3
U n jour de 1967, la superbe revue suisse Graphis, animée par Bertil Galland, publia un premier numéro spécial consacré à l’illustration jeunesse. En quatrième de couverture s’étalait une élégante publicité présen- tant les productions d’un jeune éditeur new-yorkais : Harlin Quist. Cette page fut un choc pour nombre de jeunes illustrateurs, qui n’en crurent pas leurs yeux : “C’était ce que nous rêvions de faire”, nous a confié Henri Galeron. Parmi ces livres, de futurs classiques, qui n’ont pas pris une ride : les albums d’Etienne Delessert et Eléonore Schmid. La conquête des cœurs européens, et spécialement fran- çais, était faite. “Les livres d’Harlin Quist” était en fait une société basée en France, chez François Ruy-Vidal, avec lequel Quist s’était associé dès 1966. Ces deux hommes étaient a priori contrai- res : d’un côté le magicien Quist, génial et provocateur, de l’autre le militant Ruy-Vidal, normalien adepte de la pédagogie active. Mais ils avaient en commun un désir profond de renouveler complètement le livre pour enfants, et lui donner ses lettres de noblesse. La formule de Ruy-Vidal est restée célèbre : “Il n’y a pas d’art pour l’enfant, il y a de l’Art.” À eux deux, ils ont emmené le “mai 68” du livre jeunesse. On leur doit l’importation dans l’illustration jeunesse européenne pour les enfants des esthétiques les plus modernes, en particulier pop et psychédélique. Ils ne s’étaient pas trompés, puisqu’ils ont fait travailler Etienne Delessert, Eléonore Schmid, Nicole Claveloux, Bernard Bonhomme, Patrick Coura- tin, Claude Lapointe, Henri Galeron, Danièle Bour, parmi tant d’autres devenus fameux. L’audace n’empêcha d’ailleurs pas le succès : certains titres se vendirent très bien et connurent plusieurs éditions, quelques-uns furent des best-sellers (Le Galion de Mordillo…), et d’innombrables prix ont honoré leurs publications. Les livres conçus par Harlin Quist et François Ruy-Vidal s’inscrivent dans la lignée de Robert Delpire, pour la qualité graphique et éditoriale, et plus largement des éditeurs les plus nova- teurs pour l’adéquation toujours recherchée entre le contenu et la forme, qui, du coup, est extrêmement variée : certaines de leurs idées n’au- raient pas déplu au grand Tolmer… Quant à l’esprit, on songe bien sûr à Maurice Sendak (Max et les maxi- monstres, 1963) et Tomi Ungerer (“il faut traumatiser les enfants !”). Quist et Ruy-Vidal proclament que les livres pour enfants peuvent aborder tous les sujets, y compris les plus sensibles, qu’ils n’ont pas à être “politique- ment corrects”, comme nous disons aujourd’hui, et, enjeu de taille, que l’on peut et l’on doit s’adresser à l’incons- cient des enfants. Ce point déclen- chera des oppositions virulentes, en particulier celle de la psychanalyste Françoise Dolto, qui oubliait peut- être que les grands livres pour enfants – des Contes de Perrault au Petit prince en passant par Alice au pays des merveil- les –, sont ceux qui parlent aux tréfonds de leur psyché… Les premiers livres, 1964 L es premiers livres conçus par Harlin Quist, puisent pour la plupart dans le répertoire classique des textes pour la jeunesse, avec la volonté de les renouveler. Ils sont publiés chez Dell Publishing sous le label “A Harlin Quist Book”, directement en “paper- back” (sous couverture souple). La première vague devait compter 12 titres, mais cette série s’arrêta au bout de 11 volumes, suite à de rapides désac- cords. Certains furent réédités en 1967 par Quist lui-même sous une forme plus luxueuse et avec des couvertures modernisées. Seul l’un de ces livres est paru en France. Le tout premier mérite une mention particulière : il était illustré par Rick Schreiter, artiste qui a complè- tement disparu depuis, et qu’Etienne Delessert considère comme “l’un des meilleurs aux USA à cette époque.” Les livres d’Harlin Quist” : 1966-1972 D ès 1966, Quist publie des livres en dehors de Dell Publishing, sous le nom de “Harlin Quist Incor- porated”. La même année est créée la SARL “Les livres d’Harlin Quist”, dans laquelle Ruy-Vidal est majori- taire. Une partie des livres est conçue aux USA, mais la plupart en France (33 titres selon FRV), y compris certains dont le copyright est améri- cain. La question des droits était donc particulièrement embrouillée, ce qui allait entraîner la rupture entre ces deux fortes personnalités, en décem- bre 1972, au bout de six années de création intense. Cette crise coïncida avec une virulente polémique contre les illustrations des livres de Quist, L’Express titrant : “Littérature enfantine : attention danger”. Les premiers titres sont conçus aux USA, le véritable décollage survient avec l’arrivée des illustrateurs euro- péens, tout particulièrement Etienne Delessert et Eléonore Schmid, et les livres conçus par Ruy-Vidal : “La fête commençait…”(François Vié). Parmi un festival de livres inoublia- bles, à commencer par L’arbre, Sans fin, La fête, Horns Everywhere et le Conte n° 1 de Ionesco, on peut relever une émouvante histoire illustrée par Gorey (l’un des plus grands illustra- teurs américains du XX e siècle) ; la réjouissante Marceline “bad girl” de Victoria Chess ; le fameux Voyage extravagant de Hugo Brise-Fer (écrit par Ruy-Vidal) ; la Forêt des lilas de Claveloux sur un texte de la comtesse de Ségur ; Atome de Jacqueline Duhême ; le si beau Monsieur l’Oiseau de Couratin ; ou Harlin Quist Ruy-Vidal deux grands novateurs du livre pour la jeunesse À l’occasion de l’exposition-vente qu’ils organisent chez “Les libraires associés”, Jacques Desse et Michèle Noret nous racontent l’aventure des éditions “Harlin Quist”, formidable itinéraire d’une maison d’édition pas comme les autres. Graphis, 1967 Pas de grisbi pour Grabote, 1974 Le Chat de Simulombula, Conte de Jacqueline Held, illustrations de Bernard Bonhomme, Nicole Claveloux (ici) & Maurice Garnier, 1971 Couverture d’après un dessin original de Nicole Claveloux pour le Conte n° 4 de Ionesco DR DR DR DR

l’exposition-vente qu’ils organisent chez HarlinQuist Ruy

  • Upload
    others

  • View
    2

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: l’exposition-vente qu’ils organisent chez HarlinQuist Ruy

U n jour de 1967, la superbe revuesuisse Graphis, animée par Bertil

Galland, publia un premier numérospécial consacré à l’illustrationjeunesse. En quatrième de couvertures’étalait une élégante publicité présen-tant les productions d’un jeune éditeurnew-yorkais : Harlin Quist. Cettepage fut un choc pour nombre dejeunes illustrateurs, qui n’en crurentpas leurs yeux : “C’était ce que nousrêvions de faire”, nous a confié HenriGaleron. Parmi ces livres, de futursclassiques, qui n’ont pas pris une ride :les albums d’Etienne Delessert etEléonore Schmid. La conquête descœurs européens, et spécialement fran-çais, était faite.

“Les livres d’Harlin Quist” était enfait une société basée en France, chezFrançois Ruy-Vidal, avec lequelQuist s’était associé dès 1966. Cesdeux hommes étaient a priori contrai-res : d’un côté le magicien Quist,génial et provocateur, de l’autre lemilitant Ruy-Vidal, normalien adeptede la pédagogie active. Mais ilsavaient en commun un désir profondde renouveler complètement le livrepour enfants, et lui donner ses lettresde noblesse. La formule de Ruy-Vidalest restée célèbre : “Il n’y a pas d’artpour l’enfant, il y a de l’Art.”À eux deux, ils ont emmené le “mai68” du livre jeunesse. On leur doitl’importation dans l’illustrationjeunesse européenne pour les enfants

des esthétiques les plus modernes, enparticulier pop et psychédélique. Ilsne s’étaient pas trompés, puisqu’ilsont fait travailler Etienne Delessert,Eléonore Schmid, Nicole Claveloux,Bernard Bonhomme, Patrick Coura-tin, Claude Lapointe, Henri Galeron,Danièle Bour, parmi tant d’autresdevenus fameux. L’audace n’empêchad’ailleurs pas le succès : certains titresse vendirent très bien et connurentplusieurs éditions, quelques-unsfurent des best-sellers (Le Galion deMordillo…), et d’innombrables prixont honoré leurs publications. Les livres conçus par Harlin Quist etFrançois Ruy-Vidal s’inscrivent dansla lignée de Robert Delpire, pour laqualité graphique et éditoriale, et plus

largement des éditeurs les plus nova-teurs pour l’adéquation toujoursrecherchée entre le contenu et laforme, qui, du coup, est extrêmementvariée : certaines de leurs idées n’au-raient pas déplu au grand Tolmer…

Quant à l’esprit, on songe bien sûr àMaurice Sendak (Max et les maxi-monstres, 1963) et Tomi Ungerer (“ilfaut traumatiser les enfants !”). Quist etRuy-Vidal proclament que les livrespour enfants peuvent aborder tous lessujets, y compris les plus sensibles,qu’ils n’ont pas à être “politique-ment corrects”, comme nous disonsaujourd’hui, et, enjeu de taille, que l’onpeut et l’on doit s’adresser à l’incons-cient des enfants. Ce point déclen-

chera des oppositions virulentes, enparticulier celle de la psychanalysteFrançoise Dolto, qui oubliait peut-être que les grands livres pour enfants– des Contes de Perrault au Petit princeen passant par Alice au pays des merveil-les –, sont ceux qui parlent auxtréfonds de leur psyché…

Les premiers livres, 1964

L es premiers livres conçus parHarlin Quist, puisent pour la

plupart dans le répertoire classique destextes pour la jeunesse, avec la volontéde les renouveler. Ils sont publiés chezDell Publishing sous le label “A HarlinQuist Book”, directement en “paper-back” (sous couverture souple). Lapremière vague devait compter 12 titres,

mais cette série s’arrêta au bout de11 volumes, suite à de rapides désac-cords. Certains furent réédités en 1967par Quist lui-même sous une forme plusluxueuse et avec des couverturesmodernisées. Seul l’un de ces livres estparu en France. Le tout premier mériteune mention particulière : il était illustrépar Rick Schreiter, artiste qui a complè-tement disparu depuis, et qu’EtienneDelessert considère comme “l’un desmeilleurs aux USA à cette époque.”

Les livres d’Harlin Quist” :1966-1972

D ès 1966, Quist publie des livresen dehors de Dell Publishing,

sous le nom de “Harlin Quist Incor-porated”. La même année est créée la

SARL “Les livres d’Harlin Quist”,dans laquelle Ruy-Vidal est majori-taire. Une partie des livres est conçueaux USA, mais la plupart en France(33 titres selon FRV), y compriscertains dont le copyright est améri-cain. La question des droits était doncparticulièrement embrouillée, ce quiallait entraîner la rupture entre cesdeux fortes personnalités, en décem-bre 1972, au bout de six années decréation intense. Cette crise coïncidaavec une virulente polémique contreles illustrations des livres de Quist,L’Express titrant : “Littérature enfantine :attention danger”. Les premiers titres sont conçus auxUSA, le véritable décollage survientavec l’arrivée des illustrateurs euro-péens, tout particulièrement EtienneDelessert et Eléonore Schmid, et leslivres conçus par Ruy-Vidal : “La fêtecommençait…”(François Vié).

Parmi un festival de livres inoublia-bles, à commencer par L’arbre, Sansfin, La fête, Horns Everywhere et le Conten° 1 de Ionesco, on peut relever uneémouvante histoire illustrée parGorey (l’un des plus grands illustra-teurs américains du XXe siècle) ; laréjouissante Marceline “bad girl” deVictoria Chess ; le fameux Voyageextravagant de Hugo Brise-Fer (écritpar Ruy-Vidal) ; la Forêt des lilas deClaveloux sur un texte de lacomtesse de Ségur ; Atome deJacqueline Duhême ; le si beauMonsieur l’Oiseau de Couratin ; ou

Harlin QuistRuy-Vidaldeux grands

novateurs du livre pour la jeunesse

À l’occasion del’exposition-ventequ’ils organisent chez“Les libraires associés”,Jacques Desse etMichèle Noret nousracontent l’aventuredes éditions “HarlinQuist”, formidableitinéraire d’une maisond’édition pas commeles autres.

Graphis, 1967

Pas de grisbi pour Grabote, 1974

Le Chat de Simulombula, Conte de Jacqueline Held, illustrations de Bernard Bonhomme, Nicole Claveloux (ici) & Maurice Garnier, 1971

Couverture d’après un dessin original de Nicole Claveloux pour le Conte n° 4 de Ionesco

DR DR DR

DR

Page 2: l’exposition-vente qu’ils organisent chez HarlinQuist Ruy

encore Monsieur Poméranie, un livrequi parle de la mort, à l’extraordi-naire couverture… À partir de 1970, le psychédélisme etl’esthétique du Push-pin studio fontune entrée en force avec l’adaptationde titres de Heinz Edelmann (auteurdu dessin animé des Beatles, TheYellow Submarine) et la conception, enparticulier par Bernard Bonhommeet Nicole Claveloux, de livres aussigéniaux que délirants : Alala, les télé-morphoses ; Ah ! Ernesto, seul textepour la jeunesse de MargueriteDuras ; l’important Chat de Simulom-bula de Jacqueline Held ; etc. Sansoublier une très originale série delivres d’activité, les Manipule, conçusen France.

Le géranium de la discorde

E n 1971, c’est le tintamarre dans leLanderneau de l’éducation avec

la publication d’un album historique,inclassable et contestataire. Stigmati-sant un “dressage” rigide et aveugledes enfants, Sur la fenêtre, le géraniumvient de mourir mais toi... oui, toi... toi quivois tout, toi qui peux tout, tu n’en as riensu, est une charge contre les ensei-gnants accusés de piétiner la créativitéet la sensibilité des enfants. La préfacepolémique de l’éditeur est suivie d’untexte du pédagogue américain contes-tataire, Albert Cullum (ce dernierrentra en contact avec Ruy-Vidalgrâce à Maurice Sendak). Uneversion édulcorée avec de nouveauxillustrateurs et un titre abrégé paraît

en 1978. Un droit de réponse desenseignants, sous une forme plushumoristique, est publié la mêmeannée ; un troisième titre prévu parl’éditeur, point de vue des parents, neverra jamais le jour.

Ruy-Vidal : l’aventure Grasset jeunesse(1973-1975)

A près l’arrêt des Livres d’HarlinQuist, fin 1972, Ruy-Vidal crée

le département jeunesse de Grasset.Grasset refusant de racheter les droitsdétenus par la SARL “Les livresd’Harlin Quist”, ce qui aurait permisd’apurer ses dettes, Ruy-Vidal quit-tera l’éditeur en mai 1976. Le bilan de ces deux ans d’activité est

d’une richesse impressionnante : desréussites exceptionnelles (Alice aupays des merveilles, Le Petit poucet…),de nouveaux artistes (à commencerpar Danièle Bour), une collectionquasiment expérimentale (“Albumstrois pommes”, avec des contributionsde Jean-Hugues Malineau, MilaBoutan, etc.), et la naissance d’unnouvel éditeur. D’une manière générale, ces albumsne ressemblent pas à ceux de Quist, laplupart des illustrateurs ne sortentpas de l’écurie des livres d’HQ. Ruy-Vidal a trouvé un nouveau style, quimarquera de son empreinte les livrespubliés par la suite par Grasset jeu-nesse et restera dans l’histoire du livrepour enfants en France.

“Encore un livre d’Harlin Quist” : 1973-1978

P arallèlement, Quist poursuit saroute en solitaire, mais la plupart

de ses ouvrages sont des œuvres decréateurs français qui lui sont restésfidèles (Couratin et Tina Mercié,Claveloux, Galeron, Lapointe, Nicol-let, Seisser et Ranchin…). Il remportequelques grands succès, en particulieravec Bus 24 de Guy Billout. Puisqu’ilne dispose plus de la marque “Un livred’Harlin Quist”, il publie ses livres enFrance sous le nom “Encore un livred’Harlin Quist”. Parmi bien des titres marquants, onrelève le délirant Kidnapping de la cafe-tière, inspiré de… Robert Crumb (!) ;Murphy, Molly, Max and Me, hommage,

cette fois, au Little Nemo de WindsorMcCay ; Les méfaits du tabac, d’aprèsune nouvelle de Tchekhov (!) ; l’éco-logiste et précurseur Mort à l’homme !,illustré par Rozier et Gaudriault ; unabécédaire qui commence par “Scomme cinglé” ; ou l’original Quatrechevaux dans une boîte, composé delivres miniatures sous coffret…Une toute petite série parue en 1975se distingue. Il s’agit d’albums publiéssimultanément aux USA et en Franceau format de poche, conçus et mis enpage par Patrick Couratin. Des livrespresque “punks” (?!), novateurs, quin’hésitent pas à s’orner en couverturede diables et autres fesses nues. Onaimerait bien les voir en grand format,mais certains ne sont sans doute pas

rééditables de nos jours. Ils manquentd’ailleurs au catalogue de la Bibliothè-que nationale de France.

Ruy-Vidal / Delarge, EditionsUniversitaires : 1976-1978

R uy-Vidal quitte Grasset pourDelarge, ce qui permettra la

réédition de divers titres, dont lestrois premiers contes de Ionesco, puisl’édition du Conte n° 4, illustré parClaveloux, et leur diffusion en pochepar Gallimard. Les albums conçus àcette époque sont en général moinsmarquants que les précédents.Autour de 1980, Ruy-Vidal publiechez Pierson des recueils illustrés departitions de chansons françaises(Brassens, Ferré, Piaf, Tino Rossi…).Quist pour sa part édite ou conçoitdes livres pour adultes, sur des sujetsinhabituels. Mais il se consacresurtout à une autre de ses passions : lethéâtre. Les héros sont fatigués, peut-être arrivés à une sorte d’impasse, quileur fait délaisser, chacun de leur côté,l’édition jeunesse.

“Merde ! Quist revient”

E n 1997, une nouvelle série deQuist est réalisée en France en

association avec Patrick Couratin, quiassume la direction artistique. Réédi-tions de titres anciens (souvent modi-fiés, voire altérés et “assagis”) etcréations originales de qualité. Ledécès de Quist, en 2000, interromptl’entreprise. En 2003, nouveau coupde théâtre : cette fois, Ruy-Vidal est de

Nicole Claveloux, étude pour Alice au pays des merveilles, 1974

France de Ranchin & Jean Seisser, Manipule 4, 1972

Claude Lapointe, Le Petit poucet, 1974

Danièle Bour, Au fil des jours s’en vont les jours, 1979

Alala : les télémorphoses, Conte de Guy Montreal, Images de Nicole Claveloux, 1970

DR

DR DR DR

DR

Page 3: l’exposition-vente qu’ils organisent chez HarlinQuist Ruy

retour, avec les éditions “Des lires !” Ilarrive avec un programme ambitieuxde rééditions, mais aussi de nouveauxlivres, dont un Petit poucet qui semarie, mis en images par Tudor Banus.cependant l’expérience tourna court…

L’enfer et l’oubli

L es livres d’Harlin Quist incarnentla révolution du livre jeunesse

des années 1960-70, en particulier parleur qualité graphique. Il y a un avantet un après. Mais, en dehors desmilieux professionnels, ils sontaujourd’hui inconnus. Le nom mêmede Quist ne dit rien à bien desamateurs de livres pour enfants (unpeu comme si un littéraire n’avaitjamais entendu celui de MargueriteDuras, par exemple). L’expositionanthologique de la BnF, en 2008(Babar, Harry Potter & cie), ne présen-tait pas un seul livre paru sous celabel… Quist et Ruy-Vidal ontrepoussé toutes les censures et se sontpermis toutes les audaces, mais ilsemble que la postérité se venge enbannissant leurs livres dans l’oubli,alors qu’il est clair que le livre pourenfants contemporain est inconceva-ble sans leur apport, et que la plupartde leurs réalisations demeurent tout àfait séduisantes et stimulantes.

“Cent fois sur le métier…”

Q uist et Ruy-Vidal ont unecaractéristique commune : ils

n’ont cessé de reprendre les livresqu’ils avaient édités pour en faire de

nouvelles éditions, modifiées, voiredes versions complètement nouvellesde titres parus 20 ou 30 ans aupara-vant. Le bibliographe est ainsiconfronté à un “jeu des 7 erreurs”permanent : après avoir essayé delister tous les titres, ce qui n’était pasune mince affaire, nous avons tâchéde recenser les variantes entre lesdifférentes versions (par exemple desillustrations peuvent changer entre lepremier et le second tirage, ou entreles éditions française et américaine !).Sans parler des variations conséquen-tes dans les textes, qui sont souventplutôt adaptés que littéralementtraduits entre les éditions en anglaiset en français. Claude Lapointeracontera en 2007 : “Mon premier livre

était Pierre l’Ebouriffé paru en 1972.J’ai fait ce livre en complicité avec les deuxéditeurs Harlin Quist et François Ruy-Vidal, dans une ambiance de créativitéenthousiasmante propre à ces années-là[…]. Pour le texte, ce fut une autrehistoire. Le livre a été publié simultané-ment en anglais, en allemand et en fran-çais. Trois textes différents, et mêmetotalement différent pour le texte alle-mand. J’ai découvert trois livres, troislivres avec mes mêmes illustrations etpourtant différents.” Ces variationss’expliquent également par les diver-gences de vue entre les deux éditeurs,fortes personnalités aux idées trèsarrêtées, qui se brouillaient fréquem-ment entre eux aussi bien qu’avecleurs collaborateurs.

Quist et Ruy-Vidal se sont disputés lagloire de leurs éditions. Notre recen-sement montre qu’ils ont été égale-ment créatifs, puisque les périodes oùils n’ont plus aucune relation profes-sionnelle sont presque aussi riches quecelle, en réalité très brève, de leur col-laboration. Mais ce catalogue montreaussi le rôle de deux grands artisansdu livre : John Bradford (c’est lui quiconçoit le célèbre logo Harlin Quist),et surtout Patrick Couratin, depuis ledébut des années 1970 jusqu’aux tou-tes dernières publications. Les livresparus sous le label Quist, avec leurtypographie et leur mise en page sinovatrice et caractéristique, lui doi-vent beaucoup. Autre surprise : laqualité extraordinaire des dessins ori-

ginaux, que nombre d’illustrateurs ontbien voulu nous montrer ou nousconfier. Ces “baba-cools” aimaient labelle ouvrage, ils travaillaient parfoiscomme des primitifs flamands à l’in-croyable finesse (Couratin, Galeron,Lapointe…), ou produisaient de véri-tables tableaux aux coloris subtils(Claveloux, Gauthier…). La variété etl’inventivité de leurs images est aussiune leçon, à l’heure où tant d’illustra-tions se ressemblent...

Exposition-vente des livres et de dessinsoriginaux, du 29 janvier au 2 mars, chez “les libraires associés”, 3 rue Pierre l’Ermite, 75018 Paris du mardi au samedi, 14h-19 h

Michèle Noret et Jacques Desse, Les livres d’Harlin Quist et François Ruy-Vidal

(1964-2003), catalogue bibliographique

Nicole Claveloux, dessin original pour L’Enfant de Gertrude

Henri Galeron, dessin original pour Murphy, Molly, Max and Me, 1976

Dessin original d’Edward Gorey pour The 14th Dragon, 1967

Affiche de Jean-Michel Nicollet

Patrick Couratin, dessin original pour Rires de la mère l’oie, 1975DR

DR

DR

DR DR