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ARTICLE ORIGINAL / ORIGINAL ARTICLE DOSSIER Évaluer une psychothérapie psychodynamique en pratique oncologique : présentation dun protocole détude dun cas singulier Evaluating a psychodynamic psychotherapy in oncology practice: presentation of single-case design protocol P. Cannone · A.-L. Bert · M.-A. Grimaldi · M.-F. Bacqué Reçu le 13 février 2012 ; accepté le 16 mars 2012 © Springer-Verlag France 2012 Résumé Cet article a pour objet dévaluer les effets de lapproche psychodynamique dans le cadre du travail psycho- thérapeutique effectué en entretien clinique par le psycho- logue. Il sagit danalyser les productions narratives de linter- action patientpsychologue afin de déterminer les processus psychiques en jeu à partir dun protocole détude de cas sin- gulier. Ce dispositif de recherche répond aujourdhui à une demande dévaluation en tenant compte des grandes difficul- tés en termes de méthode, de principe et dobjectivation dune pratique de lintersubjectivité et de la singularité. Ce travail doit permettre dargumenter lintérêt des propositions de sou- tien ou de psychothérapies dinspiration analytique au sein des services doncologie. Mots clés Cancer · Évaluation · Approche psychodynamique · Étude de cas singulier Abstract The aim of this study is to evaluate the effects of psychodynamic approach in the context of psychotherapeutic clinical interviews conducted by a psychologist. It involves analyzing the narrative productions of the patientpsycho- logist interaction to determine mental processes induced in a single-case design protocol. This research frame responds to the request of evaluation, according to the great difficulties into methodology, principles and practice of objectification of intersubjectivity, and singularity. This work should help to argue the interest of proposals for support or psychodyna- mic psychotherapy in oncology departments. Keywords Cancer · Evaluation · Psychodynamic approach · Single-case design Contexte La présence des psychologues dans les services de cancéro- logie sest développée, dune part, en réponse à la souffrance institutionnelle exprimée par les acteurs de santé, et dautre part, grâce à la mobilisation des malades, fédérés en associa- tion, afin de rendre compte de leurs besoins. Le livre blanc des premiers états généraux des malades du cancer [13] a montré cette détermination daméliorer les prises en charge, de reconnaître la dimension subjective et relationnelle comme axe fort de revendications devenues recommanda- tions. Ainsi, lensemble des services de cancérologie, selon le point 42 du Plan cancer français, doit favoriser laccès au soutien psychologique et compter au sein des équipes de soin, un psychologue ayant entre autres pour compétences, le suivi psychothérapeutique du malade et/ou de sa famille. Mais quest-ce quune psychothérapie en général, et une psychothérapie psychodynamique en particulier, dans le contexte de loncologie ? Une psychothérapie est le suivi à plus ou moins long terme dun sujet en souffrance par un professionnel (psy- chiste) à partir dun dispositif clinique nommé « cadre », et dans lequel le sujet trouve un lieu et un temps pour déployer P. Cannone (*) Service doncologie multidisciplinaire et innovations thérapeutiques, CHUhôpital Nord, chemin des Bourrely, F-13915 Marseille cedex 20, France e-mail : [email protected] A.-L. Bert Service de réanimation pédiatrique et chirurgie infantile, CHUhôpital Nord, chemin des Bourrely, F-13915 Marseille cedex 20, France M.-A. Grimaldi Service doncologie digestive, CHU La Timone, 264, rue Saint-Pierre, F-13005 Marseille, France EMSP, CHUhôpital Nord, chemin des Bourrely, F-13915 Marseille cedex 20, France M.-F. Bacqué Unité de recherches en psychologie, université Louis-Pasteur, 12, rue Goethe, F-67000 Strasbourg, France Psycho-Oncol. (2012) 6:72-84 DOI 10.1007/s11839-012-0370-6

Évaluer une psychothérapie psychodynamique en pratique oncologique : présentation d’un protocole d’étude d’un cas singulier

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ARTICLE ORIGINAL / ORIGINAL ARTICLE DOSSIER

Évaluer une psychothérapie psychodynamique en pratique oncologique :présentation d’un protocole d’étude d’un cas singulier

Evaluating a psychodynamic psychotherapy in oncology practice:presentation of single-case design protocol

P. Cannone · A.-L. Bert · M.-A. Grimaldi · M.-F. Bacqué

Reçu le 13 février 2012 ; accepté le 16 mars 2012© Springer-Verlag France 2012

Résumé Cet article a pour objet d’évaluer les effets del’approche psychodynamique dans le cadre du travail psycho-thérapeutique effectué en entretien clinique par le psycho-logue. Il s’agit d’analyser les productions narratives de l’inter-action patient–psychologue afin de déterminer les processuspsychiques en jeu à partir d’un protocole d’étude de cas sin-gulier. Ce dispositif de recherche répond aujourd’hui à unedemande d’évaluation en tenant compte des grandes difficul-tés en termes de méthode, de principe et d’objectivation d’unepratique de l’intersubjectivité et de la singularité. Ce travaildoit permettre d’argumenter l’intérêt des propositions de sou-tien ou de psychothérapies d’inspiration analytique au seindes services d’oncologie.

Mots clés Cancer · Évaluation · Approchepsychodynamique · Étude de cas singulier

Abstract The aim of this study is to evaluate the effects ofpsychodynamic approach in the context of psychotherapeutic

clinical interviews conducted by a psychologist. It involvesanalyzing the narrative productions of the patient–psycho-logist interaction to determine mental processes induced in asingle-case design protocol. This research frame responds tothe request of evaluation, according to the great difficultiesinto methodology, principles and practice of objectificationof intersubjectivity, and singularity. This work should helpto argue the interest of proposals for support or psychodyna-mic psychotherapy in oncology departments.

Keywords Cancer · Evaluation · Psychodynamic approach ·Single-case design

Contexte

La présence des psychologues dans les services de cancéro-logie s’est développée, d’une part, en réponse à la souffranceinstitutionnelle exprimée par les acteurs de santé, et d’autrepart, grâce à la mobilisation des malades, fédérés en associa-tion, afin de rendre compte de leurs besoins. Le livre blancdes premiers états généraux des malades du cancer [13] amontré cette détermination d’améliorer les prises en charge,de reconnaître la dimension subjective et relationnellecomme axe fort de revendications devenues recommanda-tions. Ainsi, l’ensemble des services de cancérologie, selonle point 42 du Plan cancer français, doit favoriser l’accès ausoutien psychologique et compter au sein des équipes desoin, un psychologue ayant entre autres pour compétences,le suivi psychothérapeutique du malade et/ou de sa famille.

Mais qu’est-ce qu’une psychothérapie en général, et unepsychothérapie psychodynamique en particulier, dans lecontexte de l’oncologie ?

Une psychothérapie est le suivi à plus ou moins longterme d’un sujet en souffrance par un professionnel (psy-chiste) à partir d’un dispositif clinique nommé « cadre », etdans lequel le sujet trouve un lieu et un temps pour déployer

P. Cannone (*)Service d’oncologie multidisciplinaire et innovationsthérapeutiques, CHU–hôpital Nord, chemin des Bourrely,F-13915 Marseille cedex 20, Francee-mail : [email protected]

A.-L. BertService de réanimation pédiatrique et chirurgie infantile,CHU–hôpital Nord, chemin des Bourrely,F-13915 Marseille cedex 20, France

M.-A. GrimaldiService d’oncologie digestive, CHU La Timone,264, rue Saint-Pierre, F-13005 Marseille, France

EMSP, CHU–hôpital Nord, chemin des Bourrely,F-13915 Marseille cedex 20, France

M.-F. BacquéUnité de recherches en psychologie, université Louis-Pasteur,12, rue Goethe, F-67000 Strasbourg, France

Psycho-Oncol. (2012) 6:72-84DOI 10.1007/s11839-012-0370-6

sa demande, son désir, l’émergence de scénarios s’inscrivantdans un possible travail d’élaboration psychique. Cet espacede parole, véritable réceptacle de projections et d’expres-sions fantasmatiques, implique une reconnaissance et unemise en lien des processus en jeu afin de produire une auto-régulation et le soutien des processus de pensée. Quel quesoit le référentiel théorique sous-jacent, la (ou les) psycho-thérapie(s) cherche(nt) à réduire la souffrance globale, àpermettre au sujet de trouver une relative adaptation auxbouleversements qu’il est amené à vivre, à aller au rythmedu malade dans sa recherche de sens étiologique, essentiel etexistentiel [2].

Une des voies psychothérapeutiques possibles estl’approche psychodynamique ou psychanalytique, précisé-ment l’objet de cet article, dans une perspective d’évaluationdes effets produits, en questionnant notre pratique en tantque psychologue clinicien. L’approche psychodynamiquerepose sur le travail d’interprétation et d’analyse du transfert.Il s’agit de coconstruire ici, un lieu de référence où se pro-duisent des remaniements psychiques grâce à la posture duclinicien, engagé et favorisant l’accès à la parole là où lemalade l’attend. Nous savons bien qu’en cancérologie, uneposition trop silencieuse du thérapeute a souvent pour effetde potentialiser l’angoisse, ce qui peut faire obstacle àl’éventuel suivi. Cela s’observe d’autant plus dans les pre-miers « accrochages » de la relation qui détermineront lesmodalités de la prise en charge psychologique. Gabbard [8]donne comme définition de la psychothérapie psychodyna-mique « une thérapie qui implique une attention particulièreà l’interaction entre le patient et le thérapeute, avec une inter-prétation à temps voulu des résistances et du transfert, fon-dée sur l’appréciation fine de la contribution du thérapeute àla relation duelle avec le patient ». Nous ne sommes pas icidans le dispositif de la cure-type tel que Freud l’a enseigné,difficile à utiliser en oncologie, mais dans un face-à-face quiintègre les contingences inhérentes à la maladie et ses traite-ments, et dans lequel le sujet s’inscrit dans une recherchevers la connaissance de soi, cela pendant un parcours deplusieurs mois, voire années.

Évaluation des psychothérapies :enjeux méthodologiques et épistémologiques

La question des psychothérapies n’a cessé, depuis unedizaine d’années, d’être l’objet de discussions. Les débatspassionnés concernent notamment les modalités du cadrethérapeutique à partir de son référentiel théorique et de seseffets. La place de la demande, la définition du symptôme,du transfert, de la posture du psychologue dans son lieud’exercice, en passant par la formation (cursus universitaireet supervision) des praticiens forment un enjeu majeur. Selonles positions théoricocliniques adoptées vont découler des

dispositifs de recherche dont l’objectif est d’évaluer la pra-tique clinique pour rendre compte des processus psycho-logiques mis en jeu lors de la psychothérapie. S’inscrire dansl’évaluation des pratiques implique, comme l’écrit Widlö-cher : « la question de savoir dans quelle mesure le clinicienest capable de décrire ce qu’il fait et non ce qu’il croit faire »[23]. Nous pensons qu’il existe aujourd’hui, une nécessitéd’évaluation des pratiques psychothérapeutiques en réfé-rence aux enjeux scientifiques afin de soutenir une dimen-sion éthique dans l’offre de soin. Tous ceux qui s’intéressentà cette question de l’évaluation ont initié des recherches auplus près des pratiques cliniques afin de proposer des grillesde lectures diverses et riches de propositions quant à la priseen charge du patient dans son système de soin. Rappelonsque cette préoccupation d’évaluation des pratiques a toujoursanimé les praticiens et notamment les psychanalystes même sileurs travaux ont buté sur les limites de l’état des connaissan-ces notamment sur le plan méthodologique [6,12,21].

Existe-t-il aujourd’hui des outils cliniques issus d’uneméthodologie de recherche permettant au psychiste de ren-dre compte de sa pratique psychothérapeutique dans lechamp de la psychanalyse ? Sur quels critères est-il possibled’évaluer une psychothérapie psychodynamique en structurehospitalière dans un service de cancérologie ?

Pour tenter de répondre, nous décrirons brièvement lesaxes de recherche possibles dans le domaine de la psychothé-rapie et proposerons l’étude pragmatique d’un cas, commeillustration de recherche à partir d’une pratique en oncologie.

En matière d’évaluation des psychothérapies, trois axesde recherche définissent des champs d’investigation présen-tant tous des enjeux méthodologiques et épistémologiquesimportants.

Tout d’abord, l’approche empirique exige de construiredes études méthodologiquement irréprochables afin de prou-ver l’efficacité d’une psychothérapie, par la réduction dessymptômes mesurables à l’aide d’outils standardisés, selonles pathologies, les données démographiques et épidémiolo-giques. Ces études [5] n’ont pas été à la hauteur des attentesespérées, car la rigueur méthodologique creuse l’écart avecla réalité clinique des pratiques et avec l’unicité des suivis[22]. Ainsi, comme le rappelle Fischman [7], « les principescanoniques des psychothérapies empiriquement prouvéess’adressent à des thérapeutes supposés identiques et homo-gènes qui fourniraient une technique identique et homogèneà des patients supposés identiques et homogènes en échan-tillons de groupes également homogènes ».

De l’autre côté, l’approche herméneutique par étude decas, utilise la méthode clinique d’interprétation du matérielet de la relation patient–thérapeute, comme critère de valida-tion et d’évaluation. À partir des récits et des narrations, unrecueil des informations obtenues dans la situation naturellepermet de définir le contexte et les problèmes rencontrés parl’individu, qui feront ensuite l’objet d’une étude approfondie

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et exhaustive de cas. C’est l’approche classique utilisée enpsychologie clinique permettant d’être au plus près du vécudu sujet dans sa singularité. Ici, l’analyse théoricopratiquedes situations cliniques légitime l’indication psychothéra-peutique [1,15]. Les critiques faites à l’approche herméneu-tique portent précisément sur ce qu’elle entend défendre, àsavoir la dimension subjective par l’étude de cas singulier.Les arguments critiques portent sur le caractère éminemmentsubjectif de cette « autoréflexion » par le jeu des effetstransféro-contre-transférentiels et la réticence à la vérifica-tion objective et empirique de son action thérapeutique.

Le modèle idiographique et la méthode de cas singuliersforment un axe de recherche alternatif à l’approche empiriqueet herméneutique. Son paradigme est l’étude approfondied’un seul sujet, selon le principe de l’objectivité expérimen-tale. Cette approche, qualifiée « d’étude de cas singuliers »(single-case design), où la preuve est fondée à partir d’étudesnaturalistes, consiste à démontrer la preuve par la pratiqueavant de justifier la pratique par la preuve. Cela impliquela participation de praticiens-chercheurs ayant une pratiquepsychothérapeutique, praticiens-chercheurs fédérés en groupede travail depuis une dizaine d’années, pour mettre encommun les résultats de leurs études. L’analyse systématiquedes suivis psychothérapeutiques s’effectue selon un protocoled’étude intensive de cas, défini par les différentes équipes derecherche. Des outils et des méthodes ont été élaborés entenant compte de la spécificité des données du cas à analy-ser dans les différentes approches psychothérapeutiques, etnotamment psychanalytiques.

Cette troisième voie est décrite aujourd’hui comme pro-metteuse dans l’évaluation des psychothérapies [18], parcequ’elle s’est construite à partir des points de butées et desréflexions issues de l’approche empirique et herméneutiquedans une tentative de produire un paradigme qui puissedépasser les limites des autres modèles.

Protocole de recherche en psycho-oncologie

L’évaluation des psychothérapies en oncologie est peu fré-quente en comparaison à d’autres domaines, comme en psy-chiatrie par exemple, où la littérature est conséquente. Les prin-cipales études réalisées sont d’ordre quantitatif [16,17]. Ellestentent de montrer leur efficacité en termes de réduction desymptôme (stress, dépression, anxiété…) ou d’impact sur lasurvie (durée de vie). Seront distinguées les interventions psy-chologiques individuelles ou groupales, ainsi que les référen-tiels théoriques sous-jacents de la psychothérapie, qu’ils soientpsychodynamique, émotionnel, cognitif ou éducatif. Cesétudes empiriques illustrent le fait que cette méthodologie necorrespond pas à ce domaine particulier de la recherche en psy-chothérapie, son éloignement de la clinique singulière a pro-voqué les réticences des praticiens qui ne s’y reconnaissent pas.

En psycho-oncologie, la littérature ne relate pas, à notreconnaissance, d’étude sur l’évaluation des psychothérapiesutilisant un protocole d’étude de cas singulier. Nous avonsainsi construit un dispositif de recherche, que nous allonsdécrire en détail, grâce à l’étude approfondie de Baptiste,suivi en psychothérapie durant un an au rythme d’une foispar semaine.

Dispositif de recherche

Notre dispositif de recherche reprend la méthodologie ensei-gnée à l’École de psychosomatique1 par Thurin et Thurin[20]. Nous montrerons la pertinence de cette méthodologieen oncologie pour évaluer les pratiques cliniques.

Cette recherche se déroule dans le service d’oncologiemultidisciplinaire et innovations thérapeutiques de l’hôpitalNord à Marseille. Lors du suivi psychothérapeutique, le psy-chologue enregistre en audio les séances avec, au préalable,le consentement signé du patient, pour recueillir le matérielclinique. Enregistrer, permet d’être au plus proche de l’énon-ciation du discours du patient et du clinicien ainsi que del’interaction à l’œuvre. À partir de la retranscription de cesenregistrements, une formulation de cas est élaborée etdifférentes échelles sont cotées par le thérapeute et le groupede pairs. En effet, l’évaluation de la psychothérapie ne se faitpas uniquement par le thérapeute de manière isolée. Ungroupe de pairs a été constitué. Chacun de ses membres asuivi une formation préalable aux divers outils d’évaluation,témoignant également d’une forte implication dans cetterecherche. Le groupe de travail est composé de trois psycho-logues cliniciens exerçant dans le champ de la médecinesomatique (réanimation, soins palliatifs et oncologie) dontles références théoriques sont plurielles dans le domaine dela psychanalyse. Toutes les personnes qui participent augroupe de recherche sont tenues au secret professionnel.Les enregistrements audio participent à la construction dela recherche en interne et sont rendus anonymes par leclinicien.

Chaque psychologue expert reçoit par e-mail la retran-scription des séances enregistrées dans un délai le plus courtpossible après la réalisation de la séance. Chacun élaboreune formulation de cas à partir des enregistrements et coteles outils standardisés d’évaluation suivant quatre temps par-ticuliers de la prise en charge prédéterminés dans le disposi-tif de recherche. L’entretien de départ est celui de la premièrerencontre patient–clinicien. Les trois entretiens suivants sontconsidérés comme les premiers entretiens de la psychothéra-pie. Ils feront l’objet d’une analyse comparative pour mettreen évidence les processus de changement à court, moyen et

1 Programme d’évaluation des pratiques professionnelles : initier unepsychothérapie, en suivre l’évolution, en évaluer les résultats.

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long termes (à deux mois, six mois et un an). Ces trois pre-miers entretiens permettent d’établir le diagnostic qui condi-tionne l’approche psychothérapeutique à partir de la formu-lation de cas. Nous avons fixé des évaluations à 2, 6 et12 mois pour répondre aux exigences de la recherche entermes de lisibilité concernant l’analyse des données (Fig. 1).

Le groupe se réunit au rythme de deux réunions mensuel-les pour discuter et argumenter la formulation de cas et lescotations avec les divers outils d’évaluation, pour définirensemble sur la base d’un consensus, une formulation decas et une cotation commune. La formulation de cas propo-sée ainsi que les différents outils d’évaluation seront détaillésbrièvement dans la suite de cet article en reprenant lesdescriptions issues de différentes publications [3,4,19].

Mise à l’épreuve du protocole de recherchede Baptiste

Contexte de prise en charge

La première rencontre avec Baptiste s’est déroulée à l’hôpi-tal de la Timone de Marseille, à la demande de son épousetrès inquiète de son état dépressif. Les médecins ont diag-nostiqué un carcinome épidermoïde de l’amygdale (sphèreORL) traité par chimiothérapie et radiothérapie. Lors du pre-mier contact, Baptiste est mutique, inhibé, ses seules inter-ventions verbales sont très courtes « je suis perdu, je saisplus comment faire, je ne réagis pas, j’y arrive pas… ».Il accroche par moment le regard du psychologue, fait des

hochements de tête pour signifier qu’il entend ce qui se dit.Son épouse est présente et parle en son nom de la sympto-matologie dépressive de Baptiste et de cette relation dedépendance « extrême » où il exige une présence perma-nente à ses côtés.

Baptiste est âgé de 50 ans et travaille comme directeurcommercial dans une société automobile. Le psychologuel’a rencontré en entretien ponctuellement durant trois mois,de façon aléatoire, le patient ne venant pas au rendez-vousfixé puis rappelant par téléphone, lui ou son épouse, lorsd’épisodes d’extrême souffrance.

Quatre mois plus tard, alors que son cancer ORL nepréoccupe plus les médecins, est diagnostiqué un carcinomeépidermoïde bronchique qui sera traité à l’hôpital Nord deMarseille, service intégré récemment par le psychologue quisuivait déjà Baptiste précédemment. C’est à partir de cemoment que le suivi psychothérapeutique régulier s’est misen place au rythme d’une fois par semaine et les premiersenregistrements ont été effectués.

Formulation de cas

La formulation de cas s’appuie sur la rencontre entre le cli-nicien et le patient à partir des modalités de la prise encharge : le contexte qui amène à cette rencontre, la placede la demande et la nature du travail sollicité et envisagé.La formulation de cas est un outil conceptuel et cliniquemajeur qui peut être également utilisé comme outil derecherche dans les études sur les psychothérapies [10]. Cetoutil permet d’organiser toutes les informations complexes

Fig. 1 Chronologie du dispositif de recherche

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et contradictoires issues de l’entretien clinique. Il aide le cli-nicien à poser des hypothèses sur la problématique du sujet,à définir et évaluer les objectifs et les stratégies thérapeu-tiques lors de la psychothérapie.

La formulation de cas est élaborée à partir de quatredimensions.

Problèmes actuels du patient et leur place dans le contextede sa vie actuelle, de son histoire et de son développement

Baptiste est en rémission d’un cancer ORL et dans l’attentedes résultats de l’imagerie médicale pour définir la stratégiethérapeutique pour son cancer bronchique. Baptiste insisteen entretien sur une modification de son comportement ali-mentaire (hyperphagie) accompagnée de plaintes concernantdes troubles du sommeil (insomnie), des douleurs articulai-res et des oscillations de son humeur avec alternance dephase hypomaniaque et dépressive (inhibition, fatigue).

Baptiste a conscience de ses difficultés à supporter l’absencede ses proches au travers de scénarios fantasmatiques marquéspar une angoisse d’abandon qui le poussent à puiser dans sesressources internes et ainsi mettre en œuvre sa capacitéd’énonciation et d’élaboration.

Facteurs non dynamiques qui peuvent avoircontribué à son problème

À noter un antécédent de cancer ORL traité par radiochimio-thérapie, des conflits familiaux au décès de son père en 1977,qui ont clivé la fratrie et provoqué chez lui une perte derepères. Baptiste évoque son histoire par une forme de victi-misation dans laquelle l’image du père renvoie à des instan-ces idéale et surmoïque, alors que celle de sa mère évoqueune carence affective. Le décès de sa mère, il y deux ans, aaggravé les conflits familiaux pour des questions d’héritage.

Baptiste est marié mais ne vit plus sous le toit conjugaldepuis cinq ans pour des raisons professionnelles (mutation).Il qualifie ses relations avec son épouse comme amicales etnon sexualisées suite à un accord commun, sans jamais évo-quer le terme de séparation. Cet éloignement avec sonépouse et sa fille s’est soldé par des comportements excessifsutilisant l’alcool, le tabac et le jeu. Baptiste est retourné audomicile conjugal à l’annonce de sa maladie.

Intégration synthétique des données disponiblesouvrant à une interprétation des facteurs précipitantet des influences qui maintiennent les problèmesde la personne ; éléments favorables et repéréscomme manquant

Baptiste demande une réassurance et une reprise d’autono-mie psychique dans son rapport à l’autre, ce qui remet encause sa constitution des liens précoces. On note des blessu-

res narcissiques liées à des pertes réelles et symboliques(mort du père, échec d’une carrière de footballeur…) quireviennent à la conscience dans ce contexte où son existenceest menacée par la maladie cancéreuse.

• Éléments favorables

Capacité d’investissement, de projection, d’adaptabilitésociale (socialisations), Baptiste trouve refuge dans sa cel-lule familiale dans laquelle il réaménage la relation avec sonépouse et sa fille. Les défenses relèvent d’un processus derégression qui lui permet de s’adapter aux contingencessomatopsychiques.

• Éléments défavorables

La rupture avec son activité professionnelle, son isolementsocial et sa situation palliative demandent à Baptiste touteune série d’ajustements qui le poussent en permanence à pui-ser dans ses ressources intrapsychiques et interpersonnelles.

Première définition du but et des objectifs intermédiairesde la psychothérapie et de la stratégie pour les atteindre

Les objectifs à court terme concernent les modalités du suivipsychothérapeutique dans lequel le thérapeute doit répondreau besoin de réassurance et d’étayage pour que Baptistepuisse déployer sa demande et s’engager dans le suivi.

Les modalités de ce suivi passent par une mise enconfiance pour construire une relation de qualité afin queBaptiste puisse repérer, exprimer et élaborer ses émotionset ses affects. Il s’agit de s’inscrire dans un travail sur leressenti émotionnel à la fois dans une visée cathartique maiségalement dans un objectif d’accession et de reconnaissancede sa vie intérieure.

C’est par le jeu de l’association libre que nous envisa-geons de favoriser les liens entre les affects et les représen-tations pour effectuer un travail sur/de l’angoisse et soutenirainsi les processus de pensées concernant notamment le vécude sa maladie et ces répercussions dans son histoire singu-lière. Nous nous inscrivons dans une approche psychodyna-mique pour nous ajuster à Baptiste en fonction des momentsde régression et d’avancée de la psychothérapie.

Dans ce contexte de cancérologie, il nous paraît impro-bable d’envisager des objectifs à moyen et à long terme enraison de la réalité de la maladie.

Instruments d’évaluation

Trois outils d’évaluation sont utilisés à différents temps de lapsychothérapie.

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Échelle de santé maladie (ESM)

Cette échelle a été mise au point par Luborsky [14] en 1975(Health-Sickness Rating Scale), traduite et adaptée parP. Gerin, J.M. Peyras et R. Tissot en 1982. L’ESM porte à lafois sur l’évaluation globale de fonctionnement psycholo-gique sur une échelle de 1 à 100 mais également sur différen-tes dimensions. L’échelle propose d’attribuer globalement unscore santé-maladie (de 100 à 0) à partir des symptômes et dufonctionnement du patient, ainsi qu’une évaluation autour desept échelles analogiques en référence à des critères de santé.Ainsi, huit fiches d’évaluation définissent cette échelle :

• estimation globale (cotée de 0 à 100) ;

• besoin du patient d’être protégé et/ou aidé par le théra-peute ou l’hôpital, et à l’opposé, capacité du patient defonctionner de façon autonome ;

• gravité des symptômes du patient (degré de désorganisa-tion de la personnalité) ;

• degré du malaise et de la détresse subjectifs du patient ;

• conséquences de l’état du patient sur son entourage (danger,malaise, etc.) ;

• degré d’utilisation de ses capacités par le patient, notam-ment dans le travail ;

• qualité des relations interpersonnelles du patient (chaleur,intimité, authenticité, proximité, degré de distorsion de saperception de la relation, contrôle de l’impulsivité dans larelation) ;

• ampleur et profondeur des intérêts du patient.

Chacun des membres du groupe de pairs fait sa proprecotation pour ensuite la comparer et la discuter en vue d’unevalidation lors d’une réunion commune. Les résultats sontréunis dans un tableau afin de comparer les évaluations(Tableau 1).

L’ESM est cotée par le groupe de pairs lors des trois pre-miers entretiens, à deux mois, à six mois et un an. Cet outilva permettre de voir l’évolution des différentes dimensionsévaluées au cours du suivi psychothérapeutique.

Échelles de fonctionnement psychodynamique (EFP)de Hoglend et al. [9]

Un des objectifs de l’instrument est d’apporter des élémentsde réponse face à deux critiques faites dans le domaine del’évaluation des psychothérapies, sur le plan du symptôme,de son importance et de sa réduction. L’EFP n’est pas cen-trée sur les symptômes principaux, car elle prend en comptele fonctionnement de la personne dans des domaines essen-tiels comme les relations interpersonnelles, l’insight, l’apti-tude à éprouver, exprimer, différencier et supporter desaffects… La place attribuée au symptôme est abordée ainsique ses répercussions dans la vie du sujet.

L’utilisation de ces échelles permet d’analyser le corpusdes entretiens en explorant six dimensions : qualité des rela-tions familiales ; qualité des relations amicales ; relations sen-timentales/sexuelles ; tolérance affective, insight, résolutionde problème, affirmation et capacité d’adaptation. La cotations’effectue de 1 à 100 pour chaque échelle, par paliers de 10,chacun définissant un niveau de fonctionnement. Ces échellespermettent une appréciation assez fine du fonctionnementdans le registre interpersonnel, de la relation à la réalité etde l’expression des affects. Elles concernent donc le sujeten interaction. Il s’agit d’un instrument qui répond bien àl’appréciation clinique psychodynamique (Tableau 2).

Questionnaire de configuration psychothérapique(version adultes) : le Psychotherapy Process Q-set(PQS, Jones 2000)

Le PQS [11] a demandé une dizaine d’années de travail et abénéficié de la contribution de cliniciens se référant à diffé-rentes théories. Le PQS constitue un langage commun pourdécrire et classer le processus de la thérapie à partir de100 items. Chaque item est conçu pour être observable, évi-ter les références à une théorie spécifique. Même si lesauteurs le décrivent comme étant en grande partie neutre,nous préférons le qualifier de plurithéorique, ce qui permetd’être utilisé pour n’importe quelle thérapie. Le PQS permet

Tableau 1 Cotations ESM de Baptiste

Cotateur 1 Cotateur 2 Cotateur 3 Cotations validations

Initiale Initiale Initiale Initiale 2 mois 6 mois 1 an

1. Estimation globale santé–maladie 60 62 62 62 60 78 65

2. Capacité d’autonomie 55 50 45 50 65 80 70

3. Gravité des symptômes 50 35 50 50 70 80 75

4. Malaise subjectif 40 50 50 50 50 60 70

5. Effets sur l’entourage 25 40 40 50 60 40

6. Utilisation des capacités 50 75 50 65 70 80 75

7. Relations interpersonnelles 40 50 65 50 65 75 70

8. Sources d’intérêt 25 60 45 45 45 75 45

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de représenter un éventail d’interactions thérapeutiques etnotamment de caractériser systématiquement l’interactionthérapeute–patient.

L’évaluation se fait à partir de séances entières (notesextensives, éventuellement complétées d’enregistrementsaudio), ce qui offre une grande possibilité de cerner les élé-ments importants et de mieux évaluer leurs effets dans leprocessus de la thérapie. Le but général de l’instrument estde fournir un index significatif du processus thérapeutiquequi puisse être utilisé dans des analyses comparatives oupour des évaluations pré- et postthérapies.

Le PQS utilise la méthodologie du tri forcé. Cette métho-dologie conduit à hiérarchiser l’importance de chaque itemdescriptif. Elle oblige à classer un nombre défini d’itemsdans les neuf catégories qui vont du plus caractéristique(+4), au moins caractéristique (–4), en passant par une caseneutre (0) (Tableau 3).

Le PQS comprend trois types d’items qui portent respec-tivement sur les attitudes, les sentiments, le comportementou l’expérience du patient ; les actions et les attitudes duthérapeute ; la nature des interactions au sein de la dyade,le climat ou l’atmosphère de la séance.

Analyse des résultats

• Concernant les résultats de l’ESM (Tableau 1).À noter qu’à T + 6 mois, l’ensemble des cotations del’ESM montre une amélioration de l’état psychologiquede Baptiste. Les scores à T + 1 an mettent en évidencel’impact de la dégradation somatique et ses effets surl’entourage (conséquences de l’état du patient sur ses pro-ches) et les sources d’intérêts (ampleur et profondeur).Cependant en dépit de la dégradation somatique, on noteune amélioration dans l’utilisation des ressources psycho-

logiques, visible dans les cotations dumalaise subjectif, dela capacité d’autonomie et des relations interpersonnelles.La gravité des symptômes n’a pas été cotée pour les symp-tômes somatiques mais à partir des effets psychiques decette réalité somatique.Rappelons que c’est le groupe de pairs qui fait la cotationen fonction de la retranscription des entretiens. Si certai-nes dimensions ne sont pas retrouvées dans le discours, legroupe s’abstiendra de proposer un score.

• Concernant les résultats de l’EFP (Tableau 2).Les différentes dimensions de l’EFP sont restées stablesau cours du suivi, à l’exception de la tolérance aux affects(60/75/75) qui nous montre l’évolution des capacités deBaptiste à traiter l’angoisse, et l’évolution de ses relationssentimentales (60/85) qui se sont révélées opérantes,structurantes et stables avec son épouse.

• Concernant les résultats du PQS (Figs. 2–4).

Ce qui apparaît comme résultats saillants(–4 ; –3 ; +3 ; +4) et stables au coursde la thérapie

Pour Baptiste (items : 7, 11, 15, 26, 33, 56, 60, 73, 88, 95)

Ces items mettent en évidence un engagement dans la théra-pie, une capacité à évoquer le matériel significatif à partirduquel Baptiste élabore son rapport à sa maladie, à sa souf-france, à sa mort et aux autres dans un ici et maintenant.Ce travail d’élaboration lui permet d’exprimer des affectscomme la peur, la honte ou la tristesse, expressions non contra-dictoires avec les cotations du malaise subjectif de l’ESMmontrant que l’angoisse s’apaise au cours de la thérapie.

Baptiste montre une dépendance à l’autre (son épouse),au travers d’un besoin de proximité tout au long du suivi

Tableau 3 Répartition du nombre d’items par catégorie selon leur valeur (moins caractéristiques, neutre, plus caractéristiques)

Catégories 1 2 3 4 5 6 7 8 9

Valeur –4 –3 –2 –1 0 1 2 3 4

Nombre d’items par catégorie 5 8 12 16 18 16 12 8 5

Tableau 2 Échelles de fonctionnement psychodynamique EFP de Baptiste

Cotateur 1 Cotateur 2 Cotateur 3 Cotations validations

2 mois 2 mois 2 mois 2 mois 6 mois 1 an

1. Qualité des relations familiales 50 50 65 60 75

2. Qualité des relations amicales 40 70

3. Relations sentimentales/sexuelles 50 45 60 85

4. Tolérance aux affects 60 60 65 60 75 75

5. Insight 70 70 71 70 80 70

6. Résolution de problème et capacité d’adaptation 60 70 65 65 70 70

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Fig. 2 PQS Final de Baptiste à deux mois validé par le groupe de pairs

Fig. 3 PQS Final de Baptiste à six mois validé par le groupe de pairs

Fig. 4 PQS Final de Baptiste à un an validé par le groupe de pairs

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mais cette dépendance devient beaucoup plus mature qu’audébut de la thérapie. En effet, Baptiste ne supportait pasl’absence de son épouse, et réussit, au cours de la thérapie,à s’orienter vers une relation lui laissant la possibilité desymboliser, rêver l’absence de l’autre pour atteindre unerelative autonomie psychique en rapport avec l’évolutionde la situation somatique.

Lors du suivi, l’expérience cathartique n’a jamais pro-voqué franchement un soulagement. Les prises de cons-cience qui ont émergé ont confronté Baptiste à un perpétueltravail d’élaboration dans lequel la tension provoquée parl’affect est restée présente même si son intensité a varié. Lemystère de la mort en tant que devenir, ne cesse de tiraillerBaptiste dans son imaginaire et son activité symboliquemême si l’espoir demeure. Son discours reste congruentaux affects éprouvés, il ne met pas à distance ses sentiments,Baptiste se sent profondément concerné par l’effet de sonexpression favorisée par la thérapie.

Extrait d’entretien :Baptiste : «… C’est vrai que ça m’embête de ne pas avoir

de famille qui tienne un peu plus la route… je retrouve30 ans après une famille complètement défaite… mon frèrea dit que je pouvais crever, qu’il ne me connaissait pas…, çaperturbe, moi ça m’a touché, ça m’a choqué, ça m’a inter-pellé, ils savent que je suis malade… ».

« …Mon père m’a beaucoup manqué, j’avais 16 ansquand il est mort. J’étais le seul à ne pas l’avoir vu mourir,tous mes frères et sœurs étaient à la maison, c’est au momentoù on a le plus besoin… Je lui en veux beaucoup d’être parti,je suis sûr que tout ce que j’ai fait dans le registre du grandn’importe quoi ne serait pas arrivé, s’il était encore là… ».

Concernant le thérapeute (items : 6, 40, 46, 85, 100)

Le style du thérapeute est resté clair et cohérent, son activitédurant les séances montre qu’il établit peu de liens entre larelation thérapeutique et les expériences d’autres relations. Ilne fait pas de suggestion sur la façon d’être en contact avecles autres et s’inscrit dans la non-directivité et le jeu desassociations libres.

La posture du thérapeute montre qu’il fait preuve d’unecapacité d’accueil et de « contenance » de la parole de Bap-tiste, notamment lors de la dernière séance durant laquelleune forte intensité émotionnelle est à l’œuvre (travail del’angoisse). À partir de cette posture, une relation deconfiance s’est établie au fil des rencontres permettant defaciliter l’accès à la parole de Baptiste.

Les quelques interprétations formulées par le thérapeutese réfèrent plus à des aspects de la vie en particulier qu’à despersonnes réelles.

Extrait d’entretien :Baptiste : «… je me fais des films, je me revois partir à la

chasse avec mon père d’ailleurs et puis je me trace une vie

de famille, c’est fou ça, je me dis si j’avais su, j’aurai fait ça,ça, enfin c’est complètement malade. Pourquoi ?… Après jeme vois aussi dans le football, ce que j’ai raté, tout ce que jen’ai pas pu. C’est fou ça enfin on verra bien... ».

Thérapeute : « Vous me parlez de votre père, de tout ceque vous auriez pu vivre différemment, on parle bien deslimites, d’ailleurs lorsque vous évoquez la médecine, elleaussi donne des repères et quand elle n’a pas encore parlé,vous éprouvez ce sentiment d’être perdu… ».

Baptiste : « Ah oui, c’est une expérience que j’ai faite enoctobre, j’étais assommé, je me suis raccroché aux signes dela vie... Je ne crois pas au bon Dieu, mon père disait, je necrois pas au bon Dieu mais je sais qu’il y a quelque chose,c’était un truc comme ça, et pour moi c’est pareil, le destin,j’y crois vachement…Avec cette maladie, la boucle n’est pastout à fait bouclée… ».

Concernant l’interaction Baptiste–thérapeute(items : 11, 16, 23, 69)

Baptiste se saisit de cette coconstruction du cadre et de larelation thérapeutique pour y déposer ses projections, yexprimer ses affects en cherchant puis trouvant ses mots.Son discours reste d’abord centré sur des thèmes spécifiquesen lien avec la maladie, ses effets et les traitements tout aulong de la psychothérapie pour parvenir à aborder d’autresdimensions. Baptiste passe du temps à répéter voire ruminerla réalité de la maladie, il déploie une énergie psychiqueconsidérable dans ce travail de réinvestissement par unemise en pensée. Celle-ci se soutient notamment par l’émer-gence d’un appel à la spiritualité.

Nous avons également coté comme significatif le fait queBaptiste reste très discret sur les questions relatives à lasexualité comme si quelque chose de cet ordre se jouait sansqu’il puisse l’évoquer notamment dans son élaborationautour de la mort.

Ce qui apparaît comme résultats saillants(–4 ; –3 ; +3 ; +4) et qui ont évoluéau cours de la thérapie

Concernant Baptiste (items : 4, 32, 34, 58, 84, 91, 97)

Ces items permettent l’exploration d’autres dimensions indi-quant les processus de changement à l’œuvre dans la psy-chothérapie. En effet, Baptiste s’inscrit dans un travail dementalisation de sa pathologie et ses traitements, jusqu’às’en dessaisir lorsque son corps se dégrade dans un tempsqui le pousse à se penser, plus seulement en rapport à lamaladie, mais en y intégrant une nouvelle prise de cons-cience de ce qu’il est amené à vivre.

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L’examen de ses pensées, de ses réactions et émotionscentrées sur sa maladie laisse place à la recherche d’unespace psychique dans lequel il peut continuer d’exister parses propres mots. Ce processus de changement a pu s’effec-tuer par une réappropriation subjective d’éléments de sonenfance, mis en relation avec sa situation actuelle.

La dimension qui porte sur les projets de vie évoqués enséance évolue fortement, ce qui montre la capacité de Bap-tiste à se projeter. Elle indique une mobilité subjective de sapensée et la possibilité d’utiliser des ressources comme larêverie. Il ne s’inscrit plus uniquement dans l’ici et mainte-nant sollicité par la maladie. Cette dimension est confirméedans la cotation de l’ESM à T+6 mois concernant les sourcesd’intérêt.

Au cours du suivi, Baptiste devient autonome dans sonrapport à la maladie parce qu’il parvient à reconstruire lesévénements somatiques dans un espace psychique où repro-ches et culpabilité semblent moins prégnants. Ce n’est plusça le problème. Alors que Baptiste mobilisait ses ressourcespour se réajuster en permanence à l’évolution de sa patho-logie somatique, il s’en remet au cours des séances auxautres, à Dieu, à un ailleurs possible dans un travail d’intros-pection. En fin de thérapie, l’expression des sentimentscomme la colère et l’agressivité a quasiment disparu.

Extrait d’entretien :Baptiste : « … j’avais besoin de personne, je suis un

grand solitaire, c’est pour ça que je partais tout le tempsen déplacement. Et puis la maladie, elle vous remet sur ledroit chemin, mais bon ça j’en ai pris conscience, c’est pourça que je parle, que je m’exprime… ».

« Ah oui, j’ai trop peur, ça me fait peur pourtant je me disla mort c’est quoi, c’est rien, on ferme les yeux et voilà,après c’est fini, terminé. Ce qui me fait peur, c’est l’avant,quand on sait que vous allez partir, quitter le monde mêmes’il est pourri… ».

Thérapeute : La mort comme un sommeil sanscauchemar !

Baptiste : « …vous ne savez pas entre le moment où vousêtes endormi et quand vous vous réveillez, ce qui c’est passé.La mort c’est ça, après c’est fini et après tu revis… ce quim’emmerde c’est de tout refaire, la naissance, les dents,l’école… on ne peut pas avoir qu’une vie… ».

Concernant le thérapeute : (items : 3, 22, 31, 36, 43)

La posture du thérapeute évolue selon les séances, iln’hésitera pas à faciliter la parole par ses remarques ou endemandant plus d’informations, d’élaboration surtout lorsde l’évaluation à T+1 an. Le thérapeute ne pousse pas Bap-tiste à travailler son sentiment de culpabilité, il ne pointepas non plus ses mécanismes de défense. En effet, inter-préter les défenses de Baptiste contribuerait à démantelerses protections. Il s’agit plutôt de s’en servir pour compren-

dre son fonctionnement psychologique et respecter sontemps psychique afin de lui permettre de mobiliser sesressources. Repérer ses défenses permet au thérapeute des’ajuster, de se positionner là où Baptiste l’attend dans letransfert.

Durant les séances où Baptiste tente de mettre du sens surl’événement somatique (cancer) et sur les conflits familiaux,le thérapeute ne fait pas de commentaire sur la signification ducomportement des autres (épouse, fille, fratrie…). Cependantà partir du moment où Baptiste s’engage dans un travail d’éla-boration sur la question de la mort, du passage et de l’après, ilfait appel à un autre qui se tient en lieu et place du thérapeute.Ainsi, le thérapeute s’autorise à proposer au moment qu’iljuge opportun, une relecture de ce qu’énonce Baptiste, endélivrant une parole qui puisse faire écho et sens.

Extrait d’entretien :Baptiste : « … À chacun ses croyances, il faut croire en

quoi ? Je ne sais plus quoi penser. Jusqu’à maintenant je necroyais en rien mais maintenant je n’en sais rien. Commedisait mon père je sais qu’il y a quelque chose mais je ne saispas quoi. Donc qu’il se manifeste et puis on verra et ondiscutera avec lui… »

Thérapeute : « Ça me rappelle une émission radiod’Umberto Eco, quand le journaliste l’interroge sur sa spi-ritualité, il répond avec une certaine pudeur, « Vous voulezme questionner sur mon rapport à Dieu, ne vous inquiétezpas, quand je le verrai, lui et moi on s’arrangera ensemblecar nous avons lu le même livre… » ».

Baptiste : « Oui, moi je crois qu’il faut croire en quelquechose, il faut se raccrocher à quelque chose mais bon… Mafemme m’a dit il y a un maître qui te protège, elle prie pourmoi tous les soirs. Elle est allée en Inde et m’a ramené pleinde bouddhas, elle met des bougies, des cierges. Bon, elle estdans la foi, elle croit à tout ça, ça ne fait pas de mal de croireen des choses, ça peut servir. ».

Thérapeute : « Et vous, vous priez ? »Baptiste : Non, moi je ne prie pas, je ne sais pas faire,

pourtant tous les soirs elle me dit fait ça, fait ce que je te dis,elle, elle le fait pour moi.

Thérapeute : « Vous ne l’avez jamais fait ? »Baptiste : « Non, même le signe de croix je ne le fais pas,

je crois trop au destin, l’esprit va ailleurs, le corps il est mortet ça ne changera pas… une fois qu’on ferme les yeux, onferme les yeux mais l’esprit revient et on repart à zéro. Ça j’ycrois très fort, ça j’en reste persuadé ».

Concernant l’interaction Baptiste–thérapeute(items : 35, 63, 64, 92)

L’amour et les relations sentimentales sont devenus un sujetde discussion lors de l’évaluation à T+1 an, moment pendantlequel Baptiste a exprimé la qualité du lien à l’autre (sonépouse, sa fille). Tout ce qui peut constituer le travail

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d’accompagnement, la présence, la caresse, le regard, lesparoles permettent de réinscrire le patient dans le mondeafin qu’il soit reconnu et porté par l’autre, pour continuerd’exister.

L’image de soi est une dimension mise en discussion sur-tout lors de l’évaluation à T+6 mois, moment pendant lequelBaptiste présente une appétence relationnelle et une capaciténouvelle de se projeter. À T+1 an, l’image de soi n’est plus surle devant de la scène. De même, les relations interpersonnellesqui ont évolué au cours de la thérapie montrent le travail deBaptiste sur ses capacités d’investissement et de lien à l’autre.D’abord centré sur la résolution de problème lié à sa maladiecomme thème central des entretiens, suit une préoccupationmajeure de la relation à l’autre. Cette dimension est égalementconfirmée dans l’ESM (50/65/75/70) par la qualité de ses rela-tions interpersonnelles (chaleur, intimité et authenticité).

Lors de l’évaluation à T+6 mois, se développe une quêtede sens existentiel grâce à des liens réalisés entre son expé-rience émotionnelle et événementielle actuelle avec celle dupassé. Baptiste ne cherche pas des théories étiologiques desa maladie mais vit un retour aux sources, un retour sur leslieux de son enfance.

Extrait d’entretien :

Baptiste : «…je veux repartir chez moi là où je suis né, onpart tous mais un jour ou l’autre, on revient au point dedépart…, À la maison, il y a les chiens à s’occuper, les tor-tues, il n’y a que moi qui suis au milieu, qui fais tâche avec macon de maladie ».

Thérapeute : « Cette con de maladie vous a tous réunidans le même lieu ».

Baptiste : « Ça nous a rapproché mais c’est pas pour çaqu’on va recommencer, on est tous ensemble tous les trois…,Je ne me laisse pas faire, je réponds beaucoup plus facile-ment et beaucoup plus durement qu’avant. C’est comme çaque je vais faire dans la prochaine vie, je ne me laisseraiplus marcher sur les pieds… c’est vrai qu’avec ce cancer,j’ai frôlé la mort, j’ai vu le sapin à côté et après vous voyezles choses autrement, j’ai un autre discours, un langage… ».

Ce qui n’apparaît pas comme résultatssaillants (–1 ; 0 ; +1) :

Concernant Baptiste (items : 8, 10, 20, 49, 71)

La dépendance à l’égard du thérapeute ne semble pas signi-ficative au cours de la thérapie, Baptiste ne cherche pas uneplus grande intimité ni ne teste les limites de la relation avecle thérapeute par des provocations. Les sentiments ambiva-lents ou conflictuels envers lui ne sont pas saillants. D’ail-leurs, l’item 71 qui porte sur l’autoaccusation, la honte et laculpabilité n’étant pas significatif, cela explique que le thé-

rapeute ne met pas Baptiste sur la piste du sentiment deculpabilité correspondant à l’item 22.

Concernant le thérapeute(items : 17, 21, 28, 47, 48, 65, 80)

L’encouragement, la reformulation, la révélation d’informa-tions personnelles au thérapeute n’ont pas été cotés commesignificatifs ou pertinents par le groupe de pairs.

Les items qui portent sur le contrôle exercé par le théra-peute sur l’interaction, sa perception du processus thérapeu-tique, son adaptation pour améliorer la relation, sa capacité àprésenter une expérience dans une perspective différente, neconstituent pas un aspect essentiel de l’activité du thérapeutedurant les séances.

Concernant l’interaction Baptiste–thérapeute(items : 12, 19, 30, 68,74, 90, 98)

La discussion autour de thèmes cognitifs, la place des silen-ces, l’humour, la nature de la relation thérapeutique commethème central d’échange dans sa qualité érotique n’apparais-sent pas significatifs. Baptiste, par son engagement dansla thérapie, s’est saisi du cadre thérapeutique sans trop dedifficulté. Lors de l’interaction, il y a peu de distorsion dela réalité et d’hypothèses erronées, d’ailleurs Baptisten’apporte pas de rêve en séance avec leurs éléments brutset épars, son discours reste secondarisé. Pour cette raison,le groupe de pairs a coté comme non saillant cet item.

Discussion : mise à l’épreuve de la méthode

Cet article a proposé la description de l’évaluation de Baptisteà partir d’une méthodologie rendant compte des pratiques cli-niques des psychologues dans leur suivi psychothérapeutique.Cette méthodologie semble nous permettre de proposerune réponse à la question de l’évaluation de l’approchepsychodynamique.

Tout d’abord, la formation aux différents instrumentsd’évaluations est essentielle, pour comprendre leur construc-tion, ce qu’ils entendent mesurer et l’appréciation de leurutilisation pratique. Malgré cette formation, il n’en demeurepas moins qu’une des premières difficultés rencontrées est lacotation des données cliniques. Les psychologues sontencore trop peu habitués à hiérarchiser, à classer, à synthéti-ser les éléments cliniques. Le risque de réductionnisme, dequantification de la relation thérapeutique mettent à malla dimension intersubjective, socle de nos pratiques. Lacomplexité du travail empêche bien souvent d’adopter des« méthodes objectivables ». Pourtant, reconnaître la valeurde cette méthodologie permet d’entrevoir une lisibilitédes pratiques qui sous-tend une confrontation de termes àconsidérer avec courage. Cet exercice amène, au fil des

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rencontres, à mêler une approche globale du sujet en situa-tion sans pour autant négliger la part strictement subjectivequi ne peut se réduire à une formulation de cas ou de résul-tats aux échelles d’évaluations. C’est par la mise en communet la discussion en groupe de pairs que le travail cliniques’effectue et que la cotation est possible.

La constitution du groupe de pairs est primordiale, carc’est à partir du travail clinique effectué ensemble queles psychologues réussissent, à partir d’arguments issus del’entretien et des modèles théoriques, à retrouver dans lesoutils d’évaluation ce qui semble important dans le fonction-nement psychologique du patient. Les associations et limita-tions d’un membre ont facilité d’autres élaborations dugroupe de pairs, source de discussions visant à confronter,à élaborer, à analyser et à mettre en lumière des processusrestés étrangers jusqu’alors. Cette rencontre de pairs est lecroisement de pratiques, de sensibilités cliniques, de repéra-ges, qui participent au fondement même de l’évolution de laconnaissance.

Concernant le dispositif de recherche, nous avons fait lechoix d’utiliser l’enregistrement audio des entretiens, pourrecueillir le discours avec plus de précisions et de détails.Dans quelle mesure la présence du dictaphone retentit-ellelors de la séance du point de vue du malade, du thérapeute etde l’interaction ? Le psychologue ayant suivi Baptiste pro-pose plusieurs pistes de réflexion sur son éprouvé d’un teldispositif.

Tout d’abord, le clinicien doit repérer si les conditionscontextuelles et cliniques peuvent permettre d’utiliser le dic-taphone. En effet, l’état somatique et/ou psychologique dupatient apporte des données importantes à repérer dans uneunité de soin hospitalière. Un malade en situation de mortimminente ou en grande détresse comme motif d’appel, unecrise d’angoisse par exemple, sont autant de contexte incom-patible avec ce dispositif de recherche. D’ailleurs, l’entretieneffectué avec Baptiste quelques jours avant sa mort n’a pasété enregistré. Ce point est fondamental, les considérationséthiques et déontologiques qui guident nos pratiques garan-tissent le respect de l’intégrité du sujet. L’approche cliniquedu soutien prime bien sûr sur le dispositif de recherche.

Lors des premières utilisations du dictaphone, le psycho-logue a éprouvé un inconfort dans sa posture et ses interven-tions. D’ailleurs, le thérapeute est sûrement plus en difficultéque le patient, car c’est sa pratique clinique qui fera l’objetd’une évaluation dans sa relation au patient. Les scénariosfantasmatiques qui ont émergé chez le psychologue relèventdu jugement de l’autre, de ses pairs au risque que son identitésoit abîmée. Très vite, avec l’expérience de ce dispositif, laprésence du dictaphone a été moins présente pour le théra-peute et ses peurs se sont dissipées. La discussion en groupede pairs du cas peut réanimer ce sentiment d’être jugé, toutcomme la retranscription de l’entretien. Ainsi, la confianceavec les membres du groupe de pairs est essentielle pour que

la parole puisse circuler librement et l’analyse de chacunentendue par les autres. Si le groupe de pairs ne tisse pasdes liens de confiance et de non-jugement, il prend le risquede bloquer le travail en cours.

Après avoir appliqué ce dispositif pour le suivi de plu-sieurs patients, le thérapeute expliquait qu’il avait lâchéune certaine emprise narcissique de sa pratique comme pro-longement de lui-même. Lors de l’analyse en groupe depairs, il avait le sentiment de redécouvrir la séance commeétant extérieur à celle-ci, n’hésitant pas à apporter un regardcritique sur la situation tout en argumentant ses cotations. Cedispositif de recherche, par les questions qu’il soulève, necesse de mettre en travail le thérapeute et le groupe de pairsdans leur réflexion clinique.

Au regard des résultats obtenus, cette méthodologiesemble opérante comme objectivation du processus théra-peutique. Elle passe par la singularité du patient, la postureadoptée par le thérapeute et l’interaction de cette rencontreen séance. Nous ne prétendons pas à l’analyse (impossible)de chaque fait et geste, de chaque parole et éprouvé de l’en-tretien, tant de choses « échappent », « ça » nous dépasse sisouvent. Nous proposons une voie possible dans cet exercicecomplexe d’évaluation des pratiques psychologiques per-mettant d’objectiver et de quantifier des modalités du suivipsychothérapeutique des praticiens dans l’exercice de leurfonction.

Cette méthodologie pourrait être reprise à l’universitécomme grille de lecture possible, support pédagogique etbase de données contribuant à l’avancée de la connaissanceen psychologie. La formation dispensée par l’université surles tests projectifs, comme le Rorschach et le TAT par exem-ple, montre que les cliniciens ont accès dans leur cursus à lacotation, démarche qui tente l’objectivation diagnostique etthérapeutique des processus psychologiques. L’analyseintensive continue de cas répond précisément à cette exi-gence d’adaptation d’outils cliniques pour rendre comptede nos pratiques.

Conclusion

Ce type de recherche met en évidence différentes dimensionspsychologiques grâce à une approche intégrative réunissantdes observations qualitative, quantitative et statistique. Laréunion des domaines de la recherche et de la clinique per-met de répondre à cette exigence et préoccupation perma-nente, d’être au plus proche du vécu du sujet malade et deson élaboration psychique.

Ce travail permet d’argumenter les propositions de soutienou de psychothérapies d’inspiration analytique au sein desservices d’oncologie. En effet, l’approche psychodynamiqueoffre un espace psychique unique, par la mise en place ducadre psychothérapique, permettant au patient de déployer

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librement le travail de sa pensée. Ainsi, peut-on mieux cernerles contours de sa problématique et repérer ses perceptions,son récit et ainsi travailler sur son expérience et son devenir.

Cet axe de recherche (étude de cas singulier) offre auxcliniciens la possibilité d’aborder les paradigmes scientifiquespour lesquels la base du savoir est dominée par la valeurobjective comme critère de vérité, tout en défendant la dimen-sion subjective propre à chaque humain. Se risquer sur ceterrain de la preuve par la statistique, même pour une étudede cas singulier, implique, comme le dit Fischman, « la recon-naissance primordiale du savoir clinique, issue de la métho-dologie herméneutique et constructiviste, qui noue ses liensfondamentaux avec l’“a-scientificité” de l’humain. ». C’esten étant au cœur de la clinique des praticiens que l’on pourrase focaliser sur les processus de changements à l’œuvre dansle travail d’élaboration psychologique, sans jamais prétendreaboutir à une clinique standardisée.

Conflit d’intérêt : les auteurs déclarent ne pas avoir deconflit d’intérêt.

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