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Extrait de la publication… · Jacques Rousseau l’un des modèles. Les simples et les eaux fournissent les médicaments et les cosmétiques les plus sûrs et les discours organisent

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ÉPOQUESEST UNE COLLECTION

DIRIGÉE PARJOËL CORNETTE

© 2008, CHAMP VALLON, 01420 SEYSSEL

WWW. CHAMP-VALLON. COM

ISBN 978-2-87673-480-7ISSN 0298-4792

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LA POUDRE ET LE FARD

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Catherine Lanoë

LA POUDRE ET LE FARD

UNE HISTOIRE DES COSMÉTIQUESDE LA RENAISSANCE AUX LUMIÈRES

Préface de Daniel Roche

Champ Vallon

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PRÉFACE

LA CONSTRUCTION DES APPARENCES ET LES MOYENS DE LA BEAUTÉ

(XVIe-XVIIIe SIÈCLES)

Nous vivons dans un monde où le discours publicitaire et médicalimpose le maquillage. Non seulement les réticences morales et religieusesanciennes ont reculé en ce qui concerne les femmes, mais les hommes sontinvités à suivre les chemins d’une séduction qui est devenue une industriegénérale. La beauté est à la portée de tous, elle se construit et elle s’entre-tient, elle est un élément honorable et nécessaire d’un discours social quiveut faire de l’esthétique une éthique suffisante du bonheur. David LeBreton en a montré les enjeux philosophiques, il a signalé la manière dontle visage naturel ou transformé relève d’une symbolique sociale où chacund’entre nous est invité à trouver sa voie et son style particulier pour unerelation problématique avec le temps. Au total, nous le valons bien proclamequotidiennement une publicité bien connue qui prouve autrement que labeauté est aussi une industrie, un commerce, un marché. Catherine Lanoënous offre aujourd’hui l’occasion de comprendre comment la modernitéculturelle, sociale, économique a fondé une parole autoritaire sur le beauvisage et instauré sa mise en scène. Son propos s’inscrit à la croisée de l’his-toire du corps concret dans sa construction et dans ses usages, de soninvention entre la Renaissance et les Lumières, et de l’histoire des condi-tions sociales qui ont autorisé une nouvelle physique et une nouvelle chi-mie des apparences. Cette rencontre place immédiatement son travail dansla perspective d’une anthropologie historique soucieuse de l’interactionentre l’effet des normes collectives sur nos manières en apparence les plusnaturelles et les conditions matérielles et intellectuelles qui en autorisentet en dictent les changements. C’est l’histoire d’une innovation dont lethéâtre est la ville et sa société mobile qui nous est donnée à lire.

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Les cosmétiques de l’artifice

Ce changement est d’abord prise de distance progressive avec les traitsd’ensemble d’une culture des apparences qui impose les normes et dicte lesattitudes à l’égard des valeurs identificatrices de la beauté et de saconstruction sociale. Les fards, les poudres, les pommades, les produitsmultiples qui font l’univers des cosmétiques et l’activité d’un milieu pro-fessionnel actif sont d’une manière générale incorporés à l’univers familieret domestique des populations urbaines. À nos yeux, ils en montrent lescaractères étranges dans les contrastes de la peinture de portrait commedans les textes multiples d’ordre médical ou technique que les imprimeursmettent en circulation. Confrontés avec le monde de la production desobjets et des choses, ils cernent les frontières d’une pensée de la beauté etdu corps avec précision et détail, ils en révèlent les principaux enjeuxmoraux et sociaux. Au même titre que dans l’univers de la conversation etde l’échange social les moralistes opposent le masque et la parole, danscelui de la beauté les analystes sont divisés entre les partisans de l’artificejustifié et les tenants du mensonge lié au maquillage. Pour ces derniers,c’est un outrage à la beauté humaine voulue par Dieu, c’est une menacemorale qui plane sur la vertu, au premier chef celle des femmes, c’est uneprovocation faite à la Nature comme le rappelle La Bruyère.

« Si les femmes étaient telles naturellement qu’elles le deviennent par artifice,qu’elles perdissent en un moment toute la fraîcheur de leur teint, qu’elles eussentle visage aussi allumé et aussi plombé qu’elles se le font par le rouge et par lapeinture dont elles se fardent elles seraient inconsolables. »

La blancheur et le blanc qui désignent les objets sont le premier signede la distinction sociale, ils soulignent la distance entre les classes privilé-giées, voire la société urbaine, et les milieux ruraux au teint hâlé par lesoleil et l’air. Leur symbolique puise toute sa force dans l’évocation de lapureté et de la netteté de l’âme et leur efficacité réelle se traduit dansl’énumération des capacités portées au crédit des multiples produits fabri-qués pour défendre et étendre le culte de la blancheur : nettoyer, lustrer,polir, embellir, nourrir, adoucir, conserver, clarifier. Les livres de recettes révè-lent l’étonnante pharmacopée mobilisée pour ces services. Produits végé-taux extraits du froment ou du riz, métaux, bismuth, céruse, blancd’Espagne, sublimé de mercure, inoffensifs ou toxiques, en pommades, eneaux, en laits. C’est la panoplie de base de l’artifice mis en route pour lemeilleur ou pour le pire. Par contraste le rouge, à la fois couleur et pro-duit, impose à la haute société occidentale une autre tyrannie référentielle.Porté par le transfert culturel, arrivé avec d’autres modes de l’Italie, ilcontribue à rehausser la séduction colorée et luisante et le désir de paraître.

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C’est cet ensemble que chante le poète baroque Marc de Papillon dans sonidéalisation ambiguë de la liberté courtisane :

« Y a-t-il rien si gracieux,y a-t-il chose plus aimable,que voir des beautés désirabless’embellir pour nous plaire mieux ?J’aime la Cour, j’aime les dames,Plus pour maîtresses que pour femmes.Les habits richement luisants,le blanc, le rouge, en leur visage,et leur délicieux langage,N’est-ce pas l’appât des Amants ? »

Végétal ou minéral, innocent ou toxique, le rouge est un produit com-plexe et central qui a mobilisé l’ingéniosité des parfumeurs et qui s’est ins-tallé dans les jeux de la coquetterie et de la mode dont les cours sont l’épi-centre. Soulignant la santé et l’éclat du regard, il marque les joues, non pasla bouche victime souvent de son mauvais état, et ce n’est qu’au XVIIIe

siècle que la pommade pour les lèvres se répand. Blancheur du teint, éclatdu rouge, sont les marqueurs visibles de toute personne de qualité, réelleou imaginaire, et concernent de surcroît les deux sexes. La dénonciationdes hommes-femmes n’intéresse alors que des moralistes rigoureux.

Nature et individualisation

Avec la poudre et les pommades qui la retiennent, en tout cas vouées àla blancheur, ces ingrédients de la toilette des gens de cour et de leurs imi-tateurs bourgeois – Molière s’en fait le critique – composent pour plusd’un siècle les fondements de l’esthétique sociale des civilités et de la cul-ture des apparences qu’elles diffusent dans le corps social : un confor-misme et une mode. Ils signifient l’être d’un paraître d’essence supérieure.Il a ses adversaires qu’indispose le soupçon né de la tromperie et de l’arti-fice, il a ses partisans que légitiment les vertus de la société relevée et lesvaleurs de la séduction, de la vitalité, du refus du vieillissement, le mythede l’éternelle jouvence réalisé. Le XVIIIe siècle va sur ce terrain proposer denouveaux critères. Dans les usages, les acteurs professionnels et les savants,les clients des boutiques et leurs imitateurs se placent sous le signe de laNature. Un nouveau cadre de pensée recommande les produits végétaux,les eaux l’emportent sur les pommades et les poudres. Les inventeurs redé-couvrent autrement d’anciennes recettes qui conviennent à une esthétiquenouvelle de la propreté et de la santé. Une palette végétale et florale pluslarge est vulgarisée par la mode de la botanique et de l’herborisation, dontle médecin Buchoz et son Histoire Naturelle du règne végétal est avec Jean-

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Jacques Rousseau l’un des modèles. Les simples et les eaux fournissent lesmédicaments et les cosmétiques les plus sûrs et les discours organisent larhétorique de leur éloge autour de deux argumentations : ce sont les vraisappâts de la Nature, l’eau est le meilleur des cosmétiques proclame leDocteur Tissot dans son Essai sur les maladies des gens du monde. L’usage desbains que l’on prenait par remède va se répandre pour la propreté qui est,comme l’écrit le parfumeur Dejean, l’aliment de la peau, contribuant enquelque façon à la santé. Abandonner la perruque, porter ses cheveuxcourts, soigner sa chevelure font partie de la sensibilité nouvelle quedévoile le discours publicitaire, celui des annonces et des prospectus,comme celui des recettes qui sont proposées à l’examen des experts del’Académie des sciences, de la Société royale de médecine, voire du Bureaudu commerce ou des agents du Lieutenant de Police.

Ainsi l’utilisation des cosmétiques a changé de sens. Elle s’est pour unegrande part féminisée plus encore, elle s’est diversifiée et adaptée avec lamultiplication des produits à des attentes diverses, elle s’est définie parrapport aux goûts et aux besoins des individus, à toutes les circonstancesde la vie sociale et personnelle. Le maquillage, en recul pour les hommes,devient dès lors l’art de révéler sa nature, de « suivre l’air de son visage »comme l’écrit le coiffeur Legros dans son Art de la coiffure des dames. Lespréceptes des civilités sont critiqués, l’authenticité, l’émotivité et le natu-rel doivent accompagner le contrôle des affects dans la relation sociale etcelle-ci doit permettre l’expression de la personnalité de chacun. La cos-métologie fait partie de la prise de conscience générale de l’individualitésinon de la construction de l’individualisme et elle rejoint la transforma-tion des apparences visibles dans le domaine vestimentaire.

De la consommation à la production

C’est ainsi à une histoire plus générale de la transformation des compor-tements que renvoie l’étude de Catherine Lanoë soucieuse d’en dévoiler lesmanifestations et d’en comprendre leurs moyens. Limiter l’espace du chan-gement à un monde aulique défini par le regard, la contrainte intérioriséedes corps, la hiérarchie des gestes et des positions masque quelque peul’importance de la diversité que l’on constate en fonction des sexes, desâges, des capacités et des goûts. Il faut tenir compte d’un élargissementsocial qui n’est pas un pur phénomène d’imitation distinctive mais attestela capacité d’un processus d’appropriation qui se joue entre la consomma-tion et la production des choses. C’est pourquoi à la confrontation dessources habituelles, écrits des moralistes et de prédicateurs, discours desphilosophes et des romanciers, toujours mobilisées dans l’histoire des cos-

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métiques comme elles le sont dans celle des pratiques vestimentaires, sesont imposées à l’auteur la découverte des archives privées, avec le recoursà des entreprises familiales qui révèlent les modes de production profes-sionnel et domestique, mais aussi la lecture des écrits divers qui montrentla transformation des pratiques commerciales et traduisent l’attrait desnouvelles consommations.

La cour a été de la Renaissance à la Révolution un lieu majeur non seu-lement de consommation, mais aussi de fabrication. Les manuels du XVIe etdu XVIIe siècle se plaisent à rappeler les destinataires princiers et aristocra-tiques qui par amateurisme ou avec l’aide de leur domestique composentremèdes et fards. Les Secrets du Seigneur Alexis le Piémontais, les Recettes deGiovan Battista Birelli illustrent cette destination initiale pour un lectoratriche, oisif, privilégié. Les cosmétiques ont ainsi leur place dans l’universdes Maisons réglées, parmi les préceptes de l’économie domestique. Il nes’oppose pas à celui des corporations et de la boutique dont certainsmaîtres ont un pied à la cour. Ce que révèle l’analyse de la productiontechnique c’est son adéquation aux besoins de la société de cour à laquelleartisans et recettes enseignent la maîtrise du visage comme les manuels àl’usage des courtisans apprennent les règles d’un comportement retenu etréglé, la sprezzatura, cette désinvolture nonchalante qui fait l’affectation,cette grâce qui cache l’art et qui est l’idéal de la socialité de cour. À la courdes Valois, le rigoriste Agrippa d’Aubigné s’offusque de ces excès quimobilisent le corps, l’accoutrement, le visage et le teint de blancd’Espagne et de rouge fardé dénoncé chez les Mignons. Dans la sociétécourtisane de Louis XIV à Louis XVI, les usages corporels se sont mainte-nus et les cosmétiques ont contribué à l’unification des apparences dans larelation aulique. Ils autorisent une véritable noblesse de peau dont la blan-cheur et l’uniformité des visages sont le canon principal, au même titreque la politesse dans la conversation. Un jeu subtil des accessoires et descontrastes permet, avec le rouge, avec les mouches, une frange de libertédans le concert harmonique de l’identité des courtisans. Les moralistescomme Le Bret ou Caraccioli ne s’y trompent pas quand ils dénoncentensemble l’essor des fards et de la gestuelle convenue et celui de la dissi-mulation et des faux-semblants. Quitter le rouge, les mouches, la poudre,les diamants, c’est renoncer à la cour.

À travers la critique se manifeste le succès des fards. Comme pour levêtement et la mode, on passe d’un thème ancien, la dénonciation d’unecorruption pécamineuse, à l’attaque contre une maladie sociale, des mauxde l’âme traduits dans la coquetterie cosmétique, à la dissolution desdevoirs sociaux et familiaux, à la possibilité du brouillage des conditions.Les moralistes suggèrent deux choses en dénonçant les fards, la réalitéd’une consommation dangereuse pour les équilibres de la société et la

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montée des valeurs nouvelles, le discrédit de l’artifice. La diffusion desprocédés dans les classes sociales intermédiaires et dans les milieux popu-laires accompagne le tourbillon des modes au sommet qui se découvredans la liaison économique établie et renforcée entre les artisans de luxe etles grands. C’est le marché aristocratique qui assure le prestige et la for-tune des parfumeurs renommés, de Paris à Versailles, c’est le décompte desbillets, des registres comptables, des factures, des correspondances quimontrent la réalité de budgets cosmétiques accrus, partagés et diversifiésentre les hommes et les femmes, mais ensemble voués à la compositiond’une autre image de soi qui suit l’échelle des moyens et qui s’adapte auxgoûts personnels. De multiples intermédiaires, domestiques en tête, enassurent la diffusion qu’autorise l’éventail largement ouvert de la qualitédes produits offerts et des prix obtenus. Paris singe la Cour, dit-on, depuisLa Bruyère, mais le commun aspire à trouver sa propre représentation bienau-delà d’un procès d’imitation qui a atteint son apogée dans le secondXVIIe siècle à l’époque du Roman Bourgeois de Furetière. Par la proximitédes relations urbaines, les cosmétiques sont sortis de la sphère curiale et ilssont devenus un des éléments de la transformation des apparences ; méta-morphoses de paysan parvenu, déguisement de provincial en petit-maîtrecaricatural, emprunt de traits banals ou d’accessoires distinctifs propres àchaque expérience. C’est l’intensité de l’offre des fabricants et des vendeursqui élargit progressivement le cercle des clientèles. C’est leur activité quiconvertit aux principes nouveaux de l’expression identitaire des couches dela population parisienne largement populaire, celle-là même qu’on identi-fie dans les livres de compte des marchands parfumeurs et qui hante la lit-térature de dénonciation. Les fournisseurs de plus en plus nombreux et deplus en plus disponibles sont les premiers consommateurs convertis, larage de la frisure gagne tous les états, des gens de maison aux compa-gnons, des gens de métier aux petites bourgeoises. Dans le milieu desconsommatrices, des figures actives agissent à la fois au centre de la société– les comédiennes, les danseuses, les grisettes – les demoiselles des bou-tiques du Palais-Royal et de la rue Saint-Honoré – et à ses marges les fillesentretenues, les filles publiques, les prostituées de bas ou de haut vol. C’estainsi la construction d’un véritable marché de la beauté et de ses soins quiest dévoilée au lecteur.

Au départ, il est fondé sur l’adaptation technique et l’inventivité desfabricants et des créateurs ; à l’aube de l’âge moderne, l’élaboration descosmétiques relève en grande partie de l’espace domestique et les recettessont proches des conseils culinaires tant dans les ingrédients mobilisés quedans les ustensiles et les procédés. Le lait, le pain, les graisses, les huiles, lemiel, les œufs, le vin, les liqueurs son intégrés dans les recettes desmanuels ; herbes, fruits, fleurs, racines, cucurbitacées, concombres macé-

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rés, bouillis, mélangés, écrasés sont convertis en produits efficaces. L’exo-tisme joue son rôle dans l’attraction et l’on comprend pourquoi leGorgibus des Précieuses ridicules freine les dépenses de ses filles. Ces savoir-faire culinaires sont à l’œuvre dans le travail des spécialistes, mais ils yrejoignent plus facilement les recettes de la pharmacopée antique lues chezGalien ou Hippocrate et les procédés des anciens mires et bientôt del’alchimie et de la médecine des facultés. Les substances minérales etmétalliques qui seront dénoncées pour leur nocivité au XVIIIe sont incorpo-rées dans la fabrication artisanale des produits de beauté et elles font appelaux identiques séductions de la iatro-chimie et de la thérapeutique. Nonsans conflit avec l’orthodoxie galénique qui l’emportera au XVIIIe siècle, leplomb, le mercure, l’or, l’argent, matières coûteuses et symboliquementprometteuses d’efficaces résultats, entrent dans les cornues. Extraire etpurifier, distiller et concentrer font la base des fabrications de la chimiedes remèdes secrets, charitables et domestiques, qu’illustrent les manuelsde Nicolas Lémery et Marie Meurdrac. La mode de la chimie, certaines deses interrogations et des conquêtes du siècle des Lumières s’enracinentdans la maîtrise des savoirs techniques et des résultats pratiques de la tra-dition artisanale. Catherine Lanoë écrit de ce point de vue des pagesimportantes pour la relecture de l’Histoire des sciences et des techniques,de leurs liens avec une dimension pratique et productive. Que l’on envienne comme Le Camus en 1754 dans son curieux traité, l’Abdecker oul’art de conserver la beauté, à affirmer comme principe de la cosmétologiel’alliance de la médecine galénique et de l’art, la beauté extérieure étantpresque toujours compagne de la santé, n’est alors plus étonnant. L’affir-mation traduit un double glissement, celui de la professionnalisation desfabricants et ainsi la naissance d’une industrie, celui de la justification ducontrôle médical des préparations de beauté. Les rapports des hommes etdes femmes d’aujourd’hui avec le maquillage reposent sur cette conversionet portent la prospérité du marché des cosmétiques lancée à l’âge desLumières. La séduction est devenue une industrie et un impératif social,l’esthétique individuelle la condition du bonheur.

La popularisation des produits de beauté se joue d’abord dans la multi-plication des intermédiaires voués à leur diffusion et qui se développentautour du noyau initial corporatif des maîtres de la communauté, fondéedès le XVIe siècle, des gantiers-parfumeurs. D’un accessoire vestimentaireaux cosmétiques dominants, le métier franchit un espace technique etcommercial majeur en deux siècles. Il se spécialise et fonde sa réussite surla poudre pour les cheveux fondamentalement, sur les fards plus accessoi-rement et en second lieu. La poudre tirée du froment est le monopole desgantiers-parfumeurs, protégé contre la hausse des taxes, malgré les crisesfrumentaires, avec une ingéniosité technique sans pareille. Celle-ci trans-

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fère les machines de la meunerie dans l’industrie de la parfumerie, ellemultiplie les procédés commerciaux, les flacons et les bocaux qui en assu-rent la visibilité colorée et le succès. Une conquête du parfum est menéepar la maîtrise des substances odoriférantes les plus diffuses. Elle estredoublée dans la confection des pommades à base de suif et de graisses etpar l’alliance établie, en dépit des contraintes corporatives, avec les four-nisseurs, négociants ou producteurs du Midi, de Provence ou duLanguedoc, de Grasse ou de Montpellier. On pourrait certainementretrouver l’alliance conclue avec les apothicaires, les médecins, les chi-mistes. Le laboratoire du parfumeur devient, dans l’organisation desespaces de production, un lieu imposé. Le terme passe sans problème, vers1740, des milieux de la chimie comme le décrit Venel dans l’Encyclopédieà ceux des arts et métiers. Les descriptions notariales prouvent en clair dequelle façon la transformation du métier s’est articulée sur celle de lamatière, grâce à un art de la métamorphose subtile. Avec la boutique, lelaboratoire et ses aménagements caractérisent une profession, une activité :c’est un témoin de la culture technique et des pratiques de l’échangequ’exigent l’innovation et la conquête du marché.

Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, s’est aggloméré autour de la cor-poration un réseau d’activités et de vendeurs qui rendent accessible à unlarge public une gamme étendue de produits de qualités et de prix variés.Perruquiers et coiffeurs, merciers et marchands de mode, marchandes à latoilette, vendeurs de rubans, de tissus, d’essences, parfumeurs-gantiers,vendeurs de poudres, de parfums, d’odeurs, d’eaux, de pâtes pour les mainset la peau, de fards, de mouches, de pommades pour les cheveux, séden-taires dans les boutiques et colporteurs dans les rues, grossistes oudétaillants, c’est un véritable microcosme économique qui rayonne sur lacapitale et par le tourisme, le shopping naissant, bien au-delà. Pour desclientèles multiples, c’est un goût, un besoin, une nécessité qui sont acces-sibles, mais ils reposent sur la capacité d’une amélioration souhaitée, etdonc une relation nouvelle au corps, ciblée sur le visage modifié, objet desregards et de l’attention. L’industrie s’envole parce que le luxe et uneconsommation de superfluité sont devenues nécessaires, ce que les auteursde projets évaluent à des hauteurs inhabituelles dans ce secteur de l’écono-mie : 1 800 000 acheteurs pour le manufacturier Seguin, 600 000 pourLeblanc de Larbeaupré et 140 000 pour l’administration. Les écarts tradui-sent les possibilités statistiques retenues pour des études de marché justifi-catrices et la manière de définir les limites de la clientèle.

La parfumerie fonde ainsi de nouvelles logiques productives avantd’entrer dans l’âge de l’industrie. C’est pourquoi on ne saurait y retrouverl’image d’un milieu corporatif totalement ignorant et soucieux de protec-tion réglementaire. Ce qu’il souhaite c’est la liberté protégée du négoce et

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lors de l’abolition passagère des corporations par Turgot en 1776, il saitmontrer très clairement comment il est capable de jouer des libertés et descontraintes. La nature complexe des cosmétiques a peu à peu défini un sec-teur professionnel ouvert, produits de beauté, d’hygiène, remède thérapeu-tique y étant associés. La corporation en garantit la qualité face à la promo-tion et à la croissance comme elle permet les transformations ingénieusesdes produits ; son monopole, face aux multiples métiers libres qui lerognent, resserre autour de tout ce qui concerne la toilette une forced’intervention polyvalente sur le marché des métiers du corps. En se sou-mettant de surcroît au contrôle de la Société royale de médecine, les gan-tiers-parfumeurs sont entrés dans le domaine de l’expertise où se lient lesintérêts économiques des producteurs et la volonté de satisfaire les besoinsdes consommateurs. La culture de l’invention cosmétique formule enterme de logique d’utilité les mécanismes de la mode et fait appel à lascience pour cautionner le désir et le rêve.

Le livre de Catherine Lanoë prend place, par son sujet, par sa méthodequi décloisonne les sources, les démarches disciplinaires et les interroga-tions, au sein des éudes qui éclairent les modes de vie de la sociétéd’Ancien Régime, considérés dans leur ensemble. Il est à sa façon unemanière d’écrire une étude culturelle capable d’intégrer les forces socialeset économiques dans les pratiques ordinaires signifiantes. Il contribue ànous faire comprendre l’historicité de procédures publicitaires et des res-sorts qui les animent. S’il existait un prix L’Oréal pour l’ouvrage desSciences humaines le plus capable d’aider à la réflexion sur la fabricationdes symboliques sociales du visage et de la beauté corporelle, il devrait êtreattribué à ce livre. On peut en tout cas toujours rêver que les Entreprisess’intéressent à l’histoire des mécanismes sociaux qui assurent leur pouvoiret leur développement. Le livre et son auteur le valent bien.

Daniel RocheCollège de France

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À Marie et à Jean.

REMERCIEMENTS

Je suis heureuse d’exprimer toute ma gratitude à Daniel Roche qui a dirigé la thèse de doctoratà l’origine de ce livre. À mes amis Liliane Hilaire-Pérez, Frédéric Attal et Patrice Bret qui m’ontaccompagnée tout au long de cette aventure et qui ont assuré la relecture bienveillante et construc-tive du manuscrit, je veux dire ma profonde reconnaissance.

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INTRODUCTION

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« Cosmétique : Terme dont les médecins se servent en parlant desremèdes et des fards qui servent à l’embellissement du visage et àentretenir le teint frais ».

Antoine Furetière1.

« Cosmétique, (Médecine) C’est la partie de la Médecine qui a pourobjet l’entretien de la beauté naturelle. La Cosmétique est non seule-ment l’art de l’embellissement du corps, mais encore celui de com-battre la laideur, de diminuer les défauts qui peuvent occasionner unobjet de dégoût ; de cacher les imperfections, les infirmités qui vien-nent de naissance, par maladie, ou par quelque autre cause que cesoit, et même de prévenir ces infirmités ».

Chevalier de Jaucourt2.

À quoi ressemblaient les visages des femmes et des hommes de l’AncienRégime et les idées communes que nous en avons sont-elles justes ? Aussi-tôt formulé, le questionnement originel et fondateur de ce livre mobilisedans l’imaginaire collectif toutes les représentations matérielles et intel-lectuelles que les portraitistes de ce temps ont abandonnées à la postérité3.La gestuelle et les postures convenues des courtisans du XVIIe siècle, lesminois naturels et piquants des Lumières, les chevelures poudrées à blanc,les faces vérolées et blanchies aux pommettes chargées de rouge… ou tantd’autres images, parfois racontées dans les livres d’histoire du passé, peu-vent-il tenir lieu de témoignages fiables et exhaustifs de leur apparence4 ?Rien n’est moins certain5. De surcroît, la complexité et la richesse de cette

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1. Antoine Furetière, Dictionnaire universel, 3 vol., La Haye, A et R. Leers, 1690 (rééd. Paris, Le Robert,1984), art. « Cosmétique ».

2. Art. « Cosmétique », Denis Diderot, Jean D’Alembert, Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné des sciences,des arts et des métiers, Paris, 17 vol., 1751-1765.

3. Par portraitistes, nous entendons ici aussi bien les peintres de cette époque – François Clouet, Nicolas de Lar-gillière, Hyacinthe Rigaud, Jean-Honoré Fragonard, François Boucher… – que des littéraires tels La Bruyère (LesCaractères, Paris, 1688), ou encore Saint-Simon (Mémoires, éd. A. de Boislisle, Paris, Hachette, 1879-1928, 41 vol.).

4. Edmond et Jules de Goncourt, La Femme au XVIIIe siècle, Paris, Bibliothèque Charpentier, nouvelle édi-tion, 1918 ; Alfred Franklin, La Vie privée d’autrefois : les soins de la toilette, Paris, Plon, 1887 ; La Civilité, l’éti-quette, la mode, le bon ton du XIIIe au XIXe siècle, 2 vol., Paris, É. Paul, 1908.

5. Si les portraits littéraires ne peuvent suffire à reconstituer ces apparences, les portraits peints eux-mêmesdoivent être considérés avec précaution, car les artifices colorés qu’ils représentent sur les visages peuvent y avoir

Extrait de la publication

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interrogation invitent à scinder en deux le propos, à dissocier ce qui appar-tient à l’expressivité de ce qui relève exclusivement des jeux de couleur, ensomme de ce que nous avons coutume de désigner sous le mot demaquillage1.

Tel qu’il a été forgé par Marcel Mauss dans les années 1930, le conceptde « technique du corps » distingue justement ces deux catégories, d’uncôté les techniques à « instrument » ou à médiation et de l’autre les tech-niques dans lesquelles le corps lui-même est utilisé comme un outil2. Héri-tant de ces notions, plusieurs sociologues et plusieurs historiens de lapériode moderne ont prolongé cette réflexion et porté leurs regards sur cecorps et ce visage instrumentalisés par l’environnement social3. La codifica-tion des mouvements et des expressions du visage, largement diffusée parla littérature normative des manuels de cour et des civilités, à laquellerépondent les physiognomonies prennent place, comme un diptyque, dansle cadre d’une construction politique et sociale coercitive, la société decour, qui tend à renforcer le primat de la vue sur les autres sens4. Poussantplus loin l’analyse, certains de ces auteurs démontrent que « l’incorpora-tion » de ces règles et de ces contraintes met à l’épreuve les capacités indi-viduelles des acteurs sociaux à les infléchir, à les modifier, à les adapter etqu’elle favorise ainsi le développement d’un être plus intérieur. Phéno-mène historique, le surgissement de l’individu aux Temps Modernes s’esten partie élaboré au creux du visage, de ses gestes collectivement intériori-sés et de ses multiples représentations, matérielles ou symboliques5. Les« techniques du corps » à instrument n’ont pas non plus été ignorées parles historiens. Depuis plus de trente ans, les travaux qui appartiennent à

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été déposés par pure convention picturale ou sociale, leur existence sur la toile ne pouvant constituer un témoi-gnage fiable de leur application dans la réalité. Sur ce point, voir l’ensemble du catalogue de l’exposition Visagesdu Grand Siècle. Le portrait français sous le règne de Louis XIV, Catalogue de l’exposition, Nantes, Musée desBeaux-Arts, 20 juin-15 septembre 1997 – Toulouse, Musée des Augustins, 8 octobre 1997-5 janvier 1998,Paris, Somogy,1997.

1. Cet ouvrage présente les résultats de notre thèse de doctorat : Les Jeux de l’artificiel. Culture, production etconsommation des cosmétiques à Paris sous l’Ancien Régime, XVIe-XVIIIe siècle, Université de Paris I, 2003, sous la direc-tion de Daniel Roche, Professeur au Collège de France.

2. Rompant en partie avec l’école de sociologie française qui avait abandonné le corps aux biologistes, Mar-cel Mauss resitue le corps dans ses rapports avec la société et fonde la sociologie du corps. Le concept d’habitusqui suppose que tous les actes de la vie quotidienne ne sont réalisés que par la médiation, le modelage de lasociété à laquelle appartient l’individu, est étendu au domaine corporel. Marcel Mauss, « Les techniques ducorps », Communication présentée à la Société de Psychologie le 17 mai 1934, dans Sociologie et anthropologie,Paris, P.U.F., 1960.

3. Norbert Élias, La Civilisation des mœurs, Paris, Calmann-Lévy, 1973 ; La Société de cour, Paris, Calmann-Lévy, 1974 ; La Dynamique de l’Occident, Paris, Calmann-Lévy, 1975 ; Michel Foucault, Surveiller et punir, Paris,Gallimard, 1975 ; Pierre Bourdieu, La Distinction : critique sociale du jugement, Paris, Éd. de Minuit, 1979 ; Jean-Jacques Courtine, Claudine Haroche, Histoire du visage, Paris, Rivages /Histoire, 1988 ; David Le Breton, DesVisages, Paris, Métailié, 1992 ; Christine Detrez, La Construction sociale du corps, Paris, Le Seuil, 2002 ; Frédé-rique Leferme-Falguières, Les Courtisans. Une société de spectacle sous l’Ancien Régime, Paris, P.U.F., 2007.

4. Robert Mandrou, Introduction à la France moderne 1500-1640, Paris, Albin Michel, 1961.5. Il faut lire à ce sujet les belles pages de Le Breton sur les portraits et les autoportraits à la Renaissance.

Des Visages, op. cit., pp. 29-38 et 174-176.

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l’histoire de la culture matérielle, à l’histoire de la consommation ou à celledu corps ont plusieurs fois abordé les questions cruciales du vêtement et dela construction des apparences dans la France moderne1. Le visage et sesornements, cependant, y tiennent une place relativement ténue, demeuréspour l’essentiel abordés grâce aux sources littéraires ou publicitaires2.

Un vaste domaine inexploré se profile ici. Du XVIe au XVIIIe siècle, la« construction sociale du corps » n’ignore en rien le visage, mais elleinvite à franchir radicalement le miroir des représentations, au-delà mêmedu moment de la toilette, pour découvrir ses pratiques, ses objets, ses pro-duits3. Cosmétiques. En dépit des répétitions, le terme sera toujours oupresque préféré à l’expression contemporaine et anachronique de « produitde beauté ». Cette formulation, en effet, n’est jamais directementemployée à l’époque, pas plus qu’elle ne correspond exclusivement à ce quifonde l’utilisation de ces compositions. Moralement suspecte, la volonté des’embellir ne se dit pas sans précautions dans la France de ce temps ; iln’est de véritable beauté que celle de la nature et toute disposition artifi-cielle la conduit inévitablement vers la chute4. Le vocable cosmétique enrevanche, dérivé du grec kosmêtikos, passé dans le français au XVIe siècle(1555) sous sa forme d’adjectif puis substantivée, est celui qui s’impose ànombre d’auteurs du temps, littéraires ou scientifiques, pour nommer cetensemble de préparations5. L’étymologie elle-même contribue à en expli-quer l’emploi. Apparenté au kosmos grec, le kosmêtikos suggère à la foisl’idée d’un ordonnancement, d’une organisation du monde et celle de sonornement, de sa valeur esthétique6. Techniques artificielles, les cosmé-tiques ont d’abord vocation à construire et à maintenir l’ordre des choseset celui de leurs apparences dans un univers qui repose sur la hiérarchie des

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1. Voir les travaux de Daniel Roche, en particulier : Le Peuple de Paris (Paris, Aubier Montaigne, 1981) ; LaCulture des apparences. Une histoire du vêtement XVIIe-XVIIIe siècle (Paris, Fayard, 1990), et Histoire des choses banales.Naissance de la consommation XVIIe-XIXe siècle (Paris, Fayard, 1997). Voir aussi Georges Vigarello, Le Corps redressé :Histoire d’un pouvoir pédagogique, Paris, J.-P. Delarge, 1978 ; Le Propre et le Sale, Paris, Le Seuil, 1985 ; Nicole Pel-legrin, « Corps du commun, usages communs du corps », dans Georges Vigarello (dir.), Histoire du corps, De laRenaissance aux Lumières, vol. 1, Le Seuil, 2005, pp. 109-165.

2. Pour un aperçu général de l’histoire des cosmétiques, voir Jacques Pinset et Yvonne Deslandre, Histoiredes soins de beauté, Paris, P.U.F., 1960. À partir d’un ensemble de prospectus publicitaires, Martin Morag a dresséle tableau du commerce des cosmétiques à la fin des Lumières : Consuming beauty. The Commerce of Cosmetics inFrance, 1750-1800, Ph.D Thesis, University of California, 1999. Voir aussi Philippe Perrot, Le Corps fémininXVIIIe-XIXe siècle, Paris, Le Seuil, 1984 ; Georges Vigarello, Histoire de la beauté, Paris, Le Seuil, 2006.

3. Philippe Perrot (Le Corps…, op. cit., pp. 42-51) a donné de ce moment une juste et subtile description.Durant la période moderne, le terme toilette s’impose peu à peu dans une véritable polysémie. Dérivé de toile,il désigne d’abord une pièce de tissu, éventuellement ouvragée, recouvrant la table sur laquelle sont installés lescosmétiques et devant laquelle se tient la femme ou l’homme qui s’apprête à les appliquer. Par métonymie, ildésigne ensuite le meuble lui-même surmonté en général d’un miroir, puis, par extension, le moment pendantlequel s’effectuent les multiples opérations de construction des apparences. Les soins de propreté du corps etl’hygiène ne lui sont rattachés qu’au XIXe siècle. Alain Rey, Dictionnaire historique de la langue française, Paris, LeRobert,1998, art. « Toilette ».

4. Voir à ce sujet Françoise Loup et Philippe Richard, Sagesses du corps. La santé et la maladie dans les proverbesfrançais, Paris, Maisonneuve et Larose, 1978, pp. 22-24.

5. Alain Rey, Dictionnaire…, op. cit., art. « Cosmétique ».6. Bailly, Dictionnaire Grec-Français, p. 1125.

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conditions sociales et la nécessité de l’identification de tous1. Pensés etfabriqués, avant même d’être consommés, ces différents produits – fards,compositions en tous genres pour le teint, pommades et poudres pour lescheveux… – sont ici considérés comme un objet historique à part entière,un objet total.

La volonté d’embrasser l’histoire des usages des cosmétiques, mais aussid’étudier leur conception et leur fabrication implique de mettre en œuvre

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1. Jean-Yves Grenier, « Une Économie de l’identification. Juste prix et ordre des marchandises dansl’Ancien Régime », dans Alessandro Stanziani (dir.), La Qualité des produits en France (XVIIIe-XIXe siècles), Paris,Belin, 2003, pp. 28-29.

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une approche parfaitement décloisonnée qui relève aussi bien de l’histoiresociale et économique que de l’histoire des techniques et des sciences ouencore de celle des représentations et de la consommation. En amont, cetteperspective suppose l’établissement d’un corpus de sources large, bien dif-férent de ceux qui ont traditionnellement été définis pour traiter de cesquestions. Si la nature particulière de ce sujet d’étude – un ensemble deproduits – rend vain le dépouillement systématique d’une quelconquesérie archivistique constituée, elle doit engager, au contraire, à n’écarteraucun type de document, à confronter en permanence les informations

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Ill. 1 et 2. État des marchandises et du mobilier de la marchande-parfumeuse Duhaulant, 1772.(Arch. Seine, D4B6 carton 44, dossier 2543.)

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qu’ils délivrent. La littérature, les dictionnaires et les encyclopédies del’époque, par exemple, ne peuvent manquer d’être mis à contribution,mais ils méritent d’être exploités avec circonspection. En ces temps où laphilosophie et l’économie morale chrétienne condamnent les manipula-tions de l’apparence et les dévoiements du luxe, leurs propos souvent péjo-ratifs à l’égard des cosmétiques ne permettent pas d’en rendre compte demanière complète et objective. Plus profondément, la pluralité des éclai-rages que requiert cette histoire globale oblige à aborder sans préjugés lestextes anciens qui ignorent encore les processus de classification et l’étan-chéité des cloisons entre les différents domaines de la pratique et de lapensée. Précisément, des livres de recettes ou de secrets, relevant deconceptions intellectuelles et scientifiques variées et parfois combinées –manuels d’économie domestique, d’alchimie ou de chimie pratique,ouvrages de médecine… – composent un premier ensemble dedocuments1. Publiés tout au long de la période moderne, entre 1530 et ledébut du XIXe siècle, ces nombreux recueils signalent que la confection descosmétiques peut trouver sa place dans le cadre de la maison et qu’elleappartient pleinement à la culture des apparences des femmes et deshommes de ce temps2. Sans jamais interrompre cette tradition, certainesformules du XVIIe et du XVIIIe siècle sont bientôt rédigées par des spécia-listes, praticiens ou savants, consignées dans des dictionnaires d’arts etmétiers3. Une production professionnelle, en effet, voit le jour dès le XVIIe

siècle, dominée par les gantiers-parfumeurs4. Aussi bien, cette commu-

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1. William Eamon, Science and the Secrets of Nature. Books of Secrets in Medieval and Early Modern Culture,Princeton University Press, Princeton, New Jersey, 1994. Jean-Louis Flandrin, « Soins de beauté et recueils desecrets », Les Soins de beauté, Moyen Age-début des Temps Modernes, Actes du IIIe Colloque international deGrasse (26-28 avril 1985), Centre d’études médiévales (Denis Menjot éd.), Nice, Faculté des Lettres et SciencesHumaines, 1987, pp. 13-33. Pour une première recension des ouvrages qui contiennent des formules de cosmé-tiques, voir Jacques-Charles Wiggishoff, Essai de bibliographie des parfums et des cosmétiques, Paris, Journal de laparfumerie française, [1889].

2. Sans compter les rééditions multiples et les plagiats, le corpus rassemble une soixantaine d’ouvragesdont les principaux titres figurent en bibliographie, à la fin de l’ouvrage. Quatre parmi eux ont été l’objet d’uneexploitation systématique. André Le Fournier, La Décoration d’humaine nature et ornement des dames, Lyon, chezGilles et Jacques Huguetan Frères, 1541, (éd. reprint Aux amateurs de livres, 1992) ; Marie Meurdrac, La Chy-mie charitable et facile en faveur des dames, 1666, Paris, (éd. CNRS, 1999) ; Déjean (pseudonyme d’Antoine Hor-not), Traité des odeurs, suite du Traité de la distillation, Paris, Nyon, 1764 ; Pierre-Joseph Buchoz, Toilette de Floreà usage des dames ou essai sur les plantes et les fleurs qui peuvent servir d’ornement aux dames contenant les différentesmanières de préparer les essences, pommades, rouges, poudres, fards et eaux de senteurs, Paris, Valade, 1771.

3. Le premier ouvrage rédigé par un parfumeur est celui de Simon Barbe : Le Parfumeur français qui enseignetoutes les manières de tirer les odeurs des fleurs et à faire toutes sortes de compositions de parfums, Lyon, T. Amaulry, 1693.Il est l’objet d’une réédition quelques années plus tard : Le Parfumeur royal ou l’art de parfumer avec les fleurs etcomposer toutes sortes de parfums, tant pour l’odeur que pour le goût, Paris, chez Simon-Augustin Brunet, 1699 (éd.reprint Aux amateurs de livres, Paris, 1992). Voir les articles « Cosmétique », « Rouge », « Blanc »,« Poudre »… de l’Encyclopédie (Denis Diderot, Jean D’Alembert, Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné des sciences,des arts et des métiers, 17 vol., Paris, 1751-1765). Voir aussi Philippe Macquer, Dictionnaire portatif abrégé des artset métiers contenant en abrégé l’histoire, la description, et la police des arts et métiers, des fabriques et manufactures de Franceet des pays étrangers (2 vol., Paris, Lacombe, 1766) ; « Art du parfumeur », Encyclopédie Méthodique, Arts-et-métiers,t. VI, Paris, Panckoucke, Liège, Plomteux, 1789, pp. 1-60.

4. Statuts de la communauté des marchands gantiers-poudriers-parfumeurs de la ville, faubourg et banlieue de Paris,auxquels on a joint un recueil d’ordonnances, édits, lettres patentes, déclarations du Roi, arrêts du Conseil et du Parlement,

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nauté de métiers constitue-t-elle un fil conducteur essentiel pour accéder àl’univers cosmétique de ce temps (Ill. 1 et 2). L’exploitation quantitative etqualitative des sources qui traduisent les actes de la pratique de ces arti-sans ouvre grand les portes de leurs boutiques, éclairant l’infinie variétécolorée et parfumée de ces produits, la diversité des stratégies de leur com-mercialisation et, en amont, le caractère fondamentalement hybride etcomposite de leurs savoirs et de leurs techniques1. Avec les Lumières et lapromotion d’une éthique de progrès général, la nécessité d’un contrôlepublic et scientifique de la production des cosmétiques s’impose peu àpeu. Un troisième corpus de documents a été constitué, qui rend comptedu dialogue établi entre les différentes institutions de la monarchie et lesproducteurs, professionnels ou non. Plus qu’aucun autre, le fonds des« remèdes secrets » des archives de la Société royale de médecine (1776-1790) forme à ce sujet un ensemble de pièces d’un intérêt majeur2.

La richesse de chacun de ces trois principaux ensembles de sources estévidente et leur complémentarité patente. Dans la longue durée del’Ancien Régime, il devient possible de rendre compte de la multiplicitédes cosmétiques, aussi bien que de la pluralité des cadres intellectuels ettechniques dans lesquels ils sont nés. En retour, la matérialité de ces pro-duits, leurs appellations, leurs vocations, parfois changeantes, permettentde lire la diversification des usages, la cristallisation de désirs inédits, ensomme d’identifier des appropriations sociales variées, souvent différentesde celles que commande le strict respect d’un ordre et d’une hiérarchie desapparences. Comme Daniel Roche l’a montré dans nombre de ses travaux,par le truchement des sources de la culture matérielle, par le détour desobjets et de leur utilisation, de leur fabrication et de leur commercialisa-tion, l’analyse des représentations et celle des sensibilités prennent de plusjustes dimensions3. De la Renaissance aux Lumières, cette histoire des cos-métiques porte ce même type d’ambitions. À la volonté de délivrer desinformations objectives sur les visages de ce temps passé, s’articule le désirde formuler quelques propositions sur les manières subjectives de se sentirun individu, de se penser jeune ou vieux, homme ou femme, de vivre la

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sentences de police, servant de règlement pour les arts et métiers : notamment ceux intervenus au profit de ladite communautédes gantiers-poudriers-parfumeurs contre les autres communautés, ou maîtres d’icelles, et les marchands forains, avec unetable alphabétique, Paris, Valade, 1772.

1. Quatre-vingt-treize inventaires de fonds de boutiques de gantiers-parfumeurs, couvrant le XVIIe et leXVIIIe siècle, constituent ce corpus. Ils proviennent, dans leur très grande majorité (78), d’inventaires après décès(Archives Nationales, Minutier Central des notaires parisiens ou sous-série Z2 pour les juridictions ordinairesroyales et seigneuriales ; désormais AN, MC), dans 6 cas d’actes de vente passés devant notaire du vivant du par-fumeur (AN, MC) et dans 9 de dossiers de faillite (série D4B6 des Archives de la Seine ; désormais Arch. Seine).À ce premier ensemble manuscrit, il faut ajouter 67 dossiers de faillites (série D4B6 ; Arch. Seine) et 33 registresde commerce, c’est-à-dire des livres-journaux de comptes (série D5B6 ; Arch. Seine).

2. Archives de la Société royale de médecine, Fonds des « remèdes secrets », en particulier les cartons 96,97, 98, 100, 101, 102, 103 et 104 (désormais Arch. SRM).

3. Daniel Roche, Histoire…, op. cit., Introduction, p. 10.

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souffrance occasionnée par l’altération de sa propre image et de tenter d’yremédier.

La première partie de ce livre est consacrée aux produits, à la descriptionde leur composition et de leur conditionnement, à l’explication de leursappellations, de leurs vocations et de leurs modes d’application. Ils sontd’abord présentés dans le cadre d’un temps long, puis dans celui d’unepériode plus courte qui les voit changer, à maints égards et de manièredécisive. La seconde partie rend compte des diverses conceptions intellec-tuelles et matérielles qui ont permis, encadré et contrôlé leur production,comme elle porte aussi la lumière sur la richesse et les évolutions dessavoir-faire des gantiers-parfumeurs. La troisième, enfin, aborde le terrainde la consommation des cosmétiques, puis l’émergence et la structurationde leur marché dans le Paris des trente dernières années de l’AncienRégime.

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