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Phofochemisrry andPhotobiology. 1969. Vol. 9, pp. 55-63. Pergamon Press. Printed in Great Britain ETUDE PAR SPECTROSCOPIE D’ECLAIRS DU CAROTENOIDE TRANSFERT D’ENERGIE CHLOROPHYLLE- PAUL MATHIS Dkpartement de Biologie, Centre d’Etudes NuclCaires de Saclay, B.P. n”2. 91 -Gif-sur-Yvette, France (Received 29 April 1968) Abstract-Energy transfer from chlorophyll A in its lowest triplet state to carotenoid pigments is demonstrated by rapid flash photolysis experiments. Two systems are used; the first consists of chlorophyllA andp carotene in organic solvents: in diluted solutions, energy transfer is diffusion controlled. The second consists of chlorophyll A and lutein incorporated into digitonin micelles suspended in water; with this system a very rapid energy transfer is observed (< 0.4 x sec). Energy transfer results in a carotenoid metastable state, which is supposed to be a triplet state; for lutein its half-life is 8.9 X 10-ssec, and it has an absorption peak at 518 nm. De- population of lutein ground state, around 450 nm, can be observed, as well as the reactivity of oxygen towards the metastable state. Most of these results were obtained with a Q-switch ruby laser as exciting source (6943 A). A 4350 A flash can also be obtained by two successive non linear effects. Using this flash for exciting chlorophyll A alone, a strong signal is detected, due to its triplet state. By exciting directly B carotene or lutein, it is not possible to detect any metastable state with our technique. INTRODUCTION LES TRAVAUX de Chessin et CON.[ 11 ont mis en Cvidence un Ctat mktastable du p caro- tene, obtenu aprbs excitation d’un pigment sensibilisateur: chlorophylle, anthracene, etc.. . Nous avons penst qu’une etude cinttique, par spectroscopie d’bclairs h resolution rapide, du systbme chlorophylle A - carotknoide permettrait d’apporter quelques prbcisions sur la nature et le mode de formation de cet &at mbtastable. , Les rksultats prCsentCs montrent que dans un solvant organique, 1’Ctat transitoire du p carotbne est form6 B partir de 1’Ctat triplet de la chlorophylle A et qu’il ne peut Ctre observt par excitation directe du p carotbne. Par ailleurs, Teale et Weber[2,3] ont montrC qu’un transfert d’6nergie a lieu entre carotenoides et chlorophylle A, dans des micelles de detergent, reproduisant des rCsul- tats connus dans les structures photosynthCtiques : la fluorescence de la chlorophylle A est sensibiliske par les carotCnoides[4,5]. Les rksultats obtenus dans des micelles de dCtergent impliquaient une Ctroite proximitk des molCcules de chlorophylle et de carothnoide; nous avons pens6 que ce systkme serait commode pour 1’6tude du phhomtne inverse: transfert d’knergie triplet de la chlorophylle A au carotknoide, en phase quasi-solide et non plus en solution oh les rkactions sont limitkes par la diffusion. Le systbme envisagC nous a effectivement permis 1’Ctudede l’Ctat mCtastable (probable- ment triplet) de la lutbine, celle-ci &ant plus soluble que le p carotene dans le dCtergent utilise: la digitonine. Le systeme chlorophylle A - carotenoide - digitonine se rCvble en outre un moyen d’6tude privilCgiC des Ctats triplets des carotknoides et constitue un modble pour une rCaction rapide ayant lieu dans des structures photosynthCtiques 1671. 55

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Phofochemisrry andPhotobiology. 1969. Vol. 9, pp. 55-63. Pergamon Press. Printed in Great Britain

ETUDE PAR SPECTROSCOPIE D’ECLAIRS DU

CAROTENOIDE TRANSFERT D’ENERGIE CHLOROPHYLLE-

PAUL MATHIS Dkpartement de Biologie, Centre d’Etudes NuclCaires de Saclay, B.P. n”2. 91 -Gif-sur-Yvette, France

(Received 29 April 1968)

Abstract-Energy transfer from chlorophyll A in its lowest triplet state to carotenoid pigments is demonstrated by rapid flash photolysis experiments.

Two systems are used; the first consists of chlorophyllA andp carotene in organic solvents: in diluted solutions, energy transfer is diffusion controlled. The second consists of chlorophyll A and lutein incorporated into digitonin micelles suspended in water; with this system a very rapid energy transfer is observed (< 0.4 x sec).

Energy transfer results in a carotenoid metastable state, which is supposed to be a triplet state; for lutein its half-life is 8.9 X 10-ssec, and it has an absorption peak at 518 nm. De- population of lutein ground state, around 450 nm, can be observed, as well as the reactivity of oxygen towards the metastable state.

Most of these results were obtained with a Q-switch ruby laser as exciting source (6943 A). A 4350 A flash can also be obtained by two successive non linear effects. Using this flash for exciting chlorophyll A alone, a strong signal is detected, due to its triplet state. By exciting directly B carotene or lutein, it is not possible to detect any metastable state with our technique.

INTRODUCTION

LES TRAVAUX de Chessin et CON.[ 11 ont mis en Cvidence un Ctat mktastable du p caro- tene, obtenu aprbs excitation d’un pigment sensibilisateur: chlorophylle, anthracene, etc.. . Nous avons penst qu’une etude cinttique, par spectroscopie d’bclairs h resolution rapide, du systbme chlorophylle A - carotknoide permettrait d’apporter quelques prbcisions sur la nature et le mode de formation de cet &at mbtastable. ,

Les rksultats prCsentCs montrent que dans un solvant organique, 1’Ctat transitoire du p carotbne est form6 B partir de 1’Ctat triplet de la chlorophylle A et qu’il ne peut Ctre observt par excitation directe du p carotbne.

Par ailleurs, Teale et Weber[2,3] ont montrC qu’un transfert d’6nergie a lieu entre carotenoides et chlorophylle A , dans des micelles de detergent, reproduisant des rCsul- tats connus dans les structures photosynthCtiques : la fluorescence de la chlorophylle A est sensibiliske par les carotCnoides[4,5]. Les rksultats obtenus dans des micelles de dCtergent impliquaient une Ctroite proximitk des molCcules de chlorophylle et de carothnoide; nous avons pens6 que ce systkme serait commode pour 1’6tude du phhomtne inverse: transfert d’knergie triplet de la chlorophylle A au carotknoide, en phase quasi-solide et non plus en solution oh les rkactions sont limitkes par la diffusion. Le systbme envisagC nous a effectivement permis 1’Ctude de l’Ctat mCtastable (probable- ment triplet) de la lutbine, celle-ci &ant plus soluble que le p carotene dans le dCtergent utilise: la digitonine. Le systeme chlorophylle A - carotenoide - digitonine se rCvble en outre un moyen d’6tude privilCgiC des Ctats triplets des carotknoides et constitue un modble pour une rCaction rapide ayant lieu dans des structures photosynthCtiques 1671.

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S6 P A U L MATHIS

M A T E R l E L S ET M E T H O D E S ( I ) Pigments

La chlorophylle A est prCparCe par chromatographie sur poudre de cellulose[81 et stockCe dans 1’6ther Cthylique anesthksique, au froid, sous vide et a I’obscuritC. Les critkres de puretk utilisCs sont ceux de Zscheile et Comar[9]. Le p carotkne et la IutCine ont CtC prCparCs B partir de feuilles de mais Ctioltes, par chromatographie sur poudre de cellulose; nous avons aussi utilisC du p carotkne cristallisC.* Les carotknoides n’ont CtC conservCs que pendant des temps courts, sec, sous vide et 2 basse tempCra- ture. Les critkres de puretC utilisCs sont ceux de Davies[ 101.

(2) Prkparation des solutions Les solvants organiques utilisks (sulfure de carbone CS2, hexane) sont de qualit6

spectroscopique (Matheson Coleman). La cuve spectrophotomCtrique est construite de telle faGon qu’on puisse y introduire sCparCment une quantitC connue de p carotkne a 1’Ctat sec et la solution de chlorophylle dans le solvant organique. On dCgaze sous vide par une succession de congClations (dans 1’Cthanol en fusion) et de rkchauffements. On effectue dabord les mesures de spectroscopie d’kclairs sur la solution de chlorophylle seule; puis on fait passer le carotene en solution et on effectue les mesures sur le mClange chlorophylle - carotene.

Les suspensions dans la digitonine sont obtenues de la faGon suivante: on introduit dans un tube 2 essai une solution, dans de 1’Cther Cthylique dCpourvu de peroxyde, de chlorophylle A avec ou sans lutkine. Le solvant est CvaporC et on reprend les pigments par une solution B 0,5% de digitonine (cristallisCe, Merck) dans l’eau distillbe, B pH 7,3. On chauffe B 43°C en agitant. On admet que, par cette mCthode, les pigments (chloro- phylle et IutCine) sont dissous pr6fCrentiellement dans les memes micelles. La dis- solution n’est jamais totale; pour Climiner les pigments non dissous on centrifuge deux fois dix minutes a 14,OOOg. La suspension limpide et homogbne de micelles ayant inclus les pigments est introduite dans la cuve de mesure et dCgazCe.

Pour tenir compte dune Cventuelle photolyse, nous nous sommes toujours assurks que le spectre d’absorption des solutions Ctait identique avant et aprks les mesures de spectroscopie d’kclairs.

( 3 ) Technique de spectroscopie de‘clairs La solution CtudiCe est contenue dans une cuve spectrophotometrique de section

carree (10 x 10 mm) dont la face opposie a 1’Cclair excitateur est argentCe. Les mesures sont gCnCralement effectuhes a +20“c; pour les mesures effectuCes entre -50 et +20”C, sur les solutions aqueuses, celles-ci sont diluCes avec du glyckrol (50%-50%-v/v) et introduites dans un vase de Dewar transparent refroidi par un mClange alcool-glace carbonique.

Le montage de spectroscopie d’Cclairs (Fig. 1) est voisin de celui de De Vault [ l 11. L’Cclair excitateur ( A = 6943 A; 30.10-9 s; 20 MW) est fourni par un laser a rubis (C.S.F. LA 632) dCclenchC par un verre non linCaire, a la cadence d’un Cclair toutes les 100 s. On utilise cette impulsion, attknude et homogCnCisCe par un systkme verre dCpoli-lentille collectrice. On peut aussi obtenir une impulsion de lumiere violette ( A = 4350 A) suffisamment intense (100 kW) par une succession de deux effets non

*Foumi gracieusement par la Soci6te Hoffmann-Laroche, que nous tenons ?i remercier.

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Etude par spectroscopie diclairs 57

Fig. I . Diagramme du montage de spectroscopie d6clairs.

linkaires avec I’impulsion laser originelle: effet Raman stimulk sur I’acktone, puis doublement de frkquence de la raie Stokes avec un cristal de K,HPO,.

Le dispositif d’analyse est conqu pour observer de faibles variations de densitk optique (sensibilite D.O.), avec une bonne rksolution temporelle (lO-’s). La lumiere d‘analyse est fournie par une lampe quartz-iode 625 W, montke sur un mono- chromateur Bausch et Lomb 500 mm. Le faisceau est hachk par un dispositif strobo- scopique (chopper 21 deux disques) qui dClivre chaque seconde un crkneau de 3 X s; ceci permet d’eviter la saturation des rkcepteurs de lumikre. Ce faisceau d’analyse monochromatique (AA = 6 nm) traverse la cuve perpendiculairement B la lumikre excitatrice, et il est requ par un photomultiplicateur principal (Radiotechnique XP 1141). Celui-ci est protkgk par des filtres absorbants Schott qui eliminent la lumiere excitatrice diffusCe par la cuve ainsi que les luminescences. Une fraction de la lumibre d’analyse, avant traverske de la cuve, est dCviCe sur un photomultiplicateur de rkfkr- ence. Les sorties des deux photomultiplicateurs sont connectkes au tiroir diffkrentiel W de l’oscilloscope Tektronix 585.

Une petite lampe et une cellule photoklectrique, plackes sur le chopper permettent de dkclencher le laser en synchronisme avec le crkneau de lumibre d’analyse et B la cadence voulue, par l’intermkdiaire d’un klkment de comptage (tiroir d’entrke + deka- tron). La meme impulsion permet de dkclencher l’oscilloscope au moment voulu grice B sa base de temps retardke.

Les tracks de I’oscilloscope sont enregistrks avec un appareil photographique Polaroid; ils permettent de connaitre, B la longueur d’onde d’analyse utiliske, la varia- tion de la densitk optique de la suspension a la suite de I’excitation. Les photographies sont interprktkes suivant la mkthode classique dkcrite par Livingston [ 121. Compte-tenu des faibles densitks optiques (<0,2) des solutions B la longueur d’onde d’excitation ( A = 6943 A) nous avons toujours admis une rkpartition homogbne dans la cuve. Les

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tracks d’oscilloscope sont toujours affect& d’une dCrive d’origine Clectrique qui gkne peu les mesures.

RESULTATS ET INTERPRETATIONS

(A) Pigments dans des solvants organiques liquides Chlorophylle A seule. L’excitation, avec les impulsions laser rouges ou violettes, de

solutions dCgazCes de chlorophylle A (concentration 5 X M/1) dans l’hexane ou dans le CS,, permet d’observer un Ctat transitoire que est genkralement identifiC avec 1’Ctat triplet de la chlorophylle. On observe une augmentation d’absorption maximale vers 455 nm (hexane) et 470 nm (CS,), et une variation nulle (E triplet = E singlet) B 437 nm (hexane) et 454 nm (CS,). La dkcroissance se fait suivant des rCactions du premier ordre (k, = 3 X lo3 s-l) et du deuxikme ordre (k, = 1,9 X lo9 I.mole-’ s-l), valeurs dans le CS, a 20°C. La valeur assez Clevee de k, traduit la prCsence de coupeurs (quenchers) (peut-Ctre des traces d’oxygkne), mais cela affectera peu la suite des rtsul- tats. La valeur de k, est peu prCcise, du fait que le coefficient d’extinction molaire E* de la chlorophylle A triplet n’a pas CtC dCterminC avec prkcision dans le CS,. Nous avons pris: AE(S - T, 440 nm) = 7 X lo4.

Chlorophylle A $- p carotPne. L’excitation a la longueur d’onde 6943 A, absorbCe par la seule chlorphylle, de solutions degazees de chlorophylle A (5 X 10+ M/1) et de p carotkne (16,5 X M/I), dans I’hexane ou dans le CS,, permet d’observer des variations d’absorption suivant une cinCtique complexe, d’allure variable avec la lon- gueur d’onde d’analyse (Fig. 2). Dans tous les cas, la variation initiale est la mCme qu’avec la chlorophylle A seule: on a donc un peuplement identique de 1’Ctat triplet de la chlorophylle. Les rksultats dans le CS2 peuvent facilement s’interprtter par le schCma cinCtique suivant, ou Car* reprisente une forme mktastable du /3 carottne, prksentant un coefficient d’extinction supCrieur B celui de la forme stable entre 500 et 550 nm. On admet en outre que le peuplement en chlorophylle A triplet (CpA,) est maximal au temps zCro, compte-tenu du fait que 1’Cclair excitateur est trks court vis B vis des cinktiques envisagkes:

CpAT + CpA CpAT+ CpAT + 2CpA CpA,+ Car -+ CpA + Car* Car* -+ Car

k, = 3 X 103 s-I k, = 1,9 x lo9 1.mole-’ s-’ k3 = 4 X 109 Lmole-’ S-’

k, = 6,5 X 104 s-’

Nous ne nous sommes pas attach6 B obtenir une prkcision autre qu’approximative sur k, et k, et sur la longueur d’onde du maximum d’absorption de (Car*): 550 nm dans le CSn et 5 15 nm dans l’hexane. Le maximum d’absorption suit donc B peu prks le dkplacement des maximums d‘absorption du p carotkne dans ces deux solvants: 485 nm (CS,) et 45 1 nm (hexane) pour la bande principale.

p carot2ne seul. L’excitation directe avec la lumikre rouge ( A = 6943 A) ou violette (A = 4350 A) de solutions dCgazCes de p carotkne, dans l’hexane ou le CS,, ne permet de dkceler aucune variation d’absorption. Nous pouvons fixer des limites quantitatives B cette impossibilitC exp6rimentale: pas de durCe de vie (&) supkrieure B 0,4 x s et de rendement supCrieur B 1% du rendement obtenu pour l’ttat triplet de la chloro- phylle A dans l’hexane.

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A 0.0

Fig. 2. Trace du haut: augmentation d'absorption consecutive a I'excitation ( A = 6943 A) d'une solution dans le CS, de chlorophylle A (5 x M/l). Trace du bas:

ligne de base. M/1) et de fl carotbne (16,5 x

[Photo J p . 581

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nm

Fig. 7. Variation de densite optique, a trois longueurs d’onde differentes d’une suspension de micelles de digitonine con- tenant de la chlorophylle A (15 x M/1) et de la luteine (8,5 x lo-@ M/l), excitee par 1’Cclair laser. On voit la superposition d’une diminution de densite optique a cinetique rapide (Lut*) et d’une variation a cinetique lente (C+ AT) qui est negative (445 nm), nulle (450 nm) ou positive (455 nm).

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Etude par spectroscopie d’eclairs 59

( B ) Pigments i n c h dans des micelles de digitonine Pour ces experiences, le carotCnoYde utilisk a d‘abord CtC le p carothne. Mais

celui-ci se dissout mal dans les micelles de digitonine [3] et nous l’avons remplack par la lutkine qui donne qualitativement les mCmes rksultats.

Chlorophylle A seule. Le spectre d’absorption de la chlorophylle A , dans les micel- les de digitonine (Fig. 3) resemble beaucoup au spectre dans 1’Cthanol ou le mkthanol, avec en outre un Clargissement de la bande d’absorption de grande longueur d‘onde, vers 7 10 nm, que nous attribuons B des agrCgats non dissous [ 131. Par excitation d’une suspension dkgazke, on obtient un Ctat transitoire qui est supposC &re 1’Ctat triplet de la chlorophylle et qui dCcroit suivant une loi du premier ordre, avec une constante de vitesse k , < 1,2 x los s-l. Le spectre de diffkrence est report6 sur la Fig. 4. En prksence de teneurs croissantes en oxygkne, on peut noter que la variation de densit6 optique initiale ne change pas, et que la dude de vie diminue. On peut mesurer une constante de vitesse de la rhaction bimolCculaire de dksactivation: k(C~,4, , 0,) = 2,4 X lo8 1.mole-l s-l, ce qui est faible et indique probablement une viscositk microscopique importante: difficult6 d’acchs des molkcules d’oxyghne aux molkcules de chlorophylle.

Lutkine seule. La lutkine seule est ma1 dissoute dans la digitonine. Le spectre de la suspension (limpide) obtenue (Fig. 3) prksente des pies ma1 dtfinis. Par excitation, on n’obtient aucun Ctat transitoire dCcelable par notre technique.

Chlorophylle A + lutkine. Le spectre d’absorption de la suspension (Fig. 3) presente quelques differences avec le spectre rksultant de la somme des constituants sCparCs. On

D.O.

A - ChlorophylleA+ Luteine

_ _ _ ChlorophylleA

._._._ Lukine

Fig. 3. Spectres d’absorption des pigments dans des micelles de digitonine. Chlorophylle A seule (73 x 10-EM/l); lutCine seule (5,4 x 10-EM/l); chlorophylle A ( 7 3 X 10-EM/l)+lutCine

(4,s x M/l).

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60 PAUL MATHIS

* CLPAT * -0- (L” t e m )

-2J Fig. 4. Spectres de difference (variation de densite optique en fonction de la longueur d’onde). Pigments dans la digitonine: @A,: phase 1ente.attribute au systtme chlorophylle A -chloro- phylle A triplet. (Luteine)*: phase rapide obtenue avec le melange chlorophylle A - IutCine. En

ordonnee: valeurs relatives.

observe une diminution de I’Clargissement de la bande rouge de la chlorophylle, que l’on peut attribuer B une disparition des agrCgats de chlorophylle A (Tableau 1). En outre, le pic de la IutCine, B 489 nm, est beaucoup mieux dCfini. Les suspensions utili- sCes ont des concentrations en chlorophylle de I’ordre de lO+M/I et des rapports chlorophylle AllutCine variant entre 1 et 5.

Par excitation, avec I’impulsion rouge, d‘une suspension degazke, on obtient des signaux complexes (Fig. 5,6) qui peuvent Gtre dCcomposCs en deux phases du premier ordre dont l’importance relative varie avec le rapport chlorophylle/lutCine:

-phase B dCcroissance lente (k, < 4 X lo3 s-l) dont le spectre de diffkrence corres- pond au peuplement de 1’6tat triplet de la chlorophylle A.

-phase B dicroissance rapide (k2 = 7,s x lo4 s-*) dont le spectre de diffkrence prtsente une augmentation maximale vers 5 18 nm, et une diminution vers 450 nm; cette diminution n’est observable correctement qu’au point ou la variation dabsorp- tion diie B la chlorophylle A triplet est nulle (Fig. 7). D’une f q o n analogue B ce qui se passe en solution, nous attribuons qette phase rapide B un Ctat mktastable de la IutCine (Lut*), de durCe de vie t+ = 8,9 ps. Cette durCe de vie ne vane pas quand on abaisse la tempkrature de +20° B -50°C. Dans tous les cas, le rkaction qui produit I’esp&ce Lur* est trks rapide: moins de 0,5 X Nous avons mesurk, pour des concentrations constantes en chlorophylle A et des

rapports lutkinelchlorophylle A variables, le peuplement en CqA. et en Lur*. Les

s.

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Etude par spectroscopie d’tclairs 61

Tableau 1 . Variation du peuplement en C9AT et en Lur * en fonction de la composition pigmentaire de la solution pour une concentration en chlorophylle A

identique: 23 X M/1

Rapport molaire Luttine/Chlorophylle A 0 0,40 0.60 1 ,O

~ ~~ ~ ~ ~~ ~~

0,8 1,l 1.9 2,O 0 2,7 3,2 3,5

xlWt 3 3 2,3 2,O 1,7 D.0.7lOnm

Rapport D.O. 670 nm

‘rCe rapport est un indice de l’blargissement de la bande d’absorption de grande longueur d’onde de la chlorophylle.

rksultats n’ont pas une signification quantitative trks nette. 11s montrent toutefois que la lutkine favorise la conversion S + T dans la chlorophylle (Tableau 1).

En prksence de teneurs croissantes en oxyghne on trouve que la variation de den- sit6 optique initiale ne change pas et que la dude de vie de I’esp6ce Lut* diminue. La constante de vitesse de la rkaction bimolkculaire Lut* - 0, est de I’ordre de 7 X 10’ lmole-l s-l. Cette action et I’absence d‘influence de la tempkrature semblent indiquer que l’ktat mktastable de la lutkine est un Ctat triplet. Si on accepte que la transition Lur Lur * fait disparaitre totalement I’absorption de la lutkine B 450 nm, on trouve que la coefficient d’extinction molaire de Lut* B 5 18 nm est environ 5 fois plus grand que celui de la lutkine ii 450 nm; il est donc voisin de 4 X lo5, ce qui correspond B une bande d’absorption trks intense.

DISCUSSION

Nous pensons que les rksultats prksentks dkmontrent un transfert d’knergie triplet- triplet entre la chlorophylle A et des carotknoides (p carotkne, lutkine), suivant une rkaction rapide (limitke par la diffusion) en solution, suivant une rkaction encore beau- coup plus rapide dans des micelles de digitonine. Dans ce dernier cas la rapiditk de la rkaction exclut une diffusion des molkcules et semble incompatible avec une distribu- tion au hasard des molkcules: sinon la longue durke de vie de la chlorophylle A T permettrait un transfert pendant un temps trks long, pour des positions spatiales des molCcules considirkes peu favorables au transfert. Nous devons admettre un arrange- ment spatial des molkcules de chlorophylle A et de lutkine tel que le transfert se fasse instantankment ou pas du tout. Nos rksultats, en accord avec ceux de Teale et Weber [2,3], obtenus par d’autres techniques, peuvent s’interprkter en supposant qu’h I’intCrieur des micelles de digitonine la chlorophylle A est distribuke sous forme:

-dagrkgats au sein desquels la conversion B I’ktat triplet serait trks faible car en compktition avec un processus de dksexcitation beaucoup plus rapide. Bowers et Porter[ 141 ont Cmis cette hypothkse pour les dimkres de chlorophylle en solution dans des hydrocarbures dbshydratks.

-de monomkres solvatks[ 14, 151 pour lesquels la conversion B 1’Ctat triplet serait i mportante .

-dassociations trks faibles chlorophylle A -lutkine, au sein desquelles on aurait un transfert rapide CqAT + Lutp

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L’association chlorophylle A -1utCine dans la digitonine nous semble &re un modkle intkressant pour 1’Ctude du transfert triplet-triplet, et constituer un moyen d’ktude prCviligiC des Ctats excitks des carot6noTdes. Le fait que, pour ces derniers, on ne puisse voir aucun Ctat excitC par excitation directe (fluorescence quasiment nulle [ 161, con- version B l’ktat triplet non mesurable) semble indiquer un mtcanisme de conversion interne tres rapide, contrairement aux hypotheses de Chessin et toll.[ 11. Une explica- tion possible serait like au phCnombne de photoisomCrisation des polybnes, pour laquelle on suppose l’existence d u n Ctat mktastable de tres courte dude de vie, d’Cnergie infkrieure au premier &at singlet excitC[ 171. La conversion interne se ferait par I’inter- mkdiaire de cet Ctat mktastable.

Certains auteurs ont toutefois obtenu [ 18, 191, B partir de rksultats de photocon- ductivitk, des indications sur un Ctat triplet du p carotene obtenu, avec un tres faible rendement, par excitation directe. Chapman et toll.[ 191 postulent l’existence d’une transition singlet-triplet, dans le p carotene, B 750 nm. Les travaux de Fernandez et Becker [20] avaient mis en Cvidence une phosphorescence des molCcules de chloro- phylle A B 755 nm; la proximitk des niveaux triplets de la chlorophylle A et du carotene pourrait expliquer le transfert trbs efficace que nous observons.

Les rksultats prCsentCs sont en accord avec nos observations ‘in vivo’[6,7]. 11s nous autorisent B attribuer aux carotCnoides au moins une part des variations de densite optique vers 5 15 nm, observCes dans des structures photosynthCtiques B la suite d’un kclairement. Hildreth et coll.[2 13 Ctaient parvenus aux mCmes conclusions B partir dc leurs observations sur des mutants de Chlamydomonas. Le transfert d‘Cnergie de la chlorophylle A triplet aux carotCnoides devrait permettre de mieux comprendre le mCcanisme par lequel ceux-ci protegent la chlorophylle contre les photooxydations ‘in vivo’[22], et peut-Ctre aussi de leur attribuer un r61e plus spCcifique dans le mCca- nisme de la photosynthese. Le transfert tres rapide permet aussi d’expliquer l’impos- sibilitC d’observer les Ctats triplets de la chlorophylle ‘in vivo’, sans exclure un r6le spkcifique de ces derniers [23].

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Page 13: ETUDE PAR SPECTROSCOPIE D'ECLAIRS DU TRANSFERT D'ENERGIE CHLOROPHYLLE-CAROTENOIDE

Etude par spectroscopie d'tclairs

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