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Extrait de la publication… · 2013. 11. 7. · CARSAC Francis. Les Robinsons du Cosmos, 256 p., in-166 double couronne, couverture vernie illustrée en couleurs 200 fr. • Le Grand

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BULLETIN DE JUIN 1955SUPPLÉMENT A LA NOUVELLE N. R. F.

DU Ier JUIN. 1955

N° 30

a

nrfPUBLICATIONS DU15 AVRIL

AU 15 MAI 1955(Renseignements bibliographiques.)

On trouvera ici tous les renseignements bibliographiques sur les ouvrages effec-tivement parus du 15 avril au 15 mai 1955.

POÉSIE

BOISSONNAS Édith Le Grand Jour. 76 p., in-16 double cour-ronne. Collection blanche . 290 fr.

20 ex. num. pur fil Lafuma Navarre. 950 fr.

ROMANS RÉCITS

BELLOCQ Louise. La Ferme de l'Ermitage. 296 p., in-16"double couronne. Collection blanche. 650 fr.

20 ex. num. pur fil Lafuma Navarre.. 2.000 fr.

BERNADI François Rue du Soleil. 216 p., in-16 doublecouronne. Collection blanche. 500 fr.

20 ex. num. pur fil Lafuma Navarre..1.750 fr.

BOCRAT Henri. Soupe aux Crabes. 256 p., in-16 doublecouronne. Collection blanche. 550 fr.

20 ex. num. pur fil Lafuma Navarre..1.800 fr.

DUTOURD Jean Doucin. 256 p., in-16 double couronne.Collection blanche 520 fr.

10 ex. num. sur hollande. 4.500 fr. (épuisé)50 ex. num. sur pur fil LafumaNavarre. 1.900 fr.

GAUCLÈRE Yassu Sauve qui peut 304 p., in-16 doublecouronne. Collection blanche. 650 fr.

10 ex. num. sur hollande. 4.500 fr.

40 ex. num. purfilLafuma Navarre.. 2.000 fr.

HAEDENS Kléber Adieu à la Rose. 256 p., in-16 doublecouronne. Collection blanche. 500 fr.

25 ex. num. pur fil Lafuma Navarre.. 1.800 fr.

LEDUC Violette Ravages. 320p., in-1 6 double couronne.Collection blanche 750 fr.

20 ex. num. pur fil Lafuma Navarre.. 2.500 fr.

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BULLETIN DE JUIN 1955

POUCETTE Les Vraies Jeunes Filles. 192 p., in-16double couronne. Collection blanche. 450 fr.

20 ex. num. pur fil Lafuma Navarre.. 1.800 fr.

ROY Jules La Femme Infidèle. 224 p., in-16 doublecouronne. Collection blanche. 450 fr.

12 ex. num. hollande. 3.500 fr. (épuisé)20 ex. num. pur fil Lafuma Navarre..1.200 fr.

SEGNAIRE Julien Les Dieux du Sang. 272 p., in-16 doublecouronne. Collection blanche 550 fr.

20 ex. num. pur fil Lafuma Navarre.. 2.000 fr.

TRADUCTIONS

DOSTOIEVSKI Les Démons, Carnets des Démons,Les Pauvres Gens. Traductions et

Notes de Boris de Schloezer et SylvieLuneau. Introduction de Pierre Pas-

cal. Chronologie, Bibliographie parSylvie Luneau. 1.380 p., in-16 doublecouronne. Collection « Bibliothèquede la Pléiade », reliure pleine peau,emboîtage en matière plastique trans-parente. 2.600 fr.

MAC COY Horace Le Scalpel. Traduit de l'américain parMaurice Beerblock. 320 p., in-8°soleil. Collection « La Méridienne ».. 750 fr.

Le Livre des Mille Nuits et

une Nuit. Traduction littérale et complète.de J. C. Mardrus. Tome I, 848 p.,format 230 x 180, 27 aquarelles deVan Dongen, reliure d'après unemaquette originale de Paul Bonet. 4.800 fr.

RIESS Curt. Escale à Orly. Traduit de l'américainpar Jean Rosenthal. 256 p., in-8° soleil.Collection « L'Air du Temps ». 590 fr.

ESSAIS LITTÉRATURE

BRETON André Les Vases Communicants. 208 p., in-16double couronne, 8 planches horstexte. Collection blanche 450 fr.

DELHOMME Jeanne Temps et Destin (Essai sur André Mal-raux). 272 p., in-16 double couronne.Collection « Les Essais» 650 fr.

MERLEAU-PONTY Maurice Les Aventures de la Dialectique. 320 p.,in-16 double couronne. Collection

blanche 650 fr.

33 ex. num. pur fil Lafuma Navarre.. 1.900 fr.

CORRESPONDANCE

GIDE André VALÉRY Paul.. Correspondance. 1890-1942. Préface etNotes par Robert Mallet. 560 p., in-8°carré. Un frontispice. Coll. blanche. 1.500 fr.75 ex. num.surhollande. 8.000 fr. (épuisé)

500 ex. num. pur fil Lafuma Navarre. 4.500 fr.

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BULLETIN DE JUIN 1955

LARTÉGUY Jean. Les Jeunes du Monde devant la Guerre(documents recueils-par Jean Larté-guy), 208 p., in-8° soleil. Collection«L'Air du Temps » 450 fr.

DOCUMENTS LITTÉRAIRES

MAHIAS Claude La Vie d'André Gide. Avant-Propos etCommentaires de Pierre Herbart.

136 p., format 16,5 x 21, 5. Collec-tions «LesAibums photographiques».200 documents photographiques. 900 fr.

SÉRIE NOIRE

BREWER Gil La Machine à découdre. Traduit del'américain par Jeanine Hérisson

KEENE Day Ciel ma Femme Traduit de l'américainpar F. M. Watkins.

MANOR Jason. Ouvrage de Dame. Traduit de l'améri-cain par L. Brunius.

STEWART Terry La Sueur froide.Chacun de ces quatre volumes 220 fr.

LE RAYON FANTASTIQUE

CARSAC Francis. Les Robinsons du Cosmos, 256 p., in-166double couronne, couverture vernieillustrée en couleurs 200 fr.

ÉCHOS PROJETS• Le Grand Prix National des Lettres a été décerné, à l'unanimité, le17Mai,à Jean Schlumberger, pour l'ensemble de son œuvre.

Le Prix du Prince Rainierlllde Monaco a été décerné, le 28 avril,à Louise de Vil-morin pour l'ensemble de son œuvre.

Le 31 mars dernier, le grand savant Émile Borel a reçu la Médaille d'Or du CentreNational de la Recherche scientifique. Rappelons que deux ouvrages importantsd'Émile Borel sont au catalogue de la Collection « L'Avenir de la Science » LeJeu, la Chance et les Théories scientifiques modernes, et Les Paradoxes de l'Infini.

• Jean Rostand, directeur de cette collection, a eu aussi la joie de voir désigner enpremière ligne deux des plus éminents collaborateurs de sa collection pour deschaires du Collège de France le professeur Charles Oberling, directeur de l'Ins-titut du Cancer, pour la chaire de médecine expérimentale, et le professeur ÉtienneWolff, de la Faculté de Strasbourg, pour la chaire d'embryologie expérimentale.Ch. Oberling a publié, dans « L'Avenir de la Science », Le Cancer, et Et. WolffLa Science des Monstres et Les Changements de Sexe.

• La Société des Lecteurs a désigné comme Livre du Mois (pour avril) Le Bel Été,de Cesare Pavese. Parmi les volumes recommandés (pour mars et avril) les Sou-venirs sans Fin, d'André Salmon le roman haïtien de Jacques Stephen AlexisCompère Général Soleil le tome II des Poésies de Lorca La Mort de Virgile,d'Hermann Broch La Matrice, de T.-E. Lawrence, et Toutes les Lettresde Machiavel.

Le Comité français de Sélection franco-britannique du Livre a désigné à l'atten-tion du Comité londonien La Femme infidèle de Jules Roy et les Souvenirs sans Find'André Salmon.

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BULLETIN DE JUIN 1955

• Le Livre et la Scène.

Après une sélection, la'finale pour l'attribution de la Coupe-Challenge du RoiAlbert, connue aussi sous le nom de « Trophée Royal », s'est disputée les 23 et24 avril, à la Halle aux Draps à Tournai, entre les six meilleures compagnies drama-tiques belges. C'est la Compagnie « Le Progrès », de Lodelinsart, dirigée parJuliette Adriaenssens, qui a remporté le Trophée avec la pièce d'Armand SalacrouSens Interdit, dont c'était la première représentation en Belgique.

Parmi les spectacles montés par les Festivals de cette saison, on signale LesMouches, de Jean-Paul Sartre, au Théâtre Romain de Fourvière (Lyon), du 19 au21 juin Les Noces de Sang, de Lorca, à la Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon,du 24 au 27 juin.

• Jacques Audiberti, retour d'une tournée de conférences en Égypte, doitengager prochainement une série d'entretiens radiophoniques avec Robert Malletsur « la Presse française ».

• Le Livre et le Disque.L'Académie Charles Cros a distingué, dans la série « Documents », le Saint-

Exupéry vous parle, édité par Festival textes dits par Saint-Exupéry, Gérard Phi-lippe, François Périer, Jean Marchât présentation de Didier Daurat.

Vient de paraître, chez Philips, l'enregistrement intégral de Jeanne au Bûcher,de Claudel (musique d'Honegger), réalisé en hommage à la culture française avecune interprétation américaine et l'Orchestre philharmonique de Philadelphie,dirigé par Ormandy. Deux disques microsillon; sous une reliure contenant égale-ment le volume de Claudel.

• Pour paraître en juin, dans le « Point du Jour », La Pluie et le Beau Temps, deJacques Prévert. Ce nouvel ouvrage, que jalonnent les événements et les circons-tances, constitue un peu la chronique poétique et satirique de ces dernièresannées.

• Traductions.

Harrap va publier à Londres une édition universitaire du Maître de Santiago,de Montherlant. L'appareil de notes est de M. Marks, lecteur de français à l'Univer-sité de Manchester.

L'Espoir, de Malraux, paraît en traduction yougoslave.La vente de la traduction japonaise du Deuxième Sexe, de Simone de Beauvoir,

a dépassé cent cinquante mille exemplaires.Église, Capitale Vatican, de Jean de Neuvecelle, va paraître en traduction en

'Allemagne, en Argentine et aux États-Unis.

Le Livre et la Radio.Fait exceptionnel les principaux chapitres d'Église, Capitale Vatican, ont fait

l'objet de lectures hebdomadaires, pendant six semaines, à Radio-Vatican.

• Le XXVIIe Congrès international de la Fédération des P. E. N. Clubs se tiendraà Vienne, du 12 au 19 juin. Parmi les écrivains et traducteurs français y participant,citons André Chamson, président de la Section française des P. E. N. ClubsMMe. la duchesse de La Rochefoucauld, Annie Brierre, Frances de Dalmatie et

Henriette de Sarbois MM. André Bay, Pierre Béarn, Charles Braibant, Jean Follain,Jean Lebrau, Marcel Sauvage, Raymond Schwab.

• Pour paraître en juin, entre autres Notes sur l'Affaire Dominici, par Giono,suivies d'un Essai sur le Caractère des Personnages le Journal, de Valéry Larbaudle Théâtre de Chambre, de Jean Tardieu A propos de l'Humain, de Jean GrenierClaudel et son Art d'écrire, d'Henri Guillemin Une Mort ambiguë, de RobertMallet les souvenirs de Danielle Hunebelle Les Plumes du Paon (dans La Col-lection « L'Air du Temps » les romans d'Anne Pollier La Petite Chanson deMarc Bernard Salut, Camarades de Bruno Gay-Lussac Les Moustiquesde Guy Verdot Monsieur avec Enfant et, dans la Collection « Du Mondeentier », La Catalogne libre (1936-1937), souvenirs de la guerre d'Espagne,de George Orwell.

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LA NOUVELLE

NOUVELLE

REVUE FRANÇAISE

LE PERMISSIONNAIRE

Il a suffi d'un peu de soleil, pas même d'unelumière plus délicate, d'une lueur dorée dans la blan-

cheur du ciel cela tressaille, cela respire, et l'on dirait

qu'à l'approche du soir cette campagne de fin d'octobrecommence à s'éveiller. On ne l'espérait plus au cime-

tière, les femmes qui préparent les tombes pour la

Toussaint lèvent une tête surprise, et d'une tombe à

l'autre se regardent on est là pour les morts, mais on

n'a pas besoin d'un temps maussade pour les aimer;ils le savent eux-mêmes, ils le sentent et tous ces

chrysanthèmes aussi, qui soudain dépouillent leur air

d'exil ou de parade, acceptent le lieu, la compagnie

profonde, et s'en font accepter. Si bien qu'il n'est

rien, entre ces quatre murs bas et rongés de lichens,

qui ne semble témoigner d'une famille commune.

Rien, sauf quelques tombes à l'abandon, mais si

vieilles qu'elles en prennent un air décent. Cette tombe

toutefois, ce petit renflement de terre fraîchementi

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I,A NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

grattée, sans autre parure qu'un bouquet blanc dansune boîte de fer, et plus misérable encore de cette

parure.

« Elle n'est pas venue ?Pensez-vous C'est sa tante qui a tout fait.Il faut croire qu'elle avait autre chose à faire, elle.Il faut croire. J'en connais un pourtant qui est

venu, et dès ce matin, dans son habit de soldat. Vous

voyez qui ?

Je vois. Il n'a pas mauvais cœur. Mais ce qui estfait, on ne le défait pas. »

Dans la ruelle qui longe le cimetière, un chariot passe

en bringuebalant sur les cailloux.

« A cette heure-ci, qui ça peut être ?

Peut-être des gens qui vont aux pommes. »

Le chariot s'est engagé sur la descente de la côte,

et l'on entend, mêlée au gémissement des freins, une

voix jeune qui tout ensemble retient et encourage leschevaux.

C'est vrai que de pommes à cueillir avant les

premières gelées On en cueille aux Landières toute

une famille plus bas, sur un bout de terre en friche,

une vieille femme emplit sa hotte plus bas encore,

dans un champ, une échelle semble attendre, appuyéeaux hautes branches de l'arbre mais, entre deux

échelons, une vache essaie de glisser la tête, se frotteet souffle d'aise. Plus bas, c'est la vallée.

Prés, fermes, rivière, bouquets de saules ou de trem-bles, la vallée aujourd'hui aura été la dernière à s'éveiller.

C'est qu'il y restait du brouillard. Il en reste encore, mais

ténu, presque lumineux, près d'un marécage, près du

moulin (non, ici, c'est un feu de roseaux et d'herbes

sèches, autour duquel cinq ou six gamins oublient leursbêtes), plus dense près de la passerelle, au cœur de lavallée, où s'amorce entre des buissons le chemin de

rocaille qui monte vers le cimetière. Il y avait là jadis

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LE PERMISSIONNAIRE

des vergers, et même, au début de la pente, quelques

vignes tout est envahi par les ronces, jusqu'au seuilde cette petite masure, qui ne semble plus faite que pourdes amoureux. I,es voici.

Elle se tient sur la marche du seuil, la tête mi-tournée

vers les buissons. Dans la pénombre de la pièce, unsoldat la regarde, la guette, l'attend, fait deux pas vers

le fond, revient vers elle et du regard l'interroge. Quelsilence Il ôte son calot et l'étiré entre deux doigts, il

en lisse les bords et les pointes de nouveau, il s'encoiffe, l'inclinant sur la tempe, et son petit visage osseux,indécis à la fois et tourmenté, en prend un air enfantin,

un peu comique.

« Marie-Paule, qu'est-ce que tu as ? Pourquoi ne dis-tu rien ? »

Elle ne semble pas l'entendre.

« Mais, Marie-Paule, qu'est-ce qu'il y a ? On est là,tous les deux, après des mois et des mois. Et je te parle.

Et c'est comme si je ne te parlais pas »La voir, la sentir ainsi, lointaine et fermée, mais plus

que jamais précieuse inaccessible, alors que l'on n'a

pour la convaincre, ou du moins la toucher, que quel-

ques instants déjà cette vague lumière, qui vient dorer,au-dessus des buissons, le haut bouquet d'ormes, estprès de s'épuiser. Il s'approche encore d'un gestebrusque, elle lui tourne le dos.

« Marie-Paule

Es-tu fou ? Qu'est-ce que tu as à crier comme ça ?

Tu veux qu'on nous entende ? »

Mieux vaut cette voix coléreuse que le silence.« J'ai cru que tu voulais partir, Marie-Paule. Alors

j'ai.j'ai crié.Tu seras toujours le même.

Mais, Marie-Paule, ce n'est pas ma faute. Qu'est-

ce que je peux faire ? Je demande une permission,

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LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

exprès pour te voir, pour te parler. Je t'écris, je te pro-pose un rendez-vous. Oh je n'étais pas très sûr que tu

viendrais, tu penses! Eh bien! si, j'en était sûr.Tu en étais sûr 1

Oui, tu peux te moquer, j'en étais sûr. J'étais sûrque tout n'était pas fini entre nous. Je me disais« C'est impossible. » N'empêche que, quand je t'ai vuevenir de loin, par delà le pont, oh tu sais, tu sais

Je sais que je n'aurais pas dû venir, que ça ne sertà rien.

Ce n'est pas vrai, Marie-Paule. Tu sais que main-tenant c'est grave.

Ça ne l'était peut-être pas autrefois i

Ça l'était, Marie-Paule. Mais il n'est pas trop tard.

J'y ai tellement pensé, depuis des mois que je suis à la

caserne. C'est ce que je suis venu te dire. Et j'essaie de

parler, je dis « Marie-Paule », et tu restes là comme si tu

ne me connaissais pas. Qu'est-ce qu'il y a ? Qu'est-ce

que je t'ai fait ? Tourne-toi, je t'en prie, réponds-moi,Marie-Paule. »

Se tournant un peu vers lui, elle le regarde enfin. Cen'est pas ce regard qu'il attendait, sans doute, ce regard

maussade, presque dur n'importe, elle le regarde, il

n'est plus seul. Reste à la désarmer.

« Bon. Voilà que tu me regardes. Et alors, Marie-

Paule, qu'est-ce qu'il y a, qu'est-ce que tu penses, me lediras-tu ?

Tu avais bien besoin de venir en tenue de soldat

dit-elle du bout des lèvres. Tu tenais à ce que tout le

monde te remarque »

Cette voix sèche, presque méprisante.

« Mais, Marie-Paule, je croyais, écoute, je croyais queça ne te déplairait pas.

Oui, je vois, l'habitude des villes Nous, à la cam-

pagne, on n'a pas besoin d'uniforme. »Penaud d'abord et contrit, soudain délivré

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LE PERMISSIONNAIRE

« Alors, s'écrie le garçon, c'était ça C'est à cause dema tenue que tu m'en voulais ? Ah bien, si j'avais su 1

Entendu, mademoiselle, vous me direz quel habit jedois mettre ils sont tous rangés dans l'armoire. »

Il la regarde, puis regarde sa tenue de soldat (le faitest.), puis retire et brandit son calot, le calot de fantaisie

acheté la veille aux Magasins Réunis de Belfort, et,riant

« Alors, c'était ça, Marie-Paule, c'était ça »Mais elle, d'un air excédé

« C'était ça. Ce n'était rien. C'était tout. Est-ce que

tu finiras par comprendre ? »Et voilà le silence, l'éloignement, l'angoisse, tout

recommence. Il faut tout reprendre. On n'en sortira

pas. Et c'est à peine si la cime des ormes se détacheencore sur le ciel.

« Marie-Paule ?

Ah je t'en prie. Quand tu m'appelles par mon

nom, on dirait que tu bêles.Et l'autre, est-ce qu'il bêle, dis ? Est-ce qu'il

bêle, ton patron, ton maquignon, ton amant ?

Ça te regarde ? »

Elle s'est brusquement tournée vers lui et l'affronte.

« Tu as des droits, peut-être ? »Un instant, les traits convulsés, le garçon soutient

le défi. Un instant seulement puis il baisse les yeux.Elle fait alors une moue, et, d'une voix détachée

« Tu as tort, dit-elle, de te mettre dans des états

pareils. Tu vas avoir une crise, comme le jour de laSaint-Jean, tu te souviens ? »

Puis, comme pour elle-même

« Et moi, bête que je suis, d'être venue pour m'en-tendre dire ça »»

Elle hausse l'épaule, regarde encore le garçon et, plusdoucement, conclut

« Essuie ta bouche, va. »

Extrait de la publication

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LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Il le fait. Mais il hésite entre les reproches et ladétresse d'une voix sourde, il appelle

« Marie-Paule.

Quoi ?Marie-Paule. »

Et qu'il bêle un peu, il s'en rend compte. C'est lafaute des nuits de caserne, où l'on se répète un nomcomme une plainte ou comme un refuge. Déjà, c'est la

faute de ce nom, qui est beau comme ceux des livres,mais qui désigne une fille vivante sur une terre nue.

La mauvaise fille Front buté, joues creuses, lèvres

pincées par on ne sait quel ressentiment, quand elle se

met en colère, on voudrait lui dire qu'elle devient laide.

Et c'est vrai, dans un sens, qu'elle devient laide. Mais

quoi, jamais on ne l'a sentie plus chère. Laide, mais

comme un méchant petit démon, et l'on sait que l'ange

n'est pas loin, peut-être, qu'il suffit d'un sourire, ou

d'un simple instant d'oubli, pour que ce fin visage

s'éclaire d'une grâce que pas une fille des campagnesou des villes ne pourrait offrir.

« Marie-Paule, j'ai eu tort, je te demande pardon. Je

n'ai pas su te parler. Qu'est-ce que tu veux Rien que dete voir, après si longtemps, c'en était déjàtrop. Mais

c'est passé, Marie-Paule, je te le promets, je te le jureécoute. Non, d'abord viens t'asseoir un peu, là, sur le

banc, devant la cheminée. Viens, je t'en prie. »Il la tire par la main mais la main se fait lourde,

et lourd le corps, si vif pourtant dans ses caprices.

« A quoi ça sert, murmure Marie-Paule. Et puis ilest tard, il faut que je rentre.

On t'attend ?

Tu vois Tu recommences.

Non, c'était pour rire. Rien qu'un instant, viens.

Ivà, comme ça. On est si mal, ma petite Marie-Paule ? »

Elle répète, d'une voix lasse« A quoi ça sert

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I,E PERMISSIONNAIRE

A rien, à tout, comme tu disais. Maintenant

laisse-moi parler. Marie-Paule, vois-tu, c'est toute ma

vie qui va se décider, et, si tu veux, la tienne aussi.Oh la mienne, j'en ai pris mon parti.Par ma faute, oui, je le sais. J'ai manqué de cou-

rage. Dès le début, j'aurais dû tout dire à mes parents.Tu n'étais pas de taille, mon pauvre Alfred.Je. Tiens J'ai donc un nom, moi aussi Bien

sûr, un nom qui n'est pas si joli que le tien. Mais un

nom que tu te rappelles encore un peu, Marie-Paule ?.Tu souris ? Enfin, un sourire. Dis, c'est mon nom qui tefait sourire ?

Un nom que j'ai trop connu, soupire Marie-Paule.

Un nom que tu connaîtras encore, si tu veux.Pour ce qu'il m'a apportéBeaucoup de mal, je le sais, et je n'en suis pas fier,

j'en ai honte au cœur. Mais rien que du mal, dis, rienque du mal ? Non, ne réponds pas encore, Marie-Paule.Pas tout de suite. Écoute-moi. Il faut que je t'apprennetout. Après, après tu décideras. »

Mais que dire à cette fille dont le visage, un instantadouci, s'est de nouveau fermé ? A cette fille que l'on a

tenue entre ses bras, souvent rétive, plus souvent indif-férente, soudain follement avide et c'était alors, hélas

que l'on se sentait le plus pauvre, le plus déconcerté.Et ce corps, comment l'émouvoir, que l'on a laissé fuir,et qui s'est ouvert, chacun le répète, à un autre homme ?On devine dans la pénombre, sous le long cou laiteux,

le gonflement des seins on en pressent la tiédeur, etcelle du ventre, et, plus délicate encore, celle des lisses

parois des jambes.« Alors, quoi dit la fille. Tu rêves ?

Je rêve, oui, à toi, à nous, à ce que nous avons été. »Soudain, se baissant, il lui effleure la cheville. Elle

s'écarte pourquoi ? C'était à peine une caresse, etsatisfaite dès que tentée.

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LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

« Je rêve à ce que nous pouvons être encore l'un pourl'autre, Marie-Paule. Non, ne dis rien je sais tout. Enfin,

je sais ce qu'on raconte, et, vois-tu, même si c'est vrai,moi aussi j'en ai pris mon parti. Oh ça n'a pas été facile.Quand j'ai su que tu étais allée vivre à la ferme, chezle maquignon, j'ai dit « La voilà perdue. » Ce n'est passeulement pour moi que je le disais, Marie-Paule, maispour toi, tu me comprends, d'abord pour toi. Tu nepeux pas deviner les heures que j'ai passées, les nuitssans dormir, et même pendant les marches, quand çapesait plus lourd que le sac et le fusil.

Et qu'est-ce que j'aurais pu faire, veux-tu me ledire ? Avec toi qui étais parti. Avec ma tante qui ne meparlait quasiment plus, depuis la naissance du petit,et même après sa mort. Avec les gens du village, qui meregardaient comme une traînée. Avec tes parents,Monsieur le Notaire et Madame son épouse, tesjolis

parents qui me guettaient, crainte que je ne remettela main sur leur fils, et queje ne prenne leur

magot 1

Marie-Paule, je t'en prie.

Ah non, assez de « Marie-Paule »Qu'est-ce que

j'aurais pu faire, dis-le donc Attendre que tu reviennes,que tu te décides, que tu résistes à tes parents toiqui ne l'avais pas même osé quand j'étais enceinte ? Oui,des promesses, des soupirs, des « Marie-Paule », du vent.Ah non, je n'en pouvais plus. N'importe quoi, tum'entends ?

N'importe quoi, si tu veux. Mais pas aller vivreseule avec cet homme-là.

Seule ? Menteur Comme si sa sœur n'habitait

pas avec luiOn la connaît, celle-là. Elle ne l'a jamais beaucoup

gêné. Tu ne vas pas me faire croire. »Mais la jeune fille s'est dressée. Sous les cheveux

blonds, le délicat ovale du visage n'est plus que colère

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IvE PERMISSIONNAIRE

et provocation. Des poings crispés, des yeux farouches,une voix rauque, parfois sifflante.

« Crois ce que tu veux, je m'en moque. Crois que jecouche avec lui, et que je m'en donne jusque-là. En toutcas, sois sûr d'une chose c'est qu'avec toi, c'est fini.Et que je n'ai qu'un regret c'est que ça ait pu com-mencer. »

Elle attend une réplique, se prépare, s'étonne dusilence et de l'immobilité du garçon. Soudain, rapidement,elle gagne le seuil, comme si elle allait partir. Est-ceremords ou surprise de n'être point rappelée ? Parvenueà la marche, voici qu'elle s'arrête, puis s'appuie contrela porte.

Ce n'est pas encore la nuit mais le brouillard denouveau s'installe dans la vallée et filtre à travers les

buissons. Une dernière bande d'étourneaux passe au-dessus des ormes à peine peut-on les suivre, mais onperçoit le froissement de l'air.

Du fond de la pièce, le soldat a suivi des yeux Marie-

Paule. Tout n'est pas perdu, puisqu'elle hésite, puis-qu'elle reste encore. Quelque blessure qu'elle lui ait

faite, et même si elle doit le frapper davantage (maiscomment!), à défaut de bonheur, c'est un répit que l'onn'espérait plus. « Faute du morceau, disait le grand-père, ramasse les miettes. » Cette fille de vingt-trois ans,qui se profile sur le noir bleuté du buisson, les yeux

fixes, les minces lèvres serrées, la gorge aiguë, le ventre

cambré (elle a placé les mains derrière le dos), le piedqui parfois, nerveusement, tressaille et c'est comme

une onde qui semble remonter à travers le corps jusqu'aupetit menton obstiné comme il la reconnaît, cette

étrangère, au corps familier Un dimanche, tandis

qu'ils se promenaient, et qu'elle ne cessait de rire àtoute chose, à tout venant, il l'avait entraînée à la

lisière d'un bois, étendue, mi-rieuse encore, mi-contrainte,

sur la mousse, et prise, la cherchant, l'appelant au plus

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I<A NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

profond d'elle-même. Elle fermait les yeux, restaitinerte soudain elle cria et le mordit. Le miracle. Mais

déjà elle s'était redressée, et, sans répondre au garçon,elle se tenait immobile, la bouche mauvaise, le corps

raidi, les yeux mouillés de colère comme en cet instant.Des voix. Elle sursaute, tend l'oreille. On ne peut

rien distinguer à travers les buissons, mais on entenddes pas, des craquements de branches, des voix encore,des voix d'enfants.

« Il ne manquait plus que cela » murmure la jeunefille.

Elle recule, revient, cherche une issue. On la dirait

traquée. Elle souffle de dépit et de colère. A-t-on idéed'une telle peur

« Mais ce n'est rien, dit Alfred, qui l'a rejointe. Ce n'estrien, Marie-Paule, on ne peut pas nous voir.

Et si on vient ? Tu ne les entends pas

Eh bien rentre, fermons la porte. Il y a unverrou.

Oh toi, toi, tu me rendras folle. »

La porte fermée, on n'y voit goutte. Et d'abord onn'entend plus rien. Mais de nouveau les voix. Et mêmeelles se précisent les pas s'approchent.

« N'aie donc pas peur », chuchote le soldat.Bon Le loquet remue, on secoue la porte. Combien

sont-ils ? Deux, trois ? Des gamins qui sans doute

ramènent leurs bêtes au village. De toutes ses forces,

Alfred s'appuie à la porte et maintient le verrou maisd'instant en instant il tourne la tête vers la jeune fille.

I,es yeux se font à la pénombre il entrevoit Marie-

Paule, qui a cherché refuge près de la cheminée il

devine sa peur, il s'en émeut ce n'est pas que le danger

soit grave mais il est bon de le courir ensemble, etplus doux d'en préserver la peureuse.

Un dernier coup d'épaule, encore un claquement de

loquet cette fois les enfants renoncent on les entend

Extrait de la publication

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I,E PERMISSIONNAIRE

bougonner, puis rire, et même, tandis qu'ils s'éloignent,l'un d'eux se met à siffler. A présent, on peut ouvrir,

n'est-ce pas ?« Tu vois, Marie-Paule tu n'avais rien à craindre. »

Elle semble encore fâchée; c'est bien simple quand

elle ne sourit pas, elle semble toujours fâchée point demilieu. Mais elle a beau faire cela va mieux que tout

à l'heure. Et quand il lui montre le banc, si elle refuse

d'abord, puis si elle s'assied à l'écart n'importe, elle

s'est assise. Non, tout n'est pas fini. Simplement rester

calme, et parler de tout son cœur. Il n'est pas possible

qu'elle refuse de comprendre.Une fois encore, Alfred ôte son calot et le place entre

ses genoux. Puis, à mi-voix, il commence

« Tu avais raison, Marie-Paule. Je n'ai pas à savoir

ce que tu as pu faire je n'ai pas à te juger. Quoi quetu aies fait, tu étais excusable. Je ne t'en parlerai

jamais. Et même, au fond, j'en suis. Oui, j'en suiscontent.»

Ce n'est pas facile à dire. Un homme a sa pudeur. La

voix s'étrangle

« Oui, Marie-Paule, j'en suis content. C'est une

épreuve. C'est ma punition. »Il devine le coup d'œil étonné qu'elle lui jette. Il y

trouve un nouveau courage il n'a pas fini de la sur-

prendre 1« J'ai été trop faible, je le sais. Ça vient de loin. Ça

vient de mon grand-père, qui me gâtait trop, le pauvre

cher homme et puis de mes parents, qui, eux, ne me

passaient rien, pas même dejouer au billard, le dimanche,avec les autres garçons. Ça vient peut-être aussi de ma

néphrite, tu te rappelles, quand j'ai failli y rester etque j'ai mis si longtemps à me rétablir. Et peut-êtreencore oui, sûrement des deux ans que j'ai passés

à la ville, à préparer le brevet moi, je ne voulais pas,

je ne faisais rien, et tout le monde était contre moi.

Extrait de la publication

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LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Mon pauvre Alfred, tu as toujours eu, comme on

dit, la manie de la persécution.Moque-toi, Marie-Paule. Je l'ai bien mérité. Mais

maintenant ce n'est plus le même Alfred qui te parle.C'est un homme qui a souffert, qui a réfléchi et qui a prissa décision. Tu veux la connaître, Marie-Paule, madécision ?

Oh ça ne changera pas grand'chose.Ne parle pas si vite. Écoute. Je me suis dit, loin

de toi « C'est la femme de ma vie. Je n'en aurai pas

« d'autre. Et je vais le lui dire. Et je vais le dire à mes« parents. » Et je l'ai dit »

Eh bien Marie-Paule, la surprise ? En est-ce une ?Oui, une surprise, on n'en peut douter, à voir le brusquegeste de la jeune fille, à entendre cette voix qui tombedes nues

« Tu es fou Tu as dit. Tu leur as dit ?.

Je leur ai tout dit,ma belle et que je n'étais plusun enfant, et que je t'épouserais, qu'ils le veuillent ounon, dans deux mois, à mon retour du service. Et à

présent, je te le demande à toi, Marie-Paule, veux-tu

être ma femme, pour toujours ? »Ces yeux qui restent incrédules, cette bouche entr'ou-

verte. Ah il y a encore de beaux instants, menteur

qui dirait non, menteur ou lâche.

« Dans deux mois, sitôt revenu du régiment, on se

marie. Et si mes parents ne veulent pas de nous, on se

passera d'eux. Avec ce que mon grand-père m'a laissé,nous louerons une maison sur la place ou près des Éco-nomats, par exemple l'ancienne maison de la Poste, tu

sais, qui a un petit perron et un grandjardin. Ça ne teplairait pas, Marie-Paule ?

Tu es fou.

Je suis sage. Enfin sage. J'ai compris la vie, je la

vois, je la tiens déjà, et je te l'offre. Dis oui, ma belle ?

Pourquoi ne dis-tu rien ? Tu ne me crois pas ? »

Extrait de la publication

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LE PERMISSIONNAIRE

Peu à peu, sur le banc, il s'est approché de la jeunefille. Il lui a touché la main, il la prend, elle glisse, il la

retient. Douce conquête. Ia nuit peut venir, à présent.

« Dis oui, Marie-Paule, dis-moi un petit oui. Tu verrascomme nous serons heureux.

Je ne peux pas, chuchote Marie-Paule.

Pourquoi, mais pourquoi ?

Il est trop tard.

Mais puisque j'oublie tout, puisque je ne te par-

lerai de rien, puisque je te comprends, je t'excuse. je

t'approuve.

Je ne peux pas. »

Le ton cette fois est net et de nouveau presque hostile.

Et c'est le garçon qui de lui-même laisse fuir la main quis'abandonnait.

«Marie-Paule, demande-t-il d'une voix étouffée, tu

l'aimes donc ? »

Elle se tait, regarde au loin, comme si elle pouvait

apercevoir quelque chose

« Réponds, Marie-Paule. Je ne me fâcherai pas. Tul'aimes ? »

Elle soupire enfin, d'un air lassé

« Laisse-moi. Quand je te répondrais, ça ne t'avance-

rait pas. »

On a pu pressentir le coup, on le voyait venir. Ie coup

porté, on se rend bien compte que l'on espérait encore.

« Au moins, Marie-Paule, ne me dis pas non. Atten-

dons un peu. Ça changera peut-être. Tu me répondrasplus tard. »

Il semble que le silence, avec la nuit, se fasse plus

épais. Elle est là pourtant, un instant encore, près de

lui mais murée dans son propre monde, obstinément

rivée à ses secrètes images, à jamais absente. Libre,

quoi Et pour qui aime, est-il chose plus dure, plus

injuste, que cette liberté de l'autre ?

A cent pas de la maison, une chevêche vient de pousser

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1,A NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

son long cri de chat ou d'enfant. Le soir du bal, le soir

où tout commença, une chevêche déjà miaulait au creux

desjardins, devant la chambre des amants. (Mais, amants,l'étaient-ils ? Le garçon s'interrogeait et n'osait inter-

roger la fille.) Elle l'avait amené, au crépuscule, dans lamaison où, depuis dix ans, orpheline, elle vivait avec satante. L'escalier dont, l'une après l'autre, les marchesgémissent la porte vitrée la chambre de Marie-Paule

« Eh bien tu entres ou tu pars ? » Il la suivit, et ce futpour s'agenouiller devant elle, décrire son amour, son

respect, jurer qu'un jour elle serait fière de lui. Il

tenait le front collé à la robe de la jeune fille et, sous larobe, sentait les cuisses nerveuses. Quand il eut parlé,levant la tête, il ne sut que lire sur ces traits aucunejoie, à coup sûr, peut-être une sorte de défi, qui s'adres-sait à elle-même. Brusquement, elle ouvrit, fit glisserson corsage, et rien ne sera jamais plus beau que cesépaules presque enfantines, pour la première fois révé-lées. Mais les lourds vêtements d'homme qu'il fautretirer le lit où elle l'attend, étendue sur le dos, tandis

que les mains ramenées sous la nuque font saillir lagorge et découvrent la moiteur dorée des aisselles

l'approche des corpS l'ignorance du geste et la hontede cette ignorance; le cœur qui n'a pas tout dit; l'instinct

qui tout ensemble se rue et tâtonne, et craint de

s'épuiser. Arquée vers lui, la fille dérobait ses lèvres

pas une plainte. Brusquement, Marie-Paule s'arracha du

garçon, au moment où le plaisir le frappait. Un peu plustard, s'éveillant, il la vit debout près de la fenêtre, le

le visage tourné vers le jardin. Il la rejoignit, voulutl'entourer du bras mais elle, d'une voix sèche

« Tu n'en as pas assezJ'ai honte », murmura-t-il.

Ce fut à cet instant que la chevêche se mit à miauler.

Trois ans déjà. Tant de sourdes ou violentes querelles,mais, d'une querelle à l'autre, les minutes de grâce, les

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