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40 pratique prévention Actualités pharmaceutiques n° 496 Mai 2010 Ces dernières années, plusieurs études ont avalisé l’incidence de facteurs nutritionnels sur l’apparition de certains cancers. Elles ont abouti à la publication de recommandations en nutrition pour prévenir ces cancers. D e nombreuses études ont été menées pour préciser le rôle éventuel de facteurs nutrition- nels sur le risque de cancer. Au niveau international, les deux principaux orga- nismes réalisant des études en nutri- tion, le World Cancer Research Fund (WCRF) et l’American Institute for Cancer Research (AICR) ont colligé l’ensemble des données disponibles et publié, en novembre 2007, “Alimentation, nutri- tion, activité physique et prévention du cancer”. Dans ce rapport de référence, 22 experts internationaux ayant fait une évaluation indépendante de 7 000 études éligibles ont synthétisé les facteurs sus- ceptibles d’augmenter le risque de can- cer et classé le niveau de preuve des relations entre nutrition et cancers en « convaincant », « probable », « limité » ou « effet substantiel peu probable » 1 . En France, sur la période 2002-2003, un document avait déjà été réalisé dans le cadre du programme national nutri- tion santé (PNNS). En 2008, la Direction générale de la santé (DGS) a demandé à l’Institut national du cancer (INCa) d’actualiser celui-ci en s’appuyant sur les données du WCRF et de l’AICR et les données d’exposition française, avec le soutien scientifique des membres du réseau national alimentation cancer recherche (NACRe). Ce travail a abouti à l’édition, en février 2009, d’une brochure “Nutrition et prévention des cancers : des connaissances scientifiques aux recom- mandations” 2 , établissant les relations convaincantes ou probables et conduisant à des recommandations pour la préven- tion primaire des cancers. Facteurs augmentant le risque de cancer Surpoids et obésité L’augmentation des risques de cancer liés au surpoids et à l’obésité est esti- mée convaincante pour les cancers de l’œsophage, de l’endomètre, du rein, du côlon-rectum, du pancréas, du sein (en post-ménopause) et probable pour le cancer de la vésicule biliaire. La diminu- tion du risque de cancer du sein avant la ménopause est jugée probable. Exposition : en France, 31-32 % des adultes sont en surpoids et 12 à 17 % sont obèses. Le risque de cancer est minimal si l’index de masse corporelle est maintenu entre 18,5 et 25 kg/m 2 (poids normal). Les recommandations pour prévenir le surpoids et l’obésité et ainsi réduire le risque de cancers lié à la surcharge pondérale sont : – pratiquer une activité physique d’inten- sité modérée comparable à la marche rapide pendant au moins 30 minutes, 5 fois par semaine, ou une activité physi- que d’intensité élevée, comparable au jogging, pendant au moins 20 minutes, 3 fois par semaine, et de limiter les activi- tés sédentaires (ordinateur, télévision...) ; – consommer peu d’aliments à forte densité énergétique et privilégier ceux à faible densité énergétique tels que les fruits et les légumes. Viandes rouges et charcuteries L’augmentation du risque de cancer lié aux viandes rouges et aux charcuteries est jugée convaincante pour le cancer colorectal (CCR). Le risque de CCR est augmenté de 29 % par portion de 100 g de viandes rouges consommée par jour et de 21 % par portion de 50 g de charcute- ries consommée par jour. Exposition : en France, un quart de la population mange plus de 500 g de viande rouge par semaine (39 % des hommes et 13 % des femmes) ou plus de 50 g de charcuterie par jour. Recommandations : – limiter la consommation de viandes rouges à moins de 500 g par semaine. Compléter les apports en protéines en alternant avec des viandes blanches, du poisson, des œufs et des légumineuses ; État actuel des connaissances sur le lien entre nutrition et cancer © Fotolia.com/Telliac Le risque de cancer est minimal si l’index de masse corporelle est maintenu entre 18,5 et 25 kg/m 2 . Il est donc recommandé de lutter contre le surpoids, notamment grâce à une activité physique régulière.

État actuel des connaissances sur le lien entre nutrition et cancer

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prévention

Actualités pharmaceutiques n° 496 Mai 2010

Ces dernières années,

plusieurs études ont avalisé

l’incidence de facteurs

nutritionnels sur l’apparition

de certains cancers.

Elles ont abouti à la publication

de recommandations en nutrition

pour prévenir ces cancers.

De nombreuses études ont été menées pour préciser le rôle éventuel de facteurs nutrition-

nels sur le risque de cancer. Au niveau international, les deux principaux orga-nismes réalisant des études en nutri-tion, le World Cancer Research Fund (WCRF) et l’American Institute for Cancer Research (AICR) ont colligé l’ensemble des données disponibles et publié, en novembre 2007, “Alimentation, nutri-tion, activité physique et prévention du cancer”. Dans ce rapport de référence, 22 experts internationaux ayant fait une évaluation indépendante de 7 000 études éligibles ont synthétisé les facteurs sus-ceptibles d’augmenter le risque de can-cer et classé le niveau de preuve des

relations entre nutrition et cancers en « convaincant », « probable », « limité » ou « effet substantiel peu probable »1.En France, sur la période 2002-2003, un document avait déjà été réalisé dans le cadre du programme national nutri-tion santé (PNNS). En 2008, la Direction générale de la santé (DGS) a demandé à l’Institut national du cancer (INCa) d’actualiser celui-ci en s’appuyant sur les données du WCRF et de l’AICR et les données d’exposition française, avec le soutien scientifique des membres du réseau national alimentation cancer recherche (NACRe). Ce travail a abouti à l’édition, en février 2009, d’une brochure “Nutrition et prévention des cancers : des connaissances scientifiques aux recom-mandations”2, établissant les relations convaincantes ou probables et conduisant à des recommandations pour la préven-tion primaire des cancers.

Facteurs augmentant le risque de cancerSurpoids et obésitéL’augmentation des risques de cancer liés au surpoids et à l’obésité est esti-mée convaincante pour les cancers de l’œsophage, de l’endomètre, du rein,

du côlon-rectum, du pancréas, du sein (en post-ménopause) et probable pour le cancer de la vésicule biliaire. La diminu-tion du risque de cancer du sein avant la ménopause est jugée probable. Exposition : en France, 31-32 % des

adultes sont en surpoids et 12 à 17 % sont obèses. Le risque de cancer est minimal si l’index de masse corporelle est maintenu entre 18,5 et 25 kg/m2 (poids normal). Les recommandations pour prévenir

le surpoids et l’obésité et ainsi réduire le risque de cancers lié à la surcharge pondé ra le sont :– pratiquer une activité physique d’inten-sité modérée comparable à la marche rapide pendant au moins 30 minutes, 5 fois par semaine, ou une activité physi-que d’intensité élevée, comparable au jogging, pendant au moins 20 minutes, 3 fois par semaine, et de limiter les activi-tés sédentaires (ordinateur, télévision...) ;– consommer peu d’aliments à forte densi té énergétique et privilégier ceux à faible densité énergétique tels que les fruits et les légumes.

Viandes rouges et charcuteriesL’augmentation du risque de cancer lié aux viandes rouges et aux charcuteries est jugée convaincante pour le cancer colorectal (CCR). Le risque de CCR est augmenté de 29 % par portion de 100 g de viandes rouges consommée par jour et de 21 % par portion de 50 g de charcute-ries consommée par jour. Exposition : en France, un quart de la

population mange plus de 500 g de viande rouge par semaine (39 % des hommes et 13 % des femmes) ou plus de 50 g de charcuterie par jour. Recommandations :

– limiter la consommation de viandes rouges à moins de 500 g par semaine. Compléter les apports en protéines en alternant avec des viandes blanches, du poisson, des œufs et des légumineuses ;

État actuel des connaissances

sur le lien entre nutrition et cancer

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Le risque de cancer est minimal si l’index de masse corporelle est maintenu entre 18,5 et 25 kg/m2. Il est donc recommandé de lutter contre le surpoids, notamment grâce à une activité physique régulière.

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prévention

Actualités pharmaceutiques n° 496 Mai 2010

– limiter la consommation de charcuteries, en particulier grasses et/ou très salées, réduire la taille des portions et la fréquence de consommation.

Compléments à base de bêta-carotènesL’augmentation du risque de cancer liée à une supplémentation en bêta-carotènes à fortes doses (20-30 mg/jour) est jugée convaincante pour le cancer du poumon chez des sujets exposés à des facteurs de risque : tabac, amiante. Exposition : en France, 27 % des

femmes consomment des compléments alimentaires comportant du bêta-carotène à des doses souvent dix fois supérieures aux apports journaliers recommandés (2,1 mg/jour). Recommandations : les apports jour-

naliers recommandés (AJR) sont habituel-lement couverts par une alimentation équilibrée et diversifiée (les bêta-carotènes sont apportés par de nombreux fruits et légumes : carotte, chou vert, épinards, abricots...). En dehors de cas particu-liers de déficience et sous le contrôle d’un médecin, la consommation de com-pléments alimentaires à base de bêta-carotènes n’est pas recommandée.

Sel et aliments salésL’augmentation du risque de cancer par consommation de sel et aliments salés est jugée probable pour le cancer de l’estomac. Exposition : en France, deux tiers des

hommes et un quart des femmes consom-ment plus de 8 g/jour de sel et un quart des hommes, plus de 12 g/jour. Le sel est

principalement apporté par des aliments transformés (70 % des apports sont représentés par les biscottes, charcute-ries, fromages…). Recommandations : limiter la consom-

mation de sel en réduisant la consommation d’aliments transformés salés et l’ajout de sel pendant la cuisson ou dans l’assiette.

Facteurs protecteurs du cancerActivité physiqueLa diminution du risque de cancer par l’activité physique est jugée convaincante pour le cancer du côlon et probable pour les cancers du sein et de l’endomètre (en post-ménopause). Exposition : en France, 63 à 79 % des

adultes font 30 minutes ou plus d’activité modérée au moins 5 fois par jour. Recommandations :

– chez l’adulte, pratiquer une activité physique régulière et limiter les activi-tés sédentaires (voir recommandations ci-dessus pour limiter le surpoids et l’obésité) ;– chez l’enfant et l’adolescent, pratiquer au moins 60 min par jour d’activité physi-que d’intensité modérée à élevée, sous forme de jeux, d’activités de la vie quoti-dienne ou de sport.

Consommation de fruits et légumesLa consommation de légumes est asso-ciée à une diminution du risque de cancer jugée probable pour les cancers de la bouche , du pharynx, du larynx, de l’œso-phage et de l’estomac. Dans le cas des fruits, la relation est estimée probable pour les mêmes cancers et celui du poumon. Exposition : en France, la consom mation

moyenne de fruits et légumes des adultes est de 373 g/jour (158 g de fruits et 215 g de légumes). Elle est plus importante chez les femmes et augmente avec l’âge. Seulement 43 % de la population consomment au moins 5 fruits et légumes par jour. Recommandations :

– consommer au moins 5 fruits et légumes variés par jour, sous quelque forme que ce soit (crus, cuits, frais, en conserve ou surgelés) pour atteindre au minimum 400 g/jour ;– satisfaire les besoins nutritionnels par une alimentation équilibrée et diver-

sifiée sans recourir aux compléments alimentaires.

AllaitementL’allaitement est associé à une diminu-tion du risque de cancer du sein, jugée convaincante avant et après la méno-pause. Il contribue probablement à dimi-nuer, chez les enfants allaités, le risque de surpoids et d’obésité, eux-mêmes facteurs de risque de plusieurs cancers. Le rôle protecteur de l’allaitement s’expli-que par plusieurs mécanismes biolo-giques, le principal étant la diminution des taux sériques d’estrogènes et andro-gènes pendant la période d’aménorrhée, réduisant ainsi l’exposition des femmes ayant allaité au cours de leur vie, à ces hormones, facteurs de risque connus de cancer du sein. Exposition : en France, 63 % des

femmes allaitent à la sortie de la mater-nité, 56 % de façon exclusive (données 2003-2005). Recommandations : allaiter, si possible

de façon exclusive, idéalement jusqu’à l’âge de 6 mois.

Recommandations généralesPour réduire le risque de cancer, les trois priorités sont : diminuer la consomma-tion de boissons alcoolisées, avoir une alimentation équilibrée et diversifiée, et pratiquer une activité physique régulière, sans oublier que le tabac est le premier facteur de risque de cancer évitable. �

Carole Émile

Biologiste, CH de Montfermeil (93)

[email protected]

Notes1. www.wcrf.org

2. www.e-cancer.fr/la-sante-publique/prevention/

nutrition-et-cancers/2405

SourceCommunication de Paule Latino-Martel lors

des Journées internationales de biologie (JIB), Paris,

du 3 au 6 novembre 2009.

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