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Et Et ce n’est pas pas tout ! tout ! texte : Heather Wright illustrations : Dwight Francis KAYAK #21 AUTOMNE 2010 42 FICTION HISTORIQUE FICTION HISTORIQUE

Et ce n’est pas tout !

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La lutte pour le droit de vote des femmes.

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Page 1: Et ce n’est pas tout !

EtEt ce n’estpaspas tout !tout !

texte : Heather Wrightillustrations : Dwight Francis

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–Installons-nous ici, dit Rosie en s’assoyant sur la

pelouse du parc.– Pourquoi ici ? demanda

Helen en regardant aux alentours. Oh, je comprends ! ajouta-t-elle en soupirant. Tu veux regarder les garçons jouer au baseball...

– Je ne veux pas les regarder, répliqua Rosie. Je veux jouer.

– Je ne comprends pas pourquoi ça t’intéresse tant, dit Helen.

– Je jouais tout le temps avec mes amis, à la ferme, avant qu’on arrive à Winnipeg. Ici, c’est seulement pour les garçons et...

Rosie bondit sur ses pieds et se précipita pour ramasser la balle qui roulait vers elles.

– Hé ! Qu’est-ce que tu fais là ? cria Jamie McAllister en courant vers Rosie.

– Je ramasse une balle. Ça te dérange ?

– Donne-la-moi.– Pourquoi ?– Pour que je l’envoie au

lanceur ! Tu ne connais rien au baseball.

– Je connais très bien le baseball, répliqua Rosie, le visage rouge.

– Non, les fi lles ne connaissent rien au baseball. Elles ne savent

même pas lancer une balle.

– Moi, je sais, fi t Rosie en

refermant la main sur la balle.

– C’est pas vrai ! fi t Jamie.

Maintenant, rends-moi

cette balle.

– Donne-lui cette stupide

balle, Rosie, intervint Helen.

Ça n’en vaut pas la peine.

Rosie laissa tomber la balle

sur la pelouse et se hâta vers

l’école, son amie sur les talons.

– Ne te fâche pas, dit Helen.

C’est comme ça, c’est tout.

– Ça ne veut pas dire que

je suis obligée d’aimer ça,

protesta Rosie.

– Laisse tomber, soupira

Helen. Tu ne peux pas changer

les gens comme Jamie.

– J’aurais dû lui tenir tête.

J’aurais dû lui montrer...

– Mais non, voyons !

Mademoiselle Wilson ne serait

vraiment pas contente si tu te

battais avec un garçon.

Mlle Wilson, l’enseignante

d’anglais, exigeait toujours que

ses élèves se comportent comme

des dames et des messieurs bien

élevés. « Dans les moments

comme celui-ci, se dit Rosie en

fronçant les sourcils, c’est diffi cile

d’être une dame. »

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Une humeur massacrante

Rosie était encore en colère en arrivant à la maison. Dans la cuisine, sa mère surveillait son ragoût tout en lisant le journal. Elle semblait en colère elle aussi.

Le père de Rosie entra dans la pièce.

– Seigneur Dieu ! lança-t-il. Qu’est-ce que c’est que cette mauvaise humeur ?

– Jamie McAllister, répondit Rosie en se laissant tomber sur une chaise.

– Sir Rodmond Roblin, ajouta la mère de Rosie.

– J’ai bien peur que Jamie McAllister doive attendre son tour, Rosie. Le premier ministre du Manitoba a fait fâcher ta mère.

– Oh, George ! Il a été tellement méchant avec Nellie McClung et les dames. Il leur a dit que son gouvernement n’accorderait pas le droit de vote aux femmes, et maintenant, regarde ceci !

La mère de Rosie pointa le doigt vers une caricature du journal. Nellie McClung y était représentée comme un moustique tournoyant autour de la tête du premier ministre Roblin.

– Les journalistes racontent des mensonges. Ils disent que les

enfants de Madame McClung sont mal nourris et qu’ils portent des vêtements sales pendant qu’elle voyage pour prononcer ses discours. Le mois dernier, les journaux ont publié une caricature d’elle et des autres suffragettes; ils les ont présentées comme de vieilles harpies simplement parce qu’elles veulent avoir le droit de vote.

– Je suppose que ça n’ira pas plus loin, soupira Rosie.

– Qu’est-ce que tu veux dire ? demanda sa mère.

– Eh bien, dit Rosie, le gouvernement et les journaux sont contre elle. Elle ne les fera jamais changer d’idée.

– Elle a déjà convaincu beaucoup de gens, Rosie. Et nous allons nous joindre à quelques centaines d’entre eux tout à l’heure.

– Vraiment ?– Oui, répondit le père de

Rosie. Nous allons écouter un discours de Mme McClung. Alors, dépêche-toi de faire tes devoirs avant le souper.

Une soirée bien spéciale

La salle bourdonnait du bruit des conversations quand Rosie prit place entre son père et sa mère.

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– Vous avez vu ? Certains des ministres du Cabinet sont ici ! dit d’une voix forte la dame assise derrière eux. J’espère qu’ils ne feront pas d’esclandre.

– J’ai entendu dire, répondit sa compagne avec un petit rire, qu’un homme s’est levé un jour pour interrompre un discours de Mme McClung. Il lui a crié « N’aimeriez-vous pas être un homme ? », et elle a répliqué « Et vous ? ». Après ça, personne n’osera plus l’interrompre !

Rosie se mit à rire. Elle glissa un regard vers ses parents pour voir s’ils avaient entendu, mais ils fi xaient la scène, bien tranquilles, en attendant l’oratrice.

La dame à la voix forte reprit la parole.

– Mme McClung et les autres suffragettes demandent à tous les gens du Manitoba de signer une pétition pour le droit de vote des femmes. Elles vont la présenter

au premier ministre au début de l’an prochain.

– Moi, je suis prête à signer ! dit sa voisine.

Trois femmes entrèrent et allèrent s’asseoir sur la scène. « Alors, voici les suffragettes, se dit Rosie. Les journaux sont vraiment injustes de les présenter comme de vieilles sorcières ! Elles m’ont l’air plutôt gentilles. »

Une des femmes prit place derrière le lutrin pour souhaiter la bienvenue à l’assistance et présenter l’invitée d’honneur. Rosie sentit l’excitation grandir dans la salle.

Nellie McClung s’avança en souriant, d’un pas assuré.

– Bonsoir, dit-elle. J’aimerais que vous portiez une attention

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particulière à mon discours. Alors, pour vous éviter toute distraction – elle fi t une courte pause, une lueur malicieuse dans les yeux –, je tiens à vous rassurer : mes enfants sont nourris, lavés et couchés pour la nuit.

Les spectateurs se mirent à rire et à applaudir. Rosie applaudit elle aussi. Mme McClung avait tourné à la blague les méchancetés répandues sur son compte. Elle savait que beaucoup de gens n’appréciaient pas qu’elle réclame le droit de voter.

– Les gens qui dérangent ne sont jamais populaires, poursuivit-elle en s’appuyant sur le lutrin. Personne n’aime

le réveille-matin lorsqu’il sonne – même si chacun reconnaît par la suite qu’il est bien utile.

Mais Mme McClung refusait de se laisser intimider.

– On m’a déjà dit que les femmes étaient trop faibles pour voter, poursuivit-elle, la tête haute, les mains sur les hanches. Mais si elles peuvent cuisiner pour leur famille, faire le ménage de leur maison, travailler à la ferme et élever des enfants, elles sont sûrement capables, une fois par quatre ans, d’inscrire un « x » sur un bulletin de vote sans s’épuiser.

Il y eut de nouveaux applaudissements.

Le droit de voteLe droit de voteNellie McClung était une des plus actives des « suffragettes », comme on appelait les militantes qui réclamaient le droit de vote pour les femmes. À partir de la fi n du 19e siècle, des femmes de diverses régions du pays ont commencé à se battre pour leurs droits, et en particulier pour le droit de vote. Les suffragettes comme Nellie McClung ont participé à cette lutte en organisant des discussions, des pétitions et des manifestations. En 1916, le Manitoba a été la première province à accorder le droit de vote aux femmes. Le gouvernement fédéral et la plupart des gouvernements provinciaux ont suivi peu après, et le Québec a fermé la marche en 1940.

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Tout au long de l’histoire du Canada, d’autres groupes de personnes ont été privées du droit de vote. Pour en savoir plus, va voir sur Kayakmag.caKayakmag.ca

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Tout en parcourant la scène d’un pas lent, Nellie McClung déclara qu’à son avis, les femmes profi teraient de leur droit de vote pour « protéger les faibles et les innocents, et faire du monde un endroit meilleur ». Et elle ajouta, avec un sourire déterminé :

– J’ai hâte au jour où les femmes recevront un salaire égal pour un travail égal et où toutes les sphères d’activité leur seront ouvertes.

« Toutes les sphères d’activité », se répéta Rosie, avant de reporter son attention sur le discours.

Un changement à la fois

Le lendemain, au parc, Rosie, tout excitée, raconta à Helen l’histoire de Nellie McClung.

– Attention ! cria une voix.Une balle de baseball arrivait

droit sur Rosie. Sans réfl échir, elle s’avança et l’attrapa.

Une seconde plus tard, Jamie, qui arrivait en courant dans l’espoir d’attraper la balle, était debout devant elle.

– Pourquoi t’as fait ça ? demanda-t-il. J’aurais pu l’attraper.

– Tu aurais pu, mais tu ne l’as pas fait, répliqua Rosie calmement. À son premier élan au bâton, Eric frappe toujours

une fausse balle près du premier but. Vous devriez mettre quelqu’un là à l’avenir.

– Comment le sais-tu ? demanda Jamie.

– Je connais le baseball, fi gure-toi, dit Rosie. C’est au tour de Peter, maintenant, et il frappe généralement dans le champ droit.

Jamie leva les yeux au ciel et tendit la main vers la balle.

– D’accord, j’ai compris. Tu t’y connais.

– Et tu n’as encore rien vu ! dit Rosie en souriant.

Elle se tourna vers un des garçons, posté au fond du champ gauche.

– Roy ! cria-t-elle.Roy se retourna, et elle lui

lança la balle aussi fort qu’elle le put. Elle entendit un « clac » satisfaisant quand la balle atterrit dans le gant du garçon.

– Alors, que penses-tu des fi lles, maintenant, Jamie McAllister ?

Jamie regarda d’abord Roy, puis Rosie.

– On dirait que tu sais aussi lancer une balle, dit-il doucement.

– Et ce n’est pas tout, répliqua Rosie en souriant. Ce n’est pas tout !

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