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EXERCER LE CONCOURS MÉDICAL en charge dépend totalement de l’enquête étiologique réalisée et ne peut être que personnalisée. Comment prendre en charge une insomnie ? Le diagnostic repose sur une démarche active de la part du mé- decin, notamment un interrogatoire précis et méticuleux. L’insomnie doit être considérée à part entière. L’approche est multicentrique : évaluation somatique, psychologique, environnementale. La caractériser et lʼévaluer Le type d’insomnie (troubles de l’endormissement, difficultés de main- tien de sommeil, éveils précoces), la présence ou l’absence d’événement ou de facteur déclenchant, la durée de l’insomnie (aiguë ou chronique), les conséquences diurnes (retentissement professionnel, social ou fa- milial), les traitements antérieurs ou actuels sont autant de paramètres importants à préciser durant l’entretien. Mais l’utilisation d’un agenda (ou calendrier) de sommeil est aussi indispensable. Une évaluation pré- cise de la plainte n’est possible qu’avec le recours combiné à ces deux outils diagnostiques (l’interrogatoire et l’agenda)[encadré 1]. Définir les conditions de sommeil Rythme de vie, environnement, activités diurnes et vespérales, ha- bitudes de vie… permettent de comprendre l’interaction entre som- meil et facteurs extérieurs (obligations sociales et professionnelles), no- tamment en différenciant périodes de travail, périodes de week-end ou repos et périodes de vacances. Déterminer lʼétiologie Il faut rechercher : – une cause psychogène : elles sont de loin les plus fréquentes, que ce soit les troubles dépressifs, les troubles de l’humeur, les troubles anxieux (trouble anxieux généralisé, troubles obsessionnels compul- sifs, troubles phobiques). Certaines échelles d’anxiété ou de dépression peuvent aider au diagnostic. Il ne faut pas hésiter, surtout en cas de doute, à solliciter un avis spécialisé avant même d’avoir recours à un centre de sommeil ; Isabelle Poirot, praticien hospitalier, unité de sommeil, pôle psychiatrique, CHRU, Lille Lʼévaluation de la plainte insomniaque nʼest possible quʼaprès un interrogatoire minutieux couplé à un agenda de sommeil. Le bilan étiologique recherche une cause psychogène, organique, iatrogène ou une pathologie spécifique des troubles du sommeil. Le diagnostic est avant tout clinique ; le recours à la polysomnographie ou à lʼactimétrie est du ressort du spécialiste des troubles du sommeil. La prise en charge de lʼinsomnie est déterminée par lʼenquête étiologique L’ insomnie est une plainte subjective de mauvais sommeil : trou- bles de l’endormissement, difficultés de maintien de sommeil, éveils trop précoces…, plaintes nocturnes ayant des consé- quences diurnes souvent non négligeables telles qu’irritabilité, trou- bles de concentration, troubles attentionnels. Si la plainte est fréquente, l’insomnie pose deux problèmes : son hétérogénéité, qui concerne la sémiologie, l’histoire de la patholo- gie et les différentes étiologies possibles ; et la façon d’aborder cette plainte. Une consultation dédiée au trouble est indispensable. La prise 284 TOME 132 [ N° 07 ] 12-16 AVRIL 2010 Éléments à rechercher sur lʼagenda du sommeil à remplir au moins pendant deux semaines La régularité des heures de coucher et de lever Le temps passé au lit Le temps du sommeil nocturne Lʼefficacité du sommeil (calculé par le temps du sommeil/temps passé au lit) : normal > 85 % La présence des siestes et de somnolence diurne Lʼutilisation des hypnotiques et des activités susceptibles de modifier le sommeil

EXERCER LE CONCOURS MÉDICAL - reseau …reseau-morphee.fr/wp-content/uploads/2010/04/0284_Exercer-7.pdf · decin, notamment un interrogatoire précis et méticuleux. L’insomnie

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EXERCER LE CONCOURS MÉDICAL

en charge dépend totalement de l’enquête étiologique réalisée et nepeut être que personnalisée.

Comment prendre en charge une insomnie ?Le diagnostic repose sur une démarche active de la part du mé-

decin, notamment un interrogatoire précis et méticuleux. L’insomniedoit être considérée à part entière. L’approche est multicentrique :évaluation somatique, psychologique, environnementale.

La caractériser et lʼévaluerLe type d’insomnie (troubles de l’endormissement, difficultés de main-

tien de sommeil, éveils précoces), la présence ou l’absence d’événementou de facteur déclenchant, la durée de l’insomnie (aiguë ou chronique),les conséquences diurnes (retentissement professionnel, social ou fa-milial), les traitements antérieurs ou actuels sont autant de paramètresimportants à préciser durant l’entretien. Mais l’utilisation d’un agenda(ou calendrier) de sommeil est aussi indispensable. Une évaluation pré-cise de la plainte n’est possible qu’avec le recours combiné à ces deuxoutils diagnostiques (l’interrogatoire et l’agenda)[encadré 1].

Définir les conditions de sommeilRythme de vie, environnement, activités diurnes et vespérales, ha-

bitudes de vie… permettent de comprendre l’interaction entre som-meil et facteurs extérieurs (obligations sociales et professionnelles), no-tamment en différenciant périodes de travail, périodes de week-end ourepos et périodes de vacances.

Déterminer lʼétiologie Il faut rechercher :

– une cause psychogène : elles sont de loin les plus fréquentes, que cesoit les troubles dépressifs, les troubles de l’humeur, les troublesanxieux (trouble anxieux généralisé, troubles obsessionnels compul-sifs, troubles phobiques). Certaines échelles d’anxiété ou de dépressionpeuvent aider au diagnostic. Il ne faut pas hésiter, surtout en cas de doute,à solliciter un avis spécialisé avant même d’avoir recours à un centrede sommeil ;

Isabelle Poirot, praticien hospitalier, unité de sommeil,pôle psychiatrique, CHRU, Lille

Lʼévaluation de la plainte insomniaque nʼest possible quʼaprès un interrogatoire minutieux couplé à un agenda de sommeil. Le bilanétiologique recherche une cause psychogène, organique, iatrogène ou une pathologie spécifique des troubles du sommeil. Le diagnostic est avant tout clinique ; le recours à la polysomnographie ou à lʼactimétrie est du ressort du spécialiste des troubles du sommeil.

La prise en charge de lʼinsomnie est déterminée par lʼenquête étiologique

L’insomnie est une plainte subjective de mauvais sommeil : trou-bles de l’endormissement, difficultés de maintien de sommeil,éveils trop précoces…, plaintes nocturnes ayant des consé-

quences diurnes souvent non négligeables telles qu’irritabilité, trou-bles de concentration, troubles attentionnels.

Si la plainte est fréquente, l’insomnie pose deux problèmes : sonhétérogénéité, qui concerne la sémiologie, l’histoire de la patholo-gie et les différentes étiologies possibles ; et la façon d’aborder cetteplainte. Une consultation dédiée au trouble est indispensable. La prise

284 TOME 132 [ N°07 ] 12-16 AVRIL 2010

Éléments à rechercher sur lʼagenda du sommeil à remplir au moins pendant deux semaines

➜ La régularité des heures de coucher et de lever➜ Le temps passé au lit➜ Le temps du sommeil nocturne➜ Lʼefficacité du sommeil (calculé par le temps

du sommeil/temps passé au lit) : normal > 85 %➜ La présence des siestes et de somnolence diurne➜ Lʼutilisation des hypnotiques et des activités

susceptibles de modifier le sommeil

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TOME 132 [ N°07 ] 12-16 AVRIL 2010 285

– une cause organique : nombreuses sont les pathologies somatiques(neurologiques, rhumatologiques, cardiovasculaires, endocri-niennes, néphrologiques, gastro-intestinales…) responsables d’in-somnie par leurs conséquences directes, leurs traitements, ou leurretentissement psychologique. Leur traitement, ou du moins leurcontrôle, peut en limiter l’impact sur la qualité du sommeil ;– une cause iatrogène ou toxique : psychostimulants, psychotropes,neurotropes (antiparkinsoniens, antiépileptiques…), cardiotropes,pneumotropes, hormonothérapie, anti-inflammatoires, sels d’or…Mais aussi tabac, alcool, cannabis… ;– une pathologie spécifique du sommeil : les troubles respiratoiresnocturnes comme le syndrome d’apnées du sommeil ou syndromede résistance des voies aériennes supérieures, les troubles neu-rologiques du sommeil comme le syndrome des jambes sans re-pos ou le syndrome des mouvements périodiques du sommeil sontparfois révélés par la plainte d’insomnie qui en est l’élément ma-jeur. Leur recherche systématique est de mise et doit être évoquéesi la prise en charge spécifique de l’insomnie n’a pas le résultatattendu ;– des croyances, représentations ou pensées dysfonctionnellespouvant entraîner des conditionnements mentaux défavorables ausommeil (par ex : lien entre la volonté de dormir « il faut que jedorme » et la certitude de l’échec).

Le bilan étiologique, avec l’aide de l’agenda de sommeil, permetalors une orientation diagnostique spécifique (encadré 2). Cette dé-marche active sera reconduite tout au long de la prise en charge, ettoute évolution inattendue ou insatisfaisante devra systématique-ment faire reconsidérer le diagnostic.

LE CONCOURS MÉDICAL

1. Critères diagnostiques de lʼinsomnie

Le patient rapporte une ou plusieurs des plaintes suivantes :• difficultés à sʼendormir ;• difficultés à rester endormi ;• réveil trop précoce ;• sommeil durablement non réparateur ou de mauvaise qualité.Les difficultés ci-dessus surviennent en dépit dʼopportunités et de circonstances adéquates pour dormir.Au moins un des symptômes diurnes suivants relatifs au sommeil nocturne est rapporté par le patient :• fatigue, méforme ;• baisse dʼattention, de concentration, de mémoire ;• dysfonctionnement social, professionnel ou mauvaise

performance scolaire ;• instabilité dʼhumeur, irritabilité ;• somnolence diurne excessive ;• baisse de motivation, dʼénergie ou dʼinitiative ;• tendance aux erreurs, accidents du travail ou lors

de la conduite automobile ;• maux de tête, tension mentale et/ou symptômes intestinaux

en réponse au manque de sommeil ;• préoccupations excessives par rapport au sommeil.

Arbre décisionnel

D’après les recommandations HAS. Prise en charge du patient adulte se plaignant d'insomnie en médecine générale. Déc 2006.

Plainte dʼinsomnie

Facteur physique empêchant le sommeil(bruit, lumière, température)

Modifications des repères chronologiques(horaires de sommeil, siestes, travailposté, jet lag, activité insuffisante)

Événements responsables dʼhyperéveil(stress, hyperactivité, soucis...)

Cause iatrogène ou substancesdéfavorables au sommeil

Affection médicale

Troubles psychiatriques

Suspicion dʼun trouble spécifique du sommeil (troubles respiratoires nocturnes,syndrome des jambes sans repos,syndrome des mouvements périodiques du sommeil)

Pensées et attitudes dysfonction-nelles par rapport au sommeil,efforts excessifs pour dormir,tension, ruminations

Insomnie médicamenteuseSevrage progressif ou modification thérapeutiqueArrêt des toxiques

Insomnie secondaire à un trouble somatique Traitement de la cause et hypnotique possible

Insomnie secondaire à un trouble spécifique du sommeil Adresser le patient à un centrede sommeil

Insomnie psycho-physiologique Thérapie cognitivo-comportementale ± hypnotique transitoire (avis spécialisé en TCC)

Insomnie liée à une affectionpsychiatrique Traiter la cause, avis psychiatrique possible ± hypnotique de courte duréeThérapie cognitivo-comportementale possible si insomnie persistante

Cause environnementaleÉliminer le facteur environnemental, règles dʼhygiène veille-sommeil ± hypnotique pour une duréebrève

Troubles du rythme circadienPrise en charge spécifique

Insomnie dʼajustementRégulation de lʼhygiène de sommeil et ± hypnotique ou anxiolytique de courte durée

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286 TOME 132 [ N°07 ] 12-16 AVRIL 2010

Quand sʼinquiéter ?

Les éléments cliniques permettant de déterminer les critères degravité de l’insomnie restent subjectifs. Cependant, la fréquence destroubles et l’amplitude des conséquences diurnes sont très certai-nement les principaux critères de gravité (tableau).

Les insomnies rebelles, avec ou sans escalade thérapeutique, lesinsomnies inexpliquées, atypiques, évoquant une situation com-plexe doivent alerter.

Quand avoir recours à un spécialiste du sommeil ? Devant une situation complexe ou rebelle à une prise en charge

classique, ou lorsque l’on suspecte des troubles organiques du som-

meil, il est nécessaire d’avoir recours à un avis spécialisé. Si le diag-nostic d’insomnie est avant tout clinique, le recours à certains exa-mens paracliniques est parfois nécessaire, examens dont le choixrelève du spécialiste des troubles du sommeil consulté.

La polysomnographie n’est indiquée qu’en cas de suspicion detrouble organique du sommeil (syndrome d’apnées du sommeil,syndrome de hautes résistances des voies aériennes supérieures, syn-drome des mouvements périodiques du sommeil), de troubles ducomportement pendant le sommeil (rythmies du sommeil, som-nambulisme, troubles du comportement en sommeil paradoxal…),de troubles du rythme circadien, dans le cadre du bilan d’une som-nolence diurne excessive mais également lorsque l’on suspecte unemauvaise impression subjective du sommeil, ou en cas de traite-ment bien conduit mais inefficace.

L’actimétrie (accéléromètre, détecteur de mouvements, que le pa-tient doit porter pendant plusieurs jours), associée à un agenda desommeil, permet de comprendre les rythmes d’activité et de repos,et reflète ainsi le rythme veille-sommeil et l’hygiène de sommeil.Elle est surtout utile lorsque le patient a un travail à horaires décalés ou lorsque l’entretien n’est pas informatif. Elle n’est pas nécessaire en première intention et ne permet en aucun cas de fairele diagnostic de troubles respiratoires nocturnes ni de mouvementspériodiques du sommeil.

Insomnie dʼajustement ou insomnie chronique ?En cas d’insomnie d’ajustement ou d’insomnie récente, il suf-

fit souvent de passer un cap. Ce type d’insomnie est le plus sou-vent lié à une situation nouvelle, stressante, un conflit, un abus pas-sager de psychostimulants ou au début d’une décompensation so-matique. La prise en charge repose sur l’analyse du contexte, la dé-dramatisation du trouble, le soutien psychologique. Le traitementde la cause de l’insomnie et la régulation de l’hygiène veille-sommeil sont dès ce stade indispensables, associés parfois à un trai-tement hypnotique, donné si besoin ou pour une durée prédéter-minée, et en tout cas limitée. Cette prise en charge nécessite au moinsune première consultation dédiée à l’insomnie, et une secondeconsultation d’évaluation de l’évolution du trouble.

En cas d’insomnie chronique, l’efficacité des traitements hyp-notiques à long terme n’a pas été démontrée ; en revanche, ac-coutumance et dépendance sont plus que probables, ce d’autant plusque les hypnotiques sont des facteurs d’entretien de l’insomnie. Lesevrage progressif des hypnotiques doit être envisagé, mais nécessitele plus souvent une prise en charge spécifique de l’insomnie. Si laprise en charge d’une insomnie avec comorbidités repose sur le trai-tement des troubles associés, il n’est pas rare que, tout comme pourune insomnie sans comorbidité, elle nécessite une thérapie com-portementale ou cognitivo-comportementale, selon un suivi pro-grammé et personnalisé. L’intervention d’un professionnel entraînéest alors indispensable.

L’organisation des soins est régionale, mais les unités de sommeilou réseaux régionaux sont référencés. 415220 ■

Pour en savoir plusICSD 2, classification internationale des troubles du sommeil, révisée en 2004.

LE CONCOURS MÉDICAL

La prise en charge de lʼinsomnie est déterminée par lʼenquête étiologique

TABLEAU Critères de sévérité de lʼinsomnie

Sévérité Fréquence/ Retentissementde lʼinsomnie semaine diurne

Légère 1 nuit Faible retentissement

Modérée 2 ou 3 nuits Fatigue, état maussade, tension, irritabilité

Sévère 4 nuits ou plus Fatigue, état maussade, tension, irritabilité, hypersensibilité diffuse, troubles de la concentration, performances psychomotrices altérées

2. Orientation diagnostique

Insomnie dʼajustement : occasionnelle et transitoire, durantmoins de trois mois, liée à un événement ou un stress (insomnie aiguë).Insomnie chronique sans comorbidité (anciennement insomnie primaire) :• psychophysiologique : existence dʼun conditionnement

mental empêchant le sommeil, en dehors de toute autre cause ;• paradoxale ou mauvaise perception du sommeil : la plainte

dʼinsomnie nʼest pas corrélée aux résultats dʼenregistrementde sommeil, qui sont normaux ;

• idiopathique : début dans lʼenfance.Insomnie chronique avec comorbidités (anciennement insomnie secondaire) :• liée à une pathologie mentale ;• liée à une pathologie physique.Insomnie liée à un médicament ou une substance perturbantle sommeil.

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TOME 132 [ N°07 ] 12-16 AVRIL 2010 287

La plainte de sommeil est souvent évoquée par les patients en finde consultation en vue d’une prescription « expresse ». Mais cetteréponse mérite d’être retardée pour être intégrée dans une vé-

ritable démarche diagnostique. Il faut expliquer au patient que sonsommeil est important et qu’il est nécessaire de comprendre ce quise passe. Dans ce but, il faut lui remettre un autoquestionnaire, éven-tuellement associé à un agenda du sommeil, et lui proposer un ren-dez-vous quinze jours après (où il ramènera ces documents remplis).

Un autoquestionnaireLe questionnaire du Réseau Morphée* permet de caractériser l’in-

somnie suivant son mode de survenue, son ancienneté et sa sévé-rité. L’intensité du trouble, la qualité de l’éveil et la somnolence sub-jective sont cotées par des échelles visuelles analogiques. Le scored’Epworth permet de déterminer la propension du patient à s’en-dormir dans différentes situations courantes (tableau p. 288) : la som-nolence est significative au-delà de 10, sévère au-delà de 15.

Les signes organiques associés : ronflement, pauses respiratoires,nycturie, troubles de la libido, impatiences, sommeil agité… permettentd’orienter vers d’autres pathologies du sommeil, dont le diagnosticmérite une exploration complémentaire.

Les comorbidités psychiatriques souvent associées sont dépistées parles échelles de Pichot** et Goldberg***, qui suggèrent respectivement unsyndrome dépressif au-delà de 7/13 et un terrain anxieux au-delà de 3/7.

Les réponses du patient permettent d’élaborer une hypothèse diag-nostique qui détermine la conduite à tenir. En cas de suspicion dedépression au questionnaire, l’entretien clinique permettra d’en af-firmer la réalité avant la mise en place d’un traitement.

Proposer un agenda de sommeilDans tous les cas, un agenda du sommeil* doit être proposé à la fin

de cette première consultation, s’il n’a pas déjà été remis au patient. Ilest souhaitable de montrer au patient comment le remplir sur la nuitprécédant la consultation. Ainsi sont notés devant le patient les événe-ments de la nuit (heure de coucher, période de sommeil, notion de ré-veils nocturnes, heure de lever, qualité du sommeil, qualité du réveil, formedans la journée, horaires des siestes éventuelles et traitements pris…).

Cet outil apparemment simple, véritable photographie du sommeildu patient, s’avère le plus souvent un médiateur important de la rela-tion du patient à son médecin, et le témoin de l’évolution de ses nuits.C’est un élément de référence et un outil diagnostique, qui quantifiele sommeil et en apprécie sa qualité. Il permet d’encourager les patientsen repérant les progrès à la suite de la mise en place de recommanda-tions précises ou lors d’un sevrage en hypnotiques.

Lʼactimétrie : un enregistrement des mouvementspendant huit jours

Quand les patients ont des difficultés à remplir un agenda, ouquand la fiabilité des résultats est incertaine, ou encore quand onsuspecte un trouble circadien, l’actimétrie (voir aussi p. ci-contre)est une alternative possible. L’actimètre, petit appareil de la taille d’unemontre, contient une cellule piézo-électrique détectant les accélé-rations des mouvements. Les données recueillies correspondent aunombre de mouvements par minute, qui traduisent l’alternance ac-tivité-repos, dont on peut déduire le rythme veille-sommeil du pa-tient. Huit jours d’enregistrement sont nécessaires au minimum.

Autres examens en cas de pathologie spécifique du sommeil

En cas de suspicion de syndrome d’apnées du sommeil ou de mou-vements périodiques nocturnes, des examens complémentaires sontnécessaires :

LE CONCOURS MÉDICAL

Claire Colas des Francs médecin coordonnateur Réseau Morphée

Autoquestionnaire et agenda de sommeil sont essentiels pour aider le praticien à caractériser une insomnie. Dʼautres examens plusspécialisés permettent dʼexplorer les troubles spécifiques du sommeil.

Avec quels outils évaluer les troubles ?

Lʼéchelle de Pichot (abrégée) : dépressionDans les questions suivantes, cochez les cases qui vous correspondent. Faux Vrai● En ce moment, ma vie me semble vide 0 0● Jʼai du mal à me débarrasser des mauvaises pensées

qui me passent par la tête 0 0● Je suis sans énergie 0 0● Je me sens bloqué(e) ou empêché(e) devant

la moindre chose à faire 0 0● Je suis déçu(e) et dégoûté(e) par moi-même 0 0● Je suis obligé(e) de me forcer pour faire quoi que ce soit 0 0● Jʼai du mal à faire les choses que jʼavais lʼhabitude

de faire 0 0● En ce moment je suis triste● Jʼai lʼesprit moins clair que dʼhabitude 0 0● Jʼaime moins quʼavant faire les choses qui me plaisent

et mʼintéressent 0 0● Je suis incapable de me décider aussi facilement

que de coutume 0 0● Jʼai le cafard 0 0● En ce moment, je me sens moins heureux(se)

que la plupart des gens 0 0Cette échelle est utilisée pour dépister une dépression. Score > 7 réponses « vrai » est en faveur dʼune dépression.Nʼélimine pas une dépression si score négatif. Les résultats ne permettent quʼune orientation à étayer par lʼentretien clinique.

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288 TOME 132 [ N°07 ] 12-16 AVRIL 2010

Le traitement de lʼinsomnie dépend de son caractèretransitoire ou chronique

L’insomnie est une source de souffrance pour les patients, qui sontsouvent très demandeurs d’un traitement immédiat.

L’approche thérapeutique diffère selon que l’insomnie est tran-sitoire ou chronique, bien qu’il faille privilégier une améliorationde l’hygiène du sommeil dans les deux cas. Pour les insomnies chro-niques, la recherche d’une cause sous-jacente et son traitement s’im-posent.

Les insomnies transitoires sont habituellement déclenchées parun événement particulier stressant ou liées aux conditions du som-meil (douleur, chaleur, bruit…). Une fois la période aiguë passée,

le patient retrouve son sommeil. Le traitement, outre celui de la causequand c’est possible, s’appuie à la fois sur une dédramatisation etune information sur le sommeil. Il est important de renforcer lessynchronisateurs du rythme veille-sommeil et de mettre en placeune bonne hygiène de sommeil. L’utilisation éventuelle de médi-caments sédatifs, de façon ponctuelle, est légitime.

Devant une insomnie chronique, il faut toujours évoquer un syn-drome anxiodépressif et rechercher une comorbidité qui nécessiteun traitement particulier. La suspicion d’apnées du sommeil ou demouvements périodiques des jambes la nuit, ainsi que l’existenced’un retentissement diurne important non expliqué par une autrecause connue, doit motiver une exploration du sommeil par poly-graphie ventilatoire ou polysomnographie.

LE CONCOURS MÉDICAL

Sarah Hartley*, Sylvie Royant-Parola**, * médecin généraliste, coordonnateurdu Réseau Morphée, hôpital Raymond-Poincaré, Garches ; ** psychiatre, présidente du Réseau Morphée

Bien que répétés, ces conseils sʼavèrent parfois insuffisants. Pour corrigerles comportements erronés, la méthode de restriction du temps passéau lit peut être utile. La prescription dʼun hypnotique, dont le choixdépend du type dʼinsomnie, doit être limitée dans le temps. Devant une insomnie chronique, il faut rechercher un syndrome anxiodépressifou une comorbidité.

Conseils pour une bonne hygiène de sommeil

la mesure du flux nasal, du ronflement, de la saturation en oxygène,et des mouvements thoraciques et abdominaux ; – la polysomnographie (PSG), pratiquée le plus souvent lors d’unehospitalisation en laboratoire de sommeil, permet l’exploration detroubles plus complexes, notamment les syndromes d’apnées as-sociés à des insomnies, les mouvements périodiques nocturnes, lesparasomnies atypiques ou les hypersomnies (en complétant la PSGpar des tests de sieste). En effet, cet examen précise l’architecturedu sommeil et donc sa qualité, via la mesure des stades de sommeildéterminés sur les voies électro-encéphalographiques, associées àun électro-oculogramme et à un électro-myogramme des musclesdu menton. Les mouvements de jambes sont également mesurésainsi que les paramètres respiratoires pour en faire l’examen diag-nostique le plus complet.

Au total, de nombreux outils existent pour approfondir les plaintesde sommeil de nos patients, afin de mieux cibler la réponse théra-peutique attendue. N’oublions pas cependant qu’un simple agendade sommeil peut rendre de grands services ! 415221 ■

* Le questionnaire de sommeil et l’agenda sont téléchargeables sur la page d’accueil du Réseau Morphéewww.reseau-morphee.fr.

** Pichot P, Boyer P, Pull CB, Rein W, Simon M, Thibault A. Le questionnaire QD2. La forme abrégéeQD2A. Rev Psychol Appl 1984;4:323-40.

*** Goldberg D, Bridges K, et al. Detecting anxiety and depression in general medical settings. Br Med J1988;297:897-9.

TABLEAU SCORE DʼEPWORTH : la somnolence est significative au-delà de 10, sévère au-delà de 15

Situation Chance de sʼendormir

Assis en train de lire 0 1 2 3

En train de regarder la télévision 0 1 2 3

Assis, inactif dans un lieu public (cinéma, théâtre, réunion) 0 1 2 3

Comme passager dʼune voiture (ou transport en commun) roulant sans arrêt pendant une heure 0 1 2 3

Allongé lʼaprès-midi lorsque les circonstances le permettant 0 1 2 3

Étant assis en parlant avec quelquʼun 0 1 2 3

Assis au calme après un déjeuner sans alcool 0 1 2 3

Dans une voiture immobilisée depuis quelques minutes 0 1 2 3

Utilisez lʼéchelle suivante en entourant le chiffre le plus approprié pour chaque situation :0 = aucune chance de somnoler ou de sʼendormir ; 1 = faible chance de sʼendormir ;2 = chance moyenne de sʼendormir ; 3 = forte chance de sʼendormir

– la polygraphie ventilatoire (PV), pratiquée par un pneumologueou un spécialiste du sommeil en ambulatoire, dans la mesure où lesommeil est continu, permet de déterminer un index d’apnées, via

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TOME 132 [ N°07 ] 12-16 AVRIL 2010 289

L’évaluation des habitudes de sommeil et des horaires sur unagenda est la première étape du traitement. Toute insomnie béné-ficie d’un suivi avec rappel des règles d’hygiène de sommeil. Les hyp-notiques ne sont indiqués que sur de courtes périodes ou en prisediscontinue. En revanche, les traitements non médicamenteux detype thérapie comportementale et cognitive (TCC) sont privilégiés.

Une bonne hygiène du sommeil Base de tout traitement, cette étape indispensable est souvent in-

suffisante, car elle doit être associée à un changement de compor-tement du patient par rapport à ses habitudes de sommeil. Face àl’insomnie et à son retentissement diurne, le patient se sent souventdémuni et développe des comportements néfastes pour son som-meil (prolonger le temps passé au lit, boire des boissons à la caféinepour lutter contre la fatigue). L’amélioration de l’hygiène du som-meil nécessite un changement profond du mode de vie, ce qui n’estpas facile, d’où l’importance de l’aide thérapeutique du médecin,qui encourage les patients à modifier leurs habitudes par sesconseils répétés (encadré 1).

Les hypnotiques : seulement en cures courtesLa prise chronique d’hypnotiques est fréquente en France, avec

une dépendance importante chez certains patients. Selon les étudesd’efficacité à long terme, les benzodiazépines sont responsables d’unedéstructuration du sommeil, avec réapparition des éveils et dimi-nution du sommeil lent profond. Les benzodiazépines et apparen-tés sont d’excellents produits, s’ils sont pris pendant une périodecourte ou de manière occasionnelle pour une insomnie d’endor-missement ou un trouble de continuité du sommeil dans la premièremoitié de la nuit (tableau).

Un choix conditionné par le type dʼinsomnie En cas d’insomnie de fin de nuit, il vaut mieux privilégier un pro-

duit à demi-vie plus longue ; dans ce cas cependant, les effets diurnesdes benzodiazépines sont souvent importants, d’où l’intérêt des an-tidépresseurs sédatifs à petite dose. Les benzodiazépines et apparentés,utilisés de façon ponctuelle, deux ou trois fois par semaine pour unecourte période, n’entraînent ni accoutumance ni dépendance.Trente pour cent des personnes âgées de 55 ans et plus ont une baissede la sécrétion de mélatonine ; la mélatonine à libération prolongée(2 mg prescrits deux heures avant le coucher pendant une périodede trois semaines), indiquée dans l’insomnie primaire (hors dépression,hors causes organiques) de la personne de plus de 55 ans, permetd’améliorer le sommeil et l’éveil matinal chez un tiers d’entre elles.Parmi d’autres produits souvent utilisés : les antihistaminiques et lesneuroleptiques, molécules à demi-vie longue, entraînent un reten-tissement diurne parfois très important ; les produits phytothéra-piques et homéopathiques, dont l’efficacité (à l’exception possiblede la valériane) n’a jamais été clairement démontrée.

Le sevrageAu cours de la prise en charge de l’insomniaque, le médecin est

souvent confronté à la nécessité d’un sevrage. Ce dernier n’est pos-sible que chez un patient motivé. Il est rare de réussir un sevrage dansdes conditions de vie difficiles, en période de stress professionnel, so-

LE CONCOURS MÉDICAL

➜ Créez un environnement calme et apaisant où il fait bon dormir :pièce aérée chaque jour, si possible bien isolée, calme, températureautour de 18-20°C, bonne literie...

➜ Évitez les excitants le soir : café, thé, vitamine C, sodas à la caféine,cigarettes...

➜ Maintenez des horaires de sommeil le plus régulier possible, en particulier pour le lever.

➜ Aménagez votre réveil pour être plus en forme : douche, petit déjeuner, lumière.

➜ Faites du sport le matin.➜ Évitez une sieste de plus de vingt minutes dans la journée.➜ Favorisez les activités de détente calme le soir.➜ Évitez le sport le soir et les stimulations auditives, visuelles

(luminosité, veilleuses) ou intellectuelles fortes, ainsi que lʼexpositionaux écrans dʼordinateur moins de deux heures avant le coucher.

➜ Évitez les repas trop copieux le soir et lʼabus dʼalcool au dîner.➜ Réservez le lit au sommeil et à lʼintimité.➜ Ne se coucher que pour dormir (pas de télévision, ni de téléphone,

ni dʼordinateur, ni de repas au lit).➜ Si vous êtes réveillé le matin, ne cherchez pas à prolonger votre

sommeil, levez-vous !

1. Conseils pour garder un bon sommeil

TABLEAU Traitements médicamenteux le plus souvent utilisés

Type dʼinsomnie Effet ciblé Exemples

Dʼendormissement Hypnotique à demi-vie Zolpidemtrès courte

De milieu de nuit Hypnotique à demi-vie Témazépam,courte ou antidépresseur Zopiclone

De fin de nuit Antidépresseur Amitryptiline 5-10 mg, à petite dose Miansérine 10-30 mg,

Doxépine 5-10 mg, Paroxétine 5 à 10 mg

cial ou familial, et chez des patients ayant des troubles psychologiques.Le sevrage doit être lent et progressif, avec un suivi de l’efficacité dusommeil sur l’agenda du sommeil. Il faut prévenir le patient qu’unedégradation de son sommeil à chaque diminution de dose est pos-sible mais passagère, et qu’il doit attendre la stabilisation de son som-meil avant d’encore diminuer les doses. Chez certains patients, il fautaccompagner le sevrage en hypnotiques par un soutien psychologique,avec l’aide d’une technique de relaxation et/ou l’utilisation d’un trai-tement antidépresseur sédatif à petite dose. Il arrive souvent qu’à lafin d’un sevrage bien mené les patients disent ne pas dormir plus maismieux, grâce à la récupération du sommeil lent profond.

Les thérapies comportementales et cognitives (TCC)Selon les référentiels nationaux et internationaux, les TCC sont

le traitement de première intention pour les insomnies primaires,dont l’insomnie psychophysiologique. À long terme, on observe un

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épuisement des effets des hypnotiques, tandis que la persistanced’une efficacité des TCC a été démontrée.

Le but d’une TCC est d’identifier et de corriger les comporte-ments et les cognitions erronées qui font perdurer l’insomnie (en-cadré 2). Malheureusement, peu de théra-peutes sont formés.

Les techniques comportementales les plusutilisées sont : – le contrôle du stimulus vise à rétablir le lienentre le lit et le sommeil, affaibli par les com-portements parasites que la personne met enplace au moment du coucher. Le thérapeutepropose au patient qu’il réserve le lit uniquement au sommeil età l’activité sexuelle, tout en l’encourageant à se lever dans la nuit

s’il est réveillé et à ne se recoucher qu’au moment où il commenceà somnoler ; – la restriction du temps passé au lit diminue le temps excessif quele patient passe au lit, augmente la pression du sommeil*, augmente

l’efficacité du sommeil et facilite l’endor-missement. Sa mise en place est à la portéede tout médecin : le message à délivrer aupatient est de ne rester au lit que le tempsqu’il pense dormir, sans descendre au-des-sous de cinq heures et demie. Une techniquesimple est de demander au patient de ne res-ter que six à sept heures dans son lit, en l’ai-

dant à choisir les horaires qui semblent les plus adaptés (couchertôt ou coucher tard) ; les premiers jours sont difficiles, en raisond’une fatigue dans la journée ; en revanche, au bout de deux à troissemaines, l’endormissement est plus rapide, les éveils sontmoins importants, et la personne retrouve confiance dans son som-meil. C’est le début d’un cercle vertueux vers l’amélioration dusommeil.

En conclusion, le traitement d’une insomnie dépend de son an-cienneté et de sa cause. Chez tout insomniaque, il faut assurer la miseen place d’une bonne hygiène du sommeil et réserver les hypnotiquespour les insomnies aiguës, en utilisation ponctuelle. 415096 ■

1. Brion A. Actualités dans le traitement médicamenteux de l’insomnie. Ann Med Psychol 2002;160:97-101.

2. Vallières A, Guay B, Morin C. L’ABC du traitement cognitivo-comportemental de l’insomnie primaire.Le Médecin du Québec 2004;39 (10).

* La pression du sommeil est le terme utilisé pour exprimer l’augmentation des substances hypnogènesqui s’accumulent pendant la période d’éveil et favorisent l’apparition du sommeil. Cette accumulationest perçue par un individu comme une somnolence croissante et se traduit par une diminution de lalatence d’endormissement.

Arnaud Metlaine, Centre du sommeil et de la vigilance,Hôtel-Dieu, Paris

La somnolence au travail, fruit dʼune insomnie elle-même favorisée parcertaines conditions de travail, ou dʼune pathologie comme le syndromedʼapnées du sommeil, majore le risque dʼaccidents et retentit surlʼadaptation au travail, avec un absentéisme élevé.

Sommeil et travail : une influence réciproque, lourde de conséquences

La relation entre sommeil, vigilance et travail est complexe, etpeut être abordée selon plusieurs angles : celui de la sécurité,de nombreux travaux scientifiques ayant souligné la sur-ac-

cidentalité associée à la somnolence au travail, avec des répercus-sions individuelles ou collectives ; celui de l’adaptation d’un sala-rié souffrant d’un trouble du sommeil, et notamment d’une in-somnie (en partie définie par ses répercussions diurnes). Les condi-

tions de travail elles-mêmes peuvent être un facteur déclenchantde troubles du sommeil, lorsque celles-ci sont reconnues commeun facteur de stress, cette situation est aujourd’hui appréhendée sousle vocable « risques psychosociaux ». Enfin, les facteurs organisa-tionnels, comme le travail de nuit dont les conséquences sanitairessont de mieux en mieux connues, peuvent directement jouer surles conditions de sommeil.

Les comportements• Un temps passé au lit excessif par rapport à la quantité

de sommeil• Lʼutilisation des écrans (ordinateur, télévision) au lit• La pratique dʼactivités quotidiennes au lit (repas, travail,

coups de fil...)

Exemples de cognition erronée• « Si je me couche trop tard, je nʼarriverai jamais à mʼendormir »• « Si je ne suis pas endormi avant 23 h, cʼest fini »• « Si je ne dors pas, je nʼarriverai pas à faire tout ce que je dois

faire demain »• « Si je nʼai pas mes huit heures de sommeil, je suis bon à rien »

2. Corriger les comportements et les cognitions erronées

Sevrage en hypnotiques :attendre la stabilisation du sommeil avant de diminuer les doses

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Somnolence au travail, à lʼorigine dʼune sur-accidentalité

La somnolence est physiologique lorsqu’elle dépend des processushoméostatique et circadien, mais pathologique lorsqu’elle résulted’un trouble du sommeil ou de l’éveil. Cependant, qu’elle soit nor-male ou pathologique, elle est lourde de conséquences lorsqu’ellesurvient en période d’activité. Ainsi, les accidents industriels descentrales nucléaires de Three Mile Island en 1979 ou de Tcherno-byl en 1986, ou encore de la navette spatiale Challenger en 1986 luiseraient imputables, totalement ou en partie.

La prévalence de la somnolence diurne excessive (SDE) en po-pulation active (conducteurs professionnels) se situerait autourde 17 %. Par ailleurs, un accident de la route sur cinq serait im-putable à la somnolence. La mortalité liée aux accidents profes-sionnels de la route est majorée par rapport aux autres causes d’ac-cident du travail (11,4 versus 5,6 %(1)). Il est clairement établi quela sur-accidentalité routière au cours de l’activité professionnelleest significativement liée à la somnolence ; cependant, d’autres fac-teurs (durée de la conduite, stress professionnel, prise d’antihis-taminique) se conjuguent à la somnolence pour majorer cerisque. Dans une étude écossaise(2) avec 1 854 conducteurs de bus,20 % ayant un score d’Epworth supérieur à 10, 7 % ont eu un ac-cident et 18 % se sont trouvés confrontés à une situation de presque-accident.

La somnolence au travail peut s’expliquer par les conditions detravail et notamment le type d’horaires : le risque est majoré dansle cas du travail de nuit comparé au travail de jour ou au travail defin de semaine, et en particulier 7,5 fois plus élevé chez des tra-vailleurs de nuit en rythme de douze heures par rapport à des tra-vailleurs de jour dans une étude coréenne(3).

La somnolence au travail peut aussi s’expliquer par un troubledu sommeil, au premier rang desquels le syndrome d’apnées du som-meil (SAS), et l’hypovigilance ou l’endormissement peuvent êtreresponsables au travail d’accidents et d’erreurs. Les patients ap-néiques ont un risque accidentel 5 fois plus élevé que celui de la po-pulation générale. Ces accidents sont liés à une erreur personnelletrois fois plus souvent que dans le groupe témoin ; tandis qu’un ac-cident sur deux chez les apnéiques et moins d’un sur 10 chez lestémoins seraient liés à la somnolence. La notion de « presque-ac-cident » (near accident) lié à la somnolence est observée chez 16 %des apnéiques et 51 % des témoins, mais avec une moyenne de 9presque-accidents par patient apnéique, contre 1 presque-accidentpar témoin(4).

Insomnie et travail

Certaines conditions de travail entraînent des perturbationsdu sommeil

La plupart des travaux épidémiologiques centrés sur les troublesdu sommeil ont montré un lien entre les conditions de travail etl’apparition de perturbations du sommeil. Ce lien, surtout démontrépour le travail en horaire décalé, n’est pas toujours simple à éta-blir pour le travail de jour.

La prévalence des troubles du sommeil se situe autour de 30 %(29,6 % chez 1 502 ouvriers du secteur industriel en 1981(5)). Dans

un échantillon de 6 268 salariés représentatif de la population ac-tive américaine(6), les troubles du sommeil sont plus fréquents dansle groupe des ouvriers (28,1 %) que parmi les cadres supérieurs(7,4 %) ou les professions libérales (1,6 %). Dans une étude fran-çaise(7) en 2000, cette prévalence s’avère plus importante chez lesemployés, et plus faible parmi les cadres supérieurs et les profes-sions libérales. En France, dans l’enquête ESTEV 1995(8), une desrares enquêtes longitudinales en population active (21 000 sala-riés suivis durant cinq ans), elle a été estimée à 25 %. Le travailposté (encadré), les grandes amplitudes d’horaires, l’exposition auxvibrations, la contrainte de délai dans la réalisation de la tâche sontdes facteurs de risque de troubles du sommeil.

Dans une étude cas-témoin(9) avec 7 629 salariés issus de 2 769petites et moyennes entreprises de la région parisienne, 6,3 % deshommes et 11,3 % des femmes prennent des hypnotiques.

Au sein de la CEE, près de 20 % de la population active travaille en horaires décalés. Les formes de travail posté sont multiples : travail posté continu (3 x 8)15 % ; travail posté semi-continu (2 x 8) 50 % ; travail de nuit permanent 15 % ;travail à horaires irréguliers 15 %.

Conséquences du travail de nuit et posté

Les conséquences du travail de nuit ou posté sont nombreuses :➜ troubles du sommeil (qui, dans la classification internatio-nale, appartiennent à la rubrique des dyssomnies dʼorigine extrinsèque par trouble du rythme circadien, code 307.45-1), et notamment lʼinsomnie, dans près dʼun tiers des cas. Cette insomnie est souvent associée à une somnolence, dont le corollaire est une majoration du risque accidentel ;➜ conséquences sur les systèmes cardiovasculaire, métabo-lique, digestif ;➜ plus récemment, une majoration du risque de cancer du seina été suspectée(12), et le Centre international de recherchecontre le cancer (IARC/CIRC) a classé le travail de nuit postécomme « cancérogène probable ».

DR

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Conséquences professionnelles de lʼinsomnie : absentéisme,accident du travail

L’absentéisme est significativement plus élevé et durable chezl’insomniaque par rapport au sujet sain. L’insomnie est le facteurprédictif le plus fiable de l’absentéisme. En 1997, une étude pros-pective(10) sur quatre ans incluant 1 038 salariés finlandais révèlel’existence d’un lien entre les conditions de travail et le risque dedésinsertion professionnelle. Les « stresseurs » professionnels si-gnificativement liés à la cessation d’activité sont : charge physiqueélevée, positions inconfortables, grandes amplitudes d’horaires,bruit, travail répétitif, charge mentale élevée, insatisfaction au tra-vail.

Les plaintes concernant le sommeil sont prédictives de la sur-venue d’accident du travail mortel, avec un risque relatif de 1,89(IC à 95 % : 1,22-2,94) pour les salariés ayant des troubles du som-meil, selon une étude(11) avec 47 860 salariés suivis pendant vingtans. 415222 ■

1. Garbarino S. Sleep disorders and road accidents in truck drivers. G Ital Med Lav Ergon 2008 Jul-Sep;30(3):291-6.2. Vennelle M, Engelman HM, Douglas NJ. Sleepiness and sleep-related accidents in commercial busdrivers. Sleep Breath 2010Feb;14(1):39-42. Epub 2009 Jul 9.3. Son M, Kong JO, Koh SB, et al. Effects of long working hours and the night shift on severe sleepinessamong workers with 12-hour shift systems for 5 to 7 consecutive days in the automobile factories ofKorea. J Sleep Res 2008 Dec;17(4):385-94. Epub 2008 Oct 8.4. Aldrich MS. Automobile accidents in patients with sleep disorders. Sleep 1989,12:487-94.5. Lavie P. Sleep habits and sleep disturbances in industrial workers in Israël: main findings and somecharacteristics of workers complaining of excessive daytime sleepiness. Sleep 1981;4:147-58.6. Partinen M, Eskilen L, Tuomi K. Complaints of insomnia in different occupations. Scand J Work EnvironHealth 1984;10 (6):476-9.7. Léger D, Guillemenault C, Dreyfus JP, et al. Prevalence of insomnia in a survey of 12778 adults in France.J sleep Res 2000;9:35-42.8. Ribet C, Derriennic F. Age, working conditions, and sleep disorders: a longitudinal analysis in the Frenchcohort E.S.T.E.V. Sleep 1999 Jun 15; 22(4):491-504.9. Jacquinet-Salord MC, Fouriaud C, Nicoulet I, et al. Sleeping tablets consumption, self reported qualityof sleep, and working conditions. Group of Occupational Physicians of SPSAT. J Epidemiol CommunityHealth 1993;47(1):64.10. Krause N, Lynch J, Kaplan GA, et al. Predictors of disability retirement. Scand J Work Environ Health.1997 Dec;23(6):403-13.11. Akerstedt T, Fredlund P, Gillberg M, et al. A prospective study of fatal occupational accidents –relationship to sleeping difficulties and occupational factors. J Sleep Res 2002 Mar;11(1):69-71.12. Kolstad HA. Nighgtshift work and risk of breast cancer and other cancers- a critical review ofepidemiologic evidence, Scand J Work Environ Health 2008;34:5-22.

Dans la perspective d’améliorer la prescriptiondes psychotropes chez le sujet âgé, un groupede travail de la HAS a établi un consensus sur

la prise en charge du sujet âgé insomniaque (sans trai-tement) par le médecin généraliste.

L’analyse de la plainte de sommeil doit conduireau diagnostic d’insomnie après avoir éliminé lescourts dormeurs et les troubles circadiens. Une foisle diagnostic d’insomnie établi, il est essentiel chezle sujet âgé de rechercher une comorbidité suscep-tible d’expliquer ce trouble : douleurs, troubles car-diorespiratoires (troubles du rythme, insuffisance car-diaque ou bronchopneumopathie chronique obs-tructive, apnées), troubles urinaires (pollakiurie), prise de certainsmédicaments (corticostéroïdes, théophylline, diurétiques, bêta-bloquants lipophiles, antidépresseurs stimulants…), et aussi trou-bles anxieux ou dépressifs qui demandent une prise en charge spé-

cifique avec réévaluation du trouble insomniaque encours de traitement.

En l’absence de comorbidité, l’insomnie peutêtre aiguë, dite d’ajustement, secondaire à un évé-nement stressant, récent, qu’il faut identifier et ana-lyser avec le patient. Normalement, le trouble in-somniaque disparaît avec l’événement qui l’a généré.Il faut toutefois bien connaître les antécédents du su-jet, rechercher les facteurs d’anxiété et de dépressionassociés pour éviter le passage à l’insomnie chronique.

Que l’insomnie soit aiguë ou chronique, il faut dé-pister des troubles de l’hygiène du sommeil (bruit, lu-mière, prise d’alcool, d’excitants, de certains médi-

caments, mauvaises habitudes de sommeil : horaires, siestes…). Leurexistence conduit à informer et « éduquer » le patient, et à l’aiderà modifier ses habitudes nuisibles à un bon sommeil. Dans tous cescas, il n’y a pas d’indication à un traitement médicamenteux.

Marie-Françoise Vecchierini,Centre du sommeil, Hôtel-Dieu, Paris

Devant une insomnie persistante, mal soulagée par les techniques non médicamenteuses, la prescription de benzodiazépines est possibleen lʼabsence de comorbidité, de troubles de lʼhygiène du sommeil ou dʼune étiologie organique, mais à condition dʼêtre brève, pour éviterle difficile sevrage dʼun patient devenu dépendant.

Sujet âgé : réserver les benzodiazépines auxinsomnies chroniques sévères et résistantes

Foto

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LE CONCOURS MÉDICAL

Recommandations de la HAS sur le sevrage des benzodiazépines et médicaments apparentés chez le sujet âgé de plus de 65 ans traité depuis au moins trente jours

Toute demande de renouvellement de trai-tement par benzodiazépines (BZD) doitpermettre au médecin traitant de sʼinterro-ger sur la possibilité dʼarrêter le traitement.Dans un premier temps, il faut évaluer le de-gré dʼattachement du sujet aux BZD pour arriver à une décision partagée (échelle cognitive dʼattachement aux BZD). Si lemalade refuse lʼarrêt, il faut lui en expliquerles inconvénients, et lui proposer à nouveaulʼarrêt lors dʼune autre consultation.

En cas dʼaccord du patient, il faut évaluer ladifficulté de cet arrêt. Lʼexistence dʼune dé-pression, dʼune insomnie chronique surtoutmais aussi dʼun trouble anxieux caractérisé,de troubles cognitifs, de consommation exa-gérée dʼalcool et dʼéchecs antérieurs dʼarrêtdes BZD doit rendre encore plus prudent etfaire adapter les modalités dʼarrêt.Une prise en charge spécialisée conjointesera recommandée dans certains de ces cas :prise de BZD à doses élevées, insomnie re-belle, dépendance à lʼalcool ou à dʼautresdrogues, maladies psychiatriques et prise depsychotropes.

Le sevrage est dans la majorité des cas réa-lisé en ambulatoire. Une information oraleou écrite brève sera suivie dʼune consulta-tion spécifique au cours de laquelle serontexpliqués au patient les risques de prisechronique de son médicament BZD, les bé-néfices dʼune diminution des doses, voiredʼun arrêt, tout en lʼinformant des signes quipeuvent survenir à lʼarrêt dʼun traitement.

Le sevrage sera toujours progressif sur qua-tre à dix semaines, voire sur plusieurs mois se-lon sa difficulté (dose des BZD, durée du trai-tement et facteurs associés précités). Une ré-duction de 25 % de la posologie la premièresemaine peut être envisagée pour un sevragesur quatre à dix semaines, mais ce taux peutêtre plus faible dans les cas difficiles. Le trai-tement dʼune dépression avant lʼarrêt des BZDaméliorerait la durée de lʼabstinence. Le malade peut faire une auto-évaluation desa tolérance à la diminution des doses sur uncalendrier de suivi et un agenda du sommeil.Le suivi par le médecin est indispensable :une consultation une semaine après le dé-but de la réduction des doses, puis à chaque

diminution, soit toutes les deux à quatre se-maines en lʼabsence de difficultés ; plussouvent en cas de facteurs de risque dʼéchec.Un contact téléphonique doit être possiblepour répondre aux questions du patient. Lesconsultations de suivi doivent évaluer lʼadhé-sion du patient au protocole dʼarrêt, lʼen-courager à poser des questions, renforcer samotivation et analyser les symptômes liés àlʼarrêt (syndrome de sevrage) ou repérer denouveaux symptômes. Un soutien psycho-logique est nécessaire, surtout en cas de trou-bles anxieux, et la vitesse de diminution dutraitement doit sʼadapter à la demande dupatient.

Un suivi après lʼarrêt des BZD est recom-mandé : une consultation au cours de la pre-mière semaine après lʼarrêt du traitement(évaluer lʼéventuel rebond dʼinsomnie et/oudʼanxiété) ; à moyen terme, un suivi régulieren consultation est proposé, notammentdans les six premiers mois. Les thérapies cognitivo-comportementales ont montréleur intérêt pour réussir un arrêt ou une di-minution progressive des BZD.

Si l’insomnie persiste malgré ces prises en charge, il convientdans un premier temps de proposer des techniques non médi-camenteuses : relaxation, thérapie cognitivo-comportementale,psychothérapie, photothérapie. En phytothérapie, la valériane peutêtre utilisée.

La prescription d’hypnotiques est réservée àl’insomnie chronique sévère, mal soulagée parles techniques comportementales. La prescrip-tion de benzodiazépines à demi-vie courte oude substances apparentées sera faite à demi-doseet réalisée après avoir passé un contrat avec lemalade sur la durée de prescription, qui devraêtre brève. Les composés Z, tels que zolpidem(Stilnox), zopiclone (Imovane), apparentés aux benzodiazépinesconcernent surtout l’insomnie d’endormissement et peuventêtre donnés en discontinu, mais il ne faut surtout pas augmenterles doses en cas d’inefficacité. Les effets indésirables des benzo-diazépines doivent être connus : effets résiduels (somnolence endébut de matinée, majoration de troubles cognitifs), dépen-dance qui conduit à une augmentation des doses avec risque desurdosage et à un sevrage encore plus difficile, chutes, notamment

nocturnes avec un risque de fracture… Les antihistaminiques H1n’ont pas de place dans le traitement de l’insomnie du sujet âgé.Un suivi est nécessaire, et le traitement sera réévalué.

Bien entendu, devant toute insomnie chronique persistante,il faut, notamment par l’interrogatoire du oude la conjoint(e) et par des questionnaires, re-chercher des signes en faveur d’une étiologie or-ganique (troubles respiratoires, syndrome desjambes sans repos, mouvements périodiques dejambes) ; une consultation spécialisée et un en-registrement du sommeil pourront être prati-qués ; en cas de diagnostic positif, un traitementspécifique de ces pathologies sera proposé,

avec évaluation ultérieure de son efficacité. 415129 ■

Pour en savoir plusHAS. Améliorer la prescription des psychotropes chez le sujet âgé. Propositions d’actions concertées.Octobre 2007. Recommandations HAS. Modalités d'arrêt des benzodiazépones et médicaments apparentés chez le patientâgé. Octobre 2007. www.has-sante.fr

Les auteurs de la partie « Exercer » déclarent ne pas avoir de conflit d’intérêts avec les données de leurs articles.

Inefficacité dʼune benzodiazépine apparentée : surtout ne pas augmenter la dose

Le syndrome dʼapnées obstructives du sommeil fera lʼobjet dʼun prochain dossier.

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