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N° 87 - MAI 2017 - p 23 LE BULLETIN de CHEUVREUX Notaires L a mobilité internationale des Français est une réalité en nombre croissant. En 2015 et d’après le ministère des Affaires Étrangères, on ne dénombrait pas moins de 1 710 945 Français inscrits au re- gistre national des Français établis hors de France avec à sa tête la Suisse, suivie des États-Unis, le Royaume-Uni, la Belgique et l’Allemagne. En marge des repères de la vie à recréer et le quotidien à réorganiser, la mobilité in- ternationale - créatrice d’éléments d’extra- néité - qu’elle soit vécue seule, en couple, ou en famille soulève des problématiques sociales, juridiques et fiscales. L’individu expatrié devient sujet de droit interna- tional et se constitue bon gré mal gré un patrimoine à caractère lui-même interna- tional, lequel soulève de façon inéluctable la question de sa transmission future. Français vivant à l’étranger, puis-je disposer de mes biens répartis dans plusieurs pays de la même manière ? J’ai un appartement en France mais je vis depuis de nombreuses an- nées à l’étranger, comment se déroulera ma succession ? Quelle sera la loi applicable à ma succession en France, sera-t-elle la même que celle où je réside actuellement ? Est-il préférable que je rédige un testament, et sous quelle forme mais sera-t-il valable dans tous les pays où j’y ai des intérêts ? En matière de transmission internationale, les questions sont multiples et les réponses variées selon les situations et les pays impli- qués. Nous illustrerons volontairement nos pro- pos autour de la loi successorale applicable dans un contexte franco-américain tout d’abord parce que la détermination de loi successorale est la clef de voûte de l’anticipa- tion successorale dans un environnement international autre- ment appelé Interna- tional Estate Planning, puis parce qu’il y a aujourd’hui plus de 142 000 Français instal- lés outre-Atlantique, et enfin parce que les États-Unis, pays de common law ren- contrent avec la France, pays de droit civil, des difficultés certaines liées à la coexis- tence de deux mondes juridiques diffé- rents. Une situation par défaut Depuis le 17 août 2015, date d’entrée en vigueur du Règlement Européen 650/2012 sur les successions, la loi applicable en France par défaut à une succession présen- tant un lien d’extranéité est celle de l’État dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment du décès, ou à titre exceptionnel et d’après les circonstances de la cause, la loi de l’État avec lequel le défunt présentait des liens manifestement plus étroits 1 . La résidence habituelle est aujourd’hui le fac- teur de rattachement central, déterminant la loi qui viendra régir l’ensemble de la suc- cession « depuis son ouverture jusqu’au transfert de la propriété des biens aux bé- néficiaires 2 » . DROIT PATRIMONIAL ACTUALITÉ PATRIMONIALE INTERNATIONALE MOBILITÉ INTERNATIONALE ET SUCCESSIONS : PRÉVENIR POUR NE PAS SUBIR ! LE CAS DES ÉTATS-UNIS PAR ANGÉLIQUE DEVAUX GROUPE PATRIMOINE EXPATRIATION ETATS-UNIS TESTAMENT SUCCESSION RÈGLEMENT EUROPÉEN 1- Article 21 du règlement européen sur les successions. 2- Considérant 42, Article 23 du règlement européen sur les successions. Dans une situation de mobilité internationale, la définition de la résidence principale prend toute son importance.

ETATS-UNIS TESTAMENT EXPATRIATION - cheuvreux … · p 24 -MAI 2017 - N° 87 LE BULLETIN de CHEUVREUX Notaires Dans une situation de mobilité internatio-nale, et dans le cas d’un

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N° 87 - MAI 2017 - p 23 LE BULLETIN de CHEUVREUX Notaires

La mobilité internationale des Français

est une réalité en nombre croissant.

En 2015 et d’après le ministère des

Affaires Étrangères, on ne dénombrait pas

moins de 1 710 945 Français inscrits au re-

gistre national des Français établis hors de

France avec à sa tête la Suisse, suivie des

États-Unis, le Royaume-Uni, la Belgique et

l’Allemagne.

En marge des repères de la vie à recréer et

le quotidien à réorganiser, la mobilité in-

ternationale - créatrice d’éléments d’extra-

néité - qu’elle soit vécue seule, en couple,

ou en famille soulève des problématiques

sociales, juridiques et fiscales. L’individu

expatrié devient sujet de droit interna-

tional et se constitue bon gré mal gré un

patrimoine à caractère lui-même interna-

tional, lequel soulève de façon inéluctable

la question de sa transmission future.

Français vivant à l’étranger, puis-je disposer

de mes biens répartis dans plusieurs pays de

la même manière ? J’ai un appartement en

France mais je vis depuis de nombreuses an-

nées à l’étranger, comment se déroulera ma

succession ? Quelle sera la loi applicable à

ma succession en France, sera-t-elle la même

que celle où je réside actuellement ? Est-il

préférable que je rédige un testament, et

sous quelle forme mais sera-t-il valable dans

tous les pays où j’y ai des intérêts ?

En matière de transmission internationale,

les questions sont multiples et les réponses

variées selon les situations et les pays impli-

qués.

Nous illustrerons volontairement nos pro-

pos autour de la loi successorale applicable

dans un contexte franco-américain tout

d’abord parce que la détermination de loi

successorale est la clef

de voûte de l’anticipa-

tion successorale dans

un environnement

international autre-

ment appelé Interna-

tional Estate Planning,

puis parce qu’il y a

aujourd’hui plus de

142 000 Français instal-

lés outre-Atlantique,

et enfin parce que

les États-Unis, pays de common law ren-

contrent avec la France, pays de droit civil,

des difficultés certaines liées à la coexis-

tence de deux mondes juridiques diffé-

rents.

■■ Une situation par défaut

Depuis le 17 août 2015, date d’entrée en

vigueur du Règlement Européen 650/2012

sur les successions, la loi applicable en

France par défaut à une succession présen-

tant un lien d’extranéité est celle de l’État

dans lequel le défunt avait sa résidence

habituelle au moment du décès, ou à titre

exceptionnel et d’après les circonstances

de la cause, la loi de l’État avec lequel le

défunt présentait des

liens manifestement

plus étroits1.

La résidence habituelle

est aujourd’hui le fac-

teur de rattachement

central, déterminant

la loi qui viendra régir

l’ensemble de la suc-

cession « depuis son

ouverture jusqu’au

transfert de la propriété des biens aux bé-

néficiaires2 » .

D R O I T PAT R I M O N I A L

ACTUALITÉ PATRIMONIALE INTERNATIONALE

MOBILITÉ INTERNATIONALE ET SUCCESSIONS : PRÉVENIR POUR NE PAS SUBIR ! LE CAS DES ÉTATS-UNIS

PARANGÉLIQUE DEVAUXGROUPE PATRIMOINE

EXPATRIATIONETATS-UNISTESTAMENT

SUCCESSION

RÈGLEMENT EUROPÉEN

1- Article 21 du règlement européen sur les successions.2- Considérant 42, Article 23 du règlement européen sur les successions.

“Dans une situation

de mobilité internationale, la définition de la résidence principale

prend toute son importance.

p 24 -MAI 2017 - N° 87 LE BULLETIN de CHEUVREUX Notaires

Dans une situation de mobilité internatio-

nale, et dans le cas d’un Français expatrié

aux États-Unis, la définition de la résidence

principale prend toute son importance

puisqu’il s’agit de déterminer ici quelle loi

et principalement quel système légal s’ap-

pliquera à la succession future pour des

biens situés en France voire aux États-Unis ;

entre d’un côté un système de transmission

aux biens, indirect faisant appel aux tribu-

naux et privilégiant une liberté testamen-

taire – le système de la common law, et de

l’autre un système qui organise la trans-

mission de la succession aux personnes, où

le conjoint et les héritiers appréhendent

directement l’actif de la succession et qui

enfin protège certains héritiers au moyen

du mécanisme de la réserve – le système de

droit français.

Le « règlement successions » ne définit pas

la notion de résidence habituelle ce qui

rend le critère de rattachement sujet à in-

terprétation, mais malgré tout plus adapté

à la situation factuelle. Cela étant, dans

un contexte de mobilité internationale,

l’établissement de la résidence habituelle

s’avère réellement bien plus complexe

qu’elle ne peut paraître. En effet, le pays

d’accueil constitue(ra)-t-il la « nouvelle »

résidence habituelle ou bien doit-on consi-

dérer ’l’expatriation’ – même de longue

durée - comme une circonstance exception-

nelle rattachant la loi successorale au pays

d’origine avec qui l’expatrié présente(rait)

des liens plus étroits?

Les considérants 23 et 24 du règlement dé-

livrent au notaire, chargé en France de ré-

gler une succession, des indices afin de dé-

terminer au mieux la résidence habituelle,

laquelle « devrait révéler un lien étroit et

stable avec l’État concerné ». « En principe,

les liens personnels et familiaux devraient

l’emporter sur l’activité professionnelle »3 ;

le règlement propose en effet en fonction

des circonstances de l’espèce que la rési-

dence habituelle puisse être celle de l’État

d’origine notamment lorsque « le défunt

était parti vivre dans un autre État pour y

travailler, parfois pendant une longue du-

rée, tout en ayant conservé un lien étroit et

stable avec son État d’origine ». Bien que

conçu pour « assurer que l’autorité chargée

de la succession en vienne dans la plupart

des cas à appliquer son droit national »4,

la détermination de la résidence habituelle

fait manifestement appel à une apprécia-

tion de faits ; Il appartient donc au notaire

d’interroger son client sur les motivations

et les conditions de sa mobilité, de son

départ, en plus de la durée envisagée qui

n’est pas à elle seule un élément détermi-

nant.

Ainsi, pourrait-on probablement considé-

rer une personne simplement détachée

par son entreprise, dont la famille (en ce

compris conjoint et enfants) est restée en

France, comme présentant des liens étroits

avec son pays d’origine et en déduire que

la loi française soit celle applicable à la

succession. À l’inverse, une personne ins-

tallée en famille avec l’intention d’y rester

au moyen même d’un visa temporaire de

travail (au sens du droit de l’immigration

américaine) pourrait être considérée avoir

sa « nouvelle » résidence habituelle dans le

pays d’accueil.

Le règlement européen est de portée uni-

verselle, à savoir qu’il s’applique même

lorsque la loi retenue par défaut est celle

d’un État tiers, comme le sont les États-

Unis. Dans cette hypothèse, il y a lieu de

tenir compte des règles de droit interna-

tional privé dudit État, voire d’accepter le

renvoi à la loi d’un État membre si l’État

tiers le prévoit5.

Bien que les États-Unis ne connaissent pas

une législation uniforme des règles de

conflits de lois comparable au « règlement

successions » en Europe, les cinquante

états composant le pays retiennent en

général le principe selon lequel la loi de la

juridiction où se situent les biens immobi-

liers gouverne leur succession6, tandis que

la loi du domicile du défunt au moment

de son décès gouverne la succession des

biens meubles7,8. Les États-Unis appliquent

donc le principe de scission entre les biens

meubles et immeubles, dont la qualifica-

tion varie au surplus d’un État à l’autre.

Si la détermination de la situation des biens

ou situs law est relativement aisée, celle du

domicile l’est moins. En effet, au sens du

droit américain, un individu ne peut avoir

qu’un seul domicile à la fois, et d’ailleurs

chaque personne commence sa vie avec son

« domicile of origin » qui correspond géné-

ralement à celui des parents. Lorsqu’une

personne abandonne son domicile de nais-

sance, elle acquiert alors un « domicile of

choice » qui se définit d’après deux critères

cumulatifs : une présence physique dans

l’État concerné et une intention d’y établir

son domicile et de le maintenir.

Le domicile, comme la résidence habituelle

de droit communautaire, fait appel à une

appréciation de faits. S’agissant de la condi-

tion d’intention qui distingue le domicile

de la résidence, les tribunaux américains

retiennent des facteurs résultant de la vie

sociale et professionnelle de l’individu, tels

son type de logement, son appartenance à

une association locale, ou tout autre élé-

ment démontrant l’établissement d’une re-

lation particulière entre l’individu et l’État

concerné. Ainsi si une personne réside dans

un état avec l’intention de retourner dans

son état ou pays d’origine, telle une per-

sonne détachée par son entreprise, elle ne

sera pas considérée avoir établi son « domi-

cile of choice »9 ;

On le comprend bien, les notions de rési-

dence habituelle en droit communautaire

et de domicile en droit américain sont

toutes deux des notions qui prennent en

considération des éléments de faits, va-

riables selon les situations, pouvant conver-

ger comme parfois s’éloigner, établissant

ainsi une instabilité pour la personne mo-

bile.

Face à une telle situation devenue de plus

en plus courante, est-il possible d’anticiper,

et si oui, de quelle manière ?

PRÉVENIR : LE CONTRÔLE DE LA LOI SUCCESSORALE

■■ Choisir la loi applicable à sa succession :

une possibilité

La subjectivité et l’instabilité des notions

de domicile et de résidence habituelle,

3- Andrea Bonomi Patrick Wautelet, Le droit Européen des successions commentaire du règlement n° 650/2012 du 4 Juillet 2012, Ed. Bruylant, p. 176, n° 20.4- Considérant 27.5- Article 34 et considérant 57 du règlement succession.6- Restatement (Second) of Conflict of Laws (1971) §236.7- Restatement (Second) of Conflict of Laws (1971) § 260.8- A noter que chaque état connaît une propre définition des biens meubles (personal property) et des biens immeubles (real property).9- Par ailleurs, la présence sur le territoire américain sous un visa non-immigrant n’empêche pas une personne d’y élire son domicile mais peut toutefois influer sur son caractère intentionnel. Toutefois, il a été jugé qu’une personne détenteur d’un visa non-immigrant devant quitter le pays à une certaine date ou ne pouvant rester sur le territoire indéfiniment ne pouvait y élire son domicile au sens du droit de l’État du Maryland ; son statut de non-immigrant étant en contradiction avec une intention de rester dans l’État. Toll v. Moreno, 397 A.2d 1009, 1017 (Md. 1979).

N° 87 - MAI 2017 - p 25 LE BULLETIN de CHEUVREUX Notaires

accentuées dans un contexte international

franco-américain, peuvent légitimement

conduire le notaire à conseiller son client

sur la nécessité d’établir avant son départ

pour le pays de l’oncle Sam – et tout autant

pendant sa mobilité – la loi applicable à sa

future succession.

Neutraliser la loi successorale applicable.

La professio juris ainsi consacrée par le

« règlement successions » pris dans son

article 22, autrement dit « la déclaration

de loi applicable » per-

met à toute personne

de soumettre sa succes-

sion future à la loi de

l’État dont il possède

la nationalité – au jour

de son choix ou au jour

de son décès – et cela

pour l’ensemble de sa

succession.

Lorsque la loi dési-

gnée est celle d’un état tiers, le renvoi à

une autre loi n’est pas admis, la loi choisie

s’applique donc, sauf à ce que celle-ci soit

manifestement incompatible avec l’ordre

public du for.

À première vue, la nationalité au moment

du choix permet de donner plus facile-

ment une ligne directrice à la planifica-

tion successorale dans le cadre même de la

mobilité ; la nationalité au jour du décès

est dans ce contexte un critère instable

puisqu’une personne peut être amenée à

changer de nationalité au cours de sa vie

et à plus forte raison suite à une expatria-

tion. À titre d’exemple, un Français pour-

rait clamer la citoyenneté américaine après

cinq années de détention de la green card

et sous réserve d’autres conditions d’éligi-

bilité d’âge, de présence sur le territoire,

de capacité de lire, comprendre et parler

l’anglais10. Cependant ce choix pose un in-

convénient sur la durée. Une expatriation

peut se prolonger, voire devenir définitive,

et dans cette hypothèse le de cujus reste

soumis à la loi d’un État avec lequel il n’en-

tretient finalement plus de liens particu-

liers. Il est donc nécessaire de s’interroger

sur les enjeux consécutifs au choix de la loi

applicable à la succession, et aussi systéma-

tiquement revoir les questions de planifi-

cation successorale au fil des années et des

événements de la vie.

L’intérêt de la professio juris dans le cadre

de la mobilité est de pouvoir neutraliser

la loi applicable à la succession et ainsi

s’assurer du choix du contenu même de la

loi incluant tant la dévolution successorale,

les droits des héritiers et ou légataires. Le

choix de la loi applicable à la succession,

présente autant d’inté-

rêt notamment dans

l’hypothèse où l’expa-

trié globe-trotteur

« prend goût » de vivre

à l’étranger ; nombreux

sont ceux qui une fois

parti ne souhaitent

plus revenir dans leur

pays d’origine sans

forcément mesurer les

risques du changement perpétuel de leur

résidence que l’on peut difficilement qua-

lifier « d’habituelle ». Par ailleurs, pour

les couples mariés, la désignation de la loi

successorale peut constituer le parallèle

nécessaire à celle applicable au régime ma-

trimonial et ainsi amener le couple mobile

à mieux maîtriser, anticiper et planifier sa

succession.

■■ Encore faut-il s’assurer de l’effectivité de

son choix

Le recours à la déclaration de loi applicable

est un outil formidable de planification

successorale internationale, incontestable

dans le cadre d’une mobilité européenne

et pour y être valable, le choix doit être

effectué de manière expresse sous la forme

d’une disposition à cause de mort ou résul-

tant des termes d’une telle disposition, en

ce compris les testaments et les pactes suc-

cessoraux11.

Toutefois, en dehors des frontières de l’Eu-

rope et par conséquent lorsque des états

tiers sont impliqués, il est indispensable de

s’assurer de l’effectivité du choix de la loi

applicable, c’est-à-dire que le choix de loi

exprimé puisse produire l’effet souhaité

dans le ou les pays où le testateur y pos-

sède des biens, mais aussi que la forme du

choix exprimé y soit reconnue. Il est alors

nécessaire de penser « global ».

Pour ce qui est des États-Unis, de prime

abord il faut rappeler l’importance de la li-

berté testamentaire qui y règne et la place

signifiante qu’occupent les testaments

dans les successions. D’après un sondage

réalisé par CBS en avril 2015, près d’un

Américain sur deux déclarent avoir préparé

un testament. Ainsi, si le testateur désigne

une loi applicable à sa succession, les tribu-

naux honoreront ce choix.

Pour autant, cela ne veut pas dire que la

loi nationale choisie et son contenu seront

applicables aux biens situés aux États-Unis

de manière absolue.

Les règles de conflits applicables aux suc-

cessions testamentaires sont en effet les

suivantes : toutes questions relatives à la

validité et aux effets des testaments sont

régies par la loi du domicile du défunt

s’agissant des dispositions concernant les

biens meubles (personal property)12, et par

la loi de situation s’agissant des disposi-

tions concernant les biens immeubles (real

property)13. Cette règle de conflit s’étend

à la capacité du testateur, la forme du tes-

tament, et la manière dont le testament a

été exécuté.

En revanche, pour les questions relatives

à l’interprétation et aux effets des termes

utilisés (construction of wills), les juges

recourent à la loi désignée dans le testa-

ment (quand bien même elle n’aurait pas

de connexion suffisante avec les biens

concernés), et à défaut seulement, à la loi

du domicile ou de situation selon la nature

des biens14.

Si certains États reconnaissent le testament

étranger sans trop de difficulté pourvu

qu’il soit valide selon les règles du pays ou

de l’État dans lequel il a été établi (ex : Ida-

ho Stat. 15-2-506), d’autres en revanche li-

mitent la portée de la loi désignée à l’ordre

public du for (Ex : Oregon ; ORS 112-230),

10- Site officiel du département de la sécurité intérieure – Department of Homeland Security – U.S. Citizenship and immigration services.11- Article 22 du règlement successions.12- Restatement (Second) of Conflict of Laws (1971) § 263. 13- Restatement (Second) of Conflict of Laws (1971) § 239.14- Restatement (Second) of Conflict of Laws (1971) § 264 (personal property) et § 240 (real property)

“La déclaration de loi applicable

permet à toute personne de soumettre sa succession future

à la loi de l’État dont il possède la nationalité.

p 26 -MAI 2017 - N° 87 LE BULLETIN de CHEUVREUX Notaires

voire autorisent expressément le testateur

de déroger aux règles de conflit générales

et d’opter pour la loi de leur État pour les

biens qui s’y trouvent (ex : État de New

York, N.Y. Est Powers and Trust Laws § 3-5-

1 (h))15.

Par ailleurs, dans certains États dont le

régime matrimonial est assimilé en droit

français à un régime de séparation de biens

(separate property states), le choix de la loi

applicable et les dispositions testamen-

taires ne peuvent affaiblir la protection du

conjoint survivant (mécanisme de elective

share) ni de celle de l’enfant né postérieu-

rement à la rédaction du testament.

Enfin, en ce qui concerne les comptes ban-

caires, il arrive que le contrat d’ouverture

du compte contienne lui-même une clause

expresse de choix de loi applicable, indui-

sant ainsi en échec la loi successorale choi-

sie dans le testament (ex : l’État de Floride).

Une autre incertitude se pose quant à la

forme des testaments aux États-Unis et

la reconnaissance des testaments établis

à l’étranger : la plupart des États ont en

effet une approche formelle du testament

différente de ceux reconnus en France. Le

Wills Act de chaque État définit les types de

testament admis et leurs conditions d’exé-

cution ou de révocation. Tous les États

reconnaissent le testament formel (for-

mal will ou attested will) écrit, signé par

le testateur en présence d’au moins deux

témoins capables (voire trois pour l’État

du Vermont) et non intéressés par le tes-

tament, mais en revanche seule la moitié

d’entre eux reconnaissent le testament olo-

graphe (holographic will). L’État de Floride

par exemple, ne reconnaît pas le testament

olographe étranger, même valide d’après

son lieu d’exécution, sauf à ce qu’il ait été

établi en la présence de témoins16. Une mi-

norité d’États reconnaît le testament oral,

les états de Californie, Michigan, Wiscon-

sin et Maine reconnaissent les testaments

types (statutory will) conçus pour les per-

sonnes qui ne souhaitent pas recourir à un

avocat, et enfin l’État du Nevada admet le

testament électronique17.

Face à la variété des testaments et leurs

conditions de validité, une première ap-

proche peut consister en la rédaction d’un

testament local, notamment si l’intéressé y

possède des biens immobiliers.

Les avantages du testament local sont

multiples : il permet de simplifier l’admi-

nistration de la succession propre au bien

immobilier situé aux États-Unis au moyen

d’une application de loi plus appropriée ; il

évite les problèmes liés

à la traduction du tes-

tament, à la procédure

du probate du testa-

ment original lorsque

celui-ci est « détenu »

au rang des minutes

du notaire français et

établi dans une langue

étrangère, à la nomi-

nation d’un exécuteur

testamentaire non résident aux États-Unis ;

il permet enfin dans certaines situations

d’échapper à la réserve héréditaire de droit

français.

En revanche, la multiplicité des testaments

nécessite une parfaite coordination entre

les intervenants juridiques afin de s’assu-

rer qu’un testament fait dans un état A

ne vienne révoquer le testament fait dans

l’état B, ni même ne se contredisent.

Pour ce faire, il est indispensable que les

conseils juridiques de droit local (avocats

et notaires) travaillent de concert afin de

s’assurer de la sécurité juridique du mon-

tage pour leur client commun.

Afin d’éviter la multiplicité des testaments,

une solution peut naturellement se trouver

dans la rédaction d’un testament interna-

tional issu de la Convention de Washington

du 26 octobre 197318 et dont le but même

est de simplifier les successions testamen-

taires dans un contexte transnational.

Le testament international répond à des

conditions de forme strictes, notamment il

doit être fait par écrit (à la main ou dac-

tylographié) dans une langue quelconque,

signé par le testateur en présence de deux

témoins et une personne habilitée à instru-

menter à cet effet19, lesquels apposent eux-

mêmes leur signature sur le testament ; en-

fin une attestation établissant le respect des

obligations prescrites

par la Convention de

Washington doit être

jointe au testament.

Le testament interna-

tional a pour avantage

d’être valable quant

à la forme à la fois en

France et dans un large

nombre d’États améri-

cains20 qui l’ont inséré

dans leur législation interne21. Toutefois, le

testament international n’évite pas les pro-

blèmes liés à la traduction du testament,

à la procédure du probate du testament

original, notamment si la succession com-

prend des biens immobiliers situés dans le

ressort d’une des juridictions américaines

et là encore, le recours à un travail en com-

mun entre juristes de droit local est indis-

pensable.

15- Re estate of Renard, 439 N.E. 2d, 341 (N.Y. 1982). Le choix de la loi de l’État de New York a notamment été admis pour un Français domicilié en France mais qui avait expressément établi un testament dans l’État de New York dans lequel il déclarait vouloir que la loi New Yorkaise gouverne ses biens situés dans l’État, faisant ainsi tomber la loi française du domicile, et notamment la réserve héréditaire.16- Florida Stat Section 732-502.17- Nev. Rev. Stat. § 133-085.18- Signée par la France le 29 novembre 1974 et entrée en vigueur le 1er décembre 1994.19- Loi du 29 Avril 1994, JO 3 avril 1994: les notaires sont en France habilités à instrumenter en matière de testament international, ainsi que les agents diplomatiques et consulaires français pour les Français de l’étranger. Aux États-Unis, les avocats affiliés au barreau de l’État dans lequel le testateur rédige le testament sont habilités.20- Alaska, Arizona, Californie, Colorado, Connecticut, Delaware, District of Columbia, Floride, Hawaii, Idaho, Illinois, Maine, Massachussetts, Michigan, Minnesota, Montana, Nebraska, New Hampshire, New Jersey, New Mexico, Dakota du Nord, Oregon, Pennsylvanie, Caroline du Sud, Dakota du Sud, Utah, Virginie, Vermont, Wisconsin, et les Iles vierges Américaines.21- Précision : Bien que le Sénat américain ait donné son accord en 1991 pour ratifier la convention de Washington, celle-ci n’est pas entrée en vigueur au niveau fédéral. Julian Ku et John Yoo, Taming globalization : internatio-nal law, the U.S. constitution and the New World Order, Oxford University Press (2012), p. 170-174.

“Il est indispensable

que les conseils juridiques de droit local (avocats et notaires)

travaillent de concert afin de s’assurer de la sécurité juridique du montage

pour leur client commun.