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Dossier Etudes et mixité sociale. Vu du Brésil. Les Noirs brésiliens ont un meilleur accès aux études supérieures. Une vingtaine d'universités dans le pays ont adopté un système de quotas. Sao Francisco Do Sul, correspondance particulière. CARPENTIER Steve Paru le: jeudi 01/06/2006 Peu ou prou, un Brésilien sur deux a des origines africaines, soit 76 millions de personnes. Mais près de cent vingt ans après l'abolition de l'esclavage, l'égalité entre Blancs et Noirs est inexistante dans une société qui se targue pourtant d'être multiraciale. Tous les indicateurs socio-économiques ayant trait au revenu, à l'emploi, à la santé ou à la pauvreté s'affichent largement en défaveur de la population « non blanche ». Le secteur de l'éducation n'est pas épargné par cette absence criante de démocratie raciale. Le Brésil détient en Amérique latine un des plus faibles taux d'accès à l'enseignement universitaire - à peine 9 % des jeunes âgés de 18 à 24 ans poursuivent des études supérieures, contre 27 % au Chili et 39 % en Argentine. Et il y a bien peu de Noirs ou de métis à faire partie de ces privilégiés : ils sont sous-représentés dans les universités fédérales et privées, où ils comptent pour à peine 26 % des étudiants. À l'université fédérale de Sao Paulo, 9,6 % des étudiants sont des afro-descendants, alors qu'ils comptent pour plus de 34 % de la population de l'État de Sao Paulo. À l'université de Brasilia, 32 % des étudiants sont noirs ou métis, alors qu'ils représentent 52 % de la population de l'État. Aussi, depuis quelques années, la discrimination positive est-elle utilisée de manière à réduire l'exclusion de la population « non blanche » de l'enseignement supérieur, grâce notamment à des bourses d'études pour préparer aux concours de la fonction publique, à des cours de préparation au vestibular (l'équivalent du baccalauréat), ou encore à des quotas raciaux pour l'entrée dans le service public et l'enseignement supérieur. Un projet de loi actuellement en discussion au Parlement devrait permettre de réserver 50 % des places dans les universités fédérales et celles des États aux jeunes ayant accompli leurs études dans le secteur scolaire public. À l'intérieur même de ce pourcentage, un quota est prévu pour les Noirs et les personnes de couleur. Une vingtaine d'universités brésiliennes ont d'ores et déjà adopté un système de quotas raciaux. Dès 2001, l'université fédérale de Rio de Janeiro a ouvert la voie en dédiant 40 % des places aux Noirs et aux autres minorités ethniques. Des mesures qui, pour l'ensemble du pays, ont immédiatement porté leurs fruits puisque, sur la période 2000-2003, la population d'étudiants blancs est en baisse de 7 % sur les campus brésiliens au profit des Noirs et métis (respectivement + 1,4 % et + 7 %). Les chiffres concernant les jeunes d'origine indigène ou asiatique demeurent pour leur part inchangés. De son côté, le gouvernement du président Luiz Inacio Lula da Silva a lancé en 2004 le programme ProUni, abréviation de « programme université pour tous ». Cet outil fédéral offre la possibilité aux jeunes gens issus des milieux défavorisés d'accéder à l'enseignement supérieur grâce à des bourses d'un montant pouvant aller jusqu'à 300 reals (100 Euro) par mois. En 2005, plus de 110 000 étudiants ont pu bénéficier de ce dispositif d'aide financière, dont 50 000 Noirs. Cependant, la nécessité de promouvoir l'accès aux études supérieures via l'outil de

Etudes et mixité sociale. Vu du Brésil. Article paru le 01/06/2006

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Les Noirs brésiliens ont un meilleur accès aux études supérieures. Une vingtaine d'universités dans le pays ont adopté un système de quotas.

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DossierEtudes et mixité sociale. Vu du Brésil. Les Noirs brésiliens ont un meilleur accès aux étudessupérieures. Une vingtaine d'universités dans le pays ont adopté un système de quotas. SaoFrancisco Do Sul, correspondance particulière.

CARPENTIER Steve

Paru le: jeudi 01/06/2006

Peu ou prou, un Brésilien sur deux a des origines africaines, soit 76 millions depersonnes. Mais près de cent vingt ans après l'abolition de l'esclavage, l'égalité entreBlancs et Noirs est inexistante dans une société qui se targue pourtant d'êtremultiraciale. Tous les indicateurs socio-économiques ayant trait au revenu, àl'emploi, à la santé ou à la pauvreté s'affichent largement en défaveur de lapopulation « non blanche ».

Le secteur de l'éducation n'est pas épargné par cette absence criante de démocratieraciale. Le Brésil détient en Amérique latine un des plus faibles taux d'accès àl'enseignement universitaire - à peine 9 % des jeunes âgés de 18 à 24 anspoursuivent des études supérieures, contre 27 % au Chili et 39 % en Argentine. Et ily a bien peu de Noirs ou de métis à faire partie de ces privilégiés : ils sontsous-représentés dans les universités fédérales et privées, où ils comptent pour àpeine 26 % des étudiants.

À l'université fédérale de Sao Paulo, 9,6 % des étudiants sont des afro-descendants,alors qu'ils comptent pour plus de 34 % de la population de l'État de Sao Paulo. Àl'université de Brasilia, 32 % des étudiants sont noirs ou métis, alors qu'ilsreprésentent 52 % de la population de l'État.

Aussi, depuis quelques années, la discrimination positive est-elle utilisée de manièreà réduire l'exclusion de la population « non blanche » de l'enseignement supérieur,grâce notamment à des bourses d'études pour préparer aux concours de la fonctionpublique, à des cours de préparation au vestibular (l'équivalent du baccalauréat), ouencore à des quotas raciaux pour l'entrée dans le service public et l'enseignementsupérieur.

Un projet de loi actuellement en discussion au Parlement devrait permettre deréserver 50 % des places dans les universités fédérales et celles des États auxjeunes ayant accompli leurs études dans le secteur scolaire public. À l'intérieurmême de ce pourcentage, un quota est prévu pour les Noirs et les personnes decouleur.

Une vingtaine d'universités brésiliennes ont d'ores et déjà adopté un système dequotas raciaux. Dès 2001, l'université fédérale de Rio de Janeiro a ouvert la voie endédiant 40 % des places aux Noirs et aux autres minorités ethniques. Des mesuresqui, pour l'ensemble du pays, ont immédiatement porté leurs fruits puisque, sur lapériode 2000-2003, la population d'étudiants blancs est en baisse de 7 % sur lescampus brésiliens au profit des Noirs et métis (respectivement + 1,4 % et + 7 %). Leschiffres concernant les jeunes d'origine indigène ou asiatique demeurent pour leurpart inchangés.

De son côté, le gouvernement du président Luiz Inacio Lula da Silva a lancé en 2004le programme ProUni, abréviation de « programme université pour tous ». Cet outilfédéral offre la possibilité aux jeunes gens issus des milieux défavorisés d'accéder àl'enseignement supérieur grâce à des bourses d'un montant pouvant aller jusqu'à300 reals (100 Euro) par mois. En 2005, plus de 110 000 étudiants ont pu bénéficierde ce dispositif d'aide financière, dont 50 000 Noirs.

Cependant, la nécessité de promouvoir l'accès aux études supérieures via l'outil de

la discrimination positive fait débat, comme en témoigne le retard pris dans le votepar le Parlement de la loi sur les quotas raciaux.

Dans la classe politique, certains députés qui contestent l'existence même d'uneségrégation raciale au coeur de la société brésilienne jugent que l'accès à l'universitén'est pas tant un problème de race que de classe sociale et de distribution desrevenus, 63 % des 53 millions de pauvres au Brésil appartenant à la communauténoire. Ce serait donc, selon eux, aux pauvres qu'il faudrait s'adresser, non auxcatégories raciales.

Une partie de l'intelligentsia argue pour sa part que la discrimination positive va àl'encontre du principe même de méritocratie et d'universalisme, lequel vise au mêmetraitement pour tous. Les opposants aux quotas considèrent dès lors que la bonnequalité de l'enseignement supérieur brésilien va pâtir de cette politique de quotas,avec in fine une dévalorisation des diplômes délivrés. Les critiques vont finalementtoutes dans le même sens : les quotas raciaux dans les universités doivent servir àatténuer le caractère discriminatoire de la société brésilienne et non à corriger lesdéficiences du système éducatif.

Steve CARPENTIER

Une politique née dans les années 1960

Les politiques de discrimination positive sont nées d'expériences pionnièresdéveloppées dans les années 1960 aux États-Unis, dans le cadre de ce que l'on aappelé à l'époque « la guerre contre la pauvreté », conduite par l'administration duprésident Johnson. La discrimination positive visait alors non seulement desdescendants d'esclaves, mais aussi tous les citoyens souffrant de discrimination dufait de leur sexe ou de leur origine ethnique. La mesure s'est ensuite étendue auRoyaume-Uni, à la suite du rapport Plowden.

À partir de ces premières expériences, les politiques de discrimination positive sesont développées un peu partout dans le monde. Elles ont notamment influencé laFrance, pour sa politique des ZEP au début des années 1980. Un certain nombre depays se sont eux-mêmes inspirés de la politique française. C'est le cas notammentdu Portugal, depuis 1996, mais aussi de la Tunisie.