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© Masson, Paris, 2004. Gastroenterol Clin Biol 2004;28:1229-1230 1229 ÉDITORIAL Évaluation des pratiques professionnelles et accréditation des établissements de soins : évolutions et interrogations Philippe MICHEL Comité de Coordination de l’Evaluation Clinique et de la Qualité en Aquitaine (C.C.E.C.Q.A), Hôpital Xavier Arnozan, 33604 Pessac. audit présenté dans ce numéro de Gastroentérologie Clinique et Biologique par le Dr Denis et ses collègues [1] est exemplaire à deux titres. L’évaluation a mani- festement été menée avec la même rigueur scientifique qu’un essai thérapeutique ou tout autre projet de recherche clinique (précision des critères d’évaluation, exhaustivité du recueil), ce qui montre que l’évaluation des pratiques professionnelles (EPP) entre dans une phase de maturité. Les auteurs ont par ailleurs eu le souci de décrire précisément la méthode utilisée, ce qui devrait permettre à d’autres équipes de reproduire localement cette évaluation : l’objectif de la publication de ce type d’article est donc atteint [2]. L’évaluation des pratiques professionnelles : priorité de la procédure d’accréditation — certification des établissements de santé La Société Nationale Française de Gastroentérologie publie depuis longtemps des réflexions et travaux d’évaluation des pra- tiques professionnelles [3]. L’actualité nous indique que l’utilité de telles publications va encore s’accroître. La seconde itération de la procédure d’accréditation (re-baptisée « certification des éta- blissements de santé » dans la loi n o 2004-810 du 13 août 2004 relative à l’Assurance Maladie) positionne en effet l’éva- luation des pratiques dans les établissements de santé comme une priorité majeure. Trois références structurent cette évaluation : la référence 44 a trait à l’efficience et conduit les établissements et les équipes à évaluer la pertinence des actes et soins réalisés ; la référence 45 a trait à l’évaluation des risques (incitation à développer l’analyse des événements indésirables liés aux soins) ; la référence 46 concerne la mise en œuvre de l’évaluation des pratiques [4]. Un engagement institutionnel attendu sur l’évaluation des pratiques professionnelles : quels enjeux ? Conformément à l’expérimentation en cours en région Aqui- taine [5], les établissements vont donc choisir des thématiques sur lesquelles ils s’engageront à s’évaluer. Ces thématiques — initialement au nombre de trois — correspondront à des patho- logies (par exemple : infarctus du myocarde en phase aiguë), des symptômes (par exemple, la douleur…) ou des situations cli- niques (par exemple : la mise en chambre d’isolement…) fré- quemment pris en charge par l’établissement. À l’évidence, il sera alors utile aux équipes de soins concernées d’avoir à dispo- sition des outils d’évaluation validés et publiés tels que ceux pré- sentés dans l’article de Denis et al. Ces démarches d’EPP ont été conçues par l’ANAES comme des opportunités internes aux éta- blissements pour améliorer leurs pratiques ; les résultats de la procédure d’accréditation ne seront pas liés aux résultats de l’EPP, mais dans un premier temps uniquement au dynamisme et à la pertinence méthodologique de la démarche. Mais la Circu- laire du 27 juillet 2004 précise que cet engagement fera l’objet d’un avenant au Contrat d’Objectif et de Moyens des établisse- ments, ce qui suscite des interrogations sur l’utilisation des résul- tats de ces évaluations. Autant il semble naturel que les résultats des évaluations, qui font déjà partie des annexes qualité des Schémas Régionaux d’Organisation Sanitaire ou des Contrats d’Objectifs et de Moyens (c’est par exemple fréquemment le cas de la prise en charge de l’infarctus aigu du myocarde ou de l’accident vasculaire cérébral), soient transmis à la tutelle, autant l’interrogation semble légitime pour les autres thématiques. Evaluation des médecins : individuelle ou collective ? La loi n o 2004-810 du 13 août 2004 relative à l’Assurance Maladie va certainement, à court terme, soulever d’autres interro- gations concernant l’évaluation des pratiques professionnelles dans nos établissements de santé [6]. Passons sur les change- ments sémantiques, comme « accréditation » qui devient « certification » des établissements de santé (à ne pas confondre avec la certification ISO) et sur les changements structurels, tels que la disparition de l’ANAES qui devient la Haute Autorité de Santé. Espérons que ces changements n’auront pas d’impact sen- sible sur l’activité quotidienne des professionnels. La nouveauté majeure, pour les médecins du secteur public et ceux exerçant dans un établissement privé participant au service public hospitalier, est l’obligation d’une évaluation individuelle de leurs pratiques professionnelles. Celle-ci existait depuis 1999 pour les médecins libéraux [7] et il ne fait pas de doute que l’incitation à respecter cette obligation, pour ceux-ci, va s’en trouver renfor- cée. Les interrogations du secteur libéral vont maintenant être par- tagées par tous : comment concilier, au prix d’une charge de travail acceptable, la nécessité pour les équipes de soins de s’éva- luer et celle maintenant d’être évalué individuellement ? Quelle subsidiarité possible entre évaluation collective des équipes de soins et évaluation individuelle ? Quel lien entre formation conti- nue et évaluation des pratiques professionnelles ? Dans quelle mesure peut-on évaluer la pratique individuelle d’un médecin hos- pitalier, alors que son action s’inscrit dans un travail d’équipe ? De nombreuses interrogations Clairement, l’évaluation des pratiques professionnelles, qui a jusqu’à présent essentiellement reposé sur la motivation indivi- duelle et le volontariat, prend une dimension stratégique qui aura des effets sur les conditions d’exercice professionnel et sur Tirés à part : P. MICHEL, à l’adresse ci-dessus. E-mail : philippe.michel@ccecqa.asso.fr L‘

Évaluation des pratiques professionnelles et accréditation des établissements de soins : évolutions et interrogations

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© Masson, Paris, 2004. Gastroenterol Clin Biol 2004;28:1229-1230

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ÉDITORIAL

Évaluation des pratiques professionnelles et accréditation des établissements de soins :

évolutions et interrogations

Philippe MICHEL

Comité de Coordination de l’Evaluation Clinique et de la Qualité en Aquitaine (C.C.E.C.Q.A), Hôpital Xavier Arnozan, 33604 Pessac.

audit présenté dans ce numéro de GastroentérologieClinique et Biologique par le Dr Denis et ses collègues[1] est exemplaire à deux titres. L’évaluation a mani-

festement été menée avec la même rigueur scientifique qu’unessai thérapeutique ou tout autre projet de recherche clinique(précision des critères d’évaluation, exhaustivité du recueil), cequi montre que l’évaluation des pratiques professionnelles (EPP)entre dans une phase de maturité. Les auteurs ont par ailleurs eule souci de décrire précisément la méthode utilisée, ce qui devraitpermettre à d’autres équipes de reproduire localement cetteévaluation : l’objectif de la publication de ce type d’article estdonc atteint [2].

L’évaluation des pratiques professionnelles : priorité de la procédure d’accréditation —certification des établissements de santé

La Société Nationale Française de Gastroentérologie publiedepuis longtemps des réflexions et travaux d’évaluation des pra-tiques professionnelles [3]. L’actualité nous indique que l’utilité detelles publications va encore s’accroître. La seconde itération dela procédure d’accréditation (re-baptisée « certification des éta-blissements de santé » dans la loi no 2004-810 du 13 août2004 relative à l’Assurance Maladie) positionne en effet l’éva-luation des pratiques dans les établissements de santé commeune priorité majeure. Trois références structurent cetteévaluation : la référence 44 a trait à l’efficience et conduit lesétablissements et les équipes à évaluer la pertinence des actes etsoins réalisés ; la référence 45 a trait à l’évaluation des risques(incitation à développer l’analyse des événements indésirablesliés aux soins) ; la référence 46 concerne la mise en œuvre del’évaluation des pratiques [4].

Un engagement institutionnel attendu sur l’évaluation des pratiques professionnelles : quels enjeux ?

Conformément à l’expérimentation en cours en région Aqui-taine [5], les établissements vont donc choisir des thématiquessur lesquelles ils s’engageront à s’évaluer. Ces thématiques —initialement au nombre de trois — correspondront à des patho-logies (par exemple : infarctus du myocarde en phase aiguë),des symptômes (par exemple, la douleur…) ou des situations cli-niques (par exemple : la mise en chambre d’isolement…) fré-quemment pris en charge par l’établissement. À l’évidence, ilsera alors utile aux équipes de soins concernées d’avoir à dispo-sition des outils d’évaluation validés et publiés tels que ceux pré-sentés dans l’article de Denis et al. Ces démarches d’EPP ont été

conçues par l’ANAES comme des opportunités internes aux éta-blissements pour améliorer leurs pratiques ; les résultats de laprocédure d’accréditation ne seront pas liés aux résultats del’EPP, mais dans un premier temps uniquement au dynamisme età la pertinence méthodologique de la démarche. Mais la Circu-laire du 27 juillet 2004 précise que cet engagement fera l’objetd’un avenant au Contrat d’Objectif et de Moyens des établisse-ments, ce qui suscite des interrogations sur l’utilisation des résul-tats de ces évaluations. Autant il semble naturel que les résultatsdes évaluations, qui font déjà partie des annexes qualité desSchémas Régionaux d’Organisation Sanitaire ou des Contratsd’Objectifs et de Moyens (c’est par exemple fréquemment le casde la prise en charge de l’infarctus aigu du myocarde ou del’accident vasculaire cérébral), soient transmis à la tutelle, autantl’interrogation semble légitime pour les autres thématiques.

Evaluation des médecins : individuelle ou collective ?

La loi no 2004-810 du 13 août 2004 relative à l’AssuranceMaladie va certainement, à court terme, soulever d’autres interro-gations concernant l’évaluation des pratiques professionnellesdans nos établissements de santé [6]. Passons sur les change-ments sémantiques, comme « accréditation » qui devient« certification » des établissements de santé (à ne pas confondreavec la certification ISO) et sur les changements structurels, telsque la disparition de l’ANAES qui devient la Haute Autorité deSanté. Espérons que ces changements n’auront pas d’impact sen-sible sur l’activité quotidienne des professionnels.

La nouveauté majeure, pour les médecins du secteur public etceux exerçant dans un établissement privé participant au servicepublic hospitalier, est l’obligation d’une évaluation individuelle deleurs pratiques professionnelles. Celle-ci existait depuis 1999 pourles médecins libéraux [7] et il ne fait pas de doute que l’incitationà respecter cette obligation, pour ceux-ci, va s’en trouver renfor-cée. Les interrogations du secteur libéral vont maintenant être par-tagées par tous : comment concilier, au prix d’une charge detravail acceptable, la nécessité pour les équipes de soins de s’éva-luer et celle maintenant d’être évalué individuellement ? Quellesubsidiarité possible entre évaluation collective des équipes desoins et évaluation individuelle ? Quel lien entre formation conti-nue et évaluation des pratiques professionnelles ? Dans quellemesure peut-on évaluer la pratique individuelle d’un médecin hos-pitalier, alors que son action s’inscrit dans un travail d’équipe ?

De nombreuses interrogations

Clairement, l’évaluation des pratiques professionnelles, qui ajusqu’à présent essentiellement reposé sur la motivation indivi-duelle et le volontariat, prend une dimension stratégique quiaura des effets sur les conditions d’exercice professionnel et sur

Tirés à part : P. MICHEL, à l’adresse ci-dessus.E-mail : [email protected]

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la planification et la budgétisation des établissements. Les fer-vents défenseurs de l’EPP s’en réjouiront parce que les profes-sionnels vont être dotés d’outils leur permettant d’optimiser leurpratique et le coût des soins et parce que la qualité va enfin êtrereconnue et valorisée. De nombreuses interrogations subsistent.En dehors de travaux publiés comme celui de Denis et al. [1] etde quelques référentiels en cours d’élaboration par l’ANAES, oùsont ces outils ? Comment les utiliser et surtout, qui va être desti-nataire des résultats : le professionnel ou l’équipe de soins, l’éta-blissement, la tutelle régionale, l’Etat, les usagers ?

RÉFÉRENCES

1. Denis B, Weiss AM, Peter A, Bottlaender J, Chiappa P. Évaluation dela qualité des soins en endoscopie digestive : audit de 500 coloscopies.Gastroenterol Clin Biol 2004;28:1245-55.

2. Smith R. Quality improvement reports: a new kind of article (editorial).BMJ 2000;321:1428.

3. Amouretti M, Michel P. Evaluation des stratégies diagnostiques etthérapeutiques et amélioration des pratiques professionnelles. Gas-troenterol Clin Biol 1992;16:833-6.

4. Agence Nationale d’Accréditation et d’Évaluation en Santé. http://www.anaes.fr/ANAES/anaesparametrage.nsf/Page?Read-Form&Section=/anaes/anaesparametrage.nsf/accueilaccredita-tion?readform&Defaut=y& (dernier accès novembre 2004).

5. Ministère de la Santé et de la Protection Sociale. Circulaire no DHOS/F3/F2/2004/363 du 27 juillet 2004 relative aux conditions d’attribu-tion de subventions pour l’expérimentation de la nouvelle version dela procédure d’accréditation et de l’évaluation des pratiques profes-sionnelles.

6. Loi no 2004-810 du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie (pu-bliée au J.O. du 17 août 2004).

7. Ministère de l’emploi et de la solidarité. Décret no 99-1130 du 28 dé-cembre 1999 relatif à l’évaluation des pratiques professionnelles et àl’analyse de l’évaluation des dépenses médicales.