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A.M. 02/2016 1 Etat des lieux des chemins de fer au Royaume Uni : Des leçons pour la Belgique Au cours des dernières décennies, les droits syndicaux au Royaume-Uni ont été fortement limités. Aujourd’hui, un projet supplémentaire de restriction du droit de grève est en cours d’implémentation. Compte-rendu de la Conférence du 25 janvier 2016 organisée par la CGSP – Cheminots, ACOD- Spoor, la CSC-Transcom, l’ACV-Transcom et Progress Lawyers Network à la Maison des Associations internationales, à Bruxelles. Le bilan de la privatisation Mick WHELAN, Secrétaire général de l’ASLEF (syndicats des conducteurs de trains, 21000 membres) et Eddy DEMSY, membre du Secrétariat national du syndicat des chemins de fer RMT) dressent le tableau de la situation au Royaume-Uni. Historique Dans les années 80, Thatcher voulait détruire le mouvement syndical dans tous les secteurs. La privatisation n’était pas une nécessité économique, mais découlait uniquement de la volonté de satisfaire les intérêts des actionnaires en fractionnant l’industrie et en amenuisant le pouvoir des travailleurs. Le discours politique disait : « on est obligés de privatiser, c’est l’Europe qui nous y oblige ». Le public a cru ce mensonge répété à l’envi par le gouvernement. Or, pendant 20 ans, aucun autre pays européen n’a privatisé ses chemins de fer. La privatisation a eu lieu dans la précipitation, la législation est passée en force, sans aucune préparation. En 1994, les chemins de fer britanniques étaient la risée du monde car le système était complètement foireux. Cela était dû au manque d’investissements et d’expertise : Thatcher n’avait aucun intérêt à investir, ce qui a créé la situation que l’on connaît avec ses nombreux accidents. Le principal problème émanait du morcellement du secteur entre un grand nombre d’entreprises et de sous-traitants, qui manquaient cruellement d’expertise et de coordination. Rail Track, un consortium d’entreprises créé dans le cadre de la privatisation, qui qui détenait les voies, la signalisation, les tunnels, les ponts et les passages à niveau de 1994 à 2002, était censé pallier à ces problèmes. Il a eu un grand succès sur le marché dans les premières années mais n’a apporté aucune solution structurelle, que du contraire, entraînant de nombreux

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Etat des lieux des chemins de fer au Royaume Uni : Des leçons pour la Belgique

Au cours des dernières décennies, les droits syndicaux au Royaume-Uni ont été fortement limités. Aujourd’hui, un projet supplémentaire de restriction du droit de grève est en cours d’implémentation. Compte-rendu de la Conférence du 25 janvier 2016 organisée par la CGSP – Cheminots, ACOD-Spoor, la CSC-Transcom, l’ACV-Transcom et Progress Lawyers Network à la Maison des Associations internationales, à Bruxelles.

Le bilan de la privatisation Mick WHELAN, Secrétaire général de l’ASLEF (syndicats des conducteurs de trains, 21000 membres) et Eddy DEMSY, membre du Secrétariat national du syndicat des chemins de fer RMT) dressent le tableau de la situation au Royaume-Uni.

Historique Dans les années 80, Thatcher voulait détruire le mouvement syndical dans tous les secteurs. La privatisation n’était pas une nécessité économique, mais découlait uniquement de la volonté de satisfaire les intérêts des actionnaires en fractionnant l’industrie et en amenuisant le pouvoir des travailleurs. Le discours politique disait : « on est obligés de privatiser, c’est l’Europe qui nous y oblige ». Le public a cru ce mensonge répété à l’envi par le gouvernement. Or, pendant 20 ans, aucun autre pays européen n’a privatisé ses chemins de fer. La privatisation a eu lieu dans la précipitation, la législation est passée en force, sans aucune préparation. En 1994, les chemins de fer britanniques étaient la risée du monde car le système était complètement foireux. Cela était dû au manque d’investissements et d’expertise : Thatcher n’avait aucun intérêt à investir, ce qui a créé la situation que l’on connaît avec ses nombreux accidents. Le principal problème émanait du morcellement du secteur entre un grand nombre d’entreprises et de sous-traitants, qui manquaient cruellement d’expertise et de coordination. Rail Track, un consortium d’entreprises créé dans le cadre de la privatisation, qui qui détenait les voies, la signalisation, les tunnels, les ponts et les passages à niveau de 1994 à 2002, était censé pallier à ces problèmes. Il a eu un grand succès sur le marché dans les premières années mais n’a apporté aucune solution structurelle, que du contraire, entraînant de nombreux

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accidents, y compris mortels. Le propriétaire ne connaissait même pas la situation sur le terrain ! En 2002, proche de la banqueroute, les opérations “assumées” par l’entreprise ont été transférées à l’entreprise publique sans but lucrative Network Rail. Ce qui restait de Rail Track a été renommé RT Group plc et est resté actif jusque 2010. On s’est battus contre la privatisation à ce moment-là, on a perdu. On a cru que Blair allait renationaliser et on s’est trompés. Résultats : outre la diminution des services et de leur qualité, l’impact psycho-social est important. Or, cet impact sur les travailleurs n’est pas pris en compte par le gouvernement. Les chemins de fer ont été privatisés suite à une lutte des classes défavorable aux travailleurs, pas assez organisés pour faire face aux employeurs. Selon la propagande politique, les prix des tickets augmentaient parce que les travailleurs étaient trop bien payés. Pendant ce temps, avec la privatisation, les PDG se sont enrichis et se sont multipliés, leur salaire étant en moyenne 163 fois supérieur à celui des travailleurs.

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Etat des lieux aujourd’hui Concrètement, comment cela se passe-t-il à l’heure actuelle ? L’Etat investit dans le matériel et le loue aux entités privées. Le service « passagers » doit être « ouvert à la concurrence ». Or, il n’y a aucune concurrence. En Ecosse par exemple, il n’y a qu’un seul opérateur principal, qui sous-traite ses services. C’est donc un monopole de fait. Les promesses gouvernementales annonçaient une hausse des investissements et une diminution des prix. Or, depuis la privatisation, il n’y a aucun chiffre disponible en termes d’investissements, mais ce qu’on sait c’est que ceux-ci sont totalement pris en charge par l’Etat, et qu’aucune société privée n’a jamais investi quoi que ce soit, ni remboursé à l’Etat aucune aide reçue. Quant au prix, il a augmenté de 25 % au cours des 5 dernières années. Le nombre de passagers a fortement augmenté, or le nombre de voiture est resté le même, ce qui donne lieu à des ensardinades quotidiennes. Tous les partis s’accordent aujourd’hui pour dire que ce système n’est pas le bon. Les sociétés privées elles-mêmes (« train operating companies ») sont un obstacle à l’innovation, car elles freinent toute amélioration, notamment pour faciliter les correspondances entre les différents réseaux de transport, de peur que leurs parts du gâteau diminuent. Résultat : les investissements se font par à-coups, éparpillés, et ne sont pas ciblés dans le cadre d’un plan coordonné. Dans les régions, les sociétés privées ne subsistent que grâce aux subsides publics (à savoir 600 millions de livres par an). Et aucune mesure n’encourage l’amélioration de l’infrastructure. Le principal problème qui découle de cette situation est le manque de sécurité. Il existe au total environ 32 sociétés différentes au sein des chemins de fer, 123 opérateurs, 102 branches de fonds de pension pour les travailleurs. La société Network Rail, moins connectée au marché, a été créée par le gouvernement, qui y a investi 30 milliards de livres pour améliorer la sécurité et l’infrastructure. Aujourd’hui, Network Rail se bat pour payer une dette colossale, déjà en partie hérité de la déroute de l’entreprise Railtrack. Jusqu’il y a peu, le gouvernement s’en acquittait, mais depuis un an cette dette est devenue trop lourde et la société frise la banqueroute. En conséquence, l’infrastructure a été privatisée et sous-traitée via une multitude de petits sous-traitants peu expérimentés, qui ont remplacé des structures globales qui maîtrisaient le terrain et le travail. On assiste à un manque cruel de qualifications et de compétences, ce qui ajoute à l’insécurité et provoque davantage d’accidents.

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Ces sociétés sont ainsi obligées de rappeler des cheminots retraités pour bénéficier des compétences nécessaires au fonctionnement du chemin de fer ! Network Rail est passée par 3-4 réorganisations, et aujourd’hui sa dette colossale est utilisée comme excuse par le gouvernement pour démanteler encore plus le système ferroviaire. Techniquement, Network Rail n’est plus propriété du gouvernement, par contre sa dette, elle, l’est bel et bien. Cette entreprise devrait être complètement renationalisée ! Il est prévu de réorienter le financement des chemins de fer au niveau régional. Il se ferait en fonction des capacités et du volume de passagers, et serait forcément insuffisant. Ce qu’il faudrait, c’est une entreprise gouvernée au niveau central, national. Aujourd’hui, les investissements structurels sont inexistants. Le travail se fait aujourd’hui avec de jeunes managers et une entreprise qui a racheté toutes les voitures pour une bouchée de pain. Elles sont à présent aux mains de banques et de capitaux à risque, et relouées à des entreprises privées subventionnées par les gouvernements. Ceux-ci ne sont pas en mesure de racheter tous les actifs pour lesquels ils ont payé. Pendant ce temps, les sociétés privées s’enrichissent. La croissance ne bénéficie pas à la population, que du contraire : les tickets sont 4 fois plus chers qu’ailleurs en Europe ! Selon une étude réalisée sur les tarifs en vigueur, il apparaît qu’en moyenne 23 % des revenus bruts des citoyens du R-U sont consacrés aux transports. A côté de cela, il n’y a pas eu d’augmentation de salaire depuis 5 ans. Un système d’avantages accordés aux travailleurs de certaines entreprises crée une grande différence entre les tarifs pratiqués au niveau des abonnements et tickets. La privatisation touche à la fois les voies ET les trains Des milliards de livres ont été dépensées pour rénover les gares (ex. Birmingham), avec des centres commerciaux gigantesques à l’intérieur, mais rien n’a été fait pour rénover les infrastructures et les voies, ni pour assurer la sécurité. L’âge moyen du matériel roulant est de 40 ans ! Les travailleurs travaillent à des rythmes effrénés, dangereux pour eux-mêmes et pour les passagers. Une administration essaye de trouver des solutions pour créer des synergies entre les fractions industrielles mais rien n’a encore été fait. De nouveaux trains ont été achetés et sont utilisés à Londres, mais tous les vieux trains sont envoyés dans les régions. Ce manque d’investissements ne fait pas face à l’augmentation du nombre de passagers, et les trains, en nombre insuffisant, sont systématiquement bondés. Via Network Rail, on subventionne un système sans concurrence à raison de 4 milliards de livres. 2 entreprises se partagent le marché et on ne peut voyager sur le train de l’une si on a

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un ticket de l’autre. Les licences sont accordées pour 5 ou 10 ans, ce qui ne laisse pas le temps de changer les choses. Les entreprises ne remboursent pas les subventions, versent tous leurs surplus aux actionnaires. Exemple : La ligne qui monte de Londres vers l’Ecosse : un milliard de livres a été investi dans cette ligne, qui a ensuite été reprivatisée par le gouvernement conservateur. Dans les années 1990, il a été décrété que le gouvernement ne pouvait pas avoir ses propres trains, on a donc créé un système d’entreprises indépendantes qui rachetaient et revendaient ensuite les trains. Aujourd’hui, un ticket de train peut coûter jusqu’à 300 livres entre Londres et Manchester, car les entreprises n’ont aucune obligation de fournir des tarifs meilleur marché. Par ailleurs, le personnel a été fortement diminué et des distributeurs automatiques ont été mis à la place des guichets, ce qui rend le service très compliqué. Une renationalisation ne serait possible qu’au terme de l’ensemble des franchises accordées, ce qui prendrait des années ! Les franchises : comment ça marche ? Les franchisés reçoivent un appel d’offre par rapport à ce qui est proposé. Or, on ne sait ce qui est proposé qu’une fois la franchise accordée. Les franchises sont accordées pour une durée de 10 à 15 ans. Certaines sont accordées avec des conditions précises, d’autres sous forme d’attributions directes avec aucun feedback par rapport au public ; d’autres encore ont à respecter un certain indicateur de qualité pour recevoir de l’argent public. Mais dans tous les cas, les bénéfices vont toujours aux actionnaires. En effet, les franchisés n’investissent pas, c’est uniquement l’argent du gouvernement qui est investi. Et les entreprises ne remboursent jamais l’argent public qui leur a été octroyé. Les délais varient, de même que les interlocuteurs, ce qui complique tout. Certaines lignes ne sont même pas électrifiées et fonctionnent encore au diesel. 35 milliards vont être investis dans l’électrification : les trains électriques sont prêts mais ne peuvent circuler car les lignes ne sont pas prêtes. Il y a plus de retards de trains aujourd’hui qu’à l’époque victorienne, et les réclamations sont tellement compliquées à introduire que les voyageurs n’y ont pas recours. On met les titulaires de l’infrastructure en concurrence avec les opérateurs. Il y a plus d’avocats et de comptables dans les chemins de fer britanniques pour régler ces problèmes de pénalités que de travailleurs. Le matériel roulant est pris en charge par des sous-traitants : le nombre de personnes censées vérifier ce que font les autres ne cesse d’augmenter dans les entreprises privatisées. Par ailleurs, le Building Rail Report montre qu’il y a un grand manque de retour sur investissements suite à la privatisation.

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Ce gouvernement réduit les services publics dans leur ensemble, tous font l’objet de tentatives de privatisation (santé, prisons, transports, …) Le fret, lui, est privatisé plutôt que franchisé. Depuis 20 ans, le fret a été vendu et revendu, les effectifs ont été largement diminués, notamment via des vagues de licenciements (un tiers d’effectifs en moins à ce jour). Des doubles taxes sur le charbon ont été instaurées. 16 % du fret ne circulera plus dans le pays. Cela a également un impact sur l’industrie de l’acier, qui souffre de l’industrie chinoise et également de la diminution du fret, car ce sont les conducteurs de fret qui transportent le matériel de construction, d’acier etc. Si cela continue dans ce sens, le système entier va s’écrouler.

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Actions et réactions syndicales Les travailleurs sont les premières victimes de cette situation catastrophique. Une campagne, Action for Rail,1 est en cours. Elle est menée par l’ensemble des syndicats du transport contre le système de franchises, pour réclamer le retour à la propriété publique : plusieurs manifestations ont eu lieu dans les grandes gares, mettant en exergue les dégâts causés par la privatisation, des tracts ont été distribués et quelque 15000 cartes postales et une quantité d’emails ont été envoyés aux représentants politiques protestant contre la privatisation des services publics. Cela s’est fait conjointement avec des organisations de la société civile et des associations de passagers. Ont également été organisés des conférences, journées d’action, congrès, outils de lobbying sur les sites web, vidéos pédagogiques, sur le fait notamment que les entreprises privées augmentent les prix sans augmenter ni même assurer la sécurité. Les accompagnateurs de train et les responsables de la sécurité étaient également mobilisés. Exigences premières : défendre l’emploi et réclamer le retour à la propriété publique du chemin de fer, qui doit être également un service intégré, contrairement à cette fragmentation à l’œuvre actuellement, qui organise les services en structures de plus en plus petites et de moins en moins coordonnées entre elles. Les syndicats font donc pression pour un code de conduite conjoint et l’utilisation d’une entreprise coupole qui fasse cesser la fragmentation. En effet, à ce jour, les chemins de fer comptent 28 opérateurs différents. Cela a pour conséquence de diviser les travailleurs, qui se retrouvent organisés à différents niveaux, sont employés par des sous-traitants de sous-traitants dans des petites unités de 30 ou 40 personnes qui ne permettent pas l’organisation syndicale, vu que le syndicat ne peut s’adresser qu’à l’employeur. Et il existe en réalité 20 à 30 employeurs différents répartis dans cette chaîne de sous-traitants… Les conditions de travail sont souvent alarmantes : les travailleurs n’ont pas de droits, ils ne rapportent pas les failles de sécurité ou les situations dangereuses de peur de perdre leur emploi, ce qui accroît le risque d’accidents du travail. Demain, on risque encore de perdre des emplois, de se voir assigner des quantités de tâches, de voir les objectifs multipliés. Pendant ce temps, la sécurité devient secondaire. De plus en plus de personnes doivent travailler hors de leur zone d’habitat ou hors de leur région, le temps de travail s’en trouve dès lors prolongé jusqu’à donner des shifts de 12 heures, sans pause pour se reposer. Résultats : les accidents mortels se sont eux aussi multipliés (ex. le conducteur d’une camionnette qui transportait des travailleurs s’est endormi au volant et a provoqué un grave accident).

1 http://actionforrail.org/

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Les impacts sont considérables sur la vie de famille, la diminution de salaires, l’augmentation des heures supplémentaires, cela mène à des pratiques dangereuses sur le terrain. Par ailleurs, on assiste à une crise de compétences à cause de l’âge des travailleurs, du manque de formation (certains ne l’ont jamais achevée), du fait aussi que de moins en moins de personnes veulent assumer les lourdes responsabilités qui accompagnent le boulot. Un rapport de 2014 montre la situation financière actuelle du secteur, et confirme que la nationalisation est indispensable pour financer le fonctionnement des services, alors qu’aujourd’hui les entreprises privées bénéficient de subventions de l’Etat, dont 93 % vont directement aux actionnaires sous forme de dividendes. Il s’agit d’un vol légal, organisé. Une autre campagne a eu lieu dans le nord du pays, contre le franchisé Northern Rail, qui a rassemblé 49 événements contre la privatisation. Un site web a été créé pour que les usagers puissent contacter directement les députés. Les organisations de passagers, ici aussi, ont rejoint le mouvement. 58 députés ont signé une déclaration de soutien. La situation est dramatique, beaucoup de trains ne fonctionnent qu’avec une seule personne à bord (uniquement le conducteur). C’est le cas sur 30 % du réseau. Les trains sont archibondés, et personne n’est là pour veiller à la sécurité des passagers. 70 % des accidents et incidents ont lieu sur ces 30 % de réseau désinvestis. Le comble étant que si un accident survient (ex. un passager tombe entre la rame et le quai), c’est le conducteur de train qui en sera tenu responsable, encourant de lourdes amendes et des peines de prison. L’on constate que l’attitude du public a changé par rapport aux chemins de fer. Le prix du billet augmente d’année en année, pour un service qui diminue en qualité. Les passagers sont parfois moins bien traités que du bétail ! Le public est donc plus solidaire des actions des travailleurs. Quid des conditions de travail dans la maintenance et le renouvellement des infrastructures ? La maintenance compte 4 fournisseurs principaux de main d’œuvre, qui eux-mêmes s’adressent à des sous-traitants. Le renouvellement compte un très grand nombre de sous-traitants actifs, difficile d’en connaître le chiffre exact. Il y a aussi beaucoup de faux indépendants, qui ne sont représentés dans aucun secteur et ne peuvent dès lors pas faire valoir leurs droits. Une autre campagne nationale a été menée pour défendre les travailleurs du secteur ferroviaire, afin de leur permettre d’avoir un contrat de travail directement dans l’entreprise où ils sont effectivement occupés. Ex. ceux qui travaillent pour Network Rail via des sous-traitants n’ont pas la possibilité de faire valoir un environnement de travail sécurisé.

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Droits syndicaux : Comment les gouvernements successifs au Royaume Uni ont attaqué les syndicats et le droit de grève John Hendy QC, avocat des syndicats et Professeur à l’University College de Londres Le Royaume Uni a la législation la plus restrictive d’Europe en matière syndicale ! Comment se prémunir contre ce développement très dangereux des fortes mesures anti-grèves ? Pour l’anecdote (néanmoins tout à fait significative), David Cameron, Bart de Wever et Charles Michel sont très proches, ils se rendent souvent visite. De Wever et Michel souhaiteraient s’inspirer du modèle britannique pour restreindre le pouvoir des syndicats en Belgique. Les multinationales n’ont aucune considération pour le système législatif légal des différents pays où elles s’implantent. Elles se situent au-delà de la règle de droit. Le système britannique est unique à deux niveaux :

- Il n’y a pas de constitution - Il n’y a pas de droit de grève

Cette absence de Constitution fait qu’il n’existe aucune barrière légale par rapport à ce que le droit pourrait devenir. A partir de 1906, une protection statutaire avait cours pour les actions industrielles. Or, cette protection statutaire peut être restreinte par le gouvernement car le droit de grève n’existe pas (le gouvernement dit qu’un tel droit serait un privilège indu). Résultat : depuis 1906 les gouvernements successifs ont comprimé cette liberté. Thatcher, à partir de 1979, n’a fait que cela. Sous sa gouverne, 7 lois ont été édictées pour diminuer le droit à la grève et les droits des travailleurs en général. Après Thatcher, le Royaume Uni a connu 13 ans de Tony Blair, qui n’a pas modifié les lois de Thatcher. Il a d’ailleurs déclaré que les lois relatives aux syndicats resteraient les plus restrictives du monde occidental. Exemple : il est interdit de mener toute forme d’action industrielle solidaire, quelle qu’elle soit, à savoir le fait que les syndicats d’un employeur puissent s’organiser pour soutenir les travailleurs qui dépendent d’un autre employeur. Or, les actions de solidarité sont très importantes, surtout dans le secteur des chemins de fer où les travailleurs sont répartis entre de multiples employeurs. Autre exemple : les restrictions appliquées au processus d’élections sociales dans les entreprises. Les participants –y compris les électeurs - doivent préalablement avertir de leur participation aux élections via une demande officielle rédigée par courrier postal. Les syndicats doivent informer les employeurs de l’organisation de ces élections en fournissant

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quantité de détails chiffrés par catégories de travailleurs, lieux d’affectation, etc. Ces nouvelles contraintes découragent les travailleurs et ont mené à une forte diminution du nombre de participants aux élections sociales. Ces contraintes existent aussi lors d’actions syndicales (grèves, manifestations). Toutes les données relatives aux travailleurs qui y participent doivent être communiquées. Résultat : dans les années 1970, les actions syndicales représentaient quelque 7 millions de jours de travail perdus par an. Aujourd’hui, on n’en compte plus que 743 000. Cela traduit significativement l’affaiblissement drastique du pouvoir des syndicats. Aujourd’hui, ils n’ont pour ainsi dire plus aucun pouvoir. Le nombre de grèves est, à l’heure actuelle, le plus bas d’Europe. Autre comparaison édifiante : en 1979, 82 % des travailleurs britanniques avaient un emploi et des conditions de travail protégées par une convention collective de travail (CCT). Aujourd’hui, seuls 20% d’entre eux sont protégés par une CCT. Tandis que la moyenne européenne est de 61 % ! (seule la Lithuanie fait pire que le Royaume-Uni en la matière). L’existence même du syndicat est remise en question par cette impossibilité de signer une CCT : il n’y a plus aucune protection de la classe ouvrière. Les travailleurs britanniques se considèrent littéralement en danger. Le R-U compte 6 millions d’indépendants, 3 millions de contrats à durée déterminée, 2,3 millions de travailleurs à temps partiel, 1,5 million de travailleurs sous contrat « zéro heure », qui doivent être disponibles à tout moment pour être appelés à travailler, sans qu’aucune heure ne leur soit garantie d’avance. Ce projet dogmatique néolibéral a pour but de mettre les syndicats à terre et de détruire la classe ouvrière au bénéfice des multinationales. Or, la situation est de pire en pire. En 2015, un nouveau projet de loi a vu le jour pour restreindre davantage encore les droits syndicaux. Selon ce projet, les syndicats doivent à présent notifier à l’avance tout appel à l’action syndicale. Par ailleurs, au moins 50 % des membres doivent s’être prononcés par rapport à la pertinence de l’action pour que l’appel soit validé. Dans le secteur du transport, l’exigence va plus loin encore : le syndicat doit démontrer qu’au moins 40 % des travailleurs se prononcent favorablement sur l’action à mener. La loi exige également que sur chaque piquet de grève, le syndicat désigne un « superviseur de piquet » qui devra porter un brassard d’identification et communiquer ses coordonnées à la police.

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Cela mène à un fichage systématique des syndicalistes, et souvent, à une discrimination à leur encontre, voire au licenciement. Exemple : le syndicat Unite, qui réunit notamment les travailleurs du secteur de la construction, a découvert en 2009 que les entreprises de construction avaient constitué une « liste noire » de militants syndicaux comprenant 3200 noms, liste détenue par chaque employeur du secteur ! Si vous vous trouvez sur cette liste, vous risquez de ne jamais retrouver un emploi dans ce secteur. Les syndicats ont introduit un litige contre cette mesure, et ont constaté que les entreprises ont eu des contacts à ce sujet avec la police. Or, si les superviseurs de piquets doivent donner leur nom à la police, ils se retrouvent automatiquement dans les bases de données. Cela a un effet extrêmement destructeur de tout mouvement social ! L’obligation de communiquer les lieux exacts d’affectation des travailleurs lors des actions est également un obstacle à la mobilisation. Par exemple, dans le métro londonien, 4 syndicats sont représentés et il existe 454 lieux de travail différents ! Autre proposition de cette loi antisyndicale : celle de supprimer l’interdiction qu’ont les agences pour l’emploi de rompre les piquets de grève. Dans les services publics, il est également proposé de diminuer le temps accordé aux travailleurs pour se consacrer aux activités syndicales (représentation des membres dans le cadre de procédures légales, participation au CPPT, …) Jeremy Corbyn, élu en septembre 2015 à la tête du Parti travailliste, -et donc également chef de l'Opposition officielle parlementaire-, et John Mc Donnell ont promis que la loi qui restreint les droits syndicaux serait annulée, de même que l’interdiction de mener des actions de solidarité. Mais légalement, il n’existe pas vraiment de droit de réunion et d’association entériné dans un texte. Les droits les plus fondamentaux des travailleurs (négociation collective, organisation et grève) sont systématiquement violés. Or, l’existence –très limitée- de conventions collectives sans un droit effectif à la grève n’est quasiment d’aucune utilité. La Cour de Justice de l’UE et l’OIT condamnent d’ailleurs chaque année le R-U pour ces manquements. Cela n’empêche pas qu’il y ait quand même pas mal de grèves – qui sont donc illégales -, qui entraînent des coûts très élevés en frais d’avocats etc. Généralement, elles sont soutenues par la population. Dans le secteur de la santé, 80 % des médecins représentés dans des associations de médecins ont voté en faveur d’actions industrielles. A Londres, les usagers des transports sont majoritairement en faveur des actions des travailleurs du métro malgré les désagréments que cela cause et malgré l’influence négative des médias. Il ne fait en effet aucun doute que le gouvernement va à l’encontre des souhaits de la population britannique. La fédération européenne des transports ne peut impulser une action de grève au niveau européen. Ce sont les pays qui doivent individuellement prendre cette décision.

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Au sein du R-U déjà, une action commune regroupant tous les syndicats serait possible mais les lois très restrictives qui empêchent de s’organiser, les confiscations des moyens de fonctionnement des syndicats, la responsabilisation des leaders syndicaux, etc., rendent toute action de grande ampleur très difficile. La solidarité doit primer coûte que coûte, et le soutien aux travailleurs qui soutiennent leurs collègues est primordial. Aujourd’hui, les syndicats belges sont menacés par des projets de restrictions légales du droit de grève, or si ces projets passent, les années suivantes verront se restreindre davantage encore ce droit. En Belgique, d’un point de vue juridique, on n’est pas protégé contre une loi qui restreindrait le droit de grève, car ce droit ne figure pas en tant que tel dans la Constitution. La grève, basée sur la charte européenne des droits fondamentaux, est possible pour des raisons professionnelles, de solidarité et pour des raisons politiques. Si une loi venait à limiter le droit de grève, celle-ci serait juridiquement contestable mais cela prendrait beaucoup de temps et l’issue du recours serait incertaine. Il faut tout faire pour empêcher que ce pas d’une loi anti-grèves voie le jour car c’est clairement une boîte de Pandore ! Pour rappel, la situation des chemins de fer en Belgique : Depuis le début des années 2000, la fréquentation au augmenté de 50 %, tandis que les moyens ont, eux, diminué. Dans le même temps, il est réclamé aux travailleurs une hausse de la productivité. On est passé de 41 000 à 34 000 cheminots. Sur 10 000 départs à la pension d’ici à 2020, seuls 4000 seront remplacés ! Et d’ici 2025, 6000 postes seront encore supprimés, amenant en 25 ans l’effectif à 20 000 travailleurs au lieu de 41 000 ! Pendant ce temps, le secteur va perdre entre 2 et 3 milliards d’euros sur les 4 – 5 prochaines années. (Pour rappel, les voitures de société coûtent 4 milliards par an !) Le plan transports est une véritable catastrophe. Les trains en retard ou supprimés se

multiplient, les conditions de travail sont de pire en pire (temps partiels d’un côté, pauses de 12h de l’autre..)

Levons-nous, unissons-nous, et défendons ardemment le droit de grève et les services publics avant qu’il ne soit trop tard !