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EXPLORATION BIOLOGIQUE DE LA MALADIE DE WILSON Philippe Chappuis a,*, Muriel Bost b, Micheline Misrahi c, Alain Lachaux d, Jean-Charles Duclos-Vallee e, Dominique Debray f, Jean-Marc Trocellog, France Woimang Rdsum6 La maladie de Wilson est une genopathie autosomale recessive se traduisant par une accumulation pathologique de cuivre dans certains tissus (notamment le foie, le cerveau, le rein et la cornee). Le tableau clinique, parfois tres grave, est & predominance hepatique, neurologique et psychiatrique. Le gene en cause, Iocalise sur le chromosome 13, code une proteine de transport du cuivre, I'ATPTB, qui assure son passage dans la vole secr6toire o~ il est incorpore & la ceruloplasmine et qui intervient dans son excretion biliaire. Les mutations de ce transporteur sont responsables de la maladie. Le diagnostic qui repose sur un faisceau de pr6somptions clinico-biologiques (baisse de la ceruloplasmine, presence d'un anneau corneen de Kayser-Fleischer, anomalies hepatiques et cer6brales) peut etre affirm6 par recherche moleculaire : etude familiale et detection des mutations causales, delicate en raison de I'existence de nombreux variants. Le traitement, efficace s'il est observe pendant toute la vie, dolt etre biologiquement suivi (NFS, cuprurie, creatinine, proteinurie, tests hepatiques). Maladie de Wilson - cuprurie - diagnostic. a Centre de r6ference B. P~pin pour la maladie de Wilson Service de biochimie et biologie mol~culaire Groupe hospitalier Lariboisi6re-Fernand Widal (AP-HP) 2, rue Ambroise-Par6 754?5 Paris cedex 10 b Centre de r~ference B. P~pin pour la maladie de Wilson Biochimie p6diatrique - Laboratoire de neurog6netique H6pital Debrousse - Lyon c Centre de r~ference B. Pepin pour la maladie de Wilson Laboratoire d'hormonologie et de biologie moleculaire H6pital Bic6tre (AP-HP) - Le Kremlin-Bic6tre d Centre de r6f6rence B. P6pin pour la maladie de Wilson Service d'h6patologie gastro-ent6rologie Infantile HSpital Edouard-Herriot - Lyon e Centre de reference B. P6pin pour la maladie de Wilson Centre h6patobiliaire- H6pital PauI-Brousse (AP-HP) -Villejuif f Centre de reference B. P6pin pour la maladie de Wilson H6patologie p~diatrique - H6pital Bic~tre (AP-HP) - Le Kremlin-Bic~tre g Centre de r~f6rence B. P6pin pour la maladie de Wilson Service de neurologie - H6pital Lariboisi6re (AP-HP) - Paris. * Correspondance [email protected] article re(;u le 28 aoQt, accept(~ le 13 decembre 2006. © 2007 - Elsevier Masson SAS - Tous droits r6serv~s. Summary : Laboratory diagnosis and monitoring of Wilson disease Wilson disease is an autosomal recessive disorder which is characterised by a copper accumulation in various tissues (mostly liver, brain, kidney and cornea). It presents clinically primarily as fiver disease, neurological or psychiatric disease and can be very serious. The gene responsible for the disease, ATP'TB, a copper transport located on chromosome 13 enables the passage of copper into the secretary pathway where it is incorporated into ceruloplasmin and facilitates the biliary excretion of copper. The disease is associated with mutations in this copper transporting ATPase. Diagnosis is based on clinical and biological parameters (low ceruloplasmin, Kayser- Fleischer ring, hepatic and neurological patterns of the disease) and confirmed using molecular genetic testing: pedigree analysis and research for disease-causing mutations although this is difficult owing to the numerous variants identified so far. Treatment is efficient if taken lifelong and should be monitored biologically (CBC, urinary copper, creatinine, proteinuria, liver tests). Wilson disease - copper - diagnosis. 1. Introduction D eux th6saurismoses m6talliques d'origine g6netique ont vu leur mecanisme moleculaire elucide en trois annees suc- cessives : 1994 et 1995 pour une thesaurismose & cuivre, la maladie de Wilson [14, 20] et 1996 pour une thesaurismose & fer, rhemochromatose genetique commune [9]. Ces recherches ouvrent la vole & un concept unifie d'un systeme de transporteurs metalliques intracellulaires. Decouverte en 1912 par Sir Alexander Kinnier Wilson [22], la mala- die qui porte son nom n'a vu sa pathogenese reperee que 36 ans plus tard Iorsque Cummings [7] etablit que les tissus des patients contiennent un exc6s de cuivre. La diminution de synthese de ceruloplasmine y fut associee 4 ans plus tard [1 '7]. Cette derni~re, marqueur phenotypique quasi pathognomonique, est encore tres utilisee aujourd'hui, pour cette affection dont la frequence en France varie selon les estimations de 1/30 000 & 1/100 000 mais peut atteindre 1/10 000 (Chine, Japon, Sardaigne). RevueFrancophone des Laboratoires, mars 2007,N ° 390 B7

Exploration biologique de la maladie de Wilson

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EXPLORATION BIOLOGIQUE DE LA MALADIE DE WILSON

Phil ippe Chappuis a,*, Muriel Bost b, Michel ine Misrahi c, Alain Lachaux d, Jean-Charles Duclos-Vallee e, Dominique Debray f, Jean-Marc Trocellog, France Woimang

R d s u m 6

La maladie de Wilson est une genopathie autosomale recessive se

traduisant par une accumulation pathologique de cuivre dans certains

tissus (notamment le foie, le cerveau, le rein et la cornee). Le tableau

clinique, parfois tres grave, est & predominance hepatique, neurologique

et psychiatrique. Le gene en cause, Iocalise sur le chromosome 13,

code une proteine de transport du cuivre, I'ATPTB, qui assure son

passage dans la vole secr6toire o~ il est incorpore & la ceruloplasmine

et qui intervient dans son excretion biliaire. Les mutations de ce

transporteur sont responsables de la maladie. Le diagnostic qui repose

sur un faisceau de pr6somptions clinico-biologiques (baisse de la

ceruloplasmine, presence d'un anneau corneen de Kayser-Fleischer,

anomalies hepatiques et cer6brales) peut etre affirm6 par recherche

moleculaire : etude familiale et detection des mutations causales,

delicate en raison de I'existence de nombreux variants. Le traitement,

efficace s'il est observe pendant toute la vie, dolt etre biologiquement

suivi (NFS, cuprurie, creatinine, proteinurie, tests hepatiques).

Maladie de Wilson - cuprurie - diagnostic.

a Centre de r6ference B. P~pin pour la maladie de Wilson Service de biochimie et biologie mol~culaire Groupe hospitalier Lariboisi6re-Fernand Widal (AP-HP) 2, rue Ambroise-Par6 754?5 Paris cedex 10

b Centre de r~ference B. P~pin pour la maladie de Wilson Biochimie p6diatrique - Laboratoire de neurog6netique H6pital Debrousse - Lyon

c Centre de r~ference B. Pepin pour la maladie de Wilson Laboratoire d'hormonologie et de biologie moleculaire H6pital Bic6tre (AP-HP) - Le Kremlin-Bic6tre

d Centre de r6f6rence B. P6pin pour la maladie de Wilson Service d'h6patologie gastro-ent6rologie Infantile HSpital Edouard-Herriot - Lyon

e Centre de reference B. P6pin pour la maladie de Wilson Centre h6patobiliaire- H6pital PauI-Brousse (AP-HP) -Villejuif

f Centre de reference B. P6pin pour la maladie de Wilson H6patologie p~diatrique - H6pital Bic~tre (AP-HP) - Le Kremlin-Bic~tre

g Centre de r~f6rence B. P6pin pour la maladie de Wilson Service de neurologie - H6pital Lariboisi6re (AP-HP) - Paris.

* Correspondance [email protected]

article re(;u le 28 aoQt, accept(~ le 13 decembre 2006.

© 2007 - Elsevier Masson SAS - Tous droits r6serv~s.

S u m m a r y : Labora to ry d iagnos is and m o n i t o r i n g

of Wi lson d i s e a s e

Wilson disease is an autosomal recessive disorder which is characterised by a copper accumulation in various tissues (mostly liver, brain, kidney and cornea). It presents clinically primarily as fiver disease, neurological or psychiatric disease and can be very serious. The gene responsible for the disease, ATP'TB, a copper transport located on chromosome 13 enables the passage of copper into the secretary pathway where it is incorporated into ceruloplasmin and facilitates the biliary excretion of copper. The disease is associated with mutations in this copper transporting ATPase. Diagnosis is based on clinical and biological parameters (low ceruloplasmin, Kayser- Fleischer ring, hepatic and neurological patterns of the disease) and confirmed using molecular genetic testing: pedigree analysis and research for disease-causing mutations although this is difficult owing to the numerous variants identified so far. Treatment is efficient if taken lifelong and should be monitored biologically (CBC, urinary copper, creatinine, proteinuria, liver tests).

Wilson disease - copper - diagnosis.

1. Introduction

D eux th6saurismoses m6tall iques d'origine g6netique ont vu leur mecanisme moleculaire elucide en trois annees suc-

cessives : 1994 et 1995 pour une thesaurismose & cuivre, la maladie de Wilson [14, 20] et 1996 pour une thesaurismose & fer, rhemochromatose genet ique commune [9]. Ces recherches ouvrent la vole & un concept unifie d'un systeme de transporteurs metall iques intracellulaires.

Decouverte en 1912 par Sir Alexander Kinnier Wilson [22], la mala- die qui porte son nom n'a vu sa pathogenese reperee que 36 ans plus tard Iorsque Cummings [7] etablit que les tissus des patients contiennent un exc6s de cuivre. La diminution de synthese de ceruloplasmine y fut associee 4 ans plus tard [1 '7]. Cette derni~re, marqueur phenotypique quasi pathognomonique, est encore tres utilisee aujourd'hui, pour cette affection dont la frequence en France varie selon les estimations de 1/30 000 & 1/100 000 mais peut atteindre 1/10 000 (Chine, Japon, Sardaigne).

Revue Francophone des Laboratoires, mars 2007, N ° 390 B7

L'analyse des m~taux : applications en biologie, toxicologie et pharmacologie

H6patique

Neurologique 45 15 & 55 Tissu nerveux : ++4- 90 Signes psychiatriques : +

• 4 - Fo e .-. 5 Ado escent Tissu nerveux : + 90

Psychiatrique et adulte jeune S gnes psych atr ques : ++4-

Tissu nerveux : 0 rare et adulte jeune H6m01yse rare Adolescent Foie: +++ . . . .

Signes psychiatriques : 0

* Chiffres moyens car variables selon les auteurs.

2. Expressions cliniques M~me si les expressions cliniques sont majoritairement h6patiques et neurologiques, la maladie est particuli~rement polymorphe. Les tableaux observes associent & des degres divers des signes d'atteinte h6patique (st~atose, insuffisance h6patique avec ou sans ictere, par- fois d'~volution fulminante, cirrhose, cytolyse chronique), neurolo- giques (mouvements anormaux, dystonies, ataxies), psychiatriques (d6pression, troubles de la personnalit~) et h6matologiques (hyperspl6nisme et hemolyse) dont I'&ge d'apparition varie selon les cas (tableau I). D'autres manifestations, plus inconstantes et

tardives, peuvent survenir : elles sont majoritairement r6nales (tubulopathies, lithiases), osseuses, articulaires et cardiaques.

3. Physiopathologie

La diminution d'excr~tion biliaire de cuivre, voie majoritaire d'~limination chez les mammif~res, est le trait dominant de la maladie, en raison de mutations touchant le g~ne de son transporteur hepatique, I'ATP7B (voir en 4.3.) dont il existe une double Iocalisation intra- cellulaire (figure 1).

Holoc~ruloplasmine CU:~

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1. Dans des conditions physiologiques d'homeostasie cuprique, presence d'ATP7B au niveau du trans-Golgi hepatique, assurant le passage du cuivre dans le systeme secretoire. Le metal y est incorpore dans plusieurs cupro-enzymes dont I'apoceruloplasmine pour former I'holoceruloplasmine.

2. En cas d'excedent de cuivre, translocation de rATPFB vers des vesicules cytosoliques qui peuvent alors accumuler le cation. Ces vesicules chargees en cuivre migrent vers la membrane canaliculaire tandis que le transporteur est recycle vers le trans-Golgi. Le relargage du cuivre dans la bile s'effectue apres fusion des vesicules avec la membrane canaliculaire.

Chez les personnes malades, les mutations du gene Wilson entraf- nent une perturbation du trafic et de la fonction de transporteur de I'ATP'7B. En raison de cette perte de fonctionnalite, le cuivre ne parvient ni dans la vole secretoire, ni au niveau vesiculaire. Ne pou- vant ~.tre incorpore dans la ceruloplasmine ou elimine, il s'accumule, en partie libre, dans le foie puis le tissu nerveux pour y occasionner des deg&ts, irreversibles si la maladie n'est pas traitee [4]. Le traite- ment, en principe tr~s efficace, consiste & restreindre les apports en cuivre (regime), & limiter son absorption en favorisant la synthese de metallothioneines enterocytaires pour le fixer (sels de zinc) et surtout & 61iminer la surcharge par voie renale en faisant appel & des chela- teurs dont le principal est la D-penicillamine.

4. Etapes du diagnostic biologique

Pour le diagnostic, les explorations biologiques de la maladie de Wilson s'inscrivent dans un contexte associant des arguments :

- ctiniques (voir ci-dessus) ;

- ophtalmologiques : presence de depets de cuivre dans la cornee sous forme d'un anneau de Kayser-Fleischer objective par examen & la lampe & fente. Bien que souvent absent dans les formes hepatiques et non strictement specifique (note au cours des maladies cholesta- tiques sev¢res), sa presence est un argument solide en faveur d'une atteinte wilsonienne ;

- radiologiques : tomodensitometrie et IRM [8].

Lee explorations biologiques s'effectueront en parallele. Elles compren- nent des recherches non specifiques dont la plupart mettent en evidence la souffrance hepatique et des recherches specifiques par identification de la surcharge (bilan cuprique) et par diagnostic moleculaire.

4.1. Examens non speci f iques

La numeration formule sanguine recherchera une anemie hemolytique. En cas d'hemolyse, un test de Coombs negatif eliminera une etiolo-

gie immune. Le bilan hepatique (ASAT et ALAT, ammoniemie, biliru- bine, phosphatases alcalines, GGT, electrophorese des proteines) et un bilan d'hemostase (taux de prothrombine et numeration plaquettaire) permettront de preciser rexistence d'une atteinte hepatique et d'en apprecier le degre de severit& Effectues en urgence en cas de defaillance hepatique majeure, ces bilans participent & I'indication d'une eventuelle transplantation hepatique. Uionogramme elargi (avec dosages de Puree et de la creatinine) et la recherche d'une proteinu- rie sur les urines de 24 heures objectiveront une possible atteinte renale.

4.2. Bilan cupr ique

Le bilan cuprique complet (determination du cuivre metal et de la ceruloplasmine dans les tissus et liquides biologiques) est toujours fondamental (tableau II). Malgre les avancees en genetique, il garde une part preponderante pour le diagnostic positif de raffection. II est actuellement toujours pratique en premiere intention, exception faite de la biopsie hepatique, dont la morbidite, non negligeable, incite le prescripteur & la reserver aux cas de diagnostic douteux et pour preciser le pronostic de la maladie chez certains patients.

En premiere analyse (tableau II), les malades presentent une baisse souvent tr¢s importante du cuivre serique (sang et plasma) et de la ceruloplasmine associ~e & une augmentation du cuivre urinaire et hepa- tique. Chez les enfants presentant une forme pauci-symptomatique (cuprurie de base normale), un test de charge en D-penicillamine, suivi d'un dosage urinaire de cuivre (augmentation de son excretion urinaire), est egalement tres utilis& Le test & I'incorporation de cuivre radiomarque n'est plus gu~re realis&

L'interpretation des analyses phenotypiques courantes n'est pas toujours evidente.

4.2.1. Cuivre total

Au laboratoire, les methodes de dosage du cuivre total se repartissent entre trois classes principales : colorimetrie, spectrome- trie d'absorption atomique et spectrometrie d'emission atomique en plasma induit ou en plasma induit couple & la spectrometrie de masse [2, 3]. Pour la maladie de Wilson, m~me si les dosages colorimetriques sont possibles pour un depistage, on recommandera I'absorption ato- mique par atomisation electrothermique, surtout pour les dosages uri- naires et hepatiques en raison de sa sensibilite qui permet d'objecti- ver de faibles ecarts de concentration & I'echelon micromolaire. Le laboratoire pr~tera particulierement attention & I'echantillonnage [15], non seulement plasmatique mais surtout urinaire (recueil dans des conditions non polluantes avec du materiel non contamin6 par du cuivre). L'inter~t diagnostique du dosage du cuivre urinaire est encore trop souvent mesestime car, chez le malade m~me non traite, il est typiquement souvent superieur ~ 1 IJmol/24 h.

Revue Francophone des Laboratoires, mars 2007, N ° 390 39

L'analyse des m#taux : applications en biologie, toxicologie et pharmacologie

S'il doit 6tre effectue, le cuivre hepatique sera determine par I'une des trois methodes mentionnees ci-dessus et non par une methode histochimique, moins sensible et plus sujette aux aleas de repartitions du metal dans le parenchyme hepatique, en particulier chez le sujet &ge [16]. En pratique, seuls des taux largement superieurs & 4 IJmol/g de tissu sec sont significatifs. Certains heterozygotes non malades presentent des valeurs voisines de 4 IJmol/g de tissu sec.

Entre autres facteurs de variations, I'interpretation des resultats du bilan cuprique fait intervenir :

- I '~ge : cupremie et ceruloplasmine sont physiologiquement abaissees chez le nouveau-he, puis augmentent progressivement jusqu'& des valeurs supra-physiologiques vers 2 ou 3 ans [6] pour se stabiliser ensuite ~. leurs taux definitifs ;

- I ' i m p r e g n a t i o n o e s t r o g ( ~ n i q u e e t I ' i n f l a m m a t i o n a i g u i i dont les effets se traduisent par une augmentation notable des valeurs basales plasmatiques, souvent multipliees par 2 ou 3 (grossesse) ou legerement majorees (traitement oestrogenique). Dans ces situations, il peut y avoir une normalite trompeuse de ces taux chez les sujets atteints de maladie de Wilson ;

- u n e p o s s i b l e h e t ~ r o z y g o t i e : environ 10 O/o des heterozygotes presentent une diminution d'environ 10 O/o du cuivre et de la cerulo- plasmine plasmatiques, une legere augmentation du cuivre urinaire (chevauchement avec les va]eurs normales hautes, surtout pour le test de charge en D-penicillamine), et hepatique (chevauchement avec des sujets homozygotes diagnostiques tardivement). En principe, ces sujets ne deviendront pas malades et ne doivent pas ~tre traites ;

- les maladies chroniques du foie et en particulier les cholestases chroniques qui par augmentation du cuivre hepatique, voire de la ceruloplasmine, peuvent masquer une homozygotie.

4.2.2. Cuivre libre

Environ 92 % du cuivre serique est fixe & la ceruloplasmine, ce qui explique le parallelisme de leurs variations. Le cuivre libre ou non ceruloplasminique (environ 8 %) augmente Iors des crises hemoly- tiques. II peut aider au diagnostic chez certains patients dont la oeru- Ioplasmine se situe dans des valeurs normales basses et permet aussi de suivre I'efficacite d'un traitement. Le seul ecueil reste celui de sa determination pour laquelle le laboratoire ne propose que deux possibilites tres approximatives.

4.2.2.1. Cuivre libre obtenu par calcul

Ce cuivre est obtenu sur la base de deux dosages, celui de la ceru- Ioplasmine et celui du cuivre total. Sachant qu'une mole de cerulo- plasmine (poids moleculaire -- 132 000) fixe 6 atomes de cuivre, 1 mg de ceruloplasmine transporte 2,9 IJg de cuivre (souvent arrondi & 3 pg de cuivre) ou 1 g de ceruloplasmine transporte 45,4 IJmol de cuivre. Le ouivre libre est calcule par difference entre cuivre total et cuivre ceruloplasminique selon les formules suivantes, cempte tenu des unites employees:

- aux Etats-Unis : Cu libre (IJg/dl) = Cu total (IJg/dl) - 2,9 x ceruloplasmine (mg/dl) ;

- en unites Sl : Cu libre (IJmol/I) = Cu total (pmol/I) - 45,4 x ceruloplasmine (g/I).

Ces formules, equivalentes, supposent que :

- le cuivre total est parfaitement dose, cas rare pour ces patients qui presentent un cuivre effondre, & la limite des possibilites techniques (& ces valeurs le coefficient de variation avoisine les 10 %) ;

- le cuivre ceruloplasminique est determine apres dosage enzymatique de la ceruloplasmine (dosage de I'holo et non de I'apoceruloplasmine) ce qui, en pratique, n'est jamais fait (voir en 4.2.3.) ;

- aucun echange physiopathologique in vitro ou in vivo n'intervient entre cuivre ceruloplasminique et cuivre libre, ce qui n'est pas prouv& II a ete montre, sous certaines conditions, que la ceruloplasmine peut fixer plus de 6 atomes de cuivre [5].

4.2.2.2. Cuivre libre d~termin~ par dosage (cuivre ultrafiltrable)

Le cuivre libre peut aussi etre directement dose selon deux methodes (voir 4.2.1 .) awes sa separation avec celui fixe par les pro- teines (dont la ceruloplasmine) par des membranes dont le pouvoir separateur varie selon leur qualite commerciale, raison pour laquelle on parle plut6t de cuivre ultra-filtrable (faussement assimile au cuivre libre). La methode est, a priori, preferable, car elle ne met en jeu qu'un dosage, au reste aussi delicat que le precedent et assorti d'une filtration dont les conditions experimentales sont loin d'#tre quantitatives.

4.2.3. C~ruloplasmine

Le dosage de ceruloplasmine reste incontournable car il contribue au diagnostic etiologique et, en principe, est tres diminu¢ chez le malade. Les limites de rinterpretation se superposent & celles du cuivre total (voir 4.2.1.) : &ge, impregnation oestrogenique, heterozygotie, maladies chroniques du foie. S'y ajoute un probleme analytique encore mesestim& Chez les patients, la faible quantite de ceruloplasmine cir- culante est souvent presente sous forme d'apoceruloplasmine depour- vue de cuivre (figure 1). Comme la ceruloplasmine complete (holo- ceruloplasmine), cette apoceruloplasmine participe au dosage Iorsqu'il est realise par des methodes immunochimiques, utilis~es dans la grande majorite des laboratoires. Seules des methodes enzyma- tiques qui ne la dosent pas devraient etre utilisees car elles montre- raient que certains patients presentant une ceruloplasmine sub-nor- male par la methode immunochimique secretent en realite de rapoceruloplasmine.

4.3. D iagnos t i c gene t i que

Le gene Wilson (MIM #606682) a ete Iocalise sur le chromosome 13, dans la region 13ql 4.3.-q21.1. Sa version genomique de mars 2006 (NC 000013) s'etend sur 78826 pb et comprend 21 exons. Deux mRNA ont ete caracterises. L'isoforme a (6644 pb) correspond & la proteine ATPFB complete (1 465 AA, 157 kD) et risoforme b (6001 pb) & une proteine tronquee de 1 258 AA. La proteine complete est retrouvee surtout dans le foie, le cerveau et le rein, ce qui explique en partie les symptomatologies observees. Cette ATPase de type P & 8 helices transmembranaires comprend des sequences presentant des similitudes remarquables avec les proteines de transport des metaux Iourds des organismes procaryotes, avec, du cete N-terminal, 6 motifs MBS de fixation du cuivre. Parmi eux les motifs 2 et 4 accepteraient le cuivre de la proteine chaperone HAH1 pour le transferer sur run des deux derniers motifs, le 5 ou le 6 [1], avant le passage trans- membranaire.

~k3.1. Diagnostic indirect familial: la d~cision thdrapeutique

Ce test, utilise le plus souvent pour diagnostiquer la maladie dans la fratrie d'un propositus pour lequel aucune ou 1 seule des 2 mutations n'a 6te trouvee, repose sur une classique analyse de liaison genetique, effectuee avec des marqueurs multi-alleliques de type microsatellites [14, 21] proches et situes de part et d'autres du locus Wilson pour limiter les recombinaisons possibles. Les plus utilises sont les mar- queurs D13S295, D13S296, D13S301, D13S314 et D13S316. La validite du test (99 O/o de fiabilite) ne se verifie qu'en cas de certitude du diagnostic porte sur le cas index. I 'enjeu, important puisqu'il conduit ou non au traitement selon le statut des freres et soeurs, impose une reponse rapide de la part du laboratoire. Ce test ne permet pas, en gene- ral, d'avoir des renseignements sur la mutation causale (figure 2).

4 0 Revue Francophone des Laboratoires, mars 2007, N ° 390

iiii

h i A.R

D13S294 105 109 DI3S295 77 77 D13S296 116 112 D13S301 142 144

1:2 B.R

101 93 75 75

124 116 154 144

, , II : l ih2 C.R M.R

D13S294 105 93 109 93 D13S295 77 75 77 75 D13S296 116 116 112 116 D13S301 142 144 144 144

Les 6quipes m6dico-biologiques qui le r6alisent en pr6-symptomatique doivent avoir 6t6 d6clar6es au Journal officiel (arr6t6 du 12 mai 2001 ).

4.3.2. Diagnostic g~n~tique direct

Ce diagnostic est effectu6 pour identifier I'anomalie mol6culaire sur chacun des deux all61es. Celle ci, rarement identique (homozygotes), est beaucoup plus souvent diff6rente (h6t6rozygotes composites), ce qui alourdit la recherche. Plus de 350 mutations et 100 polymor- phismes ont et6 publies pour le g6ne ATP7B. Un certain nombre de ces variants ainsi que leur Iocalisation (R778L, H1069Q, exons 8, 14, 18, etc.) sont plus souvent rencontr6s dans certaines populations, d'o~ I'importance de connaftre I'origine ethnique du patient (figure 3). Cette recherche directe peut s'effectuer par PCR/RFLP pour certaines mutations courantes (H1069Q, R778L, d61etion de 15 pb au niveau du promoteur...) ou, plus souvent, par recherche SSCP ou dHPLC suivi d'un s6quen~;age de rexon trouv~ anormal. Certaines 6quipes pr6- ferent realiser un sequen?age direct. Ce diagnostic est long et les deux mutations causales ne sont retrouv6es que dans 70 & 80 % des patients environ. De nombreux variants sont r6guli6rement publi6s, sou- vent sans 6tude fonctionnelle associ6e. Les contr61es effectues ne concernent pas toujours rethnie chez laquelle le nouveau variant a 6t6

R778G R778W (Asie, R778Q Eur. ML, cl) R778L

G710A I Rares G710R (Eur. Est, ~- mutations

213-214delAT (Sardes) 561-563delTCA (GB) G710C Eur. MSd) l K831R ~71nv i t~i,~rphism e

uent)

ton 12 =lions (Monde)

ivluu., ~lul T766N T766P (Asie, GB, Am Sud. T766M Est, Eur. Med) T766R

11102T (Ind, 2659delG PaL You) 2659-2660 InsC

(Asie, Eur. M~d)

Environ 20 mutations {Mondel

• * 4, ,

3400delC (Eur. Nord et Eur. Est)

D918N D918Q H1069Q (Eur. Nord, R919W __ trgs fr~luente) R919G $932X (Eur. M6d., Asie) T933P V937G

Plus de 20 Pr6s de 20 substitutions (Asie, Europe), substitutions nombreux (Europe, Asie)

polymorphismes Rares substitutions Rares j (Eur. Ouest, Eur. substitutions | ~ - Cent., Asie) r - - Rares substitutions (Eur. M~.) ' "~' ~ I ~ ~ I ~ ' (Asie, Eur. Meal.)

N12705 (Eur. Centrale, P1273S Eur. M6d., Asie) P12731.

G1266V (Eur. Nord et G1266R Eur. Centrale) G1266K

Revue Francophone des Laboratoires, mars 2007, N ° 390 41

L'analyse des m4taux : applications en biologie, toxicologie et pharmacologie

mis en evidence. De nombreuses publications rapportant de nouvelles mutations doivent donc 6tre considerees avec prudence, en particulier Iorsqu'il s'agit de modifications ponctuelles, voire de certaines mutations d'epissage [6].

4.4. Indications du diagnost ic genet ique

Les indications du diagnostic genetique sent triples.

4.4.1. Participation au diagnostic de la maladie

Un tableau clinico-biologique revelateur associe & une imagerie evecatrice doit 6tre rapidement complete par une demande de diagnostic meleculaire de la maladie, surtout en cas de doute diagnostique puisque le traitement devra 6tre instaure au plus tSt. Les resultats de ce diagnostic peuvent aussi permettre d'eviter de realiser une biopsie hepatique. La maladie peut etre affirmee quand les deux mutations sent retrouvees. Lorsqu'une seule d'entre elles est mise en evidence, elle constitue un argument de presomption & la condition qu'il s'agisse d'une mutation verifiee causale. Les heterozygotes ne sent pas malades, encore que cette eventualite ne soit pas completement exclue pour les &ges avances [6].

4.4.2. Etablissement du diagnostic pr~-symptomatique

En I'etat actuel des connaissances, ce type de diagnostic n'est indiscutablement recommande que pour la fratrie d'un cas index (tableau III). Toutefois, il peut 6tre legitime de repondre aux demandes, toujours nombreuses, de diagnostic genetique chez les parents du second degre, sous reserve que les deux mutations aient ete identifiees chez le cas index, notamment en cas de consanguinit&

Le diagnostic prenatal est techniquement realisable au cours de la grossesse de couples ayant dej& un enfant atteint de la maladie de Wilson sous reserve que les deux mutations soient identifiees chez le cas index ou que la carte haplotypique ait ete caracterisee dans la famille [6]. Cependant, la maladie de Wilson est une maladie curable dent le traitement n'est pas indique avant I'&ge de deux ans. Son depistage est realise au-del& de un an, reposant sur le dosage des transaminases, le bilan cuprique et le diagnostic genetique. En pratique, le diagnostic prenatal ne peut 6tre propose en vue d'une interruption de grossesse et n'est pas justifie par des raisons therapeutiques.

4,4.3, Participation au pronostic

Aucune correlation genotype-phenotype n'a ete formellement identifiee. On peut simplement noter que les mutations non-sens, plus deleteres que les mutations faux-sens, entrafnent I'apparition d'un tableau clinique plus precoce, de type hepatique. Les mutations portant sur le domaine trans-membranaire 4 sent souvent associees & des phenotypes severes. La mutation H1069Q est souvent associee & des manifestations neurologiques assez tardives [18]. Ces generalites doivent etre largement temperees car dans une meme fratrie, les homozygotes ne presentent pas toujours les memes manifestations cliniques.

5. Demarche strat6gique

Comment concilier en coherence les differentes etapes decrites ci-dessus ? Quelles sent leurs positionnements et importances respectives dans le diagnostic de la maladie ? La genetique moleculaire a modifie la demarche strategique du diagnostic, notamment en releguant la ponction-biopsie hepatique & une position moins privilegiee. Plusieurs reflexions font reference & oette strategie : la premiere [16] n'inclut pas la genetique, la deuxieme [10] et une troisieme [23] font etat de scores en attribuant des points aux differents elements cliniques, radiologiques, biologiques et genetiques. Le consensus n'existe pas encore.

Une etude devrait etre entreprise en France par le Centre national de reference B. Pepin pour la maladie de Wilson. En premiere analyse et en attente de progres genetiques & venir, on peut penser que les examens phenotypiques les moins invasifs seront toujours prescrits en premiere intention, les recherches genetiques n'etant entreprises qu'apres fortes presomptions phenotypiques. Pour le diagnostic, seul I'echec des recherches genetiques devrait conduire & la biopsie hepatique.

6. Suivi biologique

S'agissant d'une intoxication, le traitement de la maladie comportera un aspect dietetique, au reste peu contraignant, destine & restreindre les apports en cuivre (61iminer le foie de veau et diminuer la consom- mation de crustaces, fruits seCs, abats et chocolat noir). Le regime est loin d'etre suffisant, le cuivre etant un metal par trop ubiquitaire dans la ration alimentaire.

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Les traitements proposes sont varies (tableau IV). Les sels de zinc sont souvent administres oralement Iorsqu'on souhaite realiser un traitement peu agressif : formes pre ou pauci-symptomatiques, grossesse, relais d'un traitement chelateur. IIs agissent par competition, en diminuant I'absorption intestinale du cuivre.

Les chelateurs qui induisent 1'elimination urinaire du cuivre sont, de loin, les plus utilises. Leur chef de file est la D-penicillamine par voie orale qui presente les inconvenients de susciter souvent des reactions auto-immunes, renales, myelo-suppressives ainsi que des troubles de I'hypersensibilite (administrer des corticoYdes). La surveillance de la toxicite de ce medicament doit donc etre etroite et commander un eventuel arret en cas d'intolerance majeure (thrombopenie, proteinurie). Les consequences tardives sont frequentes (apparition de lesions cutanees, muqueuses et d'elastopathies) mais I'efficacite est remarquable. A la condition d'une stricte observance biologiquement appreciee, environ 70 % des patients voient leurs symptSmes regresser, parfois de fa?on spectaculaire. Un petit pourcentage montre une aggravation initiaie suivie d'une amelioration. Quelques evolutions sont malheureusement fatales, malgr6 une bonne reponse biologique. Un autre chelateur, la trientine, presente une moindre toxicite (depression medullaire, atteinte renale, quelques reactions auto-immunes). Son activit~ chelatrice semble moins efficace que celle de la D-penicillamine, si I'on en juge par le taux compare des cupruries sous traitement. C'est pour juger I'efficacite de ce chelateur que le dosage du cuivre libre pourrait trouver sa meilleure indication. Des essais doivent encore 6tre poursuivis en ce sens. Par rapport & la D-penicillamine, le tetrathiomolybdate, autre chelateur non commercialis6 en France, presenterait I'avantage de ne pas offrir de risque d'aggravation initiale pour les presentations neurologiques mais son etude est encore poursuivie car il presente une toxicite medullaire et hepatique [6]. Les dommages oxydatifs

causes par I'exces de cuivre libre peuvent 6galement relever d'une suppl#mentation par la vitamine E [12]. Outre ces traitements de fond, des traitements symptomatiques sont parfois necessaires :

- plasmapherese au cours de certains accidents d'hemolyse gra- vissime, pour eliminer une premiere quantite importante de cuivre ;

- toxine botulique, dans quelques formes neurologiques.

Enfin, chez certains patients pour lesquels le pronostic vital est engage, y compris ceux presentant des troubles neurologiques, la pratique de la transplantation hepatique peut apporter une amelioration.

7. Conclusion

L es recentes decouvertes genetiques relatives aux proteines de transport du fer et du cuivre soulignent leurs interrelations (la

connexion fer-cuivre) et confirment I'hypothese du r61e majeur de la ceruloplasmine, Iongtemps ignore. Chez I'Homme et les organismes inferieurs, la ceruloplasmine et son equivalent incorporent le cuivre apres son transfert dans le systeme secretoire via des ATPases de transports analogues. Les deux proteines presentent des pro- prietes ferroxydasiques ~. I'origine de flux de fer opposes. Chez la levure, I'equivalent de la ceruloplasmine, la proteine Fet3p, est impli- quee dans I'importation du fer extracellulaire [19] tandis que chez I'Homme, la ceruloplasmine prend part, avec I'hephaestine (proteine analogue) & I'efflux du fer intra-cellulaire [1 1 ] et & son oxydation avant captation par la transferrine circulante. Ce constat est probablement approximatif car s'il explique pourquoi une accumulation de fer intra-cellulaire est observee au cours de I'aceruloplasminemie, maladie genetique autosomale recessive [13], il n'apporte pas de r~ponse quant & I'absence de cette surcharge au cours de la maladie de Wilson.

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