paraît indispensable à l’apprentissage.Apprendre, c’est cultiver une relation d’empa-thie avec l’enseignant, contrôler ses actes et sespensées, être dans une attitude favorable.

On ne se demande pratiquement jamais, audébut d’un cours, si les élèves sont dans l’état

46 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho

5. Ce test évalue la qualité de l’attention, et peutaussi apprendre à l’enfant comment être attentif et le rester. L’enfantdoit identifier 15 objets entremêlés. Cela l’oblige à concentrerson attention sur un motif au milieu d’une multitude d’autresinformations susceptibles de le distraire.

8-Ess11_pxxxxx_neuroens-favre_bsl.qxp 4/07/12 12:04 Page 46

Page 49: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

d’esprit correspondant. Il serait profitable deprocéder à cette petite vérification en début eten fin de journée, ou chaque fois que l’étatémotionnel des élèves n’est pas compatible avecl’apprentissage. Il s’agit concrètement d’entraî-ner les élèves à repérer comment ils se sen-tent intérieurement, puis de leur demanderde se situer sur une échelle allant d’un état« 100 pour cent agréable » à « 100 pour centdésagréable ». Une telle pratique attribue uneplace légitime à la dimension affective et aucorps de l’élève dans la classe. Elle permet enoutre aux élèves de mettre en mots les effetsqu’ont pu avoir sur eux certains événementsperturbants et de retrouver des conditionsfavorables à l’apprentissage.

Quand les lobes frontauxsont inhibés

Voyons maintenant ce qui se passe chez unélève qui, pour des raisons qui nous échap-pent (dysfonctionnement familial, violenceou négligence affective), est en situation desouffrance. Cette souffrance, qu’elle se mani-feste par un repli sur soi ou une hyperacti-vité, correspond à un bouillonnement émo-tionnel se traduisant par une inhibition plusou moins chronique des lobes frontaux.

Dans ce cas, l’élève peut avoir du mal à sereprésenter ce qu’on lui demande, à changerde représentation ou de comportement, àesquisser des projets, à se prendre en main,rester attentif et contrôler ses émotions dansla mesure où il tolère mal la frustration. Onpeut reconnaître dans ces six symptômes ledéficit fonctionnel, heureusement réversible,des lobes frontaux. Il ne servirait donc à riende lui en vouloir (ou de s’en vouloir) : cetélève n’est pas en état d’apprendre et les ensei-gnants ne sont pas des psychologues manda-tés pour conduire des psychothérapies.

En revanche, si l’école peut constituer un lieuoù il se sent en sécurité et accepté sans juge-ment, il devient possible de l’observer et derepérer des fenêtres temporelles durant lesquel-les ses lobes frontaux sont en quelque sortedébloqués. Il sera opportun de lui proposer àces moments-là des apprentissages dont la réus-site le fera grandir sur le plan psychologique,fonctionner davantage en référence interne,devenant ainsi moins vulnérable à des environ-nements familiaux peu favorables. D’ailleurs,certains enseignants savent détecter intuitive-ment ces périodes favorables à l’apprentissage.

Le phénomène de résilience s’explique enpartie par le rôle protecteur et émancipateurde l’école. En effet, une proportion importanted’élèves disposant de « mauvaises cartes» audépart va pouvoir progresser grâce au rôle res-taurateur de la motivation de sécurisationexercé par les tuteurs de résilience que sontpotentiellement les enseignants.

Pour finir, gardons des lobes frontauxl’image d’une cabine de pilotage qui permet

au pilote d’apprendre et de s’autoréguler.C’est aux jeunes élèves d’apprendre à s’ins-taller aux commandes de cette cabine de pilo-tage, mais c’est aux adultes, aux éducateurs,aux enseignants d’inciter le jeune à monterdans la cabine de lui-même en lui montrantles avantages (les six « pouvoirs » que confè-rent les lobes frontaux). Toutefois, l’élèveétant avant tout un sujet en devenir, il peutrefuser, et il vaut mieux s’y préparer...

Et l’enseignant ?

Une réflexion s’impose à l’enseignant, lui-même doté de lobes frontaux ! Lui aussi inter-prète les informations sensorielles et émotion-nelles qui arrivent à ses lobes frontaux et il doitrester en contact avec ses émotions et ainsi don-ner l’exemple. Il n’est pas équivalent d’affirmer,sur un mode « projectif » : « Les élèves sontpénibles cette année ! » ou d’analyser la situa-tion : « Depuis le début de la matinée, je sensmonter en moi de l’irritation déclenchée parle fait que deux élèves bavardent ! »

Évidemment, on ne sait pas tout des capa-cités d’apprentissage du cerveau humain. Maisla psychologie a fait un long chemin depuisPiaget, en devenant maintenant une psycholo-gie de la self regulation compatible avec lesacquis des neurosciences : un « portrait de l’ap-prenant » plus précis peut être ébauché. Il resteencore beaucoup à explorer sur le plan des res-sources du cerveau, mais serons-nous capablesde concrétiser ce savoir en pratiques d’ensei-gnements et d’en faire bénéficier les professeurslors de leur formation professionnelle ? �

© L’Essentiel n° 11 août -octobre 2012 47

Bibliographie

D. Favreet L. Simonneau,

Learning aboutnon-dogmatic thinking,

in V. Chatzi (dir.),Psychology of selfregulation, Nova

Science Publishers,New York, 2012.

D. Favre, Cessons de démotiver

les élèves – 18 cléspour favoriser

l’apprentissage,Dunod, 2010.

D. Favre, Transformer la violence des élèves.Cerveau, motivations

et apprentissage,Dunod, 2007.

H. Stark et al.,Learning a new

behavioral strategyin the shuttle-box

increases prefrontaldopamine,

in Neuroscience,vol. 126, pp. 21-29,

2004. J. Mayer et al.,

Emotional intelligenceas a standard

intelligence,in Emotion, vol. 1,

pp. 232-242, 2001.

Les lobes frontaux permettent au pilote d’établir le plan de vol de l’apprentissage et de fixer des objectifs.

8-Ess11_pxxxxx_neuroens-favre_bsl.qxp 4/07/12 12:04 Page 47

Page 50: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

48 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho

Il n’y a pas d’âge pour s’instruire. Hugo,23 ans, vient d’apprendre à jongler endeux semaines d’entraînement quoti-dien. Bien sûr, cela ne s’est pas fait toutseul. Au début, les balles lui échappaient

sans cesse. Mais tout à coup, un déclic s’estproduit, et désormais, il réussit à chaque fois.Sarah, 14 ans, a dû s’entraîner avec assiduitépour maîtriser de nouveaux pas de danse ; etpuis, tout est devenu naturel. Les seniors nesont pas en reste : Thomas, 65 ans, s’est remisaux échecs et a fait d’incroyables progrès :après un entraînement intensif face à l’ordi-nateur, il gagne presque toutes les parties.

On soupçonne que le cerveau de ces per-sonnes s’est reconfiguré. Mais de quelle façon ?La réponse à cette question est cruciale, carnous sommes façonnés par l’apprentissage.Nous acquérons en permanence de nouveauxsavoirs et des compétences variées. Et pour-tant, les neuroscientifiques ne savent toujourspas très bien quelles modifications cérébralesaccompagnent de telles acquisitions. S’agit-ild’un changement de la communication entreneurones ou de la structure même du cerveau,c’est-à-dire du substrat neuronal ?

Considérons les cellules nerveuses, ou neu-rones, comme les unités de traitement del’information. Le corps cellulaire des neuro-nes forme notamment ce qu’on appelle lasubstance grise qui constitue le cortex, c’est-à-dire la couche externe du cerveau. Chaqueneurone reçoit des signaux de ses semblables,signaux transmis d’un neurone à l’autre pardes zones de contact nommées synapses, puisvéhiculés par les axones. Ces derniers sont desprolongements neuronaux connectant lesneurones sur de longues distances et facili-tant la communication entre les aires céré-brales, même les plus éloignées. Les axonesforment la substance blanche et sont locali-sés sous le cortex (voir l’encadré page 50).

La couleur de la substance blanche est due àla myéline, une couche de graisse isolante quientoure les axones. Cette gaine, produite pardes oligodendrocytes, est indispensable à la pro-pagation des signaux neuronaux et à la com-munication entre neurones. Elle assure unecommunication rapide de l’information, sansperte d’intensité du signal. La gaine de myélineest interrompue par ce que l’on nomme desnœuds de Ranvier, si bien que les signaux « sau-

L’apprentissage modifie le cerveau

L’apprentissage dans le cerveau

Le simple fait d’apprendre modifie la structure du cerveau. Les neurones se connectent davantage, et les « câbles de communication » à longue distance

se renforcent pour mieux transmettre l’information.

Jan Scholtztravaille au Centred’IRM fonctionnellecérébralede l’Universitéd’Oxford.Miriam Kleintravailleau DépartementSobellde neurosciencesmotriceset des troubles du mouvement à l’Université de Londres.

9-Ess11_pxxxxx_apprent_scholtz_bsl.qxp 3/07/12 17:09 Page 48

Page 51: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

tent » de nœud en nœud. Sans ces interrup-tions, les signaux se déplaceraient plus lente-ment et leur intensité diminuerait sur les lon-gues distances (voir l’encadré page 52). Ainsi,la myéline influe sur la vitesse et sur l’intensitédes impulsions nerveuses : plus la couche iso-lante est épaisse, plus la communication entreneurones est rapide.

Comment se manifeste l’apprentissage d’unenouvelle compétence ? Par une modificationde la communication entre neurones. Lors del’apprentissage d’une capacité motrice (parexemple, apprendre à jongler), la substanceblanche se remodèle. De nouveaux axones sontcréés, ou bien la couche de myéline s’épaissit.Grâce à ces modifications, les signaux nerveuxissus de l’aire visuelle seraient transmis plusvite et plus efficacement vers les régions motri-ces qui commandent les mouvements desmains. La coordination visuomotrice, c’est-à-dire la coordination entre les mouvementsdu bras et l’observation des balles, s’amélioreen lien avec la tâche consistant à jongler.

La substance grise pourrait elle aussi semodifier. Qu’il s’agisse de la création de nou-veaux corps cellulaires ou de nouvelles synap-ses, de telles modifications permettraient au

cerveau de traiter l’information de façonplus précise, améliorant la coordination desmouvements et des yeux. L’adaptation de lasubstance blanche conduit à une optimisa-tion de la transmission de l’information, cellede la substance grise en assure un meilleurtraitement (voir l’encadré page 51).

Augmentation de la substance blanche

L’une et l’autre sont essentielles pour opti-miser les performances du cerveau. Un infor-maticien procède de la même façon lorsqu’ilveut améliorer les performances d’un réseaunumérique. D’une part, il cherche à optimi-ser l’ordinateur en ajoutant des programmeset, d’autre part, il peut augmenter son débitInternet pour permettre un accès plus rapideà l’information. Privilégier uniquement l’undes deux est inutile : un ordinateur perfor-mant attendant sans cesse de nouvelles infor-mations est aussi inutile qu’un ordinateurpeu performant devant gérer un flux d’infor-mations trop rapide.

En 2004, le neurologue allemand Arne Mayet son équipe ont étudié les modificationscérébrales intervenant chez des apprentis jon-gleurs suivis à Regensburg. Ils ont observé lasubstance grise de 24 volontaires par imageriepar résonance magnétique, IRM,à différents sta-des de l’apprentissage de ces novices, pendanttrois mois. Leur objectif était d’apprendre àmaintenir trois balles en l’air pendant plus d’uneminute. Après l’entraînement, l’examen IRM arévélé que la substance grise, siège du traite-ment de l’information dans le cerveau, s’étaitdéveloppée dans la région des lobes temporaux.Mais qu’en est-il de la substance blanche ?

C’est ce que nous avons examiné dans notrelaboratoire en 2009. Là encore, 24 volontairesse sont entraînés une demi-heure par jour pen-dant un mois et demi, pour maintenir trois

© L’Essentiel n° 11 août -octobre 2012 49

• Le cerveau est constitué de substance grise (les corps cellulairesdes neurones) et de substance blanche, les fibres nerveuses.

• On sait depuis longtemps que l’apprentissage modifie la substancegrise dans les zones dédiées au traitement de l’information.

• On découvre que la substance blanche présente aussi une certaineplasticité. C’est pourquoi l’information est de mieux en mieux transmise d’une région à l’autre du cerveau au fil des apprentissages.

En Bref

P.G

ueva

ra, D

.LeB

ihan e

t al.,

LRM

N, L

NAD

, Neu

rosp

in, C

EA

Les millions de câblesreliant les corps cellulaires des neurones

des différentes régions du cerveau formentla substance blanche ; elle apparaît ici colorée

sur cette image d’IRM de diffusion.

9-Ess11_pxxxxx_apprent_scholtz_bsl.qxp 3/07/12 17:09 Page 49

Page 52: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

50 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho

balles en l’air pendant une minute. Outre lesexamens IRM, qui révèlent les différences struc-turelles de la substance grise entre le début etla fin de l’entraînement, nous avons recouruà une mesure dite d’imagerie par tenseur dediffusion, qui permet d’analyser la substanceblanche (voir l’encadré page 53). À la fin de l’ex-périence, les participants, tous débutants dansl’art de jongler, étaient devenus suffisammenthabiles pour maintenir les trois balles en l’airpendant au moins deux cycles. Évidemment, leplus intéressant pour nous était l’évolution deleur cerveau : la substance grise et la substanceblanche avaient augmenté, contrairement augroupe témoin n’ayant pas appris à jongler.

Les régions concernées étaient les lobespariétaux. Cette structure sous-tend la coordi-nation visuomotrice. Toutefois, les modifica-tions de la substance blanche ne reflétaient pasle degré d’expertise acquis : son épaississementsemblait résulter de l’entraînement régulier etnon du succès ou de l’échec des mouvements.

Une autre observation nous a surpris : aprèsune pause de quatre semaines sans entraîne-ment, nous avons à nouveau soumis les par-ticipants à des mesures d’imagerie cérébrale.

Malgré l’absence d’entraînement, la substancegrise avait continué à augmenter, ce qui n’étaitpas le cas de la substance blanche. Nous enignorons encore la cause.

La gaine de myélines’épaissit

En 2005, le groupe de recherche suédois duneuroscientifique et pianiste Fredrik Ullén, del’Institut Karolinska de Stockholm, est arrivé àune conclusion similaire. Ces chercheurs ontmesuré la substance blanche de différents pia-nistes professionnels avec la même méthode.Ils ont constaté que l’épaisseur de la substanceblanche était directement liée au nombred’heures de pratique du piano pendant l’en-fance. Plus le musicien avait passé de temps àjouer du piano pendant sa jeunesse, plus la cou-che de myéline était épaisse. C’était surtout vraidans deux régions : la capsule interne, quicontrôle le mouvement des doigts, et le corpscalleux, qui permet la communication entre lesdeux hémisphères cérébraux. On peut avancerdeux hypothèses : soit la substance blanche s’estdéveloppée en raison de l’apprentissage assidu

Des connexions dans le cerveau

P rès de la moitié de notre cerveau est constituée de substance blanche, laquelle entoure les millions de fibres nerveuses reliant

les différentes régions cérébrales. Ces câbles transmettent les signauxnerveux à la substance grise des régions éloignées du cortex.

Le corps calleux est également constitué desubstance blanche. Les fibres de cette struc-ture connectent les deux hémisphères céré-braux.Dans chacun des hémisphères se trouveaussi le cingulum, une voie qui associe dessignaux de natures différentes.

Les axones des neurones constituent lecœur des câbles de la substance blanche. Ilssont recouverts d’une gaine de myéline. Ilsassurent la transmission des signaux d’une airecérébrale à l’autre.

Cortex

Neurone

Axone

Gaine de myéline

Corpscalleux

Cingulum

Cervelet

Substancegrise

Substanceblanche

Corps calleux

Raph

ael Q

ueru

el /

Dere

k Jon

es, C

ardi

ff Un

iversi

ty

9-Ess11_pxxxxx_apprent_scholtz_bsl.qxp 3/07/12 17:09 Page 50

Page 53: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

© L’Essentiel n° 11 août -octobre 2012 51

Comment l’apprentissage modifie la substance grise

L’hippocampe est une région centrale du cerveau,essentielle pour l’apprentissage et la mémoire.

Depuis le début des années 1970, on y étudie les méca-nismes du « codage » de la mémoire, qui impliquentnotamment les neurones dits pyramidaux de larégion CA3 qui se projettent sur ceux de l’aire CA1 del’hippocampe, au niveau des synapses. En quoi consistele codage de l’information permettant de former lessouvenirs et de les maintenir en mémoire ? Il corres-pond à un phénomène nommé potentialisation à longterme (ou LTP) de la transmission synaptique : en d’au-tres termes, l’efficacité de la transmission entre les neu-rones présynaptiques (de l’aire CA3) et les neuronespostsynaptiques (de l’aire CA1) est augmentée (a).

Augmenter l’efficacité synaptique

La propagation d’un signal (en orange) dans le neu-rone présynaptique déclenche la libération, dans lasynapse, de glutamate, un neurotransmetteur qui sefixe sur les récepteurs postsynaptiques de type AMPAet les active (b). Ces derniers s’ouvrent et provoquentl’entrée d’ions sodium et potassium, qui dépolarisent leneurone postsynaptique et déclenchent la propagationd’un signal (en jaune). Or cette dépolarisation activeun deuxième type de récepteurs du glutamate situéssur les neurones postsynaptiques : les récepteurs NMDA.Ces récepteurs sont inactifs quand le neurone est aurepos, car des ions magnésium bloquent le canal, empê-chant l’afflux d’ions. La dépolarisation élimine ces ionsmagnésium, de sorte que les récepteurs NMDA s’acti-vent et permettent l’entrée de messagers cellulaires :les ions calcium. Ces derniers sont responsables dela LTP, c’est-à-dire qu’ils favorisent l’activation de l’élé-ment postsynaptique par le neurone présynaptique : lecalcium active un grand nombre de protéines dans leneurone, ce qui aboutit à une augmentation du nombrede récepteurs AMPA à la membrane synaptique de l’élé-

ment postsynaptique. Ainsi, pour un même nombre demolécules de glutamate libérées par l’élément présy-naptique, la LTP permet d’activer un plus grand nombrede récepteurs postsynaptiques (c) ; l’efficacité synapti-que augmente, et ce, à long terme.

Or, dans l’aire CA1 de l’hippocampe, la LTP peut neconcerner qu’un faible nombre de synapses. Cette pro-priété permet d’augmenter la capacité de stockage dechaque neurone. En outre, la LTP dans l’aire CA1 estassociative : une forte activation d’une synapse peutfaciliter la LTP des synapses adjacentes si les deux typesde connexions sont activés en même temps. Cette pro-priété est un analogue cellulaire de l’apprentissage parconditionnement, quand on apprend par exemple à unchien que le son d’une cloche est suivi d’une récom-pense. La LTP est mise en place en quelques secon-des, mais elle dure plusieurs jours, voire plusieursannées. En effet, la synthèse de nouvelles protéines etd’autres mécanismes moléculaires qui n’ont pas encoreété élucidés provoquent des changements permanentsdans les circuits neuronaux.

D’autres modifications ayant lieu dans différentessynapses se traduisent aussi par une augmentation dura-ble de l’efficacité synaptique. Ainsi, la libération de glu-tamate par l’élément présynaptique peut être favorisée,en raison de l’afflux de nombreuses vésicules de gluta-mate à la membrane. De plus, de nouvelles synapsesconnectant de nouveaux neurones (c’est la neuroge-nèse) provoquent des changements pré- et postsynap-tiques. Et l’on sait aujourd’hui que d’autres cellules céré-brales, non neuronales, participent à cette plasticitésynaptique : ce sont les cellules gliales, et notamment lesastrocytes. En conséquence, plusieurs mécanismes cel-lulaires et moléculaires permettent de stocker des infor-mations à long terme... et par conséquent d’apprendre.

Nathalie ROUACH, Laboratoire des interactions neuroglialesdans la physiopathologie cérébrale, Collège de France, Paris.

Neurone présynaptiquede l’aire CA1de l’hippocampe

Neurone postsynaptique

de l’aire CA3

RécepteurAMPA

RécepteurNMDA

Magnésium

Glutamate

Calcium

Sodiumet potassium

Amplification dusignal nerveux

a b c

Raph

ael Q

ueru

el

Signal

RécepteurAMPA

RécepteurNMDA

9-Ess11_pxxxxx_apprent_scholtz_bsl.qxp 3/07/12 17:09 Page 51

Page 54: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

du piano, soit les personnes ayant naturelle-ment une substance blanche plus développée(par exemple pour des raisons génétiques) ontplus de facilités pour apprendre le piano.

L’imagerie par tenseur de diffusion est laméthode permettant d’analyser la structureet le développement des axones dans le cer-veau humain. Mais elle n’est pas assez pré-cise, de sorte que l’on ne connaît pas le détaildes modifications cérébrales intervenant lorsd’un apprentissage. Les modifications obser-vées pourraient alors avoir plusieurs causes qu’ilest impossible de distinguer : soit les axones desjongleurs et des pianistes sont mieux isolésgrâce à une gaine de myéline plus épaisse, soitde nouvelles connexions se créent, soit encoreles axones eux-mêmes se sont épaissis. Ces troismécanismes donneraient la même image.

Des analyses histologiques pratiquées surdes animaux de laboratoire permettent d’al-ler plus loin. En 1996, l’équipe de Bernard Zalc,de l’Université Pierre et Marie Curie à Paris,a mis en évidence sur des souris que l’activitéépaissit la gaine de myéline autour des axones.En outre, en 2006, l’équipe de Sayaka Hihara,

de l’Institut Riken de recherche sur le cerveauà Wako au Japon, a découvert que chez des sin-ges, lors d’un entraînement intensif, de nou-velles connexions nerveuses pouvaient s’éta-blir. Dans ces expériences, les biologistes ontappris à des macaques à pêcher à l’aide d’unrâteau. Ils ont observé, dans les aires cérébra-les impliquées dans le maniement d’outils, desconnexions supplémentaires, absentes chez lesanimaux n’ayant pas suivi cet entraînement.Les modifications macroscopiques observéeschez l’homme pourraient ainsi être dues à lafois à un épaississement de la gaine de myélinedes axones et à de nouvelles connexions.

Les mécanismes cellulaires ou moléculai-res mis en jeu lors de la modification de lasubstance blanche restent inconnus, et denombreuses questions restent ouvertes : quel-les sont les mutations génétiques ou les méca-nismes physiologiques susceptibles d’influersur la formation de la gaine de myéline ? Lasubstance grise peut-elle être remaniée à l’âgeadulte ou seulement pendant l’enfance ?

En revanche, il est avéré que si la substanceblanche peut se développer, elle peut aussi

52 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho

L es fibres nerveuses transmettent les signaux électriquesbeaucoup plus vite et plus efficacement grâce à la gaine de

myéline qui les entoure. Certaines cellules gliales, nomméesoligodendrocytes, produisent des membranes lipidiques quis’enroulent plusieurs fois autour des axones et forment cettegaine. D’autres cellules gliales, les astrocytes, peuvent stimu-ler le processus, puisqu’elles détectent les signaux circulantdans les axones. La gaine de myéline n’enrobe pas complète-ment les axones : elle s’interrompt au niveau de rétrécisse-ments nommés nœuds de Ranvier,où la membrane de l’axoneest à nu.Ce n’est qu’en ces sites dénudés qu’un potentiel d’ac-tion peut être produit par des flux d’ions traversant la mem-brane cellulaire. Ce signal électrochimique déclenche un nou-veau flux d’ions, qui circule très rapidement dans la cellulenerveuse jusqu’au prochain nœud où il crée un nouveau poten-tiel d’action. L’excitation « saute » ainsi de nœud en nœud, cesderniers jouant le rôle d’amplificateurs des signaux électriques.

La gaine de myéline

Ion potassiumAxone

Nœud de Ranvier

Canal ionique

Ion sodium

Gaine de myéline

Impulsion nerveuse

Les nœuds de Ranvier amplifient les signaux électriques et les envoient rapidement jusqu’au

nœud suivant. Des flux d’ions traversant la membraneparticipent à ce processus.

Oligodendrocyte Axone

Raph

ael Q

ueru

el

9-Ess11_pxxxxx_apprent_scholtz_bsl.qxp 3/07/12 17:09 Page 52

Page 55: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

régresser. C’est le cas dans les maladies quiendommagent la gaine de myéline et pertur-bent la transmission des signaux. La scléroseen plaques, dont le mécanisme comporte vrai-semblablement une attaque de la myéline dusystème nerveux central par des cellules immu-nitaires, fait partie de ces maladies. De tellesattaques ralentissent, voire interrompent, latransmission du signal dans des nerfs indispen-sables. Le nerf optique ou la moelle épinièrepeuvent ainsi être touchés, provoquant destroubles visuels ou des paralysies des membres.

La maladie d’Alexander, trouble métaboli-que qui atteint certains enfants en bas âge, secaractérise par une production insuffisante demyéline à cause d’une mutation génétique.L’influx nerveux n’est plus conduit efficace-ment, et le développement moteur et cognitifde ces enfants s’en trouve ralenti. Les chercheurssoupçonnent aussi des modifications de lagaine de myéline dans d’autres maladies, qu’ils’agisse de la schizophrénie ou de l’autisme.

Les volontaires suivis dans les expériencesconduites à Oxford ou à Regensburg étaientrelativement jeunes. Mais les personnes âgéespeuvent aussi apprendre à jongler. Quelle estla plasticité de leur cerveau ? Pour le savoir,en 2008, A. May et son équipe ont reproduitleur expérience à la Clinique universitaire de

Hambourg-Eppendorf, avec des sujets âgésde 50 à 67 ans. Ils ont constaté qu’apprendre àjongler a également favorisé un épaississementde la substance grise. En revanche, on ignoreencore si la substance blanche subit aussi desmodifications chez ces sujets plus âgés. Si c’étaitle cas, des entraînements ciblés pourraientralentir la détérioration des connexions ner-veuses associée au vieillissement.

Apprendre à tout âge

En tout état de cause, même si certainesstructures cérébrales dégénèrent avec l’âge,cela ne signifie pas nécessairement que lesfacultés cognitives en pâtissent. Le cerveaupeut s’adapter à de nouvelles situations et sila performance de certaines zones du cerveaudiminue au fil des ans, d’autres aires peuventvoir leur activité augmenter.

Tout cela signifie-t-il que chacun doitapprendre à jongler pour garder un cerveauperformant ? Le mélange d’apprentissage etd’entraînement physique semble effective-ment une piste intéressante. Mais il existe biend’autres compétences dont l’apprentissagecontribue à la plasticité cérébrale, que ce soitla danse ou les échecs. Conclusion : il n’y apas d’âge pour apprendre ! �

© L’Essentiel n° 11 août -octobre 2012 53

Bibliographie

J. Scholtz et al.,Training induces

changes in white-matter achitecture,

in NatureNeuroscience, vol. 12,

pp. 1370-71, 2009.C. Lubetzki,Myélinisation

et sclérose en plaques, in Pour la Science,

pp. 44-49, n° 323,septembre 2004.

J.-A. Girault,Les nœuds de Ranvier,

le secret d’uneconduction rapide, in Pour la Science,

pp. 44-49, n° 323,septembre 2004.

L’ IRM, l’imagerie par résonancemagnétique, repose sur l’étude du

comportement des protons soumisà un champ magnétique. Dans lecorps humain, la plupart des protonsappartiennent à des molécules d’eau,lesquelles représentent 70 à 80 pourcent du cerveau.

Grâce à leur énergie thermique, lesmolécules d’eau se déplacent dans desdirections aléatoires – on dit qu’ellesdiffusent. En l’absence de frontières,elles diffusent dans toutes les directionssur la même distance : il s’agit alorsd’une diffusion isotrope.Toutefois, sielles sont confinées dans un espace closcomme dans une cellule,entourées demembranes,leur parcours est perturbéet une direction de diffusion est privi-légiée : celle des membranes. La diffu-

sion est alors anisotrope.L’imagerie partenseur de diffusion tire parti de cettepropriété de la matière.En repérant lesdirections privilégiées de l’eau dans lecerveau, la méthode permet de locali-ser les membranes cellulaires.Les fibresnerveuses,analogues à des tuyaux,per-mettent à l’eau de circuler le long de lafibre, mais limitent les mouvementsdans les autres directions.

Le degré de restriction de cesmouvements de diffusion est nomméanisotropie fractionnelle. Une aniso-tropie fractionnelle nulle représentele cas d’une diffusion isotrope, sansdirection privilégiée. Une valeur égaleà 1 reflète une diffusion entièrementanisotrope, c’est-à-dire unidirection-nelle, par exemple dans une fibre ner-veuse longue et fine.

Visualisation des axonesde la substance blanche par imageriepar tenseur de diffusion. Les espaces

blancs indiquent les endroitsoù les molécules d’eau sont

contraintes d’adopter un mouvementselon une direction privilégiée, entre

membranes des axones (diffusion diteanisotrope). Les zones noires

représentent les endroits du cerveauoù la diffusion n’a pas de direction

privilégiée, par exemple dansles ventricules (diffusion isotrope).

Anisotrope

Isotrope

L’imagerie par tenseur de diffusion

J. Sc

holtz

et M

. Klei

n

9-Ess11_pxxxxx_apprent_scholtz_bsl.qxp 3/07/12 17:09 Page 53

Page 56: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

54 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho

Apprendre – un nouveau mé-tier, un théorème mathémati-que, un cours d’histoire, etc. –peut être une motivation en soipour un bon nombre de per-

sonnes. Mais comment motiver quelqu’un quine l’est pas « intrinsèquement » ? Chaqueparent ou enseignant a sa recette, et les conseilsen tous genres abondent. Que nous disent lesneurosciences à ce sujet ? Notre compréhen-sion du cerveau étant encore relativement gros-sière, nous, neuroscientifiques, ne disposonspas de la précision requise, au regard des théo-ries psychologiques, pour apporter des répon-ses irréfutables. Toutefois, pour certains débats,les données des neurosciences devraient êtreprises en compte. Le dilemme de la carotteet du bâton – ou comment distribuer récom-penses et punitions – fait partie de ceux-là,car nous commençons à connaître les struc-tures cérébrales mises en jeu.

Au début du XIXe siècle, le psychologueaméricain Edward Lee Thorndike (1874-1949)a été le premier à s’intéresser à la « science desrécompenses ». Celui-ci étudiait comment unchat pouvait apprendre à tirer sur une ficelle

actionnant la porte de sa cage, pour attra-per un poisson placé dehors. L’étude com-mença par une série d’échecs, de sorte queThorndike détermina comment les chatséchouent à apprendre. Par exemple, il est inu-tile de faire une démonstration au chat, avecun expérimentateur tirant sur la ficelle : lechat n’apprend pas par imitation. Il ne sertà rien non plus de prendre la patte du chatpour tirer avec lui sur la ficelle, ni de lui faireobserver l’exercice réalisé avec succès par unautre chat qui connaît l’expérience.

Le chat et l’écolierface aux récompenses

Selon Thorndike, le chat n’apprend que par« essais et erreurs ». Excité par la présence dupoisson derrière la porte de sa cage, le chat semet à griffer ce qui l’entoure et en vient, parhasard, à accrocher la ficelle qui ouvre laporte. Mais ce seul succès ne suffit pas pourque le chat comprenne comment la portes’ouvre : si on le remet dans la cage, il tâtonneà nouveau un long moment avant de réussirà déclencher le mécanisme. Toutefois, au fil

Un système cérébralde la motivation ?

L’apprentissage dans le cerveau

Envisager une récompense, et l’obtenir ; redouterune punition, et l’éviter ; ces deux formes de motivation

favorisent les apprentissages. Les neuroscientifiquescommencent à identifier les systèmes cérébraux mis en jeu.

MathiasPessiglioneest chercheurà l’Institutdu cerveauet de la moelleépinière,de l’Hôpitalde la Pitié-Salpêtrièreà Paris.

10-Ess11_pxxxxx_motivation_pessiglione_bsl.qxp 4/07/12 10:42 Page 54

Page 57: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

des tests, le chat est de plus en plus rapidepour sortir de sa cage et prendre le poisson.Cette forme progressive d’apprentissage,aujourd’hui nommée apprentissage par ren-forcement, fut décrite par Thorndike en 1911comme la loi de l’effet : lorsqu’un comporte-ment apporte satisfaction, il est plus volon-tiers reproduit si l’animal se retrouve dans lemême contexte. Ce que l’on nomme récom-pense est la propriété du stimulus donnantsatisfaction (ici, le goût du poisson) ; ce quel’on nomme renforcement est le processusfavorisant le lien entre le contexte (la cage) etle comportement (tirer sur la ficelle).

Motivation versusrenforcement

La situation étudiée par Thorndike paraîtrudimentaire comparée à celle d’un écolierqui essaie de retenir une poésie pour la réci-ter à son professeur. Mais pour les scientifi-ques qui se sont efforcés de la décomposer enprocessus élémentaires, elle est au contrairecomplexe. Elle mélange notamment un méca-nisme de motivation par incitation (déclen-ché par la vue du poisson) et un mécanismed’apprentissage par renforcement (déclenchépar l’obtention du poisson). Ce sont là deuxeffets des récompenses souvent confondus enpratique, mais qui peuvent être séparés : lamotivation pousse l’animal à agir, tandis quele renforcement l’incite à recommencer.

Transposons cette séparation de l’appren-tissage par renforcement à ce qui se passeà l’école : si le professeur annonce à l’avanceque le premier de la classe aura une récom-pense, il motive les élèves à faire davantaged’efforts. S’il ne promet rien, mais qu’ilrécompense l’élève ayant bien travaillé, il ren-force son comportement pour la suite.

© L’Essentiel n° 11 août -octobre 2012 55

• L’apprentissage par renforcement positif– avec récompense – met en œuvre un circuitcérébral où intervient la dopamine.

• Ce circuit comprend notammentle striatum, où se trouverait un centrede la motivation qui s’active d’autant plusque les récompenses sont importantes.

• L’apprentissage par renforcementnégatif ferait intervenir d’autres structurescérébrales, qui restent à déterminer.

En Bref

Junia

l entr

epris

e - V

iktor

iya /

Shu

tterst

ock.c

om

10-Ess11_pxxxxx_motivation_pessiglione_bsl.qxp 4/07/12 10:42 Page 55

Page 58: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

56 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho

Les chercheurs en neurosciences ont identi-fié les régions du cerveau qui s’activent quandun animal, ou un homme, anticipe une récom-pense ou en reçoit une. Ce sont surtout le cor-tex orbitofrontal, situé vers l’avant et vers le bas(juste au-dessus des orbites, derrière le front),des noyaux sous-corticaux tel le striatum, et dessystèmes neuromodulateurs (qui modulent latransmission entre neurones), tel celui des neu-rones dopaminergiques (voir la figure 1).

Les renforcements positifsdans le cerveau

Ces régions et systèmes cérébraux formentun réseau qui est mis en jeu pour les récom-penses primaires (recevoir à manger) et com-plexes (obtenir un diplôme). Ce réseau s’ac-tive d’abord quand on espère une récompense,et il « motive » le comportement en stimulantles régions cérébrales qui interviennent dansla tâche à accomplir, par exemple le cortexmoteur s’il s’agit d’un effort physique. Nousavons d’ailleurs montré que la partie ventraledu striatum représente un nœud central de ceréseau motivationnel : elle est capable d’ac-tiver aussi bien un effort physique qu’un effortmental (voir l’encadré page 58). Puis le même

réseau signale les récompenses obtenues, etrenforce le comportement en augmentant l’ef-ficacité des transmissions neuronales dans lescircuits impliqués dans la tâche.

Mais l’implication de ce réseau lors desapprentissages par renforcement est plus com-plexe qu’il n’y paraît. Voyons pourquoi. AprèsThorndike, est né un courant scientifiquenommé behaviorisme, qui s’est concentré surce type d’apprentissages. Ainsi, les psycholo-gues américains John Watson (1878-1958) etBurrhus Skinner (1904-1990) ont placé desanimaux (des rats ou des pigeons dans la plu-part des cas) dans des situations où la récom-pense n’est pas annoncée, pour éliminer le phé-nomène de motivation. Par exemple, un rat estdans une cage munie d’une pédale qui déclen-che la chute d’une graine, et rien ne permet aurat d’anticiper le phénomène ; mais vient unmoment où le rat monte par hasard sur lapédale et obtient sa récompense. S’engagealors le processus d’apprentissage par ren-forcement, qui permet au rat d’associer l’ac-tion d’appuyer sur la pédale et l’arrivée dela récompense dans la cage. On nommeconditionnement instrumental l’apprentis-sage par renforcement d’une association entreun contexte et une action. Cela s’oppose au

1. Le circuit cérébral de la récompense comprend notamment le cortex orbitofrontalet des noyaux sous-corticaux, tel le striatum. La dopamine fait partie de ce réseau, qui s’activequand on espère une récompense et qu’on l’obtient. De même, le circuit cérébral de la punitioncontiendrait des régions corticales – le cortex cingulaire notamment – et des noyauxsous-corticaux. Il serait modulé par un autre messager, peut-être la sérotonine.Ce réseau s’activerait quand on redoute une punition ou qu’on en reçoit une.

Cortex cingulaire

Cortex orbitofrontal

Neurone véhiculantla dopamine

Neurone véhiculantla sérotonine

Raph

ael Q

ueru

el

Striatum

Glossaire� Apprentissage parrenforcement positif :lorsqu’une actionapporte satisfaction ou récompense,elle est volontiersreproduite si l’individuse retrouve dansle même contexte.

� Apprentissage parrenforcement négatif :lorsqu’une actionengendre une punitionou une perte, elle n’est pas reproduite si l’individu se retrouvedans le mêmecontexte.

� Motivation :processus par lequelles récompensesespérées guidentle comportement.

� Conditionnementinstrumental :c’est l’apprentissage par renforcementd’une association entre un contexte et une action.

� Conditionnementclassique :c’est l’apprentissage par renforcementd’une association entre deux contextes.

10-Ess11_pxxxxx_motivation_pessiglione_bsl.qxp 4/07/12 10:42 Page 56

Page 59: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

© L’Essentiel n° 11 août -octobre 2012 57

conditionnement classique décrit par IvanPavlov (1849-1936), où un chien apprend àassocier deux contextes (le son d’une clocheet l’obtention d’une saucisse).

Pour Skinner, l’ensemble des apprentissagesse résumerait à un conditionnement instru-mental. Il pensait que l’on pouvait former despompiers ou des électriciens simplement enmanipulant les renforcements. Skinner illus-trait ce principe en montrant qu’il avait apprisà des pigeons des comportements « arbitrai-res » uniquement en utilisant des récompen-ses : par exemple, ses pigeons faisaient troistours sur eux-mêmes la tête en bas. Mais cettevision caricaturale des apprentissages a été bat-tue en brèche au milieu du XXe siècle avec l’avè-nement des sciences cognitives et les différen-tes théories de la motivation. Toutefois, mêmes’il est invraisemblable que les processus derenforcement suffisent pour apprendre, il nefaut pas négliger leur rôle.

Apprendre de ses échecs

En outre, dans la situation proposée parThorndike, on constate que le chat n’apprendpas seulement quand il réussit à ouvrir la portede sa cage. Il apprend aussi de ses échecs, c’est-à-dire quand ses actions ne lui permettent pasde se libérer. Dans l’apprentissage intervien-nent donc des renforcements négatifs, qui limi-tent les actions inutiles. Dans les années 1970,Robert Rescorla, professeur émérite de psy-chologie de l’Université de Pennsylvanie, etAllan Wagner, professeur de psychologie del’Université Yale, aux États-Unis, ont identifiéla « grandeur » qui permet les renforcementspositifs et négatifs : c’est l’erreur de prédiction,c’est-à-dire la différence entre le résultat obtenuet le résultat attendu. Autrement dit, pour lecerveau, c’est un signal de surprise précédé d’unsigne « positif » quand c’est mieux que prévu,« négatif » quand c’est moins bien.

Ainsi, quand l’erreur de prédiction est nulle,on n’apprend pas, puisqu’on peut prévoir lerésultat. Selon Rescorla et Wagner, d’un essaià l’autre, la vitesse d’apprentissage d’une asso-ciation entre contexte et action est proportion-nelle à l’erreur de prédiction : plus l’erreur estgrande, plus les associations sont modifiées.Cette règle explique la dynamique de l’appren-tissage, qui démarre rapidement avant de ten-dre vers une limite : on apprend beaucoup audépart, car le cerveau ne prévoit pas bien lerésultat, puis on ne progresse plus, car le cer-

veau sait à quoi s’attendre. Où est codée l’er-reur de prédiction dans le cerveau ?

Dans les années 1980, l’équipe du profes-seur de neurophysiologie Wolfram Schultz enSuisse étudiait l’activité des neurones dopa-minergiques chez le singe. À l’époque, onpensait que ces neurones participaient sur-tout aux paramètres liés au mouvement,puisque leur dégénérescence dans la maladiede Parkinson provoque des symptômesmoteurs. Mais W. Schultz et ses collègues ontfait une observation surprenante : lorsqu’ilsdonnent à un singe une récompense qu’iln’attend pas, ses neurones dopaminergiquesréagissent. Puis ils ont montré que ce sonteffectivement ces neurones qui codent l’er-reur de prédiction pour les récompenses.

Ainsi, le mécanisme cérébral responsablede l’apprentissage par renforcement a été misau jour : la libération de dopamine, provo-quée par une récompense imprévue, renforceles synapses des circuits fronto-striataux (entrele cortex frontal et le striatum) qui ont parti-cipé au comportement. Au contraire, si larécompense n’est pas obtenue, la dopaminediminue et les synapses impliquées dans lecomportement s’affaiblissent.

Si ce mécanisme est correct, les patientssouffrant de la maladie de Parkinson et dontle cerveau ne produit pas suffisamment dedopamine ne devraient pas apprendre par ren-forcement positif. Et c’est le cas : ces patients

2. L’apprentissagepar renforcement

consiste à adapterson comportement

en fonctiondes récompenses

obtenues, mais aussides punitions subies.

Par exemple, si un élèvea une mauvaise note

en dictée, il s’appliqueradavantage la prochaine

fois et retiendrapeut-être ses erreurs...

Szas

z-Fab

ian

Ilka

Erika

/ S

hutte

rstoc

k.com

10-Ess11_pxxxxx_motivation_pessiglione_bsl.qxp 4/07/12 10:42 Page 57

Page 60: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

apprennent facilement à éviter les actions quifont perdre de l’argent (apprentissage par ren-forcement négatif), mais pas à répéter cellesqui en font gagner (apprentissage par renfor-cement positif). Le déséquilibre est inversequand ils prennent des médicaments antipar-kinsoniens qui favorisent la libération de dopa-mine : les patients retiennent alors les com-portements gagnants, mais peinent à éviter lescomportements perdants. Les conséquencespeuvent être néfastes : les médicaments favo-risant la libération de dopamine entraînentparfois des comportements compulsifs, tellel’addiction au jeu. Comment l’expliquer ? Chezle sujet, s’installe un déséquilibre entre des ren-forcements positifs amplifiés à chaque gainet contrôlés par la dopamine, qui poussent lesujet à continuer, et des renforcements néga-tifs inefficaces à chaque perte, qui ne parvien-nent pas à l’arrêter. En conséquence, la dopa-mine permet d’obtenir des « carottes », maispas d’éviter les « coups de bâtons » (nousreviendrons sur ce second aspect).

La dopamine,pour obtenir une « carotte »

Ce rôle attribué à la dopamine a été confirmédans une autre pathologie : le syndrome deGilles de la Tourette. Les patients souffrent detics moteurs et vocaux qu’ils ne contrôlent paset qui compromettent leur insertion sociale.Parmi ces tics, on retient souvent les copropra-lies, c’est-à-dire les injures et les obscénités quecertains patients ne peuvent s’empêcher de pro-férer. Les sujets souffrant de ce syndrome onttrop de dopamine dans leur cerveau, et on lessoigne par des médicaments antipsychotiques,qui bloquent la transmission dopaminergique.

D’ailleurs, la libération trop importante dedopamine pourrait expliquer les tics : quandle patient a un tic, son cerveau « subit » unexcès de renforcement positif, de sorte que lepatient ne peut s’empêcher de répéter la rou-tine motrice. Dans les tests de conditionne-ment instrumental, ces sujets sont plus sensi-bles aux renforcements positifs (ils retiennentles comportements gagnants) lorsqu’ils nesont pas traités, et aux renforcements néga-tifs (ils évitent les comportements perdants)lorsqu’ils prennent le médicament. Celaconfirme le rôle de la dopamine dans les ren-forcements positifs.

Ainsi, les drogues jouant sur la transmis-sion dopaminergique ont des conséquences

58 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho

Un centre cérébral de la motivation ?

Q uand on est motivé par une récompense, on a tendance àfaire plus d’efforts ; par exemple, le sportif s’entraîne davan-

tage s’il sait qu’il gagnera plus d’argent en finissant premier, et l’étu-diant prépare mieux ses examens s’il sait que c’est important poursa carrière professionnelle.

Nous avons cherché à déterminer si les efforts physiques etmentaux sont « dirigés » par un même centre de la motivationou si des régions cérébrales distinctes interviennent. Pour ce faire,nous avons enregistré en imagerie par résonance magnétique fonc-tionnelle (IRMf) l’activité cérébrale de 20 participants pendantqu’ils réalisaient des efforts mentaux et physiques. La tâche consis-tait à trouver sur un écran le chiffre le plus élevé parmi deux chif-fres de tailles différentes, et à le choisir en serrant soit la poignéede la main gauche, soit celle de la main droite, selon l’endroit oùse trouvait le chiffre. Les volontaires faisaient l’exercice plusieursfois et pouvaient accumuler de l’argent chaque fois qu’ils répon-daient correctement.

Ainsi, nous avons montré qu’une région précise, le striatum ven-tral (en violet sur l’image d’IRM ci-dessous), s’active d’autant plusque la somme d’argent en jeu et,par conséquent, le degré de moti-vation sont élevés. Cette région activée (en jaune) stimule la par-tie médiane du striatum, le noyau caudé, quand la tâche est diffi-cile sur le plan cognitif, par exemple quand le chiffre a une petitetaille,mais une valeur numérique élevée (ou inversement).En outre,le striatum ventral stimule la partie latérale du striatum, le puta-men, quand la difficulté est motrice, par exemple quand les parti-cipants serrent très fort la poignée pour répondre.En conséquence,cette forme de motivation, dite extrinsèque, car elle est déclen-chée par les incitations monétaires, passerait par le striatum ven-tral quel que soit le type d’effort à accomplir (cognitif ou moteur).

Région activéedu striatum ventral

Putamen

Noyau caudé

Striatum ventral

M. P

essig

lione

/ In

serm

10-Ess11_pxxxxx_motivation_pessiglione_bsl.qxp 4/07/12 10:42 Page 58

Page 61: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

importantes sur l’efficacité respective desrécompenses et des punitions, et sur les appren-tissages. C’est une donnée qu’il faut prendre encompte dans la mesure où ces traitements sontfréquents : par exemple, on donne aux enfantssouffrant d’hyperactivité de la Ritaline, unemolécule qui augmente la concentration dedopamine dans le cerveau.

Des études plus récentes ont montré quechez les volontaires sains, l’effet des droguesdopaminergiques varie avec le patrimoinegénétique. La synthèse, la transmission et ladégradation de la dopamine dépendent dela présence de plusieurs protéines codéespar différentes versions de nombreux gènes.Or, selon les versions de ces gènes, une dro-gue à une concentration donnée n’a pas lesmêmes conséquences et peut avoir des effetsopposés sur le style d’apprentissage. Ainsi,chaque individu présente des dispositionsinnées (les gènes liés à la dopamine) quipeuvent l’orienter vers un style d’appren-tissage ou l’autre selon l’environnement oùil vit, notamment les substances auxquellesil est exposé.

Le système cérébral de la récompense existedonc. Y en a-t-il un pour les punitions, le

« réseau du coup de bâton » ? On pourraitimaginer un système cérébral qui s’activeraitlorsqu’on craint une punition ou lorsqu’onen reçoit une. L’identification de ce systèmeest moins avancée, mais plusieurs pistes sedégagent. On pense qu’un autre neuromodu-lateur, la sérotonine, code l’erreur de prédic-tion pour les punitions. Et plusieurs étudesont montré que les cortex insulaire et cingu-laire, au cœur du cerveau, s’activent lors dessituations négatives et douloureuses.

La sérotonine, pour éviter le « bâton» ?

L’existence de systèmes distincts, l’un tra-vaillant à obtenir des récompenses et l’autreà éviter des punitions, a des conséquencesimportantes dans les apprentissages, notam-ment dans le milieu scolaire. Ce genre demotivations, dites extrinsèques, car elles sontdéclenchées par des incitations positives ounégatives, permet aux élèves d’apprendre.Mais d’autres motivations, tel le plaisir d’ap-prendre, mettent probablement en œuvred’autres mécanismes cérébraux... qui restentdifficiles à tester au laboratoire. �

© L’Essentiel n° 11 août -octobre 2012 59

Bibliographie

L. Schmidt et al.,Neural mechanisms

underlying motivationof mental versusphysical effort,

in PLoS Biology,21 février 2012.

S. Palminteri et al.,Pharmacological

modulationof subliminal learning

in Parkinson’sand Tourette’s

syndromes, in PNAS,vol. 106,

pp. 19179-19184,10 novembre 2009.

M. Frank et al.,By carrot or by stick :

Cognitive reinforcementlearning

in parkinsonism,in Science, vol. 306,

pp. 1940-1943,10 décembre 2004.

10-Ess11_pxxxxx_motivation_pessiglione_bsl.qxp 4/07/12 10:42 Page 59

Page 62: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

60 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho

Règles grammaticales, dates del’histoire de France, capitales dumonde, tables de multiplication :lorsqu’un élève doit assimiler tou-tes ces connaissances, il a l’im-

pression d’apprendre par cœur. Il faut bien enpasser par-là, même si cela peut sembler inu-tile. Après tout, les téléphones portables don-nent aujourd’hui accès à Internet et toutes lesconnaissances sont à portée de main ! Mais ceserait une grave erreur de cesser d’apprendre,car le par cœur est une méthode d’apprentis-sage... qui en favorise d’autres, mettant enœuvre différents types de mémoire.

L’attitude des philosophes, psychologueset neuroscientifiques sur la mémorisation aconnu de multiples rebondissements. Del’Antiquité à la Renaissance, la mémoire étaitla faculté la plus précieuse ; mais Descartes

pensait que le raisonnement suffisait, relé-guant la mémoire au second plan. C’est sansdoute pour cette raison, qu’au sens populaire,y compris à l’école, la mémoire est souventréduite au sens d’apprentissage « par cœur ».

Mémoire et raisonnement

Qu’en est-il réellement ? Dans quelle mesurela mémorisation favorise-t-elle la compréhen-sion et le raisonnement, ou les entrave-t-elle ?La conception cartésienne donna quelquessignes de faiblesse lorsqu’au XIXe siècle, leneurologue Charcot rendit la notion demémoire plus complexe. C’est lui qui démon-tra notamment, en observant des cas clini-ques, l’existence de « plusieurs mémoires ».Avec les connaissances de son temps, il asso-cia ces mémoires aux sens et à la motricité :dès lors, on envisagea la possibilité de mémoi-res visuelle, auditive, motrice, olfactive…

Dans les années 1960, la mémoire acquiertses lettres de noblesse. Tout se joue d’aborddans le cadre des études « homme-machine »(télécommunications, ordinateur…) où cer-tains chercheurs vont jusqu’à penser que l’in-telligence repose sur la mémoire. On met enavant une hiérarchie de mémoires spéciali-sées, des mémoires sensorielles aux mémoi-res abstraites... La mémoire sensorielle visuelle

Apprendre par cœurou comprendre ?

L’apprentissage dans le cerveau

Les deux sont indissociables. Il faut valoriser l’apprentissagepar cœur (tables de multiplication par exemple),

mais l’acquisition des connaissances fait nécessairementappel à la compréhension et à une mémoire du sens.

Alain Lieuryest professeurémérite de psychologiecognitivede l’UniversitéRennes 2,ancien directeur du Laboratoire de psychologieexpérimentale.

• L’apprentissage par cœur, parfois décrié, revient au goût du jour,car on découvre qu’il développe la mémoire lexicale.

• L’acquisition d’un vocabulaire étendu et de nombreuses notionsdépend aussi de la mémoire du sens.

• L’important est de ne pas « saturer » l’élève de connaissances :des études récentes livrent quelques méthodes simplespour ne pas transformer l’apprentissage en torture inutile.

En Bref

11-Ess11_pxxxxx_apprendcoeur_lieury_bsl.qxp 3/07/12 17:10 Page 60

Page 63: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

est la capacité à « photographier » par exem-ple une ligne de chiffres sur un écran, et à lesciter de mémoire lorsque l’écran s’éteint.Diverses expériences ont montré que le nom-bre de chiffres rappelés diminue rapidementsi l’instruction d’énoncer ces chiffres inter-vient plus de 250 millisecondes après l’extinc-tion de l’écran. Cette mémoire est donc éphé-mère. L’équivalent dans le domaine sonore,la mémoire auditive aurait une durée légère-ment supérieure, de 2,5 secondes : si l’on faitentendre à quelqu’un une suite de sons, puisqu’on lui demande de réaliser une rapide tâchede calcul mental (tâche de distraction), la capa-cité à citer de mémoire un des sons de la sériedevient très faible si la tâche de distraction dureplus de 2,5 secondes.

Ainsi, à court terme (moins de cinq secon-des), une présentation visuelle de lettres oumots est moins efficace qu’une présentationauditive. Mais le rappel des données visuellesou auditives au bout de plusieurs secondes(environ dix secondes et plus) est équivalent.L’explication en a été donnée par le chercheuranglais John Morton : selon lui, les informa-tions visuelles ou auditives ne font que transi-ter dans des mémoires sensorielles, et se retrou-vent fusionnées dans une mémoire commune,la mémoire lexicale ou mémoire des mots.

Des mots au sens

Évidemment, il faut procéder à des exerci-ces de mémorisation pour nourrir sa mémoirelexicale. C’est ce que font d’abord les parentsen répétant sans fin le mot « fleur » à leurenfant lorsque celui-ci désigne l’objet en ques-tion. Et l’on comprend que sans ce « par cœur »élémentaire, aucune forme d’intelligence nepourrait se développer chez l’enfant. Plus tard,l’enseignement de nombreuses matières se doitde poursuivre au moins en partie en ce sens,qu’il s’agisse d’apprendre des noms de lieux,d’objets, de techniques ou même de concepts.Mais la mémoire lexicale a-t-elle un lien avecla compréhension au sens large ?

La découverte d’une nouvelle mémoire,nommée mémoire sémantique ou mémoiredu sens, a révolutionné la façon dont on envi-sage cette question. Tout commence par lesrecherches d’un informaticien, Ross Quillian,et d’un psychologue, Allan Collins. En 1969,ils travaillent dans une société d’informatiquesur la mise au point d’un logiciel de traduc-tion de langues étrangères. Leur idée première

est de relier, par un programme informatique,un mot d’une langue étrangère à son homo-logue natif. Par exemple, chaque fois que l’or-dinateur rencontre dans le texte, le mot pêche,il traduit par fishing. Évidemment, les problè-mes ne tardent pas à apparaître. Si la phraseest : « Pour le dessert, je voudrais des pêchesMelba », on aboutit à une traduction cocasse…

L’idée géniale de A. Collins et R. Quillian futde tenir compte du fait que la plupart des mots

© L’Essentiel n° 11 août -octobre 2012 61

Juria

h M

osin

/ Sh

utter

stock

1. Où est né Charles VII ? Qu’est-cequ’un vilebrequin ? L’apprentissage est indispensable à la formation des connaissances... et au raisonnement.Mais attention à toujours vérifier que les notionsapprises par cœur ont bien un sens pour l’élève.

11-Ess11_pxxxxx_apprendcoeur_lieury_bsl.qxp 3/07/12 17:10 Page 61

Page 64: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

62 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho

sont polysémiques (dotés de plusieurs sens, telsdisque, feuille ou pêche), et qu’il faut une inter-face entre le lexique étranger et le lexique natif,un « interpréteur de sens ». Cet interpréteur desens utilise les mots du contexte (dessert,Melba…) pour choisir le meilleur sens, quiguide alors vers la bonne unité lexicale dansla mémoire lexicale. Supposant que notremémoire est naturellement conçue ainsi,A. Collins et R. Quillian découvrent la mémoiredu sens, qu’ils nomment « mémoire séman-tique » (du grec semantikos, signification).Comment imaginer le stockage de quelquechose d’aussi abstrait que le sens ? Leur théo-rie repose sur deux principes.

Le premier est celui de hiérarchie catégo-rielle. Il stipule que les concepts de la mémoiresémantique sont classés de façon hiérarchique,les catégories étant emboîtées dans des catégo-ries allant des plus particulières aux plus géné-rales, à la façon d’une arborescence : la catégo-rie Canari appartient à la catégorie Oiseau,Oiseau à celle de Vertébré, Vertébré à celled’Animal, etc. Le second principe, dit d’écono-mie cognitive, veut que seules les propriétés (outraits sémantiques) spécifiques soient classéesavec les concepts associés. Par exemple, la pro-priété jaune est classée avec le concept de canari,mais des propriétés plus générales comme becou ailes sont classées avec le concept d’oiseau.

Dans ce modèle, la mémoire sémantiqueest organisée sous forme d’une arborescenceéconomique. Un élève comprend des connais-sances qu’on lui propose de deux façons. Soitpar un accès direct à l’information qui four-nit le sens : par exemple, on sait que le canariest jaune, car l’information jaune est déjàstockée en mémoire. Soit par inférence : c’est

ce qui se passe si l’on demande à un enfant siun canari a un estomac. Dans ce cas, le réseausémantique sera activé pour trouver qu’uncanari est un oiseau, donc un animal, qui, parconséquent, doit avoir un estomac…

Les connaissancesfondent le raisonnement

Dans ce dernier cas, l’information est recons-tituée – « inférée » est le terme technique – àpartir d’informations contenues dans d’autresparties de l’arborescence. Qu’est-ce que l’in-férence ? Comme le montre cet exemple, c’estun raisonnement qui relève, non de la logiqueformelle, mais d’un réseau de connaissances.Voilà pourquoi certains chercheurs pensent quel’intelligence se nourrit de la mémoire : plus lamémoire stocke de connaissances, plus les infé-rences sont variées et correctes.

Évidemment, l’enfant ne naît pas avec unemémoire sémantique pré-imprimée. Commentse construit-elle ? Les souvenirs font partiede ce que le professeur émérite, de l’Universitéde Toronto au Canada, Endel Tulving, anommé la mémoire épisodique, somme desévénements que nous avons mémorisés.Selon lui, chaque fois que nous lisons unmot déjà connu (par exemple, le mot bateau)ou que nous voyons un bateau dans un portou dans un documentaire, le concept associéfait l’objet d’un nouvel « épisode » stockédans la mémoire épisodique.

M’intéressant aux apprentissages scolaires,j’ai fait l’hypothèse que la mémoire sémanti-que chez l’enfant est fabriquée à partir del’abstraction de tels épisodes. Si le premierépisode canari pour un enfant est souvent

2. La mémoire fonctionne par arborescences.Lorsqu’on demande à un enfant si un canari a un estomac,et s’il a acquis suffisamment de connaissances,il se souvient qu’un canari est un oiseau, qu’un oiseauest un animal et que les animaux ont un estomac,ce qui mobilise sa mémoire sémantique. L’enfant utilise un raisonnement par inférence. En outre, il a acquis le concept de canari en mémorisant plusieurs événementsoù apparaissait un canari, par exemple dans un dessinanimé, dans une cage, en liberté : ces événementsnourrissent sa mémoire épisodique. Mémoire sémantiqueet mémoire épisodique sont nécessaires au raisonnement.

Cerv

eau

et Ps

ycho

- Sh

utter

stockCanari

Plumagejaune

Bec

Dessinanimé En

liberté

Encage

Oiseau

Animal

Poisson

Merle

11-Ess11_pxxxxx_apprendcoeur_lieury_bsl.qxp 3/07/12 17:10 Page 62

Page 65: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

© L’Essentiel n° 11 août -octobre 2012 63

Titi, il va enregistrer d’autres épisodes ulté-rieurement, un canari vu dans un livre, uncanari dans une animalerie, un autre dans undocumentaire (voir la figure 2).

Au final, des mécanismes cérébraux d’abs-traction extraient les points communs de tousces épisodes pour constituer le concept decanari. Certains auront peut-être remarqué queles définitions des adultes et des enfants diffè-rent... Un adulte tend à évoquer un canari defaçon générique en déclinant des propriétésgénérales : « C’est un oiseau, petit et jaune »tandis qu’un enfant répond plus souvent endécrivant un épisode : « Tu sais, c’est Titi »…

Ainsi, non seulement la mémorisation estnécessaire aux raisonnements par inférence,mais elle participe à la création du sens, dansla mémoire sémantique. Comment appliquercette hypothèse à la pédagogie ? En insistantsur le fait que, pour apprendre les concepts,il faut multiplier les épisodes. En 1997, j’aid’ailleurs intitulé cette méthode « apprentis-sage multi-épisodique ». L’apprentissage parcœur est plutôt du domaine de la mémoirelexicale ; en revanche, pour apprendre le sensdes choses et construire sa mémoire séman-tique, il faut multiplier les épisodes.

Répéter, répéter, répéter...

Accompagnés de nombreux enseignants,à différents niveaux d’étude du primaire aulycée, nous avons testé avec succès cetteméthode. Certes, ce type d’enseignement estplus long : exposer un cours ne constitue qu’un(gros) épisode, alors qu’ajouter une recherchesur Internet ou dans un centre de documen-tation et réaliser des travaux pratiques, prendbeaucoup de temps. Mais ne vaudrait-il pasmieux réduire les programmes pour mieuxassurer la mémorisation des connaissances ?

En tout cas, n’opposons surtout pas l’ap-prentissage par cœur à la compréhension.L’un et l’autre sont indispensables et complé-mentaires : l’apprentissage par cœur est lemoteur de la mémoire lexicale, tandis quemultiplier les épisodes est le moteur de lamémoire sémantique.

Lorsqu’on mémorise un grand nombre deconcepts, de mots, de noms propres, de datesou de lieux, on accède à ce qu’on pourrait appe-ler la connaissance encyclopédique, dont l’éten-due varie selon les individus. Corroborant ceque nous venons d’expliquer sur les liens entreapprentissage des connaissances et raisonne-

ment, nous avons découvert que la connais-sance encyclopédique est un excellent prédic-teur de la réussite scolaire, davantage que lesrésultats obtenus aux tests de raisonnementpur. Dans notre étude, l’élève de 6e ayant lemeilleur score de connaissance encyclopédi-que (4 000 termes identifiés, tels que tangente,Vercingétorix, gerboise) a la meilleure moyennegénérale (17/20), tandis que les élèves obtenantles moins bons scores en connaissance ency-clopédique ont une moyenne scolaire basse(4,5/20). Ainsi, les élèves ayant acquis moinsde 1 500 mots en fin d’année de 6e redoublentet ceux qui ont acquis moins de 9 000 en 4e

ont une moyenne annuelle insuffisante. Lamémoire des connaissances (lexicale et séman-tique) est cruciale pour la réussite à l’école.

Dès lors, comment mémoriser les informa-tions de façon intelligente, sans « saturer » ? Laprincipale limite du cerveau à cet égard estconstituée par la mémoire à court terme, oumémoire de travail. Celle-ci présente deuxcaractéristiques fondamentales : une capacitélimitée (environ six à sept unités familières,mots, images, chiffres, symboles, etc.) et unefaible autonomie (moins de 20 secondes). Elle

Faut-il répéter à haute voix ?

L a pratique de la vocalisation (ou énonciation à haute voix) asouvent été stigmatisée après mai 1968 : on l’accusait d’être

une mémoire « perroquet ».Et pourtant, les recherches sont una-nimes pour montrer que la vocalisation est nécessaire à la foispour la mémorisation et pour la compréhension. Ainsi, dans desexpériences où l’on fait lire ou apprendre des petits textes, la lec-ture se fait normalement ou en empêchant la subvocalisation (les

enfants sont empêchés de « lire dansleur tête » et doivent répéter des non-mots – lalalala ou colacolacola).On éva-lue l’efficacité de la mémorisation : la sup-pression de la subvocalisation diminuel’efficacité de 40 à 60 pour cent, la notepassant de 12 sur 20 (avec subvocalisa-tion) à 7, voire 4, sur 20. La vocalisation(ou subvocalisation) est donc nécessaireà l’apprentissage. Quand la subvocalisa-tion est répétitive,on la nomme autoré-pétition. Pour le chercheur anglais Allan

Baddeley, l’autorépétition est une composante essentielle de laplupart des activités cognitives (attention, calcul…). Si les récita-tions à voix haute paraissent bien désuètes aujourd’hui, elles sontutiles pour la construction lexicale et la mémorisation.

Chep

ko D

anil V

italev

itch

/ Sh

utter

stock

.com

11-Ess11_pxxxxx_apprendcoeur_lieury_bsl.qxp 3/07/12 17:10 Page 63

Page 66: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

permet de garder présent à l’esprit un numérode téléphone le temps de le composer. Si l’onne s’efforce pas de le mémoriser par des ten-tatives répétées, on ne le retiendra jamais. Lamémoire de travail est la première ported’entrée de la connaissance dans le cerveau :elle organise les informations, et c’est par larépétition que ces connaissances peuvent êtreconsolidées en mémoire à long terme.

Comment optimiser les apprentissages ensachant que la mémoire de travail ne stockesimultanément que six ou sept éléments ?En 1956, le psychologue George Miller amontré qu’un moyen de dépasser cette limiteétait de grouper les informations par paquets.Par exemple, plutôt que d’apprendre les nomsde 16 fleuves russes, on gagnera à apprendreles noms de quatre provinces, et de quatrefleuves par province.

Dès 1969, Gordon Bower et ses collègues del’Université de Berkeley à Los Angeles ontmontré l’efficacité de cette méthode de subdi-vision des tâches. Ils ont fait apprendre à desétudiants une liste d’environ 120 mots orga-nisés en familles sémantiques – animaux, plan-tes, etc. –, elles-mêmes subdivisées en sous-familles (plantes comestibles, d’ornement,sauvages), puis en catégories encore inférieu-res (fleurs, herbes aromatiques, etc.). Pour nepas saturer la mémoire à court terme, le nom-bre de mots à chaque niveau n’excède pas qua-tre. Les performances ont été impressionnan-tes : les élèves ont rappelé 70 mots au premieressai, alors que les élèves devant apprendre lesmêmes mots mélangés n’en ont cité qu’une

vingtaine. Dans le groupe « subdivisé », la tota-lité de la liste est acquise dès le troisième essaid’apprentissage. Voilà pourquoi il est efficaced’apprendre le cours en parties et sous-par-ties, bien organisées selon un plan.

Plusieurs remarques s’imposent à la lumièrede ces notions sur la mémoire. Tout d’abord,l’apprentissage par cœur est une composantenon négligeable de l’accès à la connaissance,mais aussi au raisonnement. Par ailleurs, ongagnerait à proposer des programmes moins« lourds », et à passer plus de temps à ensei-gner les concepts les plus importants, en mul-tipliant les épisodes. Enfin, il faut une vraieréflexion sur la surcharge des connaissances etdes programmes : il est important de hiérar-chiser sa méthode d’apprentissage selon leprincipe de la subdivision des informationspour tenir compte des limites du fonctionne-ment du cerveau. Pourtant, les enseignants nesemblent pas avoir intégré ces notions. J’en aientendu déclarer en substance : « Comme lesélèves oublient vite, si on leur enseigne beau-coup de choses, il en restera toujours un peu. »

Programmes trop chargés

Dans les années 1990, nous avons invento-rié le vocabulaire « encyclopédique » (Ramsès,diagonale ou notonecte) utilisé dans les grandesmatières – histoire, biologie, chimie, mathéma-tiques, littérature, langues vivantes –, de la 6e àla 3e. L’inventaire dans les manuels d’anglaisde 6e de collège aboutit ainsi à un total impres-sionnant de 6 317 mots en 6e, 9 500 mots en 5e,18 000 en 4e et près de 24 000 en 3e, en plus des9 000 que compte le vocabulaire courant.

Comparé à ces « mots du programme »,combien de termes un élève de 6e, âgé de12 ans, peut-il retenir en une année ? Aumoyen de questionnaires à choix multiples,nous avons évalué ce total à 2 500 mots etconcepts acquis en moyenne à la fin de l’année,soit une surcharge de 60 pour cent. Et les pro-grammes n’ont pas été simplifiés depuis cetteétude. À mon avis, il faut valoriser la diversitédes matières, mais réduire les programmes danschacune d’elles. Car la surcharge des informa-tions est néfaste aux apprentissages, à cause,notamment, de la capacité limitée de lamémoire de travail ! Enfin, la répétition et lacompréhension sont essentielles et nécessaires,car ce sont les modes d’apprentissage de deuxmémoires complémentaires, la mémoire lexi-cale et la mémoire sémantique. �

64 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho

Petro

Feke

ta /

Shu

tterst

ock

3. Les mathssont encensées dansl’enseignement français,mais les connaissancesencyclopédiques(dont le vocabulaire et les notionsmathématiques)prédisent mieux la réussite scolaire.

Bibliographie

A. Lieury, Mémoire et réussite scolaire,Dunod, 4e édition,2012.A. Lieury et al.,Psychologiepour l’enseignant,coll. Manuels visuels,Dunod, 2010.A. Lieury, La réussitescolaire expliquée auxparents, Dunod, 2010.A. Florin,Le Développement du langage, Dunod,1999.

11-Ess11_pxxxxx_apprendcoeur_lieury_bsl.qxp 3/07/12 17:10 Page 64

Page 67: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

© L’Essentiel n° 11 août - octobre 2012 65

Les troubles de l’apprentissage

Elena

Ros

tunov

a /

Shutt

ersto

ck

Élève démotivé, inattentif, agité, rebelle, présentant des troubles de la lecture ou somnolant en classe... Plusieurs facteurs

perturbent les apprentissages. Les causes de ces difficultés sont mieux comprises, ce qui conduit à proposer soutien

aux élèves ou conseils aux parents et aux enseignants.

Ess11_p065065_ouverture3.qxp 4/07/12 16:42 Page 65

Page 68: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

Alain Lieuryest professeurémérite de psychologiecognitivede l’UniversitéRennes 2,et ancien directeur du Laboratoire de psychologieexpérimentale.Fabien Fenouilletest professeurde psychologiecognitiveet coresponsabledu master 2de Psychologiecognitive appliquéeà l’Université Paris-Ouest-Nanterre-La Défense.

66 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho

La « démotivation» est une facette dela motivation que l’on cherche à évi-ter, car elle interfère avec les appren-tissages, à l’école notamment. L’élèvedémotivé n’apprend pas facilement

et peut même évoluer vers une forme plusgrave de démotivation : la résignation (ou ledécouragement), qui peut provoquer unedépression, voire le suicide. Comment par-vient-on à une telle situation et peut-on l’évi-ter ? Nous présentons ici ce type de motiva-tions négatives – résignation, rébellion etfuite – et montrons que les élèves concernésont souvent les moyennes scolaires les plus fai-bles. Toutefois, rien n’est inéluctable.

En 1975, alors qu’il travaillait sur le stress,le psychologue américain Martin Seligmanexpliqua que le découragement s’acquiertquand on a l’impression de n’avoir aucuneprise sur le cours des événements. Les consé-quences d’un apprentissage de la résignationsont importantes dans le domaine de l’éduca-tion, les élèves résignés dans une matière ayantsouvent un niveau faible. Par exemple, Caroll

Dweck, professeur de psychologie sociale, et sescollègues de l’Université Stanford aux États-Unis, ont montré que certains élèves se rési-gnent s’ils sont confrontés à des problèmes inso-lubles. De même, en France, Stéphane Ehrlichet Agnès Florin, de l’Université de Nantes, ontdéterminé que des élèves faibles se découragenten dictée et en mathématiques lorsque lademande est excessive, par exemple quand il ya trop de problèmes à résoudre. Et si ces élè-ves se découragent, c’est parce que l’enseigne-ment n’est pas adapté à leurs capacités.

Trop de problèmesà résoudre

En 1996, nous avons obtenu le même résul-tat avec l’apprentissage de cartes de géogra-phie : le découragement dépend de la sur-charge de travail. Par exemple, lorsqu’une carte(l’Amérique) comporte en plus des 24 villes àapprendre, 24 noms indiqués (qu’il ne faut pasretenir), certains élèves se résignent : ils com-mencent à apprendre les villes aux premiersessais, comme les autres élèves, puis s’arrêtentcomplètement, alors que les autres en retien-nent toujours plus à chaque nouvel essai. Ils’agit là d’une résignation apprise, car les élè-ves faibles avaient, lors des premiers essais,un rythme d’apprentissage comparable àcelui des élèves motivés. Beaucoup de facteurspeuvent conduire un élève à se résigner : parexemple il ne se sent pas compétent dans un

Les racinesde la démotivation

Les troubles de l’apprentissage

Un enfant peut être démotivé, rebelle ou il peut vouloir fuirl’école. Les motivations « négatives» sont aujourd’huiétudiées, et devraient être prises en compte à l’école.

• L’enfant peut se résigner s’il est incapable de résoudreun problème dans une situation. Cette forme de « démotivation»peut conduire à des échecs scolaires.

• L’enfant rebelle se sent compétent, mais ne tolère aucunecontrainte. À l’inverse, l’enfant faible dans une matière,mais autonome, n’a qu’une envie : abandonner.

En Bref

12-Ess11_pxxxxx_rebel_lieury-fenouillet_bsl.qxp 4/07/12 12:04 Page 66

Page 69: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

domaine, il ne comprend pas une réprimandeliée à un apprentissage, il n’est pas soutenu parses parents, etc. Tout peut alors basculer.

Mais nous pensons qu’il existe des formesde motivations négatives différentes de ladémotivation. En effet, en situation de sur-charge, nous avons montré que seuls quel-ques sujets se résignent. Par ailleurs, dans unCentre de formation d’apprentis, les profes-seurs nous ont raconté que lors des appren-tissages répétés et monotones, certains élèvesse rebellaient, c’est-à-dire qu’ils se révoltaientcontre le professeur ou les contraintes que cedernier leur imposait. Étaient-ce les élèves lesplus faibles (et résignés) ? Les professeursunanimes nous ont répondu que c’étaient enréalité les meilleurs élèves. Une observation

semblable a été faite dans un lycée agricoleoù des écuyers chevronnés ont été mélangésà des novices dans une même classe d’étudeshippiques. Les étudiants chevronnés se sontalors rebellés, trouvant que leur niveau étaitbien supérieur à ce qu’on leur enseignait.

En 1996, nous avons alors mené uneexpérience en donnant une tâche infaisableà des étudiants. Lors d’un exercice prélimi-naire, les étudiants devaient apprendre uneliste de 30 mots très difficiles, par exempleargas, mofette et orle. Puis, pour l’expérience,nous annoncions aux étudiants d’un premiergroupe qu’ils devaient apprendre une liste de50 mots très difficiles ; quant aux participantsdu second groupe, ils devaient retenir uneliste de 1 000 mots… Les étudiants ne com-mençaient jamais ces apprentissages – nousleur présentions seulement ce qu’ils avaientà faire –, mais nous testions leur motivationavec un questionnaire : la plupart des étu-diants du second groupe se rebellaient (ilsrefusaient de faire l’exercice) et 80 pour centd’entre eux se mettaient même en colère.

Intelligents… mais rebelles

Dans notre modèle théorique (une exten-sion du modèle d’Edward Deci et de RichardRyan, voir l’article page 8), les différentesmotivations sont le résultat d’un besoin decompétence et d’un besoin d’autonomie (voirla figure 2). Nous pensons que la rébellioncorrespond au cas d’une sensation de fortecontrainte – par exemple, l’enfant ne choisitpas l’activité – associée à un sentiment decompétence. En d’autres termes, l’élève estbon dans un domaine, mais ne supporte pasles limites imposées ou le rythme de l’ensei-gnement (il ne se sent pas autonome). Dansce cas, l’élève pense que c’est l’enseignant oul’autorité qui est incompétente et non lui-même. À l’inverse, dans ce modèle, lorsqu’unélève se sent « nul » dans une matière, maisest autonome (parce qu’il n’est pas obligé defaire l’activité), il peut vouloir abandonnerle cours : c’est la fuite. Par exemple, certainsélèves peuvent quitter un cours optionnel aumilieu de l’année scolaire. Il s’agit d’uneforme de motivation négative qui expliqueles abandons d’activité et l’absentéisme sco-laire (notamment quand l’école n’est plusobligatoire, après l’âge de 16 ans).

La plupart des expériences de psycholo-gie sur la motivation sont réalisées avec des

© L’Essentiel n° 11 août -octobre 2012 67

Suza

nne

Tuck

er /

Shu

tterst

ock.c

om

1. L’enfant résignéest souvent un élève

faible en classe...Pourtant,

un enseignementadapté pourrait

le remotiver.

12-Ess11_pxxxxx_rebel_lieury-fenouillet_bsl.qxp 4/07/12 12:04 Page 67

Page 70: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

68 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho

questionnaires, de sorte que nous avons, avecSonia Lorant, de l’Université de Strasbourg,adapté une échelle de motivation existanteen y ajoutant la rébellion et la fuite. En 2011,nous avons soumis ce questionnaire à unecentaine d’élèves de 3e pour déterminer queltype de motivation les animait : une motiva-tion extrinsèque – « Je veux devenir méde-cin » ou « Je veux que mes parents soient fiersde moi » –, une motivation intrinsèque, parexemple le plaisir d’apprendre, ou des moti-vations négatives, telles que la résignation, larébellion ou la fuite.

Quatre affirmations correspondaient à cha-que type de motivation. Ainsi, pour tester larébellion : « Je comprends que certains élè-ves s’opposent aux professeurs. » Ou pourmettre en évidence la fuite : « Je fais semblantd’être malade pour éviter l’école. » L’élèvedevait cocher une réponse parmi cinq : pasdu tout vrai ; un peu vrai ; plutôt vrai ; vrai ;tout à fait vrai. En estimant les réponses aux-quelles les élèves avaient répondu plutôt vrai,

vrai ou tout à fait vrai, nous avons déterminéleurs motivations.

Ainsi, la plupart des élèves de 3e sont ani-més par une motivation positive : 38 pour centont une motivation extrinsèque, et 31 pourcent une motivation intrinsèque. Cependant,en classe de 3e, c’est la motivation extrinsèquequi domine alors que nous avions montré queles élèves de 6e ont plutôt une motivationintrinsèque. En outre, en 3e, presque un élèvesur trois est en motivation négative : c’est larébellion qui domine (14 pour cent des effec-tifs), contre 10 pour cent pour la démotiva-tion (ou résignation), la fuite étant la catégo-rie la moins représentée avec 7,3 pour cent.Le plaisir d’apprendre diminue-t-il avec l’âge ?C’est ce que semblent indiquer nos résultats,ce qui obligerait les élèves à trouver d’autresmoyens de se motiver. Et ceux qui n’en trou-veraient pas se résigneraient ou se rebelleraient.

Des conséquencesnégatives à l’école

Or les motivations qui animent les élèves ontdes conséquences sur leurs résultats scolaires.En effet, nous avons montré avec le mêmequestionnaire que précédemment, pour lesmotivations positives (intrinsèque et extrinsè-que), que plus les élèves sont sûrs de leursréponses (réponses vrai et tout à fait vrai), plusleurs résultats scolaires dans une matière clas-sique (français, mathématiques, anglais, his-toire-géographie, etc.) sont élevés. Les résultatssont inverses pour les élèves « négativement »motivés (voir l’encadré page ci-contre). Et leseffets sont semblables pour les matières plusmanuelles ou ludiques, la musique, les arts plas-tiques et le sport par exemple. Ainsi, plus unélève est démotivé dans une matière, plus samoyenne scolaire est faible. À l’inverse, plus unélève est motivé, plus sa moyenne est élevée.

En revanche, quand on compare ces résul-tats sur la motivation des élèves avec leursentiment de compétence et leur sentimentd’autonomie, nos hypothèses quant auxmécanismes produisant la rébellion et la fuiteapparaissent en partie fausses. Nous suppo-sions en effet que la rébellion correspondait àun état motivationnel déterminé à la fois parune forte contrainte et un sentiment de com-pétence élevée, de sorte que l’individu consi-dère que son échec est dû au professeur, àl’école ou au système scolaire. Or la rébellionest bien liée à un sentiment de contrainte fort,

2. Les auteurs ont proposé une extension du modèle deE. Deci et R. Ryan, en y intégrant la rébellion et la fuite : les motivationsnégatives, comme les motivations positives, résulteraient d’un besoin decompétence et d’un besoin d’autonomie. Un élève est rebelle s’il a uneforte estime de lui, mais ne se sent pas autonome. Et un élève a envie defuir l’école s’il se sent incompétent,mais autonome.

Besoin d’estimeou compétence

perçue

Besoin d’autonomie

ABANDONFUITE

RÉSIGNATION

MOTIVATIONINTRINSÈQUE

RÉBELLION

MOTIVATIONEXTRINSÈQUE

« Je m’oppose toujoursaux professeurs »

« Cet exercice est tropfacile pour moi »

« J’adore apprendredes choses intéressantes »

« J’aime écrireet dessiner »

« À quoi ça sert d’allerà l’école ? »

« De toute façon, jen’y arriverai pas ! »

« Je suis trop malade...je ne vais pas à l’école »

« Dès que je peux,j’arrête les cours »

« Je veux devenirmédecin »

« Papa est fierde moi »

12-Ess11_pxxxxx_rebel_lieury-fenouillet_bsl.qxp 4/07/12 12:04 Page 68

Page 71: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

N ous avons étudié la motivationdes élèves, en demandant à plus

de 100 collégiens de classe de 3e derépondre à un questionnaire de plusde 40 propositions.Chaque catégoriede motivation contient environ qua-tre items.Pour la motivation intrinsè-que :« J’essaie de bien faire au collège,car j’apprends des choses qui m’inté-ressent. » Pour la motivation extrin-sèque : « Je travaille en classe, parceque j’aurais honte de moi si je ne tra-vaillais pas. » Pour la résignation : « Jen’arrive pas à savoir à quoi cela sertde travailler en classe.» Pour la rébel-lion :« L’école telle qu’elle est faite medonne envie de tout casser.» Et pourla fuite :« Dès que j’aurai l’âge, je quit-terai l’école. » Chaque élève réponden cochant une case parmi cinq :� pas du tout vrai � un peu vrai� plutôt vrai � vrai � tout à fait vrai

Quand les élèves sont sûrs de leursréponses, ils cochent plutôt vrai,vrai outout à fait vrai.Nous avons donc déter-miné la proportion d’élèves dans cha-que catégorie de motivation (a), puisnous avons corrélé la motivation auxrésultats scolaires.Par exemple,pourles élèves en motivation intrinsèque,la moyenne dans une matière passede 9,71/20 pour les réponses pas dutout vrai à 13,48 pour les réponsesvrai et plus. La moyenne scolaire desenfants résignés passe de 11,45 pour

les réponses pas du tout vrai à 9,49pour les réponses vrai et plus (b).Même baisse des résultats pour larébellion, de 11,65 à 8,6, ainsi quepour la fuite dont la moyenne passede 11,81 à 7,74.Plus l’élève est démo-tivé, plus sa moyenne est faible.

© L’Essentiel n° 11 août -octobre 2012 69

mais le sentiment de compétence des élèvesdans cette étude est faible ; les élèves rebellesne se sentent pas forcément bons dans unematière. Toutefois, ils ont une meilleure estimed’eux que les élèves démotivés et encore plusque les élèves qui aimeraient fuir…

Adapter l’enseignementà l’élève

En 2011, Claire Garandeau, de l’Universitéde Turku en Finlande, et ses collègues AhnHai-Jeong et Philip Rodkin, de l’Universitéde l’Illinois aux États-Unis, ont montré queles élèves les plus agressifs sont aussi les pluspopulaires dans leur groupe d’amis. Il estdonc plausible que les élèves en rébellion sesentent sûrs d’eux-mêmes par rapport auxprofesseurs parce qu’ils sont des leaders dansleur bande de copains.

En ce qui concerne la fuite, le système sco-laire étant contraint par nature (l’école estobligatoire en 3e), les élèves ne peuvent pasréellement fuir, mais seulement en exprimerle désir. Il faudra donc d’autres terrains d’ex-périmentation pour tester notre hypothèseselon laquelle la fuite est liée à un faible sen-

timent de compétence perçu et à un senti-ment d’autonomie important.

Les enseignants peuvent-ils adapter leurcours pour prendre en compte les motiva-tions négatives qui animent certains élèves ?Pour augmenter le sentiment de compétencedes élèves faibles et résignés notamment, onpourrait diminuer les programmes ; ces der-niers sont trop chargés comme s’ils n’étaientconçus que pour les élèves se destinant à delongues études. Et pour valoriser le sentimentd’autonomie des élèves rebelles en particu-lier, on pourrait diminuer la part d’enseigne-ments obligatoires et proposer davantaged’activités librement choisies, telles que lesoptions et les travaux personnels ; les activi-tés ludiques, artistiques ou sportives pour-raient aussi n’être qu’optionnelles.

Les mécanismes de la rébellion et de la fuiterestent encore à confirmer et à préciser, mais ilest intéressant de prendre en compte ces moti-vations négatives dans les théories. En effet, sile découragement est bien représenté dans lespopulations humaines, nombreux aussi sontles cas de rébellion, de la simple manifestationou grève étudiante à la violence scolaire, oupire, à la violence sociale. �

Bibliographie

S. Lorant, A. Lieuryet F. Fenouillet,

Rebellion and escape :negative motivations

and school achievementin middle school,

in European Journalof Psychology

of Education, à paraître.C. Garandeau et al.,

The social statusof agressive students

across contexts :the role of classroom

status hierarchy,academic achievement

and grade,in Developmental

Psychology, vol. 47,pp. 1699-1710, 2011.

L. Pelletier et al.,Associations amongperceived autonomy

support, formsof self-regulationsand persistence :

a prospective study,in Motivation

and Emotion, vol. 25,pp. 279-306, 2001.

Étudier les motivations en psychologie

Motivation intrinsèque

RésignationRébellion

Fuite

Motivation extrinsèque

31 %

38 %

7 %

14 %10 %

RésignationRébellionFuite

Réponse de l’élève

Pas dutout vrai

Un peuvrai

Plutôtvrai

Vraiet plus

Moy

enne

scol

aire

sur

206

7

8

9

10

11

12

13

14 b

a

MOTIVATIONS ANIMANT LES ÉLÈVES

12-Ess11_pxxxxx_rebel_lieury-fenouillet_bsl.qxp 4/07/12 12:04 Page 69

Page 72: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

70 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho

L’attention étant une fonction cogni-tive indispensable à toute activitéhumaine, un trouble de l’attentionchez l’enfant peut revêtir des consé-quences diverses. Difficultés de

comportement (agressivité, conflits), problè-mes émotionnels (baisse de l’estime de soi,dépression), difficultés scolaires, troubles dulangage, de la lecture, de l’écriture ou des com-pétences en mathématiques, agitation motriceexcessive, etc. La liste est longue, et bien desenfants atteints d’un trouble de l’attention vontconsulter l’orthophoniste, l’ergothérapeute, lepsychiatre, sans que l’origine attentionnelle duproblème ne soit identifiée. Ce diagnostic estpourtant crucial, car le trouble de l’attentionengendre par effet boule de neige échec sco-laire, baisse de l’estime de soi, manque de moti-vation et difficultés relationnelles.

Le « trouble déficitaire de l’attention avec ousans hyperactivité », tel que le nomment lespsychiatres, est une pathologie qui correspondà un dysfonctionnement chronique de l’at-tention et du système exécutif regroupant desfonctions prises en charge par la partie préfron-tale du cerveau. Ce syndrome affecte cinq pourcent des enfants d’âge scolaire (plus souvent lesgarçons que les filles), trois pour cent environdes adolescents et un à deux pour cent des adul-tes. Une prédisposition génétique est suspec-

tée puisque l’on retrouve fréquemment desantécédents familiaux au sein des fratries.

Ce trouble se définit par une triade desymptômes : l’inattention, l’impulsivité etl’instabilité motrice. Chaque symptôme peutapparaître isolément ou associé aux autres. Ondistingue la forme mixte qui les associe tous lestrois, la forme « inattention pure » (sans hyper-activité ni impulsivité) et la forme « hyperac-tivité-impulsivité pure » sans inattention. Letrouble déficitaire de l’attention, avec ou sanshyperactivité, s’exprime de façon intense et pré-coce (avant l’âge de sept ans), quel que soit lecontexte ou l’environnement de l’enfant.

Une triade de symptômes

Les symptômes correspondent principa-lement à un déficit des fonctions attention-nelles et exécutives, dont le contrôle reposesurtout sur des réseaux reliant les régions pré-frontales au striatum (voir la figure 2). Le trou-ble de l’attention avec hyperactivité semble êtrela conséquence d’une augmentation des trans-porteurs de la dopamine, un neurotransmet-teur, dans le striatum. Ces transporteurs sontde grosses protéines qui réintroduisent dansun neurone (présynaptique) la dopamine pré-sente dans la synapse, l’espace qui le sépare duneurone suivant (dit postsynaptique). Or

La maladie de l’inattention

Les troubles de l’apprentissage

Difficultés de concentration, impulsivité, agitation motrice : les troubles de l’attention touchent un enfant sur 20.

Les causes de ce mal sont mieux connues ; diversespratiques éducatives et des thérapies adaptées sont efficaces.

Vania Herbillonest psychologuespécialiséen neuropsychologiepédiatriqueau Service épilepsie,sommeil et explorationsfonctionnellespédiatriques,à l’Institutdes épilepsies de l’enfantet de l’adolescent(IDEE), HôpitalFemme-mère-enfant, à Lyon.

13-Ess11_pxxxxx_inattention_herbillon_bsl.qxp 3/07/12 17:13 Page 70

Page 73: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

l’augmentation des transporteurs dopaminer-giques provoque une diminution de la dopa-mine extracellulaire, de sorte que la transmis-sion des informations neuronales au sein duréseau reliant le cortex au striatum ralentit, cequi rendrait la région frontale moins opéra-tionnelle. La transmission nerveuse par ladopamine serait alors moins efficace : lesrégions frontales contrôleraient moins bienl’activité des zones sous-corticales gérant lesmouvements ou l’attention visuelle.

Les régions frontales peuvent elles-mêmesprésenter un mauvais fonctionnement. Plu-sieurs études d’imagerie cérébrale ont mis enévidence une réduction du volume du cer-veau, et plus particulièrement des lobes fron-taux. De surcroît, le cortex préfrontal dor-solatéral et le gyrus cingulaire antérieur deces enfants – deux régions clés du systèmeexécutif, chef d’orchestre de nos conduites –présenteraient une trop faible activation.

Des travaux chez l’animal mettent égale-ment en lumière le rôle de différents systè-mes neuronaux : l’un d’eux, utilisant l’his-tamine comme neurotransmetteur, modulel’éveil, et un mauvais fonctionnement se tra-duirait par des troubles de la vigilance et de lamotivation ; un système utilisant l’hypocrétine– un neuromédiateur impliqué dans le com-portement locomoteur, la prise alimentaire et

l’émotion –, dont le dysfonctionnement pro-voque chez l’animal une agitation motriceexcessive ; enfin, un système noradrénergiqueet sérotoninergique lié aux activités cogniti-ves telles que l’attention, l’apprentissage, lamémoire et la perception des situations stres-santes : l’attention dirigée serait altérée.

Les origines du trouble de l’attention avechyperactivité sont mal comprises et probable-ment multifactorielles. Des gènes intervenantdans la régulation de la transmission dopa-minergique semblent associés à certaines for-mes de troubles de l’attention. C’est aussi lecas de facteurs environnementaux tels que lescomplications de la grossesse, des infections,

© L’Essentiel n° 11 août -octobre 2012 71

• Environ cinq pour cent des enfants souffrent de troublesde l’attention. Sautes de concentration, difficulté à planifier des raisonnements, oublis, impulsivité sont des handicaps.

• La communication entre neurones semble perturbée,que ce soit à cause de facteurs génétiques, d’infectionspérinatales ou de troubles du sommeil.

• Des médicaments donnent de bons résultats, mais c’estaux parents et aux éducateurs d’enseigner aux enfants la patience et de les protéger contre les stimulations rapides et faciles,omniprésentes dans l’environnement moderne.

En Bref

1. L’enfant atteintde trouble

de l’attentiona des difficultésà se concentrer

et tout est prétexte à distraction.

La cause en est en partie biologique.

Susa

n Tu

cker

/ S

hutte

rstoc

k.com

13-Ess11_pxxxxx_inattention_herbillon_bsl.qxp 3/07/12 17:13 Page 71

Page 74: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

72 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho

l’alimentation, sans oublier le milieu social etéducatif. En l’absence d’examen médical par-ticulier (prise de sang ou IRM) permettant dedétecter objectivement un trouble de l’atten-tion avec hyperactivité, le diagnostic reposeessentiellement sur une analyse clinique desdivers symptômes de l’enfant. L’éclairage del’entourage familial et scolaire est indispensa-ble, parents et enseignants remplissant desquestionnaires pour décrire au mieux le com-portement de l’enfant dans des contextes dif-férents : l’enfant est-il bien intégré dans saclasse ? Est-il en échec scolaire ?

Les professionnels peuvent être guidés parles critères établis par l’Association américainede psychiatrie. Un bilan neuropsychologiquepeut être indiqué afin de caractériser le trou-ble de l’attention par des tests psychométriquesqui évaluent les différentes composantes de l’at-tention et des fonctions exécutives. Il est pri-

mordial de prendre en compte le contexte psy-chologique, social et médical pour différencierun trouble de l’attention primaire lié à un dys-fonctionnement cérébral, d’un trouble secon-daire dû à un problème psychique ou social.

Les troubles du sommeil peuvent perturberl’attention, car ils ont des conséquences néfas-tes sur la qualité de l’éveil diurne et sur les capa-cités d’attention (voir la figure 3). Un enfant quia mal dormi lutterait pendant la journée contreson manque de sommeil par une hyperactivitéexcessive. Les spécialistes des pathologies dusommeil recommandent, devant un enfantanormalement agité, de rechercher des diffi-cultés respiratoires pendant le sommeil ou unsyndrome des jambes sans repos. Ce dernier,qui touche huit pour cent de la population, sedéfinit par un besoin irrépressible de remuerles jambes dès que l’on se trouve en positionimmobile, notamment avant l’endormisse-ment : un enfant sur cinq ayant ce syndromesouffre d’un trouble de l’attention, et les deuxsyndromes se caractérisent par le même dys-fonctionnement du système dopaminergique.

Pourquoi le diagnostic est-il difficile à poser ?

Il faut aussi veiller à ne pas confondre letrouble de l’attention avec certains autres trou-bles d’origine psychopathologique ou envi-ronnementale qui peuvent se traduire par lesmêmes signes cliniques d’inattention : c’estle cas de la dépression (qui perturbe aussi lescapacités d’attention), des troubles anxieux,telles les phobies, de l’anxiété de performance(la peur de ne pas réussir un test, par exemple,altère la concentration) ou de l’anxiété situa-tionnelle (provoquée, par exemple, par unenvironnement nouveau). Les troubles desconduites réactionnelles (agressivité, refus desnormes, comportement dangereux) ou lestroubles envahissants du développement, telsque l’autisme et la psychose infantile précoce,peuvent entraîner des symptômes similaires.

Parmi les causes environnementales, il n’estpas rare d’observer ces symptômes chez desenfants dont les conditions sociales et édu-catives sont très perturbées : attitudes paren-tales inadéquates ou incohérentes, carenceaffective ou troubles psychiques chez l’un desparents, voire les deux (troubles de la person-nalité, troubles de l’humeur, etc.). L’absencede concertation entre les professionnels de laneurologie et de la psychiatrie conduit sou-

2. La dopamine, mais également d’autres neurotransmetteurs,serait impliquée dans le trouble de l’attention. Le contrôle de l’attentionrepose sur un réseau de neurones reliant le cortex frontalau striatum (en haut). Normalement, la dopamine présente dansla synapse est « recyclée » (flèche rouge), mais reste présente en quantitésuffisante dans la synapse (a). Dans le cas du trouble de l’attention,le recyclage de la dopamine est trop important, de sorte quele neurotransmetteur qui garantit le bon fonctionnement du cortexfrontal est présent en trop faible quantité dans les synapses (b).

ab

Striatum

Cortex frontal

Neurone présynaptique

Dopamine

Transporteur de la dopamine

Neurone postsynaptique

Synapse

Raph

ael Q

ueru

el

13-Ess11_pxxxxx_inattention_herbillon_bsl.qxp 3/07/12 17:13 Page 72

Page 75: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

© L’Essentiel n° 11 août -octobre 2012 73

vent à une absence de diagnostic, voire à deserreurs de diagnostic.

Selon les cas, le médecin optera pour untraitement médicamenteux, des aménage-ments dans l’environnement ou le milieuéducatif de l’enfant, ou pour des thérapiescognitives et comportementales. Sur le plandes médicaments, le traitement de référenceest le méthylphénidate, un psychostimulantfigurant au tableau des stupéfiants. Pourquoidonner un excitant à un enfant déjà tropremuant ? Cette molécule bloque la recapturede la dopamine et de la noradrénaline, ce quirenforce l’action de ces deux neurotransmet-teurs : le circuit qui relie le cortex frontal etle striatum et qui est déficient chez le jeunepatient redevient efficace et active les struc-tures préfrontales nécessaires au contrôle del’attention. L’enfant est plus attentif, recou-vre une meilleure mémoire de travail et sesperformances scolaires s’améliorent ; il com-met moins d’erreurs, se montrant tout à lafois plus rapide, réfléchi, organisé et calme.

Un traitement efficace

L’efficacité du méthylphénidate est établie :il permet d’éviter l’apparition de problèmessérieux et de sortir certains enfants de situa-tions catastrophiques d’échec scolaire, deredoublements multiples et de mauvaiseorientation, ou même d’exclusion sociale. Àce titre, le risque de présenter à l’adolescenceun syndrome dépressif ou des conduites à ris-que, telles la délinquance ou la toxicomanie,est bien supérieur chez des enfants non trai-tés que chez des enfants traités. Malgré cesavantages, la prescription de méthylphéni-date ne doit être envisagée que lorsque l’in-tensité des symptômes et leurs répercussionsscolaires ou sociales le justifient pleinement,et ce toujours en accord avec les parents etl’enfant. En France, ce médicament est utilisésur une courte période (un ou deux ans), par-fois uniquement pendant les jours d’école.

Parents et éducateurs jouent un rôle de pre-mier plan auprès de l’enfant présentant untrouble de l’attention (voir la figure 4). Toutd’abord, le diagnostic doit les aider à compren-dre qu’il « ne fait pas exprès », qu’il ne s’agit nid’un problème de motivation ni d’un trou-ble du comportement. Ses difficultés sont duesà un trouble de l’attention et à un manque decontrôle de son comportement. Dès lors, il fautlui imposer un cadre éducatif ferme et bien-

veillant, en évitant les sanctions systémati-ques, sans effet. Il faut rappeler très souventles règles : ne pas couper la parole et attendreson tour, regarder avant de traverser la route.

Devant un surcroît d’agitation, on permet-tra à l’enfant de se défouler, de se lever de tablepour aller chercher l’eau ou le sel. Pour le tra-vail scolaire le soir à la maison, il est impéra-tif de réduire au maximum toutes les sourcesde distractions possibles en évitant par exem-ple de faire les devoirs devant la télévision ;limiter les accessoires, jouets et affiches pré-sents devant ou sur le bureau. Toutes les situa-tions offrant de multiples stimulations gênentl’enfant en favorisant l’éparpillement et la dis-tractibilité. Toujours sur le plan éducatif, l’hy-giène de vie, notamment sur le plan de l’ali-mentation et du sommeil, compte également :les boissons sucrées et excitantes doivent êtrecontrôlées – notamment le soir avant d’allerau lit. Les heures de coucher doivent être régu-lières en semaine tout comme le week-end,afin d’offrir une bonne récupération.

Un trouble attentionnel engendre lenteur,erreurs et manque d’autonomie dans le tra-vail scolaire. Des adaptations pédagogiquessimples sont par conséquent recommandées.Ainsi, il convient de bien capter l’attention del’enfant avant de lui donner une consigne,laquelle doit être simple et concise afin de nepas surcharger sa mémoire de travail. Lesdoubles tâches doivent être évitées. Par exem-ple, on peut proposer à l’enfant de relire sondevoir, mais en vérifiant une règle à la fois :la première fois, il relira en vérifiant que les

3. Les troublesdu sommeil,

notammentune fragmentation

du sommeil, entraînentdes troubles

de l’attention.Le syndrome dit

des jambes sans reposest parfois en cause.

Or le cortexpréfrontal, essentiel

pour le maintiende l’attention,

est sensible au manquede sommeil.

gsm

ad /

Shu

tterst

ock.c

om

13-Ess11_pxxxxx_inattention_herbillon_bsl.qxp 3/07/12 17:13 Page 73

Page 76: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

noms sont correctement accordés (singulierou pluriel), puis cette tâche terminée, il devravérifier les conjugaisons, et ainsi de suite…

Une telle approche évite à l’enfant de s’épar-piller sur les différents niveaux de l’analyseorthographique, ce qui effriterait ses ressour-ces attentionnelles. Les exercices « à trous »sont aussi conseillés. Par ailleurs, en plaçantl’enfant juste devant le tableau et loin de lafenêtre, on réduit ses sources de distractions.L’aide de l’enseignant est importante pourorganiser les séquences d’apprentissage avecdes temps pédagogiques ni trop longs ni tropvariés. Il faut toujours vérifier que l’enfant afini le travail engagé, note bien les devoirs surson agenda et s’équipe du matériel adéquat.

Les thérapies cognitives et comportementales

De nombreux sites Internet proposent d’en-traîner son attention. En fait, pour que des exer-cices soient susceptibles de rééduquer les trou-bles de l’attention, ils doivent s’inscrire dans untravail thérapeutique avec un professionnelcompétent qui définit, à partir du bilan initialayant identifié les troubles de l’enfant, les stra-tégies cognitives les plus appropriées. La thé-rapie passe par une étape indispensable : la prisede conscience par l’enfant de ses difficultés,ce que l’on nomme métacognition. Une séried’exercices permet à l’enfant de mettre en appli-cation chaque stratégie visant à sa rééducation.

Dans le cadre d’une thérapie cognitive, l’en-fant peut se mettre dans la peau d’un person-nage auquel est attribuée une fonction cog-nitive : l’un est un architecte qui construit lesplans d’une maison et organise chaque étape(réflexion avant l’action, organisation, planifi-cation), l’autre est un menuisier qui réaliseminutieusement les travaux en respectant la

procédure de l’architecte (réalisation, préci-sion), un autre encore est chef de chantier etcontrôle la réalisation du travail (vérification,surveillance, analyse des erreurs, autocritique).Des exercices sont proposés pour mettre enapplication chacun de ces personnages. À la fin,l’enfant évalue ses performances avec le théra-peute. L’entraînement peut reposer au débutsur des exercices ludiques tels des jeux vidéo,puis être progressivement remplacé par desexercices plus scolaires pour transférer à l’écoleles compétences acquises par le jeu.

Dans le cadre d’une thérapie comportemen-tale, l’impulsivité peut être travaillée au jourle jour dans des situations où l’enfant aurapour tâche de freiner son impulsivité naturellepour ne pas se mettre en danger, et d’appren-dre à réfléchir avant d’agir. Le contrôle de l’im-pulsivité peut aussi être renforcé avec des jeuxde société simples, comme le Uno où certainescartes imposent de passer son tour ou d’inver-ser le sens de la partie, obligeant le joueur sui-vant à ne pas abattre sa carte.

Ces approches sont des thérapies courtes,simples et efficaces. Elles ne permettent pasde guérir le trouble de l’attention, mais ellesapportent à l’enfant les armes pour lutter toutseul contre ses causes et ses conséquences. Lesfacteurs limitant leur utilisation sont l’âge (ellessont difficilement utilisables chez les enfantsâgés de moins de huit ans) et le degré de par-ticipation de l’enfant à la thérapie. Mais on nepeut que déplorer que ces thérapies soient rare-ment proposées aux enfants en France, fautede professionnels compétents formés à cesapproches d’inspiration anglo-saxonne.

Si le trouble de l’attention peut être pris encharge grâce à un diagnostic précis et des thé-rapies appropriées, il convient d’avoir uneréflexion sur les nouveaux modes de vie quichangent nos habitudes. Les rythmes de vies’accélèrent, les habitudes (horaires, alimen-tation) changent et les informations que nousrecevons sont beaucoup plus rapides et plusnombreuses. Tout cela nous oblige à traiteren temps réel un nombre considérable d’in-formations sans avoir le temps d’analyser etde réfléchir pour comprendre les phénomè-nes qui nous entourent.

Savoir contrôler son attention de façon àsélectionner les informations pertinentesdevient un enjeu essentiel aujourd’hui. Laculture en général et la pédagogie en particu-lier doivent relayer, plus que jamais, les ver-tus de l’analyse et de la réflexion. �

74 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho

Kara

m M

iri -

zuluf

oto

/ Sh

utter

stock

.com

4. Les parentsont un rôle notableà jouer pour aiderun enfantà se concentrersur ses devoirs.Toutes les sourcesde distraction doiventêtre éliminéeset un dialogueavec l’enfantest bénéfique.

Bibliographie

G. Tripp et al.,Neurobiology of ADHD,in Neuropharmacology,vol. 57, pp. 579-589,2009.M.-J. Challamel et al., Le sommeilde l’enfant, Masson,2009.N. Bedoin et al.,Dyslexie de surfacechez l’enfant et déficitde l’inhibitiondes détails : aide au diagnosticet remédiation,in A. Devevey (sous la direction de),Dyslexies : Approchesthérapeutiques,de la psychologiecognitiveà la linguistique,Troublesdu développementpsychologique et des apprentissages,Solal, 2009.T. Brown, Attentiondeficit disorder : The unfocused mind in children and adults,Yale University Press,2006.J. Biedermanet al.,Attention-deficithyperactivity disorder, in Lancet, vol. 366,pp. 237-248, 2005.

13-Ess11_pxxxxx_inattention_herbillon_bsl.qxp 3/07/12 17:13 Page 74

Page 77: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

Je choisis mon mode de règlement :❑ par chèque à l’ordre de Pour la Science

❑ par carte bancaire No

Date d’expiration

Code de sécurité(les 3 chiffres au dos de votre CB)

à retourner accompagné de votre règlement à : Groupe Pour la Science • 628 avenue du Grain d’Or • 41350 Vineuil Tél. : 0 805 655 255 • e-mail : [email protected] BON DE COMMANDE

❑ Oui, je commande des numéros de L’Essentiel Cerveau & Psycho et de Cerveau & Psychoau tarif unitaire de 5,90 € dès le 2e acheté.Je reporte ci-dessous les références à 6 chiffres correspondant aux numéros commandés et au format souhaité :

1re réf. x 6,95 € = €

2e réf. x 5,90 € = €

3e réf. x 5,90 € = €

4e réf. x 5,90 € = €

5e réf. x 5,90 € = €

6e réf. x 5,90 € = €

Frais port (4,90 € France – 12 € étranger) + €

❑ Je commande également la reliure Cerveau & Psycho (capacité 12 nos au format classique) au prix de 14 € + €

TOTAL À RÉGLER €

6, 9 50 1

❑ Je souhaite recevoir la newsletter Cerveau & Psycho à l’adresse e-mail suivant :

En application de l’article 27 de la loi du 6 janvier 1978, les informations ci-dessus sont indispensables au traitement de votre commande. Elles peuvent donner lieu à l’exercice du droit d’accès et de rectifi cation auprès du groupe Pour la Science. Par notre intermédiaire, vous pouvez être amené à recevoir des propositions d’organismes partenaires. En cas de refus de votre part, merci de cocher la case ci-contre ❑.

J’indique mes coordonnées :Nom :

Prénom :

Adresse :

C.P. : Ville :

Pays : Tél.*:

VP

ES

E11

• O

ffre

vala

ble

jusq

u’au

31.

11.2

012.

*facultatif

@

Signature obligatoire

Le thématique dé référence de lapsychologie et des neurosciences

Complétez votre collectionau format classique

ou pocketdès maintenant !

Découvrez aussi Cerveau & Psycho, le magazine d’actualité de la psychologie et des neurosciences

Plus de titres sur www.cerveauetpsycho.fr

Tous les numéros disponiblesréférence de la

classique (21x28 cm)

pocket (16,5x23 cm)

La méditation no 52 (juillet 12) ❑ 076052 ❑ 076552

L’autisme no 51 (mai 12) ❑ 076051 ❑ 076551

Thérapies ciblées no 50 (mars 12) ❑ 076050 ❑ 076550

Voir le cerveau autrement no 49 (janv. 11) ❑ 076049 ❑ 076549

Stress : bon ou mauvais ? no 48 (nov. 11) ❑ 076048 ❑ 076548

Attention aux pièges de l’attention ! no 47 (sept. 11) ❑ 076047 ❑ 076547

Êtes-vous créatif ? no 46 (juillet 11) ❑ 076046 ❑ 076546

Des pilules pour booster son cerveau ? no 45 (mai 11) ❑ 076045 ❑ 076545

La douleur chronique no 44 (mars 11) ❑ 076044 ❑ 076544

Comment la magie piège le cerveau no 43 (janv.11) ❑ 076043 ❑ 076543

Comment pensent les bébés ? no 42 (nov. 10) ❑ 076042 ❑ 076542

Comment motiver les élèves ? no 41 (sept. 10) ❑ 076041 ❑ 076541

Plongez zen ! no 40 (juil. 10) ❑ 076040 ❑ 076540

L’art de la persuasion no 39 (mai 10) ❑ 076039 ❑ 076539

La force de l’empathie no 38 (mars 10) ❑ 076038 ❑ 076538

Soyez positif ! no 37 (janv. 10) ❑ 076037 ❑ 076537

Peut-on changer ? no 36 (nov. 09) ❑ 076036 -

Les émotions : comment les déchiffrer ? no 35 (sept. 09) ❑ 076035 -

Le cerveau halluciné no 31 (janv. 09) ❑ 076031 -

classique (21x28 cm)

pocket (16,5x23 cm)

Vaincre son anxiété no 10 (mai 12) ❑ 076910 ❑ 076810

L’intelligence : comment la cultiver ? no 9 (fév. 12) ❑ 076909 ❑ 076809

Les racines de la violence no 8 (nov. 11) ❑ 076908 ❑ 076808

Les émotions au pouvoir no 7 (août 11) ❑ 076907 ❑ 076807

Dans le dédale des mémoires no 6 (mai 11) ❑ 076906 ❑ 076800

Cerveau homme / femme no 5 (fev. 11) ❑ 076905 ❑ 076806

Le cerveau mélomane no 4 (nov. 10) ❑ 076904 ❑ 076805

Cerveau, amour et désir no 3 (août 10) - ❑ 076804

Le sommeil et ses troubles no 2 (mai 10) - ❑ 076803

Drogues et cerveau no 1 (fév. 10) - ❑ 076802

Illusions : des pièges pour le cerveau hors-série (août 09) - ❑ 076801

5,90 €dès le 2e numéroacheté !

collec_cps2_grand.indd 1collec_cps2_grand.indd 1 04/07/12 11:5604/07/12 11:56

Page 78: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

76 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho

Quelles que soient les méthodesemployées par l’instituteurdu cours préparatoire, il n’estpas forcément évident pourun enfant d’apprendre à lire,

écrire et compter. En France, dans les classesdu primaire et du secondaire, cinq à dix pourcent des enfants présentent des difficultés sco-laires liées à un trouble spécifique des appren-tissages : on parle de dyslexie pour la lecture,de dysorthographie pour l’orthographe et dedyscalculie pour le calcul.

La dyslexie se caractérise par une lecturelente et laborieuse, entachée de nombreuseserreurs. La dysorthographie correspond à unelenteur de l’exécution, des hésitations et unepauvreté des productions écrites, accompa-gnées de fautes d’orthographe, de conjugaison,de grammaire et d’analyse. La dyscalculie estune difficulté à calculer, à se représenter unequantité en valeur numérique ou à comparerdeux nombres. D’où viennent ces pathologies ?

Ce sont des troubles neurodéveloppemen-taux, en ce sens qu’ils surviennent lors dudéveloppement cérébral d’un enfant qui neprésente par ailleurs aucune déficience sen-sorielle – auditive ou visuelle – ou intellec-tuelle. Des anomalies dans le développementde certaines aires cérébrales instaureraient

progressivement un retard dans la faculté delire, écrire ou compter.

Pour les enfants « dys », il n’existe aucun évé-nement pathologique repérable ; cependant, lalecture, l’orthographe ou le calcul se mettenten place de façon anormale. En général, le trou-ble persiste à l’âge adulte, même si des phéno-mènes de compensation sont possibles grâce àla rééducation (nous y reviendrons). En outre,chez un même enfant, différents troubles peu-vent s’associer – la dyslexie étant presque tou-jours accompagnée de dysorthographie – et cetenfant souffre parfois en plus de problèmes sen-sorimoteurs, tels des troubles de la vision, de lacoordination ou de l’attention ; en fait, chaquetrouble de l’apprentissage est unique.

Des facteurs environnementaux participentsans doute à la mise en place de ces patholo-gies ; mais les neuroscientifiques ont mon-tré que ces troubles ont des causes neurobio-logiques et génétiques, quels que soient lemilieu socioculturel de l’enfant et la méthodepédagogique adoptée. Ces handicaps peu-vent entraîner une marginalisation, voire unestigmatisation des enfants. Les échecs cumu-lés aboutissent souvent à des difficultés d’in-sertion sociale à l’âge adulte. Il est donc indis-pensable de dépister et de prendre en chargeles enfants atteints de troubles « dys ». Comme

Les troubles de l’apprentissage

Près d’un enfant sur dix présente des difficultés pour lire,écrire ou faire des calculs. Les mécanismes neurobiologiques

impliqués se dévoilent et facilitent la rééducation.

Yves Chaixest professeurdes universités-praticien hospitalierdans l’Unitéde neurologiepédiatriqueà l’Hôpitaldes enfantsde Toulouse,et membrede l’Unité INSERM 825.Jean-FrançoisDémonetest neurologueet professeurau Départementdes neurosciencescliniques du CHUVaudois à Lausanne.

14-Ess11_pxxxxx_lect-calc_demonet_bsl.qxp 3/07/12 17:14 Page 76

Page 79: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

on connaît davantage les mécanismes défici-taires dans ces pathologies, les rééducationsorthophoniques sont souvent efficaces.

Un enfant, un trouble

Nous l’avons dit, chaque enfant est unique,et il en est de même pour les différents trou-bles rencontrés. Pour l’illustrer, nous présen-terons les données obtenues depuis plus de20 ans sur la dyslexie – et la dysorthographie –avant de parler des résultats récents concer-nant la dyscalculie. Dans tous les cas, les tech-niques d’imagerie cérébrale et de génétiqueont permis de mieux comprendre les méca-nismes mis en œuvre dans ces pathologies.

Les études des mécanismes des troubles« dys » concernent surtout la dyslexie et débu-tent dans les années 1980. C’est à ce moment-là qu’on découvre à la surface du cerveaud’adultes dyslexiques décédés des agrégats decellules gliales – des cellules cérébrales non neu-ronales – associées à une cinquantaine ou unecentaine de neurones : on parle d’« ectopies ».Ces particularités architecturales seraient duesà des anomalies de la migration des neuroneslors du développement cérébral.

Elles sont présentes dans des aires cérébra-les particulières (les régions corticales proches

de la scissure de Sylvius et sous-thalamiquesgauches, voir l’encadré page 78). Les symptô-mes dyslexiques dépendraient de la localisa-tion des ectopies : selon leur position, ellesperturberaient diverses régions essentielles autransfert de l’information dans les réseauxsous-tendant les fonctions du langage ; chezl’enfant, cette perturbation concernerait leréseau de la lecture en développement.

Complétant les résultats fournis par l’ana-tomie, les techniques d’imagerie fonctionnelleont permis d’identifier les réseaux neuronauximpliqués dans des tâches cognitives variéeset parfois complexes, telles la lecture et l’or-thographe. Chez l’adulte sain, les régionsmises en jeu dans la lecture de mots isolés sontréparties dans tout le cerveau ; toutefois, un

© L’Essentiel n° 11 août -octobre 2012 77

• Les troubles de la lecture, de l’orthographe et du calculsurviennent au cours du développement cérébral.

• Un dysfonctionnement de trois circuits neuronaux seraitresponsable de la dyslexie, un trouble de l’automatisation de la lecture.

• Les dyscalculies – des difficultés en arithmétique –seraient dues à une perte du « sens du nombre ».

• Les troubles « dys » auraient en partie une origine génétique.

En Bref

© S

hutte

rstoc

k/Ro

bert

Szak

iel

14-Ess11_pxxxxx_lect-calc_demonet_bsl.qxp 3/07/12 17:14 Page 77

Page 80: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

78 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho

réseau hémisphérique gauche comprenantdeux circuits postérieurs et un circuit anté-rieur domine. Ce « réseau de la lecture » estsollicité quand on déchiffre un texte.

Quelles sont les fonctions de ces circuits ?Les deux circuits postérieurs sont le ventral etle dorsal. Le circuit ventral ou occipito-tem-poral est impliqué dans le traitement des uni-tés graphiques – ou graphèmes, une lettre ouun groupe de lettres – et dans leur mise encorrespondance avec les unités sonores – ouphonèmes (en français, 16 sons de voyelleset 21 sons de consonnes) – constituant lesmots. Il stocke les représentations orthogra-phiques et s’active quand on voit les motsécrits. Le circuit dorsal ou pariéto-temporalparticipe à la reconnaissance lexicale et au trai-tement des séquences phonologiques – la pro-nonciation ou la décomposition en unitéssonores minimales d’un mot (les syllabes). Lecircuit antérieur correspond à la région fron-tale inférieure et est relié aux deux circuits pos-térieurs ; il est mis en jeu dans les mécanismesarticulatoires quand on produit les mots.

Apprendre à lire

Existe-t-il une correspondance entre cescircuits anatomiques et les deux modèlescognitifs de la lecture, la lecture experte (quicorrespond à l’ancienne technique d’appren-tissage de la lecture dite globale) et la lecturepar assemblage (dont la technique d’appren-tissage était dite syllabique) ? Le processusde lecture experte associe automatiquementla forme visuelle des mots à leur sens et àleur décomposition en phonèmes. Le pro-cessus d’assemblage – on associe chaque gra-phème au phonème correspondant – estplus laborieux, mais il contribue à enrichirle lexique de mots nouveaux, d’abord déchif-frés de façon analytique, puis assemblés pourêtre acquis sous une forme plus globale.

Ces deux procédures sont complémentai-res et interagissent lors de l’apprentissage…Ce serait aussi le cas des circuits anatomo-fonctionnels où circule l’information du sys-tème visuel qui est transformée en entitésayant un sens. D’ailleurs, les méthodes de lec-ture actuelles dans les classes du primairedéveloppent simultanément toutes les com-pétences nécessaires pour lire et écrire.

Les enfants dyslexiques et dysorthographi-ques ont souvent des difficultés de traitementphonologique : ils manipulent mal les phonè-

Cellule gliale

Neurone

Gyrus frontalinférieur

Scissure de Sylvius

Ectopie

Gyrusfusiforme

Cortex occipito-temporal

Cortex pariéto-temporal

Gyrus supramarginal

Gyrusangulaire

Delp

hine

Bailly

L es régions impliquées dans lalecture sont réparties dans

tout le cerveau. On peut toute-fois isoler un réseau hémisphéri-que gauche formé de deux cir-cuits postérieurs et d’un circuitantérieur.Le circuit occipito-tem-poral (en violet) est centré sur legyrus fusiforme ; il participe autraitement des unités graphi-ques et à leur mise en corres-pondance avec les unités sono-res formant les mots. Il s’activequand on voit les mots écrits.Le circuit pariéto-temporal (enrouge) comprend le gyrus angu-laire et le gyrus supramarginal ;le gyrus angulaire est impliquédans la reconnaissance lexicale,et le gyrus supramarginal dans letraitement des séquences pho-nologiques. C’est ainsi que l’onapprend à décomposer mentale-ment le mot salon en syllabes saet lon.Le circuit antérieur corres-

pond surtout au gyrus frontalinférieur (en vert) ; il est relié auxdeux circuits postérieurs et estimpliqué dans la production orale.

Les enfants dyslexiques pré-sentent une hypoactivité desrégions pariéto-temporale etoccipito-temporale gauches.Et le circuit antérieur ne fonc-tionne pas comme chez unlecteur « normal ». Il existerait,dans le cortex d’un dyslexique,des amas de cellules gliales et deneurones nommés ectopies (voirla figure du bas) ; ces agrégatsseraient dus à une migrationanormale des neurones depuisla zone dite germinale vers lasurface du cortex cérébral lorsdu développement du cerveau.Ils sont localisés, comme leréseau de la lecture, le long dela scissure de Sylvius. Mais onignore comment ils perturbentl’apprentissage de la lecture.

Le réseau de la lecture

14-Ess11_pxxxxx_lect-calc_demonet_bsl.qxp 3/07/12 17:14 Page 78

Page 81: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

© L’Essentiel n° 11 août -octobre 2012 79

mes (voir l’encadré page 81). Cette anomalieempêche l’automatisation de la procédure demise en relation des graphèmes avec les pho-nèmes, qui est pourtant indispensable à l’ap-prentissage de la lecture et de l’orthographe.

La plupart des études utilisant des techni-ques d’imagerie fonctionnelle – l’imagerie parrésonance magnétique fonctionnelle ou latomographie par émission de positons – mon-trent un dysfonctionnement des régions par-ticipant aux traitements phonologiques etsituées le long d’une structure nommée la scis-sure de Sylvius de l’hémisphère gauche.

Une hypoactivitécérébrale dès sept ans

Ce sont notamment la région postérieurepariéto-temporale et la région antérieurefrontale inférieure gauches. En effet, lors detâches impliquant un traitement phonologi-que – des exercices de rimes ou de manipu-lation de phonèmes, par exemple l’enfant doittrouver les deux mots qui riment parmi lestrois mots qui lui sont proposés –, la premièreaire est souvent peu activée et la seconde est,selon l’âge des sujets, soit hyper-, soit hypo-activée. Ces anomalies caractériseraient lespersonnes dyslexiques et ne dépendraient pasdu niveau de lecture ou de la difficulté de latâche cognitive proposée dans le scanner.

Notons que la plupart des ectopies – cesanomalies de structure présentes dans le cer-veau des dyslexiques – se répartissent le longde la scissure de Sylvius gauche. Mais onignore comment elles modifient l’activité desrégions cérébrales concernées.

En outre, les sujets dyslexiques ont par-fois des anomalies de traitement visuel, cequi nuit à l’analyse de la forme des motsindispensable à la mise en place d’une lec-ture rapide et efficace. Le traitement globaldu mot lu met en œuvre le circuit occipito-temporal gauche. Or cette région contient,d’après les neurobiologistes Laurent Cohen,à l’Hôpital de la Pitié-Salpêtrière, et StanislasDehaene, du Collège de France, une aire quise spécialise pour la reconnaissance de laforme visuelle des mots ; cette aire seraitsous-activée chez les personnes dyslexiquespar rapport à des sujets contrôles. Qui plusest, tous les dyslexiques, quelle que soit leurlangue maternelle (anglais, français ou ita-lien), présentent une hypoactivité de cetterégion temporale inférieure.

Depuis le début des années 2000, un cer-tain nombre d’études montrent que l’hypo-activité des régions postérieures pariéto-tem-porale et occipito-temporale gauches existedès l’âge de sept ans, c’est-à-dire dès le débutde l’apprentissage de la lecture.

Ces résultats vont à l’encontre de l’hypo-thèse selon laquelle de longues années de dif-ficultés en lecture engendrent le déficit d’ac-tivation observé chez les adultes dyslexiques ;le dysfonctionnement serait présent d’em-blée dans l’organisation du cortex. De plus,Sally et Bennett Shaywitz et leurs collègues,de l’Université Yale, ont montré que les enfantset les adultes dyslexiques ayant les niveaux delecture les plus bas – évalués par des tests com-portementaux – sont aussi ceux pour lesquelsl’activité de ces régions est la plus faible.

Toutefois, le cerveau « gauche » des dys-lexiques ne serait pas tout seul… S. Shaywitzet ses collègues ont montré que l’activité céré-brale augmente avec l’âge dans les régionsfrontales inférieures gauches et droites dessujets dyslexiques lors d’un exercice de rimes.

1. Chez un enfant âgé de dix ans atteint d’une dyslexieassociée à des troubles de la vision et de l’attention, on constate

une hypoactivité des régions occipito-temporale et pariéto-temporalegauches (en haut, l’activité cérébrale est enregistrée en IRM fonctionnelle).Deux mois plus tard, après un entraînement visuel intensif (par exemple

repérer un trajet dans un labyrinthe), l’IRM fonctionnelle montre uneforte augmentation de l’activité cérébrale dans les cortex occipito-

temporaux et pariétaux supérieurs gaucheset droits quand l’enfant lit un texte (en bas) ; cette augmentation

de l’activité cérébrale s’accompagne d’une améliorationdes performances de lecture.

Hémisphère droit Hémisphère gauche

AV

AN

TEN

TRA

ÎNEM

EN

TA

PRÈS

EN

TRA

ÎNEM

EN

T

Cortex pariétal

Cortexoccipito-temporal

C. Pe

yrin,

S. V

aldois

, CN

RS/U

MR5

105,

Lab.

de P

sych

. et n

euro

cogn

., Un

iv. G

reno

ble II

14-Ess11_pxxxxx_lect-calc_demonet_bsl.qxp 3/07/12 17:14 Page 79

Page 82: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

Cela suggère un phénomène de compensa-tion : l’augmentation de l’activité dans lesrégions frontales ou les régions hémisphéri-ques droites permettrait de pallier la faibleactivation des régions postérieures gauches.Dès lors, est-il possible de faciliter cette com-pensation par des méthodes de rééducation ?

Une rééducation efficace

Associées à un enseignement approprié, lesrééducations – essentiellement de type ortho-phonique – interviennent sur le langage oral,la phonologie, la lecture, l’orthographe, lamémoire de travail, avec des moyens adaptésau handicap de chaque enfant dyslexique etdysorthographique. Les traitements compor-tent souvent des entraînements phonologiques,

c’est-à-dire le fait de discerner et de manipu-ler les sons élémentaires constitutifs et distinc-tifs des mots de la langue. Par exemple, l’enfantapprend à trouver les deux mots qui rimentparmi ces trois : crayon, vélo et ballon.

Ces exercices d’orthophonie incluent d’au-tres aspects linguistiques ; on travaille la mor-phologie, à savoir la capacité à identifier dansun mot la racine lexicale et des éléments àfonction grammaticale, par exemple les for-mes conjuguées des verbes ; on apprend àreconnaître et à manipuler les différents grou-pes fonctionnels (sujet, verbe, compléments) ;on essaie de formuler correctement un dis-cours, une argumentation.

Cependant, les méthodes d’entraînementcommercialisées et utilisées en clinique n’ontgénéralement pas été évaluées, de sorte qu’on

80 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho

Cortex pariétal

Cortexoccipito-temporal

Cortexpréfrontal

HÉMISPHÈRE DROIT HÉMISPHÈRE GAUCHE

Aires du langage

Gyrus angulaire

Gyrus cingulaireantérieur

Sillon horizontalintra-pariétal

Delp

hine

Bailly

I l n’existe pas de région spécifique dédiée au calcul– pas de « bosse des maths ».Trois systèmes céré-

braux distincts, mais interconnectés, sous-tendent lestrois formats de représentation mathématique du « tri-ple code ». Selon cette théorie proposée par S.Dehaeneet L. Cohen, l’information numérique se décomposeen trois formats : un verbal, un visuel et un analogique.Le premier est lié aux aires du langage – aires de Brocaet de Wernicke (en rose) – situées dans l’hémisphèregauche ; il permet de compter et de retenir les tablesd’addition et de multiplication.Le deuxième correspondaux régions occipito-temporales (en violet) des deuxhémisphères ; il est nécessaire pour l’écriture en chiffres

arabes,mis en jeu dans les calculs complexes et les juge-ments de parité.Le troisième, l’analogique,est sous-tendupar les régions pariétales droites et gauches (en orange)autour du sillon horizontal intrapariétal ; il code l’impor-tance des nombres et permet les comparaisons, l’esti-mation des quantités ou les calculs approximatifs.

En outre, le cortex préfrontal (en vert) intervient dansla mémoire de travail et les mécanismes de planificationet de contrôle, ces aptitudes participant aux calculs com-plexes et à la résolution de problèmes.

Quelques données de l’imagerie cérébrale suggè-rent que la dyscalculie serait due à des anomalies desrégions pariétales.

Le réseau du calcul

14-Ess11_pxxxxx_lect-calc_demonet_bsl.qxp 3/07/12 17:14 Page 80

Page 83: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

ignore leur validité ou leurs avantages respec-tifs. En revanche, les rééducations phonolo-giques apportent de réelles améliorations, sur-tout en cas d’entraînement intensif (l’enfantvoit alors l’orthophoniste au moins trois foispar semaine, voire tous les jours).

En général, un enfant dyslexique reste dys-lexique à l’âge adulte, même s’il sait lire etcomprend ce qu’il lit ; toutefois, l’adulte conti-nue à lire lentement et reste dysorthographi-que. Le succès d’une rééducation dépend defacteurs propres à chaque enfant dyslexique.

Grâce à l’imagerie fonctionnelle, on étudienon seulement les déficits du réseau cérébralde la lecture, mais aussi sa « plasticité » due àdes phénomènes de compensation ou desentraînements intensifs. Six études réaliséeschez des enfants dyslexiques montrent qu’uneaugmentation de l’activité cérébrale est asso-ciée à une amélioration des performances lin-guistiques, après des protocoles de rééducationdivers, mais intensifs dans la prise en charge.

Le cerveau « compense »

Par exemple, dans l’étude de l’équipe d’EliseTemple, à l’Université Stanford, avant l’entraî-nement, la région pariéto-temporale gauchene s’activait pas chez les enfants dyslexiqueslors d’un exercice de rimes. En revanche, elles’active chez les « normo-lecteurs ». Par ail-leurs, la région frontale gauche des dyslexi-ques et des sujets contrôles s’active, mais dansdes aires différentes. Après entraînement, chezles dyslexiques, l’activité de la région tempo-rale ou pariétale gauche augmente, et la régionfrontale gauche s’active dans la même aire quechez les personnes contrôles. On observe aussiune hyperactivité des régions temporale etfrontale droites. Ces améliorations correspon-dent à de meilleures aptitudes phonologiques(les enfants manipulent mieux les phonèmes),mais ne semblent pas avoir de lien direct avecles capacités de lecture.

Avec l’entraînement phonologique, le cer-veau semble remodelé. Mais les mécanismesen jeu au plan cognitif et au plan cérébral sem-blent peu spécifiques : on obtient les mêmesaméliorations avec des exercices non verbaux.Par exemple, on propose à l’enfant des exer-cices sollicitant la concentration et l’atten-tion visuelle : il doit repérer un trajet dansun labyrinthe ou retrouver parmi plusieursformes géométriques celle qui correspond àun modèle. Ainsi, lors des entraînements, plu-

sieurs facteurs, spécifiques ou non au langage,influeraient sur les symptômes de la dyslexieet leurs mécanismes neurologiques.

Si ces anomalies structurales sont présen-tes dès le plus jeune âge, quelle en est la cause ?Des facteurs génétiques interviennent-ils ? Ona initialement suspecté l’implication de gènesdans la dyslexie, car on a mis en évidence uneaugmentation du risque de dyslexie chez lesproches parents d’un sujet atteint. Puis degrandes études comparatives réalisées chez lesjumeaux monozygotes – de vrais jumeauxayant les mêmes gènes – et dizygotes – ayantdes gènes différents – ont montré que, si unenfant est dyslexique, son frère a 50 à 65 pourcent de risques de l’être aussi.

Aujourd’hui, on sait qu’une dizaine derégions du génome humain sont liées au ris-que de développer une dyslexie. Ces régions sesituent sur plusieurs chromosomes, et deuxgènes notamment – DCDC2 et K1AA0319 –augmenteraient le risque de dyslexie ; chez

© L’Essentiel n° 11 août -octobre 2012 81

La dyslexie� L’enfant confond à la lecture

certaines lettres de formes voisi-nes ou proches phonétiquement :piton devient bidon, hippopotame,hippopapame. Ces confusions nesont pas systématiques.

� Il inverse l’ordre des lettres(on est lu no), de certaines sylla-bes, de certains mots.

� Il omet certains sons (barest lu ba) ou en ajoute d’autres(poltron est lu polteron).

� La lecture est hachée, hési-tante, incompréhensible.

� L’enfant ne réussit pas àautomatiser la mise en corres-pondance des graphèmes enphonèmes ; la lecture restelente, surtout pour les motsnouveaux et les textes longs.

� Des troubles de l’orthogra-phe sont associés.

La dyscalculie� Dans les dyscalculies ver-

bales, l’enfant a des difficultéspour réaliser des opérationssimples (addition, soustraction,multiplication et division), etpour mémoriser et récupérerdes informations arithmétiques.

� Dans les dyscalculies visuel-les, il lit ou écrit mal les chiffresarabes.

� Dans les dyscalculies analo-giques, l’enfant présente desdéficits dans presque tous lesdomaines.

– Il ne peut se libérer dematériel concret ; il compte surses doigts jusqu’à la troisièmeannée de primaire.

– Il apprend par cœur lerésultat d’opérations arithméti-ques,mais ne les comprend pas.

– Il a de grandes difficultés àse représenter des nombres, àlire l’heure et à évaluer des dis-tances ou des durées.

Les symptômes de l’enfant « dys »

14-Ess11_pxxxxx_lect-calc_demonet_bsl.qxp 3/07/12 17:14 Page 81

Page 84: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

l’animal, ces gènes interviennent dans lesmécanismes de la migration neuronale… Orc’est justement des anomalies de ce phéno-mène qui engendrent la formation des ecto-pies, dont la mise en évidence chez l’hommea été, rappelons-le, le point de départ desrecherches sur les causes neurobiologiquesde la dyslexie. Ces études confirment aussile caractère complexe de la dyslexie : plu-sieurs gènes jouent vraisemblablement unrôle. Cette complexité expliquerait en par-tie l’hétérogénéité observée en clinique, carles troubles des enfants dyslexiques ou dys-orthographiques sont très différents.

En ce qui concerne la dyscalculie – ou plu-tôt les dyscalculies –, les recherches dans cedomaine sont moins abondantes que sur ladyslexie. On ignore par exemple s’il existe desectopies dans le cerveau des dyscalculiques.Néanmoins, depuis quelques années, de nou-veaux modèles théoriques et les études enimagerie fonctionnelle permettent de formu-ler des hypothèses concernant les déficits encalcul rencontrés dans l’enfance.

La dyscalculie concernerait 3,6 à 7,7 pourcent des enfants scolarisés. Elle serait moinsfréquente que la dyslexie et serait associée auxtroubles de la lecture dans 17 à 64 pour centdes cas (les études et les méthodes d’évalua-tion de l’arithmétique jouant sans doute un

rôle dans cet écart), ainsi qu’à destroubles de l’attention. De fait, seulun tiers des enfants dyscalculiquesne souffre que de ce trouble.

Différentes classifications ont étéproposées pour rendre compte del’hétérogénéité des profils neuropsy-

chologiques des enfants dyscalculiques.Selon le modèle théorique du « triple code »proposé par S. Dehaene et L. Cohen à la findes années 1990, l’information numériquepeut être manipulée dans trois formats dereprésentation : un format dit verbal, impli-qué dans le comptage, l’apprentissage et lamémorisation des faits numériques (tablesd’addition ou de multiplication) ; un formatvisuel, nécessaire pour l’écriture en chiffresarabes mise en œuvre dans les calculs com-plexes (par exemple, pour un enfant de huitans, calculer 53 – 39) et les jugements deparité ; et un format analogique qui codel’importance des nombres et permet les com-paraisons, l’estimation des quantités ou lescalculs approximatifs.

Pas de bosse des maths

Ainsi, Michael Von Aster et son équipe àBerlin distinguent trois types de dyscalcu-lies : les dyscalculies verbales engendrant desdifficultés dans la mise en œuvre des routi-nes de comptage pour réaliser des additions,et dans le stockage et la récupération d’in-formations arithmétiques ; les dyscalculiesvisuelles correspondant à des problèmes delecture et d’écriture des nombres en chiffresarabes ; et les dyscalculies analogiques (ougénérales) entraînant des déficits dans pra-tiquement tous les domaines de l’activiténumérique. Nous verrons que les enfantsconcernés par ce dernier type de dyscalculiesont privés du « sens du nombre », unenotion introduite par S. Dehaene.

Les études récentes en imagerie fonction-nelle permettent de rejeter l’ancienne idée– associée à la « bosse des maths » – de l’exis-tence d’une région cérébrale unique impli-quée dans les aptitudes mathématiques. Onsait désormais que les formats de représen-tation du modèle du triple code sont sous-tendus par trois systèmes cérébraux distincts,mais interconnectés : les régions pariétalespour le code analogique, les aires du langagede l’hémisphère gauche pour le code verbalet les régions occipito-temporales pour lecode visuel (voir l’encadré page 80).

S. Dehaene et son équipe ont montré quel’exécution d’une opération simple, telle unesoustraction ou une multiplication à un chif-fre, implique un réseau comprenant les régionspariétale, préfrontale et cingulaire chez le sujetsain. D’autres études soulignent, dans des acti-

82 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho

2. Un peu de phonologie...

� Le phonème est la plus petite unité sonore qui permet de distinguerdeux mots. Par exemple, /b/ et /v/ sont deuxphonèmes différents en français.

� Le graphème est l’unité élémentaire d’une langue écrite alphabétique ; c’est l’élément graphique correspondant auphonème. Ce n’est pas toujours une lettre unique :par exemple,le français ne dispose que de six lettres (a, e, i, o, u, y) pour retranscrireles 16 voyelles utilisées à l’oral.On utilise alors une combinaisonde lettres pour écrire certaines voyelles,par exemple la voyelle /ã/dans le mot antenne, /œ/ dans le mot fleur, et /u/ dans le mot mouche.Ces graphèmes sont progressivement associés aux phonèmescorrespondants quand on apprend à lire.

© S

hutte

rstoc

k/M

aria

Pav

lova

14-Ess11_pxxxxx_lect-calc_demonet_bsl.qxp 3/07/12 17:14 Page 82

Page 85: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

vités de calcul, la contribution d’une régiondu cortex pariétal des deux hémisphères : lesillon horizontal intrapariétal. Ce dernier seraitle support d’une représentation sémantiquedu nombre, indépendante du code verbal.Dans le lobe pariétal gauche, le gyrus angu-laire participe aussi au calcul, mais, contraire-ment au sillon intrapariétal, il dépend du codeverbal et participe à la récupération des infor-mations arithmétiques mémorisées. Pour lescalculs plus complexes ou la résolution de pro-blèmes, interviennent la mémoire de travail etdes mécanismes de planification et de contrôlequi incombent aux aires préfrontales.

« Le sens du nombre » est une aptitude uni-verselle nécessaire à la représentation et à lamanipulation des valeurs numériques sans lelangage. Cette capacité cognitive serait en par-tie innée : dès les premiers mois de la vie, l’en-fant manipule les nombres dans des opérationsmettant en jeu au maximum trois éléments,mais il ne peut qu’estimer des collections deplus de trois objets (« il y en a beaucoup », c’est-à-dire plus de trois). Toutefois, le développe-ment du code analogique permettant à l’en-fant et à l’adulte l’estimation des quantités oules calculs approximatifs sur les grands nom-bres est progressif pendant la phase présco-laire et les premières années de l’école primaire.Qui plus est, on sait que les capacités verbales,visuospatiales et exécutives – l’attention et lamémoire de travail – jouent un rôle important.

Une pertedu sens du nombre

Un consensus semble se dégager : la dyscal-culie serait une perte du « sens du nombre »due à un dysfonctionnement des circuits neu-ronaux participant à cette capacité. On pensenotamment à une anomalie pariétale. On a misen évidence une diminution du volume du cor-tex, d’une part, dans la région pariétale gauched’adolescents dyscalculiques, anciens préma-turés d’intelligence normale, d’autre part, auniveau du sillon intrapariétal droit de jeunesfilles présentant une maladie génétique et souf-frant d’une dyscalculie associée à des difficul-tés de visualisation de l’espace.

Ce trouble aurait une cause génétique. Eneffet, il existe une fréquence élevée d’antécé-dents de dyscalculie dans les familles d’enfantsprésentant cette pathologie. Mais cette hypo-thèse génétique est moins étayée que dans ledomaine des dyslexies, et, à ce jour, aucune

région chromosomique, ni aucun gène candi-dat n’ont été proposés dans les dyscalculies.

En général, quand un enfant souffre dedyscalculie, les méthodes de rééducationconcernent les difficultés cognitives qui sous-

tendent le trouble : on ne rééduque pas de lamême façon un enfant ayant des difficultésimportantes dans le domaine de la mémoirede travail qu’un enfant avec un déficit visuos-patial. À l’heure actuelle, aucune étude scien-tifique n’évalue une approche rééducativespécialisée pour les dyscalculies ; on saitcependant que certaines interventions enmilieu scolaire ont une réelle efficacité.

Pour les troubles « dys », l’objectif est decomprendre l’influence des facteurs généti-ques, mais aussi environnementaux. Ungrand projet européen, nommé Neurodys,est actuellement en cours ; on espère que lesrésultats permettront de mieux comprendreles liens entre caractéristiques génétiques,activité cérébrale et performances dans lestests de langage. Il permettra peut-être d’iden-tifier certains mécanismes de ces pathologies.

À l’école, les méthodes d’enseignement dela lecture et du calcul ont évolué et prennenten compte les résultats scientifiques concer-nant les bonnes stratégies d’apprentissage. Ellesvisent plusieurs niveaux et modes de représen-tation du langage ; il s’agit aussi bien des uni-tés (comme la syllabe) qui constituent les motsque le sens porté par les mots ou les phrases.De plus, les capacités d’expression écrite sontencouragées parallèlement à l’apprentissagede la lecture, tant il est vrai que l’expression etl’analyse orthographique se renforcent mutuel-lement. En outre, les enfants sont entraînés aucalcul approximatif et de tête, ce qui reste unebonne pratique d’après les résultats récents surles troubles de l’apprentissage. Enfin, le goûtde la lecture et l’attrait de la découverte d’unrécit doivent être communiqués aussi tôt quepossible par tous les adultes qui entourent l’en-fant, leurs parents et leurs enseignants. �

© L’Essentiel n° 11 août -octobre 2012 83

La rééducation des enfants dyslexiquesou dyscalculiques doit être adaptée aux performances et aux difficultés de chaque enfant.

Bibliographie

B. Butterworth et al.,Dyscalculia : from brain

to education,in Science, vol. 332,

pp. 1049-1053, 2011.S. Shaywitz et al.,

The educationof dyslexic children

from childhoodto young adulthood,

in Annual Reviewof Psychology, vol. 59,

pp. 451-475, 2008.M. Von Aster et

R. Shalev, Numberdevelopment

and developmentaldyscalculia,

in DevelopmentalMedicine and ChildNeurology, vol. 49,

pp. 868-873, 2007.J.-F. Démonet et al.,

Developmentaldyslexia, in Lancet,

vol. 363, pp. 1451-1460, 2004.

S. Dehaene et al.,Arithmetic

and the brain,in Current Opinion

in Neurobiology,vol. 14, pp. 218-224,

2004.

14-Ess11_pxxxxx_lect-calc_demonet_bsl.qxp 3/07/12 17:14 Page 83

Page 86: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

84 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho

Bien dormir et en quantité suffi-sante est essentiel au bien-être…chacun a déjà ressenti les effetsnégatifs d’un déficit en sommeil :le manque de concentration, d’at-

tention et d’énergie, l’irritabilité ou encore lafatigue. Le sommeil permet à l’organisme derécupérer (physiquement et psychiquement)et de sécréter l’hormone de croissance, mais iljoue aussi un rôle crucial dans les mécanismesd’apprentissage et de mémorisation. De nom-breuses études confirment qu’un sommeil debonne qualité, en quantité suffisante, et desrythmes biologiques réguliers participent aubon fonctionnement de la mémoire.

De façon schématique, on distingue deuxtypes de sommeil : le sommeil lent et le som-meil paradoxal. Le premier est divisé en som-meil lent léger et en sommeil lent profond, etc’est au cours du sommeil paradoxal que sur-viennent la majorité des rêves. Ces différentsstades de sommeil se succèdent au cours dela nuit en cycles d’environ 90 minutes. Uneactivité électroencéphalographique et unenvironnement neurochimique spécifiquescaractérisent chaque stade, et fournissent desconditions favorables à un processus lent etcomplexe qui aboutit au stockage des sou-

venirs et des connaissances en mémoire à longterme. Examinons comment les informationssont mémorisées durant le sommeil.

Depuis une vingtaine d’années,plusieurs étu-des où l’on empêchait des volontaires de dor-mir ont montré que le sommeil lent profond,prédominant en début de nuit, permet deconsolider, c’est-à-dire de stocker à long terme,des souvenirs en mémoire épisodique. Cettemémoire enregistre tous les événements vécusque l’on est capable de situer précisément dansle temps et dans l’espace (par exemple, le jourde son mariage). En laboratoire, on évalue cetteforme de mémoire avec des exercices consistantà mémoriser des séries de mots,même si ce typede tâche n’explore qu’une facette de la mémoireépisodique, sans tenir compte des dimensionsspatiale et temporelle des souvenirs.

Les phases du sommeil

À l’inverse, le sommeil paradoxal, qui pré-domine en fin de nuit, favoriserait la consoli-dation des apprentissages procéduraux, c’est-à-dire la mémoire des capacités et savoir-faire(par exemple, jouer du piano). D’autres tra-vaux ont montré que le sommeil lent profondet le sommeil paradoxal participaient tous deux

Dormir pour mieux apprendre

Les troubles de l’apprentissage

Les adolescents ne devraient pas négliger leur sommeil : la mémorisation à long terme d’informations pertinentes

est meilleure après une bonne nuit de sommeil. Les souvenirssont non seulement « consolidés », mais ils sont aussi triés.

Géraldine Rauchstravaille dans l’UnitéINSERM U1077de Neuropsychologie et neuroanatomiefonctionnellede la mémoirehumaine,à l’Université de Caen-Basse-Normandie.

16-Ess11_pxxxxx_sommeil-rauchs_bsl.qxp 3/07/12 17:19 Page 84

Page 87: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

à la consolidation des souvenirs quel que soitle type de mémoire mis en jeu.

Pour étudier les liens entre sommeil etapprentissage, nous avons utilisé une épreuvequi nous a permis d’évaluer les différentesfacettes de la mémoire épisodique, c’est-à-dire le contenu factuel et les dimensions spa-tiale et temporelle. Les volontaires devaientmémoriser deux listes de mots (contenu fac-tuel) et pour chaque mot, leur position surune feuille de papier (dimension spatiale) etla liste où il se trouvait (dimension tempo-relle). Puis nous avons ou non privé les par-ticipants de sommeil – plus précisément decertaines phases de sommeil – et avons éva-lué comment ils retenaient ces mots.

Ainsi, nous avons montré que le sommeillent profond consolide surtout les aspectstemporels du souvenir, alors que le sommeilparadoxal est bénéfique à la mémorisationdes caractéristiques spatiales. D’autres étu-des soulignent que le sommeil lent légerparticipe aussi à ce processus. En fait, la suc-cession ordonnée des différents stades desommeil au cours de la nuit refléterait lesdivers traitements que subit la trace mnési-que et qui la rendent stable et résistante auxinterférences et à l’oubli.

Les techniques d’imagerie cérébrale (latomographie par émission de positons ou TEP

et l’imagerie par résonance magnétique fonc-tionnelle ou IRMf) ont permis aux scientifi-ques de mieux comprendre le rôle du som-meil dans la consolidation des souvenirs. Avecces outils, on observe le cerveau fonctionner,c’est-à-dire les régions dont l’activité aug-mente ou diminue, au cours des différentsstades du sommeil, mais aussi lors d’unetâche de mémorisation. On étudie ces para-mètres chez des sujets ayant dormi et d’au-tres privés de sommeil après l’apprentissageet l’on compare leurs activités cérébrales.

Grâce à ces techniques, on a montré que laconsolidation des souvenirs repose sur unmécanisme de réactivation des neurones dans

© L’Essentiel n° 11 août -octobre 2012 85

• Les différentes phases du sommeil participent à la mémorisationdes apprentissages, qu’ils soient épisodiques, tel retenir des mots,ou procéduraux, par exemple faire du vélo.

• Dans l’hippocampe, les ondes du sommeil « réactivent » les neurones, de sorte que la trace mnésique est consolidée.

• Le sommeil favorise aussi le tri des informations pertinentes.

En Bref

1. Les adolescentsmanquent souvent

de sommeilet somnolent

dans la journée :ils ne mémorisentpas correctement

les informationsqu’ils entendent…

Wavebreakmedia ltd / Shutterstock.com

16-Ess11_pxxxxx_sommeil-rauchs_bsl.qxp 3/07/12 17:19 Page 85

Page 88: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

86 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho

l’hippocampe, une des régions essentielles àla mémorisation et aux apprentissages. Pource faire, Philippe Peigneux et ses collègues,de l’Université de Liège, ont proposé à desétudiants d’apprendre à se repérer dans uneville virtuelle complexe (cette tâche de navi-gation spatiale active un certain nombre derégions du cerveau dont l’hippocampe). Puis,au cours de la nuit suivante, ils ont enregistrél’activité cérébrale de ces sujets, notammentlors des épisodes de sommeil lent profond.

La réactivationnocturne des neurones

Ils ont constaté que l’hippocampe étaitréactivé au cours du sommeil chez les sujetssoumis au préalable à l’apprentissage spatial,alors qu’il ne l’était pas chez des sujets n’ayantpas réalisé la tâche. Cette structure cérébrale« rejoue» la partition durant la nuit. En outre,plus l’hippocampe était réactivé au cours de lanuit, plus les performances des sujets, mesu-rées le lendemain matin, étaient bonnes. Cesdonnées confirment l’existence d’un méca-nisme de réactivation des traces mnésiquesdurant le sommeil, phénomène déjà observéchez le rongeur à partir d’enregistrements del’activité électrique de différentes cellules del’hippocampe nommées « cellules de lieu ».

La réactivation d’ensembles de neuronesn’est pas le seul mécanisme permettant le

stockage à long terme des souvenirs. D’autrestravaux ont également montré que les ondeslentes et les fuseaux de sommeil, caractéris-tiques respectivement du sommeil lent pro-fond et lent léger, sont importants dans ceprocessus. Ces données ont permis aux scien-tifiques de proposer un modèle de consoli-dation des souvenirs au cours du sommeil.

Pour la mémoire épisodique, les informa-tions qui viennent d’être acquises seraientréactivées par l’hippocampe lors du sommeillent profond. Ces réactivations permettraientde « graver » plus profondément les tracesmnésiques au sein des réseaux de neurones.Elles surviendraient en même temps que dif-férentes ondes du sommeil lent (ondes len-tes et fuseaux), le tout favorisant le transfertdes souvenirs vers le cortex, c’est-à-dire desrégions de la substance grise situées à la sur-face du cerveau, où ils seraient stockés à longterme (voir la figure 2). Ce dialogue nocturneentre l’hippocampe et les aires corticales nese fait que si les concentrations de certainessubstances telles que l’acétylcholine, un neu-rotransmetteur, et le cortisol, une hormonedu stress, sont faibles en début de nuit. Cemécanisme de stockage des informations estprobablement semblable pour la mémoireprocédurale, mais il impliquerait des régionsdistinctes du cerveau.

En conséquence, le sommeil participe à lamémorisation des souvenirs. Mais le cerveau

2. Les ondes lentesaccompagnant les phases de sommeil lent profondet les « fuseaux » survenantdurant le sommeil lent légerparticipent à la consolidationdes informations en mémoireà long terme. Lorsd’un apprentissage, les neuronesde l’hippocampe s’activent :les souvenirs sont d’abord triésdans l’hippocampe et ensuite« transférés » dans le cortexpour y être stockés à long terme.Au cours de la nuit qui suitl’apprentissage, ces ondesfavoriseraient la réactivation des neurones de l’hippocampe,de sorte que la trace mnésiqueserait consolidée.

Cortex

Fuseaux

Hippocampe

Consolidation à long terme

Réactivationneuronale

Gér

aldi

ne R

auch

s - C

erve

au &

Psy

cho

Ondes lentes

16-Ess11_pxxxxx_sommeil-rauchs_bsl.qxp 3/07/12 17:19 Page 86

Page 89: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

© L’Essentiel n° 11 août -octobre 2012 87

consolide-t-il toutes les informations aux-quelles il est exposé chaque jour ou fait-il untri ? Pour répondre à cette question, nousavons réalisé en 2011, avec des collègues del’Université de Liège, une étude où nous avonsprésenté à des sujets jeunes des séries de mots.Chaque mot était suivi de la consigne « à rete-nir » ou « à oublier ». Juste après l’appren-tissage, nous avons réparti les volontaires endeux groupes : les premiers ont été privés desommeil durant la première nuit après l’ap-prentissage, les seconds ont eu le droit dedormir. Et nous avons fait passer un test demémoire à tous les participants trois joursaprès l’apprentissage.

Une mémoire sélective

Ainsi, les sujets privés de sommeil recon-naissaient autant de mots « à retenir » queles sujets ayant dormi, mais ils identifiaientaussi plus de mots associés à la consigne « àoublier ». Grâce à l’IRM fonctionnelle, nousavons montré que, lors de l’apprentissage demots, l’hippocampe était plus actif quandles participants devaient retenir un mot quelorsqu’ils devaient l’oublier. L’activation del’hippocampe lors de l’apprentissage sélec-tionne donc ce qui sera consolidé au coursdu sommeil : cette structure « étiquette » lescellules qui ont traité les informations à rete-nir pour indiquer qu’elles doivent se réacti-ver pendant le sommeil (voir la figure 3).

Ces résultats montrent qu’en cas de priva-tion de sommeil, la mémoire fonctionne, maisne distingue pas ce qui est utile et ce qui ne l’estpas. Nous pouvons imaginer qu’un étudiantqui se prive de sommeil avant un examen assi-mile des données utiles, mais aussi des infor-mations parasites qui peuvent encombrer samémoire. L’oubli est nécessaire au bon fonc-tionnement de la mémoire et n’est pas forcé-ment une défaillance...

Durant l’adolescence, les apprentissagesscolaires sont denses et les besoins physiolo-giques en sommeil en général insatisfaits.Selon une enquête Sofrès/ISV réalisée en 2005auprès de 502 adolescents âgés de 15 à 19 ans,le besoin de sommeil est d’environ neufheures par nuit. Or le temps de sommeil ensemaine est inférieur, de l’ordre de 7h45 enmoyenne. Ce manque de sommeil accumuléen semaine conduit souvent à une récupé-ration durant le week-end, avec notammentun lever tardif dans la matinée (décalé de

3h30 en moyenne). Cette privation chroni-que de sommeil a plusieurs causes : d’abord,l’horloge biologique régulant le cycle veille-sommeil est programmée pour provoquer unendormissement et un éveil plus tard chezles adolescents. De plus, l’envie de réussir enclasse, les emplois du temps chargés, les duréesde transport, mais également les nouvellestechnologies – présence dans la chambre dela télévision, du téléphone, de l’ordinateur,etc. – sont autant de facteurs contribuant àdiminuer la durée du sommeil. Ce manquede sommeil observé à l’adolescence provo-que une somnolence importante au cours dela journée et perturbe notamment l’humeuret la prise de décision.

Sommeil versus mémoire

Une étude américaine a suivi plusieurs mil-liers de collégiens et lycéens auxquels on avaitproposé deux horaires de début de cours,soit 7h20, soit 8h40. La plupart des élèves pré-fèrent commencer les cours à 8h40 plutôtqu’à 7h20. En outre, ceux ayant commencéles cours plus tard somnolent moins dans lajournée, et sont plus attentifs. Ils présententégalement moins de symptômes dépressifs.

D’autres travaux ont montré que le man-que de sommeil a des effets négatifs sur lesperformances et les résultats scolaires. Enconséquence, il est nécessaire de bien connaî-tre ses besoins en sommeil et de les respecterau mieux. Il serait aussi utile de réfléchir àl’organisation du travail scolaire pour amé-liorer la qualité de vie et les conditions d’ap-prentissage des élèves. �

3. Le sommeil permetau cerveau de trier

les informations pertinentes.Lors de la mémorisation

de mots, l’hippocampedes participants s’activeplus quand ces derniersdoivent retenir un mot

que lorsqu’ils doiventl’oublier. C’est ce signaldans l’hippocampe qui

indique au cerveau ce qu’ildoit consolider en mémoire

à long terme et ce qu’ilpeut effacer.

HippocampeIns

erm

/ U

niver

sité

de Li

ège

Bibliographie

G. Rauchs et al.,Sleep contributes

to the strengtheningof some memories over

others, dependingon hippocampal

activity at learning,in Journal

of Neuroscience,vol. 31, pp. 2563-

2568, 2011.S. Diekelmann

et J. Born,The memory function

of sleep, in NatureReviews Neuroscience,vol. 11, pp. 114-126,

2010.Le sommeil

et ses troubles,L’Essentiel Cerveau

& Psycho, n° 2,mai-juillet 2010.

16-Ess11_pxxxxx_sommeil-rauchs_bsl.qxp 3/07/12 17:19 Page 87

Page 90: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

88 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho

Depuis quelques années, les ensei-gnants sont de plus en plus sou-vent confrontés à des classesdifficiles à gérer, où règne unecertaine indiscipline. Ils se plai-

gnent du manque d’éducation et d’intérêt desélèves, ainsi que de la pénibilité de leurs condi-tions de travail. Confrontés à d’importantesdifficultés pour exercer leur métier, certainsfinissent par ne plus éprouver de plaisir àenseigner, sont fatigués, découragés et parfoismême dégoûtés par leurs élèves. Des enquê-tes effectuées dans des classes primaires mon-trent qu’une classe sur quatre ou sur cinq,selon les endroits, est concernée. Cette pro-portion est élevée et requiert une prise de

conscience. Face au développement de l’in-discipline, il importe de réagir avant que lephénomène ne prenne plus d’ampleur.

L’expérience acquise dans le recadrage detelles classes montre que l’on peut interveniravec succès dans bon nombre de cas. Dans cetarticle, nous décrivons brièvement les moyensutilisés par des enseignants pour restaurer unclimat de travail et rétablir avec leurs élèvesune relation d’autorité respectueuse et bien-veillante. Les indications fournies dans cecadre portent essentiellement sur les clas-ses maternelles et primaires, parce qu’il estassez facile d’agir à ces niveaux de la scola-rité et qu’une intervention précoce représentela meilleure des préventions pour éviter unedégradation plus sérieuse des situations dansles collèges.

Une classe peut être qualifiée de difficilequand un enseignant ne peut pas exercer cor-rectement son métier et que la majorité desélèves ne peut plus se concentrer et travaillerdans le calme, à cause de perturbations diver-ses. Souvent, les problèmes sont mineurs(bavardages, agitation, refus de travailler, pas-sivité, etc.), mais leur multiplication et leuraccumulation finissent par entraver sérieuse-ment le travail des enseignants et des élèves.

Comment gérer les classes difficiles ?

Les troubles de l’apprentissage

Quelques élèves perturbateurs ou agités transformentparfois une classe en chaos. L’enseignant peut intervenir

pour restaurer un meilleur climat de travail et rétabliravec les élèves une relation d’autorité

respectueuse et bienveillante.

Jean-ClaudeRichozest professeurformateur à la Hauteécole pédagogique de Lausanne,en Suisse.

• Les classes difficiles sont le plus souvent le fait d’un petit nombred’élèves perturbateurs, agités ou opposants.

• De nombreux enseignants n’osent malheureusement plusfaire preuve d’autorité devant leurs classes, parce qu’ils doutentou ont peur de passer pour... autoritaires.

• Pour établir un climat de travail dans une classe, il faut créerune bonne relation affective avec les élèves, faire respectercertaines règles essentielles et ne pas hésiter à sanctionner.

En Bref

15-Ess11_pxxxxx_class-diff_richoz_bsl.qxp 3/07/12 17:20 Page 88

Page 91: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

Il est important de considérer qu’une classen’est en soi jamais difficile, mais qu’elle ledevient dans un contexte relationnel et descirconstances particulières. Une même classepeut parfois être quasi ingérable pendantquelques semaines ou quelques mois et rede-venir ensuite normale, simplement parce queles difficultés se sont aplanies avec le tempsou parce qu’on a pris des mesures appropriéespour rétablir un climat de travail et une rela-tion positive de l’enseignant avec ses élèves.

Qu’est-ce qu’un élève difficile ?

Au niveau individuel, un élève est perçucomme difficile quand il demande tellementd’attention et d’énergie que l’enseignant nepeut plus enseigner et s’occuper du reste dela classe comme il devrait le faire. On dis-tingue principalement des élèves difficiles detype perturbateur, agité ou opposant, certainsenfants présentant parfois plusieurs de cescaractéristiques (voir la figure 4).

L’élève perturbateur bavarde souvent, dé-range la classe, ne respecte pas les règles, cha-hute, attire l’attention de ses camarades, lesdistrait et les fait rire, interrompt l’ensei-gnant, fait intentionnellement du bruit etémet souvent des remarques ou des com-mentaires à haute voix. L’élève agité ne restepas tranquille sur sa chaise, se lève, se déplace,n’est pas attentif, se laisse facilement distraire,joue et fait du bruit avec son matériel. Il estaussi impulsif, interrompt les autres, prendspontanément la parole, peine à terminer sontravail, ne fait pas ce qu’on lui demande, estpeu ou mal organisé, et oublie ses affaires.Enfin, l’élève opposant refuse de travailler,de faire ce qui est demandé, ne fait pas sesdevoirs, n’obéit pas, conteste, exprime ouver-tement son désintérêt, provoque, répond àl’enseignant, le défie, se met en colère, estgrossier, insulte, menace, fait des crises, etc.

Dans les classes qui posent problème, ontrouve en moyenne cinq élèves difficiles(sur 20), avec à peu près autant d’élèves per-turbateurs et agités et un nombre plus faibled’élèves opposants, mais ces derniers représen-tent un facteur de gêne important. Certainesclasses sont même parfois perçues comme dif-ficiles par les enseignants en raison de la pré-sence d’un seul élève de type opposant.

Rétablir un cadre de travail

Pour réussir à remettre une classe difficileau travail, l’enseignant doit rétablir une rela-tion d’autorité respectueuse et bienveillante,en commençant par s’appuyer sur son auto-rité de statut. Celle-ci lui donne le droit d’exi-ger et d’obtenir que les élèves respectent desrègles de travail qui garantissent le maintiende la discipline et le déroulement normal desactivités d’apprentissage. Mais cette autoritédoit surtout être considérée comme un devoiret une responsabilité à assumer, car le respectde certaines règles est nécessaire pour garantirun cadre de travail sécurisant et propice à l’ap-prentissage de tous les élèves. Ce cadre de dis-cipline doit clairement établir les possibles etles interdits, être stable, impartial et impliquerun respect réciproque. Pour le poser, trois élé-ments sont importants : des règles essentielles,des règles pratiques et des rituels, ces derniersfacilitant la compréhension et le respect desrègles par les enfants. Dans la liste des règlesessentielles pour les classes maternelles et

© L’Essentiel n° 11 août -octobre 2012 89

1. Une classesur quatre ou cinq

selon les endroitsserait difficile :

présence d’élèvesbruyants, tapageurs,refusant les activités

de la classe ; ambiancetendue et délétère.

max

imino

/ S

hutte

rstoc

k

15-Ess11_pxxxxx_class-diff_richoz_bsl.qxp 3/07/12 17:20 Page 89

Page 92: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

90 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho

primaires, il importe d’expliquer avec uneconviction particulière les suivantes : la classeest un lieu de travail ; les élèves obéissent à l’en-seignant ; chaque élève a le droit d’apprendre ;l’enseignant a le devoir et le droit d’enseigner ;chacun est capable et a de la valeur ; chacundoit se sentir en sécurité pour travailler.

Apprendre des règles

Dans la plupart des situations où l’enseigne-ment est difficile, l’analyse montre que les ensei-gnants ont mis en place des règles pratiques,par exemple, celles qui concernent les déplace-ments en classe, le rangement du matériel, lessorties aux toilettes, le fait de manger en classe,les oublis ou les arrivées tardives, en bref la ges-tion du quotidien. Mais ils pratiquent peu derituels, tels que serrer la main des élèves à laporte, leur demander de se lever au début d’uneleçon, attendre qu’un silence parfait s’installeavant de commencer, ou encore instaurer lalecture quotidienne d’une histoire ou le colo-riage d’un mandala durant cinq minutes aprèsla récréation (voir la figure 3). Par ailleurs, lesenseignants oublient le plus souvent d’explici-ter les règles les plus essentielles de l’enseigne-ment, en particulier la règle du travail et cellede l’obéissance. Dans les situations probléma-tiques, certaines classes deviennent pour cetteraison des « zones de non-droit ». L’enseignantn’a plus le droit d’enseigner et les élèves quiveulent travailler n’ont plus le droit de le faire.

La première chose à entreprendre dansune classe difficile à gérer est de rétablir desrègles de travail et de les faire respecter, maisencore faut-il poser ce cadre correctement.

Contrairement aux pratiques en vogue ces20 dernières années, qui faisaient fortementappel à l’autodiscipline des enfants en visanttrès tôt le développement de leur autonomie,les études des psychologues Jean Piaget etLawrence Kohlberg montrent que l’appren-tissage des règles suit un processus d’acqui-sition qui passe par différentes étapes. Cesétapes correspondent aux grandes phases dudéveloppement moral de l’être humain etdoivent être respectées pour que l’enfantaccède progressivement à une autonomiemorale mature et responsable. Pour en faci-liter la mise en pratique, on peut distinguerde façon simplifiée trois phases principalesdans ce long apprentissage : la phase du per-mis et du défendu durant la petite enfance,la phase de la morale hétéronome durantl’enfance et la phase de la morale autonomeà partir de l’adolescence (voir la figure 2).

Ce schéma met en évidence que l’appren-tissage des règles passe en fait par un appren-tissage sous-jacent de l’obéissance, qui s’ef-fectue lui aussi selon une progression entrois phases : l’obéissance imitative et impo-sée, à inculquer impérativement au petitenfant en lui donnant des repères éducatifsconcrets, précis et répétés ; l’obéissancespontanée et naturelle de l’enfant à l’adulte,qui se développe sur fond de relation affec-tive durant l’enfance ; et l’obéissance inté-riorisée, ou autodiscipline, qui apparaît àl’adolescence et conduit progressivement àla maturité morale de l’adulte. Durant lesdeux premières phases de ce développement(correspondant aux classes maternelles etprimaires), l’enfant en est donc encore à l’âge

6-7 ans 12-14 ans 18-20 ans0

Âge du permis et du défendu

Obéissance imitative et imposée

Âge de la morale hétéronome

Obéissance spontanéeet naturelle à l’adulte

Âge de la morale autonome

Obéissance intériorisée ou autodiscipline apprise

2. Le développement moral durant l’enfance et l’adolescence passe par trois phases.Durant les deux premières (obéissance imposée, puis naturelle), l’enfant obéit à une morale qui vientde l’extérieur. La relation d’autorité dépend principalement du lien affectif qui l’unit aux adultes.Dans la troisième phase, il doit apprendre à respecter de lui-même des règles de comportement(obéissance intériorisée ou autodiscipline) pour accéder peu à peu à l’autonomie morale.

15-Ess11_pxxxxx_class-diff_richoz_bsl.qxp 3/07/12 17:20 Page 90

Page 93: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

© L’Essentiel n° 11 août -octobre 2012 91

de la morale hétéronome, c’est-à-dire d’unemorale qui doit venir de l’extérieur, et la rela-tion d’autorité dépend principalement dulien affectif qui l’unit aux adultes représen-tant l’autorité. L’enfant accepte les règlesqui lui sont imposées s’il existe une relationde cœur avec l’adulte. Il a besoin de vivredans une atmosphère de sécurité affective etaccorde une foi totale et une confiance abso-lue aux personnes pour qui il a de l’affection.Il veut leur faire plaisir ou leur ressembler.C’est l’âge des « Mon papa a dit… », « Mamaîtresse a dit… » contre lesquels il n’y a pra-tiquement rien à faire, si ce n’est s’incliner.

La relation d’autorité dans les classes mater-nelles et primaires doit donc être verticale,hiérarchique et permettre à l’enfant de vivrel’expérience de l’obéissance à l’adulte, dereconnaître et d’accepter que c’est l’adulte quicommande. Elle passe par la contrainte moraledes enseignants qui, avec conviction et déter-mination, posent des exigences et des limites,apprennent à l’enfant à respecter des règles, ensanctionnant sans état d’âme les écarts deconduite. Durant la période de la morale hété-ronome, cette expérience de l’obéissance esttrès naturelle pour l’enfant. C’est l’âge où il aenvie et est disposé à obéir, car il considère auplus profond de lui-même que les règles vien-nent des adultes et qu’elles sont sacrées.

Dans les classes maternelles et primaires,l’enseignant peut par exemple dire auxenfants, dès le premier jour de la rentrée sco-laire : « Dans cette classe, c’est la maîtresse quicommande et qui décide. Les enfants lui obéis-sent. » À l’âge de la morale hétéronome, lesenfants acceptent très bien qu’une autorités’impose hiérarchiquement, et les choses se

passent ensuite bien plus facilement. Quandsurviennent des oppositions ou contestations,il suffit de rappeler que « c’est la maîtresse quidécide » ; si la maîtresse a réussi à tisser aveceux de bonnes relations affectives, les enfantsacceptent très bien qu’il en soit ainsi.

Soignerla relation affective

La meilleure façon de restaurer un climat detravail dans une classe qui dysfonctionne estde rétablir en parallèle la relation d’autorité etla relation affective avec les élèves concernés.Un recadrage disciplinaire influe déjà en soisur la relation enseignant-élèves, car il apporte

aux enfants une plus grande sécurité affective.Mais il est essentiel de mettre en œuvre des acti-vités spéciales pour créer un meilleur climat declasse et des conditions favorables à la relation.La plus simple et la meilleure consiste à racon-ter ou à lire une histoire par jour à la classe avecun petit rituel de transition pour emmener lesenfants dans le monde de l’imaginaire (voir lafigure 6). Mais il en existe bien d’autres, commele coloriage de mandalas, des activités rythmi-ques, des jeux de mémorisation de mots, laréactivation de poésies ou de chants en fin dematinée ou de semaine, etc.

Dans ces diverses activités, l’intention péda-gogique primordiale est de travailler sur le planrelationnel en sortant momentanément dudomaine strict des apprentissages. Ces activi-tés spéciales touchent les enfants à différentsniveaux de leur être, principalement sur lesplans imaginatif, ludique, créatif, en jouant surleur penchant pour les rythmes, en leur faisantexercer leur extraordinaire mémoire et en sti-mulant l’éveil de leur individualité. Elles appa-raissent moins scolaires que celles pratiquéesd’ordinaire en classe et deviennent rapidementsources de détente et de plaisir partagé entrel’enseignant et les élèves. L’expérience montrequ’elles contribuent grandement à ce que desenseignants confrontés à des situations diffici-les réussissent à ramener la sérénité dans leurclasse et à recréer un enthousiasme pour la viescolaire et les apprentissages. Elles redonnentmême parfois à des enfants qui l’avaient per-due l’envie de revenir à l’école pour travailler !

Expliquer les règles essentielles et établirune relation affective avec les élèves sont lespremières démarches pour prévenir l’indisci-pline ou y mettre un terme si elle existe dansune classe. Il reste ensuite à sanctionner les

Mon

key B

usine

ss Im

age /

Shu

tterst

ock

4. L’élèveperturbateurdistrait les autres,les fait rire pendantque le maîtreenseigne, n’écoutepas et empêcheles autres de seconcentrer. L’élèveagité se déplacependant le cours.L’élève opposantest dans le refussystématique et bravel’autorité du maître.

3. Un mandalaest un coloriage

d’une figure centréeque les enseignantspeuvent proposer

durant cinq minutesaprès une récréation,

par exemple pourpermettre aux élèves

de retrouver un climatde concentration, touten éprouvant du plaisir

à colorier. Une telleactivité doit

se dérouler dansun silence absolu.

15-Ess11_pxxxxx_class-diff_richoz_bsl.qxp 3/07/12 17:20 Page 91

Page 94: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

transgressions, car aucun système de règles nefonctionne sans sanctions.Assez fréquemment,les enseignants ont des hésitations ou mêmedes réticences à sanctionner, parce qu’ils ne sontpas convaincus de la nécessité de le faire et nesavent pas comment s’y prendre. En général, ilspunissent les élèves plutôt que de les sanction-ner, ce qui est précisément une des causes desdifficultés qui surviennent. Les expériences derecadrage de nombreuses classes et élèves dif-ficiles montrent que la sanction est une néces-sité éducative, qu’elle sécurise les enfants et quel’art de sanctionner s’apprend vite. Si l’on pro-cède avec détermination, il n’est pas nécessairede sanctionner souvent, ni durant une longuepériode, pour que le recadrage réussisse.

Sanctionner sans punir

Pour être concret, si un enfant perturbela classe, en bavardant par exemple, il suffitque l’enseignant lui demande de se lever, depousser sa chaise, de croiser les mains dansle dos et de rester ainsi debout derrière sonpupitre pendant trois minutes. La premièrefois, l’enseignant explique à l’enfant qu’il estpénalisé en devant rester debout parce qu’iln’a pas respecté telle ou telle règle. Au termede la pénalité, l’enseignant indique à l’enfantqu’il peut se rasseoir. Quand les élèves sonthabitués, un simple geste suffit pour signifierla sanction. C’est la toute première sanction

à appliquer dans les classes enfantines et pri-maires ; c’est une mesure simple, immédiateet très efficace avec presque tous les enfants.

Une autre sanction efficace, en particulierquand un enfant dérange une activité collec-tive, consiste à lui demander de retourners’asseoir un moment à sa place et de croiserles bras en silence, en attendant que l’ensei-gnant lui fasse signe de revenir dans le groupe.Là aussi, trois à quatre minutes suffisent pourpermettre à un enfant de retrouver son calmeet l’inciter à mieux respecter les règles pourle reste de la journée.

L’expérience montre qu’avec ces deux sanc-tions, il est déjà possible de résoudre un grandnombre de problèmes de comportementsdans les classes enfantines et primaires. Maisil s’agit de respecter certains principes pourque la mesure soit perçue comme une sanc-tion et non comme une punition. Une sanc-tion est une peine à endurer, un prix à payerpour avoir commis une faute, transgressé unerègle. Or la même mesure peut être soit unesanction, soit une punition. C’est l’attitudede l’enseignant, sa façon de signifier la sanc-tion et son intention au moment où il agitqui feront que la mesure sera acceptée commeune sanction méritée, ou au contraire vécuecomme une punition injuste ou humiliantequi engendrera de la rancœur chez l’élève.

La peine à endurer ou le prix à payer pourune faute est une punition quand l’intentionqui accompagne l’acte vise l’enfant lui-mêmeet non son comportement, et a pour inten-tion de le faire souffrir, de le stigmatiser ou del’humilier. Envoyer un élève dans un coin dela classe ou à sa place, en s’adressant à lui defaçon blessante et en lui disant qu’il n’estqu’un bon à rien ou en le traitant de nul, estun exemple de punition qui n’est pas rare (voirla figure 5). La peine à endurer ou le prix à

92 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho

5. Envoyer un enfant au coinest une punition, si l’intention de l’enseignant

est de le faire souffrir ou de l’humilier. Au lieude punir, il vaut mieux sanctionner de façon

respectueuse et bienveillante, c’est-à-diredonner à l’enfant une pénalité, un prix à payer

pour avoir enfreint une règle. Demanderà un élève de rester trois minutes debout

derrière sa chaise, bien droit et en silence, estun exemple de sanction très efficace au primaire.

Gla

dskik

h Ta

tiana

/ S

hutte

rstoc

k

15-Ess11_pxxxxx_class-diff_richoz_bsl.qxp 3/07/12 17:20 Page 92

Page 95: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

payer pour une faute acquiert une valeur desanction éducative quand l’intention del’enseignant vise le comportement de trans-gression d’une règle et non la personne elle-même, et qu’il entend, de façon bienveillante,aider l’enfant à prendre conscience de ses acteset à améliorer son comportement.

Cette nuance est subtile, mais essentielle.Aujourd’hui, la pratique courante dans lesétablissements est plutôt la punition et c’estune des raisons du développement de l’in-discipline. Il est essentiel que les enseignantscessent de punir et se mettent à sanctionner.Avec des classes ou élèves difficiles, l’expé-rience montre que la sanction est nécessairepour avoir une chance de réussir un reca-drage et qu’il faut sanctionner les élèves quine respectent pas les règles mises en place.Avertir ou menacer ne mène à rien. Pire, siles règles sont claires et qu’en cas de trans-gression, il ne se passe rien, ces règles per-dent toute efficacité. Les élèves comprennentvite qu’elles ne sont là que pour la forme etdéveloppent un sentiment d’impunité qui ades conséquences désastreuses. Les ensei-gnants doivent montrer par leurs actes qu’ilsne plaisantent plus. Pour cela, ils doivent sepersuader que la sanction n’est pas un échec,mais une condition indispensable non seu-lement pour restaurer un cadre de travailacceptable pour tous, mais aussi pour per-mettre aux élèves de changer et leur appren-dre à devenir responsables de leurs actes.

S’inspirer de l’arbitre

Le premier pas consiste à se déterminermentalement à devoir sanctionner, comme lefait un arbitre de football ou de hockey surglace qui entre sur un terrain ou une patinoireen sachant à l’avance qu’il devra forcémentsanctionner tel ou tel joueur, parce que lesrègles ne seront pas respectées. Le deuxièmepas est d’apprendre l’art de sanctionner. Pourcela, l’arbitre est également un bon exempleà suivre. Il siffle le plus souvent des sanctionsimmédiates (coups francs directs au football,pénalités de deux minutes au hockey) et lèvede temps en temps ses cartons jaune ou rougesans air menaçant, de façon déterminée etrespectueuse, car il est le garant du respectdes règles. L’expérience de recadrage des clas-ses difficiles montre qu’il n’arrive quasimentjamais qu’un élève refuse une sanction en pri-maire, si l’enseignant est vraiment déterminé

et animé de bienveillance. Il est aussi très rareque des parents viennent contester les mesu-res prises et soutenir leur enfant. Ils com-prennent généralement qu’ils ont intérêt àcollaborer avec l’enseignant pour le bien deleurs enfants. Ce qui engendre les conflits etles refus, ce sont les mesures de type punitif,pas les véritables sanctions.

Retrouver confiance !

Pour faire face à des classes ou élèves diffici-les, les enseignants doivent retrouver confianceet développer la détermination nécessaire pourmener à bien les recadrages qui s’imposent. Enéquipe et avec le soutien de leur direction, ilssont la plupart du temps capables d’infléchirassez facilement les situations auxquelles ilssont confrontés. Il leur faut vraiment prendreconscience que la plupart des problèmes dis-ciplinaires qui se posent dans les classes mater-nelles et primaires peuvent se résoudre enclasse et que le piège pour eux est de se sentirimpuissants en attribuant principalement àdes causes extérieures (familiales ou autres)l’origine des problèmes. Cela exige convictionet détermination, comme le dit très bienMarie-Julie, une enseignante au primaire quia réussi toute seule à venir à bout d’une classedifficile : « Maintenant que j’ai vécu cette expé-rience avec ma classe, je me rends compte qu’ils’agit surtout de se faire confiance et de croireà ce que l’ont dit pour que cela marche.L’essentiel, c’est d’être déterminée. » �

© L’Essentiel n° 11 août -octobre 2012 93

Bibliographie

J.-Cl. Richoz, Gestion de classes et d’élèves

difficiles, ÉditionsFavre, 3e édition,

2012.C. Halmos, L’autoritéexpliquée aux parents,

NiL Éditions, 2008.J. Blin et al., Classes

difficiles, DelagraveÉdition, 2001.

M. Auger et al.,Élèves « difficiles ».Profs en difficultés,Édition Chronique

sociale, 1995.

Mor

gan

Lane

Pho

togr

aphy

/ S

hutte

rstoc

k

6. Pour l’enfant,l’autorité s’enracine

dans une relationaffective. Les activités

conviviales et rituelles, tellesque le fait de lire

chaque jourune histoire

à la classe, favorisentl’instauration

d’un climat d’autoritéserein entrel’enseignant

et les élèves.

15-Ess11_pxxxxx_class-diff_richoz_bsl.qxp 3/07/12 17:20 Page 93

Page 96: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

94 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho

Quand Pierre-Auguste Renoir(1841-1919) peint La Leçonen 1906, il a déjà produitplusieurs tableaux de le-çons tels que la Leçon de

piano (1889), le plus connu, la série des Jeunesfilles au piano, et la Leçon de guitare (1897).Ce thème de l’apprentissage musical lui a sansdoute été inspiré par l’enseignement musicalqu’il a suivi auprès du compositeur françaisCharles Gounod (1818-1893).

Moins connu, ce tableau met en scèneClaude, dit Coco, le troisième fils que Renoira eu d’Aline Charigot. Jean Renoir, le cinéaste,était leur deuxième fils. Claude est né en 1901et a cinq ans lorsqu’est peinte cette scène d’ap-prentissage de la lecture. La personne la plusâgée, située à gauche du tableau et à laquellerevient la coordination de cette tâche, estMadame Bielle, l’institutrice.

On devine beaucoup de bienveillance dansson attitude : le bras gauche qui s’appuie surle dossier de la chaise de Claude enveloppeet soutient délicatement l’enfant ; la maindroite, reposée sur le livre, indique la ligne àsuivre, sans qu’un index autoritaire n’intimeun ordre quelconque ; la bouche entrouvertetrahit l’attention portée par l’enseignante à satâche : accompagner l’élève dans cette décou-verte de la lecture.

La pose de l’enfant n’est pas celle d’un petitgarçon avide de savoir et concentré. On remar-que une certaine nonchalance dans son main-tien, la tête appuyée sur la main droite. Pour le

motiver, il faut l’habileté et la douceur persua-sive de Madame Bielle, mais aussi l’encourage-ment et la surveillance de la petite fille un peuplus âgée située à droite. Elle surplombe le livreet son léger sourire lui confère le rôle tutélaire,mais affectueux, de celle qui a déjà vécu cetteexpérience. Sans doute les hésitations du gar-çon lui rappellent-elles son propre apprentis-sage, maintenant maîtrisé, et lui donnent-ellesla fierté de savoir lire.

L’envie d’apprendre à lire

Mais on devine aussi chez Coco une enviede se plier au travail requis : il dirige sonregard là où porte la main de l’institutrice, etsa main gauche est sur la ligne à lire. Celaindique l’application qu’il accorde au déchif-frement, sans doute hésitant et laborieux.

De la toile, se dégage une impression decalme et de douceur ; probablement les meil-leures conditions pour que l’apprentissagese fasse bien... Le secret est de faire passer letravail pour un jeu, d’éviter la contrainte etle stress. C’est ce qu’avaient déjà compris lesRomains, qui utilisent le même mot, ludus,pour désigner l’école et le jeu. La confusion deces deux activités n’est-elle pas le meilleurgarant de l’acceptabilité et de la réussite de l’ap-prentissage, tant la tâche est de longue haleine ?C’est ce qu’aurait exprimé Renoir, au crépus-cule de sa vie : en rendant ses pinceaux à l’in-firmière, il aurait déclaré : « Je crois que je com-mence à y comprendre quelque chose. » �

François Sellaldirige le Service de neurologieà l’Hôpital Pasteur de Colmar.

La leçon de lecture

Art et neurosciences

Bibliographie

Jean Renoir,Pierre-Auguste Renoir,mon père, Folio, 1999.

« La Leçon» peinte par Pierre-Auguste Renoir en 1906dégage une impression de calme et de jeu,

favorable à l’apprentissage de la lecture.

17-Ess11_pxxxxxx_art_sellal_bsl.qxp 4/07/12 12:05 Page 94

Page 97: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

© L’Essentiel n° 11 août -octobre 2012 95

La Leçon, Pierre-Auguste Renoir (1906)

© Th

e G

aller

y Co

llecti

on /

Cor

bis

17-Ess11_pxxxxxx_art_sellal_bsl.qxp 4/07/12 12:05 Page 95

Page 98: Ess 011 couverture grand format - def - resodys.org · Philippe Ribeau-Gesippe, Guillaume Jacquemont, Sean Bailly Dossiers Pour la Science Rédacteur en chef adjoint : Loïc Mangin

96 L’envie d’apprendre – © Cerveau & Psycho

Test : Êtes-vous motivé ?

Imprimé en France – Roto Aisne – Dépôt légal août 2012 – N° d’édition 076911-01 – Commission paritaire : 0713 K 83412 – Distribution NMPP – ISSN 2115-7197 – N° d’imprimeur 12/07/2007 – Directrice de la publication et Gérante : Sylvie Marcé

Votre prochain numéro en kiosque le 9 novembre 2012

Je travaille en classe parce que je veuxapprendre de nouvelles choses :5 � Vrai4 � Plutôt vrai1 � Un peu vrai0 � Faux

J’essaie de bien faire, parce que j’apprendsdes choses qui m’intéressent :5 � Vrai4 � Plutôt vrai1 � Un peu vrai0 � Faux

J’essaie de bien faire, parce que j’auraisune mauvaise image de moi si je ne le faisais pas :3 � Vrai2 � Plutôt vrai1 � Un peu vrai0 � Faux

J’essaie de bien faire pour que mes professeurspensent que je suis un(e) bon(ne) élève :3 � Vrai2 � Plutôt vrai1 � Un peu vrai0 � Faux

Je n’arrive pas à savoir à quoi cela sertde travailler en classe :0 � Vrai1 � Plutôt vrai2 � Un peu vrai3 � Faux

Je comprends que certains élèves s’opposentaux professeurs :0 � Vrai1 � Plutôt vrai2 � Un peu vrai3 � Faux

Dès que j’aurai l’âge, je quitterai l’école :0 � Vrai1 � Plutôt vrai2 � Un peu vrai3 � Faux

Faites le total des points correspondant à chaque réponseque vous ou votre enfant avez cochée :

SCORE ENTRE 17 ET 25 : votre enfant est en motivationintrinsèque, il aime découvrir des choses nouvelles etl’école lui fournit cette opportunité. Il fait sans douteses devoirs avec le même plaisir que lorsqu’il joue, eta probablement de bonnes notes.

SCORE ENTRE 14 ET 17 : votre enfant est plutôt en moti-vation extrinsèque comme la plupart des enfants.Toutce qui se fait à l’école ne l’enthousiasme pas, mais il lefait pour vous faire plaisir ou parce qu’il comprend qu’ilest nécessaire d’apprendre pour réussir plus tard.

SCORE ENTRE 8 ET 13 : votre enfant n’est pas trèsmotivé, il va à l’école parce que c’est obligatoire ou uni-quement pour vous faire plaisir. Avant que votre enfantne soit complètement démotivé ou se rebelle, essayezde le remotiver en augmentant sa compétence perçue(avec des cours particuliers par exemple) et en lui fai-sant choisir une activité (ou plusieurs) qui lui plaise.

SCORE ENTRE 0 ET 7 : votre enfant ne se plaît pas àl’école ; soit il se rebelle contre le système, soit il estcomplètement démotivé.Dès qu’il aura l’âge légal, il vou-dra quitter le système scolaire qu’il ne juge pas adaptéà ses attentes. Essayez de le remotiver (voir commentau score entre 8 et 13) !

Quelle motivation anime votre enfant à l’école ?

C e questionnaire permet de tester la motivation de l’élève, à l’école, au collège ou au lycée. Ce n’estqu’un exemple illustratif. Lisez chaque série de questions et cochez une seule réponse.

Ess11_p096096_questionMotivation_bsl.qxp 4/07/12 15:20 Page 96