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Extrait de la publication

Extrait de la publication… · 2013. 11. 6. · de monjournal »; c'estqu'ila conscience d'avoirdéfini là, en toute sincérité, la conception qu'il se fait alors de son Journal

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  • INTRODUCTION

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  • Sur une page écrite le 25 août 1865 à Saint-Gervais, tout enhaut, Michelet ajoute ces mots « Ceci est l'introduction naturellede mon journal »; c'est qu'il a conscience d'avoir défini là, en toutesincérité, la conception qu'il se fait alors de son Journal « J'écrisuniquement pour elle. Mon journal, généralement fort bref, estdevenu fort long dans les temps où sa santé me préoccupait leplus, et dans ceux où la solitude rendait plus étroite encore notreunion toujours si douce. Les ravivements de l'amour venaient auxrenouvellements trop fréquents de la douleur. [.]. En relisantaprès moi ce journal, elle y verra la continuité bien rare d'unamour toujours inquiet, d'une vie suspendue à sa vie. Elle y verracombien tout ce qui fut de sa personne dans les choses qu'oncroit inférieures, tout me fut cher et sacré. [.] elle m'étaitun objet de culte par sa pureté singulière, et, je puis dire, soninnocence, par la manière peu commune dont elle traversa lesécueils où la plupart font naufrage. Elle ne me donna jamaisd'inquiétude que par sa santé. Et j'eus en elle, outre l'amour pro-fond, le repos du cœur. De là une sérénité qui soutenait, éclairait letravail de chaque jour. Cette grande paix du foyer me permit deconcentrer ma vie et de produire nombre d'oeuvres, plus qu'aucunhomme du temps. » Puis, regrettant d'avoir dû mettre en scènedans L'Amour « une femme fort ordinaire » au lieu de sa « fine

    malade avec ses contrastes rares », Michelet déplore de n'avoir,dans ce livre, pu dire « ce qui eût servi le plus, le détail de sa vieintime ». Voilà bien, en effet, ce qui aurait été « de grand fruitpour les hommes sérieux, si on eût osé le conter ». Mais le monden'était, n'est « point préparé à une telle révélation » l'amour etces moments qui pour tant d'autres ne sont « que des jouissancesobscures, confuses et toujours les mêmes » peuvent être, ont étépour Michelet des moments enchantés « de sentiments, d'idées,

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  • INTRODUCTION

    de vives lueurs. [.] Que de fois, du contact sacré de soninnocente personne, de l'éclair qui nous mêlait, jaillit une idéenouvelle ».

    Ce qu'un livre édité ne pouvait révéler, le manuscrit du Journalen portera témoignage, pour lui, pour elle, pour d'autres peut-être.

    Dans ce projet d'Introduction qui, tout naturellement, s'achèveen hommage à l'inspiratrice aimée, Michelet nous montre com-ment en ces années 1861-1873 il explique, ou imagine, les motifsqui l'incitent à rédiger ses notes quotidiennes. Encore qu'il écriveces pages exceptionnelles à un moment où sa reconnaissanceenvers Athénaïs est particulièrement avivée par le bonheur d'unséjour dans les Alpes et par un souvenir précis et savouré, il trans-crit et résume fortement des pensées qui l'occupent souvent etapparaissent assez régulièrement dans le Journal; elles exprimentbien sa vérité subjective et font connaître son interprétation per-sonnelle du Journal.

    Cette interprétation peut être discutée. Depuis sa jeunesse eneffet, et bien avant d'avoir rencontré sa future femme, Micheleta pris l'habitude de composer un journal. On peut d'ailleursnoter qu'au moment même où il le commençait, en 1821, ils'interrogeait sur la forme qu'il lui donnait, sur la place qu'ilconviendrait de réserver aux événements, aux réflexions, auxlectures, à l'expérience morale 1. Dans sa vieillesse encore, cer-taines variations peuvent se produire. Ainsi, en février 1865,Michelet écrit « fondu mes voyages et cours de 1849- 1850 dansmes Journaux, Corpus vitae » cette remarque prouve d'une partque le Journal concerne essentiellement sa vie, d'autre part quedes cours, des réflexions préparatoires, des notes de travail peu-vent y être insérés. Cette insertion, valable pour une année oùil professait au Collège de France, ne serait plus justifiée, mesemble-t-il, après 1851, depuis que Michelet est, en quelquesorte, un exilé de l'intérieur. Il ne professe plus, il a fait retraiteen son foyer, il s'y concentre et dans l'isolement a trouvé le bonheurd'un amour qui le comble. Cette réduction de la vie publique, cetenrichissement de la vie privée par une si puissante affectionexpliquent sans doute que le Journal ait été défini de façon diffé-rente. En 1868, Michelet écrit qu'Athénaïs « observa le 19jan-vier que mon journal ne donnait que la moitié de ma vie, ma vieaffective, ma femme, santé, jouissances et souffrances. Pour don-ner l'autre moitié, il faudrait mettre ici mes livres, ce que je nepuis. Combien l'une influe sur l'autre pôle l'émotion de la pre-mière donne l'essor à la seconde, un premier ébranlement, maissi favorable ». La distinction qu'a provoquée l'attentive lectriceest capitale. Michelet, à cette époque, n'hésite plus sur le contenudu Journal; il estime normal d'en exclure ce qui n'est pas « vieaffective » et juge impossible d'y mettre l' « autre moitié », sa vieintellectuelle, ses livres.

    i. Cf. Écrits de jeunesse, Introduction, p. 13.

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  • INTRODUCTION

    Ce choix signifie que son journal traitera d'un domaine parti-culier, réservé, qui ne doit pas, sur le moment du moins, êtredécouvert au public, la vie privée. Il ne présentera pas l'élabora-tion progressive de la pensée de l'historien, mais ses facteurs cequi lui permet de naître, ce quila suscite, plutôt que les réflexionsqui l'amènent à sa forme définitive, qui sera l'oeuvre publiée.Ainsi retrouve-t-on l'idée initiale de l'Introduction projetée,puisque la vie privée, c'est essentiellement l'union conjugale, et

    donc Athénaïs; Michelet peut se figurer sincèrement qu'il écritson journal « uniquement pour elle ». Sa femme est à la sourcede sa vie affective et, aussi bien, à l'origine de ses livres. Il ledira.

    « J'ai sur tous mes amis un grand avantage (qui parfois estcontre moi, mais le plus souvent pour moi), c'est d'être trèsamoureux », note-t-il le 26 août 1861. Comprenons bien que cetavantage est également d'ordre intellectuel. Quelques joursplus tard, le 3 septembre, il développe cette idée « Lasource de Castalie si pure, si féconde pour moi. De mon désir,de mon plaisir et de son déchirement jaillit le cours de 1849(après nos guerres civiles) aimer encore! Avec elle je trouvaiL'Oiseau, je trouvai L'Amour. Dès que j'avais pénétré dans sachaste et sainte personne, quand j'y avais mis mon orage et puisésa sérénité, je sortais fort et inventif, dans ma lucidité complète.Plus son dévouement me donnait en privautés délicieuses, endocilité d'infinie tendresse, en humilités où ma reine était bienplus reine encore, plus je lui rendais en idées. » Éclairs du plaisiret lumière de l'esprit, privautés de l'amour et intuitions de l'intel-lect, Michelet explique le mystère de leur profonde unité dansle Journal. Il y montre, il se montre à lui-même, par des rappro-

    chements nombreux et précis entre sa vie d'époux et sa vie d'au-teur, quelle influence déterminante a exercé son amour sur sesœuvres. Considérant son évolution sur une longue période, ilpeut, par exemple, mettre en rapport son rythme sexuel et sa forcede création intellectuelle et admirer « l'heureuse régularité qui,depuis quinze ans, m'a fait une existence si harmonique [46 pourtotal de 18. 40 pour total de 1865] » (27 mars 1866). Mais, plussouvent, il aime rappeler quels exceptionnels bienfaits il a retirésde ses « communions » avec Athénaïs « Elle n'est pas la première,mais l'unique. Je le sens surtout en ceci que, lorsque j'y ai touché,[le parfum d'amour], d'innocence qui sort d'elle, ne manque guèrede me féconder l'esprit. Avec toute autre l'après serait triste, morneet faible; avec elle Y après est un état de calme lumineux, de hautelucidité, qui d'abord ne précise pas; mais bientôt, presque tou-jours, arrive un jet de lumière » (30 juin 1863). Les habitudesmêmes du couple entretiennent de jour en jour le renouvellementde l'intelligence « Ces petites friandises de sensualité n'en sontpas moins un constant stimulus, une excitation de l'esprit; ce quel'amour physique et le désir commencent, devient l'érection de lapensée » (7 septembre 1862). Voilà ce que la forme même dujournal permet de noter, puis de se rappeler, afin de pouvoir

    Extrait de la publication

  • INTRODUCTION

    établir ensuite quelle liaison intime existe entre la vie affective etl'activité mentale.L'idéal consisterait évidemment à réunir ces deux « moitiés »,

    à confronter les deux discours, celui de l'expérience vécue, celuides livres publiés. Michelet y a songé, si tel est bien le sujet del'ouvrage auquel il fait plusieurs fois allusion « Mon Livre deslivres, qui expliquerait tout ce que j'ai fait, donnerait et le fil demon œuvre, et le fil intérieur de ma vie, de passion, de création »(juin 1867). Sommet d'où il dominerait et contemplerait les deuxversants, maître livre où il révélerait enfin les deux dimensionsde sa vie l'ampleur de la tâche accomplie, la profondeur del'amour éprouvé. Livre rêvé, non écrit, ce projet justifie cepen-dant que le Journal laisse dans l'ombre cette part de la vie qui futconsacrée à la pensée, au public des lecteurs. Il apprend l'autrepart, intime, secrète. Il pourra donc sembler incomplet, mais laréduction est systématique et s'explique. Tenir un journal, cen'est pas, ou plus, pour Michelet, se chercher, se présenter à soi-même et peut-être à d'autres, c'est tout dire, mais selon uneperspective consciemment privilégiée. Dans cette œuvre unila-térale, ce qui est dit va au plus profond, mais d'un certain pointde vue.

    L'entreprise posait une question épineuse en ce domaine,déclarer la vérité, le fait, c'était manquer aux convenances, ence siècle où la bourgeoisie était pudibonde. D'où la préoccupationde Michelet. Pour avoir exprimé sous forme générale ses idées surl'Amour et la Femme, quelles railleries, quelles insinuations ilavait supportées! Or si la connaissance de son ménage devaitêtre un jour révélée au public, l'affaire engagerait directement,outre sa réputation, celle de sa femme qui pouvait en être scan-dalisée. Certes elle le rassurait, mais lui-même parfois s'inquièted'autant mieux qu'il juge essentiel d'être précis sur ce point.Lorsqu'il évoque, le 28 août 1861, le projet des « petits Mémoires »,il résout la question posée de façon catégorique « Si je puis réa-liser en effet cette naïve histoire, elle éclairera la nature humaineplus qu'aucun livre par les côtés très innocents qu'une faussepudeur a voilés jusqu'ici » et il prévient sa femme « qu'en retran-chant ces choses de nature, on ôterait à nos petits Mémoires leurindividualité touchante et la véritable instruction qu'ils peuventdonner ». Justement n'était-il point nécessaire de heurter lesconvenances? Michelet semble parfois hésiter sur l'opportunitéde faire connaître son intimité conjugale au public. Mais commeil laisse indécise la question de la publication et compte léguer sespapiers à sa femme, il sait qu'il peut, pour lui-même, pour elle,fixer exactement sa vérité. Et c'est ce qu'il a fait.

    Sur cet amour et les formes qu'il prend, le Journal fournit uneample matière à l'étude 1. A examiner ce texte dans la perspective

    i. J'ai tenté de définir ses caractères principaux dans une Note surle Journal de Michelet (Sarrebrück, 1959), plus particulièrement consacréeaux années 1870-1874.

    Extrait de la publication

  • INTRODUCTION

    que Michelet a choisie, c'est l'impérieux souci d'unir, d'harmo-niser sensualité et spiritualité, sexe et pensée, qui frappe.

    Michelet, quand il se juge, il lui arrive de regretter « de n'avoirpas des tendances aussi élevées, aussi austères que Voltaire »(29 avril 1863); ou bien il déplore d'être « matériel » (27 août1861), au point que son amour devient un « empêchement » àson travail. Mais plutôt il dira les ravissements que lui fait éprou-ver Athénaïs en elle s'allient merveilleusement les grâces phy-siques et les charmes de l'esprit, elle dispense un complet bonheur.« Cette sagesse, cette pureté, cette vie toute cérébrale, enfantineet réfléchie, compose un ensemble bien rare. Pour moi, plus maté-riel, toutes les manifestations matérielles de sa vie me sont chèreset délicieuses, tout empreintes de l'éther du ciel qu'elle respire,aspire, qu'elle dorme, mange, [se soulage], qu'elle me donne lebonheur d'amour, qu'elle me confie ses idées ou qu'elle reçoiveles miennes, qu'elle communique avec moi pour les petits soins

    que j'ai d'elle, les douces privautés de toilette, les petits motsd'enfantillage, tout d'elle est le ciel pour moi » (27 août 1861).Dans ces phrases le mot « tout est très significatif. Dans lescomplaisances de la femme aux regards, aux demandes, auxdésirs du mari, il trouve des plaisirs sensuels qui lui sont desvoluptés de l'âme, et sa propre sensualité s'en trouve sublimée.De là ces nombreuses effusions de reconnaissance, où se résolventles contrastes entre les « petites privautés » et l'idéalisation; de làcet emploi d'un vocabulaire qui, selon la disposition de chaquelecteur, irritera, fera sourire ou séduira. S'unir à elle devient« officier > elle est l' « autel » et parfois devient Madone, en desmoments qui peuvent paraître curieusement choisis et ne le sontpas (cf. le 10 août 1861). Ces effusions très sincères, ce vocabulairereligieux, Michelet les prodigue non sans raison c'est le sensmême de ce texte, ce doit être sa leçon que d'exalter un bonheurtoujours admiré et la personne unique qui le dispensa. Bonheurdévoilé ou travesti? La véracité et le déguisement idéalistesont profondément unis; les exigences du corps, les aspirations del'esprit s'allient admirablement pour définir le thème devenufondamental du Journal.

    II

    Si désormais le thème conjugal est bien, conformément àl'affirmation de Michelet, fondamental, il apparaît heureusementqu'en fait il n'est point le seul, et que le journal nous fait apercevoir,d'un point de vue particulier, la vie entière de son auteur. Orcette vie illuminée par un long amour est vouée au travail. CertesMichelet déplore quelquefois « le devoir pesant de l'Histoire »(3 novembre 1861). Captivé par l'amour, il peut s'interroger,avoir mauvaise conscience et presque s'accuser « Plus je la senscharmante, plus il me coûte de m'occuper d'autre chose qued'elle, de revenir à l'Histoire. Songé pourtant au sérieux bonheur

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  • INTRODUCTION

    de l'Histoire, faire justice à tous, replacer nombre d'actes méritantsdans la lumière, la justice de Dieu» (12 septembre 1865). Mais,plus souvent, il se complaît à signaler, à célébrer les rapportsentre l'oeuvre qu'il édifie et l'inspiratrice de son génie. Par exemple,le 27août 1861, il réfléchit qu il arrive, dans l'Histoire de France,au xvme siècle et qu'après les détestables ténèbres du xviie siècle,il va revenir à la lumière, à l'amour « alors mon amour me seraune excitation et non un empêchement ». Le Journal nous montreses variations, mais surtout son assurance. Car Michelet aimeaffirmer l'accord de sa personnalité et de sa vie, l'harmonie qu'ila réalisée, maintenue entre ces différents aspects de lui-même,entre les diverses orientations d'une oeuvre consacrée à l'Histoire,à l'Amour, à la Nature. Le Journal présente les conditions mêmesde l'épanouissement et l'intense activité qui a permis l'heureuxsuccès de tant d'efforts.

    Toutefois, avant d'examiner ce qu'il nous apporte, une questionpréalable doit être abordée celle du rapport entre le texte écritet le texte aujourd'hui publié, et, ultérieurement, entre ce que noussavons ou pouvons imaginer de cette vie et ce que le Journal nousen apprend.

    Si, à cette époque, Michelet classe ses notes de travail, à part,dans des dossiers séparés, cette élimination peut nous paraîtreregrettable, mais elle est logique, étant donné les intentions del'écrivain. Cependant la seule apparence du manuscrit imposed'emblée à son lecteur quelques remarques il ne nous parvientpas tout entier, tel que Michelet l'a conçu, tel qu'il l'a composé,et seuls lui-même et sa femme ont pu le lire dans son intégralité.Traces de coupures, phrases soigneusement recouvertes de raturesou biffées, prouvent que le corpus vitae fut mutilé. Quantitative-ment, quelle est l'importance de ces suppressions? L'on est évi-demment réduit à des hypothèses, vaines et sans intérêt. Maisd'un autre point de vue, qualitatif, on est bientôt amené à pré-sumer que des pages instructives ont sans doute disparu. Desdates sont souvent rappelées et jugées exceptionnellement signi-ficatives, une nuit de juillet 1856 à Montreux, le 8 septembre 18577à Fontainebleau, le 8 août 18651à Saint-Gervais, etc. Or, auxjours fixés, rien ou à peu près rien n'apparaît dans le Journal quimotive pareille insistance. Il me semble peu croyable que cesémotions intimes, commentées à plusieurs reprises, n'aient pasprovoqué, sur-le-champ ou très tôt, des effusions originales, déli-

    rantes peut-être, révélatrices sûrement. Plus que la suppressionpossible de passages sur les amours de Michelet, sur les démêlésavec les Quinet, plus que la disparition, peut-être fortuite, decertaines périodes (la première quinzaine d'octobre 1868), cetteamputation du Journal serait très contraire au sens même queMichelet donnait à son projet. Mais il avait d'avance absous,consenti, voulu.

    D'autre part, si volumineux que paraisse ce texte, il ne fournit

    i. Le 29 janvier 1866, il « récrit le 8 août 1865.

  • INTRODUCTION

    pas une représentation complète, ni tout à fait exacte, de la vieet de la personnalité de son auteur. Par définition d'abord, puisqueMichelet entend le limiter à l'élucidation d'une seule part de sonexistence. Mais, lors même que l'on s'en tient à cela seulement qu'ila l'habitude de consigner dans le Journal, on remarque des oublis,des lacunes. Voici, à ce propos, quelques indications sur diverssujets de réflexions. Les dossiers conservés à la Bibliothèque his-torique de la Ville de Paris, les lettres éparses dans des collectionsprivées ou publiques, bref ce qui subsiste d'une énorme corres-

    pondance prouve que Michelet ne tient pas un compte précisde toutes les lettres qu'il envoie; ce qui ne surprend évidemmentpas, mais doit être dit. Son activité épistolaire dépasse nettementce qu'il en signale. Parfois aussi des faits estimés assez importantspour figurer dans des œuvres publiées ne sont pas évoqués dansle Journal. Par exemple l'Introduction de Nos Fils rapporte quele 14 mai 1869 « un homme politique, jeune et sage, un penseur »(J. Ferry?) est venu le voir, et Michelet juge alors bon de résumerleur conversation rien n'en transparaît dans le Journal. Remar-quons aussi, dans un autre ordre d'idées, que Michelet note assezrégulièrement les articles consacrés à ses ouvrages; mais certains,

    importants, qui n'ont pasdû luiéchapper, ne sont pas mention-nés. A cet égard aussi le Journal, document essentiel pour l'étudede l'homme et de son œuvre, n'est pas exhaustif. D'une façongénérale il convient de n'être pas tenté de réduire les jours deMichelet au compte rendu souvent sommaire qu'il en donnecet homme était prodigieusement actif. De même l'image qu'ilnous présente de lui-même demande à être retouchée. Par exemplele Journal ne met pas trop en lumière, me semble-t-il, un trait deson caractère que nombre de contemporains ont célébré sabonté, immédiate et profonde. Il eût été malséant de s'en vanter;au moins reconnaissons-la. Michelet signale quelques visites à desmalheureux, ou des interventions en faveur d'amis dans le besoin,comme Noël. Mais il néglige évidemment de souligner cettegénérosité qui lui est naturelle, et en laquelle d'autres voientjustement une de ses éminentes qualités morales. Son dévouementpublic à de grandes causes peut toujours être jugé profitable à sagloire d'homme de parti, et donc ostentatoire; son dévouementcaché, les humbles besognes de charité ou d'amitié qui lui pren-nent son temps, assurent de son authentique bonté 1.

    Ces restrictions faites, le Journal apprend beaucoup. Il nouséclaire les réactions de Michelet devant des paysages, des événe-ments, des livres, des personnes, et nous montre aussi comment, àtravers les années, il cultive ses souvenirs. Car ce journal où ilnote ce qu'il choisit de se rappeler, lui est le moyen de retrouverson passé, de mieux comprendre et assurer son évolution; il leconsulte, le relit soigneusement de temps à autre, et lui qui aimait

    i. Quelques pages du4 septembre 1869 montrent la profondeur deson émotion devant le spectacle de la misère et ses idées sur la vérita-ble charité.

  • INTRODUCTION

    se figurer l'historien comme l' « administrateur du bien des morts »,il administre ainsi sa vie, son bien de vivant.

    Il nous découvre sa sensibilité immédiate. Le voici, par exemple,qui au cours d'un voyage rencontre des inconnus et les dévisagesensation, jugement. d'un trait il caractérise et qualifie. Lesavant et parfois trop audacieux interprète de la figure humaine 1,l'homme qui voit aussi dans l'historien le juge de suprême appel,prononce vite sa sentence et condamne volontiers tel visaged'ecclésiastique, telle attitude d'Anglais! Et ces observationssuperficielles peuvent nous amuser; mais leur retour n'est passans signification. Sans doute les aperçus qu'il nous ouvre sur lui-même au travail, surtout lorsqu'on les retrouve dans une œuvrepubliée, intéresseront davantage. A Saint-Sauveur, le 15 sep-tembre 1863, il note « Souvent à minuit, entendu le pauvre pri-sonnier, le coq, âme des bêtes. Chaque jour à six heures enprenant la plume, demandé en quel état d'esprit je suis. J'auraisvoulu pour ce livre être un saint, un voyant, un juste. [.]Certaine anxiété, la nuit. La lumière me disait Va, tu es dansla voie du juste.» C'est la notation concrète, la sensibilité auxaguets qui nous émeuvent. Se joue-t-il, sincèrement, la comédie?Certains le penseront, mais on devra remarquer qu'il écrit ceslignes pour son usage personnel et que dans la Bible de l'Humanité,où le souvenir de ces journées réapparaît, il ne reproduira pasles admonestations mystérieuses, les graves assurances qu'il sedonne. C'est bien sa conviction intime, sa manière d'être naturelqui se font jour. D'autres manifestations secrètes de sa sensi-bilité, en particulier ses rêves, sont évoquées; on verra quellespréoccupations ou hantises sexuelles ces rêves expriment ou bienquels messages politiques ils parent d'images symboliques, parfoisimpressionnantes.

    Ce livre de mémoire sert un homme continuellement préoccupéde préparer ou d'achever un livre. Il arrive que les rapports entrele Journal et les œuvres publiées deviennent occasionnellementétroits, en particulier lorsque Michelet utilise les notes de sesvoyages dans les Alpes françaises et suisses pour La Montagne.Certes le plus souvent il ne donne que de brèves indications surson travail. Leur accumulation fournit pourtant d'utiles préci-sions. De 1861à1874 il écrit douze volumes, toute la fin de l' His-toire de France et l'Histoire du XIXe siècle, et d'autre part La Sorcière,la Bible de l'Humanité, La Montagne, Nos Fils, La France devantl'Europe. Quant aux livres d'histoire, le Journal renseigne sur leprogrès de la rédaction, comme sur les lectures préparatoires et larecherche de la documentation. En général d'ailleurs, et saufrares exceptions, Michelet cite tous les ouvrages qu'il a utilisésavec profit et ses sources pouvaient être connues par ses Pré-faces, ses Notes et Eclaircissements. Quant aux autres livres, l'onpourra désormais étudier leur genèse, savoir quelles idées l'inci-

    1. Cf. la belle étude dej. Pommier, Michelet interprète de la figure humaine,Londres, tg6t.

  • INTRODUCTION

    tèrent à entreprendre la Bible de l'Humanité, comment il ébaucheLa Montagne en 1865, quel ambitieux système théorique il ad'abord imaginé et comment il reprend et mène à bien son pro-jet en 1868, quelles furent enfin ses hésitations sur le sujet même,puis sur le plan de Nos Fils. Surtout l'on discernera mieux com-ment lui-même comprend la succession de ses œuvres, selonquelle perspective il l'ordonne et par exemple quelle place émi-nente il attribue à la Bible de l'Humanité. C'est le point de vue del'auteur qui apparaît, et il n'est point sans doute celui du public;mais les lecteurs français n'ont-ils pas tendance à négliger quel-que peu cet ouvrage et à privilégier en Michelet l'historien natio-nal ?

    Michelet ne se contente pas d'enregistrer sur-le-champ ce qui apu le frapper ou lui paraître notable; de temps à autre, irréguliè-rement, il aime considérer de plus haut un passé récent afin dediscerner le sens de l'effort poursuivi et mieux prendre consciencede son évolution morale et intellectuelle. A côté des notes quoti-diennes prennent place des feuillets appelés « orientations ».

    Dans ces pages que l'on a le plus souvent rassemblées en têtede chaque année, Michelet prend l'habitude de méditer sur cequ'il a écrit, sur ce qu'il compte faire. Ainsi dans l' « orientation»du 4 juin 1867 il retrace toute l'évolution de sa pensée de tellesorte que soient mis en relief son unité et son progrès depuisl'Introduction de La Renaissance; il reprend des formules qu'iljuge essentielles, définit la signification particulière de tel livrepour le replacer dans l'ensemble de son œuvre ne peut-on voirlà comme les matériaux qui auraient permis d'édifier le Livre deslivres? Il note aussi les projets qui lui tiennent au cœur et l'on peutainsi comparer, à quelque cinquante ans de distance, les ambi-tions nombreuses et démesurées de sa jeunesse et les ultimes aspi-rations de la vieillesse. Le Foyer, l'Histoire de l'Amour, Dieu, voilàquelques titres d'ceuvres rêvées en cette fin de vie; ils resterontdes titres, où se décèle la volonté de récapituler, d'exposer lesconclusions définitives. Mais on constate d'autre part qu'en 1869,au moment où, l'Histoire de France achevée, Michelet paraît librede choisir un tel sujet et où il hésite, c'est sa vieille passion del'histoire, sa connaissance du passé, qui emportent la décisionil entreprendra l'Histoire du XIXe siècle. Ces « orientations » com-plètent précieusement le Journal elles éclairent tout à coupl'autre « moitié » d'une vie, celle de la pensée.

    Au reste, dans le cours même du Journal, des réflexions éparsesmontrent quelle réalité humaine motive cette alternance d'oeuvresdont la diversité même est caractéristique de la production deMichelet en cette période de sa vie. Un homme hésite sur lui-même, déclare ses inspirations multiples, s'exhorte « Reviensà la nature. Ton devoir est l'Histoire. Épanche le trop-plein dansl'histoire naturelle. Le milieu des deux, c'est l'amour et l'histoirede l'amour et l'histoire de la mort ou de l'amour au-delà de lavie », et l'histoire de l'amour « exige que tu y verses et ta spiri-tualité et ta sensibilité » (22 juillet 1861). C'est la traduction

    Extrait de la publication

  • INTRODUCTION

    personnelle de ces variations qui parfois firent estimer que l'his-torien trahissait son génie.

    Souci de soi-même, souci de son action. Elles s'éloignent lesheures exaltantes où Michelet enthousiasmait les auditoires du

    Collège de France, où sa voix lui paraissait annoncer le Devoiret l'Avenir, où l'action semblait sœur de sa parole. Il est désormaiscontraint au silence et à la morose contemplation d'une histoireque des ennemis font contre ce qu'il appelait. Il se tient éloigné,à l'écart. S'il n'est plus isolé en province, comme au lendemaindu coup d'État, du moins fait-il de fréquents et longs séjours dansle Midi; lui-même calcule que de juin 1852 à septembre 1865il a passé 78 mois hors de Paris, soit six ans et demi 1. Certes, àParis, il conserve une position officielle, son rang insigne demembre de l'Institut. Mais là même, à l'Académie des Sciencesmorales et politiques, il semble éprouver quelques déceptions.Quand on déclare que sa chaire au Collège de France sera denouveau occupée, il proteste par acquit de conscience, tout ensachant fort bien qu'il ne pourra pas modifier la décision prise.Et, lors d'élections, il constate sans plaisir l'influence détermi-nante de groupes puissants et l'action habile et efficace d'unancien ami, devenu un adversaire, Guizot.

    Cependant il réunit toujours autour de lui, chez lui, de nom-breux amis et des relations plus nombreuses encore. Le Journaldécouvre précisément l'étendue de ces relations que les Miche-let entretiennent par de nombreuses visites, ou, lorsqu'ils sont loinde Paris, par l'abondante correspondance qu'assure en parti-culier Mme Michelet. Il y a le groupe des amis intimes du ménage(Mme Meurice, les Poret, les Huet, etc.), il y a les amitiés du Midi,de Suisse (les Bétant, les Quinet jusqu'en 1868). Les Michelet,lorsqu'ils habitent leur appartement de Paris, aiment recevoir,organisent des dîners, des soirées, et ouvrent tout naturellementleur salon à des invités d'opinion libérale, à des démocrates,fermement opposés à l'Empire, en particulier à des journalistes.Michelet est lié avec plusieurs représentants connus de la presseparisienne (Guéroult, Peyrat, P. Meurice); il envoie à chaquenouvelle publication des fragments pour annoncer le livre àparaître, et surtout va pouvoir intervenir sur diverses questions pardes Lettres et quelques-unes de ces Lettres sont importantes.Dans ces milieux qui l'admirent, Michelet jouit d'un prestigeque la libéralisation de l'Empire ne peut que favoriser; il apparaîten effet que dans les années qui précèdent 1870, ses interventionsdeviennent plus fréquentes et beaucoup plus significatives, quantà leur action possible sur l'opinion publique. On distingue l'inté-rêt que lui manifestent des hommes beaucoup plus jeunes, dontl'un, Jules Ferry, lui paraît singulièrement digne d'être soutenu.Lui-même alors s'intéresse de plus en plus aux débats politiques,est amené à réfléchir aussi sur les idées qu'il convient de proposer

    i. Note en forme de simple relevé, que je n'ai pas jugé utile de repro-duire (p. 123 du Supplément au Journal).

    Extrait de la publication

  • INTRODUCTION

    à son temps, sur le rôle qu'il peut et doit encore jouer entre sescontemporains.

    La nouveauté consiste en ceci que l'évolution de la France

    l'amène alors à exprimer en termes politiques une réflexion quidemeurait volontiers morale. Depuis longtemps il a dit ce qui leséparait de Quinet; il s'oppose aux « alliances bâtardes avec leprotestantisme» (2 novembre 1862) et d'autre part condamne aussibien « l'hégélianisme de Renan, Berthelot, Taine, etc. ». A cettedate il commence dans la fureur, dans le ravissement, les derniersvolumes de l'Histoire de France, consacrés au xvme siècle; il estimequ'il est placé « dans une situation nouvelle, où [ses] meilleursamis ne sont pas encore nettement, celle de proclamer la mort(provisoire) du christianisme, comme l'ont fait très utilement nospères Diderot, Voltaire, Goethe, etc. » (8 novembre 1862). Renanva bientôt, par la publication de la Vie de Jésus, déclencher desréactions caractéristiques « l'article d'Havet qui adopte les prin-cipaux résultats de Renan me fit sentir la responsabilité de monprochain livre rendre au genre humain ses titres qu'on lui ôteau profit d'une légende individuelle et romanesque » (3 août1863). C'est ce qu'il fera dans la Bible de V Humanité. Et, en juin 1867,rappelant cette œuvre et évoquant le Livre des livres, il songe à« raviver la vraie tradition, entre le pessimisme de Quinet, l'opti-misme de V. Hugo (en touchant aussi Louis Blanc) ». ContreQuinet, contre le sceptique Renan, contre Hugo qui proclame lamort des patries dans Paris-Guide (1867) il faut définir ce qu'est lalinea recta, il faut selon les leçons de l'Histoire, d'après le Credod'action qu'ont enseigné les grands ancêtres du grand siècle,le xvine, proposer aux générations nouvelles un idéal toujoursactuel.

    Ainsi unit-il, en cette fin de vie, la conscience de la grandeœuvre accomplie, l'ambition d'agir encore, la conviction qu'ilpeut et doit fixer les directions à suivre. En 1869, alors qu'iltermine Nos Fils, brusquement la situation politique lui semblemerveilleusement changer les élections de mai-juin 1869 et lesuccès des candidats républicains lui paraissent marquer unréveil décisif de l'opinion publique. Il entre dans une périoded'intense excitation intellectuelle, et juge (re)venu le temps del'espoir. Ses réflexions des années précédentes, le surgissementd'une nouvelle et jeune opposition à l'Empire, le fait aussi qu'ilest lié avec Meurice et se sent à l'unisson avec Le Rappel, l'assurentque, mieux que d'autres, il saura comprendre, exprimer les aspi-rations du temps. Sursum corda Il écrit orgueilleusement dans son« orientation » du 21 juin « Avenir! La parole est aux événementsQuinet vient trop tard avec l'histoire naturelle. j'ai clos en 1867.Renan vient trop tard avec l'histoire religieuse. j'ai clos en1864. V. Hugo vient trop tard avec le roman semi-historique. Lesens social se réveille. Suivons! » Il réfléchit sur le passé de toutesa génération, sur les quarante dernières années de l'histoire deFrance et conclut qu'il faut maintenant une littérature « quiembrassera d'un grand cœur la situation, l'ébranlement pro-

    Extrait de la publication

  • INTRODUCTION

    chain. qui acceptera toutes chances et d'amélioration généraleet de trouble personnel, inquiétudes, agitations, exils, etc., quiéclairera d'avance la voie des hommes d'action, politiques, légis-lateurs. Il faut pour cela i) raffermir le foyer (Le Prêtre, L'Amour,La Femme, 1845, 1858-59), 2) fonder l'éducation (L'Enfant, 1869),3} esquisser la Cité de l'avenir dans son identité politique et reli-gieuse (1846-1864-18..) ». Si les événements lui font une nouvellejeunesse, c'est aussi, apparemment, son propre passé qu'il retrouve.Mais cette impression première ne serait pas justifiée tout aucontraire Michelet entreprend alors de réviser ses idées sur lesocialisme qui lui semble donner un aspect neuf aux luttes poli-tiques françaises. On le voit, à soixante-dix ans, encore capabled'évoluer et toujours ardent à vouloir convaincre, et toujoursenclin à confondre, comme jadis, l'histoire et son âme, la réalitéfuture et son idéal d'Avenir. Il étonne ses contemporains quile voient toujours jeune par l'esprit, il est admirable d'enthou-siasme, de volonté, d'acharnement au travail, de foi.

    L'homme qui apparaît ici, est-ce bien celui qui épie la femmeadorée, quémande les « chères privautés » et répète ses actions degrâces en l'honneur d'une épouse «jamais plus charmante » qu'enses malaises divers? Lui-même le croit et l'affirme, et d'avanceproteste contre ses insupportables « demi-amis » qui, prétendant leréduire à la seule image qui leur conviendrait, ne le prendraientpas tout entier. C'est qu'il n'est point simple et que ses fièvresl'agitent diversement, en pensée, en ménage; il n'ignore d'ail-leurs pas ce qu'il leur doit et, dans une belle méditation du 23 août1869, considérant sa vie qui s'écoule et inexorablement approchede son terme, il écrit « Je suis reconnaissant pour l'âme univer-selle, pour la grande harmonie qui au total m'a partagé si bien.Que compterais-je en mal? Le grand travail qui a rempli mavie? Non. [.] Le vrai mal, le seul mal certainement, c'estmon agitation nerveuse, qui peut-être a fait mon talent, mespassions par crises et soudaines, souvent mes assombrissements.Mais que de renouvellements dans ces agitations, que n'ont paseus les autres hommes! Quelle chaude lumière en 1849, en 1854quand j'écrivis La Renaissance, et L'Oiseau avec elle. Quelle flammeen 1857, au solitaire Fontainebleau, lorsque l'orage de septembreme donna jusqu'en 1863 cette brûlante fécondité. Riche source,que ne trouvai-je pas dans son petit mystère profond! toujoursun jet de feu. [.] L'Histoire de France finie en 1868; et L'Édu-cation (avenir) arrivant pour le 24 mai, la grande date, la nouvelleaurore. Un monde neuf! le ferai-je aussi? Cela est improbable;mais tout au moins, pourrai-je y donner des préludes forts, directset féconds. Là encore, je voudrais l'avoir avec moi, cette secondeâme, jeune, charmante et rieuse. Me suivra-t-elle encore en cechemin nouveau, où l'histoire fait la prophétie? »

    II voyage alors en Suisse, « ému de la crise de la France, heureuxde la paix de l'Europe », charmé de posséder encore cette femmeexceptionnelle, « meam et unicam »; il consent à mourir, à « s'harmo-

    Extrait de la publication

  • INTRODUCTION

    niser au tout » il se figure que son labeur et le temps lui ont donnésa récompense, il ignore quels lendemains tragiques se préparent.Quittons-le sur cette image d'accomplissement et de sérénité.

    in

    Le manuscrit du Journal est déposé à la Bibliothèque de l'Ins-titut il est paginé, relié en quatre volumes auxquels s'est ajoutéun Supplément composé de feuillets donnés ultérieurement parM. et Mme Charles Rist. A la Bibliothèque historique de la Villede Paris sont conservés d'autres feuillets qui appartiennent éga-lement au Journal et des notes de travail que, sauf exceptions, j'aicités dans les notes, en indiquant toujours leur provenance.

    L'édition de ce manuscrit est intégrale, c'est-à-dire que tout cequi a pu être lu, même dans les passages soigneusement biffés,est publié 1. Des crochets signalent ces reconstitutions qui, sauferreur de ma part, ne sont jamais conjecturales toute hésitationdans le déchiffrement donne lieu à des points de suspension. Engénéral l'écriture de Michelet peut être assez aisément lue, toutau moins quand le sens même des mots ne fait pas difficulté.L'orthographe est correcte; elle présente quelques caractéristiquesnormales au xixe siècle (-ns à la fin de participes présents; esto-mach pour estomac, etc.). Certes ces pages sont hâtivement écri-tes par un homme pour qui la hâte était une habitude et une vertu,mais les rares inadvertances ne font pas problème; je n'ai pas jugéutile de reproduire des erreurs vénielles. Plus délicate serait laquestion de la ponctuation. Michelet jette sur le papier des indi-cations qui lui rappelleront ce dont il veut se souvenir, il ne cons-truit pas toujours des phrases; des points, des tirets séparent desgroupes de mots; des repentirs, des additions très postérieuresviennent compliquer la disposition du texte. Je ne me suis pasinterdit de modifier la ponctuation dans la mesure où une repro-duction exacte eût rendu malaisée la lecture du Journal impriméMichelet n'aurait pas présenté ce manuscrit tel quel à Raçon!D'autre part, comme il écrit pour lui-même, il use fréquemmentd'abréviations. Lorsque le sens de ces abréviations est évident,je reconstitue le mot sans indication; lorsque l'on peut hésiter,je laisse l'abréviation ou mets la fin du mot entre crochets. Onne s'étonnera point que certaines abréviations ne soient jamaiscomplétées je ne pense pas que l'étude des fonctions digestivesde Mme Michelet mérite que l'on s'interroge longuement sur cesabréviations (dont le sens est patent) qui ne pourraient être

    i. Toutefois quelques notations à l'encre rouge, portées par Micheletlors de ses lectures du Journal et indiquant seulement les points sur les-quels se fixait son attention, n'ont pas été reproduites lorsqu'elles étaientsimplement empruntées au texte et n'ajoutaient rien à l'intérêt de sa lec-ture. D'autre part je n'ai pas jugé nécessaire de recopier quelques relevés,comme la page 123 (déjà signalée) du Supplément ils sont négligeables.

  • Extrait de la publication