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LE POINT DE VUE DES ÉDITEURS

Jetant sur l’épouvantable épisode de la Terreur un éclairage original

nourri de plusieurs années de recherches dans les archives de la

Révolution, Paul Belaiche-Daninos révèle la lutte acharnée du baron

Jean de Batz pour libérer Marie-Antoinette de la prison de la

Conciergerie. Aidé dans son combat par le chevalier Alexandre de

Rougeville, le baron de Batz monte un vaste complot contre-révolu-

tionnaire en achetant à prix d’or tous les responsables de la détention

de la Reine. C’est cette intrigue qui restera dans l’Histoire sous le nom

de “conjuration de l’Œillet”.

Réquisitoire contre la peine de mort, dénonciation de la folie san-

guinaire des artisans de la Terreur et récit palpitant de ces soixante-

seize jours de détention, cet ouvrage publié par Actes Sud a séduit un

grand nombre de lecteurs avant d’être couronné par le prix Jacques de

Fouchier de l’Académie française (2006).

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PAUL BELAICHE-DANINOS

Ancien médecin-chef au DUMENAT de la faculté de médecine de

Paris-XIII et ancien professeur de pharmacologie clinique de matière

médicale à la faculté de pharmacie de Sienne, Paul Belaiche-Daninos,

passionné d’histoire et de cinéma, a par ailleurs fondé la cinéma-

thèque du Lubéron. Il a publié chez Actes Sud le tome II des Soixante-

Seize Jours de Marie-Antoinette à la Conciergerie, relatant l’inique

procès intenté à la Reine et sous-titré Un procès en infamie (2006).

© ACTES SUD, 2011ISBN 2-7427-5718-X978-2-330-00341-8

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PAUL BELAICHE-DANINOS

Les soixante-seize joursde Marie-Antoinetteà la Conciergerie

TOME 1

La conjuration de l’Œillet

roman

ACTES SUD

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A Michèle, ma femme, qui sut si bien me soutenir quand l’eaufut trop profonde…

A la mémoire de mon père, Roger Belaiche, et à celle de mamère, Elsa Daninos, j’ai choisi d’associer leurs deux noms dansla signature de ce livre…

A tous les abolitionnistes qui combattent la peine de mort, cetteinsupportable prétention humaine. “J’appartiens à un partid’opposition qui s’appelle la vie”…

AVERTISSEMENT

Ils ont décapité son mari, ils lui ont retiré ses enfants, ilsl’ont enterrée vivante dans un cachot fétide… Elle vécutdans l’adversité avec la même constance, et le mêmerecul, que dans le bonheur. Elle assuma dans le malheurses devoirs de fille, de femme, de mère, sans jamais dérogerà l’amour, à l’honneur et à la dignité. Comme elle étaitReine, la tâche fut encore plus rude. Pour toutes cesraisons, et pour d’autres, j’ai choisi de rapporter sous uneforme fictive mais fidèle à l’Histoire, l’aventure d’une tellefemme.

Si tant d’ouvrages lui sont actuellement consacrés, nousle devons à son étonnante modernité mais surtout à soncourage. Nous sommes à la fois touchés par la cruauté desa destinée et surpris par les multiples facettes de sa per-sonnalité. Elle sera insouciante à Versailles, pugnace auxTui leries, sublime à la Conciergerie.

J’ai donc voulu conter les soixante-seize jours qu’ellevécut dans son cachot. Mais il s’agit d’un roman et nond’une biographie. Dans un roman les personnages sontdécrits par l’imagination de l’auteur. Les bons sont plutôtbeaux, les méchants plutôt laids. J’ai tenté d’éviter detomber dans ce manichéisme quand je l’ai pu, mais qu’ypuis-je si Fouquier-Tinville et Marie Harel, deux méchants,étaient vraiment laids ? En revanche, Saint-Just, Héraultde Séchelles et Herman qui étaient beaux dans l’Histoire lesont restés dans le roman. Je n’ai pas montré Robes pierrecomme un monstre sanguinaire mais au contraire commeun homme extrêmement raffiné (ce qu’il était d’ailleurs),habillé avec recherche, sans omettre toutefois de soulignerson ambition démesurée et son utilisation effrénée de la

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guillotine. Quant à Rosalie Lamorlière, elle était une beautédans la vie, Fersen le plus bel homme de Suède, ElisabethLemille une superbe athlète, et le baron de Batz un être douéd’un charme irrésistible.

Les dialogues et les situations sont imaginaires maiscertains sont historiques. En revanche, les soixante-douzepersonnages et les décors demeurent dans la plupart descas aussi véridiques que possible. J’ai retrouvé, archivées,de nombreuses phrases prononcées par la Reine, je les ai,bien entendu, reproduites scrupuleusement.

Bien qu’il s’agisse d’une fiction, j’ai voulu que la natureet le comportement des héros de ce livre ne soient pas tropéloignés de ce qu’ils ont été réellement dans l’Histoire. Du-rant cette époque terrible, les uns furent admirables, lesautres monstrueux. Bons ou mau vais, en les décrivant,j’ai veillé à rester nuancé.

La narration commence le 1er août 1793 et file jouraprès jour. Quand j’ai eu la chance de découvrir la dateexacte des principaux événements qui jalonnent le récit,je l’ai conservée scrupuleusement, et même jusqu’à l’heureprécise où ils se sont déroulés. Quand j’écris que Marie-Antoinette est arrivée à la Conciergerie le 2 août à troisheures du matin, elle est réellement arrivée le 2 août àtrois heures du matin !…

Si j’ai parfois donné libre cours à l’imagination, j’aitoujours pris le plus grand soin de maintenir l’action etles dialogues dans une vérité relative. Quatre années derelecture aux Archives nationales ainsi que l’analysede très nombreux ouvrages consacrés à la Reine m’ontfourni une foule d’éléments qui étayent la vraisemblancedu récit.

Un élément est à souligner pour comprendre le dévelop-pement de l’action : elle est bâtie comme un cercle dont lecentre est occupé par la prisonnière, tandis que tout autourles faits convergent vers elle. Les personnages qui gravitent àla périphérie vont s’affronter, les uns pour la perdre, lesautres pour la sauver. Hors de la Conciergerie, que les hérossoient à Vienne, à Schönbrunn, à Bruxelles, à Paris oudans la forêt de Meaux, toutes les opérations sont concen-trées sur elle.

Je me suis attaché à rendre la rédaction très visuelle,comme elle apparaît dans un scénario, en privilégiant ledialogue. Nous vivons au siècle de l’image.

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Comme l’histoire de cette incarcération s’inscrit dans unesuite logique, pour mieux la comprendre, j’ai rédigé unprologue, condensé de l’histoire événementielle de cettepériode. De même, à la fin du récit, j’ai tenu à cerner his-toriquement, un à un, les acteurs de cette tragédie. Commedans un générique de fin d’un film, le lecteur passe unedernière fois en revue les personnages qu’il a rencontrés.

Ménerbes, août 2001-janvier 2006.

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Il y a deux histoires, l’histoire officielle,menteuse, qu’on enseigne ; puis l’histoiresecrète, où sont les véritables causes desévénements, une histoire honteuse…

HONORÉ DE BALZAC

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PROLOGUE

En pleine nuit, à trois heures du matin, la Reine Marie-Antoinette est transférée à la Conciergerie, la plus cruelleprison du régime.

Elle est enregistrée sous le numéro d’écrou 280, commec’est l’usage pour les voleurs et les prostituées.

Après l’avoir séparée de son fils, elle a été arrachée dela prison du Temple, où elle vivait avec sa fille Marie-Thérèse Charlotte et sa belle-sœur Elisabeth, pour êtrejetée dans un cachot fétide.

On a guillotiné son époux, le Roi Louis XVI, on lui aenlevé un fils de huit ans, le petit Louis XVII, et on l’aséparée de sa fille. Pourtant elle endurera des conditionsde détention inhumaines avec un courage, un silence etune dignité qui suscitent depuis deux siècles la compas-sion des historiens.

Adulée à son arrivée en France, elle n’est jamais griséepar l’enthousiasme qu’elle suscite. Dauphine, elle ne tran-sige pas avec l’honneur, et refuse de voir dans la favo rite deLouis XV l’égale d’une Reine. Ignorée pen dant sept annéespar son époux, l’adolescente frustrée tente de trouver descompensations à ses sens exacerbés dans le jeu, la danse etle théâtre sans jamais enfreindre sa fidélité au Roi.

Elevée selon les préceptes surannés de la monarchiede droit divin, elle tentera maladroitement de la mainte-nir sans en ignorer toutefois les limites (elle se rappro-chera trop tard de Mirabeau). Elle ne fera jamais couler lamoindre goutte de sang.

Lors de la convocation des Etats généraux, elle sou-tient la proposition de Necker de doubler le nombre dedéputés du Tiers, pour rendre plus équitable le poids de

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leur représentation face à la noblesse et au clergé. Ellecrut naïvement qu’ils lui en seraient reconnaissants et qu’ilss’accommoderaient de réformes limitées, mais six mois àpeine après la naissance du nouveau régime, elle est auxprises avec la fureur populaire. Quand elle voit la tête deses gardes du corps se promener au bout d’une pique, letraumatisme est irréversible. Elle se sent définitivementotage et ne croit plus, hélas, en la monarchie constitution-nelle. Cet esprit d’assiégée, entretenu par la démagogierévolutionnaire, ne la quittera plus et lui fera commettredes erreurs poignantes. Quand on les lui reprochera, ellerépondra : “C’étaient des fautes, pas des crimes.”

Quelle que soit l’opinion que d’aucuns ont d’elle, rien,absolument rien, ne justifie la barbarie de son régime car -céral. Quant à ses faiblesses, elle en eut comme tout êtrehumain, mais avec tant d’excuses ! Et quelles erreurs nesauraient être pardonnées après une séquestration commela sienne, si cruelle, si disproportionnée ? Une séquestrationoù Marie-Antoinette fut si seule, si courageuse, si digne, sidésespérée. De nos jours, au vu des lois qui régissent ledroit des prisonniers, Robespierre et ses acolytes seraientcondamnés pour crime contre l’humanité. Les excès dansles prisons de Louis XVI furent sans com mune mesure avecles atrocités commises dans celles des révolutionnaires. Ilfaut remonter à la Saint-Barthélemy pour trouver des mas-sacres semblables à ceux commis en 1792, si tristementcélèbres sous le nom de “massacres de septembre”, oudécouvrir des fosses communes de mille deux cents vic-times comme celles des jar dins de Picpus.

Bien sûr, on peut épiloguer sur ses dépenses excessives,ses faveurs dispensées à des amitiés intéressées qui luialiénèrent la noblesse et le peuple, et sur ces retraites àTrianon qui la couperont de la réalité. Et pourtant cettefemme qui fut insouciante dans le bonheur deviendra unlutteur acharné dans l’adversité. Louis XVI ayant baisséles bras, elle sera pathétiquement seule pour sauver lamo narchie. Mirabeau dira : “Le Roi n’a qu’un seul hommeautour de lui, c’est la Reine.”

En revanche, on ne peut passer sous silence ses quali-tés humaines et notamment cette grande bonté qui reste letrait dominant de son caractère, cette compassion qu’elleaffiche à la Conciergerie face à la cruauté de ses bour-reaux. On n’entendra jamais d’elle la moindre plainte, ni la

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moin dre récrimination contre quiconque, elle s’isolera seu-lement pour se réfugier dans ses larmes.

Le drame de Marie-Antoinette à Versailles, c’est qu’ellefut plus femme que Reine et qu’elle voulut vivre loin descontraintes de l’étiquette. C’est là un trait de sa modernité.

Elle aurait eu un amant, Hans Axel de Fersen. C’est fortprobable, bien que cette liaison n’ait jamais été histori-quement prouvée. Si elle vécut un grand amour, commeon lui eût souhaité, il a été apparemment bien peu con -sommé. Dans tous les cas, elle demeurera une épousesoucieuse de préserver la dignité du Roi et refusera des’enfuir en l’abandonnant.

A toutes les étapes de sa vie, elle restera égalementune mère exemplaire et montrera le même courage, lorsquela barbarie de ses geôliers la séparera de ses enfants pourl’enterrer vivante.

Pour comprendre cette tragédie, il faut analyser l’en-chaînement des faits qui ont enfanté cette France de 1793,devenue folle, dont l’histoire dramatique s’étend de lachute de la royauté à la mort de Robespierre…

Retournons un an en arrière, à ce 20 juin 1792, où parune belle matinée de printemps, Louis Bourbon, seizièmedu nom, “Roi de France et de Navarre par la grâce deDieu”, devenu depuis “Roi des Français”, est assiégé dansson palais des Tuileries par une insurrection populaired’une violence inouïe. Le Roi refuse de signer des décretsqui portent atteinte à ses convictions chrétiennes en spo-liant l’Eglise catholique. La fureur populaire se déchaînealors. Louis XVI est menacé et insulté, les portes du palaisdéfoncées, mais le Roi qui coiffe le bonnet rouge et boità la santé de la Nation, tient bon. La Reine s’est réfugiéedans la chambre du Conseil. Devant elle défile, commele rappela Napoléon à Sainte-Hélène, “la lie du peuple”.Elle endure durant des heures invectives et insultes. Ellen’est séparée de la foule en furie que par une table oùelle a fait asseoir le jeune Dauphin coiffé lui aussi dubonnet rouge. Mais la Reine et son fils sont protégés parle dernier carré des fidèles, les chevaliers du Poignard,qui font un rempart de leurs corps.

La famille royale est sauvée. Mais le répit sera de courtedurée.

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Le 10 août 1792, soit quarante-cinq jours plus tard, lessections de Paris et la garde nationale, renforcées desfédérés marseillais et brestois, organisent une nouvelleémeute armée. Après un sanglant affrontement et le mas-sacre des gardes suisses, les émeutiers envahissent etvandalisent le château des Tuileries. Une heure avantl’assaut, la famille royale s’est enfuie pour se réfugier àl’Assemblée.

La monarchie est suspendue.Louis XVI, son épouse la Reine Marie-Antoinette, sa

sœur Madame Elisabeth, son fils Louis Charles et sa filleMarie-Thérèse Charlotte, appelée aussi Madame Royale,sont arrêtés et enfermés dans la prison du Temple.

L’ennemi de cette famille, le maître de la France d’alors,s’appelle Maximilien de Robespierre.

Cet homme ancré dans des convictions extrémistes, estle plus illuminé mais aussi, dit-on, le plus vertueux desêtres. Il va s’emparer du pouvoir et devenir à trente-cinqans le proconsul de la France. Deux hommes partagerontavec lui le projet de doter le pays d’un régime utopique.L’un se nomme Louis Saint-Just, quasi-adolescent de vingt-cinq ans, doté d’une réelle beauté, l’autre est Georges Cou -thon, un paralytique de trente-huit ans qui a perdu l’usagede ses jambes lors d’une équipée sentimentale. Avec leurconcours, Robespierre régnera en dictateur absolu durantdouze mois, accaparant méthodiquement les pouvoirslégislatif et exécutif.

Sa dictature : un torrent de sang. Par le charisme tyran-nique qu’il exerce sur la nouvelle Assemblée, la Con -vention, Robespierre obtient des députés terrorisés lapromulgation de toutes les lois qu’il propose, même lesplus sanguinaires. Quant au pouvoir exécutif, il l’exercesans partage grâce au Comité de salut public, pseudo-gouvernement révolutionnaire dont les membres se haïs-sent cordialement mais entérinent sans rechigner lesdécisions du maître.

Ainsi Robespierre parvient à ses fins : ayant obtenu de laConvention la condamnation puis la mort du Roi, la nou-velle Assemblée proclame la République. Mais cela ne suffitpas à cet esprit tatillon, qui s’invente des enne mis partout etsouffre d’une susceptibilité maladive. Il éliminera sans étatd’âme quiconque se mettra en tra vers de sa route ou risque-rait de lui faire de l’ombre.

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Pour éliminer physiquement ses ennemis, Robespierrea besoin d’une hache. Il la trouve grâce à Danton qui créele Tribunal révolutionnaire, cette indispensable machinede mort qui fut fatale à tous. Comme Saturne dévorait sesenfants, le monstre juridique, sitôt créé, échappera aucontrôle de ses maîtres et les broiera les uns après lesautres en moins d’un an. Danton, qui en sera lui-même lavictime, “demandera alors pardon à Dieu et aux hommesd’en avoir été l’instigateur”.

En attendant, avec un soin méticuleux, Robespierreplace ses proches aux postes de jurés et de juges de sontribunal de sang. Au sommet de cette impitoyable corpo-ration, il installe au poste de président un homme detrente-deux ans, son compatriote d’Arras, le sensible etterrible Martial Herman. Ce jeune magistrat enverra, avecune grande douceur et la conscience pure, des centainesd’innocents à la guillotine.

Robespierre trouvera encore dans l’accusateur publicFouquier-Tinville, surnommé “le boucher”, un exécutantfidèle pour expédier ses ennemis à l’échafaud.

Le Tribunal révolutionnaire siégera à la Conciergerie,dans cet ancien palais de saint Louis, truffé de cachots etde cellules obscures. Cette prétendue institution juridiquerecrutera ses victimes grâce à la délation, désormais sacra-lisée, à la famine universalisée, à l’émeute officialisée, àla terreur généralisée, à la vilenie et à la lâcheté banalisées,et enfin à l’impuissance propagée à tous les niveaux.

Les hommes qui conduiront cette machine de mortsont ceux qui ont permis, encouragé ou même effectuéles inqualifiables “massacres de septembre”.

Et pourtant, malgré tous les pouvoirs dont il dispose,Robespierre doit faire face à une situation des plus pré-occupantes.

L’exécution du Roi a entraîné la formation d’une coali-tion militaire de toutes les monarchies d’Europe et laFrance est menacée d’invasion. En cet été 1793, les arméesfrançaises précédemment victorieuses sont battues surtous les fronts.

Sur le plan intérieur, la situation n’est guère plus bril -lante. Une importante faction, composée de députés duSud-Ouest, appelés girondins, parce que élus pour la plu -part du département de la Gironde, va s’opposer au dic-tateur. Ces hommes qui incarnent la révolution bourgeoise

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s’opposent au projet utopique de Robespierre de trans-former la France catholique et traditionaliste en une répu-blique, déiste, populaire, égalitaire et prolétarienne.

Un combat à mort s’engage alors entre son parti, appeléparti des montagnards, et les girondins. Un an et demi àpeine après la chute de la royauté, le 2 juin 1793, les sec-tions de Paris à la solde de Robespierre assiègent de nou -veau la Convention. Les députés de la Gironde sont arrêtésen pleine séance.

C’est la fin de la jeune démocratie parlementaire.Les girondins, ces représentants du peuple démocrati-

quement élus, qui représentaient la fine fleur républicaine,sont incarcérés comme des criminels à la Conciergerie.

En réponse à ce coup de force, quinze jours plus tard,Jean-Paul Marat, un des chefs sanguinaires des monta -gnards, est assassiné dans sa baignoire par Charlotte Cor -day, une jolie républicaine de vingt-cinq ans qui monterasereine à l’échafaud. Elle déclarera pour justifier son acte :“J’ai tué un homme pour en sauver cent mille !”

Après la chute de la monarchie constitutionnelle, cellede la Gironde sonne donc le glas de la démocratie parle-mentaire, mais de cela Robespierre se soucie peu, puisqu’ila enfin le champ libre pour exercer un pouvoir sans limite.

En France tout le monde ne l’entend pas de cetteoreille… A l’annonce de l’arrestation des girondins, laprovince se soulève avec Bordeaux, Toulouse, Marseilleet Nîmes, et plusieurs villes comme Lyon, Orléans etNantes entrent même en dissidence. Soixante départe-ments sont en rébellion contre le coup de force de Paris.

La conscription forcée imposée par la Convention faitexploser la colère latente des Vendéens qui se retournentcontre l’Assemblée. La dernière levée en masse provoquele formidable soulèvement de Vendée qui se transformerapidement en une ardente armée royaliste dont les chefsmilitaires enregistrent les premières victoires. La guerrecivile fait rage. L’armée républicaine capitule devant lesVendéens à Saint-Florent, Tiffauges, Saint-Fulgent, Cholet,Montaigu, Les Aubiers, Beaupréau, Bonchamps, Fonte nay,Saumur, Angers…

La Bretagne entre à son tour en rébellion et Noir mou -tier tombe aux mains des dissidents.

Sur le plan intérieur, la situation s’aggrave, la faminemenace.

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Pour éviter la spéculation, la Convention avait promul-gué une loi tatillonne qui affamera le peuple : cette loiinadaptée, dite du Maximum, fixe un prix plafond pourla farine et autres subsistances et bloque même les salaires.La limitation autoritaire du prix de la farine a un effetimmédiat : les paysans stockent leur blé dans les grangesafin de le ressortir plus tard quand les cours seront plusfavorables. Résultat : on ne trouve plus de pain dans Paris !

La colère que suscita le Maximum fut déterminante dansl’abandon du soutien populaire au régime dictatorial deRobespierre. Le peuple le tiendra pour responsable de lafamine : “A bas le Maximum !” crieront les ouvriers à samort.

En réalité, comme nous le verrons, cette loi désastreusene fut pas de son fait, mais lui fut soufflée par son pireennemi, dit-on, pour l’isoler de ses assises populaires.

En attendant, les boulangeries ferment les unes aprèsles autres et devant celles qui survivent encore, on assisteà des queues gigantesques. “On a passé la nuit devant lesboutiques des boulangers”, entend-on de toutes parts.De nombreuses épiceries sont même pillées en plein Paris.

La situation financière n’est guère meilleure. Pour faireface aux dépenses croissantes de la guerre, on émet desassignats, ces billets si faciles à imprimer… et on en émetbeaucoup trop ! Le résultat de cette production abusive depapier ne tarde pas à se faire sentir : une dévaluationmonumentale par rapport à l’or et aux monnaies euro-péennes. Quant à l’inflation, elle est galopante. Comme lamonnaie de la France est devenue une monnaie de singedont on se détourne, la Convention décrète le cours forcédes assignats. La France est désormais un navire qui prendl’eau de toutes parts tandis que l’ennemi est à ses portes.Devant la menace d’une invasion, Saint-Just procède à unenouvelle levée en masse de plus de trois cent mille hom-mes, qui sera à l’origine du soulèvement de Vendée.

Les royalistes relèvent la tête, les finances sont exsangues,les cent mille hommes de l’armée autrichienne sous lesordres du prince de Cobourg sont maintenant à quarantelieues de Paris. Lafayette et Dumouriez sont passés àl’ennemi. La Vendée menace d’envahir tout l’Ouest de laFrance. Les Anglais sont à Toulon, le général Custine aban-donne Mayence, et Valenciennes a capitulé. Le territoirenational est menacé d’invasion.

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C’est alors que l’émissaire du Comité de salut public,l’aristocrate converti aux idées révolutionnaires Héraultde Séchelles, propose aux Autrichiens d’échanger la paixcontre la Reine Marie-Antoinette, surnommée, après lamort du Roi, “la veuve Capet”. L’idée de cet échange de -vient obsessionnelle chez Robespierre. Il veut à tout prixun armistice avec la maison d’Autriche. Devant les exi-gences d’Hérault de Séchelles, les Autrichiens bloquent lanégociation et font traîner les pourparlers.

Robespierre décide alors d’augmenter la pression surl’Autriche en séparant la Reine de son fils, “son choud’amour”, qu’elle ne reverra plus. Contre toute attente,l’Autriche ne répond pas à cette première provocation.

La garde de l’enfant est confiée au sinistre cordonnierSimon. Celui-ci représente tout ce que le genre humainpeut réunir à la fois d’ignoble, de sale, de grossier, d’al-coolique, d’analphabète et de brutal. Il poussera l’enfantà boire de l’alcool et plus tard à prononcer des horreurssur sa mère.

La Reine commence alors son ascension vers le cal-vaire. Après la mort de son époux, on lui ôte maintenantson fils. Elle vit au secret dans la tour du Temple avec sabelle-sœur, Madame Elisabeth, et sa fille, Madame Royale.Toutes les tentatives pour la libérer de cette prisonéchouent.

La France, assaillie de toutes parts, tant par la révolteintérieure que par la menace d’une invasion, semble pré-cipitée dans une voie sans issue. Quant à l’Autriche, ellene se prononce toujours pas sur un éventuel armistice.

Pour faire face à ce double péril, Robespierre va utiliserune arme qui, pense-t-il, doit glacer d’effroi ses ennemis :il décrète la Terreur et avec elle la fin des libertés fonda-mentales obtenues sous la jeune démocratie parlementaire. Ilfaut frapper les esprits. Puisque les Autrichiens ne veulentpas d’un armistice, on va exercer à nou veau un chantagesur l’Empereur lui-même en s’en prenant à la sœur de sonpère.

Robespierre transfère Marie-Antoinette de la prison duTemple aux cachots de la Conciergerie. Il agite ainsi à laface de l’Empereur François II la menace d’une comparu-tion de sa tante devant le Tribunal révolutionnaire, compa-rution qui équivaut à une condamnation à mort. Il ne faitaucun doute que François II réagira devant une telle insulte

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faite au sang des Habsbourg et Robes pierre estime qu’il nepourra abandonner la Reine sans se déshonorer. C’estsans compter avec la couardise de l’Em pereur.

Robespierre espère toujours obtenir cette insaisissablepaix avec les Autrichiens, mais au fil des jours, ses espoirss’amenuisent. Que faire de cette encombrante Reine ?Pra tiquer un second régicide ? L’Europe des rois fera à laFrance une guerre sans fin ! Robespierre estime malgrétout que seule la Terreur lui permettra de surmonter sesennemis. C’est alors qu’une idée germe dans son esprit :puisque la Reine ne peut être échangée contre la paix,un procès public servira d’exemple pour inaugurer sapolitique. Robespierre veut d’abord aviser ses ennemisde ses intentions : on va inventer de toutes pièces unpro cès qui doit montrer au peuple qu’elle est bien cou-pable des crimes qu’on lui reproche. L’ennui, c’est que ledossier d’accusation est vide. Eh bien, on l’inventera…

Mais une force occulte, celle d’un autre acteur, est là,qui veille à contrer tous ces projets. Un homme mysté-rieux, royaliste convaincu, sera responsable de tous leséchecs en semant la zizanie et la haine parmi les révo -lutionnaires. C’est lui qui fut l’instigateur de cette loi duMaximum si funeste au régime. Ce terrible vengeur del’ombre s’appelle le baron Jean de Batz.

C’est probablement lui qui avait organisé, huit moisplus tôt, l’assassinat de Le Peletier de Saint-Fargeau, cetancien noble qui avait voté la mort de Louis XVI. Par cetacte le baron de Batz envoyait un signal clair à tous lesnobles qui avaient agi de même.

On donnera à ses interventions la dénomination vaguede “conjuration de l’étranger”, parce que nul ne pouvaitdeviner d’où venaient les coups. En réalité il fallait cacheraux sans-culottes l’importance qu’avait prise cet hommeen soudoyant d’authentiques révolutionnaires. Ils n’au-raient pas admis que leurs idoles fussent achetées par unroyaliste.

On avait la sensation qu’une main mystérieuse cachéedans l’obscurité tenait les fils.

Ce justicier de l’ombre allait se poser en vengeur impi-toyable de la famille royale. Utilisant les mêmes armesque ses ennemis, cet homme invisible va mener un com batachar né, cruel et sans faille contre Robespierre et la Con -ven tion. On se demande encore aujourd’hui comment un

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personnage investi d’un tel pouvoir de nuisance a pu de -meurer une ombre dans l’histoire de la Terreur. Il fut l’im-presario occulte de la Révolution. Sous les coups de butoirqu’il assénera indirectement et par personnes interposées,en un an, tous les “géants de la Révolution” vont dispa-raître.

Détenteur de sommes d’argent considérables, le baronde Batz va monter une étonnante organisation antirévolu-tionnaire où collaboreront des nobles, des ecclésiastiqueset surtout des hommes du peuple.

Deux de ses affidés exécuteront ses plans. L’un est ungrand seigneur de nationalité suédoise, le comte HansAxel de Fersen, amoureux de la Reine depuis toujours ;l’autre, vraisemblablement tout autant amoureux d’elle, lechevalier Alexandre de Rougeville. Le premier sera troploin pour être efficace, mais le deuxième, doté d’un cou -rage physique hors du commun, mènera au sein même dece Paris de la Terreur une action qui le fera entrer dans lalégende et dont Alexandre Dumas s’inspirera pour en faireun héros de roman.

Le baron de Batz, toujours insaisissable, dresse alors unprojet machiavélique : n’ayant pu sauver le Roi Louis XVIsur le chemin de l’échafaud, il sait désormais qu’il ne peutcombattre les révolutionnaires de front. Grâce à ses mil-lions il deviendra le pivot de la Révolution en achetant àprix d’or les principaux responsables des factions del’Assemblée. Il va déstabiliser l’ensemble de la Conven -tion. En attendant, il ordonne à Rougeville de sor tir laReine de la Conciergerie. L’entreprise paraît utopique. Qu’àcela ne tienne, on les achètera tous : administrateurs depolice, membres du Comité de sûreté générale et duComité de salut public, gardiens, concierges, gendarmesmême. Rou geville ne sera aidé dans son entreprise, “ni pardes comtes, ni par des ducs, ni par des généraux, mais parquatre perruquiers, deux épiciers, deux charcutiers, deuxconvoyeurs, deux serruriers, trois pâtissiers, deux mar-chands de vin, deux maçons, un limonadier, un fripier, unpeintre en bâtiment, un jardinier et un râpeur de tabac…”

Mais n’anticipons pas et revenons trois mois en arrière…Perdant patience, Robespierre, après avoir séparé la

Reine de son fils, met sa seconde menace à exécution. Il

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demande à Barère de faire voter par la Convention, dansla séance du 1er août 1793, le transfert de la Reine de laprison du Temple à la Conciergerie.

Sans attendre une journée supplémentaire, dans la nuitdu 1er au 2, à trois heures du matin, l’infortunée souve-raine est précipitée dans un des cachots de la plus sombreet de la plus terrible des prisons de la Répu blique.

C’est au cours de cette nuit que commence notre récit…

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