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DE L’HISTOIRE DE L’ART À LA SÉMIOTIQUE VISUELLE

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Sous la directionde Marie Carani

DE L’HISTOIRE DE L’ARTÀ LA SÉMIOTIQUE VISUELLE

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Si vous désirez être tenu au courant des publicationsdes ÉDITIONS DU SEPTENTRION,

vous pouvez nous écrire au1300 av. Maguire, Sillery (Québec) G1T 1Z3

ou par télécopieur (418) 527-4978.

Les Nouveaux Cahiers du CÉLAT font état des travaux et des activitésscientifiques menés et organisés par les chercheurs du Centre d’études sur lalangue, les arts et les traditions populaires des francophones en Amérique duNord. En lançant cette collection d’ouvrages, le CÉLAT entend se donner unmoyen privilégié pour participer aux débats de fond traversant le champ dessciences humaines et sociales, de même que pour approfondir la compréhensionde la société qu’il étudie.

Comité éditorialJocelyn Létourneau, directeur (Université Laval)

Marc Angenot (McGill University)Marie Carani (Université Laval)

François-Marc Gagnon (Université de Montréal)Barbara Kirshenblatt-Gimblett (New York University)

Henri Moniot (Université de Paris VII)Rien T. Segers (Rijksuniversiteit te Groningen)

Laurier Turgeon (Université Laval)

Photo de la couverture: Jauran, Esquisse abstraite no 7, 1956, huile sur papier,39 X 28,5 cm., coll. Guido Molinari. Photo: Roger-Max Tremblay.

Dépôt légal – 4e trimestre 1992Bibliothèque nationale du Québec

ISBN 2-921114-68-2

© Les éditions du SeptentrionDiffusion Prologue

Remerciements

L’idée de base de ce collectif concerne les passages de frontière entrel’histoire de l’art et la sémiotique visuelle. Ce projet de publication a unedouble origine: d’une part, le colloque intitulé «Modèle simulacre ethistoire de l’art» que j’ai organisé pour la section histoire de l’art lors ducongrès annuel de l’ACFAS qui s’est tenu à l’Université Laval en mai1990; d’autre part, un projet de recherche financé par le CRSHC entre1986 et 1989, puis par le FCAR de 1988 à 1991, sur la perspectivecomme code sémiotique dans la peinture contemporaine. La plupart destextes rassemblés ici sont issus directement de ces deux activités; se sontaussi greffées quelques interventions qui ont été initialement développéespour un séminaire de 2e et de 3e cycle sur les sémiotiques visuelles dontj’avais la responsabilité durant l’hiver de 1991 au département d’histoire.

Je tiens à remercier tous les auteurs qui ont accepté de participer àce collectif et qui ont toujours manifesté beaucoup de patience devant lesnombreux délais que suscite inévitablement une telle entreprise. Merciaussi à mes collègues du CÉLAT, Jocelyn Létourneau, directeur duCentre, et Laurier Turgeon, responsable de la collection des «NouveauxCahiers du CÉLAT», qui dès le départ ont appuyé avec enthousiasmecette publication. Je remercie également Jean-Pierre Asselin qui a reluavec empressement et attention le manuscrit et qui m’a suggéréd’heureux aménagements. Sans leur apport, la réalisation de cet ouvragecollectif n’aurait pas été possible ou n’aurait pu être menée à terme.

MARIE CARANI

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Présentation

Histoire de l’art, théorie de l’art et sémiotique visuelle.Pour une nouvelle méthode d’approche

de la production artistique passée et contemporaine

Marie Carani

D’une histoire de l’art plus systémique

Pour la nouvelle histoire de l’art qui s’est développée depuis moins dedix ans sur les bases de l’ancienne dans le but d’investir d’une autrefaçon l’idée heuristique de «style» demeurée particulièrement floue dansl’interprétation, l’art n’est pas qu’une activité éthico-esthétique, commel’entendait la pensée classique de la Renaissance qui avait hérité cettefaçon de voir des Grecs. Une coupure épistémologique est apparue dansl’analyse avec l’émergence d’un point de vue qui veut aller plus loin quela valeur esthétique, esthétisante, attachée en priorité aux objetsartistiques par l’histoire de l’art traditionnelle. Vu d’aujourd’hui, l’artn’est plus cantonné dans un purisme désincarné, c’est plutôt un donné àparcourir, à traverser, à décrypter, c’est un fait culturel dont l’image(peinte, sculptée, photographique, etc.) peut être investiguée, par l’appro-che sémiotique notamment, au même titre que toutes les autres images decivilisation (médiatiques, publicitaires, sexistes) qui nous entourent.Quand le philosophe de l’art et sémioticien américain Nelson Goodmandit que «la réalité dans un monde comme la réalité en peinture (ou enlittérature) est pour une grande part une question d’habitude1», il sembleposer le sens et la portée, mais aussi le défi actuel de toute disciplineintéressée au visuel (celui d’une histoire de l’art devenue sémiotiquevisuelle en particulier), soit la systématisation, la modélisation, desprocessus d’encodage de la signification artistique qui suscitent laproduction du sens.

L’histoire de l’art proprement dite — surtout l’histoire de l’artcontemporain dont la propension extrêmement théorique ne peut se

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satisfaire de moins — doit donc élargir ses orientations conventionnellesqui étaient réservées par tradition au problème de la maniera artistiquerepérée au fil du document visuel et contextuel, ainsi qu’auxrapprochements ou comparaisons formelles entre lignes/formes/couleurs/textures. Elle ne peut plus en rester à des approximations généralisantesou à des mises en rapport philosophico-esthétiques qui ont fait la fortunedes Élie Faure et René Huyghe, par exemple, voire à des comparaisonsstylistiques plus ou moins précises inspirées de Malraux, de HerbertRead, etc. Elle doit être reformulée à l’exemple d’Ernst Cassirer qui, dès1946, posait le problème du donné, notamment celui de la perceptionesthétique d’un mouvement, d’un artiste, d’une stylistique, en termes deconstruit, plus précisément de symboliquement construit2. L’histoire del’art doit s’inscrire dans la foulée d’Erwin Panofsky, qui, à travers uneméthode iconologique-iconographique — laquelle méthode réclamaitune histoire des motifs, des styles et des formes symboliques — a avancéune première approche présémiologique de l’objet3. Aussi, elle ne peutignorer l’apport décisif de Meyer Schapiro dont la définition séminale du«champ de l’image iconique» en termes de support, de cadre, de contoursdes formes, de frontières des plans et de périphéries, marque défini-tivement l’émergence d’une sémiologie du langage visuel4. Enfin,l’histoire de l’art doit s’assimiler les travaux d’Umberto Eco sur laprésence et le maintien d’un code de la reconnaissance visuelle commevaleur et norme communicationnelle5, ou, plus récemment, les hypo-thèses syntaxiques et sémantiques fournies par la sémiologie topologiquede Fernande Saint-Martin6. Avec l’arme de la sémiotique visuelle, l’his-torien d’art qui travaille en 1992 peut ainsi mener une étude exhaustivede l’imagerie visuelle, à la fois passée et présente. Il peut éclairer lescontradictions et les épiphénomènes qui gravitent sous la surface tran-quille des apparences, de façon à retracer les messages complexes durendu visuel.

Car, considérer la forme, ou encore l’antiforme, implique une priseen charge des règles de fonctionnement, c’est-à-dire des manières deconstituer l’objet d’art dont parle la discipline de l’histoire de l’art. Enposant le phénomène de l’imagerie artistique comme exprimable etreprésentable dans des énoncés visuels qui le caractérisent, la sémiotiquenous offre un logos qui se veut scientifique (par opposition au discourslittéraire ou essayiste trop souvent poétique ou impressionniste) dans laperspective d’élaborer une théorie structurale de l’espace. Le résultat: il

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n’y aurait pas d’histoire de l’art actuellement, sans théorie de l’histoire(mais aussi de l’idéologie) de la représentation visuelle qui puisse débou-cher sur un questionnement radical de la picturalité et des processusmêmes de représentation ou de visualisation. Une théorie sémiotique del’image et des motifs visuels englobera alors non seulement la fonctionculturelle — l’extériorité — du ratio producteur-objet-spectateur, maisd’entrée de jeu le problème de la définition et la description des opéra-teurs spécifiques aux énoncés ou aux messages.

Une intuition de Panofsky, qui a rarement retenu l’attention des ana-lystes, a justement été le point de départ de cette réflexion collective deplusieurs chercheurs, professeurs et étudiants de 3e cycle spécialisés enhistoire culturelle de l’art, en théorie de l’art et en sémiotique visuelle:celle qui concerne la «compétence linguistique» du spécialiste de laproduction artistique et dont Panofsky pointait déjà la réalité dans sonétude intitulée La perspective comme forme symbolique7. Quoique im-plicite à toute lecture d’images dans la culture, le fait de les considérercomme langage, code ou système susceptible de produire de lasignification définit désormais une systématicité qui peut être prise encharge par la sémiotique visuelle, pour donner à la notion de lecture dutableau — tant figuratif qu’abstrait — son sens et sa portée véritables.

L’analyse sémiotique (et c’est sans doute sa valeur principale) abolità cet égard les dichotomies qui ont existé traditionnellement dans lecorpus de l’histoire de l’art entre anciens/modernes et figuratifs/abstraits,en ne se réduisant pas à la seule analyse de la mimesis, donc de l’iconi-cité, mais en considérant au contraire comme son objet toutes les com-posantes de l’image-plan en tant que faits de langage, effets de struc-tures. L’analogon, qui a présidé aux destinées du métier de Lessing àPanofsky, n’est ainsi plus le seul fondement épistémologique de la des-cription et de l’analyse, comme du style et du sujet du tableau, ainsi quede son interprétation. Il faut passer outre à cette figure de la surface quia orienté son décodage initial, pour toucher maintenant aux structuresprofondes.

En effet, la dimension proprement iconique, analogique, ne subor-donne pas totalement l’espace pictural de la représentation; l’iconicitécomme référent, comme théorie privilégiée (la plus fréquemment utiliséeen histoire de l’art) de la représentation visuelle, ne doit pas reléguerdans l’accessoire une réflexion approfondie sur la fonction constructive(structurelle), donc sémiotisable, des implicites et des présupposés

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perceptuels, visuels et plastiques en peinture. En conséquence, plusieursanalystes d’ici et d’ailleurs se sont proposé depuis quelques années déjàde recentrer au plan de l’analyse du phénomène artistique la réflexionanticipatrice de Panofsky sur le problème du code visuel, démarche quiest longtemps demeurée excentrique dans l’œuvre même de l’icono-logue, quand elle n’est pas devenue obsolète dans l’évolution de laréflexion de l’histoire de l’art sur ses méthodes.

J’ai voulu en rassembler quelques-uns dans cet ouvrage, pour faire letour de la question. Chacune à leur manière, les études réunies ici discu-tent des dimensions théorique et méthodologique (études 1, 2, 3), philo-sophique (études 5, 7), culturelle (études 4, 6, 10, 12), critique (études 8,9, 11) et appliquée (études 13, 14) de l’idée si controversée de «systèmeou modèle du tableau», comme métalangage, comme lecture au secondniveau du message artistique passé et contemporain.

Pour une sémiotique de la production artistique

La production artistique est essentiellement un langage codé résolument«opératoire» qui investit tant les structures individuelles de l’être que lesdéterminations socioculturelles et contextuelles. Pour simplifier, onentend ici par code sémiotique (suivant Umberto Eco) toute organisationen système de signes d’un certain nombre de référents (réels ou ima-ginaires) du monde naturel, c’est-à-dire un état du monde représenté parle langage visuel et que l’on inscrit dans un contexte historico-sociologique (voire idéologique) de représentation mimétique, en ce quece code veut être la traduction, la translation, du savoir tel qu’on croit leconnaître à un moment précis. À cet égard, par définition même, l’artvéhicule à la fois paradoxalement dans l’histoire de l’humanité lemoment structurel où un code artistique accompli est proposé à partir desdébris des codes précédents, processus qui est à la base de l’idée deprogrès ou d’évolution en art, et un champ de liberté ou de prégnancecréatrice du producteur dont les interprétations qui sont appliquéesponctuellement pour le comprendre ne peuvent tout à fait rendre compte.

La notion complexe de «système» du tableau se pose ainsi, sémio-tiquement parlant, comme révélateur des messages signifiants/signifiésde l’image à décoder, donc comme nécessité d’invention qui présided’abord à l’instauration épisodique, mais encore à la transgression — etc’est l’intéressant paradoxe historié de la peinture comme doctrine

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sociale — d’un code visuel structuré et organisé par la tradition séculairede mimésis qui remonte jusqu’à Platon, soit le système de mappinganalogique de l’imagerie visuelle à partir du visible et du dicible, duperçu et du nommé si l’on veut. Pour la sémiotique visuelle, la définition,comme le statut institutionnel de l’art, sont donc liés à sa faculté ou à sacapacité de donner à voir, à lire et à comprendre le contenu, mais aussien même temps les dispositifs ou moyens visuels de la représentation.Là, l’art supporte une fonction sémantique bien déterminée, un rôleprécis: définir le système de la représentation d’une époque, d’un lieu,d’une société, ses lois, ses exigences et ses contraintes de représentationformelle et iconographique plus ou moins rigides et contrôlées selon lesmoments et les lieux. Dans un même mouvement, l’art véhicule l’attitudecritique de l’artiste face à ces normes de production, face au système deproduction artistique comme tel.

On retiendra dès lors que c’est le processus de prégnance créatricequi anime le producteur au niveau de chaque œuvre, qui oblige cons-tamment le code artistique à se rompre et à rater ainsi son institution-nalisation épisodique. Donc, chaque production artistique accomplit ceque Roman Jakobson a nommé si intuitivement la fonction poétique del’art visuel8, soit l’enregistrement du code déjà-là, par déconstruction/construction/reconstruction continuelle d’un nouveau code. Ce travailcomplexe, qui est celui de l’art, fait appel et opère alors à plusieursniveaux de signification qu’il faut circonscrire via l’analyse sémiotique.Par exemple, au plan de la peinture pratiquée, en regard de la normeperspective linéaire instaurée à la Renaissance, autant traces matério-logiques que lieux privilégiés d’inscription du sens, les différents sys-tèmes perspectifs de représentation mis en œuvre depuis par les peintrespour en révéler ou en pervertir l’existence fonctionnent toujours à la foiscomme procédure syntaxique de manifestation des invariants plastiques,comme ouverture sémantique déterminant les fondements symboliquesde son interprétation et aussi comme contexte pragmatique d’énonciationqui étudie comment, à partir d’un contexte socioculturel donné, un pro-ducteur sélectionne un ensemble de moyens d’expression parmi lespotentialités de la syntaxe visuelle en vue de répondre à certains besoinset conditionnements individuels et sociaux9.

En ce sens, les objets du discours d’une nouvelle histoire de la pro-duction imagière sont des constructions analytiques qui intègrent varia-bles visuelles et plastiques, morphologies spatiales d’organisation et de

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composition, ordonnancement de la surface et contexte extrapictural deréalisation de l’œuvre, lesquels construits comme êtres sémiotiques, enquelque sorte, doivent leur existence aux différents systèmes designification et de référence qui en permettent la genèse, un peu commeune grammaire permet, en linguistique, celle des phrases et des énoncés.Pourtant, si l’œuvre d’art est composée de signes, si elle est un systèmede signes intelligibles autant pour l’artiste que pour le spectateur del’œuvre, cette situation n’implique pas une compréhension de mêmenature que celle de la langue naturelle. Pour les historien(ne)s d’artdevenu(e)s sémioticien(ne)s réuni(e)s ici, il ne s’agit pas de transcrired’une manière abusive les données de la linguistique, de la logique, dela sociocritique ou de la pragmatique, mais de proposer, dans le champde l’imagerie artistique, une approche sémiotique qui soit fondée sur lescomposants morphologiques de l’objet visuel et sur leurs relations spéci-fiques qui impliquent une circulation incontournable. La rencontre envi-sagée de l’histoire de l’art et de la sémiotique contribue à l’examen dece caractère de scientificité.

L’histoire de l’art sémiotisée impose donc nécessairement en fin decompte un réalignement du rôle et du statut de l’historien d’art. Sontravail traditionnel, qui, au mieux, on le rappellera, en était un de recher-che iconologique au sens de Panofsky, se mute inexorablement, surtouten art contemporain, et a fortiori en art actuel, en une investigation desinvariants et des référents du langage visuel. L’histoire de l’art sémio-tisée devient de ce fait une part importante des sciences humaines. Sonprojet est d’établir une grammaire visuelle, une syntaxe, puis unesémantique. Le nouvel historien de l’art s’intéresse dorénavant commedémarche exploratoire à la constitution de cette grammaire, de cettesémantique et d’une pragmatique du texte artistique. Récemment, impa-tients devant le statu quo, l’immobilisme ou l’arbitraire des discoursthéoriques de la discipline, tant Norman Bryson10 que Hans Belting11,Donald Preziosi12 ou Georges Didi-Huberman13 ont remarqué aussi bienen Europe qu’aux États-Unis l’inexistence d’une méthodologie particu-lière à l’histoire de l’art ou même d’une définition véritable de son objet.

Dans ce contexte accablant, qui pourrait sembler bloqué à tout jamaisen raison des présupposés demeurés flous et généralistes du métier, seulela sémiotique visuelle semble apte aujourd’hui à rendre compte dulangage spécifique que véhicule l’objet d’art visuel et à en circonscrireles paramètres constitutifs, explicatifs.

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Organisation et contenu de l’ouvrage

Les 14 textes de théoriciens, d’historiens de l’art et de critiques quicomposent ce collectif sont réunis dans l’optique de renforcer en mêmetemps les recherches sur le plan de l’expression, ou plan syntaxique dulangage visuel, et celles sur le plan du contenu, ou plan sémantique,déclaré, de cet énoncé. Par commodité, l’ouvrage se divise en deuxparties.

La première, intitulée «Ensemble systémique, histoire de l’art etthéorie sémiotique», renvoie aux possibilités comme aux conditionsd’existence d’une pensée systémique dans l’analyse scientifique et/oudans l’appréciation critique de l’objet visuel. Cette section, qui regroupeles études 1 à 7, rassemble des textes où cet exercice conceptuel desystématisation est considéré comme un préalable nécessaire à toutetentative d’élaboration des signifiants/signifiés du langage visuel, tantmoderniste que postmoderniste. La seconde partie, intitulée «Pluralitéd’espaces sémiotiques d’interprétation», propose des textes (études 8 à14) dont les auteur(e)s ont choisi d’intervenir sémiotiquement dansdifférents médias visuels (peinture, sculpture, installation, vidéo), dansdifférentes cultures (occidentales ou non) ou à différents niveaux (syn-taxique, sémantique, pragmatique). La pluralité même de ces espacesinterprétatifs qui peuvent être construits aujourd’hui par le sémioticienvisuel constitue un corpus éloquent des orientations et des stratégiesdiscursives actuelles d’une nouvelle histoire de l’art sémiotisée.

Dans l’étude 1, Göran Sonesson nous présente, dans un tour d’ho-rizon exhaustif qui peut nous servir d’introduction générale auxdifférentes approches récentes de l’objet d’art, un itinéraire critique desprincipales théories sémiotiques contemporaines déjà/toujours identifiéesà la production de la signification ou du sens dans l’image, afin dedémontrer la nécessité ainsi que la pérennité d’une référence austructuralisme, c’est-à-dire à l’approche méthodologique structurale,pour évaluer les différentes transpositions d’un système verbal (lediscours) dans un autre (le visuel). Il aborde pour ce faire l’importanceheuristique de l’idée même de «modèle simulacre» empruntée à Lévi-Strauss par la sémiotique visuelle, comme fondement de l’interprétationde l’œuvre artistique. Sur cette base, Sonesson propose ensuite commenouvelle méthode d’approche le métadiscours, la métathéorie, lamétasignification émergeant des plus récentes orientations sémiotiques

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européennes et américaines, approche qui se veut une façon inédite desaisir «comment le sens vient aux images» sans être médiatisé par undiscours préalablement dérivé de la linguistique. Pour éviter ce piège quia conduit la sémiotique visuelle au bord de l’échec, il veut accorder uneattention plus particulière au champ perceptuel qui entoure l’objetartistique, ainsi qu’aux hypothèses de la Gestalt qui représentent, selonlui, l’interprétation la plus appropriée du phénomène visuel.

Le texte d’Olga Hazan (étude 2) prolonge en quelque sorte l’une desprincipales problématiques structuro-sémiotiques développées parSonesson, en concentrant son objet d’étude sur la notion si galvaudée de«progrès artistique» propre à certains théoriciens des arts visuels quientendent extrapoler l’œuvre à des dimensions historiques. Wolfflin,Panofsky et Gombrich sont interpellés successivement par Hazan quis’applique à (dé)montrer que l’idée de progrès, qui serait vérifiée dansune succession hypothétique d’apogées et de déclins historiques plus oumoins prévisibles, est un principe constitutif de l’histoire de l’art depuisles «principes fondamentaux» de Wolfflin jusqu’aux lectures percep-tuelles de Gombrich en passant par l’iconologie panofskienne et ce, dansl’optique d’articuler une histoire qui tienne compte à la fois des artisteset de leur contexte socioculturel d’inscription. Bien ancrés dans ladiscipline de l’histoire de l’art, les concepts d’art-reflet-de-l’époque,d’art-reflet-de-la-personnalité-de-l’artiste-innovateur, de systèmesperspectifs philosophiquement ou psychologiquement motivés, notionsqui s’accompagnent toujours d’importants jugements de valeur, semble-ront ainsi la base principale d’explication ou d’interprétation des chan-gements stylistiques.

Pour sa part, mettant directement en rapport le discours théorique del’histoire de l’art avec le développement conceptuel et méthodologiquede la sémiotique visuelle, Marie Carani (étude 3) interroge plus parti-culièrement l’un de ces fondateurs contemporains de la discipline, ErwinPanofsky, et fait de son principe de symbolisation de la perspectivepicturale la balise épistémologique d’un métalangage syntaxique del’objet peint, qui a aussi d’importants effets sémantiques au plan de laproduction, de la composition, de la perception ou de la réception dutableau. La relecture des invariants visuels et plastiques qui constituentles structures de l’espace pictural et qui font l’image au niveau du renduvisuel, conduit Carani à développer une modélisation inspirée ontolo-giquement, eu égard à ses concepts et à ses procédures de transmission

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du sens, du linguiste Louis Hjelmslev. Contrairement au primat cartésiend’un langage iconique dictant sa loi au sujet regardeur, ce modèle méta-linguistique est cependant basé ici en priorité sur la «substance» visuelle,comprise comme catégorie sémiotique dans une acception spatialisantequi la mute en «typologie des perspectives», et non sur la forme ou lecontenu iconographique déclaré conceptuellement par le discours,comme dans toute la tradition postsaussurienne de la sémiologie del’image depuis Jakobson jusqu’à Barthes, Damisch et Eco.

Cela veut éviter (ou plus justement inverser) la relation traditionnellede la forme au contenu qui a généralement été d’actualité en histoire del’art de Wölfflin à Panofsky, comme elle l’a aussi été en sémiologie/sémiotique visuelle depuis l’inauguration de telles recherches pendant lesannées 1960 dans la foulée des études structuralistes et iconologiques.Cette redéfinition de la fonction symbolique des perspectives visuellesdébouche ainsi sur une théorie de la signification, où le langage artistiquen’est plus le produit du modèle cognitif paralinguistique traditionnel,mais où le perçu devenu pure iconographie formelle devient directementle prolongement ou est intégré dans ces nouvelles typologies spatialesque représentent les perspectives.

Désireux aussi de mettre critiquement en cause cette empriseexagérée de l’iconographie traditionnelle en histoire de l’art, tant dansses fondements modernistes que dans ses limites constitutives et opé-ratoires, Claude Gagnon analyse ensuite en profondeur (étude 4) deuxréflexions théoriques d’horizons disciplinaires différents, mais qui sontégalement dérivées du modèle linguistique, celles de Claude Lévi-Strauss et de Julia Kristeva, la première étant axée sur les rapports art/société, la seconde sur les relations art/individu, en vue d’élaborer unesémiotique postmoderne de l‘hétérogénéité artistique. Gagnon observe,d’une part, chez Lévi-Strauss, les systèmes symboliques du mythe, dubricolage et de l’art en liaison avec l’inconscient collectif et avec lafonction symbolique structurale qui les supportent, et, d’autre part, chezKristeva, grâce à la sémanalyse, une alliance de la sémiotique et de lapsychanalyse comme solution au procès de signification du texte visuelet à l’engendrement identitaire du sujet créateur. Il démontre que hic etnunc ces deux optiques participent, d’une façon complémentaire, d’unemême approche modélisante qui fait sa place à l’idiolecte verbal pourcomprendre et expliquer le texte artistique, autant son langage que sasignification, en tant que «coupure» significative. Gagnon suggère que

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tout se passe en dernière instance par le biais d’un métalangage sym-bolique (le «signifiant volant» de Lévi-Strauss) ou thétique (le «lieu del’autre comme lieu du signifiant» de Kristeva).

Chez Hélène Aubry, la déconstruction accomplie de l’écriture est auservice d’une réflexion philosophico-sémiotique sur les attitudesculturelles, sur les systèmes de connaissance, comme sur les fondementsstructuraux de la postmodernité artistique (étude 5). Une systématiqueouverte du récit collectif permet d’entreprendre l’élaboration d’unenouvelle stratégie transhistorique, transculturelle, transdisciplinaire, quiveut amalgamer les valeurs rationalistes de l’Occident et la pensée Zende l’Orient. Le recours à l’herméneutique contemporaine fait le lien entrecette philosophie Zen et les théories postmodernes dans la perspective demettre en place un système métatextuel de lecture, d’analyse et d’inter-prétation de l’œuvre visuelle la plus actuelle. Un principe fondamental detranscodage joue notamment, au plan de l’«ici maintenant», le décloi-sonnement absolu des discours critiques en une nouvelle légitimité dusavoir comme phénomène émancipatoire de production du sens. À cetégard, les notions constitutives de traversée des codes culturels, parcoursmobile, mobilité sémantique, altération des systèmes, déplacementscorrélatifs et valeurs de combinaisons sont successivement abordées parl’auteure en vue de construire une typologie des lieux de coexistence etdes modes de passage d’un système culturel à un autre. Dans ce contexte,l’art hybride de l’installation est ensuite exploré par Aubry en tant queprocessus complexe d’articulation postmoderne du sens et véhicule pri-vilégié, effectif, d’une telle confrontation ou complémentarité trans-culturelle.

Dans un essai de différentiation entre photo, cinéma et vidéo (étude6), Jean Tourangeau s’arrête au balayage de la surface et au parcours quisont commandés par la succession et le rythme des images dans la vidéoet le cinéma, tout en soulignant que leur premier matériau est d’abord laphotographie. La question centrale du mouvement, comprise théorique-ment comme un facteur spatio-temporel, c’est-à-dire un temps de percep-tion, est aussi réappropriée, eu égard à l’engendrement d’un percept«figural» défiguré, distortionné, déséquilibré, fragmenté, disloqué tempo-rellement, analogiquement, à tout le moins dynamisé, spatialisé. Lesréalisations de nombreux vidéastes québécois et étrangers servent à cetégard de lieux premiers d’élaboration conceptuelle, car Tourangeauchoisit comme discours critique de rester toujours au plus près des

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PRÉSENTATION 19

œuvres, dégageant elliptiquement le sens de la matière artistique tra-vaillée. Le sort et le ressort énonciatif des images vidéographiques (lirela relation effective entre mouvement et vitesse, par exemple) deviennentle prétexte à une interrogation concernant la définition du médium, nonplus vis-à-vis sa spécificité moderniste qui a trop longtemps marquél’interprétation de son histoire, mais face aux phénomènes d’appropria-tion du simulacre ou du faux-semblant postmoderne qui auront constituéson départ, soit sa prise de l’image, et qui rendent compte de son aboutis-sement actuel chez plusieurs producteurs.

L’article de Fernande Saint-Martin sur les relations peu fructueuseset très tendues actuellement entre la sémiotique visuelle et la philosophiedu langage verbal (étude 7) clôt cette première partie de l’ouvrage. Saint-Martin s’appuie d’entrée de jeu sur une critique radicale des liens inter-prétatifs établis jusqu’au milieu des années 1980 par la sémiotiquevisuelle avec les sciences cognitives contemporaines et les diversesthéories du langage propres à la linguistique verbale, dont elle questionneles présupposés d’ordre philosophique, moral, sinon métaphysique, enregard d’une nouvelle épistémologie non verbale. Consacrant l’ineffica-cité d’une communication conçue comme la transmission d’unitésconceptuelles de sens et faisant plutôt appel aux thèses spatialesvéhiculées par le discours géométral, topologique, lesquelles s’écartentde ce modèle cartésien, elle reconnaît l’importance dynamique de laperception du réel dans la constitution même du texte visuel, ainsi quedans l’élaboration de nouvelles théories de la syntaxe et de la sémantiquevisuelles. L’origine phénoménologique du figural chez Husserl etMerleau-Ponty est ensuite abordée, puis prise en charge.

Par là, préoccupée donc par la constitution d’une «philosophie dulangage» qui révélerait le faux absolutisme et la subordination «linguis-tique» exacerbée du langage verbal, et en étant sensible à la fois aux«grammaires spatiales» cognitives dont les phénomènes de languerenvoient à la déictique spatiale et à la révolution sémantique opérée parla linguistique pragmatique, Saint-Martin innove en déclarant les fonde-ments d’une nouvelle sémiotique psychanalytique axée sur le syntaxique,dont la pensée spatiale est alors ancrée dans ces dimensions demeuréesjusqu’ici ambiguës et floues que sont le continu et la spatialisationmême. Une telle redéfinition de la fonction même de la représentationsymbolique et de celle des actes de langage ouvre sur une nouvellethéorie de la signification visuelle.

DE L’HISTOIRE DE L’ART À LA SÉMIOTIQUE VISUELLE20

La deuxième partie de l’ouvrage explore différentes avenues de larecherche en sémiotique visuelle, sans sens unique, c’est-à-dire sanspréoccupation exclusive (qui serait donc forcément limitative etnormative) quant à la méthode, la démarche ou le corpus étudié.

Les analyses sémiotiques de la peinture québécoise entre 1930 et1990 menées par le Groupe de recherche en sémiotique de l’art contem-porain (GRESAC) de l’Université Laval (étude 8) sont l’application con-crète d’une histoire de l’art sémiotisée qui est centrée en priorité sur latypologisation des perspectives comme infrastructure, comme profon-deur du tableau, au détriment de toute notion incertaine de style artis-tique. Le réseau imagier significatif qui se constitue aux deux plans dusigne visuel (plan de l’expression et plan du contenu) ne dépend plusd’approximations et de généralisations hatives, basées habituellement surun contexte social ou culturel qui demeure extérieur à l’objet, mais d’unapprentissage long et exhaustif in situ du travail même de la matièrepeinte et des corrélations iconiques, formelles, spatiales, qui en sur-gissent. En établissant une base de comparaison intertextuelle, tantsyntagmatique que paradigmatique, un modèle «minimaliste» essen-tiellement emprunté aux recherches archéologiques permet d’entrée dejeu d’étudier un ensemble important de tableaux, alors que la démarchehabituelle en sémiotique visuelle aura été jusqu’ici de traiter d’un seultableau à la fois. Le GRESAC étudie alors par le biais de ce système demodélisation les traits pertinents visuels et plastiques retenus ponctuelle-ment en art contemporain québécois dans la fabrication de l’imageartistique et fonde la reconnaissance iconique comme un processusgradué dépendant de l’expérience sensible et de facteurs esthétiques.

S’ensuit une première lecture exhaustive concernant le comment etle pourquoi des différents éléments syntaxiques que les producteurs artis-tiques québécois mettent en scène, puis une interprétation qui tente decirconscrire la façon dont ces éléments constitutifs s’accomplissent,s’activent en surface et en creux dans le tableau peint, ou au contraires’en retirent d’une façon formaliste. Le résultat: un portrait inédit del’évolution et des transformations de l’histoire de l’art québécois con-temporain, évolution qui ne se veut pas linéaire, téléologique, au sensd’un modernisme autoréférentiel greenbergien qui serait orienté vers leformalisme esthétique, mais qui apparaît plutôt fondée au premier chefsur un processus de développement esthétique inégal alliant dans unnouveau dialogue sémiotique de la valeur esthétique, adhésion à et rejet

Extrait de la publication

Table des matières

Remerciements 7

Présentation. Histoire de l’art, théorie de l’art et sémiotique visuelle.Pour une nouvelle méthode d’approche de la production artistique passéeet contemporaineMarie Carani 9

IEnsemble systémique, histoire de l’art

et théorie sémiotique

1. Comment le sens vient aux images. Pour un autre discours de laméthodeGöran Sonesson 29

2. De la notion de progrès artistique chez Wölfflin, Panofsky etGombrichOlga Hazan 85

3. La perspective picturale comme code sémiotiqueMarie Carani 113

4. L’apport de Claude Lévi-Strauss et de Julia Kristeva à l’élaborationd’une sémiotique de l’hétérogénéité artistique dans le champ de l’histoirede l’artClaude-M. Gagnon 157

5. Sémiotique de l’axe postmoderne: la prolifération des figures-discourset l’indice d’une stratégie transculturelleHélène Aubry 175

6. Essai de différentiation entre photo, cinéma et vidéoJean Tourangeau 213

7. Sémiologie visuelle et philosophie du langageFernande Saint-Martin 229

DE L’HISTOIRE DE L’ART À LA SÉMIOTIQUE VISUELLE432

IIPluralité d’espaces sémiotiques d’interprétation

8. Sémiotique de la peinture contemporaine québécoiseCollectif GRESAC sous la direction de Marie Carani 247

9. Les passages de l’abstraction à la figuration dans la peinturequébécoise récenteFrancine Paul 295

10. Sémiotique de L’amour Fou. Peirce et PellanLisette Vallée 327

11. Quelques remarques sur l’énonciation. L’installation et le discoursd’autrui ou lorsque dans l’installation le papier journal annoncel’énonciationManon Regimbald 343

12. Les interpénétrations entre le cinéma et la vidéo (à partir du Géantde M. Klier et de Steps de Z. Rybczynski)Monique Langlois 363

13. Une étude de cas en sémiotique visuelle: aLomph aBram du sculpteurquébécois David MooreDanielle Meunier 377

14. Analyse sémiotique d’une sculpture de l’artiste inuit Charlie InukpukLouis Gagnon 393

Les collaborateurs 421

Crédits photographiques 427

Liste des illustrations 429

COMPOSÉ EN TIMES CORPS 11SELON UNE MAQUETTE RÉALISÉE PAR JOSÉE LALANCETTE

CET OUVRAGE A ÉTÉ ACHEVÉ D’IMPRIMER

EN NOVEMBRE 1992AUX ATELIERS GRAPHIQUES MARC VEILLEUX

POUR LE COMPTE DES ÉDITIONS DU SEPTENTRION

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