Extrait de la publication… · 2013-11-06 · matographique et le metteur en scène, le direc-teur, prisonniers de concepts issus du théâtre) n'estpas le monarque d'une création

Extrait de la publication





PRÉFACE

Voici l'autre versant de la création, où l'éner-

gie vivante provenant de ce flot continu d'images,du Journal d'un curé de campagne jusqu'àLancelot, de Jeanne d'Arc jusqu'à L'argent,laisse ses marques légères, ses éclairs de lumière.Année après année, Bresson pose les mêmes ques-tions. Des questions à propos de l'acteur et dumodèle, à propos de l'usage qu'il faut faire decet art encore neuf que les autres appellent lecinéma, et auquel il donne le nom difficile decinématographe (la magie originelle des frèresLumière, quand les gens s'étonnaient de voir lesarbresparce que les feuilles bougeaient »).

Est-ce que ce sont les questions qui ont faitles films, ou les films qui ont inventé les ques-tions? Et à quoi servent les questions? Ellesservent à provoquer, à réfléchir, à chercher lasagesse. Elles servent à inventer un nouveaulangage, une perfection.

Celui qui fait un film (Bresson insiste surla fondamentale différence entre le créateur ciné-


matographique et le metteur en scène, le direc-teur, prisonniers de concepts issus du théâtre)n'est pas le monarque d'une création factice. Ilest un homme, rien qu'un homme, essayantdésespérément, de tout son cœur, de mettre aujour et de donner forme aux vibrations de sessens. Non pas un dieu, ni un héros un homme.

Dans son journal de bord, Robert Bresson aécrit ses découvertes, en quelques mots. Tout cequi fait un homme ses goûts, ses dégoûts.Surtout son dégoût pour la vanité, l'intellec-tualisme, le conformisme. Son goût pour la sin-cérité, pour la nature (la « bonne nature » deJeanne d'Arc face à ses tortionnaires). Pourl'économie et la précision dans l'art. L'être,opposé au paraître, c'est-à-dire le modèle, opposéà l'acteur. Le modèle (un mot que Bressonpréfère au lieu commun de l'acteur) est exal-tation, inspiration pour le peintre « âme, corpsinimitables. »

Ce que nous découvrons ici, dans ces notesjetées comme par inadvertance, c'est l'essence decette aventure, vécue dans toute sa plénitude,et parfois jusqu'à l'extrême souffrance, qui aconduit Bresson au firmament de la créationcinématographique. Dans la sobriété et la pudeurde ces mots, nous ressentons son désir de vérité,


son obsession pour la perfection, nous comprenonsquel a été son combat incessant contre lescompromissions et la vulgarité, contre le pouvoirde l'argent. Comment ne pas comprendre toutle courage et l'obstination qu'il faut encore àBresson pour se battre depuis tant d'années afinde réaliser sa Genèse?

« Le vrai est inimitable, le faux, intrans-formable. » Pour Bresson, l'art est le seul recours

contre l'amertume de l'impuissance. Mais l'artest bien davantage. Il révèle la seule part visibledu réel, sa face émergée. En cela, Bresson estproche des grands peintres surtout des Impres-sionnistes et de Matisse. Lisant ces notes, on

ne peut s'empêcher de penser à l'art oriental, àla peinture de Hokusai, imprégnée de la phi-losophie du bouddhisme zen. C'est le même sensde l'économie des moyens, le même goût pour cequi est sensuel, le même jeu avec les ondes dessens. La vie à la dérive, entraînant tout dans

son flot imprévisible et puissant. Les images,les sons rendent un instant perceptible le réel« traduire le vent invisible par l'eauqu'il sculpte en passant. » Ainsi Bressonenseigne-t-il l'art de la surprise, c'est-à-dire lebonheur, qui saisit sa proie vivante « Soisaussi ignorant de ce que tu vas attraper qu'un


pêcheur au bout de sa canne à pêche. (Lepoisson qui surgit de nulle part.) »

Nous savons maintenant que Bresson n'arien à voir avec le classicisme (et Lancelot et

L'argent le montrent bien). Son œuvre est au-delà de la simple exploration des sens. La vérité,la beauté, chaque parcelle de notre mystère divinest perçue à travers ces ouvertures faciles àtromper. La vérité est fragile, et c'est pourquoinous devons être vigilants.

Année après année, Bresson progresse seul, lelong de son chemin étroit. Chacune de ses œuvresest un bond au-dessus de ces vides vertigineux.C'est pourquoi ces notes écrites de sa main sontpour nous si précieuses. Elles sont les marquesde tant d'années d'espoir et de désespoir, d'as-pirations et de refus. Elles sont profondes etvraies comme les marques sur le calendrier deRobinson Crusoê. Des notes, des rêves, des pas-sions qui nous montrent la complémentarité ducorps et de l'esprit, le langage des formes, lelangage des sons.

« J'ai rêvé de mon film se faisant au furet à mesure sous le regard, comme une toilede peintre éternellement fraîche. »

Rêve le rêve de Bresson, partager la richesse,l'éblouissement de la vie. Son amour du corps,


du visage. La nuque d'une jeune fille, uneépaule, deux pieds nus reposant fermement surle sol.

« Un soupir, un silence, un mot, unephrase, un vacarme, une main, ton modèletout entier, son visage, au repos, en mou-vement, de profil, de face, une vue immense,un espace restreint. » Et ailleurs « la forceéjaculatrice de l'oeil. »

Dans cette quête hasardeuse et rigoureuse,Bresson nous enseigne la nécessité de l'économie,mais aussi la volupté de la création. L'art n'estpas dans l'esprit. L'art est dans l'œil, dansl'oreille, sur la peau tout entière. Les mots deMozart à propos de ses concertos prennent icitout leur sens « Ils sont brillants. Mais, ils

manquent de pauvreté. »Les mots de Bresson ont la même intensité.

Ces mots sont plus que les notes de journal d'unréalisateur expérimenté. Ces mots sont des cica-trices, des marques de souffrance, des joyaux.Dans notre nuit (la nuit de la création quidoit nécessairement venir pour que s'allumel'écran), ils brillent comme des étoiles, nous

montrant le simple et difficultueux chemin versla perfection.

Le Clézio



1950-1958

I



Me débarrasser des erreurs et faussetés

accumulées. Connaître mes moyens, m'as-surer d'eux.

La faculté de bien me servir de mes

moyens diminue lorsque leur nombre aug-mente.

Contrôler la précision. Être moi-mêmeun instrument de précision.


Ne pas avoir l'âme d'un exécutant.Trouver, pour chaque prise de vue, unnouveau sel à ce que j'avais imaginé.Invention (réinvention) immédiate.

Metteur en scène ou director. Il ne s'agitpas de diriger quelqu'un, mais de se diri-ger soi-même.

Pas d'acteurs.

(Pas de direction d'acteurs).Pas de rôles.

(Pas d'étude de rôles).Pas de mise en scène.

Mais l'emploi de modèles, pris dans lavie.

ÊTRE (modèles) au lieu de PARAITRE(acteurs).


MODÈLES

Mouvement du dehors vers le dedans.

(Acteurs mouvement du dedans vers le

dehors.)

L'important n'est pas ce qu'ils memontrent mais ce qu'ils me cachent, etsurtout ce qu'ils ne soupçonnent pas quiest en eux.

Entre eux et moi échanges télépa-thiques, divination.

(I925?) Le cinéma SONORE ouvreses portes au théâtre qui occupe la placeet l'entoure de barbelés.

Deux sortes de films ceux qui em-ploient les moyens du théâtre (acteurs,mise en scène, etc.) et se servent de la


caméra afin de reproduire; ceux qui em-ploient les moyens du cinématographe etse servent de la caméra afin de créer.

La terrible habitude du théâtre.

LE CINÉMATOGRAPHE EST UNE

ÉCRITURE AVEC DES IMAGES EN

MOUVEMENT ET DES SONS.

Un film ne peut pas être un spectacle,parce qu'un spectacle exige la présenceen chair et en os. Cependant il peut, commedans le théâtre photographié ou CINÉMA,être la reproduction photographique d'unspectacle. Or la reproduction photogra-phique d'un spectacle est comparable à lareproduction photographique d'une toilede peintre ou d'une sculpture. Mais la




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