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OBJECTIFS La Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) a observé une nette progression du nombre de cas de fécondation in vitro avec micromanipulation (ICSI) ces dernières années. Elle a saisi la Haute Autorité de santé (HAS), afin d'évaluer la pertinence de cette progression et les conséquences de ce geste technique sur la descendance obtenue, du fait du caractère invasif de la technique et de la levée de la sélection physiologique d'un spermatozoïde fécondant. Les objectifs de ce travail ont été d'évaluer : - les indications de l'ICSI ; - l'efficacité et le rapport coût-efficacité de l'ICSI ; - les risques de l'ICSI pour la descendance. METHODE L'évaluation technologique est basée sur une analyse critique de la littérature et sur l'avis d'experts de groupes de travail et de lecture. L'évaluation des indications, de l'efficacité, du coût et des risques de l'ICSI a été réalisée à partir d'une recherche de la littérature essentiellement de langue française et anglaise de 1995 à 2006. Chaque article a été analysé selon les principes de la lecture critique de la littérature de l'Anaes, et a été affecté en fonction de la métho- de utilisée par les auteurs, d'un niveau de preuve scientifique quali- tatif (haut, intermédiaire, faible). Les critères retenus de jugement d'efficacité de l'ICSI concernaient toutes les étapes de la fécondation jusqu'à la naissance. En termes de risques, l'ICSI a été comparée à la fécondation in vitro conven- tionnelle (FIV) et aux grossesses naturelles. Les critères de juge- ment de risque étaient les fréquences relatives de mortalité, de gros- sesses multiples, de prématurité, d'hypotrophie, de malformations congénitales majeures, d'anomalies du développement psychomo- teur, d'anomalies chromosomiques, épigénétiques et oncologiques, et d'hospitalisation en Unité de soins intensifs (USI). Le rapport a été ensuite revu et discuté par un groupe de travail mul- tidisciplinaire constitué de 18 experts, et confronté à l'avis d'un grou- pe de lecture de 16 experts. La composition de ces deux groupes avait été proposée par les sociétés savantes des spécialités sollicitées (andrologie, biologie de la reproduction, économie de la santé, géné- tique, gynécologie, pédiatrie, radiologie, urologie et virologie) et com- plétée, selon les besoins spécifiques du sujet, par des experts en épi- démiologie, éthique, risque génétique et risque viral. Aucun membre des groupes de travail et de lecture n'a rapporté de conflit d'intérêt. EVALUATION Littérature analysée Au total, 1 405 études ont été identifiées et 457 ont été analysées. Parmi ces dernières, 192 études concernaient l'efficacité et le rap- port coût-efficacité par indication, ainsi que les risques de l'ICSI (1 rapport d'évaluation technologique, 32 rapports institutionnels ou de registre, 6 recommandations, 6 méta-analyses, 11 revues systé- matiques, 49 études comparatives, 65 études non comparatives et 22 études épidémiologiques) (Tableau I). Au total, comme rapporté dans le tableau ci-dessus, 74% de la lit- térature analysée était de faible niveau de preuve. Soixante-trois pour-cent de la littérature concernait l'efficacité, et 37 % les risques de l'ICSI, avec respectivement 79,3% et 64,8% de littérature de faible niveau de preuve. L'analyse de la littérature a été difficile en raison, entre autres, de l'hétérogénéité des critères de jugement, de variations dans les défi- nitions, de durées différentes de suivi et de biais méthodologiques des études comparatives (méthodologie non renseignée, absence ou mauvaise randomisation, comparateur différent d'une étude à l'au- tre, puissance statistique insuffisante généralement à cause d'un fai- ble effectif, absence de critère principal, analyse en sous-groupe, comparaison de taux exprimés avec un dénominateur différent, etc.). Les critères d'efficacité les plus pertinents (taux cumulés et taux de naissances) ont rarement été rapportés. Données épidémiologiques et d'activité La prévalence de l'infertilité a été estimée en France en 1989 à 14,1%, et en Europe à 14%. Selon une étude française, dans 20% des cas l'infertilité est masculine, dans 34% des cas féminine, dans 39% des cas mixte, et dans 8% des cas indéterminée. L'ICSI est classiquement réalisée en cas d'infertilité masculine. Les infertilités masculines sont principalement idiopathiques, associées à une vari- RECOMMANDATIONS Progrès en Urologie (2007), 17, 1313-1318 Evaluation de la fécondation in vitro avec micromanipulation (intracytoplasmic sperm injection [ICSI]) Indications, coût-efficacité et risques pour la descendance Mots clés : infertilité, FIV, ICSI, recommandations. 1313

Evaluation de la fécondation in vitro avec ... · recueil de sperme, etc.), en cas de persistance d'une mauvaise qua-lité spermatique ne permettant pas une conception naturelle,

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OBJECTIFS

La Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés(CNAMTS) a observé une nette progression du nombre de cas defécondation in vitro avec micromanipulation (ICSI) ces dernièresannées. Elle a saisi la Haute Autorité de santé (HAS), afin d'évaluerla pertinence de cette progression et les conséquences de ce gestetechnique sur la descendance obtenue, du fait du caractère invasifde la technique et de la levée de la sélection physiologique d'unspermatozoïde fécondant.

Les objectifs de ce travail ont été d'évaluer :

- les indications de l'ICSI ;

- l'efficacité et le rapport coût-efficacité de l'ICSI ;

- les risques de l'ICSI pour la descendance.

METHODE

L'évaluation technologique est basée sur une analyse critique de lalittérature et sur l'avis d'experts de groupes de travail et de lecture.

L'évaluation des indications, de l'efficacité, du coût et des risquesde l'ICSI a été réalisée à partir d'une recherche de la littératureessentiellement de langue française et anglaise de 1995 à 2006.

Chaque article a été analysé selon les principes de la lecture critiquede la littérature de l'Anaes, et a été affecté en fonction de la métho-de utilisée par les auteurs, d'un niveau de preuve scientifique quali-tatif (haut, intermédiaire, faible).

Les critères retenus de jugement d'efficacité de l'ICSI concernaienttoutes les étapes de la fécondation jusqu'à la naissance. En termesde risques, l'ICSI a été comparée à la fécondation in vitro conven-tionnelle (FIV) et aux grossesses naturelles. Les critères de juge-ment de risque étaient les fréquences relatives de mortalité, de gros-sesses multiples, de prématurité, d'hypotrophie, de malformationscongénitales majeures, d'anomalies du développement psychomo-teur, d'anomalies chromosomiques, épigénétiques et oncologiques,et d'hospitalisation en Unité de soins intensifs (USI).

Le rapport a été ensuite revu et discuté par un groupe de travail mul-tidisciplinaire constitué de 18 experts, et confronté à l'avis d'un grou-pe de lecture de 16 experts. La composition de ces deux groupes avaitété proposée par les sociétés savantes des spécialités sollicitées

(andrologie, biologie de la reproduction, économie de la santé, géné-tique, gynécologie, pédiatrie, radiologie, urologie et virologie) et com-plétée, selon les besoins spécifiques du sujet, par des experts en épi-démiologie, éthique, risque génétique et risque viral. Aucun membredes groupes de travail et de lecture n'a rapporté de conflit d'intérêt.

EVALUATION

Littérature analysée

Au total, 1 405 études ont été identifiées et 457 ont été analysées.Parmi ces dernières, 192 études concernaient l'efficacité et le rap-port coût-efficacité par indication, ainsi que les risques de l'ICSI (1rapport d'évaluation technologique, 32 rapports institutionnels oude registre, 6 recommandations, 6 méta-analyses, 11 revues systé-matiques, 49 études comparatives, 65 études non comparatives et22 études épidémiologiques) (Tableau I).

Au total, comme rapporté dans le tableau ci-dessus, 74% de la lit-térature analysée était de faible niveau de preuve.

Soixante-trois pour-cent de la littérature concernait l'efficacité, et37 % les risques de l'ICSI, avec respectivement 79,3% et 64,8% delittérature de faible niveau de preuve.

L'analyse de la littérature a été difficile en raison, entre autres, del'hétérogénéité des critères de jugement, de variations dans les défi-nitions, de durées différentes de suivi et de biais méthodologiquesdes études comparatives (méthodologie non renseignée, absence oumauvaise randomisation, comparateur différent d'une étude à l'au-tre, puissance statistique insuffisante généralement à cause d'un fai-ble effectif, absence de critère principal, analyse en sous-groupe,comparaison de taux exprimés avec un dénominateur différent,etc.). Les critères d'efficacité les plus pertinents (taux cumulés ettaux de naissances) ont rarement été rapportés.

Données épidémiologiques et d'activité

La prévalence de l'infertilité a été estimée en France en 1989 à14,1%, et en Europe à 14%. Selon une étude française, dans 20%des cas l'infertilité est masculine, dans 34% des cas féminine, dans39% des cas mixte, et dans 8% des cas indéterminée. L'ICSI estclassiquement réalisée en cas d'infertilité masculine. Les infertilitésmasculines sont principalement idiopathiques, associées à une vari-

u RECOMMANDATIONS Progrès en Urologie (2007), 17, 1313-1318

Evaluation de la fécondation in vitro avec micromanipulation(intracytoplasmic sperm injection [ICSI])

Indications, coût-efficacité et risques pour la descendance

Mots clés : infertilité, FIV, ICSI, recommandations.

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cocèle, secondaires à une infection ou immunitaires. Les causesgénétiques sont plus rares ; la fréquence des anomalies génétiquesdans les spermatozoïdes de patients présentant des troubles de l'in-fertilité peut être voisine de celle observée dans la population mas-culine fertile (10%) ou être jusqu'à 10 fois plus élevée (avis dugroupe de travail). D'après les données épidémiologiques et l'avisdes experts des groupes de travail et de lecture, il ne paraît pas yavoir de variations importantes, en ce qui concerne les incidencesd'infertilité et de pathologies génétiques ces dernières années.

Une augmentation de l'activité de l'ICSI a été rapportée en France(par l'European Society of Human Reproduction and Embryology(ESHRE), FIVNAT, l'Agence de biomédecine et l'Assurance mal-adie), en Europe (par l'ESHRE) et aux États-Unis (par le CDC,Center for Disease Control and Prevention).

En France, l'analyse des données d'activité montre une augmenta-tion du nombre d'ICSI depuis 1998 (+ 3,3% de cycles ICSI entre1998 et 2000). Cette augmentation se ferait au détriment de la FIVconventionnelle (- 5,6% de cycles FIV). Les données de l'assuran-ce maladie de 2000 et 2001 reflètent la montée en charge de l'acti-vité et du codage des FIV et ICSI (+ 58% en montant et + 53,1% envolume pour les deux actes) (L'ICSI a été inscrite au rembourse-ment à la NABM en février 2000). Une stabilisation du montant desremboursements de l'ICSI, amorcée en 2003, a été confirmée en2004. Selon les données de l'Agence de la biomédecine de 2002 à2004, l'augmentation de la réalisation de l'ICSI se poursuit demanière moins marquée, alors que la réalisation de la FIV stagne.L'ICSI représentait 22,3% des fécondations in vitro (FIV+ ICSI) en1995, 48,5% en 2000, 53% en 2002 (données FIVNAT) et 57% en2004 (données de l'Agence de la biomédecine).

En termes d'indications, une diminution de la réalisation de l'ICSIdans les indications masculines et une augmentation dans les indi-cations non masculines entre 1997 et 2002 a été rapportée par FIV-NAT. Les données FIVNAT de 2002 rapportent une tendance à l'é-quilibre du taux de réalisation de la FIV et de l'ICSI, dans les indi-cations féminines et masculines. Une augmentation régulière etlente de l'âge des femmes en FIV et ICSI a été constatée.

La réalisation de l'ICSI en contexte de DPI (Diagnostic pré-implan-tatoire) ou en contexte viral, plus récente, ne représentait en 2004que respectivement 0,5 et 1,6% du volume d'activité totale de l'IC-SI. Selon les experts, aucune variation importante du recours àl'AMP (Assistance médicale à la procréation) en contexte viral n'aété constatée. Le volume d'activité de l'ICSI en contexte de DPIcroîtrait de 15 à 20% par an, en raison de l'augmentation du nom-bre de pathologies détectables par DPI, et de la diffusion de l'infor-mation aux couples.

Selon les membres du groupe de travail, l'augmentation de la réalisa-tion de l'ICSI ces dernières années semble résulter principalement:

- de l'extension des indications de l'ICSI ;

- du passage plus rapide à l'ICSI en cas de qualité spermatiquemodérément altérée.

Indications de l'ICSI

L'analyse des données d'activité française a montré entre 1998 et2002 une efficacité globale de l'ICSI significativement supérieure àla FIV (80,3% contre 78,4% pour la FIV) en termes de taux d'ac-couchements par grossesse (données FIVNAT exhaustives à 71%).L'estimation du taux moyen de grossesses cliniques par ponction,basée sur les données de 2002 à 2004 de l'Agence de la biomédeci-ne (données exhaustives à plus de 98%), était de 23,7% pour l'ICSIcontre 22,3% pour la FIV, différence non significative. L'estimationdu taux moyen d'accouchement par ponction était de 18,3% pourl'ICSI et de 16,8% pour la FIV, et celle du taux moyen de naissan-ces vivantes par ponction de 22,1% pour l'ICSI contre 20,4 % pourla FIV, différences non significatives.

Le taux de grossesses cliniques par ponction pour la FIV variait de24,2 à 25,1%, et pour l'ICSI de 26,1 à 26,6%, différence non signi-ficative, selon les données européennes de l'ESHRE de 1998 à2002, exhaustives à 100%.

Dans le cadre de l'infertilité, l'analyse critique des données de la lit-térature concernant l'efficacité et le rapport coût-efficacité de l'ICSIa permis de décliner des indications par degré d'altération des para-mètres spermatiques, après échec de FIV, et selon l'étiologie de l'in-fertilité. Pour chaque indication, l'efficacité a été renseignée princi-palement en taux de fécondations ou en taux de grossesses et rare-ment en taux de naissances (quel que soit le dénominateur).

Les résultats de l'évaluation de l'efficacité par indication, pour les-quels le taux de fécondations par cycle et/ou le taux de grossessespar cycle ont été renseignés, sont rapportés dans le tableau suivant.Très hétérogène d'une étude à l'autre, le taux de fécondation parcycle variait de 43% pour les absences bilatérales des conduitsdéférents à 62,5% pour les azoospermies obstructives. Le taux degrossesses par cycle variait de 21,4% pour les échecs de FIV en casd'infertilité non masculine à 49,5% pour les absences bilatérales desconduits déférents.

Sept études économiques de coût-efficacité et deux modélisationsont été identifiées dans les cas d'oligoasthénotératozoospermie(OATS) sévère (2 études de niveau de preuve intermédiaire) etmodérée (1 modélisation), de varicocèle (2 études de niveau depreuve intermédiaire) et d'azoospermie obstructive acquise post-vasectomie (3 études de niveau de preuve intermédiaire et unemodélisation).

La synthèse des données d'efficacité réalisée d'après l'analyse de lalittérature (Tableau II) et d'après l'avis des membres du groupe detravail ont permis de définir des indications de l'ICSI de premièreintention et de seconde intention.

- On parle d'indication “en première intention” lorsque l'ICSI estréalisée sans prise en charge initiale, soit qu'il n'existe pas d'alter-native, soit qu'il s'agisse d'un échec de FIV ;

- On parle d'indication “en seconde intention” lorsque l'ICSI estréalisée après une prise en charge initiale (médicale, chirurgicale,

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Tableau I. Répartition des études analysées selon le niveau de preuve.

Nombre d'études (%) Haut niveau de preuve Niveau de preuve intermédiaire Faible niveau de preuve Total

Efficacité de l'ICSI* 14 (11,6 %) 11 (9,1 %) 96 (79,3 %) 121 (63,0 %)Risques de l'ICSI 15 (21,1 %) 10 (14,1 %) 46 (64,8 %) 71 (37,0 %)Total 29 (15,1 %) 21 (10,9 %) 142 (74,0 %) 192 (100 %)

* Incluant 7 études économiques de coût-efficacité et 2 modélisations.

recueil de sperme, etc.), en cas de persistance d'une mauvaise qua-lité spermatique ne permettant pas une conception naturelle, parIAC ou par FIV.

La mention “selon avis du groupe de travail” a été utilisée ci-aprèslorsque les données de la littérature n'ont pas permis de conclure(littérature mentionnée) ou lorsque aucune donnée n'a été identifiée(littérature non mentionnée).

Indications en première intention

Selon les données de la littérature et l'avis des experts des groupesde travail et de lecture

Azoospermies et oligoasthénotératozoospermie (OAT) (18 étudesdont 13 de faible niveau de preuve) : azoospermies non obstructi-ves (ANO), azoospermies obstructives congénitales par absencebilatérale des canaux déférents (ABCD) et OAT modérée ou sévè-re.

Il existe une variabilité des pratiques par centre, quant aux critèresdiagnostiques sur lesquels se fait le choix entre FIV et ICSI dans lesinfertilités masculines. Dans ce contexte, les experts ont consen-suellement proposé que la réalisation de l'ICSI soit indiquée d'em-blée pour :

- moins de 500 000 spermatozoïdes progressifs au total après pré-paration,

- ou plus de 500 000 spermatozoïdes progressifs au total après pré-paration, en cas de morphologie et/ou de survie anormale.

Selon les membres du groupe de travail, il est recommandé d'utili-ser par ordre de préférence décroissante le sperme éjaculé, les sper-matozoïdes déférentiels, épididymaires et testiculaires. De plus, lacongélation des spermatozoïdes a été recommandée pour éviter descycles de stimulation voire une ponction ovocytaire inutiles.

Échec total de fécondation et paucifécondation (< 20%) lors decycles FIV antérieurs (18 études de faible niveau de preuve) : lerecours à l'ICSI en cas de paucifécondation est justifié en cas decause masculine, et à discuter dans les autres cas (anomalies de l'in-teraction gamétique).

Selon l'avis des experts des groupes de travail et de lecture

Anticorps anti-spermatozoïdes (4 études dont 3 revues systéma-tiques) : Selon les experts, la détection des anticorps anti-spermato-

zoïdes est réalisée en cas d'observation d'agglutinats. La prise encharge en ICSI est envisageable d'emblée si le taux d'anticorps anti-spermatozoïdes est > 80 % (notamment en fonction de leur locali-sation et de leur isotype). En-dessous de ce seuil, le choix de priseen charge en AMP, dépend des paramètres spermatiques.

Indications techniques de l'ICSI

L'ICSI est systématique pour des raisons techniques (lorsque la FIVou l'insémination avec sperme du conjoint (IAC) ne peuvent êtreréalisées pour des raisons techniques indépendantes de la fertilité)dans les cas suivants :

- disponibilité limitée des paillettes ou altération de la qualité desspermatozoïdes en cas d'autoconservation ou de contexte viral,après décongélation, avec ou sans préparation du sperme et vali-dation virologique ;

- diagnostic pré-implantatoire (DPI) ;

- en contexte viral, si charge la virale séminale VIH-1 est compriseentre 1 000 et 10 000 copies/ml ; cette indication est en cours derévision dans le cadre du projet de révision de l'arrêté du 10 mai2001.

Indications en seconde intention

Selon les données de la littérature et l'avis des experts des groupesde travail et de lecture

- Azoospermie obstructive acquise post-vasectomie (4 études cli-niques de faible niveau de preuve et 4 études économiques) : la chi-rurgie de réparation avec autoconservation a été recommandée parles experts. L'ICSI est indiquée après échec de la chirurgie, avecrespect d'un délai minimum de 6 mois, sauf facteur féminin associé.

- Hypogonadisme hypogonadotrophique (2 études de faible niveaude preuve) : selon les experts, c'est le seul cas où le traitementmédical hormonal est efficace. Après traitement, l'ICSI ne seraréalisée qu'en cas de persistance d'une mauvaise qualité du spermene permettant pas une conception naturelle, par IAC ou par FIV.

Selon l'avis des experts des groupes de travail et de lecture

- Varicocèle spermatique (1 méta-analyse, 1 revue de la littérature,2 études économiques) : Selon les experts, le traitement de la vari-cocèle (chirurgie ou embolisation) doit être réalisé en premièreintention.

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Tableau II. Évaluation de l'efficacité de l'ICSI par indication.

Indication Paramètre Moyennes (extrêmes) Nombre d'études Niveau de preuve Comparateur

Azoospermie Taux de fécondation/cycle 51,5% (39-67,8) 10/12 Faible Aucunnon obstructive Taux de grossesse/cycle 23,4% (11,3-49,1) 5/12 Faible Aucun

Azoospermie Taux de fécondation/cycle 62,8% (51,9-74,5) 7/11 Faible Aucunobstructive Taux de grossesse/cycle 32,1% (22,1-57,1) 6/11 Faible Aucun

Absence bilatérale Taux de fécondation/cycle 43% 1/2 Faible FIVdes conduits déférents Taux de grossesse/cycle 49,5% (47-52) 2/2 Faible FIV

Oligoasthéno- Taux de fécondation/cycle 58% 1/6 Faible FIVtératozoospermie modérée Taux de grossesse/cycle 32,3% (29,7-35) 2/6 Faible FIV

Échec de FIV Taux de fécondation/cycle 59,1% (52-65,6) 4/8 Faible FIV(infertilité masculine) Taux de grossesse/cycle 27,5% (26-29) 2/8 Faible FIV

Échec de FIV Taux de grossesse/cycle 21,2% (14,8-27,7) 2/2 Faible FIV(infertilité non masculine)

- Azoospermie obstructive acquise des voies séminales (5 études defaible niveau de preuve, toutes étiologies d'obstruction confon-dues) : selon les experts, un prélèvement chirurgical des sperma-tozoïdes avec autoconservation et chirurgie correctrice si possibledevrait être réalisé en première intention.

Pour ces deux indications, au moins six mois de délai sont à respec-ter avant d'envisager une AMP. Après traitement, l'ICSI ne seraréalisée qu'en cas de persistance d'une mauvaise qualité du spermene permettant pas une conception naturelle ou par IAC ou par FIV.Ce délai pourra être raccourci en cas de facteurs féminins et/oumasculins associés.

- Pathologies de l'éjaculation (1 revue basée sur 220 études de fai-ble niveau de preuve, dont 28 concernant l'ICSI) : Selon lesexperts, le traitement étiologique (lorsqu'il existe) est à réaliser enpremière intention. Tout doit être mis en œuvre pour obtenir unrecueil de sperme. En cas d'échec, le recueil chirurgical des sper-matozoïdes est réalisé. L'autoconservation des spermatozoïdes estpréconisée quelque soit le mode de recueil. L'ICSI n'est alorsréalisée qu'en cas de mauvaise qualité du sperme ou de recueilchirurgical de spermatozoïdes ne permettant pas une conceptionnaturelle, par IAC ou par FIV.

Conclusion

D'après les données d'efficacité, basées principalement sur le tauxde fécondation, et l'avis d'experts des groupes de travail et de lec-ture, l'ICSI est majoritairement indiquée en cas d'infertilité mascu-line et après échec de FIV. Les autres indications, incluant les indi-cations techniques que sont le DPI et le contexte viral, sont minori-taires.

Il n'a pas été possible de conclure quant à la pertinence de l'aug-mentation d'activité de l'ICSI de ces dernières années, en se basantsur les données épidémiologiques et les données d'activité disponi-bles. L'hypothèse de l'extension des indications et du passage plusrapide en ICSI dans les azoospermies modérées reste posée.

Risques de l'ICSI pour la descendance

L'analyse des risques est basée sur les données de la littérature etl'avis des experts des groupes de travail et de lecture. Le nombre etle niveau de preuve des études retenues sont indiqués pour chaquerésultat entre parenthèses.

Grossesses multiples

Tout comme pour les enfants conçus naturellement, le risque prin-cipal des enfants conçus par FIV ou ICSI reste la mortalité et sur-tout la morbidité associées aux grossesses multiples.

Les données de la littérature, de faible niveau de preuve, n'ont paspermis de conclure quant à une différence de risque de grossessesmultiples issues de FIV et d'ICSI.

Les naissances multiples sont associées au transfert de multiplesembryons. Les taux moyens de naissances multiples étaient 13,6fois et 13,4 fois plus élevés respectivement après FIV (41,5%) etaprès ICSI (42,2%) comparativement à la population générale(3,1%) (3 études de haut niveau de preuve et 8 études de faibleniveau de preuve).

Chez les enfants issus de grossesses multiples, les taux de prématu-rité, d'hypotrophie et de malformations congénitales majeures n'é-taient pas significativement différents après FIV et ICSI de ceuxaprès grossesses naturelles (7 études dont 3 études de haut niveaude preuve).

L'augmentation des risques de prématurité et d'hypotrophie aprèsFIV et ICSI, susceptibles d'augmenter le nombre d'hospitalisationsen unités de soins intensifs, est principalement associée à une fré-quence de grossesses multiples plus importante.

Mortalité et morbidité des grossesses uniques

Les risques de pertes fœtales et de fausses couches spontanées sontstatistiquement comparables entre FIV et ICSI. Ils sont corrélés àl'âge parental (6 études de faible niveau de preuve).

En termes de morbidité, les données actuelles de faible niveau depreuve n'ont pas permis de conclure quant à une différence derisque entre FIV et ICSI.

Comparativement aux enfants conçus naturellement, les enfants issusd'ICSI présentent une augmentation du risque de prématurité (estiméen moyenne à 9,3% contre 6,4%) et d'hypotrophie (estimé en moyen-ne à 9% contre 4,7%) (2 études de haut niveau de preuve, 2 études deniveau de preuve intermédiaire et 9 études de faible niveau de preuve).

Comparés aux enfants conçus naturellement, le taux de malforma-tions congénitales majeures était supérieur chez les enfants issus deFIV et d'ICSI (estimé respectivement en moyenne à 5,9% et 3,6%)(4 études de haut niveau de preuve et 4 études de faible niveau depreuve). Ces malformations nécessitant généralement une interven-tion chirurgicale réparatrice, le nombre d'hospitalisations (notam-ment en USI) et de traitements chirurgicaux et médicaux était plusimportant chez les enfants conçus par FIV ou ICSI.

Les études de grande cohorte avec un long suivi à 5 ans n'ont pasrapporté de différences majeures entre les enfants conçus naturelle-ment ou après ICSI quant au développement physique, cognitif etpsychologique (7 études dont 3 de haut niveau de preuve).

Risques génétiques, épigénétiques et oncologiques

L'ICSI permet de procréer à des patients infertiles ayant une fré-quence accrue d'anomalies chromosomiques (estimée en moyenneà 5,5% contre 0,37% au sein d'une population de donneurs desperme fertiles et phénotypiquement normaux) (6 études). Cecipeut expliquer la fréquence accrue d'anomalies chromosomiquestransmises, observées chez les enfants issus d'ICSI (en moyenne3% contre 0,37% dans la population générale ; 5 études).

Compte tenu de la haute probabilité de transmission de mutationhétérozygote dans le gène codant le CFTR (responsable de la muco-viscidose), les parents porteurs d'une telle mutation ont la possibi-lité d'être pris en charge en consultation de génétique (avis d'expertsdes groupes de travail et de lecture).

D'après les experts, les données de la littérature ne permettent pasde conclure quant au risque d'anomalies chromosomiques de novo.

Compte tenu de leur faible incidence, les données actuelles ne per-mettent pas de conclure quant à la survenue de perturbations épigé-nétiques et d'évènements oncologiques (11 études de faible niveaude preuve).

Enfin, aucune étude n'a encore évalué la fertilité des enfants conçuspar ICSI (et les effets sur leur descendance), puisque les plus âgésd'entre eux n'ont aujourd'hui que 14-15 ans.

Risques spécifiques de la technique de l'ICSI

Les données actuelles ne nous permettent pas de conclure quant àl'existence de risques spécifiques de l'ICSI liés à la technique elle-même ou à l'utilisation de spermatozoïdes prélevés chirurgicale-ment (5 études de faible niveau de preuve).

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Risques de l'ICSI en contexte viral (VIH, VHC, VHB)

Aucune séroconversion de la mère et de l'enfant n'a été rapportéeaprès lavage et AMP (IAC, FIV ou ICSI). L'association des deuxprocédures semble donc efficace pour contrôler le risque viral. Hor-mis le risque de transmission virale, les risques rapportés chez cescouples sont ceux de toutes grossesses issues de technique d'AMP(FIV/ICSI).

PERSPECTIVES

De l'évaluation de l'ICSI présentée dans ce rapport, découlent desperspectives concernant la prise en charge du couple infertile, lanécessité d'études complémentaires et la révision de l'arrêté relatifà l'AMP en contexte viral.

Prise en charge du couple infertile

Examens cliniques masculins et féminins

Il serait souhaitable de mettre à jour les recommandations relativesà la prise en charge de l'infertilité en France, notamment en termesde définitions de l'examen clinique spécifique à chaque membre ducouple, réalisé avant toute prise en charge en AMP. Ces recomman-dations devront être établies de manière consensuelle à l'égard detous les professionnels concernés.

Spermogramme

Il serait souhaitable d'établir un consensus interprofessionnel quantaux définitions en spermiologie, indispensable à la mise en placed'un contrôle de qualité multicentrique des laboratoires de spermio-logie.

Conditions de prise en charge de l'AMP par l'Assurance ma-ladie

Modification des conditions de prise en charge en AMP

Les limitations imposées par la Sécurité sociale pour le rembourse-ment des actes d'AMP peuvent être responsables de perte de chan-ce pour les couples et incitent à l'hyperstimulation ovarienne, autransfert d'embryons multiples et à la prise en charge rapide descouples quelle que soit l'indication.

Des propositions de modification des conditions de prise en chargeen AMP ont été faites par les experts, à l'attention des institutionsconcernées.

Préférence pour les grossesses uniques lors d'une FIV ou d'uneICSI

Le nombre limité de tentatives prises en charge incite les couples àavoir recours au transfert multiple d'embryons, plutôt qu'au trans-fert unique. Or le transfert multiple favorise l'occurrence de gros-sesses multiples, grossesses reconnues comme porteuses de risques.Par conséquent, une réflexion doit être menée sur la possibilité delaisser le choix au couple entre le transfert unique et le transfertmultiple. Le nombre de tentatives remboursées devrait être adaptéen fonction du type de transfert.

Informations aux couples relatives aux risques de l'AMP

L'information des couples concernant les risques selon l'état actuelde la science est indispensable. Étant très hétérogène selon les cen-tres, une actualisation standardisée de l'information à apporter auxcouples, en particulier en termes de risque et de suivi de l'enfant ànaître, est nécessaire.

Autres études nécessaires

Études complémentaires

Compte tenu du faible niveau de preuve global des données d'effi-cacité et de coût-efficacité, les experts ont indiqué le besoin deréaliser des études complémentaires sur :

- l'impact de la congélation de l'embryon en AMP ;

- l'efficacité de l'AMP, en tenant compte de la congélation desembryons surnuméraires (taux cumulés par ponction incluant letransfert d'embryons congelés) ;

- l'impact de l'âge féminin et masculin sur l'efficacité de l'ICSI et dela FIV (par âge plutôt que par classe d'âge) ;

- l'efficacité de l'ICSI en cas d'infertilité immunologique ;

- le coût de l'ICSI par rapport à celui de la technique alternative,quand elle existe, par indication.

Des études épidémiologiques sur l'infertilité en France seraient éga-lement souhaitables.

Suivi des enfants conçus par AMP et études de sécurité

Ce rapport a mis en exergue la nécessité du suivi des enfants issusde l'AMP, et tout particulièrement de l'ICSI, en tenant compte desquestions éthiques posées. Il est donc impératif aujourd'hui :

- de mettre en place un suivi des enfants issus d'AMP et de leur des-cendance (mission de l'Agence de la biomédecine) ;

- de réaliser des études à grandes échelles correctement structuréesafin de confirmer ou d'infirmer les tendances observées depuisbientôt 15 ans, notamment en termes de risques de malformationscongénitales et d'anomalies chromosomiques et épigénétiques ;

- de réaliser des études permettant d'évaluer les risques de l'utilisa-tion de spermatozoïdes issus de prélèvements chirurgicaux.

Révision de l'arrêté relatif à l'AMP en contexte viral

Selon le projet de révision de l'arrêté du 10 mai 2001 proposé parl'Agence de la biomédecine (en voie d'adoption), les procédures dedétection virologique devraient être allégées (pour l'infection àVIH) ou supprimées (pour l'infection à VHC). La détection del'ARN VIH-1 dans le plasma séminal serait maintenue avec un seuilde prise en charge fixé à 100 000 copies/ml.

Les recommandations d'utilisation des différentes formes d'AMPseront retirées avec, pour conséquence, un recours à l'ICSI en AMPà risque viral VIH indépendamment de la charge virale.

AUTEURS

Ce dossier a été réalisé par le Dr Linda BANAEI et le Dr Cédric CAR-BONNEIL, docteur ès sciences, chefs de projet au service évaluationdes actes professionnels, avec l'assistance du Dr Patricia DARGENtet du Dr Marie-Agnès DRAGON-DUREY, chargées de projet, sous ladirection du Dr Denis-Jean DAVID, docteur ès sciences, adjoint auchef de service et du Dr Sun Hae LEE-ROBIN, chef du service éva-luation des actes professionnels.

L'évaluation économique a été réalisée par Mme Cécile FORTANIER,chargée de projet, sous la coordination de Mme Stéphanie BARRÉ,chef de projet au service évaluation médico-économique et santépublique, sous la direction du Dr Catherine RUMEAUX-PICHON.

Progrès en Urologie (2007), 17, 1313-1318

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La recherche documentaire a été effectuée par Mmes EmmanuelleBLONDET, Gaëlle FANELLI et Mireille CECCHIN, documentalistes,avec l'aide de Mlles Maud LEFÈVRE et Pauline DAVID, assistantes-documentalistes, sous la direction du Dr Frédérique PAGES, docteurès sciences.

Le groupe de travail a été composé de :

- Dr Véronique AMICE

- Pr Jean-Paul AURAY

- Dr Jean-Philippe AYEL

- Dr Pierre BOYER

- Pr Jean-Luc BRESSON

- Dr Nelly FRYDMAN

- Pr Clément JIMENEZ

- Dr Lionel LARUE

- Dr Jacqueline MANDELBAUM

- Dr Françoise MERLET

- Pr Philippe MERVIEL

- Dr Jean-Marc RIGOT

- Pr Nathalie RIVES

- Pr Frédéric STAERMAN

- Dr Philippe TERRIOU

- Dr Patrick THONNEAU

- Pr Michel VEKEMANS

- Pr Stéphane VIVILLE

Le groupe de lecture a été composé de :

- Dr Clarisse BAUMANN

- Dr Joëlle BELAISCH-ALLART

- Dr Thomas BOURLET

- Pr Louis BUJAN

- Dr Isabelle DENIS

- Dr Aviva DEVAUX

- M. Gérard DURU

- Pr Alain HAERTIG

- Dr Jean HERMABESSIERE

- Dr Vincent IZARD

- Dr Philippe LABRUNE

- Dr Rachel LEVY

- Pr Stanislas LYONNET

- Dr Aline PAPAXANTHOS

- Pr Claude SUREAU

- Dr Philippe VERBECQ

L'organisation des réunions et le travail de secrétariat ont été réali-sés par Mme Mireille EKLO.

Cette synthèse a été relue par le Dr Frank STORA, rédacteur médicalà la HAS.

Remerciements

Nous remercions la Haute Autorité de santé de nous avoir autorisésà publier ce document. Haute Autorité de santé - Service communi-cation - 2, avenue du Stade de France - 93218 Saint-Denis La Plai-ne Cedex. Ce document ainsi que le rapport complet sont téléchar-geables gratuitement sur le site http://www.has-sante.fr, rubriquePublications. Il a été validé par le collège de la HAS en décembre2006.

Progrès en Urologie (2007), 17, 1313-1318

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