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© Masson, Paris. NOTE DE Ann. Fr. Anesth. Reanim., 2: 109-111, 1983. TECHNIQUE Etude quantitative de la douleur en clinique humaine. Validite d'un appareillage simple Use of a simple machine to study pain quantitatively in man J.M. JULIA, A. ROCHE-I-rE, Y. JULLIEN, D. CUCHET, J.J. ELEDJAM Dopartement d'Anesthesie-Reanimation A, H6pital Saint-Eloi, F 34059 Montpellier Cedex RCSUMIf: : Un g6n6rateur d61ivrant des stimuli douloureux, sous forme d'impulsions 61ectriques rectangulaires durant 2 ms intervalles de 20 ms, a permis d'6tudier quantitativement la douleur et la reproductibilit6 des mesures chez 24 sujets volon- taires sains. Chaque mesure a comport6 la d6termination des seuils de d6tection, de douleur et de tol6rance. Les r6sultats ont montr6 la grande stabilit6 des seuils mesur6s et la reproductibilit6 des mesures. Les variations individuelles ont 6t6 importantes. ABSTRACT : A generator producing painful stimuli every 20 ms by way of 2 ms square wave electrical impulses was used to study pain quantitatively, and the reliability of the measurements carried out on 24 healthy volunteers. The parameters measured were the levels of detection, pain and tolerance_ The results showed that these levels were both stable and reproducible. However, there were very important individual differences. L'6tude quantitative de la douleur et de ses modifica- tions chez l'homme pr6sente le plus haut int6r6t en anesth6sie, en neurophysiologie, en pharmacologie ou en psychiatrie. Elle reste le plus souvent r6serv6e aux laboratoires sp6cialisds, du fait des difficult6s m6thodo- logiques [3, 7]. Afin de d61ivrer un stimulus douloureux pr6cis6ment quantifiable, modulable et reproductible, un g6n6rateur d'impulsions 61ectriques facilement utilisable en investigation humaine a 6t6 r6alis6. Ce travail d6crit l'appareil, le protocole d'utilisation et 6value la repro- ductibilit6 des mesures effectu6es. MATERIEL ET M~THODE Le stimulateur (Gdn6rateur d'impulsions 61ectriques) d61ivre, intervalles de 20 ms, des impulsions rectangulaires d'une dur6e de 2 ms. Un asservissement 61ectronique perrnet de r6gler l'intensit6 ddlivr6e de 0 h 90 mA au moyen d'un potentiom~tre a 10 tours, ind6pendamment de la r6sistance du circuit. Un affichage digital d'une r6solution de 0,1 mA m6morise, lors de l'interruption du circuit, la valeur de cr~te de la demi~re impulsion d61ivr6e. Une commande permet au sujet d'interrompre la manipulation ~ tout moment. L'appareil est 6quip6 de batteries rechargeables sur le secteur, qui fournissent une autonomie d'utilisation de plus de 24 h. Le courant ainsi calibr6 est transmis au sujet soit par deux 61ectrodes m6talliques immerg6es en milieu liquide (NaCI en Re~u le 24 d6cembre 1982; accept6 sous forme r6vis6e le 9 mars 1983.- solution aqueuse h 9 %o), soit par des 61ectrodes adh6sives de surveillance 61ectrocardiographique. Par s6curit6, l'appareil ne peut pas ~tre connect6 h la fois au malade et au secteur. Le stimulateur a 6t6 exp6riment6 chez 24 femmes volontaires, indemnes de toute pathologie, apr~s obtention de leur consente- ment dans les conditions d6finies par la Convention d'Helsinki. Les volontaires ont 6t6 inform6es de l'innocuit6 de l'exp6rimen- tation : tr6s faible intensit6 du courant d61ivr6, possibilit6 d'arr~ter la manipulation par action sur la commande, importance de leur coop6ration. Le sujet place deux doigts de la main dominante, exempts de 16sions cutan6es, dans les deux 61ectrodes liquides (fig. 1); l'autre main dent la commande. L'intensit6 du courant d~livr6 est augment6e r6guli~rement d'environ 0,1 mA.s J. L'6cran de l'appareil, tourn6 vers l'exp6rimentateur, n'est pas vu par le sujet. Chaque mesure comporte la d6termination de trois seuils dont les valeurs ne sont pas communiqu6es au sujet : le seuil de ddtection (intensit6 pour laquelle est ressenti un discret ~ fourmillement ~>), le seuil de douleur (intensit6 pour laquelle la sensation per~ue devient ~ d6sagr6able >>), le seuil de tolerance (intensit6 qualifi6e d'insupportable) ota le sujet interrompt l'exp6- rience par action sur la commande ou par retrait des doigts. La reproductibilit6 de ces mesures dans le temps est 6valuge par deux mesures 7t 24 h d'intervalle (J0 et Jlt0). L'influence d'une stimulation pr6alable est explor6e par une troisi~me mesure 5 min apr~s la seconde (J~ts). Pour un m~me sujet, toutes les rnesures sont effectu6es par le m~me exp6rimentateur. Le traitement statistique des r6sultats comporte le calcul des droites de r6gression par la technique des moindres carr6s. La signification statistique est 6valu6e au moyen du coefficient de corr61ation. Tir6s a part: J.M. Julia. ANN. FR. ANESTH. P~ANIM., 2, 1983. 13

Etude quantitative de la douleur en clinique humaine. Validité d'un appareillage simple

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© Masson, Paris. N O T E D E Ann. Fr. Anesth. Reanim., 2: 109-111, 1983. TECHNIQUE

Etude quantitative de la douleur en clinique humaine. Validite d'un appareillage simple

Use of a simple machine to study pain quantitatively in man

J.M. JULIA, A. ROCHE-I-rE, Y. JULLIEN, D. CUCHET, J.J. ELEDJAM

Dopartement d'Anesthesie-Reanimation A, H6pital Saint-Eloi, F 34059 Montpellier Cedex

RCSUMIf: : Un g6n6rateur d61ivrant des stimuli douloureux, sous forme d'impulsions 61ectriques rectangulaires durant 2 ms intervalles de 20 ms, a permis d'6tudier quantitativement la douleur et la reproductibilit6 des mesures chez 24 sujets volon- taires sains. Chaque mesure a comport6 la d6termination des seuils de d6tection, de douleur et de tol6rance. Les r6sultats ont montr6 la grande stabilit6 des seuils mesur6s et la reproductibilit6 des mesures. Les variations individuelles ont 6t6 importantes.

ABSTRACT : A generator producing painful stimuli every 20 ms by way of 2 ms square wave electrical impulses was used to study pain quantitatively, and the reliability of the measurements carried out on 24 healthy volunteers. The parameters measured were the levels of detection, pain and tolerance_ The results showed that these levels were both stable and reproducible. However, there were very important individual differences.

L ' 6 t u d e quan t i t a t ive de la dou leu r et de ses mod i f i ca - t ions chez l ' h o m m e pr6sente le plus hau t int6r6t en anes th6s ie , en neu rophys io log i e , en p h a r m a c o l o g i e ou en psychia t r ie . Elle reste le plus s ouven t r6serv6e aux labora to i res sp6cial isds, du fait des diff icul t6s m 6 t h o d o - logiques [3, 7]. Af in de d61ivrer un s t imulus d o u l o u r e u x p r6c i s6men t quan t i f i ab le , m o d u l a b l e et r ep roduc t ib l e , un g6n6ra teur d ' i m p u l s i o n s 61ectriques f ac i l emen t u t i l i sab le en inves t iga t ion h u m a i n e a 6t6 r6alis6. Ce t ravai l d6cri t l ' appa re i l , le p ro toco le d ' u t i l i s a t i on et 6va lue la repro- duct ib i l i t6 des mesures ef fec tu6es .

MATERIEL ET M~THODE

Le stimulateur (Gdn6rateur d'impulsions 61ectriques) d61ivre, intervalles de 20 ms, des impulsions rectangulaires d'une dur6e de 2 ms. Un asservissement 61ectronique perrnet de r6gler l'intensit6 ddlivr6e de 0 h 90 mA au moyen d'un potentiom~tre a 10 tours, ind6pendamment de la r6sistance du circuit. Un affichage digital d'une r6solution de 0,1 mA m6morise, lors de l'interruption du circuit, la valeur de cr~te de la demi~re impulsion d61ivr6e. Une commande permet au sujet d'interrompre la manipulation ~ tout moment. L'appareil est 6quip6 de batteries rechargeables sur le secteur, qui fournissent une autonomie d'utilisation de plus de 24 h. Le courant ainsi calibr6 est transmis au sujet soit par deux 61ectrodes m6talliques immerg6es en milieu liquide (NaCI en

Re~u le 24 d6cembre 1982; accept6 sous forme r6vis6e le 9 mars 1983.-

solution aqueuse h 9 %o), soit par des 61ectrodes adh6sives de surveillance 61ectrocardiographique. Par s6curit6, l'appareil ne peut pas ~tre connect6 h la fois au malade et au secteur.

Le stimulateur a 6t6 exp6riment6 chez 24 femmes volontaires, indemnes de toute pathologie, apr~s obtention de leur consente- ment dans les conditions d6finies par la Convention d'Helsinki. Les volontaires ont 6t6 inform6es de l'innocuit6 de l'exp6rimen- tation : tr6s faible intensit6 du courant d61ivr6, possibilit6 d'arr~ter la manipulation par action sur la commande, importance de leur coop6ration. Le sujet place deux doigts de la main dominante, exempts de 16sions cutan6es, dans les deux 61ectrodes liquides (fig. 1); l'autre main dent la commande. L'intensit6 du courant d~livr6 est augment6e r6guli~rement d'environ 0,1 m A . s J. L'6cran de l'appareil, tourn6 vers l'exp6rimentateur, n'est pas vu par le sujet. Chaque mesure comporte la d6termination de trois seuils dont les valeurs ne sont pas communiqu6es au sujet : le seuil de ddtection (intensit6 pour laquelle est ressenti un discret ~ fourmillement ~>), le seuil de douleur (intensit6 pour laquelle la sensation per~ue devient ~ d6sagr6able >>), le seuil de tolerance (intensit6 qualifi6e d'insupportable) ota le sujet interrompt l'exp6- rience par action sur la commande ou par retrait des doigts.

La reproductibilit6 de ces mesures dans le temps est 6valuge par deux mesures 7t 24 h d'intervalle (J0 et Jlt0). L'influence d'une stimulation pr6alable est explor6e par une troisi~me mesure 5 min apr~s la seconde (J~ts). Pour un m~me sujet, toutes les rnesures sont effectu6es par le m~me exp6rimentateur. Le traitement statistique des r6sultats comporte le calcul des droites de r6gression par la technique des moindres carr6s. La signification statistique est 6valu6e au moyen du coefficient de corr61ation.

Tir6s a part: J.M. Julia.

ANN. FR. ANESTH. P~ANIM., 2, 1983. 13

110 JM. JULIA ET COLL.

Fig. 1. - - Fonctionnement du stimulateur. Le courant calibr6 est transmis au sujet par l'interm6diaire d'61ectrodes immerg6es dans le liquide. L'intensit6 n'est lisible que par l'exp6rimentateur. Le sujet interrompt l'exp6rience h l'aide de l'interrupteur.

mA

1

Q,5

0

1,5

1

0,5

O

D E T E C T I O N y= 0,71x+ 0,15 r=0,75 p~0,001

0,5 1 m A /..-./... 0,'5 "1 115 rn A

/ , "

' i ' 2 m A

D O U L E U R y= l ,09x + 0.01 r = 0,95 p (0.001

T O L E R A N C E y-- 1,12 x+ 0,18 r=0.97 p(O.O01

Fig. 2. - - Comparaison des seuils h 24 h d'intervalle (J0 et Jit0).

RESULTATS

Les figures 2 et 3 pr6sentent, pour les trois seuils 6tudi6s, les couples de valeurs correspondant respecti- vement aux comparaisons de Jo avec Jlto et de Jlto avec Jlts. Entre Jo et Jits, des corr61ations hautement significatives ont 6t6 retrouv6es pour le seuil de d6tection (y = 0,8 x + 0,12; r = 0,77; p < 0 , 0 0 1 ) , pour le seuil de douleur (y = 1,19 x + 0 ,06; r = 0,94; p < 0 , 0 0 1 ) et pour le seuil de tol6rance (y = 1,2 x + 0 ,17; r = 0,97; p <0 ,001 ) .

Aucun effet secondaire ind6sirable local ou g6n6ral n ' a 6t6 observ6. Aucune r6serve n ' a 6t6 6mise par les sujets au cours de l 'exp6rimentat ion.

DISCUSSION

<< La mesure de la douleur chez l ' h o m m e est plus ?ace jour un but de recherche q u ' u n e r6alit6 ~ [5]. L 'u t i l i sa - tion de mod61es animaux s 'adresse a des sujets phylog6-

m A

1

0 ,5

1,5

1

0,5

0

/ / D E T E C T I O N y =0,95 x+O.04

r=0.86 p( 0,001

0,5 1 m A

015 "1 115 mA

015 "1 115 :2 mA

D O U L E U R y= 0 ,99 x÷ 0,09 r-- O, 98 p~O,O01

T O L E R A N C E y= 1,07x + 0,005 r=0,98 p~O, O01

Fig. 3. - - Comparaison des seuils a 5 min d'intervalle (Jlto et Jlts).

ETUDE QUANTITATIVE DE LA DOULEUR 111

n6tiquement tras 61oign6s de l 'homme et analyse le plus souvent une r6ponse motrice, donc indirecte. Leg 6tudes cliniques effectu6es chez l 'homme s 'adressent ~t des douleurs pr6existantes, 6valu6es de faqon semi-quanti- tative, et concernent surtout l 'analg6sie [7]. L '6tude de la douleur exp6rimentale chez l 'homme, outre les probl6mes 6thiques, rencontre notamment les difficult6s de quantification du stimulus et d ' interpr6tation de la r6ponse, dont la composante psychique est un 616ment non-quantifiable [1, 2, 6, 7]. Parmi les divers stimuli utilis6s en exp6rimentation humaine, les stimuli 61ectri- que et thermique pr6sentent la meilieure corr61ation entre l ' intensit6 du stimulus et l ' intensit6 de la douleur rapport6e par le sujet [7]. De plus, lors de l 'appl icat ion d 'un stimulus 61ectrique cutan6, l 'appari t ion d 'un critbre o b j e c t i f - le rdflexe n o c i c e p t i f - coincide avec la manifestation de la douleur [9]. Sans pr6juger des m6canismes neurophysiologiques impliqu6s dans la gen6se de l 'expression douloureuse, il est donc 16gitime d 'ut i l iser comme mesure d 'un stimulus nocicept if l ' intensit6 61ectrique rapportde comme douloureuse par le sujet_ Peu de mod6les propos6s pr6sentent les caract6ristiques souhaitables de maniabilit6 et de repro- ductibilit6 [3]. La m6thode d6crite ici, inspir6e des travaux de VON KNORRING et ESPVALL [4], utilise un stimulus inoffensif, pr6cis et reproductible, d61ivr6 par un appareil lage mobile et d 'uti l isation ais6e.

Les r6sultats obtenus montrent que, pour une popula- tion donn6e, la stabilit6 des seuils mesur6s est remar- quable. Les variations individuelles sont importantes (de 0,3 ~ 0,9 mA pour le seuil de tol6rance). Ceci n 'es t pas surprenant, car le protocole int6gre la dimension psycho- affective de la sensation douloureuse chez des sujets non entrain6s [1, 2, 6]. Cette technique n ' a done pas de valeur individuel le . I1 reste que, globalement, on mesure la m6me grandeur chez tous les sujets et que, pour l 'ensemble de la population, la corr61ation entre les diff6rents temps de mesure est excellente_ L 'homog6- n6it6 des mesures ~ 24 h d ' interval le atteste leur reproductibilit6. L 'analg6sie induite par le stress, comme par la focalisation de l 'at tention, a 6t6 d6crite chez l ' homme [6, 10]; le protocole utilis6 n ' indui t pas un tel effet. Alors que le stimulus thermique entra~ne des

16sions tissulaires responsables d 'hypoesthdsie, puis d 'hyperesth6sie, lors de stimulations ult6rieures [8], le stimulus 61ectrique utilis6 ne provoque pas ce ph6- nom~ne. Toutefois, cette m6thode analyse une douleur cutan6e aigu6 (nociception superficielle ou mixte) et les r6sultats obtenus ne sont pas n6cessairement transpo- sables aux douleurs profondes et/ou chroniques fr6quem- ment rencontr6es en clinique.

CONCLUSION

Ce travail d6crit et 6value une technique permettant la mesure des variations des seuils douloureux au cours de diverses situations physiologiques ou physiopatholo- giques, ou lors de l 'ut i l isation de divers m6dicaments. L 'applicat ion ~ l '6tude d' interf6rences m6dicamenteuses avec les analg6siques centraux est actuellement en COUFS.

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