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Yannick L'Horty Alain Quinet Frédéric Rupprecht Expliquer la croissance des dépenses de santé : le rôle du niveau de vie et du progrès technique In: Économie & prévision. Numéro 129-130, 1997-3-4. Nouvelles approches micro-économiques de la santé. pp. 257-268. Citer ce document / Cite this document : L'Horty Yannick, Quinet Alain, Rupprecht Frédéric. Expliquer la croissance des dépenses de santé : le rôle du niveau de vie et du progrès technique. In: Économie & prévision. Numéro 129-130, 1997-3-4. Nouvelles approches micro-économiques de la santé. pp. 257-268. doi : 10.3406/ecop.1997.5878 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ecop_0249-4744_1997_num_129_3_5878

Expliquer la croissance des dépenses de santé : le rôle du niveau de vie et du progrès technique

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Yannick L'HortyAlain QuinetFrédéric Rupprecht

Expliquer la croissance des dépenses de santé : le rôle duniveau de vie et du progrès techniqueIn: Économie & prévision. Numéro 129-130, 1997-3-4. Nouvelles approches micro-économiques de la santé. pp.257-268.

Citer ce document / Cite this document :

L'Horty Yannick, Quinet Alain, Rupprecht Frédéric. Expliquer la croissance des dépenses de santé : le rôle du niveau de vie etdu progrès technique. In: Économie & prévision. Numéro 129-130, 1997-3-4. Nouvelles approches micro-économiques de lasanté. pp. 257-268.

doi : 10.3406/ecop.1997.5878

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ecop_0249-4744_1997_num_129_3_5878

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RésuméExpliquer la croissance des dépenses de santé : le rôle du niveau de vie et du progrès technique parYannick L'Horty, Alain Quinet et Frédéric RupprechtAfin d'expliquer la progression des dépenses de santé en France sur longue période, on procède enpremier lieu à un survol des études empiriques existantes en traitant plus particulièrement deuxquestions : la santé est-elle un bien supérieur ? Dans quelle mesure des facteurs d'offre et en particulierle progrès technique médical, contribuent-il à l'accroissement des dépenses de soins ? Dans undeuxième temps, on estime une fonction de dépenses de santé sur séries temporelles en France entre1970 et 1995. Les dépenses de santé apparaissent très sensibles à l'évolution du niveau de vie,mesuré par le PIB par tête qui expliquerait près des deux cinquièmes de leur progression. L'élasticitéprix des dépenses de santé en France s'avère également assez élevée même lorsque l'on prend encompte la prise en charge de ces dépenses par le système de protection sociale. Le progrès techniquemédical exerce également une influence significative. Les conditions démographiques et levieillissement de la population n'auraient eu qu'une influence marginale.

AbstractExplaining Health Expenditure Growth: the Effect of Standard of Living and Technical Progress byYannick L'Horty, Alain Quinet and Frédéric RupprechtThe aim of this paper is to explain health expenditures growth in France since 1970. In a first section,we survey empirical studies and deal with two major issues : is income elasticity of health greater thanone ? What is the impact of supply factors, like medical technical progress ? In a second section, weestimate an health expenditure function using French data between 1970 and 1995. Healthexpenditures grow with the standard of living measured with GNPper capita, and that effect couldexplain more than two fifth of health expenditures growth since 1970. Price elasticity is high, even if wetake into account financing with French Social Security system. Medical technical progress has also astrong impact. The aging of population has a minor effect.

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Expliquer la croissance des dépenses

de santé : le rôle du niveau de vie et

du progrès technique

Yannick L'Horty^

Alain Quinet(*#)

Frédéric Rupprecht(**)

La part des dépenses de santé dans le PIB de l'ensemble de la zone OCDE a plus que doublé depuis 1960, passant de moins de 4 % à plus de 8 %. Cette croissance s'explique par l'amélioration du niveau de vie, l'introduction de nouvelles techniques médicales, ainsi que par la structure par âge de la population, l'élargissement de l'accès aux soins et de la couverture par les assurances. Il convient également de tenir compte des imperfections sur le marché de la santé (asymétrie d'information entre patient et corps médical, ...) et de l'effet des interventions publiques sur l'incitation qu'ont patients et prestataires de soins à maîtriser les coûts du système. Aussi classe-t-on habituellement les déterminants de la dépense de santé en facteurs de demande d'un côté et facteurs d'offre de l'autre. Parmi ces derniers figurent l'augmentation des équipements et des effectifs médicaux, le mode de rémunération des médecins et le progrès technique médical.

Un tel classement est commode, mais reste à bien des égards peu pertinent. Le progrès technique, par exemple, peut certes stimuler de manière artificielle la demande de soins dans la mesure où les offreurs bénéficient d'un marché captif, mais il vient aussi révéler une demande latente qui ne demandait qu'à s'exprimer. Aussi, s'attachera-t-on plutôt ici à souligner les interactions entre la forte amélioration du niveau de vie, l'extension de la couverture publique et le progrès technique médical. Dans cette

perspective, on procédera tout d'abord à un rapide "survol" des études empiriques portant sur l'ensemble de la zone OCDE, en traitant plus particulièrement deux questions : la santé est-elle un bien supérieur, c'est-à-dire un bien dont la part dans la consommation des ménages tend "spontanément" à s'accroître au fur et à mesure que le niveau de vie de la population s'élève ? Dans quelle mesure le progrès technique médical contribue-t-il à l'accroissement des dépenses de soins ?

En second lieu, on estime une fonction de dépense de santé sur données françaises en utilisant les données annuelles de la base éco-santé de l'OCDE couvrant la période 1960-1995. Cette estimation vient confirmer globalement les résultats obtenus sur données multinationales. La progression des dépenses de santé en France sur les 35 dernières années s'explique de façon prépondérante par celle du niveau de vie, avec une élasticité supérieure à l'unité. Elle s'explique également par l'évolution des prix relatifs, de la structure démographique et de la prise en charge des dépenses de santé par la protection sociale. Le progrès technique exerce lui aussi une influence significative, même si elle est sans commune mesure avec celle du niveau de vie.

(*) Conseil supérieur de l'emploi, des revenus et des coûts. (**) Direction de la prévision. Économie et Prévision n°129-130 1997/3-4

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Les déterminants des dépenses de santé : un survol des études empiriques

Les dépenses de santé augmentent avec le niveau de vie, mais de façon plus que proportionnelle. C'est le cas en comparaison internationale où une corrélation "naïve" entre le niveau de développement de chaque pays de l'OCDE, mesuré par le PIB par habitant, et les dépenses de santé par habitant suggère une forte relation entre ces deux variables avec une élasticité supérieure à l'unité (cf. graphique 1). C'est le cas également si l'on se limite à la France en observant les données sur longue période. Le volume des dépenses de santé par tête a été multiplié par sept entre 1960 et 1995, tandis que le PIB par tête était multiplié par 2,4. En 1995, la France aurait déboursé pour sa santé environ 16 % de plus que ne le suggère une relation strictement proportionnelle entre le PIB par habitant et la dépense par tête.

Graphique 1 : dépenses de santé et Produit Intérieur Brut par habitant dans les pays de l'OCDE

Dépense de santé par habitant 4000 -i

5000 10000 15000 20000 PIB par habitant 25000 30000

Source : Éco-santé OCDE 1997, (données 95, exprimées sur la base de taux de change à parité de pouvoir d'achat).

Une élasticité-revenu de la dépense de santé supérieure à l'unité

Ces chiffres incitent à penser que la santé est un bien supérieur : à mesure que les revenus augmentent, les consommateurs exigent davantage de soins de santé, indépendamment des effets de l'élargissement de la couverture des assurances. Les travaux fondateurs de Newhouse (1977) font effectivement apparaître une élasticité revenu des soins médicaux excédant l'unité. Newhouse en tire deux conclusions : la santé est un bien supérieur ; dans les pays où la dépense de santé est la plus élevée, l'achat d'une unité marginale de services de santé améliore l'état "subjectif" ("care") plus qu'il ne diminue les taux de morbidité ou de mortalité ("cure").

À la suite des travaux de Newhouse (1977), on dispose de toute une gamme d'évaluations de l'élasticité-revenu de la demande de santé (McGuire, 1986 ; Murillo et alii, 1993). Dans la plupart des études macro-économiques disponibles, qu'elles utilisent des séries chronologiques ou des données transversales internationales, l'élasticité de la dépense de santé par tête au niveau de vie est supérieure à l'unité (tableau 1). Le coefficient est sensible à la spécification choisie et à la définition des variables. Par exemple, le choix du taux de change pour convertir les dépenses de santé des différents pays dans une monnaie commune apparaît important : l'élasticité-revenu est plus faible lorsque les taux de change PPA sont utilisés. En effet, les salaires dans le secteur.de la santé suivent l'évolution des salaires dans le secteur des biens échangeables ; les coûts de production du secteur de la santé sont donc moins élevés dans les pays peu développés, où la productivité du secteur exposé est relativement faible.

Par delà les différences observées, deux "faits stylisés" émergent. En premier lieu, l'élasticité-revenu est toujours élevée et proche de l'unité. En second lieu, le niveau de vie est de loin la variable explicative la plus importante,

Tableau 1 : élasticité revenu de la dépense de santé

Études

Newhouse (1977)

Leu (1986) Parkin et alii (1987) Gerdtham Jônsson (1991) Milne Molana (1991) Gerdtham et alii (1992) OCDE (1995)

Aux taux de change courants Linéaire

1,31 1,26

1,12 1,19

log

1,18 1,12 1,24

Aux taux de change PPA Linéaire

0,90 1,33 1,18

log

1,00 1,43 1,43 1,74 1,33

Année de base

1972 1974 1980 1985 1985 1987 1970

Nombre de pays

13 12 19 18 22 20 19 20

Source : Murillo et alii (1993); OCDE (1995).

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relativement aux autres variables de demande (vieillissement notamment) et aux prix. Dans une étude récente fondée sur des données transversales et chronologiques regroupées pour 20 pays de l'OCDE (OCDE, 1995), l'élasticité-revenu de la dépense de santé devient inférieure à l'unité (0,7) après addition d'indicatrices nationales et temporelles (modèle à effets fixes à deux facteurs). Dans cette étude, les accroissements de revenu n'expliquent cependant pas moins de 50 % de l'augmentation totale des dépenses de santé depuis 1960 (cf. tableau 2).

Les autres facteurs de demande exercent une influence plus modérée

Le vieillissement, estimé généralement par l'accroissement de la part des plus de 65 ans dans l' ensemble de la population(1), influe directement sur les dépenses de santé puisque les personnes âgées consomment environ quatre fois plus de soins de santé que les autres (OCDE, 1995). Plus précisément, on sait que environ un cinquième des dépenses de santé est consacré à des patients dans leur dernière année d'existence. Néanmoins, cet argument, communément avancé pour expliquer la croissance des dépenses de santé, doit être relativisé.

Les mécanismes d'action du vieillissement sont complexes, ils résultent d'une part de l'allongement de l'espérance de vie et d'autre part de phénomènes de génération (effets de cohorte). Ces derniers résultent de l'arrivée à des âges élevés de personnes qui ont connu une assurance maladie bien développée (depuis l'après-guerre dans le cas de la France) contrairement aux générations antérieures. Il s'agit donc de cohortes qui ont acquis des habitudes de consommations de soins élevées. Cependant, cet effet, s'il a pu jouer ces dernières années, devrait progressivement s'estomper, en raison de l'homogénéisation progressive des cohortes en matière d'accès aux soins. L'allongement de l'espérance de vie pourrait, d'après une étude sur données américaines (Scitovsky, 1988 cité in Abel-Smith, 1995),

également contribuer à diminuer l'impact du vieillissement : les personnes aux âges les plus élevés (supérieurs à 80 ans) consommeraient des soins de santé moins coûteux dans leur dernière année de vie que celles de la tranche d'âge inférieure (65 à 79 ans).

Au total, que ce soit à partir d'analyses rétrospectives (OCDE, 1995) ou prospectives, l'impact du vieillissement est limité et ne permet pas d'expliquer l'accroissement des dépenses de santé. Ainsi, dans le cas de la France, Hourriez (1993) explique 3 % de hausse des dépenses de santé entre 1970 et 1990 par la contribution du vieillissement, soit près d'un dixième de la hausse constatée. En outre, facteur commun à tous les pays développés, à des degrés certes divers, il ne peut contribuer à expliquer les différences tendancielles entre pays.

La mesure de l'influence des prix des soins est une source de nombreuses difficultés pour les économistes de la santé. Outre la difficile distinction entre les effets revenus (capacité à payer) et les effets prix (disposition à payer), il importe de définir le prix considéré (McGuire, Henderson et Mooney, 1988). En effet, la dépense médicale est en général couverte par des assurances et les patients ne sont pas confrontés aux prix réels des soins de santé. Plus que des effets prix, les économistes mesurent alors, au niveau individuel, l'impact de l'ampleur de la couverture puisque, pour les consommateurs, une extension de la couverture équivaut à une réduction du prix des soins médicaux. Elle peut également donner lieu à l'émergence de phénomènes de surconsommation liés à des consultations "de confort" (aléa moral ex post) ou à une baisse de la prévention (aléa moral ex ante). Ainsi, aux États-Unis, l'impact de l'accroissement de la couverture pourrait se situer autour de 10 pour cent de l'augmentation totale des dépenses de santé au cours de la période 1960-1990 (Manning et alii, 1987).

Une mesure d'élasticité prix, équivalente à celle que l'on mesure pour les biens de consommation

Tableau 2 : facteurs déterminant la progression des dépenses de santé Évolution en pourcentage sur la période 1960-1990 et part dans le total (Sous l 'hypothèse d'une élasticité-revenu égale à 0, 7)

Pays Évolution en pourcentage États-Unis Japon Moyenne Europe Moyenne OCDE Parts dans le total États-Unis Japon Moyenne Europe Moyenne OCDE

Augmentation totale

319 977 436 425

100 100 100 100

Effet vieillissement

11 22 12 12

3 2 3 3

Effet revenu

55 268 101 101

17 27 23 24

Effet accroissement de la couverture

36 32 30 30

11 3 7 7

Effet total demande

134 490 190 193

42 50 44 45

Facteurs résiduels

185 487 246 232

58 50 56 55

Source : OCDE (1995).

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traditionnels, consiste à prendre comme proxy des prix les primes d'assurance maladie. Les études réalisées, essentiellement à partir de données américaines (où prévalent des assurances maladies individuelles privées), concluent à des élasticités prix négatives. Buchmueller et Feldstein (1995) trouvent par exemple que les individus dont les primes mensuelles d'assurance maladie augmenter de 0 à 10 dollars ont une propension à changer d'assurance cinq fois supérieure à ceux dont la prime ne varie pas.

L'interprétation de ces résultats reste toutefois délicate. Une difficulté particulière tient à ce que les coefficients d'élasticité-revenu obtenus à partir de données macro-économiques sont supérieurs aux estimations obtenues à partir de données individuelles. Ainsi, les estimations les plus couramment admises aux États-Unis, tirées du Rand Health Insurance Experiment donnent une élasticité-revenu de l'ordre de 0,2 à 0,4 (Manning et alii, 1987). Cette contradiction peut s'expliquer par le fait que les usagers, quel que soit leur niveau de revenu, bénéficient pour une large part de la gratuité des soins, ce qui a pour effet de déconnecter la consommation du revenu individuel. En outre, les patients peuvent subir un rationnement quantitatif, sous forme de files d'attente dans les hôpitaux notamment, si bien que l'accroissement du revenu individuel n'a pas nécessairement pour effet de stimuler la consommation effective de soins. Au niveau agrégé en revanche, les pays sont confrontés au véritable prix des services de santé, si bien que la relation entre revenu et dépense est bien plus forte que ce que l'on obtient au niveau individuel.

Cela dit, l'idée selon laquelle on peut inférer d'une élasticité-revenu supérieure à l'unité au niveau macro-économique le caractère de bien supérieur de la santé reste controversée. La santé tout d'abord, n'est pas un bien homogène. En outre, il se peut qu'au niveau agrégé, le PIB par tête recouvre un ensemble de facteurs plus large que le seul revenu des consommateurs, cette réserve étant particulièrement valable lorsque le nombre de variables explicatives est limité. Ainsi, les élasticités estimées par rapport au PIB peuvent-elles également refléter le processus politique (ce que les pays sont disposés à affecter globalement aux dépenses de santé), ainsi que les dispositifs institutionnels et les incitations auxquels sont soumis les patients et les prestataires. Or pour les données chronologiques, en particulier, il est difficile de séparer les facteurs liés à la demande des facteurs liés à l'offre, ces derniers n'étant souvent pas disponibles ou fortement corrélés avec les variables de revenu.

Le rôle des facteurs d'offre Les régressions réalisées par l'OCDE (1995) pour expliquer la dépense de santé à partir des facteurs usuels de demande laissent apparaître un résidu

important, de l'ordre de 50 % pour une élasticité-revenu égale à 0,7 (tableau 2). Ceci conduit l'OCDE à mettre l'accent sur le rôle des facteurs d'offre. Cependant, lorsque l'on examine les conditions de l'offre, sans doute convient-il de distinguer soigneusement entre les aspects statiques et dynamiques : s'il est indubitable qu'une mauvaise allocation de l'offre peut conduire à des coûts de santé excessifs, l'idée que l'offre est responsable de la croissance continue des coûts de santé est plus difficile à étayer. À cet égard, les phénomènes de "demande induite par l'offre" et le progrès technique constituent deux "candidats plausibles".

L'induction de la demande par l'offre pourrait effectivement contribuer à la hausse des dépenses de santé, et ce d'autant plus que de nombreux pays de l'OCDE sont exposés à des problèmes d'excès d'offre de soins (en matière de praticiens et de lits d'hôpitaux notamment), mais la validation empirique de cette hypothèse n'est pas satisfaisante (Rochaix, Jacobzone, 1997).

La relation entre le médecin et son patient peut être assimilée à une relation d'agence : le patient est en asymétrie d'information et il délègue au médecin son pouvoir de décision, ce dernier étant mieux informé sur la nature de la maladie et sur les soins les plus appropriés. Si le médecin agit dans le seul intérêt de son patient, la demande de soins ne se distingue pas d'une demande traditionnelle par un consommateur souverain, le médecin peut profiter de son avantage d'information pour développer son activité au-delà de ce qui est requis par l'état de santé du patient. Ceci sera vrai en particulier dans un système de rémunération à l'acte, où les médecins peuvent réagir à des modifications de leur environnement en ajustant leur charge de travail, de façon à atteindre leurs objectifs de revenu (Evans, 1974). Ainsi, lorsque la densité médicale s'accroît, comme on a pu l'observer depuis trois décennies, les médecins peuvent inciter les patients à consommer davantage de soins. Pour Gerdtham et alii (1992), par exemple, qui travaillent sur données transversales en 1987, un système de rémunération à l'acte accroît la dépense de santé de 11 %. Néanmoins les études sur données individuelles en particulier ne permettent pas de trancher sur le rôle effectif de l'offre de soins. Une analyse réalisée à partir de l'enquête santé 1991-1992 montre que les principaux facteurs expliquant la probabilité de recours aux soins de ville sont la morbidité et l'ampleur de la couverture et non l'offre de soins (Genier, Rupprecht, 1997). Ce n'est donc pas tant la croissance des équipements et des effectifs médicaux qui influe sur les dépenses de santé que la capacité qu'ont les prestataires de soins à réagir aux incitations données par le cadre institutionnel dans lequel ils évoluent (mode de rémunération par exemple).

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Enfin, de manière plus générale, les nouvelles techniques médicales ou l'accroissement de la densité de médecins peuvent stimuler de manière artificielle la demande, dans la mesure où les offreurs de soins bénéficient d'un marché captif. Il n'en reste pas moins que le progrès technique, ou une plus forte densité médicale, viennent révéler une demande latente qui ne demandait qu'à s'exprimer, comme on peut le constater dans de nombreux secteurs d' activité. Lorsque par exemple un nouveau modèle automobile rencontre un grand succès on ne parle pas, a priori, d'une croissance du marché tirée par l'offre.

Le progrès technique médical ne conduit en général pas à une diminution des coûts mais à leur accroissement en améliorant la qualité des soins

II est possible d'appliquer à la santé un argument traditionnellement utilisé pour expliquer la part de la croissance des services dans la dépense et dans l'emploi total, celui d'un progrès technique plus lent dans ce secteur. C'est le phénomène de croissance déséquilibrée (Baumol, 1967) : supposons que, quel que soit leur niveau de revenu, les agents consomment des biens d'une part et des services d'autre part dans un rapport constant en volume. Dans ce cas, le progrès technique moins rapide dans le secteur des services impliquera que davantage d'emplois y soient affectés. Sous l'hypothèse d'homogénéité des rémunérations entre secteurs, ce volume d'emploi plus important sera associé à davantage de dépenses totales de services en valeur. Corrélativement, le coût unitaire relatif de ces services doit s'élever par rapport au coût unitaire des biens (qui sont produits avec un nombre décroissant d'heures de travail). Ce modèle s'applique effectivement bien à la croissance générale des services dans les pays développés. À partir de là, il est tentant de l'appliquer directement au cas de la dépense sociale en général et de la dépense maladie en particulier.

Cependant, si le prix relatif des dépenses de santé a augmenté dans la majeure partie des pays développés, il a régulièrement diminué en France de 1970 à 1995. Les spécificités du système de santé français (régulation des prix des actes médicaux et des produits pharmaceutiques notamment) ne permettent donc pas de valider l'hypothèse du modèle de croissance déséquilibrée à la Baumol.

Par ailleurs, ce modèle doit être adapté sur plusieurs points. Le principal problème de cette approche réside en effet dans l'assimilation du secteur santé à un secteur technologiquement stagnant. Cependant, en matière médicale, tout semble se passer comme si le progrès technique améliorait la qualité des soins, sans parvenir à réduire les coûts de production. Au total, il semble nécessaire de distinguer au moins trois types de progrès technique :

- le progrès technique général qui, en principe, pousse à la croissance relative de la dépense de santé (via un " effet Baumol") ; - le progrès technique médical "augmentant les possibilités" de production de services de santé, sans économiser les facteurs, qui pousse à la croissance relative de la dépense. Le développement de l'imagerie médicale de pointe (IRM, Scanner) en est un des exemples les plus nets ; - un progrès technique médical "économisant les ressources", qui tend à la réduction relative de la dépense de santé. Les vaccins illustrent ce type de progrès technique.

Une exploitation de cette typologie, à l'aide de différents scénarii issus d'un modèle de croissance déséquilibrée permet de mettre en exergue les différents effets d'un progrès technologique médical hétérogène(3). On peut mettre ainsi en évidence des scénarii où coexistent ces différents types de progrès techniques, et qui conduisent à la croissance de la part de la dépense dans le produit national, ainsi qu'à celle de l'emploi, conformément à ce que l'on observe dans les pays développés. Cependant, les scénarii où prévaut le progrès technique économisant les ressources (type 3), conduisent à des résultats opposés : la part des dépenses de santé dans le produit national diminue. Ainsi, la diversité des scénarios envisageables invite à ne pas prolonger les tendances qu'il implique sans précaution : l'évolution future peut dépendre sensiblement des poids relatifs que seraient appelées à prendre les différentes composantes du progrès technique propre au secteur de la santé.

Pour expliquer le jeu du progrès technique contemporain, plusieurs auteurs ont recours au schéma proposé par le biologiste Lewis Thomas (1975). Celui-ci distingue trois phases d'une même maladie. Dans une première phase, la maladie, peu connue et mal comprise, s'avère peu coûteuse. Dans une deuxième phase, une technologie nouvelle, dite intermédiaire, permet de traiter la maladie ou d'en limiter les effets au prix de dépenses élevées (traitements anticancéreux et, plus récemment, transplantations d'organe). Au regard de la typologie proposée ci-dessus, il s'agit de progrès technique médical relevant de la deuxième catégorie. Dans une troisième phase, l'innovation permet de diminuer drastiquement le coût des traitements, le cas le plus emblématique étant celui du vaccin anti-polio, peu onéreux à administrer et qui a permis d'éliminer virtuellement la maladie (progrès technique de type 3). Si l'on admet l'existence d'une telle relation "en cloche" entre l'état de la technologie et la dépense de santé par cas, l'impression de forte croissance des dépenses de santé sous l'effet des innovations pourrait résulter simplement du fait que depuis quelques décennies, le traitement collectif de plusieurs maladies est passé du stade 1 au stade 2 (Weisbrod, 1991).

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Plus fondamentalement, Feldstein (1977) et Weisbrod (1991) ont bien mis en évidence les interactions entre progrès technique, assurance santé et amélioration du niveau de vie. Si le progrès technique a pour effet principal de réduire les coûts unitaires de production (type 3), et si l' élasticité-prix de la demande est inférieure à 1 (ce que suggèrent les études empiriques), la dépense totale de soins tendra à diminuer, toutes choses égales par ailleurs. Si, en revanche, le progrès technique a pour effet principal d'améliorer la qualité des soins, la dépense de soins peut s'accroître, même si l' élasticité-prix de la demande est inférieure à l'unité. Or, le financement public altère l'incitation à développer des techniques économes, et favorise au contraire l'émergence de techniques de grande qualité, mais coûteuses.

Selon Weisbrod (1991), le développement de ces technologies intermédiaires est encouragé par le système d'assurance publique, dans la mesure où il incite les fournisseurs de soins à développer de telles technologies, quel qu'en soit le prix. Ainsi, d'un côté, le progrès technique, en étendant la gamme des services rendus par le secteur de la santé, a stimulé la demande d'assurance santé. De l'autre, l'extension de l'assurance santé, notamment en matière hospitalière, a incité les fournisseurs de soins à développer des technologies de nature à améliorer la qualité des soins, indépendamment de leurs coûts.

L'introduction de nouveaux appareils médicaux ou de nouveaux produits pharmaceutiques pose enfin le problème de leur évaluation et de la formation continue des producteurs de soins. Or, si les pays développés se sont dotés d'agences qui réalisent des études mesurant les rapports "bénéfices-risques" des nouveaux médicaments {Federal Drug Administration aux États-Unis, et agence du médicament en France), il existe un certain retard dans le domaine des appareils médicaux.

L'adoption mal contrôlée des résultats de la recherche médicale et la variabilité des pratiques sont des facteurs de croissance des dépenses de santé et contribuent à expliquer les divergences tendancielles entre pays.

Expliquer la progression des dépenses de santé en France

L'objet de cette seconde partie est d'estimer une fonction macro-économique de dépenses de santé sur séries temporelles en France en utilisant la base de données éco-santé de l'OCDE qui comprend des données annuelles couvrant la période 1960-1995. Le recours à des séries temporelles constitue une originalité dans un champ où les techniques d'estimation utilisées reposent essentiellement sur des coupes transversales. Par ailleurs, en se limitant au cas français, on va considérer un ensemble de variables plus vaste que celles prises en compte dans les études comparatives sur séries temporelles qui se limitent généralement à la seule influence du niveau de vie et des prix relatifs (Murillo et alii, 1993). La base de données annuelles de l'OCDE permet en effet de construire de nombreux indicateurs pour les déterminants des dépenses de santé (la liste des indicateurs est fournie en annexe 1). Cinq types de déterminants ont été explorés : le niveau de vie, les conditions démographiques, le contexte institutionnel, le prix relatif de la santé et le progrès technique médical. Pour ce dernier, les séries disponibles pour construire les différents indicateurs ne sont généralement disponibles que depuis 1970.

La variable expliquée est le niveau des dépenses de santé en volume par tête. On procède à une estimation univariée en deux étapes, à la Engel et Granger (1987). On dispose en effet de trop peu de données annuelles pour effectuer une estimation multivariée satisfaisante. Il s'agit donc, dans un premier temps, d'estimer une relation en niveau à l'aide des moindres carrés ordinaires puis de vérifier la cointégration en effectuant un test de stationnante sur les résidus de la relation de long terme ( test de Dickey-Fuller). Les résidus sont ensuite introduits dans un modèle en taux de croissance afin de préciser la dynamique de court terme du modèle à correction d'erreur. Cette stratégie d'estimation ne présente guère d'originalité et nous ne la détaillerons pas davantage. Nous présentons en premier lieu les indicateurs retenus avant de décrire le modèle dans son ensemble.

Le niveau de vie est mesuré par le volume du produit intérieur brut par tête (le déflateur est le prix du PIB). Dans toutes les estimations que nous avons pu réaliser, il apparaît spontanément de façon très significative et explique l'essentiel de l'évolution des dépenses de santé (entre la moitié et les deux tiers suivant les spécifications et la période d'estimation retenues). Toutefois, la valeur de l'élasticité des dépenses de santé au niveau de vie ainsi mesurée dépend de la présence ou non d'une tendance linéaire dans les régresseurs des dépenses de santé. Avec ou sans tendance linéaire, l'élasticité

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est supérieure à l'unité lorsque l'estimation est effectuée depuis 1960. Il en est de même dans un modèle sans tendance lorsque l'estimation débute après 1970. En revanche, un modèle avec tendance estimé après 1970 fait apparaître systématiquement une élasticité inférieure à l'unité. Sur les 25 dernières années, il est en pratique assez difficile de discriminer entre un modèle incorporant une tendance autonome de progression des dépenses de santé et une élasticité revenu inférieure à l'unité et un modèle sans tendance autonome où l'élasticité est supérieure à l'unité. Dans les modèles sans tendance, l'élasticité revenu a pour valeur moyenne 1,25, ce qui correspond au résultat qu'obtiennent Murillo et alii (1993) dans le cas de la France.

Le prix relatif est le rapport de l'indice des prix des dépenses de santé à celui de la consommation finale privée des ménages, les substitutions éventuelles entre les dépenses de santé et les autres dépenses ne mettant pas enjeu l'ensemble des composantes du PIB. Contrairement à ce que l'on observe dans tous les autres pays de l'OCDE, le prix relatif des dépenses de santé ainsi mesuré diminue en France depuis le début des années soixante-dix, sous l'effet notamment du contrôle des tarifs médicaux et du prix du médicament (des graphiques représentant l'évolution des différents indicateurs retenus figurent en annexe 2). Cette réduction du prix relatif devrait a priori renforcer la progression des dépenses de santé, via deux canaux : elle stimule la consommation de soins ambulatoires, qui n'est couverte qu'à 60 % par la puissance publique ; elle n'incite pas les prestataires de soins à contrôler les volumes (notamment pour ceux qui sont rémunérés à l'acte). Cet effet a été confirmé dans l'estimation, où le prix relatif est apparu très significatif et avec le bon signe (négatif).

Le cadre institutionnel détermine les conditions d'accès aux soins au travers de la prise en charge des dépenses de santé par les organismes de Sécurité sociale. Deux indicateurs ont été testés. Le premier est un taux de couverture par la Sécurité sociale : la part de la population ayant accès aux régimes de Sécurité sociale. Le second est un taux de prise en charge : la part des factures médicales financées par des administrations publiques. Ces deux indicateurs ont augmenté depuis le début des années soixante, puis ont eu tendance à "plafonner" au cours des années quatre-vingt. Le taux de couverture, qui augmente par paliers successifs, est parvenu a un maximum de 99,5 %, conformément à la volonté d'instaurer un système d'assurance maladie universel. Le taux de prise en charge, dont l'évolution est plus progressive, se situe autour de 75 %, avec une tendance à la baisse sur les années les plus récentes. Seul ce dernier s'est avéré significatif. Ainsi, l'extension du taux de couverture contribue à la hausse des dépenses de santé. Il est intéressant de souligner que l'élasticité prix des

dépenses de santé demeure assez élevée lorsque l'on prend en compte ce taux de prise en charge.

Pour évaluer l'impact des conditions démographiques sur les dépenses de santé, deux indicateurs de la structure par âge de la population ont été testés : la part des 65 ans et plus dans la population totale et le taux de dépendance, qui rapporte la population de moins de 20 ans et de plus 65 ans à la population de 20 à 64 ans. Le premier exprime l'allongement de l'espérance de vie tandis que le second est un indicateur démographique, qui traduit de façon plus complète les déformations de la pyramide des âges. Ces deux indicateurs ont des évolutions très différentes. Depuis le début des années soixante, la part des 65 ans et plus augmente assez régulièrement, excepté au début des années quatre-vingt où entrent dans ces classes d'âge les générations moins nombreuses nées lors de la première guerre mondiale. Le taux de dépendance quant à lui se réduit depuis le milieu des années soixante : l'effet de l'allongement de l'espérance de vie, qui élargit le sommet de la pyramide des âges, est plus que compensé par la baisse de la natalité, qui en réduit la base. Dans l'estimation, le taux de dépendance s'est avéré faiblement significatif lorsque les estimations débutaient en 1960, mais ne l'est plus dès que les estimations débutent après 1965. La part des plus de 65 ans ne s'est pas avérée significative. Nous ne sommes donc pas parvenu à l'aide de ces indicateurs à faire ressortir un impact du vieillissement ou de la déformation de la pyramide des âges sur la progression des dépenses de santé.

Pour construire une mesure du progrès technique médical, on peut tout d'abord observer le taux de traitement d'une pathologie dont la fréquence d'apparition est stable sur la période d'observation. Ainsi la fréquence de traitement des insuffisants rénaux chroniques est souvent utilisée. Dans cet esprit, nous avons testé la fréquence de greffe du rein, celle des dialyses, et celle des insuffisants rénaux faisant l'objet de traitements. Seule la dernière s'est avérée significative (au seuil de 10 % et seulement lorsque l'estimation débute en 1970). On a tenté également d'introduire une "proxy" plus globale du progrès technique, en utilisant les dépenses en appareils thérapeutiques. Celles-ci sont exprimées en volume et introduites directement dans l'équation ou rapportées au nombre de lits d'hôpitaux ou au nombre de médecins. Elles se sont toutes avérées significatives lorsque l'estimation débutait après 1970.

En marge des précédents, l'impact d'autres indicateurs a également été testé, sans succès. C'est le cas de la part des dépenses publiques dans l'ensemble des dépenses de santé qui exprime la structure de la demande, de la durée moyenne de séjour en hôpital, ou encore du revenu relatif des médecins par rapport au reste de la population.

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L'impact direct de l'offre de soins a, enfin, été testé à l'aide de variables de densité médicale, ces variables ne se sont pas non plus avérées significatives, ce qui confirme les difficultés qu'éprouvent les économistes à valider de manière pleinement satisfaisante l'hypothèse de demande induite.

Finalement, quatre variables figurent dans l'estimation retenue : le PIB par tête en volume, l'indice des prix relatifs, le taux de prise en charge des dépenses de santé, et un indicateur du progrès technique (la syntaxe retenue est présentée dans l'annexe 1). Le tableau suivant résume les résultats des estimations sur la période 1970-1995 selon qu'est pris en compte une tendance et selon différents indicateurs du progrès technique médical (les / de Student figurent entre parenthèses).

Les deux dernières lignes du tableau présentent les résultats des tests de stationnante de Dickey-Fuller d'Engel et Granger. L'hypothèse nulle d'existence d'une relation de cointégration est acceptée dans tous les cas aux seuils de 1 ou 5 %. Les indicateurs de progrès technique mettant en jeu le volume des dépenses en appareils thérapeutiques coexistent avec une tendance, qui ne modifie d'ailleurs que faiblement leurs coefficients (modèles 5 et 6). Ce n'est pas le cas du taux de traitement des insuffisants

rénaux qui est non significatif en présence d'une tendance linéaire.

Ces estimations paraissent donc globalement assez satisfaisantes, même si le faible nombre d'observations et la quantité de régresseurs incitent à une certaine prudence. Sur la base de la relation de long terme du modèle 3, dont l'erreur standard est la plus faible en l'absence de tendance autonome, on a calculé à titre illustratif les contributions de chacun des déterminants à l'évolution des dépenses de santé entre 1970 et 1995 par simulation en laissant successivement chaque variable explicative à son niveau initial (tableau 4). À côté du niveau de vie, qui explique près de la moitié de la progression des dépenses de santé, la baisse des prix relatifs aurait contribué à favoriser la progression des dépenses à partir du milieu des années soixante-dix. Elle expliquerait ainsi environ un quart de la progression des dépenses au cours des vingt-cinq dernières années.

Le taux de prise en charge des dépenses de santé par les administrations publiques exerce une influence plus marginale. Il aurait contribué pour environ 8 % à la progression des dépenses depuis 1970, ce qui est conforme aux résultats des études de l'OCDE. L'effet du vieillissement n'a pas pu être mis en

Tableau 3 : résultats des estimations Modèles

Constante

Log du PIB par tête

Log des prix relatifs

Taux de prise en charge

Tendance

Insuffisants rénaux Dépenses en appareils thérapeutiques par lits d'hôpitaux

Dépenses en appareils thérapeutiques par médecin

Erreur standard Durbin Watson R2 Test de Dickey-Fuller Test de Dickey-Fuller augmenté

1 -3,35 (-3,97) 0,68 (2,6) -0,96 (-V77) 0,022 (4,68) 0,022 (3,92)

1,74 % 1,49

0,9982 -3,67<W) -2,54<*>

2 -5,88

(-10,29) 1,55

( 12,06) -1,44 (-8,14) 0,011 (2,61)

0,0015 ( 1,64)

2,15 % 1,99

0,9973 ^,77(**} -3,51^

3 -3,29

( -3,92) 1,04

(5,92) -1,24 (-8,12) 0,020

(^,69)

0,21 ( 4,013)

1,72 % 1,57

0,9983 -3,76(**> -2,25<*>

4 -5,14

(-7,53) 1,51

( 12,42) -1,48 (9,24) 0,009 ( 2,43)

0,14 ( 2,29) 2% 1,75

0,9976

-3,3(**>

5 -2,40 (-2,88)

0,61 (2,59) -0,96 (-5,38) 0,025 (5,75) 0,014 (2,47)

0,15 ( 2,59)

1,54 % 1,74

0,9987

-2,12<*>

6 -2,34 (-3,09) 0,54

(2,40) -0,96

( -5,38) 0,023 (5,82) 0,022 (4,70)

0,14 ( 3,25) 1,44% 1,82

0,9988 -4,42(**> -2,41<**>

La variable expliquée est le logarithme du volume des dépenses de santé par habitant (période d'estimation : 1970-1995). (*) : on accepte l'hypothèse nulle d'existence d'une relation de cointégration au seuil de 5 %. (**) : on accepte l'hypothèse nulle d'existence d'une relation de cointégration au seuil de 1 %.

Tableau 4 : contributions des facteurs explicatifs à la croissance des dépenses de santé évolution en pourcentage sur la période 1970-1995 et part dans le total

Taux de croissance (en %) Part dans l'ensemble (en %)

Croissance des dépenses de santé

122 100

Effet revenu

51 41

Effet prix relatifs

29 23

Taux de prise en charge 8 6

Progrès technique médical

32 26

Résidu 3 3

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évidence dans l'estimation et serait donc négligeable.

Pour finir, l'impact du progrès technique médical, mesuré ici par le volume des dépenses thérapeutiques par lits d'hôpitaux, expliquerait le quart de la progression des dépenses de santé sur la période 1970-1995 (cf. tableau 3). Rappelons que cette contribution est estimée de façon approximative puisque nous avons eu recours à une mesure indirecte du progrès technique médical.

L'estimation d'une fonction de dépenses de santé sur séries temporelles en France vient donc confirmer en partie les enseignements des études empiriques multinationales effectuées en coupe transversale. La progression des dépenses de santé en France depuis le début des années soixante-dix est très sensible à l'évolution du niveau de vie, mesuré par le PIB par tête. L'élasticité prix des dépenses de santé en France s'avère également assez élevée, même lorsque l'on prend en compte la prise en charge par le système de protection sociale qui exerce elle aussi un impact significatif sur le volume des dépenses de santé. Le progrès technique médical exerce une influence significative et expliquerait près d'un quart de la progression des dépenses de santé. Enfin, le vieillissement de la population et les transformations des structures démographiques n'auraient eu qu'un impact marginal.

Notes

(1) On remarquera que, mécaniquement, une baisse du taux de natalité entraîne une accélération du vieillissement ainsi mesuré. On retrouvera l'influence du vieillissement sur les dépenses de santé en deuxième partie. (2) Ces résultats ne sont peut-être pas représentatifs des autres pays, mais l'absence d'expérience de ce type et de cette ampleur ailleurs fait qu'ils ont été largement cités dans les autres pays. (3) Pour plus de détails, on pourra se référer à Blanchet, Rupprecht (1996). (4) II est important de préciser que ce taux de prise en charge publique ne prend pas en compte le développement des assurances complémentaires, qui couvrent désormais 12 % des dépenses de santé (Comptes de la Santé 1996).

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Annexe 1 : les variables utilisées

Source des données : Base de données ECO - ! SANTE de l'OCDE Champ : France 1960-1995

Syntaxe : VAR VARVOL LVAR VARTET PVAR LVAR

Nom

SAN

MEDPAR

POPTOT

AG65

DEP

PIB

HOSP

THER

LIT

MED

INSREN

PRIXRELAT

CHAR

Variable en niveau Variable en volume, base 1990 En logarithme Volume rapporté à la population totale Indice de prix, base 100 en 1990 Taux de croissance de la variable

Intitulé

Dépenses totales de santé

% de la CF affectée aux dépenses médicales par les ménages

Population totale

Population âgée de 65 ans et plus

Taux de dépendance

Produit intérieur brut

Dépenses totales d'hospitalisation (court, moyen et long séjour)

Dépenses totales en appareils thérapeutiques

Lits hospitaliers

Nombre de médecins

Nombre de patients insuffisants rénaux

Prix relatifs

Taux de prise en charge

Unité

millions de francs

En%

milieu d'année, en milliers

En%

0-19 et 65+ sur 20-64

millions de francs

millions de francs

millions de francs

Unité

Unité

Pour 100 000 habitants

Indice

% des factures médicales financé par des administrations publiques

267

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Annexe 2 : les indicateurs retenus

Log du volume des dépenses de santé rapporté à la population totale

2,4 2.2 2,0 1.8 1,6 1,4 1,2 1,0 H— 1

/ Log du volume des dépenses de santé par tête

( t 1 < i ■ i t | ' ' '■ ' 1 ' ' ■ ' ■ ' ■ 1 ' ' ' ' 1970 1975 1980 1985 1990 1995

Log du PIB par tête en volume 5,0

4,8 -■

4,6 ■■

4,4--

4,2 - Log du volume du PIB par tête

4,0 i — I — I — I — i — | — I 1970 1975 1980 1985 1990 1995

Log du prix des dépenses de santé rapporté à celui de la consommation finale des ménages

Taux de patients rénaux pour 100 000 habitants

1970 1975 1980 1985 1990

Log des dépenses en appareils thérapeutiques par médecin

% -2,0

-2,2

-3,0

Log des dépenses en appareils thérapeutiques par médecin

1970 1975 1980 1985 1990 1995

Log des dépenses en appareils thérapeutiques par lit d'hôpital

0,3

0,2-

0,1 -

-o.i

Log des prix relatifs

H 1 1 1 H H \—\ \-

H 1 M 1 1- H 1 H 1970 1975 1980 1985 1990 1995

Taux de prise en charge des factures médicales par les administrations publiques

Taux de prise en charge des dépenses de santé

-3,0 H 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 (—H 1 1 1 1 1-

-5,0 H — t — h— h — (■ 1970 1975

1970 1975 1980 1985 1990 1995

268