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Extrait de la publication… · 2013. 11. 7. · rien. Des gros sabots, des habits tout sales dégueulasses déchirés, pas de casquette, une musette un vrai bouseux. J'ai d'abord

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  • LA NOUVELLE

    REVUE FRANÇAISE

    COCO PERDU

    Dans la salle d'attente je veux dire dans le hall de la

    gare centrale, je vous parle pas du hall de la gare routière

    celle des petits chemins de fer départementaux dans le

    temps, le tortillard qu'on l'appelait, c'est le hall de la gare

    de la S.N.C.F. que je veux dire. Bon alors comme je m'en

    allais hier soir après avoir acheté mon tabac à la mar-

    chande de journaux il devait être dans les neuf heures

    neuf heures et quart par là, un Arabe est entré, bourré. Il

    disait qu'il voulait du travail et que personne lui en don-

    nait. Les rares bonnes gens qui se trouvaient là s'en fou-

    taient vous pensez bien, ils y pouvaient rien en plus, y

    avait qu'à le laisser gueuler, mais comme il était bourré

    et qu'il gueulait de plus en plus fort et qu'il gesticulait,

    vous voyez ce que je veux dire, les gens s'écartaient ils

    avaient la trouille forcément! Les sidis ça joue facilement

    du couteau surtout une fois bourrés. Et alors quoi? Moi,

    j'y pouvais rien non plus. Il avait pas tous les torts

    remarquez mais vous savez moi, question politique c'est

    fini fini depuis longtemps, oh là là! Qu'est-ce que je fou-

    tais là? J' sais pas. A part que j'étais venu acheter mon

    tabac. J'aime pas la gare et j'y viens tout le temps. Tiens,

    hier matin encore, mais là c'était un cas de force majeure

    Extrait de la publication

  • LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

    forcément puisque Fafa prenait le train. Donc hier matintoujours à la gare mais ce coup-là dans le hall de la gareroutière, là je vous parle plus de la S.N.C.F. pendant lep'tit coup d'orage qu'on a eu vers midi juste au momentoù Fafa venait de passer sur le quai et où moi je venaisd'apercevoir l'Amiral voilà qu'on s'est trouvé vous allez

    pas me croire devant un type enchaîné. Je vous blaguepas. Un type. Un homme si vous aimez mieux. Enchaîné.

    Il était assis sur un banc dans le hall. Je croyais que çase faisait plus de balader des types enchaînés comme onvoyait dans le temps des gitans balader un ours ou un

    singe. Je croyais pas enfin j'y pensais jamais. A côté

    du type y avait un gros jeune bouffi de gendarme tout

    neuf qui avait l'air de s'emmerder je vous dis que ça! Etpuis encore un autre gendarme mais celui-là un chef quiregardait à la porte si la pluie allait pas bientôt finir.Enfin y avait encore un quatrième couillon, un vrai plouc,une grosse tête de lard toute ronde et rouge comme un

    ballon de gosse tandis que le type enchaîné lui était plutôtmaigre et pâlot, la gueule en lame de couteau genre mocovoyez c' que je veux dire? Le plouc restait planté les mains

    dans les poches à regarder vers le fond du hall où y avaitrien. Des gros sabots, des habits tout sales dégueulassesdéchirés, pas de casquette, une musette un vrai bouseux.

    J'ai d'abord cru qu'il était saoul ou mal réveillé. On était

    pas loin de midi. Ça, j'en suis sûr, la preuve c'est queje venais de conduire Fafa, c'est ma femme, au train de

    midi et que si j'étais pas allé jusqu'au quai avec elle c'est

    parce que au moment de passer le portillon j'avais pour-tant pris mon billet de quai, ça fait cinquante balles de

    foutus, voilà que j'aperçois l'Amiral. On l'appelle Amiralcomme ça pour rigoler parce que c'est un ancien marin.

    Fafa a très bien compris la combine elle a pas du toutgueulé. « Mais bien sûr T'as raison mon Coco. Rattrape-le,autrement il va filer.» Donc Fafa et moi on s'est quittés

    comme ça. Faut dire qu'elle était pas trop chargée et qu'elle

    Extrait de la publication

  • COCO PERDU

    était tout le matin d'une douceur d'agneau trouvant toutbien tout facile, ayant même réussi à boucler sa valise

    toute seule, ça s'était jamais vu, et n'ayant un peu insistéque pour partir un peu plus tôt parce qu'elle voulait passerà la poste ayant une lettre à y mettre qu'elle voulait jeterelle-même à la boîte. On avait pris un taxi à cause de lavalise. Le taxi a eu du mal à arriver à la poste vu quec'était le marché, la fin du marché, mais c'est là qu'il y ale plus de monde justement mais elle a voulu quand même.Le chauffeur s'est débrouillé je sais pas comment. Elle estdescendue du taxi pour aller jusqu'à la boîte. J'aurais pule faire à sa place, remarquez, elle a pas voulu, c'est ça quim'a mis la puce à l'oreille et puis je m' disais qu'on s'raiten retard. Bref on est arrivés à temps quand même etje serais passé avec elle sur le quai mais c'est là que j'aiaperçu l'Amiral et que l'orage a commencé. Vous avezentendu le coup de tonnerre? Je me suis mis à cavaler

    à travers la cour de la gare sous la flotte, je voyais bienque mon vieux François, c'est l'Amiral, m'avait pas repéré.Il se trottait en boitillant du côté de la gare routière. Pasdifficile à comprendre qu'il allait attendre son car. Je mesuis mis à crier « Ohé, Amiral » Voilà François quis'arrête et tourne de mon côté sa bonne vieille gueuletoute renfrognée mais en voyant que c'est moi il se marre.Il avait une belle casquette toute neuve avec une ancre

    dorée et un beau manteau bleu un peu trop long pour lui

    qui n'est pas bien grand. Il m'a attendu. J'ai piqué unpetit galop, et alors, à cause de la flotte on a couru un

    petit peu pour aller se réfugier dans le hall de la gareroutière, l'Amiral allait prendre son car justement et làon a vu le type enchaîné. Alors là minute de silence « Ah,

    dis donc o Le type enchaîné était assis sur son banc

    dans un coin du hall son gendarme à côté. On s'est mis à

    regarder, mais on n'osait pas, on était gênés. Des chaînes

    des vraies en acier, des menottes, quoi. Ça brillait. On

    n'osait pas parler. Le gros lourd debout à deux mètres du

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  • LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

    type tournait le dos à la porte où le chef gendarme regar-

    dait si la flotte allait pas bientôt s'arrêter et si le car

    allait pas s'amener. Le type enchaîné fumait une cigarette

    mais pour la prendre ou pour l'enlever il levait à tout

    coup les deux mains et les chaînes brillaient comme des

    trucs d'église. Il souriait, mais sans regarder nulle part ni

    personne. C'était un petit maigriot d'une trentaine d'annéestrès brun du genre plutôt nerveux pas comme l'autre

    plein de soupe. Nous, l'Amiral et moi, on aurait voulu

    savoir, mais l'idée de poser la question aux gendarmes

    nous venait même pas. On se serait fait remettre en place,

    engueuler peut-être bien. La flotte tombait toujours et y

    a eu un coup de tonnerre. La flotte faisait comme un vrai

    rideau devant la porte et c'était plein de bouillasse dehors.

    Ça clapotait sur le toit d'autant plus fort que le hall était

    vide à part nous. Malgré le chahut de la pluie on a entendu

    le train qui s'en allait emmenant Fafa à Paris et les

    cloches de la cathédrale qui se sont mises à sonner à toute

    bringue. C'est sûrement pour un mariage, m'a dit l'Ami-

    ral. Le cortège arrivait à l'église ou il en sortait, enfin

    je sais pas, en tout cas ça devait être un grand mariage vu

    le carillon. Là-dessus voilà le chef gendarme qui se

    retourne et qui nous dit

    « Ça s'arrange pas »

    Il s'en foutait, remarquez. C'était histoire de causer.

    François lui a gentiment répondu que c'était du temps de

    saison. Mais le chef a insisté en disant qu'il n'y avait pas

    que ça qui s'arrangeait pas et qu'on en voyait maintenant

    de drôles, des vertes et des pas mûres, et qu'y avait tropde salauds sur la terre.

    « Pas besoin d'aller bien loin pour en avoir la preuve.Vous avez vu celui-là ?»

    D'abord on a cru qu'il voulait parler du type enchaîné,

    mais pas du tout, c'était de l'autre. Alors cet idiot-là était

    un salaud? Non. Pas lui. Alors? Le type enchaîné? Non

    plus. Enfin, celui-là, c'était autre chose. Les salauds,

    Extrait de la publication

  • COCO PERDU

    c'étaient les types dans le train. Ceux-là s'il les avaittenus, alors là.

    « Et qu'est-ce qu'on peut faire nous autres ? Malheureux

    de voir ça tout de même »

    Qu'est-ce qui s'était passé?

    « Demandez-lui donc » fait le chef gendarme. Mais

    c'est lui qui demande à l'idiot « D'où ça que tu reve-nais ?»

    L'idiot revenait de la Lozère, ou de la Creuse je sais

    plus où il était allé faire une saison je sais pas de quoi,

    ouvrier agricole. Trois mois à travailler du matin au soiret dans le train en s'en revenant.

    « Ils lui ont tout fauché. Tout ce qu'il avait gagné dansses trois mois.»

    Je sais pas pourquoi le chef gendarme avait l'air telle-

    ment content de nous raconter ça.

    « Tu dormais ou quoi ?» qu'il demande à l'idiot.

    « Sais pas.»« T'étais saoul ?»

    « Non », répond l'idiot.

    Il avait peur du gendarme ça se voyait. Il bougeait

    presque pas ou alors c'était tout d'un bloc on voyait à

    peine remuer ses pieds.« Tu saurais les reconnaître ?»

    « Non.»

    Le chef gendarme se tourne vers nous avec une gueuleémerveillée.

    « Qu'est-ce que vous voulez qu'on fasse nous autres

    dans des conditions pareilles ?»

    D'abord c'était pas aux gendarmes de rien faire, ça

    regardait la police.« Il est venu nous dire ça, à nous.»

    Et quand s'était-il aperçu de l'affaire? En se réveillant,

    dit-il. Juste en arrivant. Il devait changer pour prendreson car. Il était déjà dans la cour qu'il s'est aperçu qu'il

    avait plus son portefeuille.

    Extrait de la publication

  • LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

    « Y avait combien? »

    « Quatre-vingt mille francs.»

    Le chef gendarme lève les yeux au ciel.

    « Mais aussi sacré bon Dieu on fait attention quand

    on a sur soi une somme pareille! Vous avez joué? »

    « Joué ?» dit l'idiot.« Aux cartes? »

    « Non.»

    « Vous avez bu ?»

    « Un p'tit coup de rouge.»

    « Rien qu'un petit coup ?»

    « J'avais mon litrej'ai payé un coup.»

    «Après. vous avez roupillé ?o« Ptête bien.»

    Naturellement Ils lui avaient fauché son morlinguc

    pendant qu'il roupillait et ils étaient descendus dès qu'ils

    l'avaient pu dans l'idée de prendre le train suivant. Nivus ni connus.

    « Tu vas te faire recevoir, toi, en rentrant chez toi »

    Le type enchaîné crache son mégot. On avait presqueoublié qu'il était là. Quand il a voulu tirer son mouchoir

    nous on les a bien entendues tinter ses chaînes. Le gros

    bouffi de gendarme assis à côté bronchait pas plus qu'un

    sac de patates. Le type s'est mouché comme il a pu il a

    remis son mouchoir en place et repris sa pose tranquille.

    « Si bien, dit le chef, qu'il a même plus de quoi se payerson billet »

    Et dans les quarante kilomètres à faire pour rentrerdans son village!

    « Je vous dis qu'il y a trop de salauds sur la terre »Nous, l'Amiral et moi, on avait commencé à se fouiller.

    La pluie mollissait un peu. Moi, je voulais bien donner

    quelques sous à l'idiot mais j'étais gêné, l'idiot demandait

    rien et j'avais compris que François pensait comme moi

    c'est pourquoi on a suivi le chef gendarme qui retournait

    dehors pour voir si le car arrivait et une fois dehors on

    Extrait de la publication

  • COCO PERDU

    a pris ce qu'on a trouvé dans nos poches et on l'a donné

    au chef gendarme en lui disant de donner ça à l'idiot.

    Le chef gendarme a dit « Pensez-vous Il a qu'à se

    démerder Mais il a pris les pièces, on l'a salué et on est

    parti sous la flotte mais c'était déjà fini. La pluie a cessé

    y avait plus de tonnerre il devait être dans les midi dix

    par là. On avait peut-être le temps de s'envoyer un p'titcoup d' blanc avant l'arrivée du car. Tiens! Chez Rouxel,

    en face à côté de l'ancien patronage. Bon. Nous voilà

    au zinc et voilà l'Amiral qui me raconte que son pro-

    priétaire veut le foutre à la porte. Sans blague! Un con

    pareil! Il a pas l' droit. Seulement faut pas qu'il insiste

    ou j' lui arrache un œil. Jamais rien foutu, le salaud il

    était pour les Boches en 40. Et il veut me faire ça? Parce

    que tu comprends moi question patriotisme. Question

    patriotisme, ça c'est vrai il a rien à se reprocher. Tout

    14-18 sur les torpilleurs, et à partir de 43 au maquis.

    Blessé à une jambe. C'est pour ça qu'il boite. Et ce salaud-

    là veut le foutre à la porte! Heureusement que l'Amiral a

    un bon copain qui fait la pêche. L'Amiral aime mieux aller

    à la pêche avec lui et roupiller chez lui en attendant ce

    que va lui dire l'avocat. Avec le car, y en a pas pour

    une demi-heure pour aller chez le copain. Moi pour parler

    d'autre chose je lui ai raconté que je venais de conduire

    Fafa au train de Paris. Ça l'a fait rigoler.« Te v'là veuf Alors mon vieux Coco tu vas faire la

    foire?»

    On a rigolé tous les deux. Lui il s'en fout c'est un vieux

    célibataire. Là-dessus voilà le car qui s'amène. L'Amiral

    m'a dit Adios! et il était déjà loin quand je suis parti.

    J'étais pas pressé. J'avais pas faim. Et puis j'aime pas

    le restaurant. J'avais plutôt envie de me balader. Quand

    même c'est pas marrant de se promener comme ça en ville

    surtout à cette heure-là quand on n'a rien à faire. Je me

    plais pas ici. C'est mort. Faut pas oublier que j'ai habité

    Paris pendant vingt-cinq ans. C'est Fafa qu'a voulu qu'on

  • LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

    revienne ici quand j'ai pris ma retraite. Moi je voulaisbien. Je voyais tout en beau. On serait au calme on ferait

    des balades. Alors on a acheté la villa ça va faire huit ans

    mais je m'y plais pas. Huit ans quand j'ai pris maretraite. Vous savez moi j'y retourne jamais à Paris.

    Rue Lacepède que j'habitais. J'aimais bien faire mon petittour sur la place de la Contrescarpe descendre la Mouffetout ça. Ici j'ai retrouvé quèques vieilles connaissances

    quèques vieux copains comme l'Amiral des amis d'enfance

    quoi mais c'est pas pareil. Quand j'habitais rue Lacepède

    j'allais le dimanche matin aux puces de la rue Gracieuse

    mais ça n'existe plus. On a tout foutu en l'air pour

    construire des immeubles comme partout. Des sociétés.

    C'est drôle la vie! Moi au fond je ne tenais pas tant que

    ça à quitter Paris. A cause de Fafa surtout. Je lui disais« T'es jeune, toi T'as besoin de distractions. Ici, on a

    des copains et puis c'est Paris. Là-bas t'auras personne.»Elle me répondait que ça lui était bien égal. « J'ai tou-

    jours aimé la campagne qu'elle disait. C'est pas mon bled

    mais c'est le tien.» C qu'on a pu rigoler dans les pre-miers temps quand on se demandait comment on allait

    l'appeler cette villa! On y a passé des soirées entières en

    se foutant de tous ces ballots qui mettent une plaque àcôté de leur porte Mia Casa. Dernière Escale. Nous

    on voulait pas de ça. Je lui disais « Vaudrait mieux rien

    mettre tu sais, ça fait petit-bourgeois.» Elle rigolait. « Petit-

    bourgeois ? Tu vas pas faire de la politique? Et puis du

    moment que ça nous plaît on n'a pas de comptes à rendre

    à personne pas vrai ?» Elle avait raison en un sens. C'est

    ce que je lui ai répondu. « Tiens dit-elle, on va

    l'appeler La Coquette. Tu trouves pas ?» J'ai dit oui. On

    a fait graver en italiques et dorer ce nom-là sur une

    plaque de marbre qu'on a fait sceller à côté de la porte.

    Moi je trouvais ça pas mal. Seulement ce matin Fafa partie

    j'avais pas envie de retourner tout de suite là-dedans.

    J'aime pas les maisons vides. Marrant ce qui se passe dans

  • COCO PERDU

    les gares, quand même. Moi, je fais pas exprès. Ça se

    trouve comme ça. J'y peux rien. Je me demandais où ça

    que les gendarmes emmenaient le type enchaîné? Et l'idiot

    s'il avait pris son car ? Il était peut-être marié dites donc

    Et père de famille? Alors? Le voilà qui arrive à la ferme

    et sa femme qui lui demande les sous? « Où sont les

    sous ?» Pourvu qu'elle n'aille pas se mettre dans l'idée

    qu'il les a dépensés avec une de ces putains qui rôdent

    par là. Parce qu'elles vous croient pas toujours les

    femmes hein? Enfin quoi ça nous regarde pas ce qui se

    sera passé entre eux au village et puis on n'y peut pas

    grand-chose. C'est ce que je me suis dit en redescendant

    en ville. S'il fallait compter tous les pas qu'on fait pour

    rien sans s'en rendre compte! Avant d'aller au restaurant

    je voulais passer chez moi voir si le facteur m'avait apporté

    quèque chose. C'est rare remarquez mais moi non plus

    j'écris pas souvent des lettres. Pour finir j'y suis pas

    retourné je suis redescendu vers le marché. Y avait pour

    ainsi dire plus personne. Il était pas loin de midi et demi.

    En passant devant la poste je me suis encore demandé

    pourquoi Fafa n'avait pas voulu que je mette sa lettre

    à la boîte? Oh, et puis qu' ça peut m' fout! Elle est bien

    libre! J'ai remonté la rue Poincaré, y avait personne non

    plus, que la vieille vendeuse de billets de loterie dans un

    coin de porte elle avait l'air de grelotter. Quand je suis

    passé devant elle elle a bredouillé « La Fortune Le

    Bonheur! La Chance qui passe Et à ce moment-là

    tout un cortège d'automobiles avec des rubans blancs aux

    poignées a traversé la rue. C'était ce grand mariage pour

    lequel nous avions entendu les cloches. J'ai bien compris

    qu'ils revenaient de chez le photographe et qu'ils allaient

    à l'hôtel pour le repas. J'ai tout juste pu apercevoir la

    jeune mariée en blanc à côté de son jeune époux en noir,

    parmi des fleurs dans le fond de la voiture. Bon Qu'ils

    s'arrangent Ça nous regarde pas non plus.

  • LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

    Puisque c'était hier samedi jour de marché que Fafaest partie c'est aujourd'hui dimanche. Pas plus difficileque ça. Mais hier samedi je suis quand même rentré chez

    moi. Ça me disait rien mais bon. Dans le salon y a nos

    portraits. Fafa et moi, des agrandissements. Ça date d'avant

    notre mariage. La maison était bien vide. Vous savez

    ce que c'est, on entend l'horloge. La boîte aux lettres vide

    aussi bien entendu. Si j'ai rien au courrier de cinq heuresje me suis dit faudra attendre demain matin. C'était bête

    comme tout vu qu'aujourd'hui c'est dimanche. J'ai regardé

    partout. J'ai vu que personne était venu rien voler. Je

    suis retourné dans l'entrée pour enlever mon manteau et

    mon bonnet et les accrocher. Je suis passé au salon après

    ça j'ai fait le tour de la maison. J'en avais pas du tout envie

    j'en avais même presque peur mais je suis tout de même

    entré dans la chambre de Fafa c'est-à-dire je me suis

    contenté d'entrouvrir la porte. Les volets étaient fermés.

    Je suis reparti en me disant encore que j'aurais p't' être

    une lettre à cinq heures. Mais quelle andouille Y a pas de

    courrier le samedi après-midi. Bon. Mais qu'est-ce que je

    vais faire moi ? Dire qu'on avait fait installer le téléphone

    dès les premiers temps. L'appareil est dans le salon. On

    croyait pas pouvoir s'en passer. On ferait des connaissances

    on aurait des amis et par conséquent on se téléphonerait

    quand on aurait envie de boire un verre, d'arranger un

    dîner, une balade. Je t'en fous! Le téléphone a jamais

    servi qu'à Fafa pour passer une commande au boucher.

    On l'a gardé quand même parce que ça peut être utileen cas d'incendie, d'accident, est-ce que je sais! Ça coûte

    cher mais c'est une sécurité. J'ai piqué avec une punaise

    une petite feuille d'agenda où y a les numéros à appeleren cas d'urgence. A côté, j'ai mis l'annuaire. Le téléphoneest dans une boîte d'horloge que j'ai transformée en

    Extrait de la publication

  • COCO PERDU

    bibliothèque. Sur le rayon d'en haut j'ai les huit tomesdes Mille et Une Nuits, avec des illustrations. J'ai aussi

    l'almanach des postes. Quand je sais plus quoi faire jeregarde les noms dans l'almanach ça me rappelle des per-sonnes. Ça dure cinq minutes. Je remets l'almanach en

    place et j'oublie. Je serais même pas foutu de dire l'imagequ'y a dessus. C'est vrai que j'ai pas mis longtemps àle choisir, j'ai pris le premier venu et j'ai donné ses étrennes

    au facteur. J'avais surtout envie qu'il foute le camp.J' l'aime pas. Il a une façon ce salaud-là quand il voit queje le guette de passer en me criant « Zéro la barre Cein-

    ture, quoi » Moi je trouve pas ça drôle du tout. J'ai fait

    une petite sieste. Après ça j'ai traîné. Ensuite je suisretourné au restaurant. Faut bien puisque Fafa est paslà! J'avais oublié l'heure si bien qu'en entendant sonner

    l'horloge à l'église ben alors neuf coups au lieu des septque j'attendais. Pas possible. J'ai enfilé mon pardessusen vitesse et pris mon bonnet. J'avais envie de marcher

    de voir des lumières de regarder des figures. Ça vousarrive pas à vous? Moi j'aime bien marcher dans la nuit

    et il faisait déjà nuit. Mon quartier la nuit n'est pas trèséclairé mais c'est mieux comme ça. Je préfère. Je marcheet je continue à penser à mes petites histoires. Mais il

    faut marcher longtemps quand on vient de La Coquette

    avant de trouver les lumières. axiales? c'est comme çaqu'on dit? de la rue Poincaré. J'étais pas surpris derencontrer personne. A cette heure-là pensez-vous! Mais

    les magasins brillaient de tout leur éclat le long de larue Poincaré, les mannequins de cire dans les vitrines

    du grand magasin de nouveautés, la vitrine de la librairie

    on aurait dit une grande boîte de bonbons. L'uniprixses. tentes de plage et son matériel de jardin, bêches

    râteaux, arrosoirs en plastique, jeux de croquet, tout çaen vert et rouge technicolor. L'or des bijoux dans la

    vitrine à côté. Quand je suis arrivé sur la place j'ai vuqu'il était bientôt neuf heures et demie à l'horloge des

    Extrait de la publication

  • LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

    Nouvelles Galeries mais ça m'a pas étonné.. C'est quand

    je suis entré au restaurant que je suis resté baba. C'étaitvide. Y avait tout juste un jeune couple qui finissait de

    manger. En me voyant, Bernadette a levé les bras au ciel,

    juste comme j'allais m'asseoir, et elle m'a dit « Bon!

    Vous avez qu'à vous mettre là Et je lui ai répondude se grouiller mais je sais pas pourquoi et il était trop

    tard pour aller au cinéma, en plus j'en avais pas envie je

    sais pas ce qu'on joue cette semaine, la semaine dernièresais pas si vous avez vu ça je sais plus comment ça

    s'appelle un truc je sais pas comment vous dire, historique,

    c'est fait avec des actualités on voyait je sais plus si c'étaitFallières ou Poincaré dans leur calèche, et Guillaume II

    à cheval. Comment ça s'appelait ? On voyait le tsar Nicolas

    à poil en train de se baigner dans la Néva son cul tout nu.Je sais pas comment ils ont fait pour prendre ça. Et les

    types qu'on fusillait pendant la guerre civile trois par trois,

    trois types debout en plein champ trois autres types devant

    eux qui arment leurs flingots. Bing! V'là les casquettes

    des types qui sautent comme des crêpes et les types paf,

    baisés, par terre. Faut être con. En sortant du restaurant,

    il était très tard. Je me suis aperçu que je n'avais plus

    de tabac et à l'heure qu'il était fallait monter jusqu'à la

    gare m'acheter un paquet chez la marchande de journaux

    si c'était encore ouvert. Quand même je suis passé à côté

    à l'estaminet comme on disait dans le temps, pour boire

    un café en vitesse au zinc. Y avait foule à regarder la

    télé. Une serveuse que je connais pas m'a versé mon café.

    Le patron m'a fait un petit signe de tête. J'ai bu mon café,

    j'ai payé et je suis parti. Il était pas loin de dix heures.

    J'ai monté à la gare. J'ai tourné à droite, et au bout, j'ai

    vu les lumières de la place de la Gare. Je suis passé devant

    la caserne. Y avait un type de garde mais pas dans uneguérite comme avant et je sais pas pourquoi je me suis

    demandé s'il y avait toujours des guérites ou si on les

    avait supprimées, mais qu'est-ce que ça pouvait me foutre?

    Extrait de la publication

  • COCO PERDU

    Le type se baladait mollement sa mitraillette sous le bras.

    Dans le poste, il y avait de la lumière et d'autres typesqui avaient l'air de s'emmerder. Moi ça m'était bien égal.Je suis passé sans faire attention et je suis arrivé dans la

    cour de la gare où il n'y avait personne pas même un taxi.J'ai cru que tout serait fermé, mais non j'ai eu de la veine

    la boutique de la marchande de journaux était encoreouverte. J'ai acheté mon paquet de tabac. J'ai même étésur le point d'acheter un journal n'importe lequel et puisje me suis dit que je m'en foutais et que les nouvelles on

    les sait toujours, c'est toujours pareil. J'ai bourré une pipeet je suis monté sur la passerelle pour regarder les trains.

    J'aime bien regarder les trains la nuit. Justement, y avaitle train de dix heures et quèques qui arrive à Paris à

    six heures du matin. Je suis resté à regarder ça jusqu'au

    moment du départ. Y avait du monde. Je suis parti en

    me disant que j'allais revenir par un autre chemin, pourchanger et puis j'ai réfléchi que c'était demain dimanche et

    je suis revenu prendre un deuxième paquet de tabac pourn'avoir pas à sortir si j'en avais pas envie.

    On est drôlement foutus quand même c'est pas des

    blagues, ainsi moi qu'est-ce que vous en dites, v'là qu'il

    est six heures du soir aujourd'hui dimanche et qu'est-ce

    que vous croyez que j'ai fabriqué? Hein? Dites? Que je

    suis allé au cinéma? Ou je ne sais pas moi, faire un tour

    jusqu'à la mer ou quoi? Ou que je suis rentré chez moiroupiller? Pas du tout. Je suis allé me balader du côté

    de la gare. Notez que j'en avais pas du tout idée. Je savais

    pas bien ce que j'allais faire de mon temps et un momentje me suis même demandé si j'allais pas rentrer roupillermais on dort trop c'est pas bon. Alors voilà je suis des-

    cendu en ville. Y avait personne. Vous savez comment

    c'est en ville un dimanche après-midi? N'en parlons pas.Enfin bref il s'agit pas de ça. Toujours est-il que m'étant

    baladé dans les rues un bon moment, je sais même pas par

    où je suis passé, voilà que tout d'un coup je me réveille

    Extrait de la publication

  • LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

    dans la cour de la gare où j'avais rien à foutre en plein

    dans la cour de la gare comme ça, on est drôlement foutus

    quand même, vous n'allez pas me dire le contraire. Natu-

    rellement y avait personne pas plus qu'ailleurs forcémentc'était même désert. Quelques taxis peut-être un ou deux

    pas plus et pour le reste zéro. Pas de mouvement. Ça avait

    l'air en panne. «Qu'est-ce que tu fous là?»je me suis

    dit, J'avais même pas besoin de tabac vu que j'avais fait

    ma provision hier samedi et même je savais pas si lamarchande serait ouverte un dimanche après-midi. Quandmême. Bref c'était pas ça. Seulement moi voilà mettez-

    vous à ma place. Il était dans les quatre heures et quèques.Ça faisait pas mal de temps à tirer. Y avait bien les bistrots

    mais ça me dit rien. C'est quand même marrant dans letemps j'aurais bien passé une heure à une terrasse de

    bistrot à rien foutre à regarder comme ça devant moi

    même à lire le journal. Ça m'a passé. C'est plus pareil.J'ai quand même fait un tour dans le hall où y avait per-sonne que la marchande de journaux. Là-dessus je suismonté sur la passerelle pour voir les trains. C'était même

    pour ça que j'étais venu, je m'en suis bien rendu compteparce que à cinq heures y a le train qu'arrive tout droit

    de Paris, celui qui part vers les huit heures de Montpar-nasse et je ne sais pas si c'est avant de monter là-haut

    ou une fois rendu queje me suis mis en tête que Fafaallait peut-être se ramener. On sait jamais, je me disais, elle

    aura peut-être changé d'idée ou bien il sera arrivé quelquechose qui l'aura obligée à revenir et elle aura pas eu letemps de m'en avertir ou bien peut-être qu'elle aura télé-

    phoné mais comme j'étais pas là, enfin vous voyez. Ça jem'en voulais, c'est bête tout ce que vous voudrez mais

    c'est comme ça parce que si j'étais pas là quand elle atéléphoné, à supposer, ça l'aura peut-être fait changer d'idée

    mais dans l'autre sens et elle sera restée. Enfin j'aurai malettre demain matin lundi. Parce que vous verrez ça, lalettre qu'elle voulait tant que ça mettre elle-même à la poste

    Extrait de la publication

  • COCO PERDU

    c'est une lettre pour moi. Ça j'en donnerais ma tête à

    couper. Je la connais la Fafa. Enfin attendons. Ça fait

    plus bien longtemps pour être fixé. Demain matin versles dix heures. Je suis resté bien une demi-heure à

    attendre le train de Paris. Je me rappelais comment que

    je l'avais attendu, l'autre fois à la guerre et, ce jour-là

    j'en avais gros sur le cœur vous pensez bien, en 39, maisj'ai pas oublié, je me demandais si je la reverrais jamais

    la Fafa. J'avais peur qu'on soit coupés ça aurait bien puarriver. Et alors moi, qu'est-ce que j'aurais foutu? Enfin

    c'est comme ça. Et quand le train de Paris est arrivé tout

    à l'heure vous ne me croirez pas mais je suis descendu

    à toute bringue au risque de me casser la gueule jusqu'à la

    sortie des voyageurs pour voir si Fafa était pas là. J'ai

    bien regardé tous ceux qui sortaient un à un sous le nez

    pour ainsi dire mais y avait pas de Fafa. Remarquez, je

    m'y attendais un peu, mais quand même. Et quand le type

    a fermé le portillon voulant dire par là qu'il y avait plus

    personne à sortir, je lui ai demandé si par hasard y avait

    pas un deuxième train, parce que vous savez en saison,

    ils dédoublent quelquefois les trains. Bon. Y avait pas de

    deuxième train. J'avais plus qu'à m'en revenir et à attendre

    le lundi demain matin pour avoir ma lettre. Maismaintenant je me rentre. Peut-être que je sortirai encore

    pour aller au restaurant. Je sais pas. Ça dépendra. En

    tout cas il est pas loin de six heures et demie. C'est tou-

    jours ça de tiré.

  • LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

    parce que comprenez-vous puisque c'était hier dimanche

    c'est donc aujourd'hui lundi, par conséquent, et ce matinje l'ai eue ma lettre, tiens la v'là, et c'était pas du tout c' que

    j'avais peur bien loin de là. Alors du coup, comme il étaitun peu plus de onze heures et même onze heures et demie

    quand le facteur est passé, il s'arrête à bavarder à toutes

    les portes ce cochon-là, ça fait qu'il met deux fois plus

    de temps qu'un autre et pendant ce temps-là on est là

    derrière le rideau. Bon. Il est quand même arrivé j'ai euma lettre et quand j'ai vu ça, sacrédié, je suis descendu tout

    droit en ville en me disant que j'allais fêter ça et d'abord

    me payer l'apéro au Grand Corsaire et ensuite me taper

    un bon petit gueuleton à moi tout seul pour fêter ça avecune demie de beaujolais, ça peut pas faire de mal quand

    c'est pas tous les jours. Parce que vous savez, j'étais sûr

    que cette lettre était pour moi, vous vous rappelez bien la

    lettre qu'elle voulait à toute force jeter elle-même dans la

    boîte avant de partir l'autre jour samedi matin que c'était

    le marché sur la place et que le taxi a eu tant de mal à

    s'arrêter? Bien sûr qu'elle était pour moi, c'est même pour

    ça qu'elle avait pas voulu que je la jette moi-même dans

    la boîte comme je voulais. C'était une surprise. Seulement

    moi j'ai eu la trouille. Tout le samedi après qu'elle estpartie j'ai eu la trouille et tout hier dimanche et encore

    ce matin lundi jusqu'au passage du facteur, c'est pour ça

    que j'étais pas content qu'il arrive pas et de savoir qu'il

    était à bavarder partout avec n'importe qui tout le long

    de sa tournée. Bref j'ai eu ma lettre quand même et c'était

    pas du tout ce que je croyais, alors là me v'là parti. Vous

    allez me dire qu'un lundi matin c'est pas beaucoup plusmarrant en ville qu'un dimanche vu que tout est fermé

    jusqu'à midi à part les bistrots et qu'il y a pas de mou-

    vement. Bien sûr. Le lundi matin c'est un peu mort. Mais

    ce matin je m'en foutais vous pouvez pas savoir comment.Et j'avais pas du tout envie de monter jusqu'à la gare

    j'avais pas de raison. A la gare? Pour quoi faire? Pas du

  • COCO PERDU

    tout. Je suis allé me pavaner à la terrasse du Grand Cor-

    saire et là je me suis fait servir un pastis. Ma foi oui. J'aidégusté mon pastis en regardant les passants. Y avait unsoleil J'ai attendu midi comme ça en pensant à rien maisj'avais ma lettre quand même. Et savez-vous une chose

    je sais pas si vous êtes comme moi on a beau penserà rien, on est drôlement foutus c'est pas des blagues. Unefois posé là bien tranquille devant un pastis il vous revienttoutes sortes de trucs qu'on croyait pas, tout un cinéma,pas vous? On perd le fil, on le rattrape, celui-là ou un autre

    on se rappelle des moments quand on était gosse, ou à la

    guerre, n'importe, là-dessus voilà un type qui vous dit

    bonjour, on échange quèques mots et tout est cassé mais ça

    fait rien on regarde devant soi, y a du monde il fait beau

    et tellement qu'il y a de soleil qu'à toutes les fenêtres y a

    des tentures je sais pas comment on appelle ça au justede toutes les couleurs, des rouges des vertes, j'ai toujours

    aimé ça moi. Alors, on regarde et voilà le petit cinéma qui

    recommence. On se dit des trucs on pense à la vie. Pas

    vous? On se dit qu'on a eu tort ou raison on sait pas bienon se dit qu'entre-temps il y aurait eu autre chose à faire

    on sait pas quoi. Faut pas nier la chance mais faut pas

    toujours tout mettre sur le compte des circonstances. On yest bien pour quelque chose quand même? La lettre de

    Fafa maintenant faut que je vous dise. Je m'étais mis

    en tête que Fafa me plaquait. C'est pas possible je me

    disais. Puisqu'elle m'écrit c'est qu'elle me plaque. Ellea pas le courage de me le dire en face alors elle m'écrit.

    Mais j'étais sûr qu'elle reviendrait pas. Ça j'en étaissûr. Elle en veut plus, elle en a marre, elle me trouve

    trop vieux ou je sais pas quoi enfin bref elle s'emmerde

    ici où y a pas grand-chose comme distraction c'est vrai,

    et elle veut retourner à Paris mais pas avec moi.

    Voilà ce que je me disais. Vous pensez si je me suis

    amusé! Notez qu'il y avait pas de raison que je medise ça. On s'est toujours bien entendus Fafa et moi on

  • LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

    a eu quelques petites engueulades comme ci comme ça

    c'est forcé en plus de vingt ans qu'est-ce que je dis vingt-

    cinq ans de mariage, mais jamais rien de bien sérieux,

    on est faits depuis longtemps l'un à l'autre. Mais je saispas. Depuis quelque temps je la vois qui s'ennuie. C'est

    pour ça! Enfin on sait pas d'où vous viennent les idéesquèquefois. Et puis elle est bien plus jeune que moi Fafa.

    Je me suis marié tard à quarante ans passés. Elle en avait

    tout juste vingt-cinq, à la guerre quand j'attendais le

    train de Paris qui n'arrivait pas. C'est vous dire. On a

    toujours été bien heureux ensemble sauf qu'on n'a jamais

    eu d'enfant. Enfin voilà je comprendrai jamais pourquoije m'étais foutu cette idée-là en tête qu'elle me plaquait.Je lui dirai jamais vous comprenez bien mais j'ai eu chaud

    je vous blague pas, tout de ma faute, j'avoue, mais com-

    ment ça se fait je voudrais bien qu'on me le dise? On

    se goure d'une façon ou de l'autre. Les choses arrivent

    toujours autrement ça c'est bien vrai! J'aurais pu l'attendre

    longtemps au train de Paris en 39 à supposer que le train

    de Paris se soit amené normalement, on était tout jeunes

    mariés à l'époque, oui, j'aurais pu rester longtemps à me

    morfondre si j'avais compté sur le train et je ne comptais

    que là-dessus, puisqu'elle s'est amenée par la route! Ça

    alors. Si jamais j'avais pensé! J'en croyais pas mes yeux

    de la voir. J'étais comme dingo tout d'un coup. Elle avait

    trouvé une occasion des gens qui venaient en bagnole jus-

    que dans la région et qui l'avaient prise avec eux. Ça c'était

    de la veine! Et dire que ces gens-là n'avaient même pas

    le temps de s'arrêter pour boire un verre on n'a pas pu

    les remercier on n'a jamais plus entendu parler d'eux.

    J'ai bien regretté, Fafa aussi. Enfin n'importe on étaitréunis. On devait être drôles à voir, enfin bref c'était la

    guerre. Il paraît que ça recommencera plus jamais. On

    serait devenus raisonnables. Mais pour finir. Bon. Tout

    ça, c'est du passé. Elle se ramène dans huit jours, parce

    qu'en même temps que la lettre quelques minutes après

    Extrait de la publication

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    Coco perdu (Louis Guilloux)