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1 Expériences françaises et internationales sur la concertation autour des sites industriels ETUDE DE CAS Thierry SCHNEIDER (CEPN) Gilles HERIARD DUBREUIL, Serge GADBOIS (MUTADIS) André OUDIZ (IRSN) Martine REMOND GOUILLOUD (Université Paris-Sorbonne) Décembre 2002

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Expériences françaises et internationales

sur la concertation autour des sites industriels

ETUDE DE CAS

Thierry SCHNEIDER (CEPN)

Gilles HERIARD DUBREUIL, Serge GADBOIS (MUTADIS) André OUDIZ (IRSN)

Martine REMOND GOUILLOUD (Université Paris-Sorbonne)

Décembre 2002

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AVANT PROPOS

Ce rapport présente les résultats d'un travail de recherche sur “les enjeux de la concertation autour du suivi des installations industrielles nucléaires et non nucléaires“. Il s’est notamment appuyé sur l’expérience du Groupe Radio-écologie Nord Cotentin (GRNC) où des formes originales d’expertise “pluraliste“ ont été mises en place par les pouvoirs publics afin d’évaluer l’impact sur la santé des rejets de l’usine COGEMA La Hague. Les perspectives ouvertes par l’expérience du GRNC ont conduit la Directrice Déléguée à la Protection de l’Institut de Protection et de Sûreté Nucléaire1, Annie SUGIER, à mettre en place, en avril 2000, un groupe de travail2 chargé de dégager les enseignements de l’expérience française et internationale en matière de concertation autour des sites industriels nucléaires et non nucléaires.

Ce rapport est le fruit d'un groupe interdisciplinaire2 (experts en gouvernance des activités à risques, en radioprotection, en droit de l’environnement) composé d’intervenants internes et externes à l’IRSN et n'engage que ses auteurs.

1 Depuis la réalisation de ce travail est intervenue la réforme du système de contrôle nucléaire en France qui a

conduit à la création de l’IRSN (fusion de l’IPSN et de l’OPRI). Dans le reste du rapport on conservera le nouveau sigle de l’Institut.

2 Thierry SCHNEIDER ([email protected]), Gilles HERIARD DUBREUIL ([email protected]) , Serge GADBOIS ([email protected]), André OUDIZ ([email protected]), Martine REMOND GOUILLOUD ([email protected])

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SOMMAIRE

A. INTRODUCTION ............................................................................................................... 5 1. OBJECTIFS ................................................................................................................................. 5 2. METHODOLOGIE ....................................................................................................................... 5

B. RESUME DES CONTRIBUTIONS .................................................................................. 7 1. RAPPORT SUR LA CONCERTATION AUTOUR DES SITES INDUSTRIELS.................................... 7 1.1 Expérience internationale ........................................................................................................... 7 1.2. Participation des associations à la concertation autour des sites industriels en France............ 10 2. ÉTUDES DE CAS........................................................................................................................ 14 2.1 Approche concertative concernant les rejets de l’installation BNFL de Sellafield .................. 14 2.2 La démarche d’expertise menée par la Commission Locale de Surveillance du CNPE de

Fessenheim à l’occasion de la seconde revue décennale du site. ............................................. 20 2.3 Demande d’autorisation de rejets du CNPE de Saint-Alban : analyse des griefs de la CRII-

RAD.......................................................................................................................................... 25 2.4 Le processus de concertation autour de la révision du décret d’autorisation de l’usine

COGEMA de La Hague ........................................................................................................... 30 3. ELEMENTS JURIDIQUES .......................................................................................................... 37 3.1. Institutions : les outils de la concertation ................................................................................. 37 3.2 Les acteurs ................................................................................................................................ 43

C. ANALYSE SYNTHETIQUE DES CONTRIBUTIONS................................................ 46 1. DYNAMIQUE SOCIALE DE LA CONCERTATION....................................................................... 46 1.1 Emergence de nouveaux acteurs............................................................................................... 46 1.2 Autonomisation des acteurs...................................................................................................... 47 1.3 Changement de rôle des acteurs traditionnels .......................................................................... 48 1.4 Explicitation des rôles et des règles du jeu............................................................................... 49 2. LISIBILITE DU SUIVI DE L’INSTALLATION (FONCTIONNEMENT ET CONTROLE) POUR LES

ACTEURS LOCAUX ET LEUR IMPLICATION DANS LE PROCESSUS DECISIONNEL .................. 51 2.1 Lisibilité du suivi de l'installation dans le temps...................................................................... 51 2.2 L'exercice d'un rôle de relais .................................................................................................... 52 2.3 Procédures de mobilisation sur la durée ................................................................................... 53 2.4 Influence des acteurs locaux sur le processus décisionnel ....................................................... 53 3. LES CONDITIONS D’UNE CONTRIBUTION DE L’EXPERTISE (PUBLIQUE ET PLURALISTE)

A LA CONFIANCE SOCIALE ...................................................................................................... 54 3.1 Modalités d'implication pluraliste ............................................................................................ 54 3.2 Territorialisation de l'expertise ................................................................................................. 55 3.3 Enjeux de l'implication des non-experts dans le processus d'expertise .................................... 55 4. LA JUSTIFICATION LOCALE DE L’INSTALLATION A RISQUES DANS UNE PERSPECTIVE

DE DEVELOPPEMENT DURABLE .............................................................................................. 56

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D. CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES .......................................................................... 58 1. CONTEXTE ............................................................................................................................... 58 1.1 Une évolution générale des modalités d'implication des acteurs locaux qui ont des enjeux

vis-à-vis des installations industrielles ..................................................................................... 58 1.2 Le développement durable d'une activité à risque (nucléaire ou non nucléaire) à l'échelle

d'un territoire passe par un certain nombre de conditions ........................................................ 58 2. COMMENT CONSTRUIRE LA QUALITE DU SUIVI..................................................................... 59 2.1 Comment se construit la qualité du suivi (visibilité, continuité, sens) de l’installation du

point de vue des populations locales ?...................................................................................... 59 2.2 Une visibilité sur la vie de l’installation inscrite dans la continuité ......................................... 60 2.3 Un langage commun et des critères de qualité partagés ........................................................... 60 3. L'IMPLICATION DES DIFFERENTES CATEGORIES D'ACTEURS CONCERNEES....................... 61 3.1 L'implication de l’exploitant..................................................................................................... 61 3.2 L'implication des acteurs relais du territoire............................................................................. 61 3.3 L'implication de l’administration ............................................................................................. 62 4. EXPERTS ET PROCESSUS D'EXPERTISE................................................................................... 63 4.1 La contribution de l’expertise à la qualité du suivi du point de vue des acteurs relais du

territoire .................................................................................................................................... 63 4.2 Vers un renforcement de la contribution de l’expertise à la confiance sociale ........................ 63

ANNEXE : Liste et explication des sigles utilisés dans le rapport..................................... 64

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A. Introduction

1. Objectifs Le premier objectif de cette étude était de dégager les enseignements de l’expérience française et internationale intervenue ces dernières années en matière de concertation autour des sites industriels nucléaires et non nucléaires. Le second objectif de cette étude était d’engager, à partir de ces enseignements, une réflexion sur les dispositifs de concertation existants en France autour du contrôle des installations nucléaires (enquête publique, commission locale, expertise pluraliste), pour en identifier les acquis et formuler des propositions en vue d'améliorer le suivi des installations du point de vue des populations locales. Cette réflexion a notamment impliqué la réalisation des enquêtes et analyses suivantes: • Une étude des évolutions intervenues ces dernières années au plan international, • Une enquête sur la participation des associations à des dispositifs de concertation existants

en France, • Une analyse, dans une optique juridique, des potentialités et des limites des dispositifs de

concertation mis en place, • Des études de cas détaillées de quelques expériences récentes, en France et en Europe, en

matière de concertation autour des installations nucléaires présentant, pour certaines, un caractère innovant, par rapport aux dispositifs réglementaires existants.

2. Méthodologie

La première étape s’est déroulée de fin avril 2000 à septembre 2000. Elle a été menée par Mutadis et comportait : la réalisation de l’étude des évolutions internationales et l’enquête menée en France auprès des associations. La phase de recherche documentaire et l’enquête ont été achevées durant l’été 2000. Le rapport final a été diffusé par l’IRSN en avril 20013. La seconde étape s’est déroulée de septembre 2000 à juin 2001. Elle a été menée par un groupe de travail interdisciplinaire composé de participants IRSN et d’un groupe de participants extérieurs (gouvernance des activités à risques, radioprotection, droit de l’environnement). L’objectif de la seconde étape était de réaliser quelques études de cas détaillées concernant la concertation autour de sites industriels et d’étudier leur contexte juridique.

3 Concertation autour des sites industriels, rapport MUTADIS à l'IPSN, Avril 2001. (Annexe Volume 1)

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La méthodologie de la seconde étape comportait d’une part un travail d’étude et de préparation réalisé par différents membres du groupe de travail et d’autre part un travail collectif d’analyse dans le cadre de 8 séances d’une demi journée du groupe de travail de septembre 2000 à juin 2001. Des comptes rendus des débats de chaque séance du groupe de travail ont été réalisés. Les synthèses des analyses des études de cas ont été élaborées à partir de ces matériaux. Parmi les éléments présentés et discutés dans le cadre de ces séances de travail, on peut citer : • La présentation et la discussion des résultats de la première étape de réflexion. • La préparation et la discussion de 4 études de cas :

- Les démarches de concertation engagées autour du site British Nuclear Fuel Limited (BNFL) de Sellafield,

- Une démarche d’expertise menée par la Commission Locale de Surveillance (CLS) du Centre Nucléaire de Production d'Electricité (CNPE) de Fessenheim à l’occasion de la seconde revue décennale du site,

- Le renouvellement de l’autorisation des rejets du CNPE de Saint ALBAN, - Le processus de concertation concernant la révision du décret d’autorisation de

l’usine COGEMA de La Hague.

• Une présentation du dispositif législatif et réglementaire français relatif aux installations nucléaires de base ainsi que des installations classées et une analyse comparative des dispositions réglementaires concernant la concertation (Installations Nucléaires de Base (INB), installations classées, gestion environnementale, air, eau, déchets,…), dans la perspective des évolutions du droit de l’environnement.

• Une synthèse de différentes réflexions institutionnelles en cours concernant les dispositifs

de concertation, notamment autour des installations industrielles (Conseil d’Etat, gouvernement, administration).

• A ces matériaux, s'ajoute l’expérience du Groupe Radioécologie Nord-Cotentin (GRNC)

qui a déjà fait l’objet d’un travail d’étude impliquant plusieurs participants du groupe de travail (rapport CEPN n°269 – Le GRNC, une expérience originale d’expertise pluraliste). Cette expérience apporte une dimension complémentaire aux études de cas dont la liste est présentée ci-dessus. Elle concerne notamment la construction de références scientifiques et techniques partagées au sein d’un groupe d’experts pluralistes. L’expérience du GRNC intervient d’ailleurs à plusieurs reprises dans les études de cas.

La troisième étape de travail de ce groupe a démarré en septembre 2001 avec l’objectif de formuler des propositions pour améliorer, du point de vue des populations locales, le fonctionnement des dispositifs existants, en suggérant si nécessaire des adaptations du dispositif réglementaire dans la perspective d’un approfondissement de la concertation autour des installations nucléaires. Le présent rapport constitue le résultat intermédiaire de cette troisième étape. Ce document de synthèse doit servir de support à une analyse en partenariat avec différentes catégories d’acteurs (administration, exploitants, associations, Commission Locale d'Information (CLI), élus) dans le cadre d'un séminaire de travail en vue d'élaborer des propositions qui seraient agréées par tout ou partie des acteurs.

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B. Résumé des contributions

1. Rapport sur la Concertation autour des sites industriels Ce rapport4 présente les deux volets d'une étude sur la concertation autour des sites industriels. Le premier volet constitue une revue non exhaustive des réflexions et expériences internationales concernant la concertation autour des installations industrielles aux Etats Unis, au Canada et en Europe à partir de la littérature internationale et d'une recherche documentaire. Le second volet est le résultat d'une enquête de terrain menée en France auprès d'associations pour analyser l’impact sur les conditions de vie de la population de telles approches concertatives.

1.1 Expérience internationale Les réflexions internationales dans ce domaine sont généralement parties du constat que les démarches d'information des populations restent insuffisantes pour instaurer un climat de confiance autour des installations à risques. La participation est apparue comme un moyen efficace, malgré ses exigences en termes de coûts et de temps, pour inscrire durablement un projet industriel dans son environnement social et favoriser la résolution des questions posées par l'acceptabilité des risques associés à ce projet. Aux Etats-Unis comme en Europe, les démarches de communication visant à "rassurer" le public sur la capacité des industriels à maîtriser les activités à risques et la capacité des autorités publiques à contrôler ces derniers se sont soldées par un échec. Ces initiatives ont cristallisé un clivage entre industriels, administrations et public qui n'a pas favorisé l'émergence de perspectives de résolution commune des problèmes de risques.

L'expérience Nord-Américaine L’expérience acquise en Amérique du Nord (The US Presidential/Congressional Commission on risk assessment and risk management; Common Sense Initiative Council de l'Environment Protection Agency) montre que la concertation ne doit pas être considérée comme un outil ponctuel au service de la communication. La participation des parties concernées doit être comprise en fait comme une participation effective à la préparation de la décision – pouvant impliquer, le cas échéant, une modification des projets soumis à consultation, voire leur rejet. Les administrations américaines (comme l'Environment Protection Agency, ou le Department Of Energy), qui occupent une place centrale dans le processus de décision, ont été chargées par les pouvoirs publics fédéraux de faciliter la participation du public. Elles ont développé des programmes permettant aux parties concernées de bénéficier de la compétence d'experts, de suivre des formations ou de disposer de compensations financières pour la participation aux sessions de discussion, sur un large éventail de questions environnementales. Par ailleurs les procédures internes de décision de ces administrations prévoient l'implication des acteurs concernés aux différentes étapes de leur déroulement. La concertation peut s'inscrire dans la durée pour le suivi de sites industriels et amener à la constitution de comités consultatifs citoyens locaux (Citizen Advisory Board).

4 Concertation autour des sites industriels, rapport MUTADIS à l'IPSN, Avril 2001 (Annexe Volume 1)

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Dans toutes ces démarches la dimension locale de la concertation est déterminante. Il s’agit d’inclure dans le processus de décision des éléments non prévus par les procédures techniques d'évaluation et de gestion des risques et notamment de faire des choix s’adaptant mieux au contexte spécifique et aux préoccupations des résidents. Ces initiatives peuvent faire partie intégrante du processus de décision des administrations, ou plus ponctuellement être mises en œuvre dans le cadre de procédures d'enquêtes publiques pour l'autorisation de projets industriels (Bureau d'Audiences Publiques en Environnement, Québec). Ces démarches ne sont pas l'apanage des administrations. En effet, certains opérateurs privés participent ou initient des processus de concertation autour d'une exploitation ou en amont d'un projet.

Les concepts de confiance et de concertation dans la réflexion du réseau TRUSTNET Les réflexions produites par le réseau européen TRUSTNET5 s'appuient notamment sur des recherches nord-américaines sur les notions de confiance et de quiétude dans le domaine des activités à risques. D’une façon générale, il est indispensable de confier à autrui la réalisation de ce que nous ne pouvons accomplir nous-mêmes. Aussi nous faut-il dépendre d’autres personnes ainsi que de systèmes et d’organisations. Une distinction conventionnelle est opérée entre deux dimensions observées dans les phénomènes de confiance au sein d’une collectivité. La première, que nous nous proposons de traduire par la notion de “quiétude“ (le terme anglais “confidence“). La seconde est la notion de “confiance sociale“ (en anglais “social trust“). Ces deux termes recouvrent des dimensions différentes qui ne sont nullement exclusives mais au contraire complémentaires et interdépendantes. La notion de quiétude désigne une relation quotidienne entre une personne et une organisation ou un système. Elle recouvre l'ensemble des attitudes de routine que nous adoptons dans la vie quotidienne quand par exemple nous mettons une lettre à la poste, ou encore lorsque nous allons au restaurant. La quiétude est une attitude relativement passive, qui veut qu'un individu est suffisamment familier avec un système pour ne pas avoir à s’en inquiéter, pour ne pas avoir à s’en soucier. Elle est présente dans toute situation où nous ressentons un sentiment de sécurité. Sans encourager la vigilance, la quiétude est utile en ce qu'elle nous permet de consacrer notre temps à nos propres activités. La notion de confiance sociale désigne une relation entre personnes humaines au sein d’un groupe. La confiance sociale est mobilisée lorsqu'un individu dépend d’autres personnes (et par extension de leurs institutions) pour réaliser un projet qui implique des risques importants pour lui. Une situation typique est celle que rencontre une personne qui décide de subir une opération chirurgicale à risque et qui fait suffisamment confiance à une équipe médicale pour s’en remettre à elle. La confiance sociale peut caractériser également la situation d’un individu face à des activités, gérées par d’autres sans que lui-même soit impliqué (mais tout en subissant les éventuelles conséquences). La confiance sociale exprime plus particulièrement une relation de confiance dans une situation de dépendance forte. La confiance sociale nous fait prendre le risque de l’autre, ou des autres. Elle implique un choix personnel et suppose que nous prenions un risque en nous en remettant à un autrui libre. La quiétude n’est pas un état permanent de la société. Lorsque notre sentiment de quiétude est affecté nous sommes conduits à réévaluer la confiance sociale. En sortant d’un état de quiétude vis-à-vis d’une organisation, nous nous tournons vers les personnes qui la représentent et dont nous dépendons. La confiance sociale est mise en doute et il devient nécessaire de l’authentifier dans la mesure où elle fonde la consistance sociale. La quiétude et la confiance sociale sont interdépendantes et s’expriment dans différentes combinaisons. Dans la vie de tous les jours, nous passons d’états de quiétude à des situations où nous avons besoin de réévaluer notre engagement en testant la confiance sociale. Ces deux formes n’exigent pas le même niveau de ressource ou d’engagement. La confiance sociale est moins régulièrement sollicitée mais suppose une implication plus forte de celui qui fait confiance.

5 TRUSTNET est un réseau européen réunissant des régulateurs, des industriels, des élus, des associations et

des experts dans un processus de réflexion collective sur la gouvernance des activités à risques, dans le cadre des programmes de recherche de la Commission Européenne. Voir http://www.trustnetgovernance.com

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L'expérience européenne

En Europe, le passage d'une logique d'information et de transparence à une dynamique de concertation avec le public a été plus tardif. La réglementation européenne relative à l'information et la participation du public sur les questions de risques d'accident (Directive 96/82/CE dite SEVESO) et les projets industriels (Directive 97/11/CE sur l'étude d'impact environnemental) a progressivement évolué au cours des années 1990. Les améliorations ont porté sur un meilleur accès du public aux documents des exploitants et sur la prise en compte par l'administration, des avis des populations dans le processus de décision. L'adoption de la Convention d'Aarhus sur "l'accès à l'information, la participation du public et l'accès à la justice dans le domaine de l'environnement" en 1998 par les pays de la Communauté confirme cette évolution vers une implication active des parties concernées. Cependant, ces principes d'information et de participation restent diversement mis en pratique suivant les contextes nationaux au sein de l'Union. Le principe de subsidiarité et les initiatives de développement durable, introduits à la suite de la conférence de Rio, mettent en avant le rôle des régions et autres collectivités territoriales dans l'animation d'une démocratie locale, particulièrement sur les questions environnementales. De nombreux réseaux favorisent les échanges et retours d'expérience entre les diverses administrations locales et collectivités territoriales dans ce domaine (Campagne des Villes Européennes Durables). De manière générale, les régions européennes revendiquent officiellement des ambitions dans l'animation de la démocratie locale sur les questions environnementales (Avis du comité des régions sur la sécurité nucléaire et la démocratie locale et régionale, Journal Officiel des Communautés européennes, 98/C 251/06). Certains pays présentent des expériences particulièrement innovantes, au niveau local, de participation du public aux décisions concernant certaines installations industrielles. C’est par exemple le cas de la Suède, notamment dans sa politique de gestion des déchets radioactifs de haute activité. Les réflexions nationales comme celle du Gouvernement et du Parlement britanniques ou les retours d'expérience mis en perspective par le réseau européen TRUSTNET soulignent la nécessité d'intégrer la concertation au processus de décision et de bien articuler les deux niveaux de décision, local et central.

Conclusion Les expériences de concertation américaines et européennes sont chacune marquées par un contexte sociopolitique et historique particulier. Cependant si la plupart des réflexions dans le domaine de la concertation autour des sites industriels repose sur le principe de retours et d'échanges d'expériences, c'est qu'au-delà des particularités de chaque étude de cas, les questions posées, les problèmes rencontrés et les solutions testées sont de même nature, et à défaut de recettes, des recommandations peuvent être transposées d'une situation à une autre. Des conditions générales de réussite de la concertation semblent émerger de l'ensemble de ces expériences. Ces conditions sont principalement les suivantes : • La concertation ne doit pas se limiter à un exercice ponctuel de consultation des parties

concernées mais doit s'étendre à l'ensemble du processus de décision depuis l'élaboration du projet jusqu'à son évaluation après implantation,

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• Le recours à la concertation doit faire partie des pratiques courantes des décideurs tout au long de ce processus ; administration et exploitants doivent prévoir dans leurs structures des procédures institutionnelles de concertation,

• La concertation doit être inscrite dans le processus de décision au sens où elle doit être

capable d'en influencer l'issue. Ceci implique que les parties concernées puissent donner un avis sur plusieurs options pour un même projet.

Concernant la dimension locale, la majeure partie des expériences et réflexions conduit à deux recommandations : la décision doit tenir compte de l'avis des acteurs locaux parce que sur certains aspects ils connaissent mieux que quiconque l'environnement d'accueil d'un projet, mais aussi parce qu'ils sont directement concernés par les impacts potentiels d'une installation industrielle ; dans l'esprit du principe de subsidiarité, la décision doit être prise autant que possible au niveau local par les autorités concernées.

1.2. Participation des associations à la concertation autour des sites industriels en France

L’étude réalisée porte sur l’impact sur les conditions de vie de la population des approches dites « concertatives » du suivi des rejets des sites industriels en France. L’enquête a permis d’analyser les formes d’engagement et d’implication des associations et collectifs dans la concertation. Elle a été centrée sur des situations locales où ont été étudiées de nouvelles formes de relations entre la population, les réseaux associatifs, les exploitants, les pouvoirs publics et les experts publics et associatifs. L’analyse a mis en perspective les dispositifs de concertation dans les domaines nucléaire et non nucléaire. L’enquête a pris la forme de 25 entretiens semi-directifs auprès d’associations résidant à proximité d’installations dans plusieurs régions françaises (Nord-Cotentin, Alsace, Touraine, Poitou, Charente, Limousin, Nord-Pas de Calais).

La concertation : entre lutte et dialogue Du point de vue des associations rencontrées, la concertation traduit un projet ambivalent. Celui-ci d’une part, tend à favoriser des consensus au travers d’une réflexion en commun entre parties concernées et, d’autre part, peut prendre la forme d’une lutte (étymologiquement, le terme « concertatio » désigne une « lutte d’athlètes antiques »), c’est-à-dire d’une discussion pied à pied avec l’administration et l’exploitant pour parvenir à une décision plus adaptée au contexte local. Dans cette seconde perspective, de leur point de vue, la concertation nécessite au préalable un rapport de forces équilibré dans un cadre de dialogue bien défini. Si la démarche de concertation marque en soi une volonté de dialogue et de coopération, elle ne doit pas nécessairement viser le consensus. La mission d’information revendiquée par la plupart des instances de concertation est souvent rejetée par les associations qui ne souhaitent pas devenir le relais de la communication unilatérale de l’exploitant ou de l’administration. En revanche, le réseau associatif désire influencer les décisions qui ont un impact local en laissant à l’exploitant et à l’administration la responsabilité entière des choix. De cette manière, les associations ont l’ambition de contribuer au fonctionnement « sûr » des installations, même si par ailleurs elles peuvent contester la justification de leur implantation et/ou de leur activité.

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C’est moins le souci d’apporter une contribution au processus de décision qui est initialement à l’origine de la participation des associations au suivi d’installations industrielles qu’un sentiment d’inquiétude et de colère face à des incidents, ou à un contrôle administratif perçu comme opaque. En s’engageant dans l’action, les membres d’associations locales reprennent dans une certaine mesure la maîtrise de leur environnement et de leur cadre de vie, et dépassent un sentiment premier d'exclusion et d'impuissance. Comme le requiert la réglementation en matière d’installations classées, des dispositifs d’information et de consultation sont généralement en place autour des sites où interviennent les associations rencontrées dans le cadre de l'étude. Cependant, le plus souvent ces dispositifs ne répondent pas aux attentes des associations. De nombreuses informations peuvent être diffusées sur l’exploitation, mais elles sont ressenties comme partiales et peu crédibles avec pour seule intention de rassurer. Selon les associations, les procédures de consultation ne permettent pas de faire entendre et faire prendre en compte un avis. Les projets qui y sont présentés apparaissent comme « bouclés » et adoptés d’avance. Une dissymétrie forte persiste entre les connaissances, les compétences et les moyens des administrations et des exploitants d’une part, et ceux des associations d’autre part. Plusieurs facteurs favorisent cependant l’implication des acteurs locaux dans le suivi d’une installation. L'ancrage dans une tradition militante souvent ancienne est un trait commun bien partagé par les associations rencontrées. Il donne à leur action une dimension citoyenne qui dépasse les seules questions environnementales et introduit un questionnement plus large sur leur rôle d’acteur dans la vie publique et politique locale. Il accompagne leurs démarches d’un esprit de solidarité et de convivialité qui traduit l’ancrage de leurs préoccupations dans la vie de la communauté locale.

Les conditions de l’action associative Les liens avec les autres associations au niveau local, régional ou national sont également primordiaux pour s’informer, se former et agir sur le terrain. Les actions et compétences – tant juridiques, politiques que techniques – des associations à ces différents niveaux se complètent. Au niveau local, les collectifs ou associations développent une compétence de terrain sur leur environnement proche et ont une capacité de réaction déterminante face aux évolutions d’une installation ou à d’éventuels incidents. Au niveau régional, les associations apportent souvent une compétence d’expertise, notamment dans le domaine de l'environnement, et peuvent également former leurs adhérents ou des membres d’associations locales. Outre ce fonctionnement en réseau, les associations bénéficient d’une inscription dans le temps et dans l’espace, génération après génération sur un même territoire, qui donne une certaine légitimité, une force et une continuité à leur action. Les moyens d’action des associations reposent essentiellement sur un ensemble de compétences critiques qu’elles peuvent réussir à faire valoir progressivement dans le dispositif de concertation et qui peuvent contraindre à des évolutions de la part de l’exploitant ou de l’administration. L’avis qu'émet une association peut avoir une portée, à la fois parce qu’il représente des préoccupations fondées sur une réalité locale, parce qu’il s’exprime sur les systèmes techniques et réglementaires existants, et parce qu’il est souvent formulé au bon endroit, au bon moment. Tout l’enjeu pour les associations locales est d’accéder à des informations stratégiques ou de les produire. En d’autres termes, il s’agit de faire émerger des renseignements sur les équipements techniques et les risques qui posent réellement question en termes de protection de l’environnement, de santé des populations ou de sécurité. Par là même, les associations

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souhaitent soulever des interrogations sur les aspects techniques et réglementaires de l’exploitation mais également sur des aspects éthiques. La possession de cette information stratégique permet aux associations de forcer l'attention dans le jeu institutionnel en amenant l’exploitant et l’administration à s’expliquer, à écouter ce qu'elles-mêmes ont à dire, pour finalement initier un dialogue. Les sources de cette information sont diverses depuis les données de l’exploitant et de l’administration jusqu’à l’expertise indépendante et la production autonome de données en passant par les documents discutés en Comités Départementaux d’Hygiène ou en conseils municipaux et aux renseignements informels communiqués par des riverains ou des employés de l’installation. Dans certains cas, les associations peuvent produire elles-mêmes une expertise basée notamment sur leur bonne connaissance du terrain. Les actions des associations autour des sites industriels prennent des formes variées : manifestations et pétitions (voire grèves de la faim), actions en justice et interventions dans les médias. Au travers de ces initiatives, les membres associatifs et les collectifs rencontrés marquent leur contestation de certains choix d'implantation et d'exploitation industrielles et relayent des attentes partagées par les populations locales. Ces actions ne sont pas contradictoires avec la concertation. Elles montrent cependant que la concertation n'est pas un but en soi, et qu'elle ne vise pas nécessairement à faire perdurer l'implantation d'une exploitation. Elles soulignent que la légitimité et la crédibilité des associations se construisent également en dehors des instances de dialogue.

La participation aux instances de concertation et le contact informel avec l’exploitant

Pour les associations, l'intérêt de ces instances peut dans un premier temps apparaître limité. Ces structures n'ont généralement qu'un rôle consultatif et elles n'offrent pas la possibilité de mener un dialogue en toute équité. Malgré une ouverture à la presse, l'information et les débats sont rarement relayés à l'extérieur. Cependant, les collectifs et associations tiennent à y siéger car il est possible d'avoir accès à certains documents, de faire émerger des problèmes, de poser des questions directes à l'exploitant et à l'administration et d'entendre leurs réponses. Ces réunions formelles sont également un moyen de faire acter des problèmes et de rappeler l'exploitant à ses engagements. A force d'opiniâtreté, la plupart des associations rencontrées arrivent à faire reconnaître la valeur de leur contribution au débat, ce qui contribue à rééquilibrer la structure de concertation. Néanmoins, il semble toujours exister une tension au sein des associations et collectifs, parfois même parmi leurs membres, entre le souci de contribuer au suivi de l'installation et la crainte de servir de caution à l'exploitant et/ou à l'administration. La politique de la chaise vide est parfois pratiquée. Ce dilemme est d'autant plus difficile pour les associations qu'elles ont le sentiment d'être les seules à pouvoir dialoguer de manière critique avec l'exploitant dans ces instances officielles dans la mesure où selon les associations, pour les autres participants (élus et presse), ces structures sont avant tout des relais de communication. Les instances formelles de concertation représentent des structures lourdes qui ne favorisent pas le dialogue direct entre les parties en présence dans la mesure où l'intérêt pour la concertation est diversement partagé entre eux. Les associations souhaitent avant tout pouvoir interroger et écouter l'exploitant. Bien que la présence des élus et de l'administration soit importante pour entendre les questions des associations et les réponses de l'industriel, elle ne facilite pas toujours le travail d'investigation et les échanges. Dès lors qu'il existe entre exploitants et associations une volonté commune de progresser dans le dialogue et de

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dépasser la stricte application de la réglementation, la mise en place de structures informelles où les associations et l'exploitant constituent les principales parties crée les conditions d'une discussion plus ouverte et équilibrée. Pour les associations, ces échanges informels sont une garantie d'un lien continu entre l'exploitant et son environnement social proche. Pour l'industriel, du moins tel que le relayent les associations rencontrées, il y a souvent un enjeu pour la durabilité de son implantation locale. Par ailleurs plusieurs associations de niveau départemental ou régional s'investissent de manière inédite dans les processus informels de concertation en jouant les médiateurs entre l'exploitant, l'administration et les associations locales. Cette position de recul par rapport aux controverses est rendue possible par leur expérience et la reconnaissance de leurs compétences par la majorité des parties. En revanche, plusieurs associations s'interrogent sur les difficultés pour l'administration à situer son propre rôle dans ces formes non officielles de dialogue par rapport à sa mission de contrôle.

Conclusion Les associations mettent en évidence l'intérêt de lieux de dialogue ouverts où les problèmes associés à un projet sont abordés de manière décloisonnée, et les solutions peuvent être évaluées sans a priori. La prise en compte de leurs avis semble contribuer à asseoir la légitimité de l'implantation d'un site industriel, la durabilité de son exploitation, voire dans certains cas son fonctionnement presque quotidien. En revanche, lorsque la justification de l'implantation d'une exploitation reste contestée, cette contribution associative à la concertation a pour objectif essentiel de maintenir un contrôle citoyen sur un site controversé, tout en poursuivant une action de concertation mieux ciblée. En définitive, les associations sont à la fois conscientes des limites des dispositifs de concertation existants et des opportunités qu'offrent des structures plus informelles de dialogue. Tout en étant modestes, leurs ambitions en matière de concertation sont pragmatiques. Elles visent à imposer non pas un avis, mais un dialogue pour soumettre l'exploitant à l'épreuve du regard extérieur de citoyens locaux concernés, et d'une certaine manière pour le contraindre – tout comme l'administration – à donner le meilleur de lui-même. Jouant parfois les trouble-fêtes, les acteurs associatifs font prendre en compte dans le suivi d'une installation industrielle un ensemble de critères - y compris non techniques et non réglementaires - qui peuvent apporter une contribution réelle à la sécurité de l'installation. Ils font également expliciter les présupposés des solutions techniques et évaluent leur cohérence avec l'environnement social local. Tout en gardant leur autonomie et leur distance, les associations rencontrées semblent montrer qu'elles trouvent un intérêt commun à suivre une installation en relation avec l'exploitant et l'administration afin d'améliorer autant que possible son impact sur l'environnement. Cet intérêt commun a d'autant plus de valeur qu'il est souvent le fruit d'un long travail de la part des associations pour s'imposer et être reconnues comme acteurs dans le dialogue, et surtout qu'il n'exclut pas d'autres formes d'actions de concertation par ailleurs.

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2. Études de cas

2.1 Approche concertative concernant les rejets de l’installation BNFL de Sellafield

Cette étude de cas concerne, dans une première partie, la démarche de concertation engagée par BNFL en septembre 1998 avec des acteurs locaux et nationaux et, dans une deuxième partie, la démarche de consultation des différents acteurs mise en place par les autorités (Environment Agency) dans le cadre de la révision des autorisations de rejets des installations de Sellafield.

Contexte historique Les rejets des installations de BNFL, et plus particulièrement des installations de Sellafield, ont donné lieu depuis le début des années 1980 à la publication d'études épidémiologiques sur les risques d'excès de leucémies (soit pour la population voisine de l'installation, soit pour les enfants nés de parents travaillant dans l'installation). En 1985, compte tenu des débats concernant les effets des rejets radioactifs, le Gouvernement anglais a instauré une commission (COMARE - Committee on Medical Aspects of Radiation in the Environment) ayant pour objet d'évaluer les effets liés aux rejets des installations nucléaires (volets épidémiologique et radioécologique). Cette commission composée d'experts scientifiques de l'université et des principaux centres de recherche publie régulièrement, depuis sa création, les résultats d’études et des mises à jour sur les effets attendus de l'exposition aux rayonnements ionisants. Elle a notamment permis de rassembler des informations détaillées sur les rejets passés des installations. Parallèlement, au niveau international, des négociations sont en cours entre les pays européens concernés par la protection du milieu marin de l'Atlantique du Nord-Est. Une convention a été signée en 1992 (entrée en vigueur en 1998) entre 16 parties contractantes dont la France, le Royaume-Uni, l'Irlande, la Norvège et l'Union Européenne et porte essentiellement sur la limitation des rejets chimiques et radioactifs. En ce qui concerne les rejets radioactifs, la stratégie adoptée lors de la réunion ministérielle de la Convention OSPAR à Sintra (Portugal) les 22 et 23 juillet 1998 est de "parvenir (d'ici 2020) à des teneurs ambiantes (dans les mers européennes) dans le cas des substances radioactives présentes à l'état naturel, et proches de zéro dans le cas des substances radioactives de synthèse." Dans ce contexte, les rejets des installations de Sellafield font l'objet de polémiques d'une part, avec la Norvège à propos des rejets de technétium (compte tenu des courants, une partie des substances radioactives rejetées par les installations de Sellafield se retrouvent plus spécifiquement dans les homards aux larges des côtes norvégiennes) et, d'autre part, avec l'Irlande qui demande l'arrêt du retraitement et qui a engagé une procédure juridique à l'encontre de BNFL. Depuis le milieu des années 1990, les autorités anglaises (Environment Agency) ont engagé une nouvelle procédure de révision des autorisations de rejets de l'ensemble des installations nucléaires, les installations de Sellafield étant les premières concernées. Dans ce cadre, BNFL doit montrer les améliorations qui ont été apportées pour réduire les rejets de ses installations.

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BNFL National Stakeholder Dialogue

C'est dans ce contexte qu'en septembre 1998, BNFL, à sa propre initiative, s'est engagé dans une démarche de concertation avec des acteurs locaux et nationaux. Cette démarche, dénommée "BNFL National Stakeholder Dialogue", a pour but de fournir à BNFL des « conseils et recommandations afin d'améliorer sa politique et sa stratégie environnementales ». Il ne s'agit pas d'une instance décisionnelle, mais de concertation d'un point de vue général sur la politique et la stratégie de BNFL. La démarche adoptée par BNFL La démarche mise en œuvre par BNFL est ouverte à toute personne ou organisation se considérant concernée par le sujet. Pour mettre en place cette démarche, BNFL a mandaté un organisme indépendant "The Environment Council", spécialisé dans les processus de concertation et de dialogue sur les questions d'environnement. Cet organisme assure l'organisation matérielle des réunions (d'une durée d'une journée à une journée et demie), l'animation des groupes, la diffusion des documents et les interactions avec les "porteurs d'enjeux" ("stakeholders") si nécessaire. Pour ces réunions, BNFL a mis à disposition de l'organisation "Environment Council" une enveloppe budgétaire permettant de prendre en charge les dépenses liées aux déplacements des différents participants. La première réunion a eu lieu le 9 septembre 1998, impliquant environ une centaine de personnes dont une cinquantaine d'organisations différentes : des communautés locales (municipalités, comtés, districts,…), des organismes de contrôle, la Commission Européenne, des groupes de pression (comprenant des représentants du niveau local et/ou national : Greenpeace, Friends of the Earth,…), des experts, … A l'issue de cette première réunion générale, il est apparu que les deux questions prioritaires à débattre étaient : le retraitement ("reprocessing") et la confiance ("trust"). En décembre 1998, la réunion d'un sous-groupe (comprenant 14 personnes) a permis de proposer l'organisation du dialogue sur la base de quatre groupes de travail autour d'un groupe plénier. Les thèmes ayant été retenus pour les groupes de travail sont : 1. La gestion des rejets desinstallations de Sellafield 2. La gestion des déchets "solides" (principalement liée auxinstallations de Sellafield) 3. La gestion du combustible irradié (retraitement versus stockage direct) 4. Le devenir des stocks de plutonium Des groupes de travail ont ensuite été constitués pour permettre un approfondissement des différents thèmes (un groupe a été constitué autour de la question des rejets de Sellafield regroupant une quinzaine de personnes). Les règles de fonctionnement du groupe sont proposées par Environment Council puis discutées et adoptées par les participants. Le processus est clairement délimité dans le temps (le groupe de travail sur les rejets devait remettre ses résultats au bout d'une période de 8 mois au groupe plénier). Le déroulement du processus de dialogue et ses principaux résultats Les objectifs retenus par le groupe de travail sur les rejets sont : "Recommander une démarche générale pour la gestion des rejets radioactifs liquides et gazeux de BNFL qui pourra notamment contribuer à définir la stratégie permettant de satisfaire les objectifs de la convention OSPAR".

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Le groupe étant focalisé sur les recommandations pour la politique future des installations, les rejets ont été considérés à partir de 2000 et l'analyse a porté sur les différentes implications des stratégies d'amélioration permettant de réduire les rejets à l'horizon de 2020. Les informations concernant les rejets et les calculs en termes de doses ont été fournies directement par l'exploitant BNFL. Ces informations ont été revues par le groupe de travail et ont été considérées comme suffisantes pour le fonctionnement du groupe. Cette situation est rendue possible compte tenu des travaux qui ont été menés depuis le milieu des années 1980 : les informations fournies par BNFL ont déjà donné lieu à des discussions entre les différentes parties prenantes et à des demandes de précisions dans le cadre notamment des travaux de COMARE. Les membres du groupe de travail ont défini des critères visant à sélectionner les radionucléides prioritaires pour la réduction des rejets. Dans cette optique, ils ont considéré qu'au-delà de la quantité de becquerels rejetés, il convenait de prendre en compte les impacts potentiels sur la santé, tout en s'accordant sur le fait que la présence de radionucléides dans l'environnement ou dans la nourriture pouvait être une préoccupation même si les doses induites par ces radionucléides étaient relativement faibles. Cette réflexion a conduit les membres du groupe à adopter 5 critères et à leur accorder un poids en fonction de leur importance dans la définition des stratégies. Ces critères et leur pondération sont les suivants : quantité rejetée dans l'environnement (pondération = 3), concentration dans l'environnement (pondération = 3), dose individuelle au groupe critique (pondération = 5), dose collective (pondération = 1), période radioactive (pondération = 1). Tout en se limitant dans leur évaluation à ces critères quantifiables, les membres du groupe de travail ont clairement reconnu que, compte tenu des niveaux déjà atteints, les impacts radiologiques (en termes de doses) ne constituent pas l'élément moteur principal pour la poursuite de la réduction des rejets desinstallations. Pour eux, la poursuite de la réduction des rejets relève davantage d'une discussion relative à l'acceptabilité politique des rejets qui doit prendre en considération des critères non quantifiables tels que la perception du public, le développement durable et le principe de précaution. Cependant, dans la suite de ses travaux, le groupe conservera l'analyse en termes d'impacts radiologiques sans se donner une valeur spécifique à atteindre mais plutôt comme indicateur de réduction des rejets. Les discussions du groupe de travail ont essentiellement porté sur la construction de scénarios pour les activités futures du site de Sellafield (couvrant diverses situations : de la poursuite des activités jusqu’à la fermeture totale). Une évaluation des impacts en termes de dose au groupe critique pour les prochaines décennies a été réalisée par BNFL et présentée au groupe de travail. Sur cette base, le groupe a engagé une discussion sur la pertinence des scénarios et les orientations possibles. Cette discussion a conduit à écarter le scénario d'arrêt immédiat de toutes les installations du site et celui de la poursuite de l'ensemble des activités : ces deux scénarios sont jugés non réalistes par les membres du groupe. Un consensus s'est établi pour analyser les aménagements possibles pour les scénarios comprenant la fermeture de certaines installations dans un horizon plus ou moins éloigné. Dans ces scénarios, le groupe s'est attaché à discuter les différentes "pressions" de nature à orienter la politique de réduction des rejets des installations de Sellafield dans les prochaines années. Parmi ces "pressions", on peut noter la convention OSPAR, l’emploi, l’économie de la région, la sûreté, les campagnes des ONG… Le groupe reconnaît que les propositions faites par BNFL montrent une volonté de réduire les rejets, mais demande que BNFL s'engage plus clairement sur l'échéancier de la mise en œuvre des propositions de réduction des rejets et de la fermeture de certaines installations. Il

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demande également des analyses complémentaires sur l'incertitude et la modélisation des rejets atmosphériques de l'I129, sur le démantèlement des installations, sur les facteurs économiques et sociaux, sur la sûreté,… Au-delà de cette discussion sur les scénarios prospectifs, il faut souligner que, compte tenu des différences de sensibilité entre les participants au groupe de travail, aucun consensus n'a pu être obtenu quant à l'interprétation des objectifs de la convention OSPAR : au-delà des questions relatives à l'adoption de mesures techniques relatives à la réduction des rejets, le groupe n'a pas été en mesure de discuter des différentes conceptions de la protection de l'environnement et du maintien de la qualité de l'environnement, qui étaient pourtant au cœur des objectifs visés par la démarche. Par ailleurs, compte tenu des discussions dans les groupes de travail et des préoccupations des acteurs politiques locaux, le groupe plénier a décidé de lancer une étude socio-économique sur la région West-Cumbria visant à évaluer les impacts de divers scénarios concernant la poursuite ou non de l'exploitation de tout ou partie des installations de Sellafield. Le rapport final présenté au groupe plénier décrit l'évolution possible de la population active dans la région selon les scénarios envisagés. Il apparaît clairement qu'actuellement environ 40% de l'activité économique de la région dépend de façon directe et indirecte des activités de BNFL. Cependant, l'étude met l'accent sur les alternatives possibles pour la région dans la perspective d'une diminution plus ou moins forte des activités de BNFL en soulignant la nécessité de pouvoir mobiliser des ressources importantes pour développer des activités nouvelles. BNFL poursuit son processus de dialogue et a proposé une ré-évaluation des scénarios un an après la sortie du premier rapport. Sur la base de cette réévaluation, les participants du groupe de travail ont demandé que leur rapport soit transmis au Gouvernement dans le cadre de la consultation, engagée par Environment Agency, sur la stratégie de gestion des rejets de Sellafield. Le groupe s'est réuni à nouveau en octobre 2000 puis en janvier 2002 afin de réévaluer ses conclusions sur la base des nouvelles informations disponibles ou des nouvelles décisions (parmi ces éléments on peut noter la publication de l'étude socio-économique, les propositions d'Environment Agency concernant les rejets de Technétium 99, les décisions relatives à la fermeture des réacteurs Magnox,…). En fait, il est apparu que les recommandations initiales correspondaient toujours à la situation présente et les membres du groupe ont souligné l'influence de leur travail sur les propositions faites par les autorités concernant l'évolution des autorisations de rejets. Conclusion La démarche de dialogue engagée par BNFL marque donc clairement la volonté de concertation de l'exploitant lui-même. Sur le plan de l'organisation, on notera le recours à un organisme tiers mandaté par l'exploitant pour organiser et structurer le dialogue entre les différents acteurs. Il faut également souligner que cette démarche s'inscrit dans la continuité des processus d'évaluation mis en place dans les années 80 par le gouvernement britannique (Comité COMARE). Sur le plan des thèmes abordés, si l'objectif fixé par BNFL concernait l'amélioration de sa politique environnementale en ouvrant à la fois sur des questions locales et nationales, seules les questions locales ont véritablement donné lieu à un dialogue et débouché sur des recommandations concrètes quant à la gestion des rejets. Pour les autres thèmes (poursuite des activités de retraitement, devenir du stock de plutonium), les participants au processus de dialogue ne sont pas parvenus à faire émerger des propositions partagées ou partageables par le groupe, par contre, ils ont identifié un certain nombre de critères qu'ils ont jugé essentiels

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pour évaluer, en toute transparence, les stratégies futures. Parmi ces critères, on notera l'entreposage des combustibles usés, les accidents du travail, le transport, les impacts et les risques associés à la construction d'installations nouvelles. Inversement, des critères tels que la durée de vie des installations et la dose collective n'ont pas pu obtenir de consensus entre les membres du groupe. Contrairement aux groupes précédemment instaurés pour le suivi des impacts associés aux rejets des installations nucléaires, un des apports du processus de dialogue de BNFL est sans conteste l'opportunité offerte aux différents acteurs de s'interroger sur le devenir à moyen et long terme des installations présentes sur le site de Sellafield et la prise en compte dans ces discussions des considérations économiques et sociales pour la région associées aux différents scénarios d'évolution des installations dans le futur. Il faut cependant noter que suite à leur participation au processus de dialogue, des associations de défense de l'environnement s'interrogent : doivent-elles fournir une expertise gratuite à l'exploitant?

La consultation engagée par Environment Agency

Au Royaume Uni, Environment Agency est l'organisme chargé de préparer les autorisations de rejets des installations nucléaires et non nucléaires et de les soumettre aux Ministères de l'Environnement,de l'Agriculture et de la Santé, qui délivrent les autorisations. En 1994, lors du processus d'autorisation de création de l'usine de retraitement THORP à Sellafield, les Ministères de l'Environnement,de l'Agriculture et de la santé demandent qu'une procédure soit mise en place pour permettre un ré-examen tous les trois ans de l'ensemble des autorisations de rejets des installations nucléaires. Environment Agency entame une réflexion dans ce sens en 1996. A cette même période, BNFL a demandé une modification de ses autorisations de rejets pour Sellafield afin de faire face à une augmentation conjoncturelle des activités de retraitement (reprise d'anciens combustibles Magnox, notamment). Après discussion entre l'exploitant et les autorités, cette modification est accordée par les Ministres en novembre 1999 et la modification des autorisations de rejets entrent en vigueur au 1er janvier 2000. Suite à cette modification, Environment Agency a repris début 2000 sa réflexion sur la mise en place d'une procédure de révision régulière des autorisations de rejets de Sellafield et a soumis cette réflexion à une consultation auprès de différents acteurs. En février 2000, Environment Agency soumet pour commentaires un document, spécifiquement dédié aux installations de Sellafield, qui décrit la méthodologie que souhaite utiliser Environment Agency pour évaluer les impacts des rejets de Sellafield et définir les autorisations de rejets en tenant compte des stratégies de réduction des rejets possibles. Ce document décrit les différentes informations que doit fournir BNFL (planning des activités industrielles, notamment) et les évaluations des impacts qui doivent être effectuées (doses individuelles et collectives6, impacts sur l'environnement). Il a été envoyé directement pour consultation aux élus locaux de la région de Sellafield, aux administrations locales et nationales, aux ONG, aux acteurs économiques de la région… Par ailleurs, le document était

6 Pour l'évaluation de la dose collective, l'Environment Agency fait référence à la publication 77 de la CIPR en

soulignant à la fois les précautions qu'il convient de prendre pour le calcul et l'utilisation de la dose collective pour de larges populations à faibles doses, mais en même temps qu'elle joue un rôle significatif pour l'application du système de protection radiologique en ce qui concerne la gestion des déchets. Ainsi, la dose est calculée pour une période de 500 ans, pour l'ensemble de la population du Royaume-Uni et pour les populations "au-delà des mers" (soit, essentiellement les doses pour les populations concernées par les pêches des mers européennes).

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accessible directement sur le site WEB d'Environment Agency, ainsi que dans des lieux de consultation locaux. Cette consultation a duré 8 semaines. 51 personnes ont consulté le document dans les lieux de consultation locaux, 325 personnes ont visité le site WEB et 127 personnes ont téléchargé le document. Au total, 42 commentaires écrits ont été adressés à Environment Agency. En août 2000, Environment Agency a publié un rapport reprenant chaque commentaire numéroté7 et présentant la réponse d'Environment Agency. Parmi les items qui ont donné lieu à discussion, on peut noter :

- La justification de l'installation - La sécurité à long terme (100-1000 ans) - La définition de l'objectif "proche de zéro" dans la convention OSPAR - La nécessité d'intensifier les contrôles indépendants par Environment Agency des

installations de BNFL - Le développement des recherches sur les impacts à la flore et à la faune - Les faibles doses - Les enjeux économiques pour la région - La nécessité d'une comparaison internationale

Le 31 juillet 2001, Environment Agency transmet pour consultation publique jusqu'au 3 décembre 2001 ses propositions pour les futures autorisations de rejets de Sellafield. Cette consultation s'accompagne de réunions publiques. Les propositions finales d'Environment Agency ont été publiées le 16 août 2002 pour l'ensemble des radionucléides. Ces propositions ont été adressées aux différents Ministères (Environnement, Santé, Agriculture) pour avis, avant de pouvoir devenir effectives. Ces propositions comprennent une réduction des trois quarts des limites pour les rejets atmosphériques et de la moitié pour les rejets liquides et devraient entraîner une réduction de l'ordre de 25 à 30 % des doses individuelles des groupes les plus exposés. Les autorisations sont désormais proposées pour l'ensemble du site et non plus par installation et le programme de surveillance de l'environnement est renforcé. Parallèlement, le Technétium (Tc99) ayant été considéré comme prioritaire par le Gouvernement, le 30 novembre 2000, Environment Agency a lancé une consultation auprès du public, jusqu'au 5 mars 2001, sur les options possibles concernant la révision des limites pour ce radionucléide sur la base de la méthodologie adoptée après consultation. Ainsi, Environment Agency a diffusé un rapport présentant les options de réduction possibles pour les rejets de Tc99 sur la base des données demandées à BNFL, et un questionnaire demandant les commentaires sur ces options. Suite à cette consultation, Environment Agency a adressé ses propositions aux Ministres de l'Environnement, de l'Agriculture et de la Santé en septembre 2001. En septembre 2002, la décision des Ministères pour les autorisations de rejets pour le Tc99 n'était toujours pas prise.

7 Un numéro a été attribué à chaque commentaire et envoyé à la personne ayant rédigé le commentaire. Ce

système permet à chaque personne de vérifier que son commentaire a été pris en considération et a reçu une réponse de la part d'Environment Agency, tout en restant anonyme.

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Références Environment Agency: "Scope and Methodology for the full re-examination of the Sellafield authorisations for the disposal of radioactive wastes", February 2000. Environment Agency: "Response to comments on the Scope and Methodology for the full re-examination of the Sellafield authorisations for the disposal of radioactive wastes", August 2000. Environment Agency: "Explanatory document to assist public consultation on proposals for the future regulation of technetium 99 discharges from British Nuclear Fuels plc Sellafield into the Irish Sea", November 2000. Environment Agency: "Explanatory document to assist public consultation on proposals for the future regulation of disposals of radioactive waste from British Nuclear Fuels plc Sellafield", July 2001. OSPAR: "Convention pour la protection du milieu marin de l'Atlantique du Nord-Est", Texte tel qu'amendé le 24 juillet 1998 et actualisé le 11 novembre 2000. COATES R.: "BNFL experience of public engagement: expectations for risk policies", in: The Second Villigen Workshop, Switzerland, 23-25 January 2001, OECD/NEA. Environment Council: "BNFL National Stakeholder Dialogue: Discharges Working Group", 28 February 2000. Environment Council: "BNFL National Stakeholder Dialogue: Waste Working Group", 28 February 2000. Environment Council: "BNFL National Stakeholder Dialogue: West Cumbria: Socio-economic study", Inception report, October 2000. (Voir rapport final)

2.2 La démarche d’expertise menée par la Commission Locale de Surveillance du CNPE de Fessenheim à l’occasion de la seconde revue décennale du site.

Historique La Commission Locale de Fessenheim (CLS) a été créée en 1977, parallèlement au démarrage de la centrale de Fessenheim. La naissance de cette institution fait suite à la contestation suscitée au milieu des années 1970 par le projet d'implantation d'une centrale nucléaire dans la plaine du Rhin. Première unité REP (réacteur à eau pressurisée) du palier des 900 MWe dans le parc français, la centrale de Fessenheim est également en 1975, alors que la procédure d'autorisation est encore en cours, la première installation nucléaire à faire l'objet d'un recours au Conseil d'Etat8. Au niveau local, la contestation se traduit en 1977 par une grève de la faim de sept personnes pendant 24

8 "L'autorisation de l'installation nucléaire étant juridiquement distincte de la déclaration d'utilité publique, des requérants ne peuvent se prévaloir utilement à l'encontre du décret d'autorisation de création d'une centrale des vices qui auraient entaché la déclaration d'utilité publique." Extrait de l'arrêté du Conseil d'Etat, CE, Ass. 28 février 1975, "Herr...", Recueil des arrêtés du Conseil d'Etat (Lebon), année 1975, p. 162.

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jours à Roggenhouse, et plusieurs manifestations. Dès l’origine, ce mouvement se construit en étroite relation entre associations alsaciennes, allemandes et suisses. Sous la pression des élus et de l'opinion, le Conseil Général décide de créer une Commission locale de surveillance (CLS), composée d'élus (maires et conseillers généraux) et d'associations locales, pour suivre le fonctionnement de la centrale (on notera que cette création intervient bien avant la circulaire Mauroy de 1981 sur les commissions locales d'information (CLI)). Cependant la mission de surveillance de la Commission n'est pas clairement définie. Des tensions se font rapidement jour entre les élus et l'administration sur le rôle dévolu à ce nouvel outil. Destinataire des informations délivrées par EDF, la Commission est avant tout sollicitée pour relayer les communiqués de l'exploitant auprès du public. Cependant les élus ont le sentiment de cautionner l'exploitant en limitant leur action à cette mission d'information. De plus, l'accès aux documents leur est en partie refusé. Au début des années 1980, la discussion au sein de la Commission se focalise sur la publication et la révision du Plan Orsec-Rad. La Préfecture du Haut-Rhin refuse de communiquer le contenu du Plan aux élus. En 1983, les conseillers généraux décident de boycotter la Commission en signe de protestation. Ce boycott semble être le premier signe fort de l'évolution de l'activité de la Commission de l'information vers le suivi. C'est à l'occasion de la première visite décennale (VD1), en 1989, que cette évolution prend réellement forme. La Commission commandite alors deux groupes de scientifiques associatifs pour réaliser des contre-expertises de divers aspects relatifs à la sûreté et à la radioprotection, et pour lui faire part de recommandations. Les nouveaux statuts de la Commission rédigés en 1994 traduisent explicitement cette nouvelle orientation, en exposant les deux missions que se donne l'instance de surveillance : mobilisation d'expertise et information. En 1998 débute la deuxième visite décennale (VD2). La Commission a recours aux deux mêmes groupes d'experts. Elle leur demande d'une part, de faire le suivi des décisions issues des contre-expertises de 1989 et, d'autre part, d'analyser des aspects de sûreté et de radioprotection qui lui posent plus particulièrement question. En 2001, la Commission dresse un bilan des contre-expertises et engage de nouvelles études sur les points qu'elle juge prioritaires parmi les questions soulevées par les experts. La mission d'expertise de la Commission s'inscrit ainsi dans la durée.

Un lieu de dialogue structuré Les vingt membres attitrés de la CLS sont des élus et des représentants associatifs qui n'ont aucune compétence particulière dans le domaine nucléaire. La Commission leur offre la possibilité d'avoir des échanges directs et réguliers (au rythme de deux fois par an) avec les experts de l'administration (la DRIRE) et de l'exploitant, qui comptent parmi les invités permanents. De manière plus ponctuelle, à l'occasion des contre-expertises qu'elle commande, la Commission est en relation avec des experts associatifs. En élargissant sa mission première d'information, la CLS est devenue une instance de dialogue qui structure les échanges entre les acteurs locaux et nationaux concernés par la centrale et traite des interrogations pratiques que se posent ses membres sur la centrale et son environnement. La légitimité que confèrent à la CLS son mandat du Conseil Général et son expérience de plus de vingt ans en a fait un outil de transparence. La Commission est le lieu où s'ouvrent et se débattent les dossiers. Les associations peuvent demander à la CLS d'intervenir pour qu'EDF

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leur communique des pièces utiles pour l'exercice de leur mission de suivi alors qu'une demande directe auprès de l'exploitant pourrait se solder par un échec.

Mise à l'agenda de questions sur la centrale et explicitation des positions des acteurs

La discussion qui s'établit au sein de la CLS entre exploitant, associations, élus et administration met bien souvent en évidence des questions de fond, qui ne relèvent pas de la simple divergence de vues entre acteurs. Ainsi par exemple, pour la CLS le vieillissement de la cuve ou la résistance de la digue au risque sismique nécessitent des investigations. De la sorte, la CLS organise des discussions entre experts et non-experts sur les caractéristiques techniques de la centrale, sur son fonctionnement et son environnement. Elle donne un caractère officiel à ces débats et conduit l'exploitant et l'administration à les prendre en compte. Les problèmes mis à l'agenda peuvent concerner spécifiquement la centrale de Fessenheim et son environnement ou toucher de manière large tout ou partie du parc nucléaire. Les débats qui se tiennent couramment de manière informelle entre EDF et les experts associatifs (CRII-RAD, GSIEN) par média interposés à propos du parc nucléaire prennent une couleur nouvelle. Les experts associatifs sont mandatés par la CLS, instance pluraliste, créée par une autorité locale (le Conseil Général) et soutenue par une autorité publique nationale (l'Autorité de Sûreté dans le cadre de la circulaire Mauroy). Ces experts agissent dans le cadre d'une convention co-signée par la CLS, l'exploitant et l'administration. Dès lors, les questions et les débats que leurs travaux suscitent sont d'une certaine manière reconnus d'intérêt public. Par ailleurs, les discussions ne sont plus distantes mais directes, et les arguments peuvent être échangés et débattus en face à face. Le débat n'en est que plus efficace. En soulevant des interrogations nouvelles, la CLS amène l'exploitant mais également l'administration à expliciter chacun sa position. Le travail de contre-expertise réalisé par la CRII-RAD et le GSIEN se traduit par un jeu de questions-réponses entre EDF et les experts associatifs. Comme l'exige la convention, ces échanges sont transmis en copie à la CLS qui reçoit d'un côté une critique élaborée des arguments d'EDF, de l'autre une réponse étayée de l'exploitant. Dans la mesure où, dans leurs échanges, EDF et les experts associatifs font référence à des avis de l'administration, cette dernière est elle-même conduite à motiver et expliquer ses points de vue. Les contre-expertises mettent à plat sur un ensemble précis de questions les positions respectives d'EDF et des autorités publiques, leurs arguments et leurs divergences. A l'issue de la deuxième visite décennale, les membres de la CLS ont indiqué avoir pris la mesure de ce qui sépare réellement EDF et l'Autorité de Sûreté, au travers par exemple de leur évaluation de problèmes comme le vieillissement de la cuve et la durée de vie de la centrale. Ce constat semble avoir permis à une partie des membres de la CLS de considérer qu'il n'existait pas, selon leurs termes, de "complicité entre l'Etat et l'Etat dans l'Etat".

Continuité du suivi : mise en évidence de progrès, identification et hiérarchisation de questions à traiter

Le travail comparatif mené par la CRII-RAD et le GSIEN à l’occasion de la deuxième visite décennale (VD2) a fait ressortir un certain nombre d'évolutions. Il a également montré les limites de cet exercice lourd et ponctuel : malgré leur présence en VD19, les experts ont dû à 9 A noter qu’à la première visite décennale, un expert belge et un expert allemand étaient également intervenus au côté du GSIEN et la CRII-Rad.

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nouveau investir beaucoup de temps pour prendre connaissance des éléments techniques. Même si le champ d'étude de VD2 était plus ciblé que celui de VD1, un effort important a été fourni pour identifier et analyser les problèmes nouveaux. Ceci est particulièrement vrai dans le cas de la sûreté qui a reposé sur un important travail documentaire. Au sortir de VD2, la CLS a jugé qu'il n'était pas opportun d'attendre à nouveau dix ans pour reprendre les questions soulevées lors de la visite décennale, et qu'il était nécessaire de continuer à travailler dans un premier temps sur celles qui lui paraissaient les plus importantes. Dans cette perspective, la CLS a élaboré un agenda d'expertise en partenariat avec les experts publics et EDF. Ceci a abouti au lancement de deux nouvelles études en 2001 concernant la résistance de la digue au séisme et les conséquences d'une inondation sur le fonctionnement de la centrale. Il est prévu de traiter les autres questions au fur et à mesure en fonction de leur priorité et des résultats des expertises nouvellement engagées. L'objectif de la CLS n'est pas de prendre acte du résultat des contre-expertises et des réponses que fournit EDF. Il est acquis qu'un certain nombre de points mentionnés par les experts associatifs pourront être soldés par un traitement rapide d'EDF cependant que d'autres devront faire l'objet de recherches complémentaires. De plus il va de soi qu'au cours du fonctionnement de la centrale de nouvelles questions surgiront dont la Commission pourra éventuellement se saisir. Dans le même temps, l'attention de la CLS ne se porte pas uniquement sur les défauts et les problèmes. Comme l'ont plusieurs fois souligné dans leurs rapports la CRII-RAD et le GSIEN, de nombreuses améliorations et des progrès ont été notés entre les deux visites décennales. Certains rejets radioactifs ont été très nettement réduits. Plusieurs recommandations des experts en matière de sûreté ont été suivies. Les interrogations des membres de la CLS et l'identification de problèmes tendent in fine à une amélioration de la sûreté et de la radioprotection. Les associations qui siègent à la Commission attachent de l'importance au suivi du fonctionnement de la centrale quand bien même certaines souhaitent obtenir sa fermeture définitive.10 Pour exercer ce travail de suivi, la CLS dispose de l'appui technique du Pôle Environnement et Cadre de Vie du Conseil Général du Haut-Rhin. Cette contribution apparaît indispensable pour analyser les informations et dossiers de l'exploitant dont la CLS est destinataire et pour suivre les contre-expertises. La pertinence de la mission d'expertise de la CLS tient au fait que ses membres ne sont pas impliqués à un titre ou un autre dans le fonctionnement de la centrale. Il est déterminant de ce point de vue que la CLS dispose de son propre pôle de compétences et ne dépende pas de celles de la DRIRE qui est elle-même amenée à exprimer un point de vue et expliciter sa position d'autorité de contrôle. L'analyse des résultats des contre-expertises est un travail en soi. La CLS ne souhaite pas engager autant d'études qu'il y a de questions. Il ne lui paraît pas utile de multiplier les expertises dans la mesure où elle ne dispose pas des ressources nécessaires pour les traiter. Le travail de hiérarchisation des problèmes est de ce point de vue primordial pour sélectionner les questions à suivre en priorité. Il est à noter que la structure de la CLS favorise le fonctionnement en groupes de travail, l'analyse d'information, et la prise de décision. La Commission compte vingt membres. Son bureau en réunit huit. Cette organisation interne permet de traiter de manière effective et efficace les contre-expertises. En comparaison, des CLI comprenant plus d'une cinquantaine de membres (la CLI de Cadarache en compte quatre-vingts) semblent généralement plutôt structurées pour favoriser la diffusion la plus large possible d'information concernant l'INB vers l'extérieur, et paraissent peu en situation

10 "Je suis sur une barque. Ma main gauche pagaye, et ma main droite essaye d'attraper une branche pour

sortir de la barque. L'action au sein de la Commission de Surveillance n'empêche pas qu'il y a un autre but."

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d’organiser des échanges contradictoires pour faciliter une analyse en commun des questions par ses membres. La Commission sert de forum de débat entre les acteurs concernés par la centrale, et bénéficie des contributions contrastées des élus locaux, de l'exploitant, de l'administration et des experts associatifs. Le regard critique de ces derniers et des élus apporte une part essentielle : il exerce une certaine pression sur l'exploitant et l'administration et les amène à expliciter leurs positions. Toutefois, le rôle de la CLS ne consiste en aucun cas à promouvoir ex abrupto les critiques formulées par l'un ou l'autre de ses membres, ou par les experts qu'elle aurait commandités. La CLS cherche à faire émerger des questions pertinentes par rapport à ses missions : le suivi du fonctionnement de la centrale, de sa sûreté et de son environnement. D'importantes divergences de vues persistent entre les membres de la CLS, en particulier sur l'arrêt ou la poursuite de l’exploitation de la centrale. Pour autant, la mission de suivi reste une préoccupation commune des membres de la Commission, ce que traduisent de manière explicite les statuts de la Commission. L’intérêt pour ce suivi déborde d’ailleurs les frontières et la CLS invite dans ses commissions les autorités locales allemandes et suisses les plus directement concernées (Fribourg, Bâle). En marge des débats qui traversent la plaine du Rhin sur l'opportunité d'une filière nucléaire en Alsace, la Commission Locale de Surveillance occupe une position de médiation dont l'objectif est d'accompagner le fonctionnement de la centrale au plus près des problèmes qui se posent en pratique, en prenant en compte les interrogations des acteurs locaux. Références

- Charles Haby (président de la CLS), La Commission de Surveillance de la centrale nucléaire de

Fessenheim, présentation au CSSIN, Colmar, 1996

- Convention GSIEN, CLS, CNPE Fessenheim, DRIRE de Strasbourg, 26 août 1999

- Rapport sur la visite décennale n°2 du réacteur 1 du site de Fessenheim, GSIEN, 6 mars 2000

- Convention Crii-rad, CLS, CNPE Fessenheim, DRIRE de Strasbourg

- Rapport 99-29, Contrôle de la radioactivité des sédiments du Canal du Rhin, en amont et en aval du CNPE de Fessenheim, Crii-rad, 23 juin 2000

- Rapport 00-10, Contrôle de la radioactivité des eaux souterraines, principalement le tritium, à proximité du CNPE de Fessenheim, Crii-rad, 22 juin 2000

- Rapport 00-11, Centrale Nucléaire de Fessenheim : étude critique des rejets radioactifs, du plan de contrôle et des résultats des contrôles radiologiques, Crii-rad, 25 juin 2000

- Criirad, Centrale Nucléaire de Fessenheim, Trait d’union n°17, 3ème trimestre 2000

- Recueil des arrêtés du Conseil d'Etat (Lebon), année 1975, p. 162

- Michel Prieur, Droit de l'Environnement, Dalloz, 1991, p. 96

- Circulaire du Premier Ministre Pierre Mauroy à Messieurs les Préfets relative aux "Commissions d'Information auprès des grands équipements énergétiques", 15 décembre 1981

- Philippe Blanchet, Bénédicte Vallet, Pierre Paquiet, Georges Decourt, La gestion des risques industriels aux prises avec le territoire : réflexions à partir de l'analyse de dispositifs d'information et de concertation, Rapport, Ministère de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement, Ministère de l'Industrie, IPSN, Programme Risques Collectifs et Situations de crise du CNRS, Ministère de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche, décembre 1997

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2.3 Demande d’autorisation de rejets du CNPE de Saint-Alban : analyse des griefs de la CRII-RAD

Par un Mémorandum du 5 février 1999, adressé aux ministres chargés de la santé, de l’environnement et de l’industrie, la CRII-RAD a sollicité l’annulation de la procédure d’enquête publique concernant le renouvellement des autorisations de rejets de la centrale nucléaire de Saint-Alban. La CRII-RAD se référait pour cela à l’article 10 du décret 95-540 du 4 mai 1995 (relatif aux rejets d'effluents liquides et gazeux et aux prélèvements d'eau des installations nucléaires de base) qui stipule que le dossier de demande d’autorisation doit être « régulier et complet ». La CRII-RAD, estimant que le dossier présentait des inexactitudes et des lacunes, demandait l’interruption de la procédure d’enquête publique et le réexamen du dossier par la DSIN afin que les corrections qu’elle estimait nécessaires y soient apportées. Divers aspects de cette affaire sont examinés dans le cadre de la présente réflexion sur les approches concertatives : 1) Contenu du dossier de demande d’autorisation soumis par l’exploitant et griefs de la CRIIRAD, 2) Examen préliminaire du dossier, 3) Finalité de l’enquête publique, 4) Concertation et pouvoir de décision.

Rappel de la procédure d’autorisation de rejets (DAR) des INB La rédaction du dossier incombe à l’exploitant « pétitionnaire » qui l’adresse au service instructeur, qui était alors la Direction de la Sûreté des Installations Nucléaires (DSIN). L’instruction du dossier impliquait les administrations et experts nationaux suivants : la DSIN, s’appuyant sur l’Institut de Protection et de Sûreté Nucléaire (IPSN), la Direction Générale de la Santé (DGS), s’appuyant sur l’Office de Protection contre les Rayonnements Ionisants (OPRI), la Direction de la Défense et de la Sécurité Civiles (DDSC) et la Direction de la Prévention des Pollutions et des Risques (DPPR). La procédure prévoit la consultation des administrations locales concernées, des conseils municipaux et du conseil départemental d'hygiène, ainsi qu’une enquête publique. A noter que la consultation de la Commission européenne dans le cadre de l’article 37 du traité Euratom peut également être nécessaire. L’instruction a plusieurs objectifs : • S’assurer du caractère régulier et complet du dossier, cette première étape pouvant conduire la DSIN à

demander à l’exploitant de modifier le contenu du dossier. Lors de cette phase de l’instruction, un dialogue technique avec l’exploitant est généralement établi.

• Recueillir, sur la base du dossier éventuellement modifié, les avis et les demandes d’informations

complémentaires émanant des administrations et experts consultés en vue de contribuer à la préparation de la réponse des pouvoirs publics. Cette phase de l’instruction implique un dialogue technique avec l’exploitant.

• Recueillir parallèlement, à partir du même dossier, les avis des personnes du public et des associations dans

le cadre d’une enquête publique. Les avis sont consignés dans des registres mis à leur disposition. Durant l’enquête, qui dure d’un à deux mois, le commissaire enquêteur peut décider d’organiser une réunion publique avec l’exploitant. A l’issue de l’enquête, le commissaire enquêteur rédige, sur la base des commentaires recueillis, un « avis motivé » qu’il adresse au Préfet.

• Préparer la décision des pouvoirs publics qui se traduit généralement par un arrêté. Celle-ci repose sur

l’appréciation des limites acceptables, telle qu’elle résulte notamment des avis des administrations et instances consultées et du commissaire enquêteur. Cette autorisation prend la forme d’un arrêté interministériel d’autorisation de rejets et de prélèvements d'eau.

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Contenu du dossier de demande d’autorisation soumis par l’exploitant et les griefs de la CRII-RAD

La CRII-RAD a reproché à la DSIN de ne pas avoir fait corriger par l’exploitant les parties du dossier que l’association jugeait incomplètes ou incorrectes. Il s’agit en particulier du résumé non technique du dossier et de la synthèse des bilans radioécologiques. Il faut souligner que l’article 8 du décret du 4 mai 1995 stipule que la demande d’autorisation comprend notamment :

- un document indiquant … les incidences de l’opération [de rejets] sur la ressource en eau, le milieu aquatique, …sur la qualité de l’air, les odeurs, la santé, ….

Cependant, dans ce décret, il n'est pas demandé explicitement de produire une analyse de l'état initial. En outre, l’article 8 précise que si ces informations sont données dans une étude d’impact, celle-ci remplace le document d’incidence précédent. La confusion entre les pièces exigées pour une étude d'incidence et pour une étude d'impact explique sans doute la polémique sur le dossier de renouvellement de la demande d’autorisation de rejets de Saint-Alban11. Celui-ci contenait en fait des pièces qui ne sont pas exigées par le décret du 4 mai 1995, à savoir notamment les documents faisant l’objet des critiques de la CRII-RAD : • le résumé non technique. Ce document est cité dans la circulaire du 27 septembre 1993

prise pour l’application du décret 93-245 du 25 février 1993 relatif aux études d’impact (et non aux études d’incidence).

• la synthèse des bilans radio-écologiques, accompagnée de l’étude réalisée par l’IRSN pour le compte de l’exploitant. Ces mesures sont réalisées sur une base volontariste à l’initiative de l’exploitant.

Le résumé non technique, selon la circulaire du 27 septembre 1993 précitée, est destiné à faciliter la compréhension de l’étude d’impact par le public. Or le résumé figurant dans le dossier de l’enquête publique de Saint Alban contient des propos de l’ordre du plaidoyer qui ont suscité les critiques suivantes de la part de la CRII-RAD [1] : « dans son résumé non technique, EDF indique au public :

- « les médecins de la CIPR ont déterminé des limites acceptables, sans risque pour la santé.

- Elles ont été reprises par l’Union européenne, par la législation française et dans celle des autres Etats membres. »

La CRII-RAD fait remarquer que « La réglementation française serait donc en conformité avec les recommandations et limites internationales et européennes et fixerait des limites consensuelles » et « sans risque pour la santé » et poursuit que « Selon ce schéma, les autorisations de rejets demandées par EDF devraient dès lors lui être accordées sans débat puisqu’elles correspondent à des doses inférieures aux limites et donc dépourvues de tout impact sur la santé… ».

11 On notera qu'à compter de janvier 2000, la DSIN, sur la base d'une lecture combinée des textes applicables

aux INB, exige que les exploitants fournissent une étude d'impact dans les dossiers de demande d'autorisation de rejets et de prélèvements d'eau et non plus simplement une étude d'incidence.

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En ce qui concerne le bilan radioécologique, la CRII-RAD a émis des critiques portant sur son caractère incomplet (absence des résultats concernant le tritium et le carbone 14) : « pour démontrer la quasi-absence d’impact de ses rejets sur l’environnement, EDF s’appuie entièrement sur le bilan décennal qu’elle a commandité à l’IRSN. Présentée en annexe C3, cette étude constitue près du tiers du dossier et prétend rendre compte de l’état radiologique de l’environnement de la centrale. La lecture attentive de ce document révèle des lacunes inadmissibles dans un dossier réglementaire … » La CRII-RAD a considéré que la DSIN avait pour obligation de faire corriger par l’exploitant ces éléments du dossier : « La demande est instruite par la DSIN, conformément aux dispositions du décret 95-540 (article 6). Ce texte stipule clairement que le dossier présenté par EDF doit être contrôlé, et si nécessaire corrigé, avant d’être transmis à l’échelon local pour consultation des populations et des élus concernés… ». En définitive, la CRII-RAD s’appuie sur ces arguments pour demander l’annulation de l’enquête aux ministres chargés de la santé, de l’environnement et de l’industrie [1] : « nous sollicitons, par conséquent, votre intervention afin que la procédure soit interrompue, que la DSIN réexamine le dossier et fasse procéder aux corrections qui s’imposent avant de soumettre la demande à une enquête publique en bonne et due forme ». Le contrôle du dossier qu’évoque la CRII-RAD renvoie à la notion d’examen préliminaire du dossier, encore appelé « examen de recevabilité ».

Examen préliminaire du dossier

En pratique, la DSIN s’appuie sur les avis de divers services et experts, dont généralement l’IRSN, pour juger de la recevabilité du dossier tel quel ou de la nécessité d’en demander la modification par l’exploitant12. Dans ce cas, l’exploitant doit tenir compte des remarques formulées lors de l’examen préliminaire du dossier. Il n’est pas rare que cet examen conduise la DSIN à demander une modification du dossier. L’argumentation de la CRII-RAD en faveur d’un examen plutôt « engageant » pour les pouvoirs publics soulève un première interrogation : « qui porte alors la responsabilité du dossier soumis à instruction et enquête publique ? »13.

12 La circulaire du 20 mai 1998 stipule, dans la section consacrée à « l’examen préliminaire du dossier de

demande d’autorisation de rejet », que la DSIN en « vérifie le caractère complet et régulier, avec l’aide au besoin des autres services intéressés ».

13 Lors de l'audition publique de Mme Rivasi du 10 février 2000 à l'Office Parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, M. Lacoste a rappelé la procédure en vigueur pour les demandes d'autorisation : "… l'exploitant formule une demande d'autorisation, laquelle est soumise à instruction par la Direction de la sûreté des installations nucléaires (DSIN) pour le compte des deux Ministres - Environnement et Industrie. Une première consultation nationale a lieu. Le dossier est ensuite envoyé au Préfet qui mène une enquête publique, tient une conférence administrative, sollicite l'avis d'un certain nombre d'organismes concernés, tout ceci aboutissant, le cas échéant, à un arrêté interministériel d'autorisation" [2].

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On rappellera à ce propos que les décrets de 1974 relatifs aux demandes d’autorisation de rejets prévoyaient que l’exploitant procède en deux temps : d’abord une étude préliminaire, soumise à un premier examen par les pouvoirs publics, puis l’étude d’impact destinée à l’instruction approfondie et soumise à l’enquête publique. Le décret du 4 mai 1995 a supprimé cette démarche en deux temps, ce qui assure notamment une meilleure visibilité de l’enquête publique et évite que les documents présentés soient perçus comme engageant conjointement le contrôleur et le contrôlé. Deuxième interrogation suscitée par la position de la CRII-RAD : dans le cas d’un examen préliminaire relativement approfondi, le dossier dont il faut apprécier le caractère régulier et complet doit-il se limiter aux pièces du dossier cité dans le décret du 5 mai 1995 ou convient-il d’examiner aussi les pièces additionnelles qui sont précisément celles visées par la plainte de la CRII-RAD ? L’extension éventuelle de l’examen aux pièces additionnelles conduirait ainsi, par exemple, à porter une attention particulière au résumé non technique, qui est la pièce la plus facile à comprendre par le public. A noter que l’IRSN n’avait pas été saisi de l’examen de ce résumé. La troisième interrogation suscitée par les critiques de la CRII-RAD est celle du type d’information sur lequel l’IRSN se base pour expertiser l’étude d’incidence ou l’étude d’impact de l’installation. Il faut souligner que la méthodologie d’évaluation de l’impact des rejets sur les populations que l’IRSN appliquait habituellement consistait à apprécier cet impact à partir de la modélisation des transferts des rejets jusqu’à des groupes de population susceptibles d’être les plus exposés. L’évaluation de l’impact ne reposait pas sur les mesures réalisées dans l’environnement. Enfin, une dernière interrogation, qui est sous-jacente aux critiques de la CRII-RAD, concerne l’inclusion par l’exploitant, dans le dossier soumis à enquête, des études radioécologiques réalisées par l’IRSN. La critique est ici d’ordre déontologique (l’IRSN juge et partie). Cette critique n’est pas fondée. Tout d’abord, le service chargé de l’expertise n’est pas le même que celui qui réalise les mesures (règles de déontologie de l’IRSN). De même, le service qui réalise les mesures de surveillance pour l’autorité n’est pas celui qui réalise des mesures dans le cadre de contrats avec l’exploitant. Enfin, et surtout, les mesures sont des informations objectives encadrées par des procédures donnant lieu à des intercomparaisons qui peuvent être réalisées par tout laboratoire, y compris l’expert public chargé de la surveillance et de l’expertise pour les autorités dès lors qu’il respecte ces règles de déontologie. Par contre, c’est à l’exploitant d’interpréter ces mesures. Une enquête réalisée au plan européen par l’IRSN (juillet 2000) confirme que telle est la pratique générale au plan européen.

Finalité de l’enquête publique Parallèlement à l’instruction du dossier par l’administration et ses appuis techniques, le public est consulté sur le même dossier selon une procédure étroitement encadrée par le décret du 23 avril 1985 sur les enquêtes publiques (articles 7 à 21). Les limites de cette consultation ont été fréquemment dénoncées par les associations. La consultation a pour but de recueillir les commentaires du public par le biais de registres présents sur les lieux de consultation des dossiers et ne prévoit de débat que si le Commissaire enquêteur décide d’organiser une « réunion d’information et d’échange avec le public ». Mais la réglementation en vigueur ne prévoit pas explicitement l’organisation de débats contradictoires entre les personnes du public et l’exploitant. Une interprétation restrictive de

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la réglementation (cf. exemple de La Hague) peut laisser supposer qu’il n’est pas possible de faire appel aux capacités de dialogue offertes par les Commissions locales d’information (CLI) pendant la période de l’enquête publique. Il existe donc un écart important entre l’aspiration des associations à être partie prenante à l’examen du dossier soumis à l’enquête publique et les possibilités d’intervention offertes par celle-ci. Ce constat conduit à s’interroger sur la finalité de l’enquête publique dans le cas des rejets des INB et plus généralement dans le cas de l’implantation des Installations Classées pour la Protection de l’Environnement (ICPE) ou des INB. Il semble qu’elle ait bien pour objectif final de permettre l’expression de l’avis du public et pas seulement d’informer celui-ci : « Dans les années 1970, la demande croissante des Français pour une association plus étroite aux décisions touchant à leur cadre de vie a conduit le législateur à mettre en place la procédure d’enquête publique pour d’autres fins que l’expropriation, généralement subordonnée à la réalisation préalable d’une étude d’impact… Ce dispositif assure, s’il est bien conduit, une information satisfaisante du public sur les conséquences d’un projet d’aménagement et permet à celui-ci d’exprimer son avis, ce qui constitue un saut qualitatif remarquable par rapport à la simple gestion des plaintes telle que vue précédemment [3] ». Si tel est bien le cas, il est alors clair que l’instrument actuellement disponible pour assurer l’expression du public n’est pas bien adapté aux attentes des parties prenantes en matière d’association aux décisions concernant l’implantation des installations industrielles et leurs rejets dans l’environnement. Les progrès auxquels aspirent les associations et le public sont donc à rechercher en explorant de nouvelles procédures de concertation.

Concertation et pouvoir de décision Afin d’éviter des ambiguïtés sur ce qui est appelé ici « concertation » ou encore « implication des parties prenantes », il est important de souligner qu’il ne s’agit pas d’explorer les voies destinées à modifier le partage de pouvoir de décision. La version anglaise de ces expressions pourrait laisser à penser que tel est le cas : « stakeholder involvement in decision making ». Les réflexions de plus en plus nombreuses consacrées aux procédures visant une implication accrue des parties prenantes se fondent sur le constat qu’une telle implication est de nature à favoriser l’élaboration de décisions de meilleure qualité et plus efficaces, même si la décision finale (arbitrage) ne correspond pas exactement aux attentes de telle ou telle catégorie [4]. L’implication plus étroite des parties prenantes, notamment par le biais de débats contradictoires ou d’expertises pluralistes, permet aux pouvoirs publics d’apprécier les arguments échangés notamment par les associations, l’exploitant et les experts nationaux. De tels échanges peuvent apporter un éclairage nouveau sur des points jugés secondaires, voire non identifiés par les experts publics, mais qui présentent pourtant une importance réelle dans le contexte local. La concertation tend à favoriser la compréhension mutuelle des divers points de vue en présence. La concertation ainsi conçue n’entraîne aucune perte de responsabilité des pouvoirs publics (« la concertation n’est pas la codécision » [3]). Elle oblige par contre à un effort accru dans la mesure où l’implication d’acteurs nouveaux et souvent revendicatifs nécessite la mise en place de forums plus ou moins formalisés pour organiser et encadrer le dialogue entre les parties prenantes.

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Références [1] CRII-RAD : Mémorandum du 5 février 1999 adressé aux ministres de la santé, de

l’environnement et de l’industrie en vue d’obtenir l’annulation de la procédure d’enquête publique concernant le renouvellement des autorisations de rejets et prises d’eau de la centrale nucléaire de Saint Alban/Saint Maurice.

[2] Les conséquences des installations de stockage des déchets nucléaires sur la santé publique et

l'environnement. Michèle Rivasi. Office Parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques. Rapport N°2257 Assemblée Nationale et N°272 Sénat, mars 2000.

[3] Les conditions de réussite de la concertation à l’amont des projets d’infrastructure. Christophe

Quintin. Thèse professionnelle. Mastère Management Public et Maîtrise Technique, Ecole Nationale des Ponts et Chaussées, 1996.

[4] Une nouvelle perspective sur la gouvernance des activités à risques. Séminaire TRUSTNET,

Commission européenne, 4ème programme RTD, octobre 2000.

2.4 Le processus de concertation autour de la révision du décret d’autorisation de l’usine COGEMA de La Hague

Cette étude de cas a permis d’avoir une appréciation globale de la procédure de concertation telle que prévue par les textes réglementaires et effectivement mise en œuvre. En outre la situation étudiée présente la caractéristique d’avoir donné lieu à une démarche novatrice d’expertise pluraliste de la recevabilité du dossier de l’exploitant.

Contexte / Chronologie L'usine COGEMA de La Hague fait l'objet depuis quelques années d'une attention particulière tant en ce qui concerne le suivi des rejets radioactifs et chimiques dans l'environnement que le domaine de fonctionnement de l'usine. Il faut rappeler, qu’en 1995 et 1997, le Professeur Viel et son équipe avaient publié les résultats d'études épidémiologiques analysant l’évolution de l’incidence des leucémies notamment chez les jeunes du canton de Beaumont-Hague et interrogeant le lien entre les rejets de l'installation COGEMA et l'occurrence de leucémies parmi ces jeunes. La polémique suscitée par le lien suggéré entre l'incidence élevée observée dans cette cohorte et l'exposition aux rayonnements ionisants, a conduit les pouvoirs publics à décider la mise en place début 1997 d’une Commission Scientifique présidée par le professeur Souleau14 chargée de réaliser une nouvelle étude épidémiologique. Après la remise du rapport d’étape de cette Commission en juillet de la même année, deux nouvelles personnalités ont été chargées par les pouvoirs publics de poursuivre le travail engagé : Annie Sugier, Directrice de la Protection à l’IRSN et le professeur Alfred Spira, Directeur de recherche à l’INSERM. La première a été chargée en tant que Présidente du Groupe Radioécologie Nord-Cotentin (GRNC), de reconstituer les doses reçues par les populations concernées et d’évaluer les risques de leucémies liés aux rejets de l’installation de COGEMA La Hagu ainsi qu'aux rejets des autres installations

14 Doyen de l’Université de Pharmacie de Châtenay-Malabry

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nucléaires de la région; le professeur Spira étant chargé d’approfondir les études épidémiologiques. Le GRNC, composé d'experts pluralistes, a contribué de façon significative au processus de concertation associé aux installations COGEMA de La Hague. Outre les études relatives à l'évaluation des risques de leucémies, des missions complémentaires ont en effet été confiées au GRNC. Ces missions ont consisté successivement à évaluer l’impact des rejets radiologiques de l’usine de COGEMA La Hague selon une approche réglementaire (mission de novembre 1997) et d’évaluer l’impact des rejets chimiques de cette même installation (mission d’août 2000). Parallèlement, un dialogue était engagé entre COGEMA et la DSIN depuis 1994 en vue de modifier les décrets d'autorisation de création de l'établissement de La Hague et de réexaminer les autorisations de rejets radioactifs. Cette mise à jour des autorisations était envisagée pour "- permettre à COGEMA d'adapter les conditions générales d'utilisation de ses installations - consacrées au retraitement des combustibles irradiés et au traitement des effluents et déchets ; pour répondre tant aux évolutions attendues de la nature des combustibles usés qu'aux besoins de traitement d'autres types d'effluents ou de déchets particuliers" (lettre de Madame Lauvergeon, Présidente de COGEMA, adressée aux Ministres de l'Environnement et de l'Industrie officialisant la transmission du dossier de demande de modification du décret d'autorisation de création de trois installations de COGEMA-La Hague, en septembre 1999). Suite au dépôt par COGEMA d'un projet de dossier de demande de modifications de ses autorisations de création (DAC), la DSIN réunit, en septembre 1998, un groupe d'experts pluraliste sous la présidence d'Annie Sugier, en tant que Présidente du Groupe Radioécologie Nord-Cotentin, pour donner un avis sur la recevabilité des études d'impact et de dangers fournies dans le projet de dossier déposé par COGEMA en appui de sa demande. Un avis était demandé parallèlement à l'IRSN. Pendant cette période, des discussions se sont instaurées aux différents niveaux de l'administration quant au périmètre de la demande de COGEMA : devait-elle être limitée à une demande de modification des décrets d'autorisation de création ou pouvait-elle inclure également une demande de modification des autorisations de rejets ? Ce n'est qu'en juillet 1999, que la DSIN fera savoir au groupe d'experts le contenu définitif de la demande qui sera déposée par COGEMA en précisant qu'"une demande d'autorisation de rejets, même si elle était souhaitable, ne pouvait être imposée juridiquement" et ajoutant « une telle révision peut avoir lieu dans le cadre de l’article 13 du décret du 4 mai 1995 ». Selon cet article, il est précisé que « à la demande du bénéficiaire de l’autorisation ou à leur propre initiative, les ministres chargés de la Santé, de l’Industrie et de l’Environnement peuvent modifier par arrêté les conditions prévues dans l’arrêté d’autorisation » (lettre du 8 juillet 1999, de la DSIN au groupe d'experts pluralistes). La première analyse des dossiers, tant par le groupe d'experts que par l'IRSN, conduit à l'automne 1998 à un avis de refus de la recevabilité en l'état du projet de dossier de COGEMA et à la demande de compléments d'informations (lettre du 13 octobre 1998 du groupe d'experts à la DSIN et lettre du 22 octobre 1998 de l'IRSN à la DSIN). Suite aux compléments apportés par COGEMA, la DSIN saisit à nouveau le groupe d'experts qui rend un avis favorable (lettre du 29 janvier 1999 du groupe d'experts à la DSIN), tout en émettant des critiques explicites notamment sur la faiblesse de l’étude d’impact des rejets chimiques et sur la justification du niveau de rejet maximum annoncé. Le groupe considère que pour donner de la visibilité au débat, il vaut mieux choisir cette formule qui ne bloque pas l'enquête publique et permet de fournir des arguments aux différents intervenants concernés. Cette

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position n'est toutefois pas comprise par certains15. L’IRSN est également saisi ; son analyse rejoint celle du groupe de recevabilité mais ne fait pas l’objet d’une diffusion extérieure. L'enquête publique démarre le 2 février 2000 et sera prolongée jusqu'au 17 mai 2000. L'avis du groupe d'experts, comprenant les critiques exprimées par le groupe, sera rendu public au même titre que le dossier soumis à enquête publique à la demande du Ministère de l'Environnement. S'agissant des autorisations de rejets, la dernière étude du processus est celle de la fixation des nouvelles autorisations, comme indiqué plus haut, à l’initiative des ministres concernés. La réflexion sur ce sujet est engagée en mai 2000 par la DSIN qui demande à l'IRSN de lui faire part de son avis "sur les bases techniques à retenir pour la fixation des limites relatives à la composante radioactive des rejets". Dans sa réponse, en septembre 2000, l'IRSN présente "une analyse du domaine de fonctionnement demandé par COGEMA sans évolution des procédés actuellement mis en œuvre et examine des voies d'amélioration à court terme ou à plus long terme, susceptibles de réduire encore les niveaux de rejets radioactifs". Une analyse plus détaillée des calculs d'impact pour différentes options de rejets a ensuite été produite par l'IRSN en décembre 2000. L’IRSN joue donc bien ainsi son rôle d’expert proposant des alternatives, la décision finale appartenant aux autorités. Parallèlement, le GRNC poursuit ses travaux propres. En particulier, en juillet 2000, une nouvelle mission est confiée au GRNC portant sur l'analyse des incertitudes associées à l'évaluation de l'impact radiologique et sur l'étude de l'impact des rejets chimiques. Ce dernier point correspondait à l’une des réserves principales émises par le groupe de recevabilité en amont de l’enquête publique. Il apparaît ainsi clairement que la stratégie du groupe de recevabilité a été suivie d’effet puisque les critiques qu’il a émises – de préférence à un refus de recevabilité – ont conduit les pouvoirs publics à demander que soit réalisée l’étude d’impact des rejets chimiques. S'agissant de la modification des décrets d'autorisation de création, on peut mentionner que le groupe permanent "usines" s'est réuni en janvier 2001 pour examiner les rapports préliminaires de sûreté associés à la demande de l'exploitant et a formulé son avis. A ce jour les procédures n'ont pas encore abouti.

Démarche concernant la recevabilité et l'enquête publique de la demande de modification des décrets d'autorisation de création

Cette étude illustre d’une façon particulièrement explicite tout d’abord la difficulté pour les acteurs qui se situent à l’extérieur du cercle formé par l’exploitant, l’administration et ses appuis techniques et plus particulièrement pour les acteurs locaux d’avoir une vision complète du processus d’autorisations dans le contexte d’une INB mais également par des avancées importantes dans le processus de concertation. Ainsi, l’étude met en évidence un processus informel de dialogue entre l’administration et l’exploitant en amont du dépôt officiel de la demande et donc de l’enquête publique. Ce fonctionnement classique permet d’éviter des démarches inutiles et vise à mieux cadrer les

15 Dans son rapport à l'Office Parlementaire en mars 2000 sur "Les conséquences des installations de stockage

des déchets nucléaires sur la santé publique et l'environnement", Michèle Rivasi mentionne : "J'avoue avoir été quelque peu surprise de l'avis remis par Mme Sugier, lequel est des plus contradictoires. Il avance d'une part que les marges ne sont pas explicitées, que l'on ne dispose pas de données suffisamment précises… ce qui ne l'empêche toutefois pas de conclure que le dossier en question est recevable !" (p. 390).

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demandes des pétitionnaires. Par contre, ce fonctionnement, du fait qu’il n’est pas connu, brouille la lisibilité du processus et la distinction des rôles entre l’exploitant et l’administration qui est une condition de la crédibilité du dispositif de contrôle. Quant à la consultation opérée à travers l’enquête publique, elle reste un outil au service de l’administration dans son processus de décision mais n’éclaire pas nécessairement les motivations de la décision finale, une partie des arguments techniques qui la sous-entendent n’étant pas rendus publics. Le fait que l’enquête publique n’ait porté que sur la DAC et non sur la DAR a également brouillé la lisibilité du processus d’analyse confiée au groupe d’experts pluraliste. Ainsi, la demande formulée par la DSIN au groupe pluraliste porte sur les rejets alors même que l’enquête publique était limitée à la DAC : "Dans le cadre du processus de révision des textes réglementaires encadrant les activités des usines de La Hague, j'ai souhaité recueillir l'avis du groupe d'experts sur la recevabilité des études d'impact et de dangers fournies par COGEMA en appui de ses demandes" (Lettre DSIN du 14 septembre 1998)16. Le dialogue entre l’exploitant et l’administration conduira cependant l’exploitant à introduire, sans obligation réglementaire, dans le dossier soumis à enquête publique, comme on l'a mentionné dans l'historique ci-dessus, des éléments d’information susceptibles d’être utilisés par l’administration pour la révision de ses autorisations de rejets. Ceci permettra au groupe d'experts pluraliste d’aborder de façon détaillée cette dimension. Le dossier déposé par l’exploitant est donc le fruit d’une discussion réalisée en amont qui ne procure pas une visibilité d’ensemble sur le processus. De même, les questions des intervenants, dans le cadre de l’enquête publique, ne donneront pas lieu à un dialogue avec l’exploitant dans la mesure où les réponses ne seront pas diffusées ni discutées publiquement. Elles seront remises au commissaire enquêteur après la clôture de la consultation du public. On notera également la confidentialité de certains documents de sûreté du dossier qui échappent ainsi à l’examen du groupe d'experts pluraliste sur la recevabilité comme à l’enquête publique. Enfin, les prescriptions envisagées par l’administration dans la perspective d’une éventuelle autorisation ne sont pas soumises à l’enquête publique (au contraire de l’étude de cas anglaise – voir BNFL). S’agissant des aspects relatifs à la concertation, l'analyse de cette étude de cas fait apparaître un certain nombre d’innovations. En élargissant l'exercice d’examen de la recevabilité à un groupe d'experts pluraliste, les pouvoirs publics ouvrent le champ de l'expertise. En outre, le groupe d'experts pluraliste s'est largement appuyé sur l'expertise construite dans le cadre des travaux du GRNC. Compte tenu de son niveau d'expertise et de sa connaissance concernant l'évaluation des impacts liés aux rejets de l'installation de La Hague, ce groupe d'experts a été en mesure d'analyser finement l'ensemble de l'étude d'impact et de dangers et de demander des précisions pertinentes à l'exploitant. Les remarques et commentaires formulés par le groupe d'experts seront largement pris en compte par l’administration et également repris par les associations dans leurs commentaires.

16 Dans cette lettre, le Directeur de la DSIN précise qu'il a souhaité recueillir l’avis du groupe d’experts sur la

recevabilité de ces études, en particulier pour ce qui concerne : - "la méthodologie employée par COGEMA pour évaluer l’impact des usines sur les populations et

l’environnement, en relation avec les travaux menés par le groupe Radioécologie Nord-Cotentin, - l’optimisation et la justification des rejets nominaux affichés par l’exploitant et leur cohérence avec

l’objectif ultime de faire tendre les rejets liquides vers zéro."

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Si le dossier déposé reste de la responsabilité de l’exploitant, il apparaît qu’il intègre de nombreuses observations et suggestions tant de l’administration que du groupe d’experts pluraliste chargé d’étudier la recevabilité qui ont été intégrées préalablement à son dépôt. Ces modifications sont cependant intégrées sans que cela soit nécessairement visible du point de vue de la population. Cette situation contribue à masquer l’action effective de l’administration et à renforcer une opinion fréquente chez les acteurs locaux d’une collusion entre l’exploitant et l’administration. On notera enfin, dans ce contexte, la volonté de la Commission Spéciale Permanente d'Information près de l'Etablissement COGEMA de La Hague (CSPI) d’apporter une contribution à la procédure d’enquête publique (projet de réunion publique, proposition de diffusion des documents auprès de la population). Cependant, cette étude de cas met en évidence le caractère cloisonné de l’enquête publique vis-à-vis de l’outil de concertation que constituent les commissions locales (ici la CSPI de La Hague). Il est significatif que l’initiative de la CSPI d’organiser une réunion dans le contexte de l’enquête publique ait été annulée suite aux réserves émises par le Commissaire enquêteur considérant que la présentation "de l'avis du groupe d'experts sur la recevabilité… présenterait une difficulté d'ordre réglementaire compte tenu de l'enquête en cours" (lettre du Président de la Commission d'enquête du 4 février 2000). Cependant, ce même Président organisa lui-même une réunion publique un mois plus tard (réunion boycottée par la plupart des associations).

Quelques éléments de conclusion L'analyse de cette étude de cas fait apparaître un certain nombre de points innovants en terme de concertation : • L'élargissement de l'exercice de recevabilité à un groupe d'experts pluraliste à la demande

des autorités de sûreté : - ces dernières ouvrent le domaine de l'expertise sur la recevabilité et tiennent compte

des remarques et commentaires formulés par le groupe d'experts ; - le groupe d'experts s'appuie largement sur l'expertise construite dans le cadre des

travaux du GRNC ; - compte tenu de son haut niveau d'expertise et de sa connaissance concernant

l'évaluation des impacts liés aux rejets de l'installation de La Hague, ce groupe d'experts est en mesure d'analyser finement l'ensemble de l'étude d'impact et de dangers et de demander des précisions à l'exploitant ;

- les analyses réalisées par ce groupe servent de base pour l'ensemble des acteurs qui s'intéressent au dossier.

• Au cours de l'enquête publique, la CSPI propose un certain nombre d'actions visant à

assurer une bonne diffusion de l'information : - demande de mise à disposition de dossiers supplémentaires pour les associations ; - proposition (non réalisée) de mise sur Internet des dossiers ; - projet d'organisation d'une réunion publique (annulée, puis remplacée par une

réunion publique organisée par la Commission d'enquête publique).

• Une mise en évidence publique progressive du processus réglementaire et de ses conditions d'application par des échanges critiques entre l'exploitant, les experts, les ministères, l'Autorité de sûreté et les associations.

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On peut également noter une très forte mobilisation des associations pour analyser les dossiers. Les associations se situent à une étape ultérieure du processus : non plus celui de la recevabilité du dossier, mais celui de l'acceptabilité ou non des autorisations de rejets. On peut enfin souligner la documentation importante fournie par l'exploitant quant à l'étude d'impacts et de dangers. Parmi les points qui n'ont pas trouvé de réponse, on peut citer : • Les divergences de points de vue sur le fait que COGEMA n'ait pas déposé conjointement

à la demande de modification des décrets d'autorisation de création, une demande de modification des autorisations de rejets ;

• L'absence d'un débat entre l'ensemble des acteurs, la plupart des associations n'ayant pas

souhaité participer à la réunion publique qu'elles ne considéraient pas comme étant crédible;

• L'absence de discussion sur le niveau des rejets acceptables entre les différents acteurs

(seule une discussion approfondie a été instaurée sur la recevabilité) ; • Le manque de connaissances et d'évaluation sur l'impact associé aux rejets chimiques de

l'installation. Ce dernier point a été complété par la nouvelle mission du GRNC.

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Résumés de deux cas étudiés dans le cadre du Rapport sur la concertation autour des sites industriels

Une papeterie limousine Créée il y a 25 ans en liaison avec le réseau France Nature Environnement, l'association environnementale locale s'est progressivement intéressée au site papetier installé sur sa commune. A la suite de rejets de liqueur noire dans la rivière, l'association est en conflit juridique avec l'usine depuis plusieurs années lorsqu'intervient en 1990 le rachat par un groupe nord-américain. La capacité du site doit être triplée et la nouvelle direction souhaite consulter l'association. Celle-ci exprime des attentes précises concernant l'approvisionnement et le transport de bois, ainsi que les risques associés au transport de chlore. En mobilisant les connaissances locales de ses adhérents et les compétences techniques et juridiques du réseau associatif départemental et régional, l'association obtient de l'exploitant qu'il opte pour une préparation de chlore sur le site. L'action de l'association vise autant à influencer les options de process technique pour le site qu'à obtenir plus de transparence de la part de l'administration sur les analyses qu'elle possède et les motifs de ses décisions. Au moment de l'extension du site, l'association rencontre l'exploitant de manière informelle très régulièrement. Ces réunions se poursuivent depuis et sont l'occasion d'analyser des questions qui sans être strictement réglementées touchent à l'impact du site sur la qualité de vie de la commune (odeurs, bruit, incidents…). Le Secrétariat Permanent de Prévention des Pollutions Industrielles (SPPPI) de Dunkerque Comptant parmi les principaux ports français, le site industriel de Dunkerque comprend une centrale nucléaire et une quinzaine de sites SEVESO principalement dans le domaine de la métallurgie mais aussi de la chimie lourde (raffinerie pétrolière). En 1989 après une longue période de conflit avec l'industrie, les élus prennent acte de la crise économique majeure qui touche la région et s'engagent dans une réflexion pour relancer le développement économique en prenant en compte le passé d'industrie lourde de leur ville. Il est décidé de rester fidèle à cette vocation, et de favoriser l'implantation de nouvelles industries en s'assurant que les nouveaux projets seront visés par les acteurs locaux et que les effets sur l'environnement seront correctement maîtrisés et surveillés. Pour répondre à ces objectifs un Secrétariat Permanent de Prévention des Pollutions Industrielles (SPPPI) est créé. Son conseil d'orientation réunit sous la présidence du Préfet : des représentants de la Chambre de Commerce et d'Industrie, du patronat, de 18 municipalités (rassemblées en une Communauté Urbaine), de 15 associations locales (rassemblées en Fédération) et des services déconcentrés de l'Etat. Suite à un bilan environnemental initial, un comité de pilotage composé sur la même base de représentation élabore un Schéma d'Environnement Industriel. Le schéma définit des dispositifs d'environnement industriel pour l'implantation de nouvelles exploitations. Il prévoit que les entreprises candidates à l'implantation passent devant une Commission "Nouveaux Projets" au SPPPI. Les usines qui s'installent doivent par ailleurs répondre à un cahier des charges en matière d'environnement, à la fois complémentaire aux obligations légales et spécifique aux caractéristiques du site industriel dunkerquois. Quatre autres Commissions pluralistes travaillent sur différents aspects d'environnement industriel (eau, air, déchets, risques) au sein du SPPPI. Les Commissions commanditent des études et débattent de leurs résultats. L'émission de poussières par les cheminées de SOLLAC (6500 tonnes/an de poussières contenant de la dioxine et du furanne) est un des sujets majeurs débattus au SPPPI. Une étude épidémiologique sur 1200 enfants a été menée en 1993 pour le SPPPI par l'Association pour la Prévention de la Pollution Atmosphérique, l'Observatoire Régional de la Santé et l'hôpital de Dunkerque. Bien qu'aucun risque respiratoire n'ait été décelé, l'étude a identifié une taille moyenne inférieure pour les enfants résidant dans les zones polluées. Depuis 1990 une association locale mesure grâce à une "table à poussières" la quantité quotidienne de poussières émises et identifie son origine en référence à la localisation des cheminées et à l'orientation des vents communiquée par Météo France. L'association a été consultée par l'entreprise à l'occasion de l'installation d'un équipement destiné à réduire les émissions de poussières. Par la publication de ses mesures, elle rappelle régulièrement que si cette pollution n'est pas réglementée, elle constitue un impact significatif, et visible, sur la qualité de vie d'une partie des habitants de l'agglomération.

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3. Eléments juridiques

Le droit de l’environnement, apparu dans les années soixante-dix, a fortement contribué à développer l’information du public, la communication traditionnelle tendant ainsi à se muer en concertation propre à favoriser la participation citoyenne. Le droit nucléaire, dispositif réglementaire commandé par les impératifs prioritaires de la défense et de l’approvisionnement énergétique national, est longtemps resté à l’écart de cette évolution. Cependant, cet écart commence à se résorber. L’émergence d’une forte demande d’information du public, l’appréhension à l’égard des risques industriels, nucléaires ou non, née de grands accidents récents, justifient un effort d’explication inédit, fondé sur la concertation. Or cet effort passe avant tout par la clarification des procédures utiles, des textes et de leur interprétation. Et lorsque des dérogations au droit commun s’avèrent nécessaires, leur raison d’être doit s’expliquer. Tel est l’exercice que la présente contribution juridique s’efforce d’amorcer.

3.1. Institutions : les outils de la concertation A partir des deux procédures essentielles impliquant l’intervention du public dans les choix intéressant l’activité nucléaire, soit la demande d’autorisation de création de l’INB (DAC), et la demande d’autorisation de rejets d’effluents liquides et gazeux et de prélèvements d’eau de cette installation (DAR), il convient de noter leurs spécificités au regard du droit commun, notamment du droit des installations classées : les procédures d’autorisation, les conditions de leur renouvellement, l’étude d’impact, l’enquête publique sont ainsi examinées. Cet inventaire offre l’occasion de clarifier certaines notions sujettes à équivoque.

3.1.1. L’autorisation : indépendance des procédures Face à la multiplicité des procédures et aux inévitables duplications de formalités, le principe d’indépendance des procédures mérite d’abord attention. Ce principe signifie, d’une part que chaque autorisation, spécifique, ne vaut pas pour un autre domaine que celui pour lequel elle a été accordée, d’autre part que les irrégularités affectant une autorisation ne vicient pas les autres autorisations accordées à propos du même projet. Ainsi, l’autorisation de création d’une installation nucléaire est juridiquement distincte d’une déclaration d’utilité publique (DUP), soumise à des règles différentes. En conséquence les vices affectant la DUP ne peuvent être invoqués à l’encontre du décret d’autorisation d’une centrale nucléaire (Conseil d'Etat 28 février 1975, Herr...). Et, à l’inverse les vices affectant l’autorisation de création d’une centrale nucléaire ne peuvent être invoqués à l’encontre du décret déclarant les travaux de construction d’utilité publique (Conseil d'Etat 4 mai 1979, Département de Savoie). Les installations nucléaires de base, n’étant pas soumises à la procédure d’autorisation des installations classées pour la protection de l’environnement (Conseil d'Etat 20 juin 1984, Association Les amis de la terre...) ne sont pas tenues de procéder à l’étude de dangers prévue par le décret du 21 septembre 1977 (Conseil d'Etat 27 mai 1991, ville de Genève) ; c’est également pourquoi des communes ne pouvaient attaquer la création de la centrale nucléaire de Cattenom en se fondant sur la loi du 19 juillet 1976 sur les installations classées pour la

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protection de l'environnement17 (Conseil d'Etat 16 octobre 1991, commune de Roeser et Dudelange).

Recevabilité, bien-fondé, acceptabilité Dans un procès, avant de rechercher si une demande est fondée, le juge doit au préalable examiner si elle est recevable. Une fois seulement cette première étape franchie, il peut entrer dans le vif du sujet, instruire et examiner le bien - fondé de la demande. La même distinction préside normalement à la délivrance d’autorisations administratives : ainsi l’instruction d’une demande de permis de construire débute « si le dossier est complet » (art. R421-12 code urbanisme). De même pour l’autorisation de création d’une installation classée: le dossier une fois constitué, le préfet vérifie qu’il est complet (art.5 du décret 77-1133 du 21 septembre 1977, modifié, pris pour l'application de la loi relative aux installations classées pour la protection de l'environnement), puis déclenche alors l’enquête publique et les demandes d’avis requis par le décret ; s’étant ainsi forgé son opinion sur l’acceptabilité de la demande, il prend l’arrêté décisif (art.11 §2 du même décret). L’autorisation de rejet d’effluents liquides ou de prélèvements d’eau obéit à la même démarche : le dossier régulier et complet, donc recevable, peut dès lors être soumis à enquête publique (art.4 du décret 93-742 29 mars 1993 relative à la procédure d'autorisation et de déclaration prévue par l'article 10 de la loi 92-3 du 3 janvier 1992 sur l'eau). En matière nucléaire le dossier de demande d’autorisation de création (DAC) comprend l’ensemble des informations utiles, sur la forme comme sur le fond (art.3- du décret 63-1228 du 11 décembre 1963, relatif aux installations nucléaires (J.O. 14 décembre) ; et l’ouverture de l’enquête publique n’y dépend d’aucune vérification formelle du dossier (art. 3-II et III, de ce même décret). Quant aux DAR, le décret 95-540 du 4 mai 1995, relatif aux rejets d'effluents liquides et gazeux et aux prélèvements d'eau des installations nucléaires de base (J.O. 6 mai), calqué sur le décret 93-742 (sur la procédure d'autorisation et de prélèvement prévue par l'article 10 de la loi sur l'eau), exige un dossier « régulier et complet », donc un examen de recevabilité qui, en pratique, va bien au-delà de la vérification formelle. Dans le processus de concertation engagé à propos de la modification de demande d’autorisation de l’installation de COGEMA La Hague, le groupe d’experts chargé d’évaluer la demande formulait à juste titre en octobre 1998 un avis de non recevabilité : en l’absence de technologies alternatives proposées pour réduire ultérieurement les rejets et de présentation des modèles utilisés pour évaluer l’impact des rejets, le dossier, incomplet, était donc irrégulier, et donc irrecevable (étude de cas La Hague). De même, l’avis « non négatif » (recevable mais avec des demandes de modifications) formulé par le même groupe d’experts en janvier 1999, s’attachant aux lacunes de l’étude de dangers et à l’impact des rejets chimiques : centré sur la méthodologie, il comporte donc une appréciation au fond.

17 Loi n° 76-663 19 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l'environnement (J.O. du

8 octobre). Décret d'application : décret 77-1133 du 21 septembre 1977, modifié, pris pour l'application de la loi relative aux installations classées pour la protection de l'environnement.

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Renouvellement de l’autorisation

La remise en cause d’une autorisation - exploitation ou rejet - peut intervenir en deux occasions : soit l’autorisation a été octroyée à titre temporaire - la question de durée est ici cruciale (§1) ; soit les conditions d’exploitation se sont substantiellement - ou notablement modifiées - la question de «changement notable» est alors en cause (§2). §1- Durée des autorisations Création d’installation Jusqu’en 1992, les autorisations d’exploiter des installations classées étaient par principe permanentes, les autorisations temporaires n’étant délivrées qu’à titre exceptionnel (Boivin, droit des installations classées, chap.9, 283s). Récemment, les impératifs environnementaux ont conduit le législateur à systématiser les autorisations à caractère précaire pour les installations les plus sensibles. C'est ainsi le cas pour les stockages souterrains de produits dangereux (art.6-1, Loi 92-646 du 13 juillet 1992, relative à l'élimination des déchets ainsi qu'aux installations classées pour la protection de l'environnement), et les installations dont l’exploitation pour une durée illimitée créerait des risques inacceptables (id.loc). S’agissant des INB l’autorisation de création, non soumise à un délai, peut être prorogée par décision ministérielle (art.3.II décret 63-1228 du 11 décembre 1963, relatif aux installations nucléaires (J.O. 14 décembre)) et ce, sans étude d’impact ni enquête publique, dès lors que la prorogation envisagée « n’affecte pas de façon substantielle l’importance ou la destination de l’installation et n’en augmente pas les risques » (Conseil d'Etat 8 juillet 1992). Rejets d’effluents L’autorisation de rejets d’effluents banals est à durée limitée (art.13 al.6, décret 93-742 du 29 mars 1993 relatif à la procédure d'autorisation et de déclaration prévue par l'article 10 de la loi 92-3 du 3 janvier 1992 sur l'eau) ; cela implique, pour chaque renouvellement, de vérifier les conditions de l’exploitation au regard des prescriptions légales, et de recommencer, le cas échéant, étude d’impact et enquête publique. Le décret du 4 mai 1995 sur les rejets d’effluents à partir des INB ne prévoit rien de tel. En pratique cependant, une révision de l’ensemble des autorisations de rejets et de prélèvements d’eau des centrales nucléaires est en cours. §2 Changement notable « Toute modification apportée à une installation classée, de nature à entraîner un changement notable des éléments du dossier pour lequel l’autorisation initiale aurait été obtenue doit être portée à la connaissance du préfet » (art.20 du décret du 21 sept. 1977, pris pour application de la loi sur les installations classées). Suivant la gravité des nuisances induites par la modification, ce dernier impose à l’exploitant des prescriptions complémentaires ou le dépôt d’une nouvelle demande d’autorisation. Il est aujourd’hui admis en jurisprudence que tout changement notable des conditions d’exploitation entraînant une aggravation des nuisances d’environnement appelle une nouvelle demande d’autorisation, donc une nouvelle étude d’impact et, le cas échéant, une nouvelle enquête publique. Cruciale, la notion de changement notable nourrit un contentieux d’autant plus abondant qu’il n’en existe aucune définition précise.

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Pour les INB, le décret du 11 décembre 1963 énumère les hypothèses où une nouvelle autorisation est requise : ajout d’une autre INB ; changement d’exploitant, changement d’emplacement ; arrêt de l’INB pour plus de deux ans consécutif à un accident ; modification du périmètre de l’INB ; l’une d’elle, la modification de nature à entraîner l’inobservation des prescriptions précédemment imposées, correspond à un changement notable. Pour les rejets d’effluents et prélèvements d’eau des INB, toute modification de nature à entraîner des dangers ou inconvénients pour l’environnement peut conduire les ministres à imposer le dépôt d’une nouvelle demande d’autorisation (art.13 al.2 d.4 mai 1995).

3.1.2 Etude d’impact « Les études préalables à la réalisation d’aménagements ou d’ouvrages qui, par l’importance de leurs dimensions ou leurs incidences sur le milieu naturel, peuvent porter atteinte à ce dernier, doivent comporter une étude d’impact permettant d’en apprécier les conséquences » (art.2 de la Loi n°76-629 du 10 juillet 1976, relative à la protection de la nature (J.O. 13 juillet)). Cette exigence de principe souffre exception dans deux cas: certains travaux font l’objet d’une dispense à raison de leur modicité, ou de leur objet (entretien réparation ou modernisation) (art.3 B. décret 77-1141 du 12 octobre 1977 pris pour l'application de l'art. 2 de la loi n° 76-629 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature), d’autres sont assujettis à l’élaboration d’une notice, version simplifiée de l’étude d’impact (art. 4, décret précité). Les installations concourant à l’activité nucléaire, ne bénéficiant ici d’aucune dispense, y sont donc, a contrario, soumises, ce que rappellent périodiquement les juridictions administratives (ex : trib. Adm. Orléans, 14 mars 1989, Comité de défense du Verdelet). Le contenu de l’étude d’impact doit être « en relation avec l’importance des travaux et aménagements projetés et avec leurs incidences prévisibles sur l’environnement » (art.2 du décret 77-1141 du 12 octobre 1977 pris pour l'application de l'art. 2 de la loi n° 76-629 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature). L’étude doit au minimum comporter 1° une analyse de l’état initial du site et de son environnement... ; 2° une analyse des effets directs et indirects du projet sur l’environnement ; 3° les raisons pour lesquelles, notamment du point de vue des préoccupations d’environnement, le parti retenu a été choisi ; 4° les mesures envisagées par le pétitionnaire pour supprimer, réduire ou compenser les conséquences dommageables du projet pour l’environnement. Les juges veillent à garantir le caractère suffisant de l’étude et sanctionnent les autorisations d’exploitation accordées sur la foi d’études insuffisantes. C'est ainsi pour l’étude, présentée à propos d’une mine d’uranium, qui se limitait, « à un examen sommaire des nuisances créées, sans analyse précise et quantifiée de l’accroissement du bruit, du trafic de poids lourds et du niveau de radioactivité...(Conseil d'Etat 7 mars 1986, COGEMA). Est en revanche jugée suffisante l’étude qui présente une analyse de l’état antérieur du site, où les mesures de radioactivité naturelle ont été effectuées de façon suffisamment précise et complète (Conseil d'Etat 26 juillet 1985, Comité anti-pollution de Dunkerque) ; de même est suffisante l’étude d’impact effectuée à propos de la modification du décret autorisant la création de la centrale nucléaire de Creys-Malville, dès lors qu’elle comporte une analyse de l’état initial du site à cette époque, et non une simple référence aux données figurant sur l’étude initiale (Conseil d'Etat, 27 mai 1991, ville de Genève). Document d’incidences Pour les déversements ou prélèvements d’effluents liquides, le document requis n’est pas une étude d’impact, mais un « document d’incidences », indiquant, compte tenu des variations saisonnières et climatiques, les incidences de l’opération sur la ressource en eau, le milieu

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aquatique, l’écoulement, le niveau et la qualité des eaux... (art.2-4° du décret 93-742 du 29 mars 1993 relatif à la procédure d'autorisation et de déclaration prévue par l'article 10 de la loi 92-3 du 3 janvier 1992 sur l'eau). Diminutif de l’étude d’impact, le document d’incidences a pour principal objet d’exposer les incidences prévisibles de l’opération projetée sur l’environnement (cf. art. 2-2° du décret 77-1141 du 12 octobre 1977 pris pour l'application de l'art. 2 de la loi n° 76-629 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature). Il ne comporte en revanche ni analyse de l’état initial du site, ni justification des raisons pour lesquelles le projet présenté a été choisi. Au lieu de l'exposé détaillé des mesures "envisagées par le demandeur pour supprimer, limiter et si possible compenser les inconvénients de l'installation ainsi que l'estimation des dépenses correspondantes", ces mesures faisant l'objet de descriptifs détaillés sur les dispositifs d'aménagement et d'exploitation, ainsi que sur leurs performances attendues (décret 21 septembre 1977 mod., art. 3-4d), il est ici simplement prévu de préciser "s'il y a lieu, les mesures compensatoires ou correctives envisagées et la compatibilité du projet avec le schéma directeur ou le schéma d'aménagement et de gestion des eaux et avec les objectifs de qualité des eaux" (décret 29 mars 1993, art. 2-4). Un document similaire est requis pour les rejets d'effluents liquides et gazeux et prélèvements d'eau des installations nucléaires de base (art. 8-4 décret du 4 mai 1995). Toutefois, à la différence du décret relatif aux déversements banals, le document ici prévu, intéressant également les rejets gazeux, donc la qualité de l'air, indique également "compte tenu des variations saisonnières et climatiques, les incidences de l'opération sur la qualité de l'air, les odeurs, la santé ou la sécurité publique, la production agricole, la conservation des constructions et monuments ou sur le caractère des sites, et plus généralement sur toutes les composantes de l'environnement. Les incidences indirectes telles que les retombées d'aérosols ou de poussières ou leurs dépôts doivent également être indiqués." Ce texte prévoit encore l'évaluation des "transferts de radionucléides par les différents vecteurs, notamment les chaînes alimentaires et les sédiments aquatiques." On notera encore ici que l'exposé de la compatibilité du projet ave le schéma directeur ou le schéma d'aménagement et de gestion des eaux, prévu dans les mêmes termes que le décret de 1993, ne fait référence qu'à la qualité de l'eau et non à la qualité de l'air. Résumé non technique Afin de faciliter la compréhension de l’étude d’impact par le public, celle-ci doit comporter un résumé non technique (art. 2-5 décret 77-1141 du 12 octobre 1977 pris pour l'application de l'art. 2 de la loi n° 76-629 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature). Cette exigence vaut pour la création d’une installation classée, comme pour la création d’une installation nucléaire de base, cette dernière se trouvant soumise à étude d’impact dans les termes du droit commun. En revanche le document d’incidences ne donne pas lieu à résumé non technique, ni en droit commun, ni en matière de rejets nucléaires.

3.1.3 L’enquête publique « La réalisation d’aménagements, d’ouvrages ou de travaux... est précédée d’une enquête publique... lorsque... ces opérations sont susceptibles d’affecter l’environnement » (art. L 123-1 Code envt). Cette enquête a pour objet d’informer le public et de recueillir ses appréciations, suggestions et contre propositions, afin d’améliorer les conditions de la prise de décision. Ce rendez-vous démocratique qui devrait être le lieu privilégié de la concertation, n’a trop souvent représenté qu’un lieu d’expression de défiance du public. Du coup, la tentation a souvent été grande pour l’administration, d’esquiver ou d’édulcorer cette

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procédure. La réforme « Bouchardeau » du 12 juillet 1983, destinée à la démocratiser, a en tous cas contribué à la clarifier.

Champ d’application Les opérations soumises à enquête publique en matière d’environnement et les critères servant à en préciser le champ sont énoncés par un décret du 23 avril 1985. Figurent ainsi sur la nomenclature réglementaire :

- 15° Toutes installations classées soumises à autorisation - 33° Installations nucléaires et leurs rejets d’effluents gazeux ou liquides - 36° Laboratoires souterrains destinés à étudier l’aptitude des formations géologiques

profondes au stockage de déchets radioactifs. En matière nucléaire, l’enquête publique se trouve donc en principe soumise au droit commun, pour les demandes de création d’installations (art.3-II du décret 63-1228 du 11 décembre 1963, relatif aux installations nucléaires (J.O. 14 décembre)) comme pour les demandes d’autorisation de rejets (art.10 al.4 du décret 95-540 du 4 mai 1995, relatif aux rejets d'effluents liquides et gazeux et aux prélèvements d'eau des installations nucléaires de base (J.O. 6 mai)). Toutefois d’importantes dérogations sont ici apportées au régime commun. La création d’INB échappe à l’enquête publique a) pour une installation ayant déjà fait l’objet d’une enquête préalable à une déclaration d’utilité publique ou b) en cas de modification d’une installation ou d’un projet ayant déjà donné lieu à enquête publique, si l’installation est conforme au projet soumis à cette enquête ou si les modifications apportées « n’affectent pas de façon substantielle l’importance ou la destination et n’augmentent pas les risques de l’installation » ( art.3-II a et b, décret 63-1228 du 11 décembre 1963, relatif aux installations nucléaires, Conseil d'Etat 4 mai 1979, Département de Savoie et à propos de Creys-Malville, Conseil d'Etat sec 28 février 1997, WWF-Genève). Certaines modifications requièrent cependant une nouvelle autorisation, donc une nouvelle enquête publique : ainsi, suivant l’article 6 du décret 63-1228 du 11 décembre 1963, relatif aux installations nucléaires, l’ajout d’une nouvelle installation, le changement d’exploitant, le transfert de l’installation sur un autre site, l’arrêt de l’exploitation supérieur à deux ans par suite d’un accident, et une modification « de nature à entraîner l’inobservation des prescriptions imposées ». Lors du changement d’activité de Super-Phenix, le Conseil d’Etat a jugé que les modifications portant sur les finalités mêmes assignées à l’installation nucléaire impliquaient la réalisation d’une nouvelle enquête publique (conseil d'Etat 28 fév.1997, W.W.F Genève).

Régime L’enquête publique est en principe régie par le décret n°85453 du 23 avril 1985. Toutefois, diligentée à propos de la création d’une installation nucléaire, elle obéit à certaines dispositions particulières prévalant sur le régime général (art.3-II et III du décret du 11 décembre 1963). Condition : un dossier « Régulier et complet » Une fois pointées les pièces à fournir et les cases à remplir, le dossier est complet ; une fois vérifié que ces éléments sont conformes aux exigences légales et les délais respectés, il est régulier. Le décret installations classées prévoit donc que le préfet, « lorsqu’il estime que la demande ou les pièces jointes sont irrégulières ou incomplètes », invite le demandeur à régulariser son dossier (art.4 d.21 sept.1977).

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De même le décret - eau du 29 mars 1993, soumet le dossier de demande d’autorisation de rejet ou prélèvement à enquête publique « dès lors qu’il est jugé régulier et complet » (art.4 d.29 mars 1993). La procédure prévue pour les rejets d’effluents liquides ou gazeux des INB, reprend, en l’adaptant, la même exigence : « si les ministres... estiment que la demande est irrégulière ou incomplète, ils invitent le demandeur à régulariser le dossier » (art.10 al.1 d.4 mai 1995). Cependant cette exigence se décline, différemment en droit commun, et en matière nucléaire, où elle va au-delà d’une vérification de forme (cf. supra, 3.1.1).

Commissaire - enquêteur Organisée par arrêtés préfectoraux l’enquête publique est conduite par un commissaire enquêteur (art.2-2 de la Loi n° 83-630 du 12 juillet 1983 relative à la démocratisation des enquêtes publiques et à la protection de l'environnement (Loi Bouchardeau)), doté de larges pouvoirs. Un manque d’indépendance lui étant parfois reproché, la loi de 1983 a confié sa désignation, non plus au préfet, mais au président du tribunal administratif. On peut citer ici le recours contestant la nomination du commissaire-enquêteur dans le cadre de l’enquête publique de l’établissement de COGEMA La Hague en 2000. Cette nomination avait été critiquée en raison des liens de ce commissaire-enquêteur avec l’industrie. Diverses mesures, annoncées en 2002, devraient modifier les conditions de sa nomination, et de sa rémunération, ainsi que ses relations avec le maître d’ouvrage (CPEN 2002, bull.297, n°15a). Dans le déroulement de sa mission le commissaire-enquêteur peut aujourd’hui se trouver confronté à l’intervention concurrente de nouveaux acteurs. En effet s’il est exact que la loi du 12 juillet 1983 autorise le commissaire-enquêteur « à organiser sous sa présidence une réunion d’information et d’échange avec le public… » (art.4 al.3 Loi), cette faculté ne lui confère aucun monopole, ni pouvoir de police, l’autorisant à brider la liberté d’expression du public. Une déclaration de projet, effectuée par l’autorité responsable d’un projet de travaux, complète aujourd’hui obligatoirement l’enquête publique ; elle doit justifier l’intérêt général de l’opération projetée (art.L.126-1 Code envt, art.144 de la Loi n°2002-276 du 27 Février 2002, relative à la démocratie de proximité).

3.2 Les acteurs Aux yeux du public, le monde nucléaire forme un tout, nébuleuse d’organismes intimement liés par leur vocation, leurs personnels, leur culture commune. Cette représentation sommaire est une source d'incompréhension et ne facilite pas la concertation. Un effort pour promouvoir les approches concertatives dans la décision nucléaire passe donc par une identification claire des acteurs et de leurs compétences respectives : les sigles, doivent être explicités, les fonctions expliquées. A cet égard, l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN) ayant rejoint la catégorie classique des établissements publics à caractère industriel et commercial (Décret 2002-254 du 22 février 2002 ; J.O 26 fév.), devrait y trouver une meilleure visibilité à l’égard des tiers, notamment dans ses fonctions d’appui technique de l’autorité de contrôle.

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En marge des acteurs officiels, le développement contemporain de structures relais permettant l’information et la participation du public mérite attention. L’association, groupement consacré par la Constitution, mais caractérisée par une extrême hétérogénéité posait un problème de crédibilité. L’institution d’un agrément (loi – nature du 10 juillet 1976) supposant trois ans d’existence et une certaine représentativité (D.7 juillet 1977) a constitué un premier filtre. Les associations agréées ont commencé à participer aux organes consultatifs nationaux ou locaux, parfois même à la gestion d’espaces naturels. Avec la commission du débat public, telle qu’aménagée par la loi relative à la démocratie de proximité, un second filtre apparaît : pour saisir la commission d’une demande de débat lorsque celui-ci n’est pas obligatoire, une association de protection de l’environnement doit être agréée, et « exercer son activité sur l’ensemble du territoire national » (art.L.121-8 nouveau Code de l’environnement). Un organisme de recherche et d’information indépendant sur la radioactivité, la CRII-RAD, avait déjà été agréé sur le plan national en 1997 (v. art. L.252-1 code rural, arr.6 mai 1997).

CLI ET CLIS La première commission locale d’information a été mise sur pied à Fessenheim en 1977. Le succès de cette initiative prévue pour tous les grands équipements énergétiques s’est d’abord avéré modeste. Tantôt dénoncées pour leur indépendance insuffisante au regard de l’exploitant et de l’Etat, tantôt victimes du manque d’intérêt des élus régionaux (cf. BLANCHER - VALLET, op.cit), les CLI ont souffert de leur statut incertain. Ainsi, quoique leur création dépende en principe d’une initiative du préfet ou du conseil municipal, un juge administratif s’est reconnu le pouvoir d’enjoindre au préfet de créer une telle commission (t.a de Poitiers 17 juin 1999, Association Gartempe contre préfet de Poitou-Charentes..). Ainsi encore quant à leur rôle : la consultation d’une CLI n’est pas le préalable obligatoire au début de mise à l’arrêt d’une installation nucléaire (Conseil d'Etat du 20 mars 2000, rep n°202-713). En 2000 une association nationale des CLI (ANCLI) a été créée pour favoriser les échanges d’expériences et d’information entre les CLI. En matière d’élimination de déchets, les CLIS, commissions locales d’information et de suivi sont destinées à répondre au besoin d’information et de concertation des populations voisines d’un site d’élimination ou de stockage de déchets (circ.du 22 juillet 1983). Systématisées par un décret du 29 décembre 1993, en application de la loi déchets (art. 1er e, et 3-1 loi 15 juillet 1975 mod. en1992), ces commissions, obligatoires pour tout centre de stockage de déchets ultimes ou spéciaux, peuvent en outre être créées à la demande d’une commune située dans le périmètre d’une l’installation de stockage (art.5 d.) ; le préfet en assure la présidence.

Débats publics Leur récente promotion correspond au principe de participation, lequel emporte, suivant la Convention d’Aarhus (25 juin 1988, L.1er mars 2002), le droit du public à être associé au processus d’élaboration des projets ayant une incidence importante sur l’environnement ou l’aménagement du territoire (art. L.110-1 Code envt mod. Loi n°2002-276 du 27 Février 2002 relative à la démocratie de proximité). La Commission nationale du débat public, chargée de la mise en œuvre de ces débats, voit aujourd’hui sa composition et son fonctionnement précisés (art.132s L.27 fév.2002).

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Sommaire des principaux textes utiles

AIR Loi n° 61-842 du 2 août 1961 relative à la lutte contre les pollutions

atmosphériques et les odeurs (dite loi-air), abrogée et remplacée par la Loi n° 96-1236 du 30 décembre 1996 sur l'air et l'utilisation rationnelle de l'énergie (JO du 1er janvier 1997), sauf pour les matières nucléaires (art. 44L), aujourd'hui L.220-1s du code de l'environnement

EAU

Loi n° 64-1245 du 16 décembre 1964 relative au régime et à la répartition des eaux et à la lutte contre leur pollution, abrogée et remplacée par la Loi n° 92-3 du 3 janvier 1992 sur l'eau (JO du 4 janvier 1992), aujourd'hui L.214-1s du code de l'environnement NB - autorisation de déversements : décret 93-742 29 mars 1993 relative à la procédure d'autorisation et de déclaration prévue par l'article 10 de la loi 92-3 du 3 janvier 1992 sur l'eau

DECHETS Loi n° 75-633 du 15 juillet 1975 relative à l'élimination des déchets et à la récupération des matériaux (dite Loi-déchets), modifiée par la loi n° 92-646 du 13 juillet 1992 relative à l'élimination des déchets ainsi qu'aux installations classées pour la protection de l'environnement, aujourd'hui L.541-2s du code de l'environnement NB - L'autorisation de création d'une INB doit satisfaire aux articles 2 et 5 de cette loi (Conseil d'Etat 3 juin 1994) NB - Sols pollués : Décret no 94-484 du 9 juin 1994 modifiant le décret n° 77-1133 du 21 septembre 1977 pris pour l'application de la loi no 76-663 du 19 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l'environnement et du titre Ier de la loi no 64-1245 du 16 décembre 1964 relative au régime et à la répartition des eaux et à la lutte contre leur pollution et modifiant le livre IV du code de l'urbanisme

I.C.P.E. Loi n° 76-663 19 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l'environnement (J.O. du 8 octobre), dite Loi Installations Classées, aujourd'hui Livre Cinquième, titre I du code de l'environnement, art. 511-1s Décret 77-1133 du 21 septembre 1977, modifié, pris pour l'application de la loi relative aux installations classées pour la protection de l'environnement

ETUDE D'IMPACT Loi n° 76-629 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature (dite Loi Nature) Décret 77-1141 du 12 octobre 1977 pris pour l'application de l'art. 2 de la loi n° 76-629 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature, aujourd'hui art. 122-1s du code de l'environnement

ENQUETE PUBLIQUE

Loi n° 83-630 du 12 juillet 1983 relative à la démocratisation des enquêtes publiques et à la protection de l'environnement (Loi Bouchardeau), aujourd'hui art. L.123-1s Loi n°2002-276 du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité

INSTALLATIONS NUCLEAIRES DE BASE

Décret 63-1228 du 11 décembre 1963, relatif aux installations nucléaires (J.O. 14 décembre) Décret 95-540 du 4 mai 1995, relatif aux rejets d'effluents liquides et gazeux et aux prélèvements d'eau des installations nucléaires de base (J.O. 6 mai)

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C. Analyse synthétique des contributions

1. Dynamique sociale de la concertation L’analyse des études de cas réalisées souligne la nécessité de donner un contenu plus précis à la notion de concertation. Telle qu'elle se dégage de l’analyse de l’étude internationale et de l'enquête auprès des associations aussi bien que de certaines études de cas, cette notion est caractérisée par une nouvelle dynamique sociale : les études de cas mettent en scène l'intervention de manière directe ou indirecte de différentes catégories d’acteurs dans le suivi des activités à risques. De nouveaux acteurs émergent et gagnent en autonomie pendant que le rôle des acteurs "traditionnels" est redéfini. Cette nouvelle configuration s'accompagne d'une explicitation du rôle respectif des acteurs dans la dynamique de concertation, ainsi que d'une explicitation des règles du jeu.

1.1 Emergence de nouveaux acteurs Le suivi des activités à risques est traditionnellement pris en charge par un cercle réunissant l’exploitant, les autorités et les experts publics. Dans un contexte de décentralisation et de territorialisation, ce cercle s'est progressivement élargi. Les acteurs locaux sont montés en puissance, introduisant par leur participation un réseau d'acteurs plus large qui intervient à différents niveaux du processus.

Montée en puissance d'acteurs locaux

Plusieurs catégories d'acteurs prennent une place croissante dans le suivi des activités à risques au niveau local. Les opportunités d'intervention dont ils disposent initialement sont diverses, mais leur capacité d’action et leur autonomie sont progressivement acquises et construites au travers de leur implication active dans le suivi des différentes étapes de la vie de l’installation industrielle. Les commissions locales (Commission Locale d'Information, Commission Locale de Surveillance, Commission Spéciale et Permanente d'Information) sont un acteur majeur du suivi des installations au niveau local. Elles sont un acteur à part entière, en même temps qu'elles donnent aux différentes parties qui y interviennent – élus territoriaux, associations locales et collectifs locaux, public territorial – la possibilité de faire entendre leur voix. Les experts associatifs et universitaires (français ou étrangers) contribuent à développer le suivi local et nourrir le débat en apportant un regard extérieur sur les analyses techniques de l'exploitant et des autorités publiques. La légitimité politique locale des élus territoriaux (Conseil Général, Conseil Régional) est déterminante pour jeter les bases d'un dialogue local, l'encadrer et le valoriser. La participation des associations nationales ou internationales permet à bien des égards de questionner et enrichir le débat local à partir du contexte national et international, ou d'autres expériences locales. A titre d'exemple, la Commission Locale de Surveillance de Fessenheim, présidée par un Conseiller Général, première commission locale créée en France autour d’une installation nucléaire, comme cela a été rappelé précédemment, s'est progressivement imposée comme un

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acteur incontournable auprès de l'exploitant et de l'autorité. La Commission s'est dotée de moyens pour opérer un suivi de l'installation, particulièrement au cours des visites décennales, et construire une compétence pour dialoguer en direct avec l'exploitant et l'autorité et pour définir des objectifs de suivi. Ainsi, la Commission a-t-elle passé des contrats avec des experts scientifiques indépendants et une association nationale en vue d’expertiser certains aspects de la sûreté de l’installation et d’approfondir la question de l’impact sur l’environnement des rejets radioactifs de la centrale.

Des acteurs locaux au sein d'un réseau Les acteurs locaux jouent un rôle particulier dans cette dynamique : du fait de leur proximité au site, ils contribuent à assurer la continuité du suivi de l'installation. Leur action n'est cependant pas isolée. Ils sont souvent en relation avec ou inscrits dans des réseaux régionaux, nationaux, internationaux qui mobilisent des compétences techniques, juridiques et stratégiques. Ces réseaux jouent un rôle différent et souvent complémentaire de celui des acteurs locaux. Constitués en associations locales ou en collectifs de riverains, ceux-ci donnent une dimension collective à leur action. Les associations locales et régionales à vocation scientifique partagent ce lien avec le territoire local, et introduisent des compétences techniques à la fois universelles et centrées sur les problèmes propres au site et à son environnement. Les associations nationales scientifiques pour leur part apportent une expertise éventuellement plus spécialisée et font bénéficier le suivi local d'autres expériences locales, nationales ou internationales. Lors de l'enquête auprès des associations, on a ainsi pu observer qu'une association locale de riverains autour d'une papeterie était, à peine créée, devenue membre d'une fédération départementale d'associations de protection de l'environnement en cours de constitution, la fédération départementale s'inscrivant elle-même dans le réseau national de France Nature Environnement. Alors que l'association locale suivait quotidiennement l'activité du site, la fédération départementale et le réseau national apportaient un soutien juridique et technique, notamment au moment de l'enquête publique et de la publication de l'arrêté préfectoral renouvelant l'autorisation de la papeterie. De même, dans le contexte de l’évaluation de l’impact radiologique des rejets des usines COGEMA de La Hague par le GRNC, les représentants des associations régionales ont contribué à l’identification de plusieurs scénarios d'exposition particuliers complémentaires, prenant spécifiquement en compte les modes de vie, d’alimentation et d’activité de certains groupes de population.

1.2 Autonomisation des acteurs L'émergence de ces nouveaux acteurs doit notamment beaucoup à l'évolution du dispositif réglementaire, par exemple à la création de Commissions Locales. On aurait cependant tort de ne mettre l’accent que sur ce dispositif dans la mesure où l’autonomie ne saurait se décréter ni être totalement entravée par le contexte réglementaire. Dans le cas de Fessenheim, pour reprendre cet exemple, l’autonomie des acteurs locaux est profondément enracinée dans la réactivité du tissu local. Le rôle moteur que joue la Commission Locale n'est pas sans lien avec l'opposition des associations locales au projet nucléaire dans la plaine d'Alsace. La diversité des situations des CLI met bien en évidence l’impact du contexte local sur leur fonctionnement. Dans d'autres régions où les activités nucléaires ne font pas l'objet de contestations aussi significatives, la contribution critique des Commissions au suivi de l'installation est souvent plus faible. Cependant comme semblent en

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témoigner les compte-rendus de la revue "Contrôle" de la DSIN, les Commissions Locales, que ce soit au Blayais, à Golfech ou à Fessenheim, recourent de plus en plus fréquemment à la contre-expertise. Cette autonomisation s'exerce de manière active par un processus qui est parfois qualifié de “stretching“, traduisant la capacité d’un acteur de forger son propre point de vue, de faire valoir celui-ci d’une façon autonome auprès des autres acteurs qui interviennent traditionnellement et d'exercer une certaine pression sur ces derniers. Cette situation révèle les divergences d’intérêt ou de point de vue auparavant voilées et permet une meilleure identification des fonctions, des missions et des enjeux de chaque intervenant (autorités, experts, exploitant, acteurs du territoire). Dans le cas de BNFL, l’attitude de l’exploitant comme de l’administration joue un rôle clé dans les processus observés, ce qui montre l’importance du contexte culturel dans l'émergence de cette autonomie. Dans cette démarche, c'est l'exploitant lui-même qui est demandeur d'un dialogue avec les différents acteurs et qui met les moyens matériels à disposition des autres acteurs pour que ce dialogue puisse avoir lieu. De façon parallèle, l'administration – Environment Agency – va également à la rencontre des acteurs de la société en sollicitant directement leurs commentaires sur ses propositions de réglementation et sur l'approche adoptée pour la fixation des autorisations de rejets. L’enquête réalisée en France auprès des associations montre que lorsque des conditions favorables sont réunies, certains acteurs locaux réussissent à s’imposer dans les processus décisionnels qui entourent la vie de l’installation, au moins sur certains aspects de ceux-ci. Ces formes d’implication procurent à ces acteurs un sentiment de reprise de contrôle sur leur cadre et leur qualité de vie. Elles s’effectuent cependant au prix d’une constante vigilance de quelques individus militants dont l’énergie, les ressources et la ténacité sont lourdement sollicitées. Cette logique implique un très fort investissement de la part de quelques acteurs qui, par ailleurs, ont généralement d’autres activités professionnelles ou privées. Dans le cadre du Secrétariat Permanent de Prévention des Pollutions Industrielles (SPPPI) de Dunkerque, le rôle des associations a été reconnu et elles participent à diverses commissions de suivi des installations SEVESO présentes localement. Cette participation nécessite néanmoins de leur part un engagement personnel pour prendre connaissance des dossiers, les analyser, produire pour certains d'entre eux des indicateurs de l'environnement indépendants (mesure de la qualité de l'air), et tout simplement dégager du temps pour les réunions.

1.3 Changement de rôle des acteurs traditionnels Cette nouvelle dynamique de concertation n’est pas seulement caractérisée par l’émergence de nouveaux interlocuteurs. Elle se traduit également par un repositionnement et une évolution des relations entre les acteurs initiaux (exploitant, autorités), et l'émergence de nouvelles missions. L'exclusivité du rôle de suivi auprès de l'exploitant exercé par l'administration est d'une certaine manière remise en cause. Le processus de préparation des décisions inclut souvent des échanges préalables entre l'autorité et l'exploitant. Alors que les acteurs locaux souhaitent que soit identifié le rôle des différents acteurs dans les processus en cause, et que soient clairement explicitées les règles du jeu (voir ci-dessous), l'administration se trouve en position de devoir rendre plus visible l’exercice de son contrôle. Lors des réunions de la CLS de Fessenheim, les membres de la Commission ont ainsi l'occasion d'auditionner l'exploitant et l'administration, d'entendre leurs points de vue respectifs et d'identifier les exigences de l'autorité de contrôle.

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Dans le cas de La Hague, le dossier de l'exploitant a donné lieu à un double examen de la recevabilité. La DSIN a confié cet examen à son appui technique habituel, l’IRSN, mais elle a souhaité recueillir par ailleurs l’avis d’un groupe d’experts pluraliste. Dans le cas des rejets de Sellafield, on a pu remarquer qu'Environment Agency a présenté aux acteurs locaux son projet d'arrêté. Ce sont les différentes étapes du processus qui sont soumises à la consultation avec les acteurs de la société et Environment Agency se fait un devoir de montrer, après consultation, de quelle façon elle a pris en compte l'ensemble des remarques et critiques qui lui ont été formulées. Cette évolution du rôle des autorités publiques et des organismes d’expertise publique est fortement liée à un nouveau contexte réglementaire et institutionnel, caractérisé par un mouvement de création d’autorités et d’agences gouvernementales spécialisées qui dans l’ensemble des pays européens, touche aussi bien le champ réglementaire que celui de l’expertise. Par ailleurs, dans cette nouvelle configuration, les exploitants se trouvent en situation d'établir des relations directes avec les acteurs locaux en marge des instances prévues par la réglementation. Autour de la papeterie mentionnée plus haut, l'industriel a mis en place une structure de concertation où il rencontre régulièrement l'association locale et la fédération associative départementale pour faire le point sur les différents dossiers de l'exploitation. Les questions discutées peuvent ou non avoir des implications réglementaires, et la DRIRE n'est pas nécessairement invitée.

1.4 Explicitation des rôles et des règles du jeu La concertation introduit de nouveaux acteurs dans le suivi des sites industriels et appelle une évolution du rôle des acteurs "traditionnels". Ce faisant, elle s'accompagne de nouvelles exigences à l'égard de l'ensemble des participants au processus de décision. L'entrée de "nouveaux" acteurs amène à expliciter les fonctions et positions occupées par chacun, ainsi que les règles du jeu du processus de décision. Dès lors que le suivi intègre la participation d'acteurs nouveaux, notamment d'acteurs locaux directement concernés par le site, la lisibilité des procédures en cause, de leur contexte et des dispositions prévues pour que ces acteurs puissent influencer le processus de décision devient primordiale. Cette évolution transparaît clairement dans les études de cas, bien que les avancées observées soient de portée diverse. Le dossier de COGEMA La Hague a fait l’objet d’amendements successifs de la part de l’exploitant, suite aux avis exprimés par l’IRSN et par le groupe d’experts pluraliste, dans le cadre de l’examen de recevabilité. L’avis du groupe d’experts pluraliste a été joint au dossier soumis à l’enquête publique. Cette procédure a ainsi permis de mettre à la disposition du public l’avis des experts sur le dossier final. Cependant, elle n’a pas rendu compte de l’évolution progressive du dossier sur lequel les experts ont été sollicités plusieurs fois. L'IRSN s'est prononcé deux fois sur le dossier de l'exploitant, pendant que le groupe d’experts pluraliste s'exprimait trois fois. Comme il est d’usage, les avis de l’IRSN n’ont pas été rendus publics. Par ailleurs, l'examen des relations croisées entre les diverses catégories d'acteurs dans plusieurs études de cas fait ressortir l’émergence de relations plus équilibrées. Dans certains contextes comme celui de Fessenheim ou du BNFL National Stakeholder Dialogue, l'explicitation du rôle des acteurs et la mise en évidence des diverses possibilités ouvertes à chacun d'eux de faire connaître son point de vue semblent favoriser un renforcement de

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l’identité des parties prenantes et une reconnaissance de leur contribution spécifique ainsi que de la qualité de leur travail.

La transparence dans le processus de décision : le point de vue de l'Autorité de Sûreté Nucléaire Extrait d’un article de la revue Contrôle (Juillet 2001) de M. Jérôme Goellner, Directeur adjoint de la DSIN : Le processus de prise de décision de l’ASN donne lieu à des échanges multiples avec ses différents interlocuteurs et fait l’objet d’opérations complexes de mûrissement au sein de la structure. Il peut ainsi y avoir plusieurs allers-retours entre l’ASN, son appui technique l’IPSN et le ou les exploitants concernés, des réunions sont organisées, d’autres experts peuvent être consultés dans le cadre d’un Groupe permanent d’experts. L’ingénieur en charge de l’affaire peut avoir une vision différente de celle de son chef ou d’un directeur adjoint, ils en parlent, échangent des arguments oralement ou par mail. In fine le directeur peut être amené à trancher ces différends… Tout ce processus de prise de décision, d’ailleurs largement non formalisé, est hors de la vue du public. L’idée trop simple qui consisterait à imposer que ce processus soit rendu public est, à mon avis, largement irréaliste. Elle conduirait immédiatement à faire éclater le système en poussant chacun à rendre son avis non plus en conscience, mais en fonction des réactions possibles de l’opinion. Il est évident qu’un organisme et à plus forte raison une personne est contrainte dans son expression par le fait que celle-ci est publique. L’ASN ne souhaite pas que ses experts ou ses agents soient ainsi bridés. En revanche, l’ASN doit être en mesure de rendre compte a posteriori et de justifier les décisions qu’elle a prises auprès des pouvoirs publics, des élus (en particulier l’OPECST) ainsi que de tous les citoyens intéressés. Si un statut d’autorité me semble difficilement compatible avec une transparence absolue du processus de décision, le citoyen ne doit pas, pour autant, être exclu de ce processus de décision sur la sûreté nucléaire et des progrès sont indispensables en la matière. Cette consultation des citoyens existe déjà, au moins en principe, pour certaines décisions importantes portant sur des installations nucléaires particulières puisque c’est précisément le rôle de l’enquête publique d’associer la société civile à la prise de décision. Certes l’enquête publique n’atteint pas toujours son but et il y a beaucoup à faire pour l’améliorer, mais il s’agit là d’un sujet bien identifié et qui n’est pas propre au nucléaire et qui est traité de manière globale par ailleurs. Toujours au niveau local, les Commissions locales d’information constituent également un lieu possible de débat clairement identifié.

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2. Lisibilité du suivi de l’installation (fonctionnement et contrôle) pour les acteurs

locaux et leur implication dans le processus décisionnel

2.1 Lisibilité du suivi de l'installation dans le temps L’exploitant gère dans la continuité son installation de manière autonome. Toutefois, la réglementation impose qu’à certains moments de la vie de l’exploitation, l’administration, en tant que représentante de la collectivité, se trouve impliquée dans les décisions dont les enjeux collectifs sont importants. Cette implication de l'administration peut se traduire par des autorisations ou des prescriptions administratives concernant l’exploitation ainsi que par le contrôle de leur mise en œuvre. Ces dispositifs de régulation assurent à l’administration une visibilité sur la vie de l’installation, de sa création à sa fermeture et au-delà. Des rendez-vous sont ménagés entre les opérateurs et l’administration à échéances régulières ou à l’occasion des changements notables qui interviennent au cours de la vie de l’installation. Ces processus séquentiels sont marqués par des temps de mobilisation forte de l’administration et par des périodes de moindre implication où l’opérateur assure la gestion quotidienne de l’installation sans que l’administration ne soit nécessairement présente. Ce cadre présente donc l’avantage d’une certaine souplesse en permettant à l’acteur collectif de moduler son implication en fonction des besoins. On constate cependant un fort déséquilibre entre un dispositif de régulation institutionnalisé avec une administration et des opérateurs qui interagissent régulièrement et disposent des moyens nécessaires dans le cadre de leur activité professionnelle et une implication discontinue des acteurs locaux souvent isolés et parfois gagnés par la lassitude. L’implication discontinue des acteurs locaux est peu propice à l’émergence d’une confiance sociale, laquelle se construit sur la base de relations suivies. Alors que le dialogue entre l'exploitant et l'administration est continu, les occasions pour les acteurs locaux d'exercer un suivi, sinon une influence, sur l'installation sont le plus souvent ponctuelles et limitées alors même que ces acteurs vivent en permanence à proximité du site. Seulement une partie des moments recensés dans la figure ci-dessous offre une opportunité de suivi pour les acteurs non-institutionnels. Certains processus de concertation mis en évidence dans les études de cas (à l’intérieur et en dehors du cadre réglementaire) apportent cependant des indications sur la façon dont pourrait être développée une visibilité accrue sur la vie de l’installation. Cette dernière requiert l’implication constructive et autonome de nouvelles catégories d’acteurs dans des cadres institutionnels appropriés et dotés des moyens nécessaires, ceci tout au long de la vie de l’installation. Les études de cas comme celle de La Hague, ou de Saint Alban soulignent la faible lisibilité des processus d’autorisation du point de vue de ces acteurs extérieurs (acteurs locaux, associations, expertise non institutionnelle), tout en pointant certaines innovations (groupe de recevabilité dans le cas de La Hague). L’étude juridique pour sa part illustre le fait que le dispositif réglementaire des installations nucléaires n’a pas suivi au même rythme le mouvement de démocratisation qui a touché le droit de l’environnement depuis trois décennies.

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Dans le cas de la centrale de Fessenheim, la Commission locale a marqué sa volonté d'être active aux étapes clés de la vie de l'installation, notamment à l'occasion des visites décennales. La comparaison des résultats de la deuxième visite décennale en 1999 aux résultats de la première visite a permis de mettre en relief les questions importantes du point de vue des acteurs locaux. Cette comparaison a de plus permis de faire ressortir les questions que la Commission pouvait suivre de plus près sans attendre la troisième visite décennale. Par la production de contre-expertises, la CLS exerce directement un suivi de l'installation sur les points qu'elle juge importants. Ces expertises complètent ou interrogent les suivis et études réalisés par l'exploitant et l'administration. Lisibilité du fonctionnement de l'installation dans le temps

2.2 L'exercice d'un rôle de relais

Les acteurs locaux ont le souci de pouvoir s’informer et s’exprimer sur l'installation qui les concerne, tout au long de la vie de celle-ci. Cependant, ils ne peuvent ni ne souhaitent participer à tous les moments et à tous les aspects d'un tel suivi. Parmi les acteurs locaux, dont on a vu plus haut la complémentarité dans une organisation en réseau, la vigilance exercée n'est pas de même nature selon que l'on est riverain, en position d'observer d'éventuels incidents, ou association locale ou régionale, plus compétente par exemple dans des démarches administratives lors des périodes d'enquête publique et d'autorisation. Par ailleurs, certains acteurs disposent par exemple de compétences scientifiques et techniques qui leur donnent la capacité de s'impliquer plus fortement dans le suivi de l’installation. Ils peuvent jouer le rôle de relais social des autres acteurs locaux, en prenant à leur charge d'examiner dans le détail des questions relatives à l'exploitation et d'apporter une contribution spécifique dans les processus d'expertise. Plusieurs associations ayant une compétence reconnue en radioprotection, les unes de niveau local, les autres de niveau national, se sont impliquées dans les travaux du GRNC, et ont rendu compte de leur participation à leurs adhérents et plus largement au public intéressé. A Fessenheim, le GSIEN pour la sûreté, la CRII-RAD pour la radioprotection ont mené des investigations chacun dans son domaine de compétences, sous le regard attentif d'un comité de pilotage composé d'élus et d'associatifs locaux.

Vie

de

l'ins-

tallation

Réexamen de lajustification

Crise

Autorisation

Renouvellement

Extension

FermetureRevue décennale

Acteur local

de l'activité

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2.3 Procédures de mobilisation sur la durée

Si l’administration intervient de façon privilégiée au cours de la vie de l’installation, ce n’est pas le cas de certains acteurs locaux sur le qui-vive qui doivent se maintenir en permanence à l’affût des informations qui leur permettront de déceler ou d’anticiper un dérapage, une évolution de l’exploitation susceptible d’avoir un impact sur la vie locale. D’une certaine façon, ces acteurs extérieurs “dérangent“. Ils rencontrent de multiples obstacles. Leur implication suppose qu’ils exercent une constante pression sur l’exploitant et sur l’administration (cf. le rapport sur la concertation autour des sites industriels). Quelles sont les dispositions qui permettent aux acteurs locaux de se mobiliser face à des événements qui les concernent (incident, changement de process, etc), quand bien même l'exploitation resterait dans le cadre de ses normes réglementaires ? Les réunions régulières des commissions du Secrétariat Permanent pour la Prévention des Pollutions Industrielles (SPPPI) de Dunkerque offrent une occasion aux acteurs locaux de suivre l'actualité des sites SEVESO de la zone industrielle et de confronter les informations communiquées par l'exploitant et l'administration aux données qu'ils produisent eux-mêmes avec leur propre évaluation de la situation (évaluation des rejets de poussières). Suite aux aménagements réalisés par un industriel Dunkerquois pour réduire ses émissions de poussières, les associations ont pu constater des améliorations, tout en rappelant, sur la base de leurs propres mesures, que la qualité de l'air ne pouvait être qualifiée de "normale". L'association locale active autour d'une papeterie limousine pour sa part rencontre fréquemment l'exploitant, et a une bonne connaissance de l'exploitation (notamment par l'intermédiaire des salariés); elle est en mesure de réagir à de nombreux événements qui ne sont pas identifiés par la réglementation comme sortant du cadre normal d'exploitation, mais qui motivent une mobilisation du point de vue des riverains (odeurs, bruit, incident…).

2.4 Influence des acteurs locaux sur le processus décisionnel La contribution des acteurs locaux dans le processus décisionnel va au-delà de la création de transparence. Par leurs connaissances et le regard spécifique qu'ils portent sur le site en tant qu'acteurs localement concernés, ils nourrissent le suivi de l'installation et soulèvent des questions pertinentes dont la prise en compte contribue à améliorer la qualité de vie autour du site. Cette dimension nécessite de s'interroger sur la place des acteurs locaux dans le processus décisionnel, sur la capacité et les opportunités d'influence dont ils disposent sur la décision, sur la manière dont le processus de décision rend compte du point de vue des acteurs locaux, et explicite ou non les raisons pour lesquelles leurs avis sont ou non pris en compte. De ce point de vue, il est remarquable que le décret de procédure qui régit l’enquête publique ne prévoit pas explicitement la communication publique des rapports de la Commission d’enquête à l’exploitant, pas plus que la réponse de ce dernier à ses observations. L'expérience d'Environment Agency est intéressante en ce qu'elle répond personnellement à chaque commentaire qui lui est adressé dans le cadre de sa consultation et produit un rapport public reprenant l'ensemble des remarques et critiques (de façon anonyme) en expliquant si elles ont ou non été retenues et pour quelles raisons. L'influence des associations ne s'exerce pas uniquement à la fin du processus de décision. Par leur participation à l'expertise, certaines associations contribuent à l'évaluation qui prépare la décision. Dans le cas du GRNC, la méthodologie co-élaborée et agréée par les associations d'experts pluralistes pour évaluer l’impact des installations nucléaires du Nord Cotentin a servi de référence explicite dans le cadre de l’examen par le groupe d’experts pluraliste de la

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recevabilité du dossier soumis à l’enquête publique par COGEMA La Hague. Les résultats de cette évaluation ont aussi été repris lors d'une contre-expertise environnementale dans le cadre de la visite décennale de la centrale de Fessenheim.

3. Les conditions d’une contribution de l’expertise (publique et pluraliste) à la confiance sociale

Parmi les problèmes posés par l’implication des acteurs locaux figure celui de la forte technicité de certaines expertises et de la crédibilité de ces expertises du point de vue des acteurs locaux (population, élus, associations de riverains et collectifs locaux). La question discutée ici est celle de la contribution à la confiance sociale à l’échelle territoriale des différentes formes d’expertise (exploitant, autorités, experts publics, associations scientifiques, associations nationales ou internationales). Les expertises constituent souvent une étape nécessaire de préparation dans les processus de décision qui se distingue du travail de développement des connaissances scientifiques. Il s’agit de fonder un avis raisonnable sur une situation en tenant compte des connaissances scientifiques et techniques disponibles, en prenant en compte les incertitudes qui subsistent. Du point de vue des acteurs locaux, ces expertises paraissent souvent opaques. Il est difficile de donner du sens à ce qui se présente comme un gros corpus technique, de resituer ce qui est important par rapport aux priorités de ces acteurs. Leur technicité les rend difficilement compréhensibles pour les acteurs ne disposant pas d’un bagage scientifique et n’étant pas impliqués sur la durée. Dans la construction de leur avis, les experts sont conduits à faire intervenir de façon plus ou moins explicite les dimensions non techniques (politiques, juridiques, sociales, économiques, éthiques,…), sous-jacentes à la décision. La présence d’experts associatifs dans le cadre d’une expertise pluraliste contribue à ouvrir l’éventail des valeurs prises en considération et à améliorer la qualité du travail d'expertise du point de vue de certains groupes locaux dont la sensibilité est proche des associations concernées. Cette présence n'implique pas nécessairement un consensus sur les options proposées, ni l'adhésion à la justification d'un projet.

3.1 Modalités d'implication pluraliste Un problème majeur posé par l’expertise est celui de sa contribution (positive ou négative) à la confiance sociale. La prise en compte des difficultés liées à la technicité passe par différentes voies. On observera que dans des situations où la confiance sociale est gravement affectée suite à des circonstances exceptionnelles, il peut être nécessaire d’introduire des acteurs locaux au cœur des processus de construction de l’expertise afin de restaurer la sécurité et la confiance (impliquer la population dans l’évaluation comme dans le contexte post-Tchernobyl, financer des formations scientifiques d’acteurs indigènes comme dans les anciens sites nucléaires militaires aux Etats-Unis). La technicité des expertises tend à masquer les dimensions non techniques, les choix qui sont opérés, les alternatives possibles. Rendre visibles ces choix permettrait de les évaluer en fonction des priorités et des valeurs des acteurs locaux par rapport aux enjeux qui sont les leurs. De plus, la technicité comme la complexité des situations examinées contribuent souvent à faire que les experts internalisent les différentes dimensions de la problématique pour émettre un avis qui ne restitue pas nécessairement l’ensemble de ses composantes ce qui peut contribuer à créer certains malentendus sur la nature de ces expertises (la décision est identifiée comme étant de nature scientifique).

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Dans des situations plus ordinaires, une possibilité est de favoriser l’implication pluraliste d’experts de sensibilités diverses dans les processus de construction d’expertise. Le cas du GRNC comme celui du groupe d'experts pluraliste pour la recevabilité de la modification de création des installations de La Hague montrent comment l’implication d’experts issus du monde associatif peut contribuer non seulement à améliorer le résultat de ces expertises mais également contribuer à renforcer la crédibilité de ces expertises du point de vue des acteurs locaux qui partagent des valeurs avec ces experts associatifs. Une autre possibilité (complémentaire) est de favoriser une progressive déconstruction de l’expertise de façon à restituer aux décideurs et à la société non pas un avis unique mais un éventail de solutions en mettant en avant les dimensions non scientifiques qui doivent faire l’objet d’une mise en débat, comme a pu le réaliser la CLS de Fessenheim à l'occasion de la deuxième visite décennale de la centrale. On peut aussi mentionner ici l'introduction des dimensions économiques et sociales dans les discussions relatives à la réduction des rejets de l'installation BNFL de Sellafield.

3.2 Territorialisation de l'expertise Une expertise est souvent basée sur des connaissances scientifiques qui ne prennent pas nécessairement en compte certaines spécificités du territoire et les connaissances que détiennent les acteurs locaux. A Dunkerque, une association locale a développé une compétence spécifique d'évaluation des émissions de poussières industrielles à partir d'une analyse quantitative des dépôts de poussières au sol, corrélée avec la situation topographique des cheminées et les orientations des vents. A la différence de l'expertise publique, focalisée sur les rejets à la sortie de la cheminée, cette expertise met en évidence la pollution de l'air environnant. L'association a pu montrer que les poussières recueillies provenaient des cheminées et non pas de la remise en suspension de matières stockées au sol. Cette expertise a été reconnue par l'industriel qui a consulté l'association avant d'entreprendre des travaux de réduction des émissions. Au GRNC, la présence d’experts associatifs locaux a permis l’identification de groupes de référence ayant des modes de vie et d’alimentation a-typiques, dont l’exposition est plus forte que celle des groupes constituant, selon les experts publics et l'exploitant, les groupes de référence.

3.3 Enjeux de l'implication des non-experts dans le processus d'expertise Différents travaux et réflexions18 observent que l’introduction d’acteurs non experts dans les processus d’expertise conduit le plus souvent, non pas nécessairement à une modification des résultats de l’expertise dans les termes dans lesquels celle-ci était posée, mais plutôt à une nouvelle définition des problèmes, qui est susceptible de modifier la nature même de l’expertise. La formation de l’expert conduit souvent celui-ci à problématiser les questions sur lesquelles il est appelé à donner son avis d’une façon qui est propre à sa discipline. Cette problématisation conditionne fortement les résultats de l’expertise : à une question appréhendée uniquement sous un angle technique, il apporte une réponse qui ne concerne que

18 Voir par exemple les actes de la conférence VALDOR (Values in Decisions On Risk) tenue à Stockholm en

Juin 2001, les réflexions qui entourent au plan européen (CE, DG Environment) l’Environmental Impact Assessment (EIA), comme l’étude de cas sur la CLS de Fessenheim.

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la dimension technique du problème traité. Cette réponse ne répond pas nécessairement aux enjeux complexes que ce problème soulève pour les acteurs du territoire. C'est le cas par exemple des discussions sur la qualité de l'environnement dans le BNFL National Stakeholder Dialogue, dans la perspective dessinée par la Convention OSPAR sur les rejets radiologiques en mer. Le groupe du Stakeholder Dialogue reconnaît que la qualité de l'environnement est en partie dissociable de la question de l'impact sanitaire, mais pour mesurer la qualité de l'environnement il reste dépendant des indicateurs classiques en termes de doses individuelles. L’expert aura tendance à aborder son analyse du problème de façon parfois trop réductrice pour les acteurs concernés. Ceux-ci refuseront alors de s’engager dans une négociation dans la mesure où la façon dont l’expert cadre son analyse ne leur permet pas d’exprimer leurs propres préoccupations. Le cas de Fessenheim illustre la façon dont un travail associant experts et non experts dans un dialogue entre des catégories d’acteurs différentes contribue progressivement à faciliter l’implication des acteurs locaux au cœur des processus d’évaluation. Dans le cadre de la surveillance exercée par la CLS, les élus et les associations sont en mesure de définir un programme d'expertise pour trouver des réponses aux questions qu'ils se posent en tant qu'acteurs du territoire (risque d'inondation, risque sismique...). L’implication des non experts ne vise pas à faire de ceux-ci des experts mais à favoriser une plus grande adhérence entre les processus d’expertise et les enjeux locaux. On remarquera que ceci est rendu possible par l’existence de moyens et de procédures spécifiques ainsi que par la position d’autonomie qui caractérise la CLS dans ce contexte. De même, l'initiative prise par le collectif des "Mères en Colère" d'organiser l'opération "Nord Cotentin 2000", consistant à mener une comparaison internationale des mesures de radioactivité dans l'environnement, montre comment un processus d'expertise peut donner naissance à une expérience originale impliquant directement la population locale et des scientifiques de renommée internationale et favoriser le développement d'une culture radiologique pratique répondant aux préoccupations des riverains de l'installation.

4. La justification locale de l’installation à risques dans une perspective de développement durable

Les réflexions précédentes concernent essentiellement la problématique d’évaluation et de gestion des risques associés aux activités industrielles. Toutefois, la pérennité de l’implantation d’une installation dans un territoire et la confiance sociale qui peut entourer celle-ci sont fondées non seulement sur la tolérabilité des risques associés à cette activité mais également sur une forme de justification ("bien-fondé") de l’existence de cette activité aux yeux des acteurs locaux. Pour être durable, la justification d’une implantation industrielle ne peut se fonder uniquement sur une problématique globale. Elle doit également s'appuyer au plan local sur l’existence d’une contribution positive à la qualité de vie des acteurs locaux, à la pérennité des activités de leur territoire, à la préservation de sa qualité, à sa mise en valeur, à son développement, etc. Dans cette perspective, le dialogue et les relations susceptibles d’exister entre une installation et les acteurs du territoire ne sauraient se limiter à la dimension du risque. En effet, l’existence d’une exposition au risque ou d’un impact sur le territoire peut difficilement trouver une justification en elle-même.

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Dans cette perspective, on voit qu’une autre forme de dialogue est rendue nécessaire au-delà de la perspective de la sécurité qui reste un champ trop étroit pour construire un réel enjeu commun durable entre les acteurs en présence (acteurs locaux et opérateurs). Cette dimension est illustrée par l’étude de cas sur la démarche de concertation menée par BNFL à Sellafield. La prise en compte de la dimension du long terme introduite par la convention OSPAR ouvre la possibilité d’une remise en perspective des enjeux environnementaux et de ceux d’un développement territorial durable, impliquant des dimensions économiques et sociales. A Dunkerque, c'est à l'occasion du projet de Dupont de Nemours de s'installer dans l'agglomération que la communauté locale s'est interrogée sur la justification de nouvelles activités à risques dans un environnement industriel déjà dense. Alors que la plupart des responsables politiques et économiques locaux soutenaient cette implantation, les associations et une partie de la population s'inquiétaient des incidences sur la qualité de vie. La concertation entre les différents acteurs locaux a abouti à réaffirmer la vocation d'industrie lourde de l'agglomération. Dans le même temps, au centre du dispositif de suivi (SPPPI) une Commission "Nouveaux Projets" a été créée pour faire l'examen de la justification des nouvelles industries candidates à l'implantation sur l'agglomération Dunkerquoise. La papeterie limousine évoquée plus haut constitue un employeur important pour la région et les associations ont suivi avec attention la reconstruction de l'usine lors de son rachat par un groupe américain. Sans remettre en cause sur le principe la continuité de cette activité, elles ont pesé sur le processus d'autorisation pour que le nouveau procédé industriel réponde aux exigences locales de sécurité.

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D. Conclusions et perspectives

1. Contexte

1.1 Une évolution générale des modalités d'implication des acteurs locaux qui ont des enjeux vis-à-vis des installations industrielles

• Le premier constat introduit par cette étude au plan international comme en France est

celui d’une évolution générale des processus de décision autour des activités à risque et plus particulièrement des modalités d’implication des acteurs locaux.

• L’action de l’exploitant et de l’administration en matière de gestion des risques, de

sécurité, de protection de l’homme et de l’environnement ne contribue pas nécessairement à créer de la qualité perçue à l’échelle des habitants du territoire (qualité du suivi du point de vue de la population).

• Une relation bilatérale entre l’exploitant d’une activité à risque et l’administration n’est

pas suffisante pour créer durablement les conditions de la confiance sociale autour de cette activité dans des communautés locales porteuses de sensibilités et d’opinions diverses : certains souhaiteraient pouvoir s’appuyer sur un ensemble plus large d’acteurs, notamment sur des experts associatifs locaux.

• La confiance sociale est une condition du développement durable d’une activité à risque à

l’échelle du territoire. • Construite sur l'implication d'une base élargie d'acteurs, cette confiance sociale est

également une condition de la qualité de vie et de la quiétude des populations riveraines (voir les résultats du réseau TRUSTNET).

1.2 Le développement durable d'une activité à risque (nucléaire ou non nucléaire) à

l'échelle d'un territoire passe par un certain nombre de conditions

La justification de l'activité • Une activité et son implantation dans un contexte territorial doivent autant que possible

être bien fondées (justifiées) aux yeux des différentes catégories d’acteurs locales et nationales qui sont concernées, ceci malgré l’existence reconnue d’impacts et de risques. Dans leur esprit général, les dispositions réglementaires qui entourent la création et l’exploitation des activités industrielles (sites) ne favorisent pas l’insertion de ces activités dans les projets des acteurs du territoire (au-delà du cercle restreint des salariés), ni l’implication responsable de ces acteurs dans les processus de décision en matière de gestion des risques et de gestion environnementale :

- ceci ne signifie pas qu’il existe un état de crise généralisé autour de toutes les

installations industrielles mais l’absence de crise ou de tension (quand c’est le cas) est plutôt révélatrice d’une indifférence (individuelle ou collective) vis-à-vis de l’activité.

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• Le développement de l’implication des acteurs du territoire tend à créer autour de ces activités les conditions d’une action en bien commun (l'activité implantée devient une affaire commune entre l'opérateur et les acteurs du territoire) pour différentes catégories d’acteurs concernées au plan local et national : acteurs locaux (élus, associations, collectifs), exploitants, administrations :

- la justification d'une activité porteuse de risques s'inscrit nécessairement dans une

problématique territoriale multidimensionnelle (économique, sanitaire, environnementale, sociale et humaine) à court, moyen et long terme ;

- ces dimensions sont fortement liées et ne peuvent être abordées séparément (en particulier la dimension du risque) ;

- dans un contexte démocratique, la justification d'une activité porteuse de risques n'est pas de nature théorique mais délibérative. Elle est d’abord prise en charge par les acteurs du territoire ;

- dans certains contextes historiques, il ne semble cependant pas possible de créer autour d'une activité le sentiment d'une affaire commune au plan local comme au plan national (patrimonialisation de l'activité), notamment lorsque la justification de l'activité est contestée à l'échelle locale, nationale ou internationale.

La qualité du suivi de l’installation à risque du point de vue de la population

• On observe qu'une seconde condition du développement durable d’une activité à risque est

que son exploitation s’effectue d’une façon qui garantisse que les impacts et les risques sont maintenus dans des limites de tolérabilité (nécessairement évolutives).

• L’élaboration de ces limites et leur mise en oeuvre s’effectuent sur la base de différents

éléments (normes, bonnes pratiques, impact local, technologies disponibles, coûts, attentes de la société,…) à partir de processus complexes de négociation entre l’opérateur, l’administration et éventuellement d’autres intervenants (experts, porteurs d’enjeux, etc). Ces processus de négociation ne sont jamais définitifs et sont régulièrement actualisés.

• Cette garantie n’est pas de l’ordre de la certitude. Elle repose sur un ensemble de

dispositions formelles et informelles (gouvernance) qui règlent les relations entre les différents acteurs concernés (exploitant, administration, acteurs locaux et nationaux) qui créent (ou pas) les conditions d’une confiance sociale et le sentiment d’une qualité du suivi et du contrôle de l’installation aux yeux de la population.

2. Comment construire la qualité du suivi

2.1 Comment se construit la qualité du suivi (visibilité, continuité, sens) de l’installation du point de vue des populations locales ?

• Les conclusions de cette étude montrent que l’implication d’acteurs relais du territoire

constitue une contribution efficace à la construction de la confiance sociale autour des installations industrielles.

• En effet, la qualité du suivi de l’installation du point de vue de la population ne suppose

pas nécessairement l’implication de chacun, sauf peut-être à quelques étapes majeures de la vie de l’installation (implication élargie lors de la création, la fermeture, à l’occasion de crises, accidents).

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• Elle repose sur l’implication effective d'acteurs du territoire qui sont investis de confiance

par les différentes composantes de la population (pas nécessairement par toutes). • Ces acteurs sont prêts à s’engager pour différentes raisons (tradition militante,

engagement citoyen, expérience personnelle,…). • Il faut donc qu'existent les conditions pour faciliter l’implication de ces acteurs relais du

territoire tout en respectant leur autonomie. • Pour être crédibles (aux yeux de la population comme à leurs propres yeux) les acteurs du

territoire impliqués doivent bénéficier d’une influence réelle sur les processus de décision. Cette influence doit pouvoir être évaluée et rendue visible et publique pour fonder la crédibilité de l’acteur relais.

• Ces formes de participation constituent un approfondissement du fonctionnement

démocratique qui reste complémentaire des formes classiques de démocratie représentative.

2.2 Une visibilité sur la vie de l’installation inscrite dans la continuité

Cette qualité du suivi de l'installation du point de vue de la population locale suppose que les acteurs relais du territoire (ainsi que leurs différents appuis d’expertise) disposent d’une visibilité sur la vie de l’installation qui s’inscrive dans la continuité. • Une telle visibilité ne suppose pas une implication constante de ces acteurs relais dans le

fonctionnement de l’installation qui reste de la responsabilité de l’exploitant. • Elle suppose (comme pour l’administration) des procédures d’information et

d’implication à différentes étapes clés de la vie de l’installation et de son fonctionnement (normal ou anormal) où s’élaborent des décisions et des choix qui comportent des enjeux pour différentes catégories d’acteurs et notamment pour les populations du territoire.

• La visibilité du suivi de l’installation bénéficie de la clarification des rôles de ces

différentes catégories d’acteurs (exploitant, acteurs relais du territoire, administration) et de la clarification des étapes du processus décisionnel :

- explicitation des étapes de la procédure d’autorisation (recevabilité de la demande (cas du CNPE de Saint-Alban), examen du bien fondé de la demande ; élaboration des prescriptions (cas d’Environment Agency au Royaume-Uni)

- explicitation de la fonction des différentes catégories d'acteurs dans la procédure d'autorisation (groupe de recevabilité) ;

- …

2.3 Un langage commun et des critères de qualité partagés Cette qualité du suivi du point de vue de la population locale suppose un langage commun et des critères de qualité partagés entre les acteurs relais du territoire (entre eux comme avec les autres), l’exploitant, l’administration et les différentes catégories d’experts qui interviennent au long du processus. • L’existence de lieux et de temps de dialogue permet la construction d’un langage commun

aux différentes catégories d’acteurs concernés qui intègre les dimensions scientifiques,

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techniques et juridiques du suivi de l’exploitation ainsi que les points de vue, valeurs, objectifs de ces acteurs dans la perspective du développement durable du territoire.

• Différentes circonstances constituent l'occasion de réactualiser la justification de l'activité

(cas de force majeure, accident, modification notable de l'activité). • La fixation d’une durée limitée pour les principales autorisations peut contribuer à

actualiser régulièrement le dialogue entre les différents acteurs porteurs d’enjeux autour des installations industrielles (par exemple : Environment Agency, UK)

3. L'implication des différentes catégories d'acteurs concernées L'implication des différentes catégories d'acteurs concernées relève essentiellement du processus de préparation en amont de la décision. • Cette implication permet la création d'un contexte favorable à une prise de décision (par le

décideur public ou privé) satisfaisante ou tout au moins acceptable aux yeux des acteurs concernés même si elle n’a pas pour but de supprimer les divergences entre ces acteurs. Elle permet :

- Une reconnaissance mutuelle des enjeux et de l'identité de chaque acteur, - Une mise en commun des données scientifiques et des incertitudes, - L'identification par l'ensemble des acteurs des aspects non techniques, des aspects

éthiques, des valeurs, des dilemmes associés à la décision, - La construction de représentations partagées entre les acteurs et la construction

d'objectifs communs, - Le co-engagement des acteurs.

• Elle ne suppose pas nécessairement un mécanisme de délégation de la décision par le décideur public ou privé.

3.1 L'implication de l’exploitant

• Il est responsable du fonctionnement de l’exploitation dans les conditions qui ont été

définies par la société. • Les études de cas (BNFL) comme l’enquête (Saillat) montrent l’intérêt d’une concertation

réalisée en amont du processus administratif à l’initiative de l’exploitant à l’échelle locale. • L’exemple du code de l’Environnement suédois comme les nouvelles évolutions de la

mission de la CNDP montrent les avantages d'une concertation menée à l'initiative de l'exploitant en amont de la demande administrative d’autorisation.

• Le recours à des tiers garants et la mise en oeuvre de compétences de médiation

constituent des facteurs décisifs du succès de la concertation.

3.2 L'implication des acteurs relais du territoire • L’implication dans les processus de décision d’acteurs du territoire disposant d'une réelle

autonomie d'action et de parole apparaît être une voie majeure dans la construction de la confiance sociale.

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• Ces acteurs jouent un rôle de relais en contribuant à faire prendre en compte dans le suivi

les préoccupations du territoire et en rendant compte, de manière publique, des activités de suivi.

• Cette implication d'acteurs relais suppose généralement leur inscription dans des réseaux

associatifs locaux, régionaux, nationaux voire internationaux. • L'implication des acteurs relais doit s'effectuer en amont du processus de décision. • L'implication des acteurs relais suppose la mobilisation de moyens de financement

appropriés et transparents. • Les commissions locales apparaissent être des lieux importants d’intégration territoriale :

- Importance des structures de fonctionnement des commissions ⇒ secrétariat général permanent disposant de compétences de médiation ⇒ secrétariat scientifique (qui n’est pas un pôle d’expertise interne mais qui a

vocation à faciliter les démarches d’expertise engagées par la commission) - Importance de l'autonomie des commissions vis-à-vis de l'exploitant, de

l'administration et des différents groupes d’intérêt locaux - Accès à l'expertise pluraliste; capacité à initier et structurer des expertises - Continuité de l'implication sur le moyen long terme - Articulation par rapport aux autres procédures (par exemple : enquête publique DAC

- La Hague) • Contribution de l'expertise publique aux commissions locales :

- Importance d’une contribution forte de l’expert public à travers une présentation de ses travaux d’expertise auprès des acteurs du territoire concernés

- Mobilisation de l’expertise publique par les Commissions locales, en tant que de besoin

3.3 L'implication de l’administration

• Une relation bilatérale en étoile entre l’autorité au centre incarnant l’intérêt général et

chacun des acteurs (sans communication entre ceux-ci) ne permet pas de créer les conditions d’une action en bien commun dans le contexte d’une activité à risques.

• Les évolutions observées vont dans le sens d’un repositionnement de la fonction des

intervenants de l’administration (autorités). • La concertation s’effectue dans le cadre de règles procédurales qui créent les conditions

d’un dialogue entre les différents porteurs d’enjeux à différents moments de la vie de l’installation. A ce stade de préparation des décisions, l’administration intervient comme gardienne du processus de préparation de la décision.

• L’administration conserve son pouvoir de décision (« decision taking ») dans le cadre

d’un processus de préparation (« decision framing ») des décisions où les différentes catégories d’acteurs concernées sont impliquées.

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• Concernant sa contribution au processus de décision, l’administration explicite les différentes étapes de son processus de décision et consulte à chaque étape (par exemple : Environment Agency, UK).

4. Experts et processus d'expertise

4.1 La contribution de l’expertise à la qualité du suivi du point de vue des acteurs relais du territoire

• L’expertise constitue un outil essentiel du processus décisionnel, non seulement pour

l’administration mais aussi pour les différentes catégories d’acteurs concernées. • L'existence d’une expertise publique disposant d’une véritable autonomie de parole

constitue une première contribution à la confiance sociale dans la mesure où elle favorise une appropriation de cette expertise par l’ensemble des acteurs (construction pluraliste d'expertise, travail dans la transparence avec les acteurs concernés).

• Ceci étant, le pluralisme de l’expertise apparaît à travers l’étude constituer une dimension

nécessaire et complémentaire dans de nombreuses situations à des moments clés de la vie des installations. Il semble en particulier nécessaire de favoriser l’accès des acteurs relais du territoire à une expertise pluraliste.

• Ceci suppose qu'existent les ressources nécessaires à l’existence de cette expertise

pluraliste qui ne bénéficie pas de soutiens institutionnels structurels. • Une dimension territoriale de l’expertise apporte une contribution supplémentaire dans la

construction de la confiance sociale. • Les études de cas et l’enquête révèlent que l’implication des non experts dans les

processus d’expertise apporte une contribution significative à la construction de la confiance sociale, à la construction d’un langage commun entre les différentes catégories d’intervenants, comme à la prise en compte de spécificités locales dans les évaluations.

• Les processus d’expertise formalisés (notamment contradictoire) dans lesquels les non

experts sont fortement impliqués permettent de garantir la pertinence de ces expertises vis-à-vis des enjeux et attentes de ces acteurs engagés dans le processus décisionnel (exemple des conférences de citoyens, reformulation de la demande d’expertise, Papeterie de Saillat, Dunkerque).

4.2 Vers un renforcement de la contribution de l’expertise à la confiance sociale

• Dans le contexte des installations nucléaires, la très forte technicité de certaines

problématiques constitue un frein important à l’identification des enjeux réels par les acteurs non experts. L’étude fait apparaître plusieurs voies complémentaires pour tenter d’apporter des solutions :

- l’affichage d’une expertise publique indépendante (dans la foulée du mouvement de création des agences) ;

- l’accès des acteurs du territoire à une expertise pluraliste ; - le développement de processus d’expertise pluraliste structurés et transparents ; - l’implication des non experts dans les processus d’expertise.

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ANNEXE

LISTE DES SIGLES

ACRO Association de Contrôle de la Radioactivité dans l'Ouest ANCLI Association Nationale des Commissions Locales d'Information ASN Autorité de Sûreté Nucléaire BNFL British Nuclear Fuel Limited CIPR Commission Internationale de Protection Radiologique CLI Commission Locale d'Information CLIS Commission Locale d'Information et de Suivi CLS Commission Locale de Surveillance CNDP Commission Nationale du Débat Public CNPE Centre Nucléaire de Production d'Electricité COMARE Committee on Medical Aspects of Radiation in the Environment CRII-RAD Commission de Recherche et d'Information Indépendantes sur la Radioactivité CSPI Commission Spéciale Permanente d'Information près de l'Etablissement

COGEMA de La Hague DAC Demande d'Autorisation de Création DARPE Demande d'Autorisation de Rejets et de Prélèvements d'Eau DDSC Direction de la Défense et de la Sécurité Civiles DGS Direction Générale de la Santé DGSNR Direction Générale de la Sûreté Nucléaire et de la Radioprotection (ex DSIN) DPPR Direction de la Prévention de la Pollution et des Risques DRIRE Direction Régionale de l'Industrie, de la Recherche et de l'Environnement DSIN Direction de la Sûreté des Installations Nucléaires GRNC Groupe Radioécologie Nord Cotentin GSIEN Groupe de Scientifiques pour l'Information sur l'Energie Nucléaire ICPE Installation Classée pour la Protection de l'Environnement INB Installation Nucléaire de Base INSERM Institut Nationale de la Santé et de la Recherche Médicale IPSN Institut de Protection et de Sûreté Nucléaire IRSN Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (fusion de l'IPSN et de

l'OPRI) ONG Organisation Non Gouvernementale OPECST Office Parlementaire sur l'Evaluation des Choix Scientifiques et

Technologiques OPRI Office de Protection contre les Rayonnements Ionisants OSPAR Convention d'Oslo et de Paris REP Réacteur à Eau Pressurisée SPPPI Secrétariat Permanent de la Prévention des Pollutions Industrielles VD1 Première Visite Décennale VD2 Deuxième Visite Décennale

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Expériences françaises et internationales

sur la concertation autour des sites industriels

UN ETAT DES LIEUX

Gilles HERIARD DUBREUIL (MUTADIS), Serge GADBOIS (MUTADIS)

Avril 2001

Etude réalisée par Mutadis pour le compte de l'Institut de Protection et de Sûreté Nucléaire - Contrat n° 4000 0A 251 080

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Sommaire

RESUME 3

A - INTRODUCTION _______________________________________________________ 9 A - I. Le contexte international ________________________________________________ 9

A - II. La concertation autour des activités industrielles en France ___________________ 9

A - III. Objectifs_____________________________________________________________ 10

B - RETOURS D'EXPERIENCES INTERNATIONALES ______________________________ 11 B - I. Cadre de l'etude ______________________________________________________ 11

B - II. L'Experience Nord-Americaine :

les leçons de plusieurs années d'implication des parties prenantes _____________ 12

B - III. L'Expérience Européenne : de l'information à la participation _______________ 24

C - LA PARTICIPATION DES ASSOCIATIONS A LA CONCERTATION

AUTOUR DES SITES INDUSTRIELS EN FRANCE _______________________________ 44 C - I. Cadre d'enquête ______________________________________________________ 44

C - II. La concertation du point de vue des associations ___________________________ 45

C - III. L'impact des installations sur la qualité de vie _____________________________ 47

C - IV. Un processus d'implication dans le processus décisionnel ____________________ 52

C - V. Un interlocuteur dérangeant, facteur de confiance __________________________ 74

Annexe ____________________________________________________________________ 77

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RESUME

Ce rapport présente les deux volets d'une étude sur la concertation autour des sites industriels. La première étude constitue une revue non exhaustive des réflexions et expériences internationales concernant la concertation autour des installations industrielles aux Etats Unis, au Canada et en Europe à partir de la littérature internationale et d'une recherche documentaire. Le second volet est le résultat d'une enquête de terrain menée en France auprès d'associations pour analyser l’impact sur les conditions de vie de la population des approches concertatives du suivi des rejets autour des sites industriels.

I - EXPERIENCE INTERNATIONALE

Les réflexions internationales en matière de concertation autour des sites industriels sont généralement parties du constat que les démarches d'information des populations restent insuffisantes pour instaurer un climat de confiance autour des installations à risques. La participation est apparue comme un moyen efficace, malgré ses exigences en termes de coûts et de temps, pour inscrire durablement un projet industriel dans son environnement social et résoudre les questions posées par l'acceptabilité des risques associés à ce projet.

Aux Etats-Unis comme en Europe, les démarches de communication visant à "rassurer" le public sur la capacité des industriels à maîtriser les activités à risques et la capacité des autorités publiques à contrôler ces derniers se sont soldées par un échec. Celui-ci est attribué le plus souvent à un écart entre la perception des risques par les experts et les "profanes". Ces initiatives ont cristallisé un clivage entre industriels, administrations et public qui n'a pas favorisé l'émergence de perspectives de résolution commune des problèmes de risques.

1 - L'expérience Nord-Américaine

L’expérience acquise en Amérique du Nord, (The US Presidential/Congressional Commission on risk assessment and risk management; Common Sense Initiative Council de l'Environment Protection Agency) montre que la concertation ne doit pas être considérée comme un outil ponctuel au service de la communication. La participation des parties concernées doit être comprise en fait comme une participation effective à la préparation de la décision – pouvant impliquer, le cas échéant, une modification des projets soumis à consultation, voire leur rejet.

Les administrations américaines (comme l'Environment Protection Agency, ou le Department Of Energy), qui occupent une place centrale dans le processus de décision, ont été chargées par les pouvoirs publics fédéraux de faciliter la participation du public. Elles ont développé des programmes permettant aux parties concernées de bénéficier de la compétence d'experts, de suivre des formations ou de disposer de compensations financières pour la participation aux sessions de discussion, sur un large éventail de questions environnementales. Par ailleurs les procédures internes de décision de ces administrations prévoient l'implication des acteurs concernés aux différentes étapes de leur déroulement. La concertation peut s'inscrire dans la durée pour le suivi de sites industriels et amener à la constitution de comités consultatifs citoyens locaux (Citizen Advisory Board).

Dans toutes ces démarches la dimension locale de la concertation est déterminante. Il s’agit d’inclure dans le processus de décision des éléments non prévus par les procédures techniques d'évaluation et de gestion des risques et notamment de faire des choix s’adaptant mieux au contexte spécifique et aux préoccupations des résidents. Ces initiatives peuvent faire partie intégrante du processus de décision des administrations , ou plus ponctuellement être mises en œuvre dans le cadre de procédures d'enquêtes publiques pour l'autorisation de projets industriels (Bureau d'Audiences Publiques en Environnement, Québec). Ces démarches ne sont pas l'apanage des administrations. En effet, certains opérateurs privés participent ou initient des processus de concertation autour d'une exploitation ou en amont d'un projet.

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2 - L'expérience européenne

En Europe, le passage d'une logique d'information et de transparence à une dynamique de concertation avec le public a été plus tardif.

La réglementation européenne relative à l'information et la participation du public sur les questions de risques d'accident (Directive 96/82/CE dite SEVESO) et les projets industriels (Directive 97/11/CE sur l'étude d'impact environnemental) a progressivement évolué au cours des années 1990. Les améliorations ont porté sur un meilleur accès du public aux documents des exploitants et sur la prise en compte par l'administration, des avis des populations dans le processus de décision. L'adoption de la Convention d'Aarhus sur "l'accès à l'information, la participation du public et l'accès à la justice dans le domaine de l'environnement" en 1998 par les pays de la Communauté confirme cette évolution vers une implication active des parties concernées.

Cependant, ces principes d'information et de participation restent diversement mis en pratique suivant les contextes nationaux au sein de l'Union. Le principe de subsidiarité et les initiatives de développement durable, introduits à la suite de la conférence de Rio, mettent en avant le rôle des régions et autres collectivités territoriales dans l'animation d'une démocratie locale, particulièrement sur les questions environnementales. De nombreux réseaux favorisent les échanges et retours d'expérience entre les diverses administrations locales et collectivités territoriales dans ce domaine (Campagne des Villes Européennes Durables). De manière générale, les régions européennes revendiquent officiellement des ambitions dans l'animation de la démocratie locale sur les questions environnementales (Avis du comité des régions sur la sécurité nucléaire et la démocratie locale et régionale, Journal Officiel des Communautés européennes, 98/C 251/06).

Certains pays présentent des expériences particulièrement innovantes, au niveau local, de participation du public aux décisions concernant certaines installations industrielles. C’est par exemple le cas de la Suède, notamment dans sa politique de gestion des déchets radioactifs de haute activité. Les réflexions nationales comme celle du Gouvernement et du Parlement britanniques ou les retours d'expérience mis en perspective par le réseau européen TRUSTNET soulignent la nécessité d'intégrer la concertation au processus de décision et de bien articuler les deux niveaux de décision, local et central.

3 - Conclusion

Les expériences de concertation américaines et européennes sont chacune marquées par un contexte socio-politique et historique particulier. Cependant si la plupart des réflexions dans le domaine de la concertation autour des sites industriels repose sur le principe de retours et d'échanges d'expériences, c'est qu'au-delà des particularités de chaque étude de cas, les questions posées, les problèmes rencontrés et les solutions testées sont de même nature, et à défaut de recettes, des recommandations peuvent être transposées d'une situation à une autre.

Des conditions générales de réussite de la concertation semblent émerger de l'ensemble de ces expériences. Ces conditions sont principalement les suivantes :

1. la concertation ne doit pas se limiter à un exercice ponctuel de consultation des parties concernées mais doit s'étendre à l'ensemble du processus de décision depuis l'élaboration du projet jusqu'à son évaluation après implantation;

2. Le recours à la concertation doit faire partie des pratiques courantes des décideurs tout au long de ce processus ; administration et exploitants doivent prévoir dans leurs structures des procédures institutionnelles de concertation;

3. La concertation doit être inscrite dans le processus de décision au sens où elle doit être capable d'en influencer l'issue. Ceci implique que les parties concernées puissent donner un avis sur plusieurs options pour un même projet

Concernant la dimension locale, la majeure partie des expériences et réflexions conduit à deux recommandations : la décision doit tenir compte de l'avis des acteurs locaux parce que sur certains

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aspects ils connaissent mieux que quiconque l'environnement d'accueil d'un projet, mais aussi parce qu'ils sont directement concernés par les impacts potentiels d'une installation industrielle ; dans l'esprit du principe de subsidiarité, la décision doit être prise autant que possible au niveau local par les autorités concernées.

II - LA PARTICIPATION DES ASSOCIATIONS A LA CONCERTATION AUTOUR DES SITES

INDUSTRIELS EN FRANCE

L’étude réalisée porte sur l’impact sur les conditions de vie de la population des approches dites « concertatives » du suivi des rejets des sites industriels en France. L’enquête a permis d’analyser les formes d’engagement et d’implication des associations et collectifs dans la concertation. Elle a été centrée sur des situations locales où ont été étudiées de nouvelles formes de relations entre la population, les réseaux associatifs, les exploitants, les pouvoirs publics et les experts institutionnels et non institutionnels. L’analyse a mis en perspective les dispositifs de concertation dans les domaines nucléaire et non nucléaire. L’enquête, qui couvre le domaine nucléaire et non nucléaire, a pris la forme de 25 entretiens semi-directifs auprès d’associations résidant à proximité d’installations dans plusieurs régions françaises (Nord-Cotentin, Alsace, Touraine, Poitou, Charente, Limousin, Nord-Pas de Calais).

1 - La concertation : entre lutte et dialogue

Du point de vue des associations rencontrées, la concertation traduit un projet ambivalent. Celui-ci, d’une part tend à favoriser des consensus au travers d’une réflexion en commun entre parties concernées, et d’autre part peut prendre la forme d’une lutte (étymologiquement, le terme « concertatio » désigne une « lutte d’athlètes antiques »), c’est-à-dire d’une discussion pied à pied avec l’administration et l’exploitant pour parvenir à une décision plus adaptée au contexte local.. Dans cette seconde perspective, de leur point de vue, la concertation nécessite au préalable un rapport de forces équilibré dans un cadre de dialogue bien défini.

Si la démarche de concertation marque en soi une volonté de dialogue et de coopération, elle ne doit pas nécessairement viser le consensus. La mission d’information revendiquée par la plupart des instances de concertation est souvent rejetée par les associations qui ne souhaitent pas devenir le relais de la communication unilatérale de l’exploitant ou de l’administration. En revanche le réseau associatif désire influencer les décisions qui ont un impact local en laissant à l’exploitant et à l’administration la responsabilité entière des choix. De cette manière les associations ont l’ambition de contribuer au fonctionnement « sûr » des installations, même si par ailleurs elles peuvent contester la justification de leur implantation et/ou de leur activité.

C’est moins le souci d’apporter une contribution au processus de décision qui est initialement à l’origine de la participation des associations au suivi d’installations industrielles qu’un sentiment d’inquiétude et de colère face à des incidents, ou à un contrôle administratif perçu comme opaque En s’engageant dans l’action, les membres d’associations locales reprennent dans une certaine mesure la maîtrise de leur environnement et de leur cadre de vie, et dépassent un sentiment premier d'exclusion et d'impuissance.

Comme le requiert la réglementation en matière d’installations classées, des dispositifs d’information et de consultation sont généralement en place autour des sites où interviennent les associations rencontrées dans le cadre de l'étude. Cependant le plus souvent ces dispositifs ne répondent pas aux attentes des associations. De nombreuses informations peuvent être diffusées sur l’exploitation, mais elles sont ressenties comme partiales et peu crédibles avec pour seule intention de rassurer. Selon les associations, les procédures de consultation ne permettent pas de faire entendre et faire prendre en compte un avis. Les projets qui y sont présentés apparaissent comme « bouclés » et adoptés d’avance. Une dissymétrie forte persiste entre les connaissances, les compétences et les moyens des administrations et des exploitants d’une part, et ceux des associations d’autre part. Plusieurs facteurs

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favorisent cependant l’implication des acteurs locaux dans le suivi d’une installation. L'ancrage dans une tradition militante souvent ancienne est un trait commun bien partagé par les associations rencontrées. Il donne à leur action une dimension citoyenne qui dépasse les seules questions environnementales et introduit un questionnement plus large sur leur rôle d’acteur dans la vie publique et politique locale. Il accompagne leurs démarches d’un esprit de solidarité et de convivialité qui traduit l’ancrage de leurs préoccupations dans la vie de la communauté locale.

2 - Les conditions de l’action associative

Les liens avec les autres associations au niveau local, régional ou national sont également primordiaux pour s’informer, se former et agir sur le terrain. Les actions et compétences – tant juridiques, politiques que techniques – des associations à ces différents niveaux se complètent. Au niveau local, les collectifs ou associations développent une compétence de terrain sur leur proche environnement et ont une capacité de réaction déterminante face aux évolutions d’une installation ou à d’éventuels incidents. Au niveau régional les associations apportent souvent une compétence d’expertise, notamment, dans le domaine de l'environnement et peuvent également former leurs adhérents ou des membres d’associations locales. Outre ce fonctionnement en réseau, les associations bénéficient d’une inscription dans le temps et dans l’espace, génération après génération sur un même territoire, qui donne une certaine légitimité, une force et une continuité à leur action.

Les moyens d’action des associations reposent essentiellement sur un ensemble de compétences critiques qu’elles peuvent réussir à faire valoir progressivement dans le dispositif de concertation et qui peuvent contraindre à des évolutions de la part de l’exploitant ou de l’administration.

L’avis que peut émettre une association peut avoir une certaine portée, à la fois parce qu’il représente des préoccupations fondées sur une réalité locale, parce qu’il s’exprime sur les systèmes techniques et réglementaires existants, et parce qu’il est souvent formulé au bon endroit, au bon moment.

Tout l’enjeu pour les associations locales est d’accéder à des informations stratégiques ou de les produire. En d’autres termes il s’agit de faire émerger des renseignements sur les équipements techniques et les risques qui posent réellement question en termes de protection de l’environnement, de santé des populations ou de sécurité. Par là même les associations souhaitent soulever des interrogations sur les aspects techniques et réglementaires de l’exploitation mais également sur des aspects éthiques. La possession de cette information stratégique permet aux associations de forcer l'attention dans le jeu institutionnel en amenant l’exploitant et l’administration à s’expliquer, à écouter ce qu'elles-mêmes ont à dire, pour finalement initier un dialogue. Les sources de cette information sont diverses depuis les données de l’exploitant et de l’administration jusqu’à l’expertise indépendante et la production autonome de données en passant par les documents discutés en Comités Départementaux d’Hygiène ou en conseils municipaux et aux renseignements informels communiqués par des riverains ou des employés de l’installation.

Dans certains cas les associations peuvent produire elles-mêmes une expertise basée notamment sur leur bonne connaissance du terrain.

Les actions des associations autour des sites industriels prennent des formes variées : manifestations et pétitions (voire grèves de la faim), actions en justice et interventions dans les médias. Au travers de ces initiatives les membres associatifs et les collectifs rencontrés marquent leur contestation de certains choix d'implantation et d'exploitation industrielles et relayent des attentes partagées par les populations locales. Ces actions ne sont pas contradictoires avec la concertation. Elles montrent cependant que la concertation n'est pas un but en soi, et qu'elle ne vise pas nécessairement à faire perdurer l'implantation d'une exploitation. Elles soulignent que la légitimité et la crédibilité des associations se construisent également en dehors des instances de dialogue.

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3 - La participation aux instances de concertation et le contact informel avec l’exploitant

Pour les associations, l'intérêt de ces instances peut dans un premier temps apparaître limité. Ces structures n'ont généralement qu'un rôle consultatif et elles n'offrent pas la possibilité de mener un dialogue en toute équité. Malgré une ouverture à la presse, l'information et les débats sont rarement relayés à l'extérieur. Cependant les collectifs et associations tiennent à y siéger car il est possible d'avoir accès à certains documents, de faire émerger des problèmes, de poser des questions directes à l'exploitant et à l'administration et d'entendre leurs réponses. Ces réunions formelles sont également un moyen de faire acter des problèmes et de rappeler l'exploitant à ses engagements. A force d'opiniâtreté la plupart des associations rencontrées arrivent à faire reconnaître la valeur de leur contribution au débat, ce qui contribue à rééquilibrer la structure de concertation.

Néanmoins il semble toujours exister une tension au sein des associations et collectifs, parfois même parmi leurs membres, entre le souci de contribuer au suivi de l'installation et la crainte de servir de caution à l'exploitant et/ou à l'administration. La politique de la chaise vide est parfois pratiquée. Ce dilemme est d'autant plus difficile pour les associations qu'elles ont le sentiment d'être les seules à pouvoir dialoguer de manière critique avec l'exploitant dans ces instances officielles dans la mesure où selon les associations, pour les autres participants (élus et presse), ces structures sont avant tout des relais de communication.

Les instances formelles de concertation représentent des structures lourdes qui ne favorisent pas le dialogue direct entre les parties en présence dans la mesure où l'intérêt pour la concertation est diversement partagé entre eux. Les associations souhaitent avant tout pouvoir interroger et écouter l'exploitant. Bien que la présence des élus et de l'administration soit importante pour entendre les questions des associations et les réponses de l'industriel, elle ne facilite pas toujours le travail d'investigation et les échanges. Dès lors qu'il existe entre exploitants et associations une volonté commune de progresser dans le dialogue et de dépasser la stricte application de la réglementation, la mise en place de structures informelles où les associations et l'exploitant constituent les principales parties crée les conditions d'une discussion plus ouverte et équilibrée. Pour les associations ces échanges informels sont une garantie d'un lien continu entre l'exploitant et son environnement social proche. Pour l'industriel, du moins tel que le relayent les associations rencontrées, il y a souvent un enjeu pour la durabilité de son implantation locale.

Par ailleurs plusieurs associations de niveau départemental ou régional s'investissent de manière inédite dans les processus informels de concertation en jouant les médiateurs entre l'exploitant, l'administration et les associations locales. Cette position de recul par rapport aux controverses est rendue possible par leur expérience et la reconnaissance de leurs compétences par la majorité des parties. En revanche plusieurs associations s'interrogent sur les difficultés pour l'administration à situer son propre rôle dans ces formes non officielles de dialogue par rapport à sa mission de contrôle.

4 - Conclusion

Les associations mettent en évidence l'intérêt de lieux de dialogue ouverts où les problèmes associés à un projet sont abordés de manière décloisonnée, et les solutions peuvent être évaluées sans a priori. La prise en compte de leurs avis semble contribuer à asseoir la légitimité de l'implantation d'un site industriel, la durabilité de son exploitation, voire dans certains cas son fonctionnement presque quotidien. En revanche lorsque la justification de l'implantation d'une exploitation reste contestée, cette contribution associative à la concertation permet de maintenir un contrôle citoyen sur un site controversé.

En définitive les associations sont à la fois conscientes des limites des dispositifs de concertation existants et des opportunités qu'offrent des structures plus informelles de dialogue. Tout en étant modestes, leurs ambitions en matière de concertation sont pragmatiques. Elles visent à imposer non pas un avis, mais un dialogue pour soumettre l'exploitant à l'épreuve du regard extérieur de citoyens locaux concernés, et d'une certaine manière pour le contraindre – tout comme l'administration – à donner le meilleur de lui-même. Jouant parfois les trouble-fêtes les acteurs associatifs font prendre en compte dans le suivi d'une installation industrielle un ensemble de critères non techniques et non

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réglementaires qui peuvent apporter une contribution réelle à la sécurité de l'installation. Ils font également expliciter les présupposés des solutions techniques et évaluent leur cohérence avec l'environnement social local.

Tout en gardant leur autonomie et leur distance, les associations rencontrées semblent montrer qu'elles trouvent un intérêt commun à suivre une installation en partenariat avec l'exploitant et l'administration afin d'améliorer autant que possible son impact sur l'environnement. Cet intérêt commun a d'autant plus de valeur qu'il est souvent le fruit d'un long travail de la part des associations pour s'imposer et être reconnues comme acteurs dans le dialogue, et qu'il n'exclut pas d'autres formes d'actions par ailleurs.

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A - INTRODUCTION

Les dispositifs de régulation et de contrôle de nombreuses activités à risques en Europe dans les domaines nucléaires et non nucléaires (notamment: énergie, santé, alimentation, gestion des déchets, gestion des sites contaminés) ont été confrontés durant cette dernière décennie à de multiples difficultés pour répondre aux attentes émergentes des différents groupes sociaux concernés par ces activités (parmi ces « stakeholders » ou porteurs d’enjeux ou parties prenantes, se trouvent notamment les associations de consommateurs, de riverains, de protection de l’environnement). Ces difficultés sont notamment apparues dans leur contexte territorial (le cas échéant) et empêchent l'instauration d'un climat de confiance sociale entre les différentes parties prenantes.

A - I. LE CONTEXTE INTERNATIONAL

Ces difficultés sont à l’origine de différentes réflexions menées sur l’évaluation et la gestion des risques industriels dans plusieurs pays, principalement en Europe et aux Etats-Unis ainsi qu'au plan international, concernant l’élargissement du cercle traditionnel des acteurs (exploitants, pouvoirs publics, experts) à de nouveaux groupes sociaux (riverains, élus, réseaux associatifs, expertise scientifique indépendante, ONG). Cet élargissement permet d'intégrer des catégories d'acteurs porteuses d’enjeux spécifiques associés à ces activités à risques. Ces nouvelles approches de la gouvernance des activités industrielles à risques sont caractérisées par de nouvelles formes de partenariat (paradigme de confiance mutuelle, proposé dans TRUSTNET1) entre les parties prenantes.

Elles reposent sur des régulations impliquant de façon régulière ces différentes parties prenantes de manière à permettre l’actualisation et le renouvellement des fondements de la confiance sociale qui assurent la cohésion sociale autour des activités à risques. L’implication des parties prenantes et notamment la mobilisation de composantes d’expertise pluraliste et d’acteurs locaux dans l’évaluation et la gestion du risque permettent la construction, la validation et la diffusion d’une base d’information commune crédible aux yeux de l’ensemble des parties prenantes. Ces évolutions ont notamment pour objectif de favoriser des modalités d’intégration meilleures et plus durables des activités industrielles à risques dans leur contexte local.

A - II. LA CONCERTATION AUTOUR DES ACTIVITES INDUSTRIELLES EN FRANCE

En France, différents outils réglementaires concernant l’information du public et la concertation ont été progressivement introduits dans le cadre réglementaire des activités industrielles dans les domaines nucléaire et non nucléaire. Ces dispositifs s’intègrent dans la continuité du fonctionnement de l’installation industrielle ou sont mobilisés au gré de son fonctionnement et de ses évolutions (notables) ainsi qu’à l’occasion d’éventuels incidents qui peuvent intervenir au cours de la vie de l’installation. Ils revêtent selon les cas un caractère ponctuel (enquêtes publiques, mobilisation d’expertise pluraliste) ou plus permanent (commissions locales d’information et, le cas échéant, de surveillance, secrétariats permanents à la prévention des pollutions industrielles).

D’une façon générale, le droit de l’environnement a connu durant cette dernière décennie un développement important marqué par la place croissante des dispositifs de concertation ouvrant de larges possibilités d’implication des différentes parties prenantes dans la construction des décisions relatives aux risques pour la santé et l’environnement (gestion de l’eau et de l’air, gestion des déchets nucléaires et industriels).

Cependant, dans des contextes locaux d’exploitations industrielles nucléaires et non nucléaires, des phénomènes de perte de confiance sociale et d’inquiétude de la population ont montré les carences du 1 Une nouvelle perspective sur la gouvernance des activités à risques, Propositions et conclusions du séminaire européen TRUSTNET, Commission Européenne, Février 2000.

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fonctionnement des dispositifs existants d’information et de concertation ainsi que leurs limites et d’une façon générale la nécessité de mieux prendre en compte les attentes des différentes catégories d’acteurs concernées dans l’évaluation des risques pour la santé et l’environnement ainsi que dans le suivi de ces installations.

Différents problèmes ont ainsi pu être identifiés dans les dispositifs actuels comme, par exemple, la formation et le financement des participants du public, leurs difficultés d’accès à l’information, l’absence de forums de débat contradictoire, l’absence d’une visibilité globale et d’un suivi régulier de l’installation pour les représentants de la société mobilisés au coup par coup, les réticences au pluralisme de l’expertise, les difficultés de constitution d’une expertise indépendante sur le long terme faute de ressources régulières, la non prise en compte des attentes sociales en matière de suivi global de la qualité de l’environnement qui dépasse le strict contrôle réglementaire du fonctionnement des installations. Dans ces contextes, la mise en oeuvre de nouvelles approches concertatives à caractère expérimental ouvrent la voie à une réflexion sur les modalités d’une meilleure prise en compte des attentes sociales dans les dispositifs d’autorisation et de contrôle des installations industrielles nucléaires et non nucléaires.

Il reste cependant à évaluer si ces approches concertatives sont à l’origine de nouvelles formes de confiance, ainsi qu'à analyser leur contribution éventuelle à l’instauration de conditions de vie favorables dans le voisinage de ces installations. Il convient notamment d'évaluer dans quelle mesure ces nouvelles approches ne s’inscrivent pas dans les registres de la défiance et de la survie mais bien dans celui du “bien vivre“. Dans la mesure où ces nouvelles approches contribuent de façon régulière à “mettre sur la table“ et “mettre en débat“ les éléments de l’évaluation et de la gestion du risque, ce qui reste un facteur d’inquiétude, on conçoit que ces éventuelles formes de "bien vivre" requièrent que certaines conditions soient remplies. On peut notamment s’interroger sur l’existence dans ces contextes d’une culture du risque partagée au plan local (dans la population) ainsi que sur les formes d’engagement social (vie associative) que supposent ces nouvelles formes de contrôle social.

A - III. OBJECTIFS

Pour tenter de répondre à cet ensemble de questions, un retour d'expérience a été réalisé sur les réflexions et pratiques relatives à la concertation autour de sites industriels, au travers de deux études menées en parallèle, dont les conclusions sont présentées dans ce rapport.

Etude documentaire sur les réflexions internationales, identification d’expériences innovantes

Dans cette étude ont été passées en revue les principales réflexions et expériences internationales concernant la concertation autour des installations industrielles, à partir de la littérature internationale et d'une recherche documentaire conduite sur différents sites Internet d’institutions ou d’associations intervenant dans ces domaines aux Etats Unis, au Canada et en Europe. D’une façon générale, l’objectif de cette investigation, qui reste limitée, est de réaliser une synthèse des réflexions internationales sur ces sujets et surtout d’identifier différentes expériences de concertation innovantes à l'étranger.

Enquête sur l’impact des approches concertatives innovantes sur les conditions de vie des populations locales

Il s’est agi ici de réaliser une première évaluation de l’impact des approches concertatives sur les conditions de vie des populations, à partir d’une vingtaine d’interviews approfondies de personnes vivant dans la proximité d’installations nucléaires et non nucléaires en France. L’objectif n’était pas de réaliser une enquête extensive mais plutôt d’identifier et d’analyser les modalités d’implication de la population, et leurs répercussions sur les conditions de vie. Pour ce faire, l'enquête a porté sur quelques contextes spécifiques où se déploient de nouvelles formes de relation entre la population, les réseaux associatifs, les exploitants, les pouvoirs publics et les experts institutionnels et non institutionnels.

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B - RETOURS D'EXPÉRIENCES INTERNATIONALES

"The fact that experts can be wrong meant that the future remained undetermined and hence forecasts and predictions should be treated with caution, as illustrated by a participant who was "afraid that the long-term forecasts (on climate change) could make us follow the wrong route." However the fact that experts could get it wrong also provided opportunities for action and how that future could evolve. First of all by "reconsidering data that was thought to be certain, makes us realise how we can be more directly involved personally (we can do something!!) because there are no certainties but only hypotheses". In conclusion, the participants tended to be reassured by the fact that experts could get it wrong because it created the conditions for the empowerment of lay publics into the debate about the future."2

B - I. CADRE DE L'ETUDE

B - I.1 Objectif

L’objectif de cette étude documentaire est de proposer une revue des principales réflexions et expériences internationales concernant la concertation autour des installations industrielles. L'objectif de cette investigation, qui reste limitée, est également d'identifier diverses expériences internationales de dispositifs innovants de concertation (nucléaire et non nucléaire) et d'en proposer une synthèse en essayant de mettre en avant leurs points communs au-delà des différences nationales. Cette synthèse pourra servir de support à une mise en perspective des dispositifs de concertation existants dans le domaine nucléaire français.

B - I.2 Méthodologie

Sans prétendre à l'exhaustivité, cette étude documentaire a consisté à collecter des informations sur des démarches marquantes et significatives de concertation sur le continent nord-américain et en Europe, notamment en s'appuyant sur les documents disponibles sur les différents sites officiels d'institutions ou d'associations directement ou indirectement impliquées dans le suivi des installations industrielles, et en consultant la littérature dans le domaine de l'évaluation et de la gestion des risques.

Cette étude a permis d'identifier et d'analyser plusieurs expériences innovantes. Leur présentation a été réalisée avec le souci de faire ressortir ce que chaque approche avait de spécifique et d'original dans sa manière d'aborder la concertation. Dans le même temps, cette synthèse met en avant les questions génériques qui se posent dans la plupart des démarches de concertation, notamment à propos de leurs atouts et limites et de leurs perspectives d'évolution communes.

Les expériences présentées sont pour la plupart développées par des institutions et des autorités publiques au niveau central (fédéral ou national), régional ou local (commune, collectivité territoriale).

Les expériences américaines et européennes sont exposées dans deux parties différentes car elles s'inscrivent chacune dans un contexte historique et institutionnel spécifique. Les Etats-Unis, notamment, ont une pratique plus ancienne de la concertation autour des projets industriels. On verra néanmoins que les réflexions, bilans et recommandations de part et d'autre de l'Atlantique se rejoignent sur de multiples points qu'il s'agisse des objectifs de la concertation ou des modalités de mise en œuvre de démarches participatives.

2 De Marchi et al., Between Democracy and Expertise? Citizens' participation and Environmental Integrated Assessment in Venice (Italy) and St Helens (UK), site web du projet ULYSSES (Joint Research Centre, Italy)

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B - II. L'EXPERIENCE NORD-AMERICAINE : LES LEÇONS DE PLUSIEURS ANNEES D'IMPLICATION DES PARTIES PRENANTES

L'expérience des Etats-Unis en matière d'association des populations au suivi des installations industrielles compte parmi les plus anciennes. Aujourd'hui les principaux ministères et agences gouvernementales (parmi lesquels, certains sont directement responsables de l'exploitation d'installations) concernés par les activités à risques ont élaboré un cadre qui définit les objectifs, les modalités et les conditions de participation de la population au suivi de sites industriels ayant un impact sur l'environnement. Les approches des organismes publics sont intéressantes à double titre. De par leur visibilité institutionnelle, elles reflètent un ensemble de démarches qui sont développées sur le continent américain aussi bien dans le secteur public que privé. D'autre part, elles sont en partie spécifiques et nous renseignent sur la façon dont une institution publique peut concevoir son rôle dans la concertation. Cependant la concertation se joue également dans le cadre d'instances réglementaires officielles, et l'exemple québécois de l'audience publique montre comment un processus public de concertation peut favoriser la participation des acteurs concernés dans la décision d'autorisation par l'Etat de projets ayant un impact sur l'environnement.

B - II.1 De la communication à la participation

A l'origine, le mouvement des autorités publiques et des opérateurs vers les acteurs locaux s'inscrit dans une démarche de communication qui vise à répondre aux inquiétudes des populations concernant les risques associés à l'exploitation des activités technologiques. Partant du constat d'un écart (gap) de perception du risque entre la population et les experts, cette démarche avait pour objectif de résoudre les problèmes d'acceptabilité des activités à risques, en mobilisant des techniques de communication et d'information afin de réduire cet écart. Dès lors qu'une activité était sûre pour les experts, il s'agissait de démontrer au public le caractère négligeable (donc acceptable) des risques associés.

Cependant la légitimité des décisions concernant l'implantation et l'exploitation de sites industriels, fondée sur une base essentiellement scientifique et technique, était progressivement remise en cause. Les oppositions qu'ont pu rencontrer nombre de projets industriels ont montré les limites d'une approche strictement "scientifique" et ont renforcé le cercle vicieux d'une vision du monde, partagée entre experts éclairés et profanes "irrationnels". Afin de dépasser ce clivage il est apparu nécessaire d'établir les fondements d'un dialogue et d'ouvrir la relation entre industriels, experts, autorités publiques et populations en prenant en considération les préoccupations sociales ("public concern"), notamment les questions que se posaient les acteurs locaux à l'occasion d'un projet d'implantation sur leur territoire.

Ce constat a donné naissance à un renouvellement des approches stratégiques des différents acteurs en charge de la sécurité (administrations, exploitants). D'une façon pragmatique, ceux-ci ont recherché à travers de multiples démarches les voies d'une implication des acteurs "porteurs d'enjeux" (stakeholders) dans les processus de décision.

Aujourd'hui, le contexte américain en matière de concertation se caractérise par un ensemble d'initiatives des institutions fédérales destinées à renforcer leurs liens avec les citoyens. S'appuyant sur une tradition de démocratie locale, les organisations fédérales sont engagées dans une démarche globale qui vise à soumettre leurs actions et programmes à l'avis des citoyens-contribuables, qu'il s'agisse de plans d'activités, d'actions ponctuelles ou de l'allocation des budgets. Les actions en faveur de la participation du public se font tous azimuts et doivent autant que possible être intégrées au fonctionnement de l'administration. Ces initiatives sont en lien direct avec la mission de "service public" de l'administration.

Dans le domaine de l'environnement, des actions précises en faveur de la participation du public ont été prises. A titre d'exemple, en 1994, le Président Clinton a publié un ordre exécutif sur les actions fédérales en matière de "justice environnementale" pour favoriser la représentation et la participation des populations minoritaires et défavorisées sur les questions d'environnement. Cet ordre donne obligation aux agences fédérales de définir une stratégie de "justice environnementale" (voir page 1,

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Les programmes transversaux de soutien à la concertation de l'EPA). En 1997, le Conseil sur le Développement Durable auprès du Président a émis plusieurs recommandations à l'intention des divers acteurs politiques (gouvernements nationaux, administrations fédérales, collectivités locales) sur les questions de transparence, d'implication des populations, et notamment sur les efforts que peuvent déployer à différents niveaux (fédération, Etat, ville) les autorités publiques pour contribuer à la formation des participants aux processus de concertation3. La réflexion sur les questions de participation du public est continue.

Nous proposons dans cette première partie un aperçu des intiatives menées par les agences américaines qui ont l'avantage d'être formalisées et évaluées, et offrent ainsi une bonne visibilité des processus de concertation en Amérique du Nord. Au travers de l'exemple québécois, nous montrerons comment l'approche nord-américaine d'implication des acteurs peut s'inscrire dans la procédure plus classique de l'enquête publique. L'affichage public des politiques de concertation menées par les autorités publiques ne doit pas donner pour autant l'impression que les initiatives de concertation sont l'apanage de l'Etat ou des autorités locales. Pour des raisons certes différentes de l'administration, qui ont plus directement trait à des préoccupations de durabilité et d'efficacité, et pas uniquement de légitimité et de responsabilité publique, de nombreux opérateurs privés participent ou initient des processus de concertation autour d'une exploitation ou en amont d'un projet. Nous en exposerons quelques exemples. Enfin, l'expérience d'implication des acteurs dans les questions touchant à la surveillance de sites industriels et plus largement l'environnement a presque vingt ans. De premiers bilans ont été tirés dont nous présentons une synthèse en conclusion de cette première partie.

3 President's Council on Sustainable Development, Sustainable Communities,Task Force Report, Fall 1997

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B - II.2 Les programmes de participation de l'Agence pour la Protection de l'Environnement (USEPA)4

Aux Etats-Unis, la mission de contrôle en matière de respect de l'environnement est principalement du ressort de l'Environment Protection Agency, l'Agence de la Protection de l'Environnement (USEPA). L'association des citoyens au contrôle des installations est un moyen pour l'USEPA à la fois d'être plus efficace et de mieux répondre au souci des populations directement concernées.

De par sa structure même et l'étendue de son domaine de compétence, l'USEPA est susceptible d'intervenir dans le domaine des risques tantôt comme régulateur ou autorité, tantôt comme expert, tantôt comme observateur. De manière générale, les programmes de concertation avec le public sont nombreux et le rôle que joue l'administration américaine peut varier grandement, même si elle garde souvent l'initiative du processus.

Le rôle de l'EPA dans la concertation Le rôle de l'EPA dépend de son degré d'engagement dans les projets environnementaux.

Le minimum de son intervention, quel que soit son rôle par ailleurs, est de favoriser la participation des "porteurs d'enjeux" en leur apportant un soutien pour l'expertise technique ou en encourageant l'exercice d'une "justice environnementale". L'agence se met alors à la disposition des "porteurs d'enjeux", communautés, mais aussi Etats, autorités locales, tribus avec lesquelles elle partage la responsabilité de la protection de l'environnement. Son aide peut prendre la forme d'informations (mise à disposition de données sur l'environnement) et de formations, d'une assistance technique directe ou de l'octroi de bourses. Ainsi dans le domaine des substances dangereuses, l'EPA dispose de deux programmes spécifiques pour apporter un soutien aux citoyens et communautés, dans leurs efforts d'information et de formation à l'expertise. Des bourses de 50 000 $ sont délivrées à des groupes de citoyens concernés par des problèmes de déchets. Dans le programme d'"assistance technique aux communautés" (Technical Outreach Services for Communities - TOSC) l'EPA met au service des communes qui en font la demande les compétences de cinq centres de recherche sur les substances à risques, lesquels s'appuient sur un réseau de 23 universités.

Dans de nombreux projets, l'EPA est elle-même un "porteur d'enjeux" parmi d'autres ou un leader, et sollicite la concertation pour améliorer le processus de décision. Pour l'EPA la concertation ne doit pas affranchir les autorités de leur responsabilité, ou court-circuiter les acteurs légitimes présents sur le terrain. L'introduction du point de vue des acteurs ne doit pas non plus évacuer les données scientifiques. Dans une certaine mesure, la concertation est une opportunité pour l'Agence de clarifier son rôle et son engagement dans un projet, en évaluant si elle doit intervenir en tant que leader, en tant que "porteur d'enjeux" parmi d'autres, ou en tant que facilitateur. L'Agence voit également la concertation comme un moyen de coordonner et intégrer plusieurs questions d'environnement qui peuvent interagir sur un même territoire en les mettant en perspective avec les choix d'une communauté territoriale (voir plus bas : Community-Based Approach to Environmental Protection). La concertation lui permet de se dégager de projets où son rôle n'est pas primordial en donnant la capacité (par des formations et un soutien matériel) aux acteurs locaux directement concernés de discuter des questions en jeu. Dans le même temps, elle lui offre la possibilité d'intervenir sur des sites où le problème environnemental ne s'inscrit pas dans une politique publique précise et ne correspond pas à un mandat clair pour l'Agence.

Dans certains secteurs d'activités de l'EPA, la participation des acteurs locaux apparaît cruciale et les démarches de concertation, les aides techniques et les formations à l'intention des "porteurs d'enjeux" sont plus fortement développés. Il en est ainsi du programme sur les sites faiblement contaminés – et souvent orphelins – (The Brownfields Institute), ou du programme de protection de l'environnement

4 Les documents consultés pour cette présentation sont dans l'ensemble disponibles sur le site Internet de l'Agence de Protection de l'Environnement des Etat-Unis : http://www.epa.gov

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basé sur une approche par bassin hydrographique (The Watershed Approach). Ceux-ci privilégient autant que possible une démarche de concertation, et incluent également des volets destinés à favoriser la participation des "porteurs d'enjeux".

Les programmes transversaux de soutien à la concertation de l'EPA L'EPA a développé des approches transversales, vouées à améliorer les processus de concertation dans l'ensemble de ses projets. Chacune de ces approches reflètent une dimension du processus de concertation :

- Développement durable (Sustainable Development Challenge Grants)

Par l'octroi de bourses, ce programme vise à donner les moyens aux "porteurs d'enjeux" d'intervenir sur certains problèmes afin qu'ils puissent faciliter la recherche de solutions durables, en faisant part de leurs connaissances déterminantes du milieu et des enjeux. Cette aide financière est destinée à former les "porteurs d'enjeux" et à les soutenir matériellement dans leurs efforts de participation au processus de concertation. Elle contribue à les doter d'une capacité de participation tant cognitive que matérielle (capacity building).

- Equité (Environmental Justice)5

L'Agence définit la justice environnementale comme une "attitude d'équité à l'égard des citoyens indépendamment de leurs origines ethniques, culturelles et sociales, sur les problèmes de politique et de réglementation environnementales." Ce principe a été établi sur le souhait du Président Clinton suite au constat que les problèmes d'environnement renforçaient les inégalités et touchaient en premier lieu la santé et la qualité de vie des minorités et des couches sociales les plus défavorisées. En pratique, des efforts sont développés pour mieux identifier les "porteurs d'enjeux" parmi ces populations qui se mobilisent rarement sur les questions d'environnement. Il s'agit également de les aider à s'impliquer autour de projets, par exemple dans le suivi de la conformité réglementaire d'installations industrielles – une des missions de l'EPA.

- Dimension locale territoriale (Community-Based Approach to Environmental Protection)6

L'Agence a rédigé un document-guide à l'intention de son personnel pour toutes les actions de protection de l'environnement qui sont susceptibles d'être menées localement en collaboration avec des communautés (EPA's Community-Based Approach to Environmental Protection, CBEP). Cette approche, qui peut compléter tous les programmes que mène par ailleurs l'agence, a pour objectif de réunir les "porteurs d'enjeux" présents sur un même territoire pour "identifier les préoccupations environnementales, définir des priorités, et mettre en œuvre des solutions globales." Cette démarche s'appuie sur le constat que les "porteurs d'enjeux" ont "un intérêt commun à protéger un environnement et une qualité de vie définis qu'ils partagent ensemble." L'approche "communautaire" vise également à partager la responsabilité de la mise en œuvre des décisions avec les "porteurs d'enjeux" locaux. Cette approche se veut interactive : les projets et partenariats sont censés lorsque cela est possible, faire l'objet d'un suivi pour vérifier l'efficacité des actions menées, tenir compte de nouvelles données et réaliser des retours d'expériences.

5 Voir en particulier : Report of the Environmental Justice Enforcement and Compliance Assurance Roundtable (NEJAC in conjunction with the US Environmental Protection Agency), october 1996 6 EPA's framework for Community-based Environmental Protection, February 1999

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B - II.3 La concertation sur les sites contaminés : les Comités Consultatifs auprès du DOE7

Le Secrétariat à l'Energie (DOE – Department of Energy) des Etats-Unis a répondu de manière similaire à l'EPA aux initiatives de concertation de l'administration fédérale américaine. Il a développé un programme de justice environnementale, ainsi qu'un programme d'acquisition de compétences (capacity building) avec l'Université d'Howard. A la différence de l'EPA, le DOE n'a pas une fonction de régulateur, mais de recherche et développement, notamment dans le domaine nucléaire. A ce titre, le Secrétariat à l'Energie est responsable de la gestion des sites contaminés par les activités de production d'armes nucléaires. De ce fait, les démarches de concertation qu'il peut mettre en œuvre sont plus proches d'une logique d'opérateur que d'une logique d'autorité publique, d'expert ou de médiateur.

Le cadre réglementaire Au début des années 1990 la gestion des sites contaminés a soulevé de nombreuses interrogations et inquiétudes parmi les populations riveraines. La constitution de Comités de Site Consultatifs (Site-Specific Advisory Board) a été évoquée par plusieurs observateurs comme un moyen pour le DOE de rétablir la confiance dans ses activités sur ces sites, en faisant participer des représentants des populations locales. En 1994, le Secrétariat d'Etat à l'Energie a mis en place une structure pour organiser ces comités et soutenir leur travail.

La mise en œuvre de ces comités est soumise à une réglementation générale sur les comités consultatifs (Federal Advisory Committe Act, 1972) qui oblige notamment toute institution qui souhaite en créer un à définir une charte en concertation avec l'Administration des Services Généraux (General Services Administration), à réaliser un compte-rendu détaillé de chaque réunion, et à rendre publics les documents relatifs à ses activités.

Conformément à cette réglementation, le DOE doit nommer un responsable au sein de ses services pour chaque comité consultatif. Outre sa participation au comité, celui-ci a la responsabilité de définir la fréquence des réunions, leur lieu et date, et d'en informer les participants, d'approuver l'agenda au nom du DOE et de tenir le registre des présences et des dépenses. Il lui appartient aussi de veiller à d'éventuels conflits d'intérêts entre les membres et la mission du groupe. Le DOE alloue un budget de fonctionnement à chaque comité afin de couvrir les frais courants (location de salles de réunions, courrier, photocopies…). Seuls les participants dont la présence nécessite un déplacement reçoivent une indemnité journalière, en plus du remboursement de voyage. L'autre exception concerne les membres dont la participation est indispensable au bon équilibre de représentation du groupe, mais dont la présence ne peut être assurée sans la garantie d'une compensation.

Il revient au comité lui-même de désigner son président. Les statuts et la mission de chaque comité sont précisés en concertation avec l'administration de l'Etat concerné et les bureaux régionaux de l'EPA et du DOE. Le Comité doit autant que possible réunir un large éventail de représentants de la population locale, ainsi que des membres des associations et administrations locales. Les participants au comité doivent pouvoir bénéficier d'une formation par l'intermédiaire de documentation, d'ateliers ou de sessions, par exemple dans le cadre des programmes développés à cet effet par le DOE, l'EPA ou les Etats concernés. Le DOE doit pouvoir financer les expertises indépendantes demandées par un comité consultatif.

Dans les principes qu'il met en avant pour un bon fonctionnement de ces comités consultatifs, le DOE insiste sur la nécessité de ne pas précipiter la constitution du groupe pour s'assurer qu'il donne une bonne représentation de la population locale, et il conseille d'aborder de front les préoccupations de la population locale. Il peut apparaître souhaitable que le comité sollicite les services d'un président ou

7 Une partie des documents consultés pour les besoins de cette présentation, notamment la politique du DOE en matière de participation du public, sont accessibles sur le site Internet du Secrétariat à l'Energie : http://www. www.doe.gov

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d'un animateur-facilitateur indépendant. La participation d'employés du DOE directement responsables pour le site concerné est également considérée comme un élément déterminant pour assurer les membres du comité qu'ils sont effectivement entendus. Dans cette perspective il est important que le DOE informe le comité de la suite donnée à ses avis ou recommandations.

Le Secrétariat à l'Energie attend de ces comités consultatifs qu'ils définissent clairement leurs tâches afin de l'aider à améliorer la gestion de ses sites de manière efficace. De l'avis du DOE, les actions de concertation menées sur les sites ne sauraient cependant se limiter aux réunions de ces comités et d'autres initiatives de participation doivent prendre place, avec d'autres membres de la population locale, ou sous d'autres formes.

Les comités consultatifs sur les sites contaminés Les populations riveraines des sites contaminés du DOE ont fait plus particulièrement état de préoccupations concernant les conséquences sur leur santé des activités passées des sites, et de la contamination persistante de l'environnement. Afin de répondre à ces interrogations, le Secrétariat à l'Energie a signé deux accords (Memorandum of Understanding) l'un avec les Etats concernés, l'autre avec le Center for Disease Control and Prevention (CDC) leur confiant, sur des sites différents, la réalisation d'études sur la santé des riverains et la santé des anciens employés des ateliers de production d'armes nucléaires8.

Les études conduites par les Etats

Les études conduites par les Etats ont été définies en fonction des préoccupations de la population locale et de l'indicateur qui semblait le plus approprié pour identifier de possibles effets sanitaires : étude d'un éventuel "cluster" de cancers du cerveau, mise en place d'un registre de cancers et de malformations congénitales, étude sanitaire sur les anciens employés du site ou encore reconstruction des doses reçues par exposition environnementale. Le DOE a intégré dans chacun de ces processus un Comité Consultatif pour suivre et valider les études. Chacun de ces comités regroupe des riverains, des employés du site, des associations environnementales, des scientifiques locaux, des représentants des municipalités et des professionnels de la santé. Ils se réunissent généralement 3 à 4 fois par an pendant 2 ou 3 jours. Les réunions sont ouvertes au public et à la presse, lesquels ont la possibilité de poser des questions. En outre, des réunions d'information sont régulièrement tenues pour informer la communauté locale dans son ensemble des progrès de l'étude. L'implication des comités dans l'étude peut être intense. Sur un des sites, devant le faible niveau de confiance suscitée par les mesures officielles, les membres du comité consultatif ont souhaité contribuer à la collecte des données. A leur initiative un "groupe citoyen de mesures" (Citizen's Environmental Sampling Committee), composé de représentants de la population, s'est créé. Ce groupe a choisi les radionucléides à identifier, les lieux de prélèvements, et le laboratoire d'analyses. Avec l'appui du Comité, il a également évalué les résultats et produit son propre rapport. Cette démarche a permis de compléter et de crédibiliser les données rassemblées par les experts institutionnels.

Le programme d'études mené par le CDC

Le programme d'études mené par le CDC s'est limité à la reconstruction historique des expositions et doses reçues par les employés et la population. Des comités consultatifs semblables à ceux décrits ci-dessus ont été constitués sur chaque site. Leur contribution s'avère souvent déterminante pour guider et valider le processus d'étude, et assurer sa crébilité auprès de la population. Le CDC déclare attacher une grande importance aux avis de ces comités dans la mesure où ils sont le résultat de longues discussions, parfois de compromis entre les divers représentants de la communauté locale sur des aspects délicats de l'étude. Le travail des comités peut contribuer à poser des questions essentielles 8 Stockwell H. G., Smith J. M., Involving Communities in Environmental Health Studies, in AEN, The Societal Aspects of Decision-Making in Complex Radiological Situations, Workshop Proceedings, Villigen, Switzerland, January 1998

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pour l'enquête ou à identifier des domaines de risques, exclus de son champ initial. La connaissance du site que possède la population locale peut également être d'une grande aide pour mieux appréhender et comprendre les données de terrain, et construire des hypothèses plus réalistes dans le travail de reconstruction des expositions. Cela vaut également pour la prise en compte des modes de vie dans l'analyse. Des tribus indiennes présentes autour de certains sites ont ainsi apporté des informations importantes sur leur régime alimentaire, actuel et passé, qui ont été intégrées dans l'analyse de leurs expositions. L'implication des membres du comité dans le suivi ou la conduite des études scientifiques du CDC peut, dans certaines circonstances, nécessiter qu'ils acquièrent des compétences particulières dans tel ou tel domaine, par exemple en épidémiologie. Les intervenants du DOE et du CDC peuvent expliquer leur démarche scientifique et fournir des éclaircissements en marge des réunions de comité. Les participants peuvent également bénéficier de sessions de formation spéciales, ou de programmes universitaires.

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B - II.4 Un exemple de procédure d'enquête publique américaine : Le Bureau d'Audiences Publiques en Environnement (Québec)9

Le Québec est la première province canadienne à avoir introduit une référence à des droits environnementaux par l'adoption en 1978 d'une nouvelle loi de la qualité de l'Environnement, stipulant dans son article 19.1 : "Toute personne a droit à la qualité de l'environnement, à sa protection et à la sauvegarde des espèces vivantes qui y habitent, dans la mesure prévue par la présente loi, les règlements, les ordonnances, les approbations et les autorisations délivrées en vertu de l'un ou l'autre des articles de la présente loi".

Dans le cadre de cette loi, un Bureau d'Audiences Publiques en Environnement (BAPE) a été créé auprès du Ministère de l'Environnement afin d'organiser et animer les processus d'enquête publique pour des projets ayant un impact environnemental, rapporter au Ministre les opinions et préoccupations des personnes et municipalités concernées et éclairer ainsi la prise de décision du Gouvernement.

En amont de la mission du BAPE et de l'enquête publique proprement dite, l'industriel réalise une étude d'impact de son projet. Le canevas et l'étendue de cette étude sont précisés à chaque fois par le Ministère de l'environnement en fonction de la nature du projet. L'étude d'impact comprend généralement une présentation du site et de son environnement, une description des impacts et des diverses solutions envisageables pour les maîtriser, avec leurs avantages et inconvénients de sorte à motiver la solution retenue.

Dans une première phase la mission du BAPE consiste à rendre publique l'étude d'impact du projet par l'ouverture au niveau local de centres de consultation pendant une période de 45 jours, et par l'organisation d'une session, destinée à informer les parties intéressées du processus d'évaluation environnementale et du rôle que le BAPE est amené à y jouer. Dans ce cadre, les citoyens ou organisations ont l'occasion de demander une audience publique s'ils considèrent que le projet présenté nécessite un débat public. Il appartient au Ministère de l'Environnement de décider de la suite à donner à cette requête. A moins que cette demande ne soit pas fondée, le Ministère a le choix d'organiser soit une enquête suivie d'une audience, soit une enquête suivie d'une médiation, procédure plus légère et efficace. Pour les besoins de ces procédures, le BAPE doit constituer une Commission d'évaluation environnementale. Il est à noter que les membres de cette Commission sont assermentés et appliquent un code de déontologie qui stipule notamment que chaque commissaire doit éviter tout conflit d'intérêt. Par ailleurs les membres de la Commission jouissent d'une immunité. Ils ont un statut d'enquêteur et à ce titre bénéficient de pouvoirs presque judiciaires, leur permettant par exemple d'exiger l'accessibilité de documents pour le public.

La procédure d'enquête et d'audience La procédure d'enquête et d'audience consiste dans un premier temps à informer la population et la commission sur le projet et, dans un deuxième temps, à recueillir l'expression des opinions de la population. Cette information a lieu de manière directe dans un échange entre les personnes qui ont requis la tenue de l'audience, les membres de la commission et le porteur du projet de manière à ce que les éléments du débat soient présentés et que des réponses soient données. Les participants ont alors 21 jours pour préparer leur avis sous forme d'un mémoire ou d'un exposé oral. Pour ce faire, l'étude d'impact, les autres documents déposés et les transcriptions des séances d'information tenues jusque-là, sont à leur disposition dans les centres de consultation.

9 Renaud, P., L'expérience québécoise de participation publique en matière environnementale, Ecodécision, automne 1994. Les rapports des audiences et médiations du BAPE peuvent être consultées sur le site Internet du Bureau d'Audiences Publiques du Québec : http://www.bape.gouv.qc.ca

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Dans la deuxième partie de l'audience, la Commission recueille l'opinion des parties concernées. Les séances sont ouvertes à quiconque souhaite déposer un mémoire ou faire connaître oralement son avis. La commission a la possibilité de poser des questions aux intervenants et aux dépositaires de mémoire sur leur exposé. Les membres de la Commission ont également pour souci, à chaque séance, de donner un droit de réponse aux participants sur les aspects du projet qui ont pu être évoqués lors des réunions précédentes. Cette procédure d'audience publique suscite un réel intérêt de la population qui y participe activement et contribue fortement à la discussion du projet. Pour la Commission, les séances sont l'occasion de comprendre les enjeux concrets de chaque projet et les valeurs que les collectivités locales y attachent. Cette procédure autorise une analyse globale des éléments du projet. A l'issue des audiences, la Commission remet son rapport au Ministère de l'Environnement qui décide sur la base de ses recommandations l'autorisation avec ou sans modification, ou le rejet. Ce rapport décrit le projet et relate de manière fidèle les opinions exprimées (que celles-ci portent sur l'impact du projet, son coût, ou son inscription dans l'économie locale). A titre d'exemple, dans le rapport n°137 du BAPE sur "l'établissement d'un lieu d'enfouissement sanitaire à Amos" (déchets ménagers), la Commission, après avoir entendu les parties concernées et étudié les différents éléments du lieu d'enfouissement proposé par la ville d'Amos, a noté qu'il suscitait des craintes de pollution et aurait des impacts visuels et sonores certains, nuisibles au développement touristique mis en avant par la commune. Par ailleurs elle a considéré que le projet était mal dimensionné par rapport aux besoins de la ville. En conséquence, elle a émis un avis défavorable et a proposé un scénario argumenté, suggérant l'élaboration d'une solution régionale d'élimination des déchets ménagers.

La procédure d'enquête et de médiation S'il opte pour une procédure d'enquête et de médiation, le Ministère de l'Environnement nomme un commissaire chargé de jouer le rôle de médiateur, c'est-à-dire de rechercher et identifier avec les parties concernées les points de consensus et de désaccord afin d'élaborer des solutions possibles. Dans la phase d'information, le commissaire a pour mission d'identifier les parties prenantes et de leur donner les éléments nécessaires sur la démarche de médiation, avec le souci d'établir une relation de confiance avec chacune des parties. La médiation proprement dite ne peut avoir lieu que si les parties consentent explicitement à s'engager dans cette procédure et se mettent d'accord sur un ensemble de questions à discuter. Le commissaire peut alors réunir les participants pour la recherche de solutions. Le médiateur lui-même se limite à accompagner le processus, mais il a néanmoins pour objectif de faciliter l'émergence d'options dans le dialogue entre parties, notamment en clarifiant le propos des intervenants. Si l'entente s'avère impossible, le Commissaire met fin à la procédure mais poursuit son enquête pour produire un rapport au Ministère qui permette d'expliquer l'échec de cette démarche.

Cette procédure de médiation a été récemment utilisée pour l'optimisation de la production d'une centrale hydroélectrique. Suite à la période d'information et de consultation publique, deux organisations ont demandé une procédure d'audience publique. Le Ministère a proposé une médiation. Les parties (Hydro Québec, les organisations requérantes et les autres parties prenantes identifiées) se sont engagées à discuter de différentes questions. Propositions et contre-propositions sur ces thèmes ont été échangées au cours d'une dizaine de séances de travail sur une période d'un mois. A l'issue de ces discussions le promoteur a pris des engagements sur chaque question, lesquels ont été consignés dans un document signé par toutes les parties. En conséquence, les deux organisations qui avaient à l'origine souhaité la tenue d'une procédure plus lourde d'audience publique ont retiré leur demande auprès du Ministère. Outre les engagements d'Hydro Québec, le rapport fait état de recommandations à l'intention du Ministère de l'Environnement pour faciliter la mise en œuvre d'une gestion concertée du bassin versant au barrage.

Selon un commissaire, la procédure du BAPE "permet aux citoyens, groupes ou municipalités concernés par un projet d'avoir accès à l'information technique, d'exprimer leurs opinions et leurs préoccupations sur ce projet et de mettre en lumière les valeurs collectives ou individuelles qui doivent être considérées dans la prise de décision. La consultation publique permet aussi de vérifier qu'il n'y a pas de conséquences imprévues pour un projet. Enfin, elle favorise la réalisation de projets optimisés sur le plan économique et environnemental, dans le respect des individus concernés ainsi que des valeurs locales et régionales."

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B - II.5 Les démarches de concertation non gouvernementales

Les entreprises de concertation du DOE présentées plus haut sont significatives des démarches que peuvent développer des opérateurs. Toutefois, de par son statut public et son domaine de compétences, le DOE reste un opérateur particulier et dispose d'un cadre d'intervention et de ressources spécifiques. S'il doit répondre aux exigences fédérales en matière de justice environnementale et de participation du public, il a en contrepartie d'importants moyens pour y répondre, qu'il s'agisse de programmes de formation, ou de structures d'animation de la concertation.

Les entreprises publiques ou privées, intervenant dans un contexte de concurrence, sont également soumises à des contraintes réglementaires. Des procédures de concertation ou de médiation peuvent leur être imposées (voir notamment le chapitre précédent). Dans le cadre des procédures du BAPE québécois, l'autorisation de projets est conditionnée à ce qu'un accord soit trouvé entre l'exploitant et les parties concernées sur les questions qui ont été reconnues comme légitimes. Ces obligations sont une garantie pour l'entreprise que les projets retenus, éventuellement modifiés ou complétés, sont économiquement viables et acceptables sur le plan environnemental. Cela conduit d'ailleurs l'industriel à anticiper les démarches de concertation avant les procédures réglementaires et à construire un dialogue avec les acteurs concernés dès les premières étapes du projet. C'est par exemple la démarche adoptée par Hydro Québec pour l'implantation de nouveaux sites hydroélectriques10.

Pour de nombreuses entreprises, la concertation en amont ou en marge des procédures formelles répond à des préoccupations qui leur sont propres et ne se réduit pas à un souci de respect de la norme, ou de respect des procédures de consultation. L'homologue de Hydro Québec en Colombie Britannique, BC Hydro, fournit un exemple marquant à cet égard11. A l'occasion d'un renouvellement d'autorisation pour un barrage hydroélectrique, l'agence de réglementation de l'eau a exigé que BC Hydro consulte les parties concernées. L'entreprise a souhaité aller au delà de cette requête, et a entrepris de mettre à plat les préoccupations en matière de pêche et de crues, qui faisaient l'objet de polémiques depuis de nombreuses années sur la rivière Alouette, baignant le site. Dans cette perspective BC Hydro a confié à une équipe de consultants-médiateurs le soin d'animer une concertation dont les objectifs restaient volontairement ouverts. Un groupe, réunissant l'ensemble des parties concernées, a été constitué. Il lui a été proposé de définir lui-même les objectifs de son travail. Après avoir recensé les enjeux liés aux usages de la rivière, le groupe a décidé de faire une proposition de plan d'exploitation de la rivière qui satisfasse le mieux les besoins et préoccupations des différents acteurs, à partir d'une étude des alternatives. Ce travail a requis des participants qu'ils s'investissent dans la compréhension du système hydrologique lié à la production électrique et à la maîtrise des crues. Une étude a été également menée pour préciser les connaissances sur les flux de poissons dans la rivière. La proposition consensuelle du groupe de travail a été reprise par BC Hydro et l'autorité de régulation pour modifier leurs plans de gestion des ressources hydrauliques de la rivière.

10 Milewski J, The Sainte Marguerite 3 Hydroelectric Project, in EDF, E7 Seminar on Public Confidence and Social Trust, Bordeaux, 13th & 14th February 1998, non publié; Corfa G., Milewski J., Sainte Marguerite 3 Hydroelectric Development, Hydro Québec. 11 Mac Daniels T.L., et al., Democratizing Risk Management : Successful Public Involvement in Local Water Management Decisions, in Risk Analysis, Vol. 19, No 3, 1999

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B - II.6 Les bilans institutionnels et les recommandations

Au cours des années 1990, les experts et les institutions américaines ont identifié, par retour d'expérience, les principaux enjeux de la participation de la population au contrôle des installations industrielles et ont affiné leurs approches en la matière.

Le bilan réalisé par la Commission du Président et du Congrès des Etats-Unis sur l'évaluation et la gestion des risques (1997)12 De 1994 à 1997, une Commission nommée par le Président et le Congrès des Etats-Unis a passé en revue les actions d'évaluation et de gestion des risques mises en œuvre aux Etats-Unis dans le domaine de la santé liée à l'environnement. Ce travail l'a amené à évaluer les actions de concertation et à proposer une synthèse de recommandations :

- "les administrations et organisations qui envisagent de recourir à la concertation devraient déterminer dans quelle mesure elles sont désireuses ou capables de mener celle-ci avant de s'y engager. Elles devraient mesurer dans quelle mesure les "porteurs d'enjeux" pourront contribuer à la prise de décision. Si une décision n'est pas négociable, il est inutile de faire perdre leur temps (sic) aux "porteurs d'enjeux".

- les objectifs de la concertation devraient être clairs dès que celle-ci est initiée et les "porteurs d'enjeux" devraient être impliqués de façon précoce dans le processus de décision. Limiter les dépenses ne doit pas être le seul critère de succès d'un projet. Il ne faut pas attendre d'une concertation qu'elle mette fin aux controverses;

- la concertation devrait intégrer toutes les parties concernées et solliciter une diversité de perspectives. Il peut être utile d'encourager la participation des "porteurs d'enjeux" par un soutien matériel (déplacements, financement de contre-expertises…)

- les "porteurs d'enjeux" doivent être prêts à négocier, à écouter d'autres points de vue et apprendre d'eux. Dans certaines circonstances, les "porteurs d'enjeux" peuvent participer à la décision, en bénéficiant d'un soutien technique;

- la contribution des "porteurs d'enjeux" à la décision devrait être reconnue, et la façon dont leurs remarques et recommandations ont été prises en compte devrait être expliquée; leur non-prise en compte devrait également être motivée;

- la concertation devrait être intégrée aux missions des administrations en s'appuyant sur les principes suivants :

· créer un bureau chargé de soutenir les actions de concertation

· solliciter l'avis d'experts sur les processus de concertation

· former les gestionnaires du risque pour les impliquer dans la concertation

· échanger les expériences avec les autres administrations, et développer des partenariats avec les communautés locales

· la concertation est un processus d'apprentissage

- La nature, l'étendue et le degré de complexité du dispositif de concertation doivent être à la mesure de la portée de la décision, de son urgence et de son potentiel de controverse."

12 The US Presidential/Congressional Commission on risk assessement and risk management, Final Report, 1997

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Le bilan réalisé par le Common Sense Initiative Council (Agence de Protection de l'Environnement - 1998)13 En 1998, le Common Sense Initiative Council de l'Agence de Protection de l'Environnement des Etats-Unis (USEPA) a réuni un groupe de travail pour évaluer les actions d'implication de la population dans ses programmes. Le groupe "Stakeholder Involvement" a constaté que les "porteurs d'enjeux" impliqués dans des actions de l'EPA ressentaient d'une façon générale une certaine lassitude, étant sollicités de toutes parts, et ne pouvaient suivre tous les projets. Par ailleurs ces "porteurs d'enjeux" ont regretté qu'un nombre important de programmes de participation soient organisés sur le seul principe que la concertation serait une bonne chose en soi, sans que soit clairement définie la façon dont celle-ci doit s'articuler avec le processus de décision. Enfin ils ont considéré que les méthodes et modalités de mise en œuvre de la concertation ne prenaient pas suffisamment en compte le contexte et les objectifs propres au projet dans lequel elles s'inscrivent.

Les recommandations du groupe de travail ont tenté d'apporter des réponses à ces difficultés et ont mis en avant la nécessité de mieux intégrer la participation des "porteurs d'enjeux" ("stakeholders"). Cette intégration se décline en trois points :

- articuler de façon explicite la participation des porteurs d'enjeux au processus de décision; la participation n'est pas un but en soi; ceci implique que soient clairement définis :

· les objectifs et le cadre du processus de concertation,

· le moment où la concertation intervient dans le processus de décision,

· les modalités selon lesquelles les commentaires et recommandations des "porteurs d'enjeux" seront pris en considération dans la décision;

- déterminer le type de participation souhaitable en fonction du contexte (quel mode de concertation mettre en œuvre? Quels "porteurs d'enjeux" convient-il de solliciter?) et garantir que cette participation sera profitable tant à l'agence qu'aux porteurs d'enjeux eux-mêmes;

- mettre en réseau les programmes de participation au sein de l'Agence pour favoriser les échanges de retours d'expérience

En d'autres termes, selon le CSI Council il importe que la participation des "porteurs d'enjeux" soit organisée en fonction d'un contexte et d'objectifs précis, selon un canevas pré-déterminé où sont prévues les modalités de concertation et les principales étapes qui jalonnent le processus, jusqu'à l'articulation à la décision. Un des points de discussion au sein du groupe du CSI council "Stakeholder Involvement" a porté sur l'implication des "porteurs d'enjeux" en amont du processus de concertation, dans l'organisation du processus de décision : la contribution des "porteurs d'enjeux" à cette étape préliminaire a été jugée a priori positive, mais elle renvoie à nouveau à leurs limites de disponibilité et de moyens.

13 Report of the EPA Common Sense Initiative Council's Stakeholder Involvement Work Group, June 1998

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B - III. L'EXPERIENCE EUROPEENNE : DE L'INFORMATION A LA PARTICIPATION

Le suivi des installations industrielles en Europe reste profondément marqué par les différences d'approches des pays qui composent l'Union. Le cadre communautaire en matière de respect de l'environnement repose notamment sur l'étude d'impact environnemental (EIA) et la directive SEVESO. Les textes les plus récents prônent une ouverture à la participation des citoyens concernés mais laissent à chaque pays membre le soin d'organiser la concertation locale dans son étendue et sa forme. Par ailleurs, plusieurs initiatives ont lieu au niveau européen pour favoriser l'implication des "porteurs d'enjeux" au niveau local dans le domaine de l'environnement. Elles semblent avoir ceci de commun de s'inscrire dans les réflexions sur le développement durable et de s'organiser sur le principe d'une mise en réseau d'expériences, et d'études de cas, locales, en s'appuyant notamment sur la capacité d'action des communes.

B - III.1 Le cadre réglementaire européen : environnement, information et consultation

L'information et la participation du public en matière d'environnement et d'installations industrielles s'inscrivent dans deux champs de réglementation : la création et le suivi des sites industriels; la maîtrise des dangers liés aux accidents. Dans un cas comme dans l'autre, la tendance des textes communautaires a été de rendre possible l'information passive, puis active du public, sur les risques pour l'environnement liés aux installations industrielles. Progressivement, la démarche d'information s'est également étendue à la participation. Malgré les fortes disparités entre Etats membres que permet parfois une réglementation européenne basée sur le principe de subsidiarité, cette évolution vers la participation se confirme de plus en plus, notamment dans les projets de directive qui émergent actuellement et les conventions internationales signées par l'Union Européenne (Rio, Aarhus).

La Directive Seveso La Directive "SEVESO" sur les risques d’accidents majeurs de certaines activités industrielles (Directive du Conseil du 24 juin 1982, Journal Officiel des Communautés Européennes L230, 5 août 1982), spécifie que les personnes susceptibles d’être affectées par un accident majeur doivent être informées sur les mesures de sécurité et sur le comportement à adopter en cas d’accident.

La demande d’information du public vise les questions d'urgence propres aux accidents majeurs. Elle a d'abord été élargie dans une modification de la Directive (88/610/CEE, Journal Officiel des Communautés européennes L336, 7 décembre 1988), à l'article 8 :

"Les Etats Membres veillent à ce que l'information sur les mesures de sécurité et sur le comportement correct à adopter en cas d'accident soient fournies, d'une manière appropriée, et sans qu'elles n'aient à en faire la demande, aux personnes susceptibles d'être affectées par un accident majeur provenant d'une activité industrielle notifiée au sens de l'article 5. Ces informations sont réitérées et mises à jour à intervalles appropriés. Elles sont également mises à la disposition du public."

Cette démarche d'information semble de prime abord présenter un cadre peu favorable à la concertation sur le suivi des installations industrielles. Néanmoins comme le soulignent B. De Marchi et S. Funtowicz dans les "grandes lignes directrices à propos du contenu de l'information au public (Directive 82/501/CEE - Annexe VII)"14, rédigées à la demande de la Commission Européenne, la démarche d'information sur les mesures de sécurité et les comportements à adopter nécessiterait au préalable une concertation avec le public concerné sur le contexte, les objets et objectifs de cette information. En effet, "il est risqué de supposer que la plupart des gens déduiraient à la lecture des 14 De Marchi B., Funtowicz S., Grandes lignes directrices à propos du contenu de l'information au public - Directive 82/501/CEE - Annexe VII

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instructions qu’ils devraient (par exemple) acheter immédiatement du ruban adhésif et le conserver à une place convenable. Les dangers résultant de ce manque de préparation ne sont pas seulement ceux d’exposer inutilement des personnes lors d’un accident. Il s’y ajoute en outre la possibilité d’une grande inquiétude, et en conséquence d’un comportement social inadapté, lorsque les gens découvrent, au début du cas d’urgence, qu’ils ne sont pas équipés pour accomplir les actions nécessaires à leur sécurité."

Les recommandations contenues dans ces "grandes lignes directrices à propos du contenu de l'information au public (Directive 82/501/CEE - Annexe VII)" n'ont pas de valeur réglementaire et leur utilisation reste à la discrétion des Etats-membres. Néanmoins il est intéressant de noter la recommandation proposée par B. De Marchi et S. Funtowicz d'organiser une concertation avec les parties intéressées afin de déterminer les informations pertinentes à communiquer en fonction du contexte.

"Il peut exister un certain nombre de personnes ou de groupes avec un intérêt légitime en matière d’information à cause de leur rôle institutionnel, de leur activité professionnelle ou parce qu’ils vivent dans la région affectée ou qu’ils appartiennent à un groupe d’intérêt spécial. Chacune de ces “parties intéressées”, sur la base de leurs connaissances particulières, peut démarrer le processus de communication en suggérant une certaine interprétation des dispositions de l’Annexe VII. Une telle interprétation des besoins d’informations techniques n’est pas à voir comme un “fait” scientifique à prouver, mais toutefois pour être prise au sérieux elle devrait se rapporter véritablement à la situation de risque. Cela peut être la cause de différend ou même de conflit, si d’autres parties intéressées offrent d’autres explications. Ces discussions font partie du processus régulateur, et la façon de communiquer le contenu de l’information sera déterminée suivant la manière dont elles seront résolues."

Ils donnent en exemple une situation où les parties concernées présentent des critères différents pour déterminer la zone d'information au public. Selon eux, il conviendrait que les parties explicitent les critères qu'elles mettent en avant et aboutissent à un consensus au travers d'un processus de dialogue.

En 1996 la nouvelle Directive 96/82/CE du Conseil du 9 décembre 1996 concernant la maîtrise des dangers liés aux accidents majeurs impliquant des substances dangereuses remplace les Directives de 1982 et 1988, élargit encore l'information du public et ouvre une première opportunité de participation. L'article 13 sur l'information du public comprend deux principales nouveautés. Le rapport de sécurité de l'entreprise doit être mis à la disposition du public. Ce rapport doit contenir, au moins : une description du site et de son environnement, une identification et une description des installations et activités au sein de l'établissement qui peuvent présenter un danger d'accident majeur, une description des procédés et des substances dangereuses, une description des zones susceptibles d'être affectées par un accident majeur, une analyse des risques d'accident (description détaillée des scénarios d'accidents majeurs possibles), des moyens de prévention et des mesures de protection et d'intervention. D'autre part le public doit pouvoir donner son avis pour des projets de nouveaux établissements SEVESO, des modifications des établissements existants et des aménagements autour des établissements existants.

L'information du public spécifique au domaine nucléaire Dans le domaine nucléaire, l'équivalent de la Directive SEVESO sur l'information du public date du 27 novembre 1989. La Directive 89/618 Euratom concernant l'information de la population sur les mesures de protection sanitaire applicables et sur le comportement à adopter en cas d'urgence radiologique prévoit deux types d'action :

- une information préalable donnée en situation normale à la population susceptible d'être affectée (article 5)

- une information donnée en cas d'urgence radiologique à la population effectivement affectée (article 6)

L'information doit être fournie aux populations sans que celles-ci en fassent la demande. La Communication de la Commission (91/C 103/03) au sujet de la mise en œuvre de cette directive prévoit de faire participer à la diffusion de cette information "les personnes qui peuvent jouer un rôle

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privilégié (…) comme par exemple le personnel des installations, la classe politique locale et les journalistes, ainsi que les personnes directement responsables de l'exécution du plan d'intervention." (II.A.1) La Commission suggère aussi la "création de commissions locales comportant des représentants des autorités locales, des autorités nationales compétentes et des organisations concernées" afin de mettre à la "disposition de la population locale des informations suffisantes et détaillées." (II.A.2) Elle définit les parties concernées comme les autorités nationales, régionales et locales, et les exploitants (I.5), ce qui peut sembler exclure la population et les associations. L'information telle que la prévoit la Directive repose de fait sur la compétence exclusive des experts et des autorités publiques, nationales et locales. Elle vise avant tout à "rassurer le public quant à l'existence de plans d'intervention.(…) Pour que la population prenne au sérieux le message transmis sans exagérer l'importance du risque, l'information devrait être crédible et permettre à la population de constater que les plans d'intervention établis seraient opérationnels en cas de réelle situation d'urgence." (II.B.1)

L'étude d'impact environnemental L'étude d'impact environnemental telle que la définit la directive 97/11/CE du Conseil du 3 mars 1997 (modifiant la directive 85/337/CEE) prévoit que les informations concernant les incidences d'un projet sur l'environnement soient "mises à la disposition du public dans un délai raisonnable afin de donner au public concerné la possibilité d'exprimer son avis avant que l'autorisation ne soit délivrée". Il est précisé que "le résultat des consultations et les informations recueillies doivent être pris en considération, dans la procédure d'autorisation." Ce texte concerne à la fois les installations industrielles "classiques" et les installations nucléaires.

La façon dont les parties concernées sont impliquées varie grandement d'un pays membre à l'autre15. En France, la procédure d'enquête publique permet à tout citoyen de s'exprimer sur un projet mais le dialogue reste limité à la possibilité de formuler des commentaires et des interrogations sur le dossier présenté par l'exploitant. Ce dossier public ne reprend d'ailleurs que partiellement l'étude d'impact produite à l'intention des administrations (QUID pour l’étude faite ds le cadre de la DAC d’une INB ?). En Suède, le récent code de l'environnement de 1999 prévoit que l'opérateur d'un projet susceptible d'avoir un impact sur l'environnement consulte les autorités gouvernementales, les municipalités et associations et plus largement la population, en amont de l'étude, sur son cahier des charges.

La proposition de Directive du Conseil de l'Union Européenne relative à l'évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l'environnement (COM 96(511) et COM 99(73)), présentée par la Commission Européenne pourrait introduire des exigences supplémentaires. Tout en rappelant le principe de subsidiarité et en laissant aux Etats membres le soin de préciser la réglementation au niveau national, ce projet de directive prévoit d'inclure dans l'évaluation environnementale "toute solution de remplacement, permettant d'atteindre les objectifs du plan ou du programme, qui a été envisagée lors de sa préparation (comme les types de développement ou les lieux d'implantation alternatifs) et les raisons pour lesquelles ces solutions de remplacement n'ont pas été adoptées". Par ailleurs, ce texte obligerait à mettre à la disposition du public le détail du projet et de la déclaration relative à l'environnement.

La notion d'impact environnemental reste par certains aspects relativement floue. Elle pose plusieurs questions qui ont été notamment discutées dans la conférence VALDOR sur la transparence dans la gestion des risques16, organisée par les autorités de sûreté et de radioprotection suédoises avec la Commission Européenne, dans le cadre du projet RISCOM. Les études d'impact environnemental

15 Pour un exemple de cette variété, voir le rapport à la Commission Européenne réalisé par NIREX, The University of Wales, Enresa, l'ONDRAF et SKB : European Commission, Nuclear Safety and the Environment : Environmental Impact Assesssments and Geological Repositories for Radioactive Waste, EUR 19152/2, 1999 16 VALDOR (Values in Decisions on Risk, a symposium in the RISCOM Programme Addressing Transparency in Risk Assessment and Decision Making), Stockholm, Sweden, June 1999

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visent essentiellement à estimer les risques associés à un projet industriel sous la forme de données chiffrées de sorte à renseigner les parties impliquées dans le processus de décision. En pratique cet exercice soulève une interrogation : le risque est-il réductible à un chiffre? Cette question apparaît avec d'autant plus de force que l'évaluation ne porte pas strictement sur des aspects techniques mais touche également aux impacts sociaux et économiques d'un projet, voire à ses conséquences sanitaires. Or ces aspects du risque recouvrent une dimension éthique et supposent un choix qui ne peut se déterminer uniquement sur un chiffre. Certaines études d'impact environnemental intègrent ces facettes non-techniques du risque et comme pour les "objets" techniques, en font une analyse quantitative, par exemple sous forme de sondages. D'autres essayent de mieux prendre en compte la spécificité des questions sociales et utilisent des méthodes s'inspirant des techniques de marketing (focus group, forums, tables rondes…). L'évaluation de l'impact socio-économique peut également prendre la forme d'une participation directe des parties concernées. Cela peut aboutir à cloisonner l'évaluation d'un projet : d'un côté, les aspects techniques du risque sont analysés suivant les méthodologies classiques d'évaluation; de l'autre, les aspects sociaux sont débattus avec les "porteurs d'enjeux" et les résultats des discussions sont pris en compte dans la décision. La question se pose de savoir si le processus de participation doit néanmoins se limiter aux questions non-techniques? Les données techniques et sociales d'un projet peuvent apparaître fortement liées et nécessiter une évaluation et une discussion en parallèle. En tout état de cause, un consensus semble émerger sur le fait que quelle que soit sa forme, l'étude d'impact technique ne doit pas être ignorée dans la décision concernant un projet comme elle ne doit pas être le seul critère de décision. Par ailleurs le débat public sur les impacts environnementaux et sociaux d'un projet est de nature à répondre aux préoccupations des citoyens et à favoriser l'acceptabilité sociale de l'installation.

Information et participation : l'évolution actuelle de la réglementation européenne La question de l'information du public en matière d'environnement et de sa participation au processus décisionnel a été mise à l'ordre du jour de la 3ème conférence "Un environnement pour l'Europe" réunissant à Sofia en 1995 les ministres de l'Environnement de la plupart des pays européens de la Communauté Européenne et des Pays d'Europe Centrale et Orientale, en coopération avec la Commission Economique de l'ONU pour la région Europe. Les participants ont confié à un groupe de travail la rédaction d'un projet de convention sur "l'accès à l'information, la participation du public et l'accès à la justice dans le domaine de l'environnement". Cette convention a été présentée à la 4ème conférence à Aarhus au Danemark en 1998, et a été signée par la Communauté Européenne (voir les extraits les plus importants de la Convention page 28). La Commission Européenne s'est engagée à revoir sa réglementation afin de pouvoir ratifier la convention d'Aarhus. Une proposition de directive a été rendue publique le 29 juin 2000 sur l'accès du public à l'information en matière d'environnement. Cette directive serait destinée à remplacer celle du 7 juin 1990 (directive 90/313/CEE) qui ne prévoit qu'une information passive des citoyens (les autorités publiques doivent fournir l'information sur l'environnement dont elles disposent quand il leur en est fait la demande). Le projet de nouvelle directive requiert que les autorités publiques mettent activement à la disposition du public les données sur l'environnement en leur possession, notamment par la rédaction de rapports, et grâce à l'usage des nouvelles technologies. La deuxième partie de la Convention sur la participation au processus décisionnel, plus ambitieuse, n'a pas encore fait l'objet de nouvelle réglementation européenne.

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Extraits de la convention Communauté Européenne-ONU d'Aarhus (25 Juin 1998)17 Convention préparée par le Comité de Politique Environnementale de la Commission Economique pour l'Europe de l'ONU.

Article 3 – Dispositions générales

2. Chaque partie18 tâche de faire en sorte que les fonctionnaires et les autorités aident le public et lui donnent des conseils pour lui permettre d'avoir accès à l'information, de participer plus facilement au processus décisionnel et saisir la justice en matière d'environnement.

3. Chaque partie favorise l'éducation écologique du public et sensibilise celui-ci aux problèmes environnementaux afin notamment qu'il sache comment procéder pour avoir accès à l'information, participer au processus décisionnel et saisir la justice en matière d'environnement.

4. Chaque partie accorde la reconnaissance et l'appui voulus aux associations et organisations ou groupes qui ont pour objectif la protection de l'environnement et fait en sorte que son système juridique national soit compatible avec cette obligation.

9. Dans les limites du champ d'application des dispositions pertinentes de la présente convention, le public a accès à l'information, il a la possibilité de participer au processus décisionnel et a accès à la justice en matière d'environnement, sans discrimination fondée sur la citoyenneté, la nationalité ou le domicile et, dans le cas d'une personne morale, sans discrimination concernant le lieu où elle a son siège officiel ou un véritable centre d'activités."

Article 6 - Participation du public aux décisions relatives à des activités particulières

2. Lorsqu'un processus décisionnel touchant l'environnement est engagé, le public concerné est informé comme il convient, de manière efficace et en temps voulu, par un avis au public ou individuellement selon le cas, au début du processus. Les informations concernent notamment :

- L'activité proposée, y compris la demande correspondante au sujet de laquelle une décision sera prise;

- La nature des décisions ou du projet de décision qui pourraient être adoptés;

- L'autorité publique chargée de prendre la décision;

- La procédure envisagée, y compris, dans les cas où ces informations peuvent être fournies : la date à laquelle elle débutera; les possibilités qui s'offrent au public d'y participer; la date et le lieu de toute audition publique envisagée; l'autorité publique à laquelle il est possible de s'adresser pour obtenir des renseignements pertinents et auprès de laquelle ces renseignements ont été déposés pour que le public puisse les examiner; l'autorité publique ou tout autre organisme public compétent auquel des observations ou questions peuvent être adressées et le délai prévu pour la communication d'observations ou de questions; l'indication des informations sur l'environnement se rapportant à l'activité proposée qui sont disponibles;

- Le fait que l'activité fait l'objet d'une procédure d'évaluation de l'impact national ou transfrontière sur l'environnement.

17 Pour de plus amples informations, consulter le site dédié à la Convention : http://www.mem.dk/aarhus-conference 18 Le terme "partie" désigne les Etats et institutions signataires de la Convention.

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3. Pour les différentes étapes de la procédure de participation du public, il est prévu des délais raisonnables laissant assez de temps pour informer le public conformément au paragraphe 2 ci-dessus et pour que le public se prépare et participe effectivement aux travaux tout au long du processus décisionnel en matière d'environnement.

4. Chaque partie prend des dispositions pour que la participation du public commence au début de la procédure, c'est-à-dire lorsque toutes les options et solutions sont encore possibles et que le public peut exercer une réelle influence.

5. Chaque partie devrait lorsqu'il y a lieu encourager quiconque a l'intention de déposer une demande d'autorisation à identifier le public concerné, à l'informer de l'objet de la demande qu'il envisage de présenter et à engager la discussion avec lui à ce sujet avant de déposer sa demande.

6. Chaque partie demande aux autorités publiques compétentes de faire en sorte que le public concerné puisse consulter sur demande lorsque le droit interne l'exige et gratuitement, dès qu'elles sont disponibles, toutes les informations présentant un intérêt pour le processus décisionnel visé dans le présent article qui peuvent être obtenues au moment de la procédure de participation du public, sans préjudice du droit des parties de refuser de divulguer certaines informations conformément aux paragraphes 3 et 4 de l'article 4. Les informations pertinentes comprennent au minimum et sans préjudice des dispositions de l'article 4 :

a. une description du site et des caractéristiques physiques et techniques de l'activité proposée, y compris une estimation des déchets et des émissions prévues;

b. une description des effets importants de l'activité proposée sur l'environnement; c. une description des mesures envisagées pour prévenir et/ou réduire ces effets, y compris les

émissions; d. un résumé non technique de ce qui précède; e. un aperçu des principales solutions de remplacement étudiées par l'auteur de la demande

d'autorisation; et f. conformément à la législation nationale, les principaux rapports et avis adressés à l'autorité

publique au moment où le public concerné doit être informé conformément au paragraphe 2 ci-dessus.

8. Chaque partie veille à ce que, au moment de prendre la décision, les résultats de la procédure de participation du public soient dûment pris en considération.

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Sécurité nucléaire et démocratie locale et régionale Les questions d'information et de participation du public en matière d'environnement interrogent le rôle des autorités de niveau local et régional dans le suivi des installations industrielles. Il est intéressant de noter que sur le thème environnemental sans doute le plus marqué par des politiques nationales centralisées, à savoir la sécurité nucléaire, les régions de l'Union Européenne ont exprimé un avis où elles relaient ces préoccupations d'information et de participation et proposent de jouer leur rôle d'autorité localement compétente pour servir d'intermédiaire dans les relations entre population, administration et exploitants nucléaires.

Cet avis sur "la sécurité nucléaire et la démocratie locale et régionale" a été rendu en 1998 par le Comité des Régions, organe consultatif destiné à apporter une contribution aux travaux du Conseil, de la Commission et du Parlement européens. Il n'a pas de portée juridique concrète. Publié au journal officiel des Communautés européennes (98/C 251/06; cet avis figure en annexe page 77), il est néanmoins représentatif de la position que les régions souhaitent défendre sur les questions relatives au nucléaire et à l'environnement.

Dans l'esprit de la conférence de Rio et de la convention d'Aarhus, les régions souhaitent affirmer la place de la démocratie locale et régionale dans les questions nucléaires dans la mesure où "il y a matière à préoccupations légitimes et graves concernant la santé publique". La démocratie locale en matière nucléaire repose selon elles sur quatre exigences : la transparence de l'information, la participation des citoyens et des collectivités territoriales, le soutien financier aux collectivités territoriales, l'évaluation économique des projets. Les régions estiment que cette démocratie implique une réelle participation des citoyens et collectivités locales au processus de décision concernant l'implantation d'un projet : "Les collectivités territoriales devraient pouvoir décider en dernier ressort s'il convient d'accepter ou non une installation." Le comité des régions propose d'évaluer la pertinence de l'implantation d'un projet au vu de son adéquation avec l'environnement local. A ce titre il souligne son adhésion au principe de précaution. Il considère également qu'il convient de s'assurer que les projets ont été soumis aux observations du public, et qu'ils ont été appréciés "par rapport à des critères d'emploi et à des critères économiques prenant en compte la nécessité d'éviter une dépendance excessive du point de vue industriel et social, vis-à-vis de l'installation, car une telle dépendance rend difficile la fermeture de cette dernière."

La participation des citoyens et des collectivités ne doit pas concerner uniquement l'implantation d'installations nucléaires, mais doit porter sur le suivi complet de l'exploitation depuis sa construction jusqu'à son démantèlement, qu'il s'agisse de centrales de production ou de sites de gestion et d'élimination des déchets. Ce suivi continu devrait se traduire par la création de structures locales "faisant intervenir des représentants des collectivités territoriales, des réseaux du domaine social, des opérateurs d'installations nucléaires et des instances de contrôle réglementaire, ainsi que des représentants d'autres groupes particulièrement concernés, tels que les associations de citoyens, les ONG ayant des activités dans le domaine de la protection de l'environnement, et des experts médicaux, qui devraient constituer un forum approprié de participation du public si on leur conférait un statut légal indépendant."

L'animation d'un débat au niveau local suppose que des moyens soient dévolus aux régions et communes pour qu'elles puissent jouer de manière effective leur rôle de relais démocratique.

Cet avis peut être interprété comme le résultat en matière nucléaire de réflexions plus larges que les communes et les régions ont entamées sur le développement durable et la concertation suite à la conférence de Rio. Nous proposons dans la partie suivante un aperçu des initiatives des collectivités territoriales dans ce domaine et des conclusions qui s'en dégagent.

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B - III.2 Développement durable, Agenda 21 et Villes Saines : la mise en réseau d'initiatives locales

Le questionnement sur la concertation autour des sites industriels en Europe a été parallèle à l'élaboration de programmes de développement durable, faisant suite à la conférence de Rio de 1992. Dans ce cadre, plusieurs réseaux se sont mis en place pour favoriser des actions au niveau local. Les collectivités territoriales jouent un rôle important dans ce domaine et sont incitées à prendre des initiatives en faveur de la participation des citoyens, la concertation étant une composante intégrante de la notion de développement durable. Dans certaines agglomérations industrielles (comme à Dunkerque en France19) ces réseaux et concepts ont été un outil original pour organiser la concertation autour des sites.

Dans le rapport de la conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement (Rio, 1992), les actions en termes de développement durable s'appuient résolument sur les initiatives des collectivités locales (chapitre 28) : "Il faudrait que toutes les collectivités locales instaurent un dialogue avec les habitants, les organisations locales et les entreprises privées afin d'adopter un programme Action 21 à l'échelon de la collectivité. La concertation et la recherche d'un consensus permettraient aux collectivités locales de s'instruire au contact des habitants et des associations locales, civiques et communautaires, commerciales et industrielles, et d'obtenir l'information nécessaire à l'élaboration des stratégies les plus appropriées."

A partir des recommandations de la conférence de Rio, cinq réseaux de collectivités locales se sont regroupés en partenariat dans la Campagne des Villes Européennes Durables20 sous l'égide de la Commission Européenne :

- Eurocités

- CCRE (Conseil des Municipalités et Régions Européennes)

- ICLEI (Conseil International des Initiatives Environnementales Locales)

- FMCU (Fédération Mondiale Cités Unies)

- OMS-Projet Villes Saines21

Chacun de ses réseaux vise à favoriser les échanges d'expériences entre acteurs locaux dans les actions de développement durable. Ils s'appuyent sur une série d'outils pour faire progresser la réflexion et les pratiques locales :

- circulation d'information,

- organisation d'ateliers et de sessions de formation

- organisations de séminaires, de réunions, et rencontres

- production de guides et manuels de recommandations et d'auto-évaluation 19 Voir l'étude de cas présentée lors du second séminaire TRUSTNET : The Environmental and Industrial Framework of Dunkerque Conurbation, in TRUSTNET Concerted Action, Report of the 2nd seminar, Paris, 18-19th February 1998, MUTADIS; ou http://www.trustnetgovernance.com

ainsi que : Industrial Towns and Sustainable Development, Economie et Humanisme, Dossier n°342, october 1997 20 Villes durables européennes, rapport final, Bruxelles, mars 1996

Campagne des villes européennes durables, documents clés, 1994-1999. Ces documents sont disponibles sur le site http://www. sustainable-cities.org 21 OMS-Europe, Les Villes-Santé créent la différence, Programme Villes-Santé (Healthy Cities)

OMS-Europe, Community Participation in local Health and sustainable development : a working document on approaches and techniques, European Sustainable Development and Health Series : 4

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L'objectif est d'identifier les bonnes pratiques, de discuter des approches et des méthodologies et d'en faciliter le partage. Ces différents outils, notamment les formations, sont avant tout destinées au personnel des collectivités locales et aux élus. La consultation et la participation des citoyens aux processus de décision est un axe de réflexion majeur dans ces réseaux. La démocratie locale est un des principaux critères retenus pour le prix décerné chaque année par le CCRE à des villes européennes pour leurs actions en matière de développement durable.

La plupart des villes investies dans ce réseau sont signataires de deux documents en faveur du développement durable. La Charte des Villes Européennes pour la Durabilité (Charte d'Aalborg, 27 mai 1994), puis le Plan d'action de Lisbonne ("De la Charte à la Pratique", 8 octobre 1996) marquent d'une part leur engagement à la démocratie locale, en particulier à l'information et l'expression des citoyens, et au partenariat avec les associations et entreprises, d'autre part, leur volonté d'engager leur administration à animer cette démarche notamment en formant son personnel et en attribuant des moyens.

A titre d'exemple, la mise en place de l'Agenda 21 dans la ville d'Örebro en Suède s'est appuyée sur une démarche de participation des habitants, animée par la commune22. En tant qu'autorité publique locale, la municipalité a consulté la population pour connaître ce qui lui semblait important en termes d'environnement. Au cours de réunions avec les citoyens de la commune, et au travers de consultations informelles, des projets ont émergé et ont été programmés par la municipalité. Celle-ci a pris en charge leur coordination, la réalisation des projets choisis reposant directement sur les "porteurs d'enjeux" concernés, suivis par des groupes de travail. Entre autres exemples, la municipalité a encouragé les consommateurs et les gérants de commerce à collaborer pour réaliser une campagne d'information sur les produits de consommation ayant un impact sur l'environnement. De leur côté les agriculteurs ont été invités à élaborer des solutions partenariales locales pour améliorer la qualité de l'eau. Dans ce processus les "porteurs d'enjeux" ont combiné souci de l'environnement et qualité de vie. De l'avis de la commune, ce travail leur a également permis d'affirmer leur rôle de citoyens.

22 Voir l'étude de cas présentée lors du second séminaire TRUSTNET : LEJEGREN I., Implementation of the Agenda 21 at the local community level, in TRUSTNET Concerted Action, Report of the 2nd seminar, Paris, 18-19th February 1998, MUTADIS; ou http://www.trustnetgovernance.com

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B - III.3 L'expérience suédoise : la montée en puissance des communes dans le suivi de l'implantation et du fonctionnement des installations nucléaires23

Depuis plus de vingt ans, le processus de sélection de sites de stockage pour les déchets radioactifs de haute activité en Suède s'est accompagné d'une évolution des modalités de participation des citoyens. Ces changements sont liés aux forts enjeux territoriaux de ce type d'installations, mais ils s'inscrivent également dans des évolutions plus larges concernant la participation des citoyens aux questions touchant l'environnement. Le nouveau code environnemental (1er janvier 1999) prévoit ainsi que l'opérateur d'un projet susceptible d'avoir un impact sur l'environnement doit "consulter les autorités gouvernementales, les municipalités et associations et plus largement la population. Ce processus de consultation porte sur la localisation, l'étendue, la conception et l'impact environnemental de l'opération envisagée de même que sur le contenu et la préparation de l'étude d'impact environnemental."

Cette montée en puissance des communes en matière de suivi des installations ne se limite donc pas au projet de stockage de déchets radioactifs. Comme le montre l'exemple d'Oskarshamn ci-dessous (page 36), il s'agit d'exercer un droit de regard sur l'ensemble des projets industriels qui peuvent se développer sur la commune avant et pendant leur exploitation.

La structure nationale de gestion des déchets radioactifs : une politique initialement fondée sur un mécanisme de revue Les exploitants nucléaires suédois ont constitué une Société Suédoise de gestion du combustible et des déchets nucléaires (SKB). Suivant les termes de la loi, il appartient à SKB de développer les concepts techniques, de sélectionner les sites, de construire et exploiter les installations de stockage de déchets radioactifs. Tous les trois ans, SKB présente au gouvernement une synthèse des résultats obtenus dans un programme de Recherche, Développement et Démonstration (RD&D) qui est également analysée par les autorités nationales et par une diversité d’acteurs, notamment par les communes concernées par les projets de sites de stockage. Une Commission d’experts indépendants a été créée en 1985 pour conseiller le gouvernement sur les questions spécifiques aux déchets (KASAM - Commission suédoise consulltative pour la gestion des déchets nucléaires). Le rôle des autorités publiques (SKI, SSI) est de s’assurer que SKB assume ses responsabilités en conformité avec la réglementation existante. De manière pratique, la revue du programme de RD&D de SKB est l’occasion pour le Gouvernement de préciser l’orientation de la politique suédoise de gestion des déchets.

23 AEN/OCDE, Programmes de gestion des déchets radioactifs des pays membres de l'AEN/OCDE, OCDE, 1998

Åhagen et al., The Oskarshamn model for public involvement in the siting of nuclear facilities, Oskarshamn Municipality

Åhagen et al., Example of Municipality Participation in Solving Sweden’s National Spent Nuclear Fuel Problem - The Oskarshamn Model, Oskarshamn Municipality

Voir également les sites des autorités suédoises :http://www.ski.se, et http://www.ssi.se, ainsi que le site de l'opérateur suédois de gestion des déchets : http://www.skb.se. Plusieurs compte-rendus de l'expérience suédoise ont été présentés dans la conférence tenue dans le cadre du projet RISCOM :

VALDOR (Values in Decisions on Risk), a symposium in the RISCOM Programme Addressing Transparency in Risk Assessment and Decision Making, Stockholm, Sweden, June 1999

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A partir du début des années 1990, SKB s'engage plus directement au niveau local pour sélectionner un site de stockage. Cette confrontation au terrain va faire apparaître les faiblesses d'une politique uniquement structurée au plan national, qui n'a pas prévu les modalités de participation des communes suédoises potentiellement concernées par le stockage.

En 1992 SKB lance une phase d'études de faisabilité en adressant un courrier aux 280 communes suédoises sur le processus d'implantation d'un stockage définitif de combustibles usés. Plusieurs communes expriment leur intérêt. En 1993 un accord est conclu avec les municipalités de Storuman et Malå sur la réalisation d'une étude de faisabilité. A l'issue de l'étude de faisabilité un référendum est organisé par chaque municipalité, respectivement en 1996 et 1997. Dans les deux cas, la population exprime son souhait de ne pas poursuivre les études préalables à l'implantation d'un stockage (71% de "non" dans un cas; 55% dans l'autre). Dans un cas, le référendum est en fait prononcé avant même que les résultats de l'étude de faisabilité aient été connus. SKB choisit de ne pas poursuivre ses études dans ces communes.

Les Suédois ne peuvent alors que constater l'impasse à laquelle mène un pouvoir des communes limité à l'exercice d'un veto. Alors que le référendum porte sur la poursuite d'un processus d'investigations, le veto semble avoir été prononcé contre l'implantation d'un site de stockage avant même qu'ait été étudié sa viabilité. Cette situation semble montrer que les citoyens des communes concernées n'ont pas confiance dans un processus de sélection dont ils ne perçoivent pas la logique et qu'ils ont l'impression ne pas pouvoir maîtriser.

La construction d'une concertation au niveau local Le projet et les critères de sélection de sites de stockage pour les déchets radioactifs sont revus par les autorités publiques et une commission indépendante. Toutefois ce mécanisme de revue ne suffit pas à garantir la confiance et à aborder les problèmes que pose localement la possible implantation d'un site.

A partir de ce constat, les acteurs qui ont un rôle à jouer dans le contrôle social du processus de sélection de SKB, à savoir les autorités publiques d'une part, les communes concernées d'autre part, vont redéfinir leurs positions et construire un modèle de participation des citoyens au niveau local.

En 1996, dans le cadre du projet RISCOM mené conjointement avec des experts en sûreté, en organisations, et en droit, les autorités publiques suédoises (SKI, Service National d’Inspection de l’Energie Nucléaire ; SSI, Institut National de protection contre les Radiations) s'engagent dans une réflexion visant à étudier les conditions d'une concertation transparente avec la population. Elles aboutissent à la conclusion qu'il est nécessaire de favoriser l'exercice d'une mise à l'épreuve ("stretching") des opérateurs, par les "porteurs d'enjeux", à savoir les communes. Cette mise à l'épreuve doit pouvoir s'effectuer à la fois lors de l'étude d'impact environnemental, et au cours d'auditions publiques. Dans la mise à l'épreuve de l'opérateur, les autorités mettent à disposition du public leur expertise. Dans le même temps elles doivent elles-mêmes se soumettre à un exercice de "stretching" pour répondre aux questions des communes, et expliciter leur démarche.

De leur côté, tirant les conclusions de l'expérience des deux premières municipalités sollicitées par SKB, les communes commencent à élaborer des approches constructives dans la participation au processus de sélection. La commune d'Oskarshamn met ainsi en place une structure de concertation originale (voir ci-dessous) qui vise d'une part à informer la mairie des attentes des citoyens afin que celle-ci puisse mieux définir sa position, d'autre part à favoriser la participation directe des citoyens à l'étude d'impact environnemental (notamment par le biais d'un forum de discussion). Pour effectuer ce travail de "stretching", il est prévu que la commune puisse mettre en place sa propre force d'expertise.

Afin d'aider les communes dans leurs efforts de participation, le Fonds des Déchets Nucléaires, approvisionné par une taxe sur la production d'énergie nucléaire et géré par SKI, rembourse les frais d'information et de formation des citoyens et de leurs représentants, ainsi que les frais d'honoraires d'expertise, que les communes peuvent mobiliser pour être conseillées ou pour faire une revue des travaux de SKB. Les remboursements sont plafonnés à deux millions de couronnes suédoises par an.

Dans cette nouvelle approche, les communes jouent un rôle clef. Elles représentent à la fois une assemblée démocratiquement élue, et en tant que telle, apte à prendre des décisions concernant son territoire, et une

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institution dotée de moyens, capable de favoriser la participation des citoyens. En d'autres termes, elles favorisent l'implication des citoyens pour mieux exercer ses responsabilités. Les communes servent ainsi de relais entre les citoyens et les autorités nationales en délivrant des ressources (financement d'expertise, formation, information), et en faisant remonter les attentes de ses électeurs. Dans le même temps, chacun (électeur ou membre du conseil municipal) garde son libre arbitre, indépendamment de sa participation au processus de concertation.

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L'exemple de la commune d'Oskarshamn24

La commune d’Oskarshamn abrite sur son territoire plusieurs installations en relation avec la filière énergétique nucléaire :

• une centrale nucléaire (OKG Aktiebolag) • un laboratoire d’études géologiques souterrain sur la conception de dépôts profonds (SKB) • un laboratoire d’études de conditionnement des déchets nucléaires (SKB) • un centre d'entreposage intermédiaire de combustibles irradiés25 - CLAB (SKB)

La municipalité envisage aujourd'hui d'accueillir :

• une unité de conditionnement du combustible irradié • un site de stockage définitif de déchets radioactifs. L'élaboration d'un cadre de concertation sur les installations nucléaires à Oskarshamn a commencé en 1992 à l'occasion de la proposition de SKB d'installer une unité de conditionnement du combustible irradié qui compléterait le centre d'entreposage intermédiaire CLAB. La commune a accepté de participer au processus de sélection pour cette unité de conditionnement à la condition d’obtenir:

• la création d’un Forum de discussion sur les Etudes d’Impact Environnemental. • un soutien financier pour pouvoir participer activement aux discussions et recherches préalables.

La municipalité a obtenu satisfaction. Le Forum de discussion sur les Etudes d’Impact Environnemental a été mis en place en 1992 pour permettre aux parties concernées par le projet de prendre connaissance des études d'impact, de les commenter et de proposer des orientations d'investigation sur des aspects considérés comme importants. Ce Forum présente une structure intéressante dans la mesure où les acteurs concernés au niveau local peuvent participer tout en conservant leur indépendance sur la décision finale. Il permet de trouver un consensus sur les domaines d’investigation prioritaire dans le processus d’évaluation, en amont de la décision politique.

Grâce au soutien financier qui lui a été octroyé, la municipalité d'Oskarshamn a mis en place plusieurs outils destinés à favoriser la participation de la population au Forum de discussion, et à construire sa propre contribution :

• Un projet, destiné à faciliter les échanges d'information, et la documentation de tous les participants au Forum, intégrant des modules de formation d'acteurs locaux (projet LKO)

• Une équipe d'experts pour conseiller l'équipe municipale • Six groupes de travail pour étudier les différents aspects abordés lors des Forums et nourrir les discussions (Sûreté sur le long terme et géologie, Technologies, Aménagement du territoire et environnement, Questions économiques et sociales, Information, Conditionnement)

Chaque groupe de travail comprend six membres (deux représentants du conseil municipal, un employé administratif de la commune, deux représentants des associations locales et un expert). Les objectifs de travail sont déterminés par le conseil municipal mais chaque groupe est libre de définir sa méthode. Ces groupes rencontrent fréquemment des représentants de SKB, SKI, SSI, des associations environnementales, des experts indépendants, de manière souvent informelle. Des rencontres et des auditions publiques sont organisées à leur initiative. Les compte-rendus de leurs réunions de travail sont disponibles sur Internet, et leurs travaux sont transmis au Forum.

Le processus de sélection concernant l'unité de conditionnement aborde aujourd’hui sa phase de conclusion. Cette structure de concertation (Forum et "outils" municipaux) a été également mobilisée en 1994, lors du processus d’autorisation de l’extension du centre d'entreposage intermédiaire de combustibles usés.

Depuis 1996 le Forum, le projet LKO, les experts et les groupes de travail sont fortement sollicités dans le cadre de la participation d'Oskarshamn au processus national de sélection de sites de stockage profond pour les combustibles usés. En effet en 1995 SKB demandait officiellement à la commune si elle acceptait une étude de faisabilité préalable à des investigations plus poussées. En octobre 1996, au bout d'un an de débats et de consultations auprès des habitants de la ville, le conseil municipal a voté en faveur du démarrage de cette étude de faisabilité. Depuis, les six groupes de travail de la commune suivent les divers aspects de l'étude, animent des débats et communiquent leurs conclusions au Forum de discussion. Sur la base de ces travaux, le groupe d'experts de la municipalité a récemment rédigé un rapport faisant état des commentaires de la commune sur les premières conclusions de l'étude de faisabilité. Les experts font notamment part des compléments d'enquête et d'information que la commune souhaiterait voir inclus dans le rapport final de l'étude de faisabilité que doit présenter SKB.

24 Extrait d'un texte réalisé par MUTADIS pour la Mission Granite. 25 Il est à noter que le Conseil municipal n’avait pas opposé de veto à l’installation du centre d’entreposage de combustibles usés, mais avait soumis son autorisation à la condition que l’installation soit considérée comme temporaire et non pas comme une solution définitive de long terme.

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B - III.4 L'intégration de la concertation dans les pratiques de l'Administration : les réflexions Outre-Manche

La Grande-Bretagne dispose depuis longtemps d'un outil efficace de concertation – les public hearings – qui permet de soumettre à un débat citoyen un projet ou telle ou telle question de la vie politique locale ou nationale. En matière d'environnement, cet outil est largement utilisé par le Planning Inspectorate, l'autorité chargée de conduire les études d'impact. En dépit de ses qualités cet outil ponctuel intervient à la fin du processus de décision et favorise peu le dialogue entre l'administration et les citoyens. Les institutions britanniques – Gouvernement et Chambre des Lords – font aujourd'hui le même constat : il est indispensable que les administrations intègrent directement la concertation dans leur processus de décision.

Une institution d'enquête publique respectée En Grande-Bretagne, les projets industriels et d'aménagement du territoire ayant un impact sur l'environnement font généralement l'objet d'enquêtes publiques. Celles-ci sont animées par l'autorité en charge de l'urbanisme et de l'aménagement du territoire (Planning Inspectorate). Cette institution comprend près de 400 Inspecteurs, permanents pour la plupart et établis sur leur lieu d'exercice. Ils sont chargés d'instruire la procédure, en menant une enquête au sens propre du terme, et en mettant en perspective les avis divergents, par le biais d'audiences et de consultations qui sont l'occasion pour les parties concernées d'exprimer leurs arguments en faveur ou en défaveur du projet. Dans la plupart des cas, l'Inspecteur exerce un réel pouvoir de décideur. Une réforme est envisagée notamment pour permettre plus d'équité (à l'heure actuelle, le promoteur a le droit de contester un refus mais les membres de la population ne peuvent contester une autorisation), mais le travail des Inspecteurs et leurs décisions sont généralement reconnus et appréciés. Les questions environnementales occupent une part grandissante dans cette institution depuis que le choix a été fait d'intégrer dans ses missions les dispositions de la directive européenne sur l'étude d'impact.

La communication sur les risques : l'approche gouvernementale Depuis le milieu des années 1990, les ministères britanniques concernés à un titre ou un autre par la question des risques (Environnement, Transports, Industrie, Défense, Santé, Agriculture…) ont constitué un Comité de Liaison (Interdepartmental Liaison Group on Risk Assessment - ILGRA) destiné à mettre à plat les méthodes de chaque administration, à favoriser les échanges d'expérience et à définir autant que possible une approche commune. En 1998, ce comité a publié un guide pratique à l'intention des administrations concernant la communication sur les risques26.

Le terme anglais "Risk communication" recouvre à la fois les notions de communication et de participation : "la communication doit être considérée comme un élément à part entière, essentiel de la réglementation des risques, comme un processus interactif, et non pas simplement comme une diffusion de l'information."

Ce guide a été rédigé en collaboration avec la Better Regulation Unit, chargée au sein du gouvernement de favoriser la cohérence et l'efficacité des réglementations. Alors que "le gouvernement décide si la gestion d'un risque est du ressort des autorités publiques, est une question de choix individuel ou se situe entre les deux", la participation du public est mise en avant comme un moyen pour les ministères d'éviter un excès de réglementation. "La communication est une alternative à la réglementation" en ce sens que dans un contexte de risque où la participation du public a permis de dépassionner les débats, le recours à la réglementation s'avère moins nécessaire.

Selon les recommandations d'ILGRA, la participation du public doit concerner le processus de décision de même que l'application de la décision et l'évaluation de sa mise en pratique. Le guide décrit les étapes que doit suivre l'administration dans les deux cas. Tout d'abord, le régulateur doit définir le cadre de la décision en déterminant l'importance que les différents acteurs accordent au 26 Risk Communication : A Guide to Regulatory Practice, ILGRA, 1998

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risque, les raisons pour lesquelles ils y attachent ou non de l'importance. Il doit également définir avec eux un agenda pour le processus de décision. Il lui revient ensuite d'examiner les options en prenant en compte à la fois les critères objectifs et subjectifs présentés par les acteurs, et en expliquant la manière dont il les a intégrés dans son analyse. Lors de la mise en œuvre de la décision, le public doit être "impliqué, informé, instruit, soutenu, conseillé, renseigné" et il doit être invité à participer à l'évaluation de la décision.

Dans la circonstance où le gouvernement a fait le choix de ne pas réglementer une activité à risque, mais de laisser aux individus le libre choix de décider de la manière dont ils souhaitent gérer les risques, l'administration n'est cependant pas absente et sa mission de communication recouvre une autre dimension. Il s'agit alors de comprendre le type d'informations dont les acteurs ont besoin pour gérer le risque et de s'assurer que l'information dont ils disposent n'est pas partiale. Il revient également à l'administration de conseiller les acteurs et, si nécessaire, de leur apporter une aide dans la prise de décision.

Selon les termes du guide, la communication participative sur les risques doit être complètement intégrée au processus de décision, de réglementation et de gestion des risques. Elle ne s'ajoute pas ponctuellement aux pratiques administratives dans le seul but d'informer le public, mais doit viser deux objectifs :

- garantir la participation ou la représentation des parties concernées et intéressées aux décisions sur la gestion des risques;

- garantir une application aussi efficace que possible des décisions en matière de gestion des risques.

Cette préoccupation d'intégration trouve un écho dans le récent rapport de la Chambre des Lords sur la Science et la Société.

Le questionnement de la Chambre des Lords sur la participation du public aux choix scientifiques et techniques L'enquête publique ne constitue qu'un moment de rencontre ponctuel entre une installation et les citoyens. Or, en marge des problèmes d'implantation géographique que pose une installation, un projet industriel soulève des questions scientifiques et techniques plus générales, notamment en amont, qu'il s'agisse de sa conception, ou de manière plus globale de la politique technologique dans laquelle il s'inscrit (on pense notamment aux choix de niveau national qui feront préférer une filière d'élimination des déchets ménagers à une autre, ou privilégier un mode de gestion des déchets radioactifs; ces choix s'accompagnent de considérations non techniques importantes qui ne peuvent pas toujours être discutées au moment de l'implantation d'un site).

Le Comité sur la Science et la Technologie de la Chambre des Lords (l'équivalent de l'Office Parlementaire français sur les Choix Scientifiques et Techniques) a abordé ces questions dans un rapport de février 2000 intitulé "Science et Société". Constatant une érosion de la confiance publique dans la science et le rôle de la science dans les décisions, les rapporteurs se sont interrogés sur la façon de rétablir le lien entre science et citoyens. Ils ont observé une nouvelle tendance au dialogue, et ont fait une revue détaillée des outils disponibles en la matière (consultations de niveau national, local, panels consultatifs, focus group, jury de citoyens, conférences de citoyens, forums sur Internet, tables rondes…), en cherchant à distinguer les méthodes à vocation de marketing politique (informer le décideur à partir des attitudes de citoyens représentatifs), et celles qui s'inscrivent plus directement dans un processus large de consultation politique, pouvant aller jusqu'à la participation au processus de décision.

Tout en constatant la valeur de ces outils, les Lords considérent qu'il est indispensable de sortir d'une logique de consultation ponctuelle, limitée à tel ou tel événement particulier. Ils préconisent un dialogue intégré entre la science et les citoyens de manière à mieux fonder l'exercice de la science (et non pas à restreindre son droit d'exercice, précisent-ils), en prenant en considération le point de vue des populations. Le rapport fait une série de recommandations à ce propos :

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- le dialogue direct avec la population ne devrait plus être une option dans les activités des organismes de recherche et les processus de décisions qui ont recours à l'expertise; il devrait devenir une partie intégrante normale de ces processus et activités.

- L'Office Scientifique et Technologique du Gouvernement et COPUS (Committee on the Public Understanding of Science, animé par les trois principales institutions britanniques en matière de recherche) devraient faire du dialogue avec la population une de leurs principales activités;

- Les ministères devraient faire le bilan de leur propre expérience en matière de concertation et élaborer un code de bonnes pratiques pour améliorer leur efficacité et préserver leur intégrité.

- Toute concertation devrait être menée avec bonne foi. Ses objectifs et son rôle dans le processus de décision devraient être clairement définis dès le début. Les organisateurs de la concertation devraient s'assurer que les débats ne sont pas monopolisés par une catégorie d'acteurs. Ils devraient autant que possible encourager les médias à couvrir l'événement et ses conclusions

- Le Gouvernement devrait prendre l'initiative sur ces questions au niveau européen et international.

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B - III.5 La gouvernance des activités à risques : les réflexions du réseau européen TRUSTNET

La question de la concertation est également au cœur des propositions du réseau européen TRUSTNET sur la gouvernance des activités à risques. Ce réseau de quelques 80 participants impliqués à divers titres dans la gestion des activités à risque (représentants des pouvoirs publics au plan national et européen, de l’industrie, des collectivités locales, des associations environnementales) associés à un groupe interdisciplinaire d’experts a mené une réflexion sur la gestion sociale des risques industriels, naturels et sanitaires en Europe de 1997 à 1999 avec notamment pour objectif d'identifier des facteurs de crédibilité, d'efficacité et de légimité du cadre réglementaire des activités à risque, et de proposer des approches plus cohérentes et plus équitables pour évaluer, comparer et gérer les risques.

Cette réflexion a pris appui sur une série d'études de cas qui ont mis en évidence plusieurs types de situation dans lesquelles les modalités et les procédures habituelles de gestion collective des risques sont mises en difficulté. Selon TRUSTNET, ces situations ne concernent pas toutes les catégories d’activité à risque, mais elles apparaissent dans des circonstances de plus en plus fréquentes où l’existence d’une activité à risque suscite un climat d’inquiétude alors que le dispositif institutionnel et réglementaire de gestion collective des risques existant ne parvient pas à créer un climat de sécurité et de confiance sociale.

Les conclusions de TRUSTNET mettent en relief la gravité des conséquences auxquelles peuvent conduire les défaillances identifiées dans ce qu'il a été convenu d'appeler la gouvernance des activités à risques. Selon le rapport final de TRUSTNET : "Ces défaillances contribuent à créer un climat de défiance sociale vis-à-vis des autorités, des institutions et des processus d’expertise. Elles créent des situations de blocage décisionnel avec des conséquences économiques et sociales importantes. Elle conduisent à des situations sociales radicalisées qui entravent le fonctionnement démocratique et où il devient difficile de mener un dialogue raisonnable au sein de la société. Elles conduisent dans certains cas au rejet pur et simple d’activités nouvelles sans que soient raisonnablement évaluées les opportunités dont celles-ci sont porteuses pour la société".

Les participants de TRUSTNET ont proposé une description des objectifs que devrait atteindre un dispositif de gouvernance des activités à risques en fonction des enjeux et des préoccupations des différentes catégories de "porteurs d’enjeux". Cette description a permis de mettre en lumière la complexité d'attentes sociales dont les objectifs ne sont pas nécessairement convergents.

L’analyse des études de cas a fait ressortir différentes formes de gouvernance, observées dans les contextes locaux, nationaux ou internationaux des activités à risque étudiées. Le rôle prépondérant de trois grands catégories d'acteurs se dégage de cette analyse: les autorités publiques, les experts et les "porteurs d'enjeux", c’est-à-dire les acteurs pour lesquels les activités à risque considérées sont associées à des enjeux positifs ou négatifs.

Deux paradigmes de gouvernance des activités à risques ont été proposés: le paradigme "d'autorité" de gouvernance des activités à risque, et le paradigme de "confiance mutuelle" de gouvernance des activités à risque.

Chaque paradigme est caractérisé par une “règle du jeu“ implicite qui lui est spécifique. Les autorités publiques, les experts et les "porteurs d’enjeux" exercent un rôle différent dans chacun des paradigmes. De même, chaque paradigme est caractérisé par des types de réglementation, des formes de confiance sociale et des valeurs éthiques qui lui sont spécifiques.

Le premier paradigme – la traditionnelle gouvernance "d'autorité" des activités à risques – met l'accent sur le rôle central des autorités publiques dans le processus d'évaluation et de gestion des risques. Dépositaires de “l’intérêt général“, les autorités publiques élaborent des réglementations prescriptives spécifiques pour chaque type de risque dans chaque contexte et demandent aux experts de leur fournir des solutions optimales dont la légitimité repose sur le savoir scientifique.

Le second paradigme – de "confiance mutuelle" – met en avant le rôle des "porteurs d'enjeux" dans la définition et la gestion du “bien commun“. Ceux-ci participent de façon aussi large que possible à des

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processus de décision décentralisés, préalablement définis par les autorités publiques, où le savoir scientifique auquel ont accès l’ensemble des acteurs n'est plus présenté comme le principal facteur de décision.

Pour résoudre les difficultés observées, l'analyse des études de cas fait ressortir la nécessité d'une nouvelle perspective sur la gouvernance des activités à risque, fondée sur une articulation entre les deux paradigmes. Celle-ci ouvre la possibilité de processus de décision collective basés sur la confiance mutuelle et le dialogue social dans des situations caractérisées par la complexité tout en conservant dans les situations plus conventionnelles la possibilité d’un traitement traditionnel à caractère d'autorité susceptible de retrouver alors ses qualités d’efficacité.

L'approche "d'autorité" est efficace dans des contextes où le processus de décision n'est pas complexe, lorsque par exemple l'expertise scientifique donne une représentation claire des risques, et que les solutions envisagées apportent un bénéfice évident à la société dans son ensemble. A l'inverse selon TRUSTNET, une approche de "confiance mutuelle" sera nécessaire dans des contextes de décision spécifiques, marqués par la complexité. Une approche de ce type permettra d'authentifier ou de reconstruire les valeurs communes qui rendent possible une décision complexe en créant un contexte de confiance sociale entre les "porteurs d'enjeux".

Pour TRUSTNET, il ne s'agit en aucun cas de présenter le paradigme de "confiance mutuelle", basé sur la concertation, comme la solution universelle aux questions posées par la gouvernance des activités à risques. Il est au contraire reconnu que chaque approche apporte des avantages spécifiques et complémentaires pour la société dans son ensemble. Les processus de décision collective doivent reposer sur une distribution des tâches efficace au sein de la société et ne peut raisonnablement pas s'appuyer sur une implication constante des "porteurs d'enjeux". En fonction du contexte historique, culturel et politique, ainsi que de la nature des activités à risque l'un ou l'autre des deux paradigmes pourra être préféré pour améliorer la gouvernance d'une situation donnée.

Comme l'ont noté les participants de TRUSTNET un système de gouvernance n'est pas destiné à éviter toutes les crises sociales ou à maintenir un état permanent de quiétude. Au contraire, il doit être apprécié à l'aune de sa capacité à dépasser les évenements qui affectent régulièrement la cohésion sociale. La flexibilité est une valeur clef dans un système de gouvernance. Un système de gouvernance robuste et efficace permettra de restaurer la quiétude, ou d'authentifier ou reconstruire les valeurs communes qui fondent la confiance sociale et assurent la cohésion sociale. Il allègera ainsi les efforts dépensés par les "porteurs d'enjeux" dès que le contexte le permettra.

La concertation n'est donc pas un objectif en soi et il est des situations où elle n'est pas requise, parce que les risques peuvent de manière satisfaisante être pris en charge par une simple gestion "administrative", et les parties concernées souhaitent investir leur attention et leur vigilance sur des problèmes plus complexes ou préoccupants.

Cependant, notent les participants du réseau, les études de cas ont nettement souligné qu'une approche de "confiance mutuelle", basée sur la concertation, pouvait "non seulement améliorer la crédibilité des décisions collectives, mais aussi contribuer à augmenter leur efficacité, d'une part parce que les spécificités locales sont prises en compte, ce qui conduit à une meilleure allocation des ressources, d'autre part parce que cette approche inscrit la justification sociale des activités à risque dans la durée et évite de coûteux et interminables conflits."

Le rapport TRUSTNET conclue que "les approches "d'autorité" et de "confiance mutuelle" sont amenées à alterner de manière dynamique afin de préserver la cohésion et la confiance sociales tout en rendant possible une prise de risque pour des activités considérées comme dignes d'intérêt par la société dans son ensemble. Le paradigme de "confiance mutuelle" est adopté lorsque dans certains contextes les approches "d'autorité" rencontrent des difficultés. A l'inverse le paradigme dit "d'autorité" redevient opportun dès lors que les bases de la confiance sociale ont été suffisamment authentifiées ou renouvelées."

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B - III.6 Eléments de synthèse

Les réflexions internationales en matière de concertation autour des sites industriels sont généralement parties du constat que les démarches d'information des populations restent insuffisantes pour instaurer un climat de sécurité autour des installations à risques et que la participation était un moyen efficace, malgré ses exigences en termes de coûts et de temps, pour asseoir durablement l'inscription d'un projet industriel dans son environnement social et favoriser l'acceptabilité des risques associés à ce projet.

Aux Etats-Unis comme en Europe, les démarches de communication visant à "rassurer" le public sur la capacité des opérateurs à maîtriser les activités à risques et la capacité des autorités publiques à contrôler les exploitants se sont soldées par un échec. En expliquant les problèmes d'acceptabilité des activités à risque par un écart de perception entre experts et "profanes", ces initiatives ont cristallisé un clivage entre industriels, administrations et public qui n'a pas permis de faire émerger des perspectives de résolution commune des problèmes de risques.

En Amérique du Nord, les réflexions en ce sens ont conduit les acteurs présents dans le champ de la gouvernance des activités à risques à expérimenter de nouvelles approches. La concertation est apparue comme un moyen de dépasser le clivage entre décideurs et citoyens. Cependant ce nouvel "outil" est resté d'abord utilisé dans une démarche classique de communication : les parties intéressées étaient consultées sans que leur avis ne soit nécessairement pris en compte dans la décision. Les retours d'expérience américaine (The US Presidential/Congressional Commission on risk assessment and risk management; Common Sense Initiative Council de l'Environnement Protection Agency) ont mis en évidence que la concertation ne devait pas être considérée comme un outil ponctuel au service de la communication, mais qu'au contraire, la participation des "porteurs d'enjeux" devait s'entendre comme une participation effective au processus de décision – pouvant impliquer, le cas échéant, une modification des projets soumis à consultation, voire leur rejet. Occupant une place centrale dans le processus de décision, les administrations américaines (comme l'Environnement Protection Agency, ou le Department Of Energy) ont été chargées par les pouvoirs publics fédéraux de faciliter cette participation du public. Elles ont développé des programmes permettant aux "porteurs d'enjeux" de bénéficier de la compétence d'experts, de suivre des formations ou de disposer de compensations financières pour la participation aux sessions de discussion, sur un large éventail de questions environnementales. Par ailleurs les procédures internes de décision de ces administrations prévoient l'implication des acteurs concernés aux différentes étapes de leur déroulement. La concertation peut s'inscrire dans la durée pour le suivi de sites industriels et amener à la constitution de comités consultatifs citoyens locaux (Citizen Advisory Board). Dans toutes ces démarches la dimension locale de la concertation apparaît déterminante pour intégrer dans le processus de décision des éléments non prévus par les procédures techniques d'évaluation et de gestion des risques et mieux prendre en compte à la fois la réalité de terrain et les préoccupations des résidents. Ces initiatives peuvent être intégrées dans les pratiques des administrations tout au long de leur processus de décision, ou plus ponctuellement être mises en œuvre dans le cadre de procédures d'enquêtes publiques pour l'autorisation de projets industriels (Bureau d'Audiences Publiques en Environnement, Québec). Par ailleurs elles ne sont pas l'apanage des administrations. Pour des raisons, certes différentes de celles des autorités publiques, qui ont plus directement trait à des préoccupations de durabilité et d'efficacité, et pas uniquement de légitimité et de responsabilité publique, certains opérateurs privés participent ou initient des processus de concertation autour d'une exploitation ou en amont d'un projet. La conclusion majeure des retours d'expérience en Amérique du Nord est qu'il est indispensable de renforcer l'intégration de la concertation dans les pratiques des entreprises et des administrations et de définir avec précision ses objectifs de manière à afficher clairement la façon dont le dialogue avec le public doit influencer la décision. Dans le même temps il convient d'apporter un soutien matériel et cognitif aux acteurs locaux afin de leur permettre de contribuer efficacement aux débats. En d'autres mots il s'agit de doter les acteurs concernés d'un pouvoir de décision (empowerment). La réflexion sur la contribution des administrations à l'émergence d'un contexte favorable à la concertation et sur les conséquences de ce nouveau rôle sur leur responsabilité dans le processus de décision apparaît particulièrement avancée en Amérique du Nord.

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En Europe, le passage d'une logique "passive" d'information et de transparence à une dynamique de concertation avec le public a été plus tardif. La réglementation européenne sur l'information et la participation du public concernant les projets industriels (Directive 97/11/CE sur l'étude d'impact environnemental) et les risques d'accident (Directive 96/82/CE dite SEVESO) a progressivement évolué au cours des années 1990 dans le sens d'un meilleur accès pour le public aux documents des exploitants et de l'administration, et d'une prise en compte des avis des populations dans le processus de décision. L'adoption de la Convention d'Aarhus sur "l'accès à l'information, la participation du public et l'accès à la justice dans le domaine de l'environnement" en 1998 par les pays de la Communauté confirme cette évolution vers une implication active des "porteurs d'enjeux". Cependant, ces principes d'information et de participation restent diversement mis en pratique suivant les contextes nationaux au sein de l'Union. Le principe de subsidiarité et les initiatives de développement durable, dans la lignée de la conférence de Rio, mettent en avant le rôle des régions et autres collectivités territoriales dans l'animation d'une démocratie locale, particulièrement sur les questions environnementales. De nombreux réseaux favorisent les échanges et retours d'expérience entre les diverses administrations locales et collectivités territoriales dans ce domaine (Campagne des Villes Européennes Durables). De manière générale, les régions européennes revendiquent officiellement des ambitions dans l'animation de la démocratie locale sur les questions environnementales (Avis du comité des régions sur la sécurité nucléaire et la démocratie locale et régionale, Journal Officiel des Communautés européennes, 98/C 251/06). Certains pays présentent des expériences particulièrement innovantes, au niveau local, de participation du public aux décisions concernant certaines installations industrielles comme la Suède, notamment dans sa politique de gestion des déchets radioactifs de haute activité. Les réflexions nationales comme celle du Gouvernement et du Parlement britannique ou les retours d'expérience mis en perspective par le réseau européen TRUSTNET soulignent la nécessité d'intégrer la concertation au processus de décision et de bien articuler les deux niveaux de décision, locale et centrale (ou globale), de manière à ne pas faire de la participation un objectif en soi, mais un moyen de répondre efficacement aux difficultés rencontrées en matière de gouvernance des activités à risques, en ouvrant et redistribuant, si nécessaire, les compétences de décision à un ensemble plus large d'acteurs.

Les expériences de concertation américaines et européennes sont chacune marquées par un contexte socio-politique et historique particulier. Au sein de la communauté européenne même, l'observation des pratiques de participation du public fait ressortir d'importantes spécificités nationales. Chaque expérience de concertation peut sembler unique et répondre à chaque fois aux caractéristiques d'un environnement singulier et aux enjeux propres à un type de projet technologique. Qu'y-a-t-il en effet de commun entre un projet de barrage hydroélectrique au Canada, et un centre de stockage de déchets radioactifs en Suède? Cependant si la plupart des réflexions dans le domaine de la concertation autour des sites industriels repose sur le principe de retours et d'échanges d'expériences, c'est qu'au-delà des particularités de chaque étude de cas, les questions posées, les problèmes rencontrées et les solutions testées sont de même nature, et à défaut de recettes, des recommandations peuvent être transposées d'une situation à une autre.

En effet, des conditions générales de réussite de la concertation semblent émerger de l'ensemble de ces expériences. Les deux conditions principales sont sans doute l'intégration et la dimension locale de la participation. L'intégration signifie à la fois que : 1. la concertation ne doit pas se limiter à un exercice ponctuel de consultation des parties concernées mais doit s'étendre à l'ensemble du processus de décision depuis l'élaboration du projet jusqu'à son évaluation après implantation; ceci implique que les "porteurs d'enjeux" puissent donner un avis sur plusieurs options pour un même projet. 2. Le recours à la participation du public doit faire partie des pratiques courantes des décideurs tout au long de ce processus; administration et exploitants doivent prévoir dans leurs structures des procédures institutionnelles de concertation. 3. La concertation doit être inscrite dans le processus de décision au sens où elle doit être capable d'en influencer l'issue. Concernant la dimension locale, la majeure partie des expériences et réflexions conduisent à deux recommandations : la décision doit prendre en compte l'avis des acteurs locaux parce que sur certains aspects ils connaissent mieux que quiconque l'environnement d'accueil d'un projet, mais aussi parce qu'ils sont directement concernés par les impacts potentiels d'une installation industrielle; dans l'esprit du principe de subsidiarité, la décision doit être prise autant que possible au niveau local par les autorités et acteurs concernés.

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C - LA PARTICIPATION DES ASSOCIATIONS A LA CONCERTATION AUTOUR DES SITES INDUSTRIELS EN FRANCE

C - I. CADRE D'ENQUETE

C - I.1 Objectifs

L’objectif de cette enquête est d’engager une réflexion sur les dispositifs de concertation formels et informels existant autour des installations nucléaires (enquête publique, commission locale, mobilisation de composantes d’expertise pluraliste, dialogue informel avec l'exploitant, élaboration de compétences associatives spécifiques). En particulier, certaines approches concertatives innovantes du suivi des rejets des installations nucléaires seront analysées du point de vue de leur impact sur les conditions de vie de la population (inquiétude/quiétude). Ces approches concertatives se rencontrent dans quelques contextes spécifiques en France où se déploient de nouvelles formes de relations entre la population, les réseaux associatifs, les exploitants, les pouvoirs publics et les experts institutionnels et non institutionnels. Cette étude constitue un retour d'expérience servant à une réflexion sur les moyens que les pouvoirs publics pourraient juger utile de mettre en œuvre pour mieux faire fonctionner ou adapter les dispositifs existants.

C - I.2 Méthodologie

Cette évaluation de l’impact des approches concertatives autour des installations sur les conditions de vie des populations a été réalisée auprès de vingt-cinq personnes, vivant dans la proximité d’installations nucléaires et non nucléaires, dans le cadre d’une quinzaine d'entretiens individuels et collectifs approfondis. L’objectif était d’identifier et d’analyser les modalités d’implication de la population, leurs répercussions sur les conditions de vie ainsi que leur contribution éventuelle à l’instauration de nouvelles formes de confiance. Pour ce faire, l'enquête a porté sur quelques contextes spécifiques où se déploient des formes de concertation innovantes entre la population, les réseaux associatifs, les exploitants, les pouvoirs publics et les experts institutionnels et non institutionnels :

- une installation nucléaire (Nord-Cotentin, Alsace, Touraine, Poitou, Nord-Pas de Calais)

- des installations industrielles non nucléaires (Limousin, Nord-Pas de Calais, Alsace, Charente, Touraine)

Les entretiens ont été menés de manière semi-directive afin d’identifier d’abord l’impact des situations de risques occasionnées par la présence d’installations industrielles sur la vie quotidienne des personnes interrogées (qualité de vie, dimension d’inquiétude ou de quiétude) en relation avec les formes d’implication et d’engagement de ces personnes dans ces contextes. L’enquête s’est notamment attachée à identifier l’existence éventuelle d’une culture du risque et plus généralement d’une culture technique en lien avec la nature des activités industrielles voisines ainsi que les modalités d’acquisition ou de transmission de ces connaissances. L’enquête a également abordé les questions touchant à la responsabilité citoyenne par rapport au suivi des installations à risques et plus généralement par rapport à la gestion patrimoniale de la qualité environnementale des territoires. Le questionnement s'est élargi aux relations qu'ont les personnes interrogées avec les autres acteurs dans le cadre du suivi des installations (les réseaux associatifs, les exploitants, les pouvoirs publics et les experts institutionnels et non institutionnels) ce qui a été l'occasion d'aborder les questions concernant: les conditions d’une participation citoyenne au suivi des installations, notamment dans le cadre des dispositifs concertatifs existants, les conditions et les mécanismes d’une confiance sociale durable, la transparence et l’accès à l’information, la répartition des rôles et des responsabilités entre les différentes catégories d’acteurs autour du suivi.

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C - II. LA CONCERTATION DU POINT DE VUE DES ASSOCIATIONS

La notion de concertation est diversement appréciée par les associations. Elle évoque la consultation, dans laquelle elles se retrouvent volontiers. Elles y voient aussi une allusion à la participation à la décision qui en revanche leur pose question. Les instances formelles de concertation leur semblent ne pas offrir de réelles opportunités de participer aux décisions concernant les installations industrielles et leur environnement, ce qu'elles peuvent regretter. D'autre part, l'étiquette "concertation" pourrait de leur point de vue laisser croire au public qu'elles ont une part de responsabilité dans la gestion de ces installations et leur fait parfois craindre que les exploitants et l'administration ne les sollicitent pour communiquer des décisions qui, le plus souvent, leur sont extérieures.

C - II.1 La concertation : un accord et une lutte

L'étymologie du terme "concertation" reflète en lui-même cet aspect équivoque. Il est d'abord dérivé du verbe "se concerter", défini à la fois comme "s'entendre pour agir de concert" et "décider après réflexion" (Petit Robert). Cette définition met en avant la notion de consensus, de décision et de réflexion. Elle semble ainsi renvoyer à une décision prise par plusieurs acteurs après une réflexion commune. On retrouve ici en partie l'attrait pour les associations de discuter avec d'autres acteurs pour prendre des décisions qui concernent un environnement commun. On peut également relier cette définition aux inquiétudes des associations d'être intégrées dans un dispositif de discussion qui vise le consensus et ne laisse pas paraître leurs divergences de points de vue ou d'objectifs.

Le terme même de concertation peut également être rapporté au mot latin "concertatio" qui désigne une "lutte d'athlètes antiques". Il reflète de manière assez imagée la façon dont les associations conçoivent généralement leur mode de participation aux instances de dialogue. Si l'objectif est de participer à ou tout du moins d'influencer la décision, le moyen privilégié est une discussion pied à pied avec l'administration et l'exploitant, sur la base d'arguments contradictoires, en vue de parvenir à une décision plus adaptée au contexte local. Cette "lutte" suppose que des règles du jeu soient définies, et que les forces en présence soient équilibrées pour que les échanges soient équitables.

C - II.2 Le partage d'un enjeu commun

Cette tension entre accord et lutte est plus particulièrement vive lorsqu'une association est opposée de façon déterminée à l'implantation d'une installation ou au fonctionnement d'une installation existante. Cependant, la plupart des associations ne souhaitent pas rester prisonnières de cette opposition et font le choix de participer de manière critique et argumentée à un dialogue avec l'exploitant et l'administration, quand bien même elles contesteraient l'implantation ou l'existence de l'installation. La participation est un engagement à coopérer avec d'autres acteurs, et donc un refus d'une opposition de principe excluant le dialogue, mais le terrain de cette coopération est plus ou moins large, et la coopération ne vise pas nécessairement le consensus. La discussion dans un domaine (les conditions d'exploitation) ne prive pas les associations de mener la contestation sur d'autres domaines (contestation de la justification de l'exploitation)27. Dans le même temps, le dialogue reflète le fait que les parties en présence partagent un enjeu commun, fût-il réduit.

Lorsqu'une association considère l’exploitant d’une installation comme un acteur économique légitime important dans sa région, en dépit des impacts et des risques que celle-ci peut générer, elle conçoit généralement sa participation à la concertation comme une contribution à garantir le fonctionnement sûr et durable de l'installation, et à améliorer ses relations avec l'environnement. Dans les cas où

27 On les force à mettre en place des programmes pour que ça coûte cher, pour les faire sortir du nucléaire. On est convaincu que ça va se faire comme ça. Et les problèmes sont tellement grandissants qu'au niveau des élus, de la population, c'est intenable. C'est comme si j'étais sur une barque. Ma main gauche pagaye, et ma main droite essaye d'attraper une branche pour sortir de la barque. L'action au sein de la Commission de Surveillance n'empêche pas qu'il y ait un autre but.

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l'opposition est nette contre la présence d'une installation, les associations souhaitent dialoguer pour contribuer au fait que, tant qu'elle fonctionne, l'installation reste autant que possible sûre28.

Quel que soit l'enjeu, il importe pour les associations de réaliser une réelle contribution en élaborant une information et une compétence stratégiques qui leur offrent la possibilité d'exprimer un point de vue et de le faire valoir dans une discussion contradictoire avec l'exploitant et l'administration.

C - II.3 Le domaine de validité de la concertation

Les structures formelles de concertation comme les Commissions Locales d'Information ont souvent pour fonction de diffuser l'information sur une installation. La participation des associations à ces instances peut suggérer que le rôle qui leur est dévolu est de servir de relais à une communication technique sur le fonctionnement et les impacts de l'installation vers le public. Les associations peuvent même craindre que la concertation soit assimilée à une cogestion des équipements techniques et à un partage de la responsabilité pour les risques. La conception de la concertation qu'elles font valoir veut marquer une coupure avec cette vision.

L'enjeu pour les associations dans leur majorité n'est pas de recevoir l'information de manière passive ni de valider les options de gestion des exploitants et les modalités de contrôle de l'administration29. Les associations se situent dans une perspective de contributeur autonome ausuivi, plus que de partenariat. En matière d'information, il s'agit d'exercer un droit à savoir ce qui se passe dans l'installation et dans l'environnement au-delà de ce que peuvent en dire les communications officielles. En ce qui concerne la participation et la décision, l'enjeu n'est pas d'accompagner la décision de l'exploitant et de l'administration ou d'aboutir à une prise de décision consensuelle qui engage tous les participants, mais il est d'influencer des décisions qui ont un impact local, en laissant à l'exploitant et l'administration la responsabilité ultime du choix qui sera pris. La participation est un moyen de vigilance, d'action et de suivi pour faire évoluer une situation, s'imposer comme un acteur incontournable dont les avis sont pertinents et importants. Cependant elle ne remet pas en cause les responsabilités des acteurs en présence dans la décision, mais amène à reconsidérer leur rôle respectif dans le processus qui prépare la décision.

28 Si la centrale fonctionne, c'est grâce à nous et à quelques élus. EDF a été obligé d'investir à ce point-là, dans l'intérêt des gens qui travaillent dans la centrale et des gens qui vivent autour d'elle. Notre fonction de contrôle a marché. 29 Nous ne sommes pas intéressés par l'information. Nous n'avons aucune envie d'être la courroie de transmission. Ce qui ne veut pas dire que les Commissions n'ont pas lieu d'exister. En 1977, date de création de la Commission, ça a été une commission de surveillance. Pour eux, c'est une commission d'information, c'est ce qui se passe ailleurs. C'est ce qu'essaye encore de faire EDF. Dès qu'il y a un accident, EDF demande à la Commission de diffuser l'information, de communiquer dessus.

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C - III. L'IMPACT DES INSTALLATIONS SUR LA QUALITE DE VIE

L'enquête a été réalisée auprès de personnes du mouvement associatif vivant dans l'environnement d'un site industriel nucléaire ou non nucléaire. L'expérience de ces personnes est généralement marquée par une phase de prise de conscience de l'impact que l'installation ou le projet d'installation peut avoir sur leur environnement. Cette prise de conscience est souvent accompagnée d'une inquiétude plus ou moins vive, d'une volonté de savoir, ou tout du moins de sortir de l'indifférence. Cette expérience est à l'origine d'une volonté d'agir qui s'est heurtée à un dispositif de régulation et de contrôle dont ces personnes se sentent totalement exclues. Bien souvent leur implication ne s'est concrétisée qu'après une période plus ou moins longue de colère, de crainte ou d'impuissance devant un système vécu comme opaque, voire oppressant.

Ces sentiments naissent d'abord des inquiétudes que suscitent les rejets dans l'environnement ou les risques d'accident. Les poussières d'une aciérie, la mousse de la rivière en aval d'une papeterie, la dispersion invisible de radioéléments dans les cours d'eau et l'atmosphère catalysent des interrogations sur la santé des riverains, plus particulièrement celle des enfants. L'exploitation d'une industrie sur la longue durée soulève des questions sur l'accumulation de polluants dans l'environnement, et sur l'avenir et sur l'impact à long terme de l'installation en cause. La maladie éveille ou semble confirmer des soupçons : les problèmes respiratoires des enfants, leur taille, en moyenne plus petite qu'ailleurs, ne sont-ils pas la conséquence directe de la pollution atmosphérique autour de l'aciérie?30 Les cas de thyroïde dans ce secteur n'auraient-ils pas quelque relation avec la centrale? 31 Le décès de plusieurs membres d'un même service au sein d'une papeterie n'aurait-il pas une origine professionnelle? 32 De la même manière, les interruptions fréquentes d'une centrale ou un dernier incident font craindre des défauts de sûreté, et semblent la prémonition d'un accident.

Ces inquiétudes sont renforcées par le cloisonnement entre l'installation et son environnement. Quand bien même des proches y travailleraient, le fonctionnement de l'installation reste opaque, et les risques inconnus. Le secret semble peser sur ce qui se passe à l'intérieur. La discussion sur les rejets n'est pas abordée publiquement. Ce qui est perçu comme un déni du risque est d'autant plus lourd à supporter pour certains qu'il semble entretenu par l'ensemble de la communauté locale, pour laquelle l'installation est avant tout un important pourvoyeur d'emplois33/34, et la question des rejets 30 Les taux de cancer les plus élevés, on les trouve sur notre littoral, les premiers au monde sur les cancers des voies aéro-digestives supérieures. Il y a la bouffe, les cigarettes, certes. Mais il y a une part liée à l'environnement. Il y a des gens sinistrés par l'environnement. Il y a des femmes qui ramassent tous les soirs de la poussière. L'aciérie rejette 12000 tonnes de dioxyde de soufre/an. La raffinerie rejette 8000 tonnes.(…) C'est complexe. Comment déterminer que c'est dû à la pollution atmosphérique? Plus on s'éloigne de la zone industrielle, plus les enfants ont un niveau respiratoire correct. Plus on s'éloigne de la zone industrielle, plus les enfants sont grands. Que faire de ça? 31 Je connais trois femmes dans ma rue qui ont des problèmes de thyroïde. Il y a un nombre de femmes qui perdent 1 ou 2 enfants avant d'en avoir un. C'est une question que je souhaite poser. 32 Mon mari travaillait à l’usine. En 1972 il a fait une première hémorragie, puis une deuxième : il a été opéré, il a eu une ablation des 3/4 de son estomac. Quelques années après, il a eu anévrisme à l’aorte. Il n’était pas le seul. Dans son service, 8 sont décédés dans la même année. Cela n’a pas été reconnu. Beaucoup avaient des problèmes de foie, de pancréas. On m’a dit : faites une autopsie. Mon médecin, lui, m’a dit : “ Laissez ça. ” Un autre médecin a voulu alerter la population. Il y a eu des problèmes pulmonaires, de thyroïde. C’est la région où il y a le plus d’opérations de thyroïde. 33 Ici, il y a des gens qui ont dit à un président d'une association d'arrêter parce que cela allait supprimer des emplois en provoquant la fermeture de l'aciérie. 34 On attendait pour la première fois que cette entreprise soit mise devant ses responsabilités. C'était le chantage à l'emploi. Il y avait près de 1000 employés. Automatiquement, c'est un argument qui portait. Tout le monde décriait les nuisances. Il y a un festival international de folklore ici. Quand les festivaliers voyaient la surface de la rivière, c'était un élément… Même les pêcheurs, il n'était plus question de pêcher. Avant c'était une rivière à écrevisses. Tout le monde montrait du doigt cette entreprise, mais personne n'osait.

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environnementaux soulève des angoisses liées à la maladie ou à la mort, particulièrement fortes dans le domaine nucléaire35/36.

Face à ces inquiétudes et ce silence, les personnes interrogées se sentent souvent isolées et démunies. Selon elles, l'administration ou les élus locaux constituent rarement un appui. Au contraire, ceux-ci sont parfois perçus comme faisant corps avec l'installation, comme s'il existait une connivence entre les experts et l'industriel37, ou entre les élus et l'employeur. En s'élargissant aux sphères administratives et politiques, l'environnement industriel prend une dimension monolithique accrue. Il ne semble pas y avoir d'espace pour questionner ou discuter de l'installation38/39.

L'information sur l'installation existe pourtant. L'exploitant publie des brochures qui renseignent les riverains des caractéristiques de l'installation et de son fonctionnement ou fait des communications dans le cadre de commissions paritaires. Cependant ces informations ne semblent pas répondre aux questions que se pose la population et donnent le sentiment de tromper ou de cacher des données importantes40. Envisagée uniquement du point de vue de la conformité aux normes, une information sur la pollution atmosphérique ne dira rien sur le taux préoccupant de poussières qui couvrent chaque jour les tables de jardin près de l'aciérie ou noircissent les serpillères à chaque lavage41. Ces efforts de communication semblent parfois déplacés, et ils sont d'autant moins appréciés qu'ils sont financés par des structures d'information paritaires dont il est attendu qu'elles contribuent à répondre aux questions du public42. Cette participation des instances de concertation à la "publicité" de l'installation renforce encore le sentiment d'impuissance face à un environnement administratif, politique et industriel ressenti comme monolithique. Dans certains contextes de dispositif de contrôle est ressenti comme

35 On soutenait à fond le travail de Viel, c'était évident. Il a soulevé un tabou hyperviolent, celui de la maladie. C'était irrecevable pour les gens. On a parlé surtout de l'image du coin, du tourisme, ce n'était qu'un prétexte. Les choses plus profondes, c'est ça qui a été révélé. 36 Quand je suis arrivée, on avait des discussions au coin du feu avec les gens d'ici. Je leur demandais : '"Ca ne vous inquiète pas?" Ils disaient :"On ne peut rien faire. Il vaut mieux ne pas en parler. Ca évite d'être inquiets. On ne sait pas." Ils n'aimaient pas que quelqu'un de l'extérieur s'inquiéte à leur place. 37 Le Dr X a été invité par la Commission Santé de la CLI pour exposer le problème. On a fait un document avant tout cela. On a fait un dossier sur les amibes pour montrer comment les choses s'enclenchent, les conflits d'intérêt. Ce Dr explique comment fonctionnent les amibes. Il dit qu'il ne faut pas créer de problèmes de santé publique quand il n'y en a pas. Mais il a des thésards. L'idée c'est de caser ses thésards et de travailler pour EDF. Comment voulez-vous que les gens soient objectifs? Le professeur s'est bien garder de donner la mesure du problème. Ca aurait pu porter préjudice à l'affaire. Son jugement n'est plus indépendant, il est mesuré. Ensuite il y a un jeu d'alliance entre ce type et EDF. 38 La CLI a-t-elle demandé des études?

Des études ont été demandées par la DDASS. On a demandé, et on a fait un recours contre les rejets biologiques de la centrale. Cela dure depuis deux ans. Le Tribunal a réussi à renvoyer le dossier au Tribunal Administratif d'ici, au bout de deux ans. Voilà comment on nous traîne, on fait trainer les choses pour qu'on abandonne de guerre lasse. Au ministère de l'environnement, au ministère de l'industrie, on est très mal informé. L'information n'arrive pas à parvenir. 39 Citez une seule occasion où les députés ont eu à voter au niveau nucléaire. Nous sommes dans la commission de la même façon que les députés sur les bancs du Parlement qui ne sont pas amenés à voter. 40 Actuellement l'installation nucléaire choisit ses radionucléides pour les mesurer. La totalité de ceux envoyés dans l'air, personne n'en a aucune idée. Avant de parler de l'impact de la centrale sur l'environnement, il faudrait que l'on sache ce qu'elle émet. L'installation ne sait toujours pas. Vingt ans après elle n'est pas à même de dire quels radiuonucléides et en quelle quantité elle rejette. Et il y en a qui ont une durée de plus de 5000 ans. Les rejets d'iode ne sont jamais indiqués. 41 Il n'y avait pas de données officielles sur les poussières déposées. Les données officielles étaient sur les poussières en suspension, celles que l'on ne voit pas. 42 On ne nous raconte toujours qu'une version. On a du mal à les croire. Il y a un décalage technique de connaissance, mais aussi financier. On avait demandé une étude des sols. A 15 km d'ici, ce serait plus pollué qu'ici. Comment voulez-vous le croire? On n'a pas d'argent. Ca, les brochures qu'ils diffusent, c'est notre argent.

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opaque au point que les structures officiellement chargées de communiquer l'information, comme les CLI, sont inconnues de la population43. Les informations sont jugées rares et insuffisantes44.

Les opportunités de concertation que présente la réglementation ne semblent pas permettre de dépasser ce cloisonnement entre industriels, administration et élus d'un côté et populations de l'autre. Elles deviennent même le symptôme de cette coupure. L'enquête publique qui offre à l'avis du citoyen un projet "bouclé" est vécue comme un simulacre de consultation. Le dossier d'enquête ne dévoile pas les tenants et les aboutissants du projet. Les acteurs concernés ont l'impression que leur avis leur est demandé bien tard, alors que le projet est déjà défini et que les jeux sont déjà faits45. La crédibilité même de l'enquête semble mise en doute par le fait qu'une nouvelle procédure d'enquête devrait être engagée si un projet devait être modifié au vu des remarques émises au cours de l'enquête publique46.

La participation à la procédure d'enquête publique donne une impression de dissymétrie. La lecture du dossier est difficile et requiert à la fois du temps et des compétences techniques importantes. Les éléments présentés offrent un aspect lisse et se prêtent peu au questionnement. Le dialogue en direct mené dans certaines instances de concertation laisse le sentiment de ne pas être écouté, ni parfois reconnu47. Les structures paritaires semblent faire deux poids deux mesures pour les exploitants et les riverains48. Le citoyen se trouve bien peu préparé à discuter avec des exploitants et des administrations 43 Quand est survenue l'enquête publique sur les autorisations de rejets, on est intervenu. On a écrit. On exprimait l'envie très nette de pouvoir faire partie, sans savoir ce qu'il y a, d'une commission qui pourrait nous donner des informations réelles, bien établies. Il doit y avoir quelque chose là-bas, mais c'est un peu confidentiel. Peut-être y a t-il une CLI, je ne sais pas. On n'en entend jamais parler. 44 J'ai été convié à une réunion d'information sur le Mox. Ce qu'ils présentent, c'est ce qu'ils veulent bien présenter. Comme conseiller municipal, c'était la seule information sur la centrale en 25 ans.(…) Notre problème, c'est que la centrale est là, c'est un énorme machin, et après tout, on ne sait rien, on ne sait pas quand va s'arrêter tel ou tel truc. On sait mal. Je suis scientifique. Quand on me parle de radiations, j'aime bien voir de quoi il s'agit. 45 Novartis a eu des variétés autorisées comme transgène. Normalement Novartis ne devait pas semer avant l'autorisation préfectorale qui devait intervenir au mois d'août. Novartis a fait semer en mai. Le Préfet a dit que ce n'était pas un essai. Ils ont anticipé une décision qu'ils connaissaient. 46 Quand on arrive à l'enquête publique, on est à un point où il n'y a plus rien à discuter dans l'esprit du promoteur. Ca ferme. L'enquête publique, les gens disent que ça ne sert à rien. Ils n'ont pas tort. Même si l'avis de l'Inspecteur est défavorable, on sait que le projet ne sera pas nécessairement abandonné. On n'accepte pas une modification, un refus. Ça arrive mais c'est mineur. Sur un plan règlementaire, si la modification est importante, l'enquête doit être recommencée. 47 Depuis 1992, depuis le démarrage du Secrétariat Permanent de Prévention des Problèmes Industriels (SPPPI), j'ai dit qu'il serait important de mesurer les effets des cumuls des polluants sur la santé. Cette année, ils ont compris que j'ai compris qu'on ne pouvait pas mesurer tous les polluants. Je demandais qu'une étude soit faite sur l'effet des mélanges des polluants. On me répondait – on ne sait pas faire, les scientifiques ne savaient pas faire. Un jour on m'a dit – cela s'appelle la synergie. Une Doctoresse a dit la même chose que moi et on lui a répondu : ça on peut faire. Pour les odeurs, ils ont mobilisé des financements, avec l'Université de Rennes. "Les végétaux et la pollution atmosphérique", ça ils peuvent faire. Mais pour les humains et la pollution, non.

La doctoresse qui est intervenue a dit qu'elle pouvait faire l'analyse sur les principaux polluants, sur les plus captables. Elle a sorti pour chaque gaz émis, ou produit, les effets qu'ils peuvent produire, et la toxicité. Des fois, elle disait que si c'était mélangé à 2 ou 3, cela avait des effets différents. Là, vous avez un exemple parfait de comment ils se sont foutus de notre tête pendant 10 ans. C'est dans des bouquins de santé, c'est de la littérature publique. Elle vous donnait les chiffres en cas d'intoxication accidentelle et en situation chronique. Lisez toute la littérature, on parle de tabac, d'alcool, de conduite addictive. Mais de pollution, de cadre de vie, seuls quelques scientifiques en ont le courage. 48 Il y a un décalage au niveau du temps passé, du langage. Souvent ils en jouent. Eux savent plus qui sont les gens des associations que l'inverse. On connaît les gens quand ils font une intervention prévue. Sinon, ils n'interviennent pas. Ils font des interventions longues. Il n'y a pas d'échanges. Eux, ils ont le temps de préparer. On ne sait pas à l'avance qui va parler. On ne peut parler que dans la discussion. On ne peut pas se préparer, se concerter entre nous. On ne peut pas suivre. On a du mal à être alliés. Souvent les intérêts sont tellement opposés. Eux, les industriels ne font que ce qu'ils sont obligés de faire. Et l'amende, c'est dérisoire.

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qui ont le moyen et le temps d'étudier et discuter les dossiers. Enfin le dialogue est parfois l'occasion de constater que ce sont deux mondes différents qui se côtoient et que leurs préoccupations sont bien éloignées les unes des autres49. Paradoxalement du point de vue des associations la multiplication des instances de concertation semble remettre en question la crédibilité des démarches de dialogue50.

La participation à la concertation peut même sembler bien illusoire et hasardeuse. Les avis exprimés dans le cadre de l'enquête publique sont la plupart du temps sans suite. Le désarroi est complet lorsqu' une enquête largement défavorable se conclut par une autorisation du projet. Dans ces circonstances, les citoyens sont désemparés. Ils ressentent un manque de confiance en soi51, et craignent d'être incompétents sur des sujets qui les concernent quotidiennement, mais les dépassent souvent sur le plan technique. Il en résulte une peur d'agir, un sentiment d'impuissance et de fatalité52/53. Les actions qui peuvent être entreprises semblent vaines54. Au doute sur leur efficacité succède parfois le découragement, teinté d'un sentiment d'injustice ou de colère.

Dans les contextes où les préoccupations environnementales de certains acteurs sont particulièrement fortes (installations nucléaires, grand site indutriel), l'impact sur l'environnement, parce qu'il s'accompagne d'un sentiment d'impuissance, contribue fortement à miner la qualité de vie des riverains55. Lorsqu'aucune amélioration n'est perceptible, partir est une solution attrayante pour échapper à cette situation où les problèmes environnementaux ne semblent devoir que s'accumuler56 et être subis passivement. Le choix de rester n'est compatible avec un maintien de la qualité de vie que si cette impuissance est dépassée. Pour pouvoir continuer à vivre dans le voisinage d'industries à risques, il apparaît nécessaire de s'engager et de reprendre la maîtrise de son environnement.57/58 L'implication

49 Moi, cela fait plusieurs années que je fais partie du SPPPI. Ca me fait le sentiment qu'ils jouent aux apprentis sorciers. Leur réponse souvent, c'est : on ne sait pas trop.(…) On est dans un décalage d'échelle. Quand je vais à la Commission Pollution de l'Air, je suis étonnée de la tranquillité avec laquelle ils lisent les chiffres. 33 000 t/an de SO2, ça fait 3300 camions. 44 000 tonnes en 1990. 50 En France, vous avez une profusion de création de commissions de contrôle. C'est un problème. En étant critique, on pourrait dire que c'est un moyen facile d'occuper les associations, d'occuper les "remuants", sachant qu'en termes de ressources c'est difficile pour elles. 51 Pour être prêt à dialoguer il y a des gens qui ont peur, parce qu'ils n'ont pas assez d'infos ou de compétences, ou de collégial. Il y a une part de risques quand on se prête à ce jeu-là. 52 Ce sont souvent des actions de longue haleine, c'est difficile. Il y a une force d'inertie en face. "Ca sert à rien. On va perdre notre temps. Qu'est-ce que ça va changer? On est quand même obligé de vivre là." C'est ce que les gens nous disent. 53 On n'avait aucun moyen d’action pendant les années 80. Ne pouvant même pas agir au niveau de la municipalité, on ne pensait pas aller voir le directeur de l’usine. De l’autre côté c’est un potentiel d’emploi important. 54 C'est une usine catastrophique. Ils font des colorants pour les vêtements. Il y avait eu 30 PV à la sortie de l'usine par les pêcheurs, la DDASS, la DRIRE. Nous, on avait porté plainte aussi. Le Préfet nous a dit : c'est 150 emplois. Il ne faisait rien. 18 mois avant l'accident, il y avait eu une mise en demeure du Préfet de modifier l'installation. 55 Mon dernier enfant a un an. J'ai 36 ans. A 20 ans la question s'est posée d'où j'allais vivre. Mes parents habitaient ici. En 1997, on a failli déménager. On avait un restaurant. On a supprimé les fruits de mer. C'est difficile de faire la promotion d'un produit contaminé. Il y a des gens qui sont partis. Ce n'est pas l'exode. Des gens proches, des enseignants. Dans l'année 1997, beaucoup de foyers se sont posé la question. 56 Oui, il y en a de plus en plus de rejets dans les sédiments, sur les plages. Il y a un effet de stockage. Il y a un moment donné, on dit qu'il faut que ça s'arrête, il faut faire en sorte qu'il y ait moins de rejets. 57 Oui, c'est un choix de vivre ici. On décide de rester mais on se bat. C'est une manière de se donner bonne conscience. Contribuer à ce qu'il y ait des restrictions qui soient données à l'usine. 58 La question : comment on vit là? C'est fort. Les questions de Viel on les a ressenties plus, plus, plus. Chacun se débrouille avec ce qu'il est. Si on milite, c'est une condition de bien-vivre, de mieux vivre ici. Ce n'est pas forcément connaître l'état de l'environnement, sur notre santé. C'est difficile d'avoir des réponses. Il y aura toujours des incertitudes. C'est vrai qu'on trouve des choses. On sait qu'il y a accumulation des faibles doses.

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trouve ainsi sa justification dans le fait de vivre là, au moment présent, mais également dans le souci de l'avenir et du bien-être des enfants59/60/61. A défaut de rétablir un état ante, cet engagement semble déterminant pour contenir la détérioration de la qualité de vie62. En définitive, dans les cas les plus marqués, c'est dans la colère contre cet environnement subi et opaque que des citoyens trouvent la force de dépasser le sentiment d'impuissance qui les accable et de mobiliser ou créer un collectif ou une association63. Toutefois, cette dimension de qualité de vie apparaît comme une préoccupation transversale à toutes les associations64 et s'exprime aussi clairement dans des contextes où les nuisances ne remettent pas en cause la cohabitation avec une installation.

Chez nous comme chez tout le monde, ça soulève des inquiétudes. Tout le monde se débrouille. On vit là. On vit avec nos contradictions. On vivait là avant l'usine. L'usine est née dans le mensonge. Elle s'étonne qu'il n'y ait pas d'adhésion totale. Economique oui, mais pas morale.

On est ici. Et on se bat pour vivre ici, pour connaître la vérité. Je n'ai pas envie de partir d'ici. Je suis né ici. Rester ici, je vivrai mal de vivre ici, et de ne pas savoir ce qui se passe. De me battre, de savoir un peu de vérité, ça me fait du bien. Quelque part aussi, partir, c'est laisser faire les choses. Malgré tout, il faut de la résistance. Si l'association n'avait pas existé… Quand on a amené une connaissance scientifique, ça les a amené à faire attention à ce qu'ils faisaient. 59 Je n'ai pas de profession. Moi, je ne demanderais pas mieux que d'y rester à ma maison, plutôt que de militer dans une association. C'est une obligation pour mes enfants, mais il faut se battre. 60 Je suis attaché à cette région, mais j'ai envie que mes enfants ne me fassent pas de reproches. 61 Si on veut que nos enfants vivent là, il faut que ce soit dans de bonnes conditions. 62 On se dit que s'il n'y avait personne pour tirer la sonnette d'alarme, ça serait peut-être pire. J'ai toujours ce genre de préoccupations. 63 Au niveau chronologique, notre collectif s'est créé très rapidement suite à la publication de l'étude de Viel en février 1997. Il y a eu un gros article dans Libération, repris le lendemain dans la Presse de la Manche. Le commentaire de la Cogema a été : "absurde". C'est ce mot qui nous a fait bondir. C'est une réaction instinctive. Une copine sur le parking de l'école m'a dit : "Tu as lu le journal?" On était en colère. L'usine est là depuis une trentaine d'années. A l'origine, on nous avait dit qu'on allait construire une usine de casseroles. 64 Nous, ce que l'on souhaitait, c'était abandonner le chlore pour des raisons de sécurité. Il y avait la qualité de l'eau. On espérait pouvoir se baigner dans la rivière. Il y avait pas mal de produits, de sous-produits qui pouvaient polluer l'eau. En aval, il y avait des communes qui pompaient pour en faire de l'eau potable.

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C - IV. UN PROCESSUS D'IMPLICATION DANS LE PROCESSUS DECISIONNEL

C - IV.1 Les conditions d'une action collective

L'implication durable et effective de certains acteurs locaux dans le suivi d'une installation industrielle est rendue favorable par un ensemble de facteurs qui préexistent ou sont construits progressivement au cours du processus de concertation.

Le militantisme Nombre d'associations ou de collectifs comptent parmi leurs membres des militants de longue date. Ils envisagent leur engagement comme une action citoyenne qui n'est pas limitée aux questions environnementales. Au moment de l'enquête, plusieurs d'entre eux s'étaient mobilisés dans la discussion sur l'avenir de leur hôpital, dans le cadre des schémas régionaux d'organisation sanitaire. Nombreux étaient ceux qui avaient manifesté, avec réussite ou non, contre l'implantation d'une installation nucléaire dans leur région.

Une des forces d'action des associations tient à la solidarité et l'esprit de convivialité qui unit leurs membres. Tout en traitant de sujets graves, les réunions sont l'occasion de se revoir, de se donner des nouvelles, et parfois de faire la fête65/66. Les associatifs insistent sur le fait qu'ils partagent un même attachement à un territoire, et une même vision du vivre ensemble qui consiste à participer aux décisions qui les concernent.

Le fonctionnement en réseau Par ailleurs les collectifs et associations sont presque toujours reliés entre eux dans un réseau large qui déborde l'espace de la région, voire même le territoire national67. Ce réseau est déterminant pour s'informer, se former et également pour mener des actions. Les objectifs et le rôle des associations diffèrent beaucoup entre les niveaux local, départemental/régional et national et sont complémentaires68. La relation de proximité qui relie une association locale à une usine, la permanence de ses adhérents sur le territoire, lui donne des atouts importants pour construire une compétence concernant l'environnement local, ses points de fragilité, son suivi, le suivi de l'installation industrielle et de ses impacts. Cette proximité lui permet aussi d'être très réactive par rapport aux événements liés au fonctionnement de l'installation. Une association de niveau régional ou national 65 Oui, il y a des tempéraments joyeux dans le groupe. Nos réunions ne sont pas chiantes. Ceci dit, ça peut passer du rire aux larmes. Il y a des inquiétudes. Ce n'est pas universel. Le nucléaire c'est quelque chose où plus on avance, plus on se dit : on est des gros niais. De toute façon, on a un tel passif de mensonges, de tricheries qu'on leur en voudra toujours. Les filles qui sont nées ici, elles auront toujours ça sur le cœur. 66 On a travaillé aussi pour l'Agence de l'eau, le marin. Ils s'apercevaient que le pollueur doit payer, mais pas le nucléaire. Ils voulaient faire un bilan. Pour cette étude, on a fait de grosses campagnes avec nos militants. En lien avec l'équipe du laboratoire qui descend. Nous, on s'occupe de la logistique, hébergement, coup de main. Nous nourrissons. Tout ça, c'est aussi fait de lien. On fait la fête. 67 Nous avons un pied sur chaque rive du Rhin. C'est un avantage, peu importe le pays où on se trouve, on a un temps d'avance. On sait ce qui se passe en Allemagne, l'administration française ne le sait pas encore. Et inversement.(…) Il y a un point que l'on n'a pas assez soulevé. C'est l'élément transfrontalier. Il y a un contexte qui fait qu'on se sent épaulé. On peut avoir de l'appui, des exemples. Il y a un contexte spécial. Je ne parle pas par chauvinisme allemand. On dit souvent : faites 20 km vers l'Est et ça se passe très différemment. 68 La création de notre association au niveau local est liée à celle de la Fédération au niveau du département. On s’est créé en même temps localement et régionalement. Ca nous paraissait un bon moyen de fonctionner. C’est un système pyramidal important. Le local regroupe des forces vives qui peuvent suivre les problèmes locaux. Société mycologique, société naturaliste, eux ont une vision sur l’ensemble de la région. Le principe est de regrouper les associations locales, les associations naturalistes et les groupements de défense.

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dispose de capacités d'expertise qui sont utiles pour analyser les dossiers, mener des actions juridiques, et éventuellement former les associatifs locaux. Les structures régionales apprennent beaucoup du terrain par les retours d'expérience qu'elles reçoivent des nombreuses associations locales qu'elles peuvent suivre69.

L'inscription dans le temps et l'espace Le mouvement associatif a notamment pour caractéristique de s'inscrire dans la durée et dans l'espace. Ses membres se relaient de génération en génération. Il n'est pas rare de retrouver dans les rangs d'un collectif, le fils ou la fille d'un "ancien", fondateur de l'organisation. Ils sont présents ainsi de façon continue sur un territoire qu'ils connaissent bien sous ses divers aspects écologiques, politiques, administratifs ou économiques. Cette présence dans la durée permet d'acquérir des compétences qui deviennent vite déterminantes dans l'exercice des missions associatives70. Il s'agit de compétences générales qui ont à voir avec la connaissance des acteurs politiques, économiques et administratifs, avec une pratique de la négociation, de la communication, du travail en réseau et des droits de recours du citoyen (recours administratifs, poursuites juridiques…). Plus spécifiquement, tout un savoir se constitue autour de l'installation, sur son équipement et son fonctionnement et ses effets sur l'environnement.

Les moyens d'action En mettant ces compétences au service de la concertation, les associations ont ainsi les moyens de s'imposer progressivement comme un acteur incontournable, et d'amener par leur ténacité71 à des évolutions. Néanmoins, il faut également en préalable qu'elles développent un accès à des informations stratégiques qui puissent nourrir leur action, et qu'elles identifient des moyens pratiques de produire une critique, et de faire porter ses fruits dans des espaces propices au changement.

C - IV.2 Les compétences associatives

L'ensemble des associations partagent la même ambition de participer au suivi des installations, et de contribuer, dans une certaine mesure, aux décisions qui concernent leur environnement. Pour exercer une réelle fonction critique, il est indispensable pour elles d'avoir une vraie place et une écoute en faisant valoir une compétence spécifique. La compétence qu'elles revendiquent est à la fois une compétence territoriale (donner un avis en tant que citoyen qui vit sur place), une compétence d'expert (apprendre et étudier les aspects techniques des dossiers) et une compétence stratégique (mettre à l'agenda de la collectivité les questions qui posent problème).

La compétence territoriale La compétence première que font valoir nombre d'associations est de pouvoir exercer une critique de sens commun, de citoyens profanes, mais concernés, sur des projets qui n'ont souvent été évalués 69 Elles nous apportent de l'information qu'on n'a pas ou pas au bon moment. On peut faciliter le dialogue d'un industriel avec des riverains. On ne pilote pas les associations locales. Ca peut être des avis divergents. Par contre, ils ont des infos qu'on n'a pas. Ca peut être des actions communes. 70 En filigrane, ce qui est est dans notre compétence, c'est la constance. Souvent un Préfet suit l'autre, le directeur de la centrale change aussi. Nous nous sommes encore les mêmes depuis le début. Pas tous dans leur intégralité, mais Jean-Paul et d'autres, ce sont toujours les mêmes. Ca donne de la compétence, on sait de quoi on parle. 71 Qu'est-ce qui fait qu'on a une pression même si on n'a pas le pouvoir? C'est la pression constante, l'assiduité et la position claire. On se retrouve souvent entre l'exploitant, associations et DRIRE. La position, elle est double : on l'a à l'intérieur dans la Commission, et à l'extérieur. Il n'y a pas d'élus dans notre association. C'est un élément supplémentaire. On n'a rien à défendre d'autres, pas d'échéances électorales. Nous sommes là avec nos interrogations. On est à la fois moteur et scrutateur.

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qu'au vu de leur stricte conformité aux textes réglementaires et à des critères techniques72. Le regard extérieur profane qu'elles portent sur l'usine peut faire ressortir des risques ou des questions pertinentes qui peuvent ne pas être identifiés par les experts institutionnels73. Ce regard particulier a l'avantage pour les collectifs de mettre en question les données officielles, de soulever des zones d'ombre ou des incertitudes qui ne peuvent rester sans réponse.

Cependant cette compétence peut être difficile à mettre en œuvre. Si le fonctionnement en réseau permet de bien coupler compétences techniques, profanes et autres, la crédibilité des acteurs associatifs locaux reste souvent mise en doute, et l'efficacité des questions qui dérangent peut s'avérer limitée74 .

La compétence technique Par ailleurs, les associations ont besoin de comprendre, ne serait-ce que dans les grandes lignes, les tenants et les aboutissants des projets ou des modes de fonctionnement des exploitations qu'ils suivent.

Cette compétence technique s'acquiert "sur le tas" avec le temps par une lecture attentive des dossiers, et de la littérature qu'il est possible de recueillir sur les questions abordées, par une fréquentation assidue des instances de concertation, dans le dialogue avec les experts présents dans le réseau associatif, ou même les échanges avec des experts de l'administration75/76.

Cette capacité à connaître les dossiers et à porter l'argument au cœur même des projets est fondamentale pour que l'action des acteurs locaux soit reconnue et efficace dans le dialogue avec l'administration et l'exploitant77.

72 On n'est pas des professionnels, mais on voit ça d'un œil candide. C'est toujours intéressant d'avoir un œil candide. Bien sûr il y a des gens plus ou moins compétents, mais on s'exprime comme un citoyen lambda. Les professionnels ne voient pas toujours tout. C'est justement parce que l'on n'est pas compétent partout qu'on peut voir quelque chose de plus. (…) On va chercher un dossier, on l'étudie, on le regarde, on prend des notes, on en discute entre nous. 73 Nous, notre position était liée à des situations vécues, ce qu'on pourrait appeler, peut-être pas du bon sens, ce serait prétentieux. On voyait les mousses, de l'eau sale. Mais on n'était pas compétent pour dire, faire les analyses. 74 Le décalage entre les techniciens-professionnels et les représentants d'habitants ou d'usagers comme nous. Il y a un deuxième décalage : le président de la Fédération est un scientifique, il a une certaine oreille des gens à qui il s'adresse. Moi, je dis la même chose, ils n'ont même pas compris ce que j'ai dit. (…)

Ici on sent bien qu'il y a des mauvaises odeurs, c'est un fait. Souvent, ils nous disent que ce n'est pas prouvé scientifiquement, ça met des années. Hélas, 5-10 ans après, on reprend ce que les habitants avaient dit. Ils avaient eu le tort de le dire trop tôt. 75 On sait lire, on s'informe, on a des gens spécialistes qui nous renvoient des dossiers. 76 Les informations, on s'attache à les faire circuler. La formation se fait de manière orale. Par étapes. L'Institut de Protection et de Sûreté Nucléaire nous a aidés. A chaque étape du Groupe Radioécologie Nord Cotentin, les rapports nous ont été expliqués. On a eu des heures. Il y a toutes les réunions de la Commission Spéciale et Permanente d'Information (CSPI), à force on se familiarise. La première réunion, c'était affreux. Il y a des réunions où il me faut du temps. Les sigles, j'avais énormément de mal. Les scientifiques ont fait l'effort de nous consacrer du temps. Il y a aussi par Greenpeace, un copain qui explique très bien. Il y a eu un travail de fond, de formation. On a pas mal de billes pour appréhender les choses.(…) On prend des notes, on prend le texte, on se colle, on échange – "Tu as compris, toi?" On s'est aperçu qu'on était obligé de s'intéresser aux données scientifiques. 77 Pour la connaissance, ce sont plutôt les réseaux qui fonctionnent. On a recours à France Nature Environnement. On trouve un ingénieur chimiste. Sur les OGM, il y a des retraités de l'INRA. Ils nous informent. Quand on va voir le Préfet, ça commence à l'embêter qu'on en sache plus que lui.

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La compétence stratégique Dans le même temps, la légitimité citoyenne ou technique des arguments élaborés par les associations ne va pas de soi. La compétence des associations repose encore sur une capacité à faire porter les informations critiques en leur possession dans les enceintes où elles peuvent être entendues et prises en compte par les pouvoirs publics ou les exploitants.

Il est important que la contribution d'une association au débat soit suffisamment argumentée. Cela suppose des associations un niveau d'implication et de dialogue suffisant pour démontrer par des arguments rationnels, valables d'un point de vue technique ou économique, les failles du dispositif industriel78. Les argumentations que sont amenées à développer les associations sont parfois complexes de par la nature des dossiers et des enjeux qui y sont liés. L'élaboration d'un point de vue a d'autant plus de chances d'être efficace qu'elle a été faite de manière collective en croisant les avis79.

Enfin il est indispensable de bien connaître le cadre politique, administratif et juridique dans lequel la critique est portée de manière à savoir quelles sont les opportunités qui se présentent pour faire valoir un argument (commission, enquête publique, tribunal…). L'expérience compte pour beaucoup dans ce domaine, mais les associations départementales ou régionales jouent un rôle important pour informer ou sensibiliser les associations locales sur les marges d'action dont elles disposent80.

Une action efficace des associations peut ainsi se représenter comme le résultat d'une mise en commun de ces compétences complémentaires (territoriale, technique, et stratégique), élaborées à différents niveaux. Un avis porte à la fois parce qu'il représente des préoccupations fondées sur une réalité locale, parce qu'il dit quelque chose sur les systèmes techniques et réglementaires existants et parce qu'il est prononcé par des hommes et des femmes dotés d'une expérience stratégique81. Mais certains acteurs locaux semblent démunis de compétences stratégiques soit que leur réseau fonctionne de façon insatisfaisante soit que leur parcours ne leur a pas donné suffisamment d'occasions de faire valoir leur compétence territoriale dans des enceintes de type commission locale d'information.

Une des plus fortes caractéristiques de la compétence des associations réside dans son inscription dans la durée et l'espace (voir en page 53) et la persévérance de son engagement. Les associatifs attendent une réaction à leur avis, et considèrent que les échanges doivent se poursuivre même lorsque des réponses leur ont été apportées. Le dialogue ne semble pas devoir s'arrêter dans la mesure où les questions que pose une installation à son environnement sont incessantes et continues82.

C - IV.3 L'information stratégique

Les exploitants doivent réglementairement diffuser certaines informations, et il existe dans certains cas des structures officielles d'information ou de suivi (CLI, SPPPI). L'administration dispose également 78 On n'est pas des "anti" de façon passionnelle. On cherche à construire une argumentation qui tienne la route. 79 Pour dialoguer il faut de la compétence : le dossier, on le connaît après. Il faut avoir assez de poids, un bon fonctionnement associatif, collégial. Il faut qu'il y ait de notre part, une réflexion collective. Sinon on peut faire comme les administrations ou les industriels à partir de quelqu'un de compétent. Une réflexion collective. Et puis on a tout le problème du mandatement. S'il y a un problème, il faut prendre le temps de consulter. Une personne seule se trompe. Ensemble, on se trompe moins. 80 Au niveau des assos locales, on leur dit comment ça fonctionne : l'enquête publique, les droits, les devoirs… On leur dit comment agir. Il faut jouer un rôle quand c'est le moment. 81 Ce sont les bénévoles qui siègent à ces commissions. On arrive à une réunion de commission avec un dossier préparé. Pour certains dossiers, on ne sait pas tout. C'est important d'avoir le point de vue des associations locales. Nos permanents, aussi, nous facilitent le travail. Moi, je peux y aller en posant des questions, on arrive en pouvant poser des questions, pour voter pour ou contre. Le travail a été préparé localement et par les permanents. Et les permanents font le relais avec le local. 82 On a trouvé du Pu 239 dans la mer. Il y a eu une enquête de menée. On a fait des études sur les moules. Moi, j'ai dit : "Ca ne me satisfait pas. Ca ne vient pas de la centrale, mais je veux savoir d'où ça vient." Ca vient ou de la Hague, ou de Sellafield.

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de documents qu'elle peut mettre à la disposition des associations sur leur demande. Cela étant, la documentation, même foisonnante, ne dit souvent rien aux associations sur ce qui se passe réellement dans l'installation. Les documents préparés pour les besoins de la communication n'apportent pas de réponses aux questions des riverains. Ils permettent éventuellement de soulever de nouvelles interrogations mais n'apportent d'éléments d'explication qu'aux problèmes qu'ils veulent bien aborder.

Ainsi, l'information ne semble à première vue pas faire défaut. Mais paradoxalement, certains renseignements demandés par les associations, parfois les plus simples, semblent ne pas pouvoir être diffusés.

Or le souci des associations n'est pas d'être informées unilatéralement, et d'apprendre de l'installation ce que l'opérateur ou l'administration veut bien en dire. Leur souci est de mettre à jour des renseignements sur les équipements, les techniques et les risques qui posent réellement question en termes de protection de l'environnement, de santé des populations et de sécurité ou de sûreté, et qui constituent matière à un questionnement aussi bien technique que réglementaire, et même éthique. L'objectif n'est pas d'avoir accès à toute l'information pour se rassurer, mais de questionner le système, de tester sa fiabilité et sa cohérence, de repérer les failles et de les exploiter83.

La possession de cette information stratégique est une bataille. Elle est aussi le moyen d'exercer un pouvoir sur l'installation en obligeant l'exploitant à reconnaître un éventuel problème et à écouter ce que les représentants associatifs ont à dire à son sujet. Elle contraint au minimum l'opérateur à s'expliquer, mais peut également initier un dialogue en faisant reconnaître l'association comme un interlocuteur légitime capable de poser des questions pertinentes sur l'installation.

83 Cette dynamique reste d'ailleurs bien dans la logique du combat d'athlètes et s'apparente à une culture de sûreté qui suppose "une attitude de remise en question systématique, un refus de se contenter des résultats acquis, un souci permanent de la perfection." (AIEA, Culture de sûreté, Rapport du groupe consultatif international pour la sûreté nucléaire, Collection Sécurité n°75-INSAG-4, Vienne, 1991page 5)

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Les sources de l'information stratégique De nombreux membres associatifs lisent chaque jour avec attention et constance la presse régionale pour repérer le moindre événement qui a trait à l'environnement, et aux installations, et constituer une documentation d'appui84.

Toutefois, les exploitants et l'administration restent les premiers détenteurs de l'information sur l'installation, et ses risques. Les demandes à leur intention sont constantes et amènent parfois à des discussions de longue haleine sur le caractère public de certaines données, et sur la notion de confidentialité85. Les obligations qui reposent sur les industriels en matière d'information sont limitées; en revanche, l'administration ne peut refuser de renseigner les citoyens sans motifs valables, et il n'est pas rare qu'un recours juridique à la CADA (Commission d'accès aux documents administratifs) soit engagé par des associatifs86.

Certaines structures comme les Comités Départementaux d'Hygiène ou les conseils municipaux87 sont des lieux stratégiques où il importe de siéger dans la mesure où les projets y sont présentés de manière détaillée et discutés pour avis pour la première fois avant l'enquête publique proprement dite. Les associations gardent ainsi une visibilité sur les projets qui émergent au niveau de leur territoire et peuvent préparer des actions en conséquence, dans le cadre de l'enquête publique ou dans un cadre plus informel, voire militant. D'autres documents, comme certaines enquêtes de recevabilité, sont intéressants à ce titre qu'ils donnent des clefs pour préparer une lecture critique du dossier88.

La majeure partie des associations s'inscrit dans un réseau local et national. Certaines sont organisées en fédération au niveau départemental, régional et national dans une des trois grandes structures environnementalistes ou consuméristes françaises (France Nature Environnement, UFC-Que Choisir, Consommation Cadre de Vie Logement). Au niveau local les associations se connaissent et échangent des informations mais aussi des compétences89/90. Une association qui a travaillé avec une papeterie 84 Militant, c'est un mot qui me gêne, mais que je définirais comme quelqu'un qui suit l'actualité au quotidien. On achète tous les jours les deux journaux locaux. On les dépouille, on a une documentation importante, on peut diffuser. Il faut une documentation. En étant leader, on peut diffuser cette information, s'il y a des documents, ça entretient, ça appuie. 85 La vérité ici elle se gagne. Elle n'est pas donnée. L'ANDRA donne des chiffres. Il y a des trous. Il faut se battre. Ils nous disent : "Ca, vous ne l'avez pas demandé. On vous l'aurait donné si vous l'aviez demandé." 86 Ce qui est envoyé à la DRIRE, on l'a aussi. C'est ouvert à tout le monde. Les résultats annuels sont accessibles. On a saisi à plusieurs reprises la CADA et on a toujours eu gain de cause. Les services de l'Etat ont bien compris. Ils jouent parfois la montre quand il y a des dates qui peuvent jouer sur des actions en justice. On passe un coup de fil à l'administration. On paye la photocopie. Il y a un tarif officiel. 87 Tout projet fait l'objet d'une demande de subvention. On a une dizaine de projets pour subvention qui passent en conseil municipal. Donc, on sait que là, il va y avoir quelque chose. On sait que tout cela est en train de se former. Nous avons obtenu des documents de travail sans trop de difficultés en amont.(…)

Quand je suis arrivé à la mairie, j'ai été frappé par des dossiers qui arrivaient bouclés. J'ai dit "Il faudrait qu'on ait des infos avant." Petit à petit ça a pris. On a les plans, les dossiers. J'en suis venu à faire venir en commission d'urbanisme les architectes. Je suis là, en tant qu'élu. Je suis parvenu à faire bouger l'urbanisme. On a mené la même action dans l'association. Elle peut aller à l'urbanisme et demander les plans. Les projets arrivent un an et demi avant ficelage pour leur subvention en conseil municipal. 88 Il y a eu un groupe d'experts sur la recevabilité de l'enquête. Ils ont émis des réserves sur les rejets chimiques. On a eu les conclusions. On les a eus avant à titre officieux. Ce rapport des experts devait être joint à l'enquête publique. On s'est aperçu qu'il n'y était pas. On a fait une conférence de presse. Il y a eu une pression, une intervention de la DRIRE, du Préfet. Là, on a servi à quelque chose. Le dossier, je ne sais pas qui peut le lire. Sur le contenu on ne peut pas influer. On était intéressé par l'enquête de recevabilité. Ca nous a permis de décrypter, mais par rapport à cette enquête publique, on ne peut rien dire. 89 On s'enrichit mutuellement à la Fédération. C'est un lieu d'échange. Dans notre association il y avait une copine du sud du département qui avait besoin d'un conseil, j'ai demandé à des copains de la Fédération qui étaient plus pointus de la contacter et ils l'ont aidée. L'échange entre nous amplifie la connaissance.

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sera sans surprise sollicitée par un collectif qui souhaite profiter de son expérience, par l'intermédiaire du réseau national ou régional. Dans le domaine nucléaire, la conception standard des centrales facilite l'échange des savoirs : lorsqu'un défaut est repéré sur une unité, les associations riveraines des centrales jumelles ne manqueront pas d'interroger EDF avec précision et arguments91. La communication devient plus efficace encore lorsque le réseau est matérialisé par l'Internet.

De manière plus informelle, beaucoup de renseignements sont divulgués par les riverains qui prennent directement connaissance des événements de l'installation92. Plus proche encore de l'installation sont ses employés qui communiquent de manière ouverte93 ou anonyme94/95 des données de premier intérêt, en prise avec la réalité du fonctionnement de l'entreprise.

Ces informations sur l'installation et son environnement peuvent contraindre l'exploitant à informer mieux, à expliquer ses activités, voire à écouter les avis des associations, mais cela nécessite en préalable qu'elles soient diffusées à la population et entendues publiquement. Pour cela les associatifs organisent des réunions, entretiennent des contacts avec la presse, publient un journal indépendant96 ou encore distribuent des tracts.

Parmi les informations stratégiques, les expertises indépendantes jouent un rôle primordial. Lorsque la transparence sur une installation est limitée ou que les données publiques ne suffisent pas, aux yeux du public, à rendre compte de l'état de l'environnement autour d'une installation, les associations peuvent souhaiter obtenir des données indépendantes. Le cas échéant, elles peuvent faire une demande en ce sens aux commissions de concertation. Néanmoins, ces études indépendantes restent ponctuelles. Les associations peuvent préférer s'investir elles-mêmes dans la production de données et constituer une base qui permette de rendre compte, sur le moyen terme, de l'évolution de l'impact environnemental d'une exploitation.

90 L'arrêté préfectoral, il y en a qui nous l'interprètent. Il y a des gens qui sont devenus des experts. L'association a sa propre capacité d'analyse. Sinon c'est le rôle de la Fédération départementale, on est professionnalisé, avec des salariés qui ont des compétences. Comparer avec d'autres arrêtés préfectoraux. C'est là que la compétence avec le réseau régional et national est importante. 91 EDF a fait des centrales identiques, c'est un avantage pour nous car quand il y a un problème quelque part, on leur demande.(…) On soulève des questions. La pollution de la nappe phréatique, il faut faire quelque chose, c'est EDF qui est obligé d'avouer, c'est connu sur le plan national. 92 On a des relais dans la ville. C'est eux qui nous disent : il se passe telle ou telle chose. Il n'y a pas d'intermédiaire entre la mairie et nous. 93 Il y a 700 ouvriers. On en connaît un certain nombre. Quelqu'un que l'on connaît bien, on lui demande ce qui se passe réellement. On arrive à savoir si la vie à l'intérieur de l'installation est conforme à ce que l'on dit en réunion. 94 Au moment de l'enquête publique pour la fermeture du site – il doit y avoir une veille pendant 300 ans, puis banalisation du site – ça a révolté des gens du site de l'ANDRA qui nous ont donné des informations. 95 Nos réseaux fonctionnent bien. Dans notre boîte aux lettres, on a régulièrement anonymement le compte-rendu de la médecine du travail. On a appris qu'ils avaient des bornes d'incendie mais que la pression n'était pas suffisante. Les citoyens ont eu peur, mais ils savent qu'il y a une adresse où on peut donner de l'information anonyme. Il y a une association locale juste à côté. C'est eux qui gèrent ça. 96 La presse ne joue pas son rôle d'information du public. Il n'y a pas de diffusion à l'extérieur sauf nos petits moyens. Notre journal est tiré à 450 exemplaires. Il y a 5 numéros par an. Vendu aux adhérents et abonnés. Et en kiosque, ça se vend bien.

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C - IV.4 La mesure locale autonome comme compétence et information stratégiques

A l'échelle locale, les associations apportent une connaissance du terrain déterminante pour produire une expertise autonome. Elles identifient les points de leur environnement qui, pour des raisons climatiques, topographiques ou en raison de leur usage (épandage), sont susceptibles de faire ressortir des risques qui ne sont pas pris en compte dans le réseau de mesures institutionnelles. Dans le même temps, elles mettent en avant dans leur environnement des éléments auxquelles elles accordent de l'importance et dont elles aimeraient savoir si la qualité est d'une manière ou d'une autre affectée par l'exploitation voisine. Elles mettent ainsi en relief une réalité du risque qui n'est pas nécessairement contenue dans sa définition technique et réglementaire.

Cette remise en cause de la représentation institutionnelle est double. D'une part, par les mesures qu'elles orientent ou réalisent par elles-mêmes, les associations interrogent la capacité des indicateurs officiels à rendre compte de manière représentative du risque dans sa dimension quantitative. Elles pointent des données importantes97 qui ne sont pas relevées par les indicateurs nécessairement réducteurs, choisis par l'administration ou l'exploitant; elles montrent ainsi que ces indicateurs peuvent passer à côté d'une réalité significative dont ils sont censés rendre compte. D'autre part, ces mesures révèlent une dimension de qualité de vie, en faisant reconnaître des nuisances qui ne sont pas réductibles à un chiffre rapporté à une norme : les poissons, l'eau, les plages ne sont pas uniquement des indicateurs abstraits mais représentent des éléments d'un cadre de vie, porteurs de valeurs sociales, économiques et culturelles; de la même manière, les odeurs restent difficilement objectivables, mais leur présence est avérée et un lien peut être établi avec les activités de l'usine.

Dans plusieurs cas les associations se limitent à orienter les prélèvements réalisés par l'administration98. Certaines associations ont mis elles-mêmes en place leur réseau de mesures. Suivant la complexité des impacts, suivant leur capacité à être objectivés par une mesure, le système de prélèvements est plus ou moins sophistiqué. Les nuisances que produisent les poussières d'une usine d'aciérie est si matérielle et envahissante qu'une simple table suffira à en faire état. La dispersion dans l'environnement de radioéléments est plus difficile à matérialiser et nécessite un équipement important et coûteux. De ce fait, la mise en place d'une expertise autonome nécessite parfois une coopération étroite entre associatifs locaux et associatifs experts, qu'ils appartiennent à la même association ou à des associations différentes. Dans l'interaction entre le niveau local (les adhérents de l'association, proches du site ou une association locale) et le niveau global (le siège de l'association ou une association de niveau départemental, régional ou national) se construisent la méthodologie et les protocoles de mesures pour combiner les exigences scientifiques et stratégiques. Il importe en effet que les mesures soient faites là où elles ont du sens pour les associatifs locaux, là où elles sont le plus susceptibles de questionner l'expertise institutionnelle, cependant elles doivent être réalisées en respectant au mieux les contraintes de production de données scientifiques.

Nous proposons dans les pages suivantes trois "histoires" d'expertise autonome qui rendent compte à la fois de la diversité des situations et des différents problèmes que rencontrent les associations dans ces démarches, et des difficultés communes qu'elles ont à faire reconnaître leur initiative :

- un réseau de "renifleurs" autour d'une papeterie

- un réseau de tables à poussières autour d'une aciérie

97 On avait trouvé un point important près d'un ruisseau qui passe sous l'exploitation. Ca a été un coup de chance. C'est lié au terrain. Ca dépend des sources, des poches d'eau, sous l'usine, de cassures de terrain. C'est un point avec 4000 becquerels. 98 La DDASS a accepté de contribuer à l'achat de matériel pour faire des mesures de SO2 dans l'air. Nous n'avons pas les moyens de faire des analyses. La DDASS s'est procuré le matériel pour. Nous donnions les indications : faire une prise à tel ou tel endroit. Il y a eu un laboratoire mobile. On demandait aux administrations de faire le boulot que l'on ne pouvait pas faire.

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- un laboratoire indépendant autour d'une installation nucléaire

Cette expertise autonome représente un mode d'action très efficace dans la mesure où les données recueillies parlent de manière concrète des rejets ou des nuisances de l'installation (qui sont objectivement mesurés) et répondent en même temps aux questions des riverains (qui guident l'objet de la mesure).

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Le réseau de "renifleurs" Pour les odeurs de la papeterie, on s'est dit au cours d'une réunion avec l'industriel : et si on mettait en place un réseau de renifleurs? On va demander à des personnes de bonne foi de remplir des fiches : à telle heure, y avait-il une odeur ou pas? On a créé un réseau avec un système de cartes préaffranchies, on a mis en place un réseau de renifleurs. Les gens cochaient : l'odeur, le vent, le jour,… Effectivement, les relevés ont été faits. On a été invité pour dépouiller les réponses. Pour l'usine, c'était important car les odeurs, ça ne s'analyse pas. Il y avait une fuite : ça venait bien de chez eux. Ils étaient parties prenantes. A l'usine, ils faisaient des relevés pour voir si ça correspondait. Dans une partie des cas il y avait corrélation. Ca a aussi permis de voir qu'il n'y avait pas que les odeurs de la papeterie en jeu. Il y a la décharge de la commune et d'autres décharges.

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La "table à poussières" Je suis président d'une association pour la protection du patrimoine et de l'environnement. Regardez, voici 6 g de poussières récupérés sur 1 m2 en 15 jours. Vous pouvez récupérer 1/3 de ça en une heure. Les paillettes argentées, c'est le décrassage, la fonte est transportée par des wagons. Les wagons sont décrassés, c'est transporté par la chaleur. Ce sont des poussières fines. Du fait de leur configuration plate, ça va loin. Il y a eu 17 pics de pollution comme cela l'année dernière. Les gens ont commencé à en avoir marre, principalement ceux qui ne travaillaient pas à l'aciérie. On ne peut pas aller dans le jardin, cultiver nos légumes, mettre le linge à sécher. On a récupéré les systèmes officiels : ça tombe dans un entonnoir et c'est emmené par la pluie. La DRIRE, OPALAIR, ils font ça une fois par an. Notre méthode, c'est tous les 10 jours. Avec la table à poussières on peut dire les pics de pollution que l'on a. Tout notre travail a été d'évaluer la nuisance qui n'était pas perçue. On a piégé l'incinérateur, il y avait du plomb et du mercure. Il y avait des pratiques inadmissibles : on jetait des poussières de 10 m de hauteur. Ils ne traitent pas leurs tas. On donnait ça à la presse. Ca a cartonné. Le lendemain, il y avait tout le monde au rapport à l'aciérie. Le grand intérêt c'est d'être prêt à filmer, à photographier. Tous ces phénomènes ont été montrés, indiqués, des photos des nuisances à l'appui. Ca ce sont des expositions que l'on organise. Les gens s'y retrouvent : on met des figurines de Barbie et plein de poussières. Quand les dames nettoient leur maison, le seau est tout noir.

L'association s'est créée en 1988. Il n'y avait pas de données officielles sur les poussières déposées. Les données officielles étaient sur les poussières en suspension, celles que l'on ne voit pas. L'ingénieur de la DRIRE à la Commission Air du Secrétariat Permanent de Prévention des Problèmes Industriels a dit : "Je vais vous présenter l'évolution de la pollution atmosphérique". J'ai sorti mes flacons :"Voilà mes cartouches de poussières, pour vous rappeler qu'on en reçoit toujours autant". Quand j'ai créé la table à poussières, je suis parti de ma table de jardin qui faisait presque 1 m2. On ne pouvait jamais manger dehors.

On apporte des choses réelles avec nos cartouches. Jamais, ils n'ont pu apporter la preuve du contraire. On a acquis une crédibilité. Au début on s'est moqué de nos données. C'était la première fois qu'une association apportait des faits réels. J'ai été rencontrer des gens à droite, à gauche – OPALAIR… On a fait des études, il y a des métaux lourds, c'est très toxique. Les poussières inférieures à 10 microns, on ne les voit pas. Ca part dans les poumons et dans le sang. On constate qu'il y a certaines informations : on est la région de France qui a le plus de cancers. On a fait une analyse. On a retrouvé du cadmium, on ne sait pas trop dire la synergie qu'il y a entre ces polluants. On a la chance que le président de notre fédération d'associations soit scientifique. Il interpelle les pouvoirs publics. Rechercher le plomb, ça coûte 300 F, mais le cadmium 3000 FF, la dioxine, 40 000 FF. Il y a 36 différentes sortes de dioxine : laquelle chercher? Cette étude a été faite. J'ai pris mon échantillon : voilà les polluants dont je voudrais vérifier la présence. J'ai eu un prix. Le labo a bien voulu le faire : ils m'ont demandé combien j'avais. Ils ont dit : OK, on va vous le faire. Ils ont donné différents polluants avec le pourcentage. C'est une analyse qui a été faite en 1996. Le problème c'est de faire avancer. Il a fallu une étude demandée par le gouvernement sur les incinérateurs pour savoir le taux de rejets de dioxine. On s'est aperçu que celui d'ici était le plus gros. Il a fermé. On savait aussi que l'aciérie en rejetait. On s'est retourné vers eux. On a des inquiétudes pour que la DRIRE se mette en place. Ils se mobilisent quand on le demande. On évalue à 200 le nombre de polluants, on en surveille 5-6.

Il y a un comité de surveillance et de suivi autour de l'aciérie. Il y a le sous-préfet, le directeur de l'aciérie. On voit ça plus en détail. L'aciérie a ISO 14000. Je leur demande ce qu'ils font, ils répondent. Mes échantillons, ça les embête. Je suis l'éternel insatisfait pour eux. Je présente des photos. Au début, on me disait que ce n'était pas scientifique. Un membre de l'Association pour la Prévention de la Pollution Atmosphérique (APPA), ancien président de l'APPA région Nord, a dit : "Je ne vois pas en quoi cette démarche n'est pas scientifique, elle en a toute la rigueur". Là, j'ai été reconnu officiellement.

La table est observée trois fois par jour. Je connais l'aciérie, ce qui se passe. Les plus dangereux, ce sont les rejets gazeux et non visibles. On n'a pas les moyens de suivre.

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On commence à voir les fruits de notre travail. Quand vous avez le directeur de l'aciérie qui vient personnellement chez vous : "J'ai 41 millions de francs à investir. Où voudriez-vous qu'on les investisse?" Je lui ai montré tous nos échantillons : "Voilà, tous les pics de pollution. Cela, c'est telle cheminée." On a des données officielles par Météo France, on sait d'où ça vient. Il m'a envoyé ses directeurs. Chacun est venu pour avoir le maximum d'investissement. "Ca, ça venait de chez vous." Il y a 41 millions de francs, investis sur la chaîne d'agglomération. Ca c'est tout à fait positif. Ils étaient sur des clivages, comme quoi les poussières étaient dues aux réenvols des tas et non aux émissions. On a prouvé que non.

C'est ma seule alliée, la vérité. Si vous trichez, tôt ou tard, vous allez vous faire prendre. Je préfère dire la vérité, même si elle n'est pas porteuse pour moi. Dans la concertation, quand on se retire, je le dis que c'est une erreur. Ca a été un plus, ces structures. L'intérêt de la vérité : on est respecté, on n'est pas pris à défaut. Quand je dis quelque chose, c'est écouté. La surface de ma table, 1 m2, c'est simple. Je l'ai dit, ça m'évite de faire des calculs. La formule américaine pour calculer les poussières fait deux lignes. Moi, je dis que je ne peux pas. J'ai été invité au CITEPA. J'ai montré aux Parisiens la réalité des poussières sidérurgiques. Les gens étaient sidérés.

Le mari de l'ancienne présidente de notre association est généraliste. On a écrit à l'ensemble des médecins du littoral. Il n'y en a que trois qui sont venus et des pharmaciens. Les deux pharmaciens de la ville ont dit : "D'accord, on suit trois pathologies : nez, gorge, yeux". Ca n'a pas pu se faire avec les médecins car ça leur demande trop de travail. Par contre les pharmaciens, s'ils vendent trois boîtes de ventoline, ils le voient. On leur a donné des feuilles mensuelles. C'est l'indicateur qu'on a choisi de suivre. Il y a eu une similitude entre le pic de pollution et la vente de ventoline. On fait l'étude depuis 5 ans. Il faut que je trouve le temps d'analyser.

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Les campagnes de mesures d'un laboratoire radiologique indépendant En 1986, il y a eu Tchernobyl, c'était criant qu'il fallait un contrôle indépendant. Ca a fait prendre vraiment conscience qu'il fallait contrôler quelque chose. Il y avait des initiatives de la CFDT, mais ils n'avaient pas les moyens. Il y a eu des gens qui ont lancé le mouvement, un financement de souscription de 100 personnes pour acheter un appareil. On a constitué un petit groupe.

On a fait jusqu'à 6 campagnes de prélèvements, des contrats avec les élus pour faire une vingtaine de prélèvements dans leur commune, pour faire un état partiel. On a des faibles moyens mais ce qu'on fait, on le fait bien. A un échelon individuel, les élus, ça va. Le district regroupe 19 communes autour de l'installation. On a bataillé pour que le district prenne en charge un contrôle. Ca n'a pas été possible. Ils étaient frileux politiquement. Il y a quinze communes qui nous subventionnaient, mais en session plénière, dans le district, ils nous refusaient des campagnes de prélèvement. Là, veto! Il y avait des moyens dans le district, on l'a beaucoup regretté. Le district trouvait ses fonds dans l'exploitation. Ils ne franchissaient pas la barrière.

La subvention, c'était 500 F, c'était dérisoire. C'était presque une manière d'adhérer à notre travail. Et une démarche plus impliquante consistait à dire :"On vous fait faire un travail pour connaître l'état de l'environnement". On a rencontré les gens du conseil municipal, des gens de terrain, on allait dans les fermes, on essayait de voir quel était le lieu le plus propice pour les prélèvements, la mousse, la terre… On leur envoyait les résultats. Certains maires les affichaient en bulletin municipal, ou les mettaient à la disposition du public. On déterminait les lieux de prélèvements en accord avec les personnes – deux personnes de chaque conseil municipal –, avec lesquelles on rencontrait les habitants de la commune, des fermes. Ca nécessitait un travail de liaison avec les scientifiques de notre laboratoire. On en était aux balbutiements. On est très pointu maintenant. Etre scientifique, il vaut mieux ça. Mais sur le terrain, c'est bon de connaître les sources dans le coin, de connaître les buttes, les lieux les plus élevés. C'est très important de connaître la direction des vents, la pluviométrie. Il y a une complémentarité entre les connaissances du laboratoire et les nôtres.

On fait nous-même notre surveillance, en complément de ce que nous demandent les uns les autres. On a dit : on va vers une surveillance des zones qui nous paraissent sensibles – en contrebas des vents dominants, Nord Ouest, et en contrebas de l'exploitation. On fait une surveillance mensuelle. On a fait des sondages dans les ruisseaux et les boues pour connaître les endroits où les résultats sont importants. On a identifié des points. Et tous les mois, on sait ce qu'il faut prendre, avec les détails topographiques, pluviométriques. On va dans les ruisseaux pour faire des prélèvements d'eau et de boue. Ca nous prend trois heures tous les mois. A l'antenne, le noyau dur, on est 5-6. Mais on peut tout de suite, sur les campagnes spécifiques, trouver une vingtaine de sympathisants.

L'autre exemple récent, c'est le problème soulevé par les travaux sur les rejets de l'installation. La Commission Locale nous a demandé de faire un suivi. Nous sommes intervenus pour faire des prélèvements: de la mousse, des algues, du sable. Ca demandait des campagnes d'urgence en fonction des marées. Ca demande des campagnes importantes sur plusieurs points dans un moment donné. On peut mobiliser une quinzaine de personnes. Ce sont des gens qui nous suivent dans les réunions publiques. Ils ne veulent pas forcément donner plus.

On a fait un travail auprès des professionnels de la pêche. On les a contactés pour connaître leurs habitudes de pêche. Il y a de graves insuffisances dans le travail de la Commission d'enquête, sur les habitudes de vie par rapport à la mer. Il y a des choses qui échappent au circuit commercial. Il y a des gens qui font des petites pêches. On peut s'appuyer sur un réseau de professionnels. J'ai fait une réunion avec 6 pêcheurs ici. Ils sont avides de connaissances là-dessus, sur l'état de ce qu'ils trouvent. Un pêcheur m'appelle un jour. Il allait pêcher près des rejets 5 fois par an. Le vent était orienté Est, la partie sous les rejets était à l'abri des courants, il était au calme. Il était 9-10 heures le soir : "Je débarque des coquilles Saint-Jacques pour les mettre au marché. Je suis embêté car c'est près du tuyau. Je voudrais qu'on les analyse." On s'est donné rendez-vous à minuit. On les a analysés. On a pu développer un réseau avec ces pêcheurs. Ils nous disent qu'ils pêchent de plus en plus de crabes charbonneux. Ils les trouvent de plus en plus noirs. D'où ça vient? Est-ce chimique, radiologique? Ca pose un problème de commercialisation en tout cas.

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Pour le travail de la commission d'enquête, notre laboratoire nous demandait des renseignements : "Les gens vont-ils pêcher ou non dans telle zone?" On appelait quelqu'un que l'on connaissait. Le laboratoire avait des idées saugrenues : "Pouvez-vous prélever l'urine des vaches dans les champs?" On a des coins où on a des mousses, on les trouve, on les envoie. Ca nous permet de déceler des choses qu'on ne soupçonnait pas. On affine le travail scientifique. On a du matériel de plus en plus sophistiqué. On a un panel de radioéléments en faibles doses. Le panel s'est étendu. Le rapport de la commission d'enquête nous a poussé à aller défricher ce terrain de connaissances au-delà des points que l'on faisait habituellement. On a été presqu'au bout de ce que l'on peut faire dans les prélèvements mensuels. On a des constantes. On peut découvrir d'autres lieux ou travailler différemment. Si on trouve toujours les mêmes choses, il faut aller voir ailleurs. Il se peut que 10 mètres plus loin, il y ait un point très intéressant à connaître. On avait trouvé un point important près d'un ruisseau qui passe sous l'exploitation. Ca a été un coup de chance. C'est lié au terrain. Ca dépend des sources, des poches d'eau, sous l'usine, de cassures de terrain. C'est un point avec 4000 becquerels. L'exploitant fait des milliers de prélèvements. L'ont-ils trouvé et n'ont-ils rien dit? Ou l'ont-ils trouvé, mais c'est noyé dans des moyennes? Ou ils ne l'ont pas trouvé? Ils se sont mis les pieds dans le tapis pour donner une explication à l'origine de la pollution. Ils ont donné une réponse en urgence. Les années suivantes nous ont permis de voir la vraie origine. Ca provenait des anciens fûts qui fuient toujours en raison de la pluviométrie. La pollution remonte. La pollution continue. Nous, on dit, qu'il faut aller rechercher.

On a travaillé aussi pour l'Agence de l'eau. Ils s'apercevaient que les exploitants nucléaires ne payaient pas de taxe en tant que pollueur. Ils voulaient faire un bilan. Pour cette étude, on a fait de grosses campagnes avec nos militants, en lien avec l'équipe de notre laboratoire à Caen qui descend. Nous, on s'occupe de la logistique, de l'hébergement, on donne un coup de main. Nous nourrissons. Tout ça, c'est aussi fait de lien. On fait la fête. Sur le travail que l'on peut faire entre le terrain et le laboratoire, par exemple, le suivi des travaux sur les canalisations de rejets, les techniciens nous font un retour sur tous les prélèvements. C'est un élément important.

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C - IV.5 La participation aux instances officielles de concertation

Malgré de fortes disparités de fonctionnement, les instances de concertation de type Commission Locale d'Information sont un outil imparfait aux yeux des associations du fait qu'elles sont structurellement déséquilibrées, et n'offrent pas la possibilité de mener un réel dialogue en toute équité (voir note 47, en page 49). La participation des associations est strictement réglementée99. La mission d'information de ces Commissions peut dans certains cas paraître limitée, soit que l'information n'est pas relayée à l'extérieur100, soit qu'elle soit perçue comme une opération de communication faussement rassurante de la part de l'exploitant101. Lorsque le débat démocratique a pu être construit et que les associations ont réussi à faire valoir leur droit de libre expression, il n'en demeure pas moins que la CLI n'a qu'un rôle consultatif, et se trouve déconnectée de la décision102. Dès lors, certains collectifs se demandent si leur participation a quelque intérêt : lorsque l'influence sur les décisions est marginale, vaut-il encore la peine de donner son avis? La présence ne revient-elle pas à valider les décisions des pouvoirs publics et de l'exploitant103?

Néanmoins, les représentants associatifs souhaitent le plus généralement y participer et revendiquent même d'y siéger104.

La première raison en est qu'il est possible de poser formellement des questions à l'exploitant et à l'administration, et d'entendre leurs explications105. La discussion peut contribuer à faire émerger des problèmes, et à les faire prendre en compte d'une façon officielle par l'industriel. Il n'est pas rare qu'une question ne trouve pas de réponse claire, et que l'exploitant se trouve dans l'obligation d'élaborer et d'expliciter sa position sur un problème jusque-là laissé de côté ou non recensé, ce qui est

99 Les pouvoirs publics ont du mal à faire la transparence. Il y a une CLI pour la centrale. Quand je suis arrivé, je pensais que tout le monde pouvait y aller. J'ai appris que la participation était limitée à des personnes désignées par arrêté. 100 Des outils plus démocratiques, c'est impossible. L'ouverture de la CLI a des effets limités. Ca fonctionne comme un huis clos. 101 Les informations CLI c'est bien, mais que peut-on en faire? On a le sentiment qu'ils nous prennent pour des andouilles. On nous dit : "L'accident, c'est pas grave." 102 On a réclamé d'être au courant. On est invité, mais de là à être associé aux décisions, réflexions. Ils pourraient faire des améliorations. Se taire plutôt que de nous mentir. Ou nous dire qu'ils ne savent pas. A OPALAIR, au SPPPI, on ne sait pas toujours qui est celui qui intervient. Tous les gens n'interviennent pas. C'est exceptionnel qu'ils prennent la parole, à part les associations. Est-ce que ce n'est pas le défouloir des associations? 103 C'est une séance de consultation. Il n'y a pas de décision prise en commun. On ne peut pas voter, imposer à l'aciérie de diminuer leurs rejets. Faut-il y aller ou non? Si c'est pour cautionner, on hésite. Quand on n'est pas d'accord, on a du mal à le faire savoir. 104 Notre association n'était pas invitée à la CLIS. Depuis l'accident de 1998, on s'est invité. Depuis, on y est. Il y a un président de CLI, nommé par le président du Conseil Général. La préfecture y est effectivement représentée. Je ne sais pas s'il y a un statut de composition de CLI. Statutairement la composition doit être fixée. Comme une des associations ne siégeait plus, on a demandé à la remplacer. On nous l'a refusé car on nous disait qu'on était anti-nucléaire. Depuis 1988, on y va. Les réunions sont rares, deux fois par an. Des fois, on est invité, des fois on demande la permission. 105 Nous, on a décidé d'y assister car on n'a aucun moyen de contrôle sauf à interroger la DSIN, EDF. On a décidé de participer aux CLI pour poser des questions au public, devant les élus. Les élus sont arrosés par la taxe professionnelle. Notre problème est de faire connaître les dysfonctionnements. Comme la presse assiste, on s'est dit qu'il y avait un moyen de démythifier le nucléaire. On est à l'affut de tous les problèmes. Ce qu'on sait, c'est par EDF ou la DSIN. Il faut faire sortir l'information. En 1998, il y a eu un soir de grande panique, une fuite du circuit primaire. Il y a eu un branle-bas de combat, des sirènes, ça ne pouvait pas ne pas être relaté par la presse. La télévision est venue nous voir pour nous demander quelles questions poser à la conférence de presse. Les journalistes ont posé la bonne question : le PUI a-t-il été déclenché? Et non. Il y a eu un ramdam qui a fait que l'info sorte. La DSIN a fait un exposé pour expliquer.

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un moyen de lui faire reconnaître l'existence de ce problème, voire de le faire acter par l'ensemble des représentants de la communauté territoriale, notamment par les élus et l'administration106. La présence de la presse est aussi un élément déterminant pour divulguer publiquement des informations. Ces réunions sont parfois l'occasion de mettre en évidence des positions contradictoires entre l'exploitant et l'administration107. De manière semblable, les choix opérés par l'industriel peuvent-ils être rappelés et soulignés par les membres associatifs, de façon à lui rappeler ses engagements, et à s'assurer que les paroles prononcées en CLI ne soient pas que des promesses sans lendemain108. En cas d'accident ou de problème grave, la Commission d'Information offre une arène où le citoyen est en mesure de demander des comptes à un exploitant ou une administration, et de peser sur le dispositif de contrôle109.

La contribution critique des associations peut progressivement être reconnue par les autres partenaires de la Commission et leur conférer une certaine autorité. Les représentants associatifs peuvent alors tenter de faire évoluer la structure de concertation de sorte qu'elle corrige le déséquilibre de fait qui préexiste entre exploitant et administration d'un côté et associations, mais aussi élus, de l'autre110.

Néanmoins, l'équilibre de la participation dans une commission semble toujours instable. Les associations sont parfois tiraillées entre le souci de contribuer au suivi de l'installation en jouant les trouble-fête et la crainte de ne servir qu'à cautionner une installation sur laquelle ils n'auraient en fait que peu de prises. Ces tiraillements traversent éventuellement l'organisation associative de courants ou de positions divergentes, et rendent délicat l'exercice de la participation111. La politique de la chaise vide est une expression caractéristique de ces tensions. Elle est souvent utilisée de manière plus ou moins prolongée pour protester contre la non-prise en compte des avis associatifs et dénoncer un "simulacre" de concertation. Elle a pu être observée autant dans des contextes de forte opposition où l'objectif des associations est d'aboutir à la fermeture du site, mais également dans des structures où le milieu associatif a réussi à faire valoir la pertinence de ses questions et avis, et ses attentes de participation ont pu être déçues112. La politique de la chaise vide reste diversement appréciée par les associatifs. D'un côté, certains reconnaissent qu'il importe de faire entendre sa voix, de faire respecter

106 On invite d'autres représentants des autorités publiques. On va poser une question : si demain, il y a un problème Erika au large de la centrale, que faites-vous? Ils vont nous exposer leur réponse. 107 On a demandé en Commission à EDF : la durée de vie : quelle est-elle? Comment la définissez-vous? On avait nos renseignements. On a vu des gens de la DSIN. En face de nous il y avait des gens de la DSIN, et d'EDF. EDF, leur réponse a été : 40 ans. DSIN a dit : Non, pour nous c'est moins. Il y avait une confrontation. Et nous, on était là. 108 C'est important de faire le point dans la CLIS. On demande des investissements, ça ne se fait pas du jour au lendemain. Le fait que ce soit officialisé, ça permet de dire : vous avez dit cela, vous ne l'avez pas fait. 109 Les fûts de Seveso, on était alerté : il se passe des choses la nuit, il y a des camions, on coule du béton. La seule réponse de l'administration : tout ce qui se passe est règlementaire. Les déchets qui entrent là sont règlementaires. A partir de là, on n'avait pas d'actions sur le plan règlementaire. Si on avait eu une CLIS, on l'aurait convoqué. 110 A la CLI, les gens sont censés faire le relais avec la population. On leur parle hébreu. Il y a des maires qui sont d'origine paysanne. On leur parle de doses avec trois unités différentes. Finalement j'ai demandé à ce que l'on constitue des groupes de travail.(…) On a le SPPPI avec des commissions eau, air, déchets, risques, nouveaux projets. On met sur la table les problèmes. Depuis peu de temps on peut faire des propositions d'ordre du jour. On en a marre d'écouter la bonne parole. 111 Il faut se battre pied à pied avec l'exploitant dans les commissions, dans les CLI. On est souvent très isolé. L'associatif est minoritaire, isolé par le nombre et sur le fond du débat. Nous sommes les seuls à revendiquer quelque chose de différent. Il faut une intégrité pour tenir. Il faut faire respecter les objectifs du laboratoire, un contrôle et une information indépendantes. Ce n'est pas le fait d'une seule personne. On se fait bousculer en commission. Il ne faut pas qu'on déforme les objectifs des personnes qui sont derrière nous. On est amené à faire des argumentations complexes. 112 Le président de la Fédération a démissionné parce que ça n'avançait pas. Il y a des fois, il a bien fait de démissionner de certaines instances, moins à d'autres. On a mis tellement de temps pour avoir ces structures.

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les avis exprimés et de ne pas se laisser enfermer dans des commissions qui n'auraient d'autre but que de faire diffuser publiquement par les partenaires sociaux les messages de l'exploitant. D'autre part, la participation à ces instances est souvent le résultat d'un travail de longue haleine et elle a pu porter ses fruits113/114.

Enfin, la contribution des autres participants s'avère parfois incertaine. Les élus n'accordent pas nécessairement beaucoup d'importance aux débats de la commission. Ils ne jouent pas un rôle moteur dans les discussions et, de l'avis de certaines associations, souhaitent rester neutres pour ne pas paraître prendre position entre l'exploitant et les associations, devant les citoyens115. De son côté la presse n'accorde pas un intérêt constant aux discussions, et sa présence varie en fonction de l'actualité116.

113 Il y a un comité de surveillance et de suivi autour de l'aciérie. La Fédération et le monde associatif se sont retirés. Je ne suis pas d'accord. Je suis plus pour convaincre les gens que pour faire la chaise vide. Ca fait avancer les choses : Il y a le sous-préfet, le directeur de l'aciérie. On voit ça plus en détail. 114 On a mis tellement de temps pour avoir ces structures, mais en même temps il ne faut pas qu'on nous prenne pour des pantins. 115 Après Tchernobyl, on avait quitté la Commission après une Xème lettre au président, avec nos desiderata, et refus sur toute la ligne. On a quitté deux-trois ans. Après on a discuté : y revient-on? Les élus nous imploraient parce qu'ils se retrouvaient dans le rôle d'aiguillon, ils n'aiment pas ça. Un élu a dit dans un journal : "La politique de la chaise vide n'est pas la bonne solution." 116 Le dernier problème qui s'est posé portait sur les problèmes de turbines des quatre réacteurs. On a posé des questions, on a demandé à EDF de répondre par écrit. EDF a décidé de faire une petite commission d'exploitation pour expliquer le problème de turbine. La presse ne reste pas, elle reste 5 minutes et ne s'intéresse pas aux problèmes techniques. Cette commission d'exploitation a apporté les réponses oralement (qu'on espérait écrites). C'était presque un dialogue entre direction et syndicats. Il y a eu le dialogue convenu long, et le problème a été abordé après : des problèmes de conception, de soudure, de difficultés techniques à faire des soudures en trèfles. La soirée n'était pas assez longue pour aborder le problème de l'alternateur.

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C - IV.6 L'implication dans un dialogue informel avec l'exploitant

Les instances formelles de concertation représentent des structures lourdes qui ne favorisent pas le dialogue direct entre les parties en présence dans la mesure où l'intérêt pour la concertation est diversement partagé entre eux. Les associations souhaitent avant tout pouvoir interroger et écouter l'exploitant. Bien que la présence des élus et de l'administration soit importante pour entendre les questions des associations et les réponses de l'industriel, elle ne facilite pas toujours le travail d'investigation et les échanges.

La dimension locale Dès lors qu'il existe entre exploitant et associations une volonté commune de progresser dans le dialogue et de dépasser la stricte application de la réglementation, la mise en place de structures informelles où les associations et l'exploitant constituent les principales parties crée les conditions d'une discussion plus ouverte et équilibrée. En dehors du cadre technico-administratif des CLI et autres commissions de concertation, les débats peuvent être abordés sous des angles variés, et les préoccupations des riverains peuvent être mieux entendues. Parce que le dialogue est plus équilibré et qu'il est conduit en dehors des tensions politiques et administratives locales, les associations et l'exploitant peuvent envisager, de manière relativement libre, des options techniques, qui n'auraient pu être évoquées ailleurs sans cristalliser des positions prédéterminées117. Ces structures informelles traduisent le souci commun de l'exploitant et des associations de discuter de l'inscription de l'installation dans l'environnement avec toutes ses conséquences118. La dimension locale apparaît comme un facteur déterminant : qu'il s'agisse d'une papeterie, d'une carrière ou d'une usine de retraitement de batteries, l'installation a des effets directs sur la vie des riverains et ces derniers souhaitent être associés de près au suivi de l'exploitation. Dans ces circonstances l'industriel semble avoir pris conscience de l'enjeu qu'il y a pour la durabilité de son installation à informer de façon approfondie les habitants locaux119 et à prendre en compte concrètement leur avis. Cela peut prendre la forme d'un engagement fort à ne prendre des décisions sur le fonctionnement de l'installation qu'avec l'accord des riverains120, engagement difficilement envisageable dans une structure officielle de concertation. Le champ de la concertation est nécessairement plus large que dans une instance formelle. Elle porte sur la définition même de son domaine de compétence et de ses règles du jeu121.

Si ces structures peuvent être ponctuelles et ne vivre que le temps de l'implantation proprement dite, elles perdurent la plupart du temps. La fréquence des réunions est déterminée avec précision, et les parties respectent leur engagement mutuel à maintenir ce contact quand bien même les problèmes sont

117 Pour que ça marche, il ne faut pas que les gens partent avec une idée trop arrêtée. 118 On a demandé à être associés au projet de la nouvelle usine. Pas sur le plan technique. Il s'est trouvé que le groupe avait un directeur des questions environnementales. Une première rencontre a eu lieu en 1990. (…) Dans une première période la structure est restée la même. La nouvelle structure a été organisée à l'initiative de l'entreprise. Mais il y avait dû y avoir des contacts avec la Fédération départementale avant. En 1990 plusieurs associations locales et la Fédération départementale ont été conviées pour débattre des modalités de suivi de la construction d'une nouvelle usine. 119 Après chaque réunion et même au cours de la réunion, on a des documents où il y a la teneur. Il est rédigé par l'entreprise. C'est un compte-rendu. Par ex. voici un résumé avec un tableau présentant les rejets. Au moins une fois par an, on a ce bilan. C'est le même bilan qui est contrôlé par le DIREN. 120 Il y a eu une convention de signée entre l'exploitant de la carrière et les riverains. A un moment une décision devait être prise, les riverains n'avaient pas confiance dans l'engagement des industriels. "On ne fera rien sans l'accord des riverains" a été mis dans la convention. 121 On a défini la règle du jeu. On n'avait pas à intervenir dans le process industriel, il y a des questions de brevets. On nous a présenté le projet, les différences par rapport à l'ancienne, au niveau quantitatif et des rejets. On a défini une fréquence de rencontres : 3, 4 fois par an. Le directeur de l'usine était présent, ainsi que l'ingénieur qui allait suivre la construction et le responsable environnement.

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moins importants et l'installation est entrée dans une phase de fonctionnement de routine. Ces réunions semblent parfois faire partie d'un système plus large qui a pour fonction d'assurer le lien entre l'exploitation et son environnement122.

La médiation Dans cette perspective, certaines associations, généralement de niveau départemental ou régional, considèrent que leur rôle dans la concertation est moins de représenter les citoyens auprès de l'exploitant ou des autorités publiques, que de servir de médiateur entre ces différents acteurs. Elles revendiquent une prise de recul sur les controverses liées à l'exploitation de sites industriels, et proposent de mettre à profit leurs compétences environnementales et leur connaissance du milieu associatif pour faciliter, voire accompagner le dialogue, entre des industriels et des associations locales123. Cette médiation peut amener une association à défendre une position différente des riverains, tout en coopérant avec eux124. Dans d'autres circonstances, la médiation peut être exercée par un consultant, au service de l'entreprise125.

L'administration est parfois présente en tant qu'observateur et garant de la continuité des débats126. Néanmoins, du point de vue des associations, ces instances informelles mettent en relief la difficulté de l'administration à participer à la concertation : elle dispose de ressources limitées127, d'une part, et

122 Dès le départ, le directeur nous a donné, tout du moins aux représentants des associations sur la rivière, le numéro de téléphone de l'usine et son numéro personnel. Nous invitant à tout moment à l'appeler quand quelque chose d'anormal se passait : couleur, odeur… Lui-même s'engageant à nous prévenir si l'anomalie était décelée au niveau de l'usine. Si on a un problème, on se téléphone, on essaye de se fixer un rendez-vous. Ils appellent les locaux. Ca m'est arrivé d'avoir un appel plusieurs fois du directeur de l'usine : "Il y a eu un incident. Dites bien, si la population s'inquiète, il n'y a pas grand-chose. Venez voir". Les riverains peuvent appeler directement, on ne les envoie pas sur les roses. 123 Pour la carrière on a un système équivalent à la CLIS, mais qui a été créé hors contraintes. On le leur a conseillé. En amont, l'entreprise a prévenu les riverains : il va se passer quelque chose. On a eu le retour des riverains. On leur a dit : informez nous. Malgré cette information première, l'exploitant de la carrière sentait un rejet. Nous sommes intervenus pour suggérer l'équivalent d'une CLIS, alors même que la carrière n'était pas ouverte. Les riverains avaient peur : si on fait une CLIS, ça veut dire qu'on accepte la carrière et ils se sont dit : si on ne fait rien, ça se fera quand même et on ne pourra pas influer.

Une association comme la nôtre peut obliger à penser différemment, à travailler à la marge. Ca fait ressortir des possibilités de discussion qui participent du fait que les choses peuvent avancer. 124 Pour l'usine de traitement des déchets industriels, l'industriel était moderne, avec ce que ça sous-entend de compétences. Les élus lui ont donné une ZI déplorable, un marécage. On leur a dit : pourquoi là? Ca a été une bagarre entre les élus et les associations locales. L'usine a été construite à cet endroit malgré l'enquête. Le patron le reconnaît. Notre position n'était pas très claire. C'était un flou artistique. Les dossiers volaient. Notre position était ambiguë. Les locaux n'en voulaient pas. Nous, on disait que c'était une industrie intéressante. Les élus ont été très mauvais. Au lieu de créer une communauté de communes et partager la taxe professionnelle, ils se sont disputés l'usine. Que voulons nous? D'accord, ce n'est pas le lieu, mais ce que l'on veut, c'est suivre. L'industriel a proposé un comité de surveillance. Les gens locaux se sont impliqués. On avait 9 sièges. Tous les cahiers étaient ouverts. On a fait intervenir des professionnels quand on ne comprenait pas. Ce sont les gens du coin qui gèrent ça. C'est un collectif. Les réunions sont à la demande. L'industriel a toujours été correct. 125 Il y avait un consultant qui servait d'intermédiaire. Il a conseillé l'usine, il connaissait bien les associations. Il avait fait un bouquin sur le contentieux associatif sur l'environnement. On s'en servait de son livre. Il temporisait. Nous, on avait notre autonomie. 126 Nous, on a demandé à ce que ce soit sous l'autorité du Préfet. Il ne préside pas, mais si il y a un problème, c'est lui qui décide, par exemple, si l'industriel ne veut pas faire la réunion. Le Préfet a compris qu'il y avait une ambiance. Il y a la DRIRE, la DDASS, les pompiers. La DRIRE est toujours là. Ce se passe bien. 127 Sur la carrière, l'administration s'est invitée, mais elle ne dirige pas. Elle intervient de temps en temps. Ils sont là. L'administration, s'il n'y a pas de mousses et rien de flagrant… Ils n'ont pas forcément les moyens d'aller au-delà.

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voit son rôle habituel remis en question. Il y a là, selon les associations, matière à réflexion sur la façon dont l'administration peut contribuer à la concertation d'une autre manière128.

C - IV.7 Manifestation, contestation et recours

En marge des structures de concertation, formelles et informelles, les associations développent tout un éventail d'actions destinées à accroître leur capacité à peser sur les décisions, en contestant une implantation, une option, une déclaration, ou en pressant des évolutions et des changements.

Mobilisation, manifestation et actions symboliques La relation à la population locale est souvent une source d'énergie et de légitimité. Certaines associations naissent de campagnes de pétition, en prenant conscience à cette occasion que le public exprime des attentes fortes à l'égard de son environnement industriel et qu'il n'existe pas de structure pour les relayer et les faire valoir129/130.

La contestation s'exprimera par des actions plus fortes, comme des manifestations pour protester contre la présence d'une centrale. L'organisation d'un tour cycliste autour de l'exploitation, mimant le passage du Tour de France dans la région ou la fermeture symbolique de la centrale par un cadenas, rappellent la détermination des associations à réclamer la fin de l'exploitation de l'installation, et font la démonstration que si des membres associatifs participent à la Commission Locale d'Information, leur objectif premier n'est pas de pérenniser son fonctionnement. Le dépôt d'un couvercle de cuve en carton par un ensemble de manifestants devant la centrale prolonge le travail mené en interne avec l'industriel au sein de la CLI pour pousser au renouvellement des couvercles bien réels de la centrale.131

Ces actions sont un moyen d'entretenir le lien avec la population, de recueillir et partager ses préoccupations et d'exprimer sa responsabilité de relais et de promoteur de l'avis du citoyen132.

D'une façon plus dramatique, des actions de grève de la faim peuvent être entreprises pour engager un rapport de forces avec les promoteurs de projets, et exprimer la protestation d'au moins une partie de la population locale contre l'implantation d'une centrale133.

128 La perception que l'entreprise ou nous avons de l'administration fait qu'elle n'est pas bien placée pour mener la concertation. Les administrations pourraient réfléchir aussi sur le fait d'être un élément de changement.

Je pense que l'administration préfère que ça s'arrange sans qu'elle intervienne. Elle voit quelque chose de bienveillant que ça se passe et qu'elle ne soit là que comme observateur. 129 La première action a été de faire signer une pétition dans les rues de la ville pour avoir des informations transparentes et compréhensibles. On s'est rendu compte qu'une famille sur trois travaille à la centrale. On n'avait pas envie d'être extrémiste. Il fallait qu'on soit proche des gens, pas contre le nucléaire. Ca nous a permis de rencontrer des gens, d'avoir leur soutien. 45 000 personnes nous ont dit : vous avez raison, il faut des informations compréhensibles. Moi, j'ai attaché beaucoup d'importance à ces signatures. Il faut en tirer parti et ne pas les tromper, qu'on aille jusqu'au bout de construire ensemble, de dialogue, d'ouverture. 130 En 1997 on a fait une pétition. On a reçu 3000 signatures en un mois. Chacun a le droit de respirer un air qui ne nuise pas à sa santé. On a repris la loi sur l'air. On est porte-parole des questions d'air. 131 Pour le changement des couvercles de cuve, on a offert à un homme de paille un couvercle de 2,50 m, lors d'une manif. Et la semaine dernière on a fermé la centrale avec un cadenas, c'est symbolique. On essaye de faire des brèches dans le monolite, tout en n'abandonnant pas notre but. 132 On ne veut pas se couper de cette population. On a envie d'être proches. Ca nous apporte quelque chose. Ca nous donne un autre regard. Ca m'encourage que ces gens d'un milieu simple me fassent confiance. Ca me pousse à faire ce que je fais aujourd'hui, même si ces femmes ne participent pas à toutes les réunions. Je me sens responsable de ces signatures. J'en suis un peu la maman.

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L'intervention dans les média Les média sont bien sûr un levier important pour exprimer des désaccords, dénoncer l'opacité de l'information ou la présence de risques, mais leur accès est souvent difficile aux associations. Certaines se plaignent d'être mal relayées, soit que la presse se désintéresse du message dont elles sont porteuses, soit que leur positionnement apparaisse trop subtil dans un débat monopolisé par les promoteurs et les opposants d'un projet ou d'une installation134. De ce fait, beaucoup d'énergie peut être dépensée pour se faire entendre135.

Le relais médiatique est souvent une reconnaissance implicite du rôle de l'association dans le débat local sur les installations industrielles. Lorsqu’un collectif a réussi à devenir un acteur médiatique légitime, la presse devient un support important pour faire connaître les actions de l'association, et marquer la constance de ses initiatives. Elle représente indirectement une tribune de dialogue avec l'administration et l'exploitant et permet de faire connaître publiquement la critique associative136/137.

Les actions en justice Les recours à la CADA (Commission d'Accès aux Documents Administratifs) ou la menace d'un recours sont fréquents dans le milieu associatif pour obtenir des informations sur un site industriel. Certaines associations attaquent également l'administration en justice pour condamner un arrêté d'autorisation préfectoral. Comme dans le cas d'une centrale nucléaire, ces initiatives peuvent exprimer le refus d'un projet industriel. Elles peuvent également être intentées pour établir un rapport de force et contraindre l'exploitant à faire évoluer un projet qui n'est pas remis en cause dans sa justification même, ou rappeler l'exploitant ou l'administration à ses engagements138.

133 L'arrière-fond historique n'est pas un arrière-fond de gestion ou de cogestion, mais d'éviter la chose. La Commission Locale a été obtenue à l'arraché. Il y a eu une grève de la faim de 7 personnes pendant 24 jours. Une manifestation de 5000 personnes à Colmar, 7000 à Strasbourg. 134 La presse au niveau local, on rame. Depuis 3 ans, depuis l'affaire Viel, et le tuyau, on a du mal à faire parler de l'association. Greenpeace n'a aucun mal. Nous, on brouille l'image. On est ni pour, ni contre. Ca les gêne énormément. Là, il y a des blocages quelque part. La presse préfère retenir la bipolarisation des deux. Greenpeace/Cogema. Un débat plus nuancé, non. 135 L'autre jour, on faxe une conférence de presse pour la réunion d'enquête publique. Il manquait deux journaux, les plus importants. Vous êtes obligés de faire le siège pour faire passer le message. A la réunion personne, un article seulement. Il faut se battre. L'info elle n'arrive pas comme ça. 136 Dès l'instant que l'aciérie dit quelque chose, on réagit tout de suite s'il y a une faille. C'est "coller à la culotte", c'est le terme associatif. A chaque fois, on fait mouche. Les gens attendent la réponse dans la presse. Le PDG du groupe est venu avec le sous-préfet. Ils avaient mis la nouvelle structure de dépoussièrage de la cokerie: "Il n'y a plus de nuage noir, c'est une usine dans l'usine. L'air est tellement bon qu'on se croirait à Chamonix". On a répondu tout de suite : "Notre ville n'est pas Chamonix." Ca a été une expression retenue par les gens. 137 Il y a un point important général. Nous sommes des représentants d'associations. Nous sommes aussi des multiplicateurs. Nous transportons à l'extérieur, dans nos associations. Et aussi par le biais de la presse. Nous sommes en contact permanent avec les organes de presse. Et c'est bien médiatisé. Lors de la remise du rapport de la CRII-Rad critique par rapport aux rejets de radionucléides, les Dernières Nouvelles d'Alsace ont titré : "Environnement, Centrale : trop flou, peu fiable." 138 L'ancienne usine s'arrêtait, la nouvelle démarrait. L'administration nous avait promis de nous communiquer certains documents, sur la qualité de l'eau… L'enquête publique finie, on a dit : "On attend toujours nos documents". On nous a dit : "Ce n'est pas nous…" On attaque l'arrêté préfectoral devant le tribunal administratif. Le responsable de l'usine est descendu, pas content. Il nous a dit : "Vous avez eu satisfaction!" On a répondu : "Oui, mais ce n'est pas seulement contre vous, c'est contre l'administration". La DRAE (DIREN maintenant) a pris les choses en main. Le DRIRE nous a accueilli : "Demain, vous aurez les documents". Effectivement, le lendemain le DRAE nous a donné les documents. On a retiré notre appel. C'était tendu à ce moment-là. La DRIRE n'avait pas joué le jeu avant.

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Un dernier type de recours observé a consisté à faire appel aux actionnaires d'une entreprise pour ouvrir une situation bloquée au niveau local139.

Il est important de noter que dans beaucoup de ces cas les actions sont menées en parallèle de la concertation. Pour une partie, elles les complètent en renforçant la légitimité des associations ou en produisant un rapport de forces qui donne plus de poids à leur participation aux instances de concertation. D'autre part, elles peuvent exprimer une opposition de fond à l'installation industrielle, à son implantation et son fonctionnement. Ce second type d'action n'est pas contradictoire avec la participation aux commissions d'information, et montre au contraire que l'objectif de la concertation n'est pas toujours pour les associations d'améliorer l'inscription d'une industrie dans son environnement.

139 La période la plus délicate a été entre 1990 et 1993. En 1990-1991, notre association locale sur le terrain doute un peu des délais proposés. Sur le chlore nous avons mené une pression permanente sur la papeterie. Nous voulions des dates butoirs. Au fur et à mesure des discussions, on a exigé que l'usine démarre avec un nouveau procédé. L'association départementale était informée. Mais la pression était mise localement, sachant que nous au niveau régional on avait d'autres choses. La pression était forte au point que l'on a cru que les relations allaient se rompre. On ne savait plus trop comment s'y prendre. On a écrit directement aux Etats-Unis. Les patrons américains ont interpellé leur usine dans un courrier dont nous avons eu connaissance : "Ah, on croyait qu'il n'y avait pas de problèmes…" Le responsable de la papeterie est venu en avion. On a été intraitable. Au bout de quelques semaines il a dit "Je suis d'accord". En même temps nous nous procurions des données sur des usines en Suède sans chlore. On prouvait que c'était possible de produire sans chlore et de mener une campagne pour que les gens acceptent d'acheter moins de blanc. Il y avait un autre procédé : travailler avec du dioxyde de chlore, de la poudre que l'on transforme sur place. Ca supprime le danger de transport et de stockage. Le directeur de l'environnement a dit : "Continuez comme ça, nous allons gagner…" L'usine fonctionnera sans chlore gazeux.

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C - V.UN INTERLOCUTEUR DERANGEANT, FACTEUR DE CONFIANCE

La participation des associations à la concertation se construit à la fois à l'intérieur et à l'extérieur des structures officielles. Ces structures n'ont de sens pour elles qu'inscrites dans un dispositif de concertation plus large où leur action locale concrète (qu'il s'agisse d'informer ou de produire des données) et leurs relations avec un réseau d'associations locales, régionales, nationales ont autant d'importance que leur participation à des instances formelles de dialogue, parce que c'est à l'extérieur de ces structures, dans leurs actions locales et leur réseau qu'elles construisent leur compétence, leur légitimité et leur crédibilité.

C - V.1 Un acteur incontournable

Les discussions techniques dans le cadre de Commissions Locales d'Information vont de pair avec des manifestations de population, des actions juridiques au Tribunal administratif, mais aussi un dialogue direct avec l'exploitant. De cette manière, les associations s'introduisent de gré ou de force dans le processus décisionnel. La légitimité entretenue dans la relation avec la population, la crédibilité obtenue dans la production d'informations stratégiques, notamment de mesures non-institutionnelles des impacts environnementaux sont essentielles pour asseoir la critique et la faire prendre en compte dans les réunions avec l'exploitant, l'administration et les élus. Elles ouvrent une marge de manœuvre substantielle aux associations et rééquilibrent en partie la distribution du pouvoir au sein des instances officielles de concertation.

En s'imposant comme un acteur crédible, capable de porter la critique à la fois sur les aspects techniques, et en marge, sur les aspects politiques, socio-économiques et éthiques, les adhérents associatifs élargissent l'éventail des discussions, et remettent en cause le cadrage technico-administratif des Commissions Locales140. Elles démontrent également l'importance de la prise en compte des préoccupations locales des riverains les plus proches de l'exploitation, et la nécessité de mettre en place des relations plus directes et moins formelles entre ces collectifs locaux et l'exploitation. De manière plus générale, par leur capacité de dialogue, leur compétence stratégique, et leur autonomie, elles se montrent prêtes à discuter de manière libre avec l'exploitant, sans le soutien de l'administration. Elles contribuent à mettre en évidence l'intérêt de lieux de dialogue ouverts où les problèmes que pose une installation dans son environnement peuvent être abordés de façon décloisonnée, et les solutions peuvent être évaluées sans a priori, en se fondant avant tout sur les préoccupations concrètes des riverains.

Du point de vue des associations, leur avis vaut d'être pris en compte à la fois parce qu'il fait part des inquiétudes souvent légitimes des habitants locaux, et parce qu'il exprime une critique juste, fondée sur une connaissance des réalités propres à l'environnement d'un projet ou d'une installation. La prise en compte de cet avis permet, pour certains acteurs associatifs qui ne remettent pas en cause la justification de l'entreprise industrielle, d'asseoir la légitimité de l'implantation, la durabilité de l'exploitation et peut contribuer à améliorer le fonctionnement sur le plan technique ou environnemental. C'est en faisant la preuve concrète de ces arguments par leur action dans la concertation que les associations peuvent progressivement s'imposer comme un acteur incontournable141. Dans le cas où la concertation est menée conjointement avec une position d'hostilité à l'existence de l'installation (comme la demande de fermeture d'une centrale), les associations peuvent devenir tout aussi incontournables si la communauté territoriale considère qu'elles apportent des

140 Dans la vie sociale vous avez des règles et des institutions. Mais la vie est plus compliquée qu'une simple application des règles. Nous on peut soulever des problèmes et une façon de voir les problèmes qui va au-delà de la simple application des règles. 141 Si un mouvement comme le nôtre arrive à être incontournable, les gens en face diront : "Il faut qu'on aille les voir avant."

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garanties et un regard critique sur le fonctionnement de l'installation, qui, à défaut d'assurer la sûreté, permet de contribuer à un contrôle citoyen.

C - V.2 Des ambitions limitées, mais pragmatiques

Lorsqu'elles sont impliquées dans la concertation, la plupart des associations n'ont pas l'ambition d'imposer leur avis, mais bien plutôt d'imposer un dialogue avec l'exploitant et l'administration pour améliorer le processus de décision. En soumettant l'installation, en fonctionnement ou en projet, à l'épreuve du regard extérieur et concerné des citoyens qui vivent dans son environnement, en "redéployant" de nouvelles perspectives d'analyse sur cette installation ou ce projet, les associatifs créent une tension constante (stretching142) qui ont pour objectif d'obliger l'exploitant et l'administration à faire correctement leurs tâches, et à donner le meilleur d'eux-mêmes, les uns dans la conception et la conduite d'une installation, les autres dans le contrôle143. Pour reprendre l'analogie étymologique, dans la concertatio – lutte antique des athlètes –, ils jouent le rôle de sparring partner. Au-delà de ce jeu d'entraînement, les associations revendiquent une autre fonction, qu'un responsable associatif qualifie de "poil à gratter"144. Celle-ci est déterminante pour contraindre les responsables institutionnels de l'environnement industriel à prendre en compte les critères non techniques et réglementaires qui contribuent également à la sécurité des riverains, et pour les amener à expliciter les hypothèses et présupposés des solutions techniques et évaluer leur cohérence avec l'environnement local.

Les associations ne peuvent cependant mener seule cette action. Leur rôle de poil à gratter ne se conçoit pas sans un système d'acteurs (réseaux associatifs, exploitants, élus et administrations). La pression n'est pas nécessairement directement portée sur les acteurs en cause, mais sur des parties ou des relations critiques du système, qui, mises sous tension, permettent à l'ensemble de mieux fonctionner. Quelques associations parmi les plus expérimentées ont acquis une bonne compréhension du "jeu" institutionnel et des relations entre acteurs. A titre d'exemple, l'une d'entre elles considère que l'exercice de la critique n'a pas de portée au sein des commissions si elle n'est pas relayée par les élus et s'attache moins à dénoncer des non-conformités ou des zones d'ombre qu'à trouver des questions pertinentes qui puissent être reprises par ces derniers, et puissent ainsi obliger l'administration ou l'exploitant à avancer145. Plusieurs associations ont ainsi pris conscience d'exercer une mission de passeur ou de messager, en faisant circuler entre les acteurs légitimes du jeu politique (administration, élus, exploitants) des préoccupations et des questions que ceux-ci ne peuvent débattre entre eux directement au sein des instances officielles de concertation, mais qui peuvent être plus facilement évoquées par les représentants des associations (rôle de candide). De même, il n'est pas rare qu'une association reçoive anonymement des informations sur une exploitation de la part d'employés inquiets sur son fonctionnement ou son niveau de sécurité.

Il appartient ensuite à l'association de décider de la suite à donner à ces informations, qu'il s'agisse de les dévoiler publiquement dans un forum de discussion ou de les adresser plus directement aux acteurs

142 Voir page 34 pour une présentation du concept de stretching, développé en Suède à propos de la concertation sur la gestion des déchets radioactifs. 143 Dès l'instant que l'aciérie dit quelque chose, on réagit tout de suite s'il y a une faille. C'est "coller à la culotte", c'est le terme associatif. A chaque fois, on fait mouche. Les gens attendent la réponse. 144 On fait en sorte que des débats puissent s'instaurer. On est le poil à gratter nécessaire qui n'a pas les mêmes contraintes que les institutions. 145 A la limite ce n'est pas grave que l'on ne soit que trois. On fout le bordel. On pose toutes les questions qu'il ne faut pas. Au début on posait des questions techniques. On était très petit. Depuis deux-trois ans, c'est tous les six mois. On a essayé de montrer aux élus que ça ne fonctionnait pas. Les élus commencent à poser des questions douteuses : " Vous nous dites que la nappe phréatique est propre, vous devez avoir des résultats. Lesquels?" Un écolo, ils le rabroueraient. Là, c'est un élu. Le problème est de déstabiliser la société autour de la centrale pour avoir de la transparence.

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mis en cause, l'exploitant dans sa responsabilité d'entrepreneur ou l'administration dans sa qualité d'autorité de contrôle.

C - V.3 Un possible facteur de confiance

Quand cette fonction de stretching est considérée comme utile par les acteurs du système qui exercent un suivi du fonctionnement d'une installation, notamment par l'exploitant, les acteurs en présence peuvent se reconnaître mutuellement comme partenaires d'un même enjeu, à savoir l'amélioration des conditions d'insertion de l'installation dans son environnement. Cela peut conduire l'exploitant et les associations de manière informelle, ou l'ensemble d'une structure de concertation comme un SPPPI, à redéfinir des régles du jeu pour préciser les modalités selon lesquelles les avis des associations doivent être entendus et éventuellement pris en compte, ou tout du moins enregistrés. Dans ces circonstances, et notamment dans les cadres informels de la concertation où l'engagement des acteurs semble plus direct et plus fort, la reconnaissance d'un objectif commun peut fonder des relations de confiance. Chaque acteur garde son autonomie146 et sa distance mais a mesuré l'importance et la valeur de l'enjeu à construire un suivi commun de l'installation.147

146 Ca ne vous gênerait pas d'être trop impliqué dans une concertation directe avec un exploitant? Non, ça me permettra de mieux l'attaquer s'il va là où il ne faut pas. 147 L'industriel s'est engagé lui-même à nous prévenir si l'anomalie était décelée au niveau de l'usine. Ca, c'est le témoignage de confiance. Il y a quand même quelque chose. J'ai été invité par le directeur de l'usine et le directeur de la DIREN à participer à une émission de radio locale sur l'usine. Ce n'était pas une émission préparée. A tout moment je pouvais critiquer. C'était un faire valoir pour eux sur le plan commercial, l'environnement était un argument de vente.

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Annexe

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