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pour Aurélie

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Ne pas se contenter d'être ce que l'on est, il semble que ce soitun privilège de notre espèce et que, dès les temps les plus reculés,les représentants de celle-ci aient procédé comme s'ils avaientété poussés par le besoin de modi fier à tout le moins leur aspectextérieur et, ainsi, de maquiller en quelque sorte ce qu'ils ontreçu de naissance. Que très tôt ceux qui nous ont précédés aientpris, fût-ce seulement sur le plan de la construction mythique,des libertés avec l'apparence humaine considérée comme sus-ceptible d'être métamorphosée jusqu'à en devenir presqueméconnaissable, n'est-ce pas ce que nous montre l'art préhisto-rique avec, exemple notoire, l'énigmatique figure d'époqueaurignacienne de la grotte ariégeoise dite des Trois-Frères, qu'ils'agisse (comme on l'a cru longtemps) d'un danseur déguisé enbête au chef couronné de bois ou (interprétation plus récente)d'un dieu mi-humain mi-bestial ? Par ailleurs, un coup d'œilpanoramique sur les données de l'ethnographie n'amène-t-ilpasà constater que nulle part, et même là où l'on serait tenté deregarder comme relativement « primitifs » les groupes qu'ilsforment, nos congénères ne se présentent comme des animauxnus (bruts, tels quels, non altérés par rapportà ce qui leur estoriginellement donné) et, d'une manière générale, dépourvustant au point de vue physique qu'au point de vue mental desophistications qui (changements apportés au corps de l'indi-vidu aussi bien masculin que féminin par ajout fût-ce du plusminime accessoire ou par atteinte directe et, au niveau moins

PRÉFACE

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La musique et la transe

élémentaire des rapports sociaux proprement dits, réglementa-tion du commerce sexuel, élaboration de langages et de rituelscomplexes, etc.) éloignent l'espèce humaine telle que nous laconnaissons de ce qu'on peut tenir pour l'état de nature et laposent précisément en cette espèce très singulière, distincte desautres non seulement par l'ampleur de ses capacités d'interven-tion (notamment dans le domaine technique), mais en ce sensque tout semble se passer pour elle comme si elle avaitparadoxalement pour destin de refuser obéissance au seuldestin.

« Le pouvoir départi à l'homme de se concevoir autre qu'iln'est », c'est ainsi qu'en Occident, au début de notre siècle, unessayiste aujourd'hui quelque peu oublié, Jules de Gaultier,définissait ce que, se référant au contenu psychologique ducélèbre roman de mœurs de Gustave Flaubert, il nommait lebovarysme, tendance dans laquelle il voyait,à travers l'illustra-tion exemplaire que le comportement d'un personnage de fictionlui en fournissait, l'une des forces motrices de l'esprit humain,force particulière à nous, qui sommes toujours portésà nousillusionner sur nous-mêmes et plongés, d'ailleurs, dans unmonde que l'illusion régit et qui n'est en définitive qu'unproduit de la pensée. Quelques réserves qu'on puisse faire sur lesvues philosophiques, assez confuses il faut le reconnaître, decelui qui ne s'inspira pas même d'un mythe mais d'une créationlittéraire pour forger cette notion, il paraît difficile de ne pasadmettre qu'avec celle-ci il avait, du moins, soulignéà juste titrel'importance d'un trait qui en tous pays et à toutes époques faitde l'homme quelque chose, pourrait-on dire, de différent del'animal qu'il est.

Mus peut-être par l'angoisse inhérenteà l'idée de la mort,angoisse qui leur serait propre selon l'opinion commune quiveut que l'espèce humaine soit la seule dont les membressachent qu'un jour ils ne vivront plus, les gens de toutes races sesont dotés d'institutions et d'usages qui, même si ce n'est pas làle but expressément visé, leur fournissent des moyens de cesser,du moins pour un temps et de manière tout imaginaire, d'êtrel'homme ou la femme qu'on est dans l'existence quotidienne,pratiques fort diverses qui (sans préjudice de motivations plus

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Préface

directement utilitaires) sont pour l'individu des occasionsconcrètes d'échapper dans une certaine mesure à sa condition,comme s'il lui fallait d'une façon ou d'une autre effacer deslimites qui sont par définition celles d'un être périssable et doué

de pouvoirs précaires.Etre hors de soi (comme l'implique la transe, état psychique

auquel en vérité l'animal curieusement dévoyé qu'est l'hommen'est sans doute pas seulà pouvoir accéder, et comme lesmystiques y parviennent dans leurs extases), se propulser dansun autre monde (ainsi que fait le chaman), devenir un autre quesoi (ceà quoi revient la possession, nullement rejetée chez denombreux peuples et même souvent intégréeà des cultesparfaitement licites), ces trois types de rupture nonrecherchés comme tels, mais plus radicaux que ceux dont art etjeu offrent plus ou moins ouvertement des moyens- apparais-sent, quels que soient les buts consciemment poursuivis,comme de réalisation presque courante dans des sociétés moinsindustrialisées que ne le sont les nôtres, où prévalent officielle-ment des idéologies rationalistes liéesà leur développementtechnique très poussé et où la vie, loisirs compris, s'avèrebeaucoup plus mécanisée et minutée, du moins en milieuurbain.

Qu'à propos de tels phénomènes on parle d' « états seconds »,cette étiquette qui demeure négative n'apporte aucunéclaircissement, car elle n'indique pas ce que sont de pareilsétats et moins encore par quelles voies on y parvient. Certes, lesobservations faites à ce sujet ont fourni la matière d'unelittérature abondante et d'autant plus diverse qu'elle varie enfonction non seulement des champs d'observation mais desdisciplines respectives des auteurs. Toutefois, malgré l'indénia-ble qualité de nombre de ces études et aussi large que soitl'éventail des points de vue adoptés, l'obscurité reste grande, àl'image même de ce que les états en cause atteintes à tout lemoins partielles, encore que temporaires, à l'identité de celui quiles vit ont de trouble par définition. Or, ne serait-ce qu'auniveau du vocabulaire, cette confusion se trouve aujourd'hui

beaucoup réduite par l'ouvrage qu'un spécialiste de la rechercheethnomusicologique, Gilbert Rouget, a consacré au rôle que la

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La musique et la transe

musique joue, ou ne joue pas, dans cet ensemble de phéno-mènes.

De tous les arts, la musique est probablement celui qui touchele plus directement la sensibilité et paraît, plus que tout autre,permettre à l'individu de plonger dans un état de ravissementque volontiers on qualifierait d'extase ou d'être saisi par cetransport que la philosophie de la Grèce antique a nommé« enthousiasme » et qui, affectant telle une possession latotalité de la personne, peut en certains cas (témoin ces concertsde musique rock qui amenaient leurs jeunes auditeursà briserles fauteuils) se traduire par des violences presque aveugles. Quela musique se développe dans le temps, comme il en est de lapoésie, qui n'est pas seulement un jeu d'idées et d'images mais aelle aussi ses valeurs rythmiques et mélodiques, voilà sans doutece qui lui donne cette emprise ne dirait-on pas que de tels étatssont des paroxysmes auxquels on ne saurait atteindre sans unesorte d'imprégnation qui exige une certaine durée pour seproduire et peut être regardée comme l'action plus ou moinsinsistante qu'exerce sur nous un déroulement extérieur auquelnous nous trouvons intimement associés ? Pareil pouvoir,semble-t-il, ne peut être le fait d'une œuvre plastique, aussifortement qu'elle émeuve, car la contemplation visuelle- mêmeprolongée et même si, au lieu de procéder d'un coup, elle se faiten allant de détailà détail n'est pas fondamentalement liéeàla coulée du temps, comme l'est l'appréhension de quelquechose qui, par voie d'audition ou de lecture, entraîne l'espritdans une manière d'aventure en laquelle on serait tenté de direque c'est le temps lui-même qui s'exprime, ce temps toujoursouvert que l'on vit comme si chacun de ses instants ne prenaitsens qu'à la lumière de l'instant suivant. Rien d'étonnant, donc,à ce que la musique soit l'accompagnement d'un grand nombrede rituels, ces ensembles d'actions constituant quels qu'ensoient les buts et les dessous une suite de moments enchaînés

dans un ordre déterminé, suite non moins réglée qu'unereprésentation théâtrale et qui, tranchant elle aussi sur la viecourante et revêtant une forme hautement traditionnelle, impli-queà ce double titre une certaine stylisation. Cette tendanceà se

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détacher du commun est, il va de soi, propice à l'interventiond'éléments proprement esthétiques et notamment de la musique,qui apparaît souvent liée à l'activité elle-même fortementstylisée qu'est la danse et contribue à distancier le rituel lesituer dans une autre sphère, en l'espèce celle du sacré enmême temps que, chez les intéressés qui d'instant en instants'imprègnent de son développement, elle suscite une étroiteparticipation émotive au déroulement de cette suite privilégiée,le rituel dont elle est l'un des aspects. À la limite, peut-êtrefaudrait-il admettre que la musique n'est pas seulement unélément important de beaucoup de rituels, mais que sa seuleécoute, le seul fait de s'attacher à sa perception en se laissantpénétrer par elle et en se pliant mentalement à ses cadences etinflexions, est déjà une ébauche du semblant de rite que sont lesauditions (d'opéras ou d'autres œuvres musicales) organiséesdans des salles ou d'autres lieux affectés à ce genre de manifes-tations.

Apte à galvaniser en quelque sorte la personne, à la tirer deson ornière d'une façon ou d'une autre, la musique serait ensomme l'un des moyens par excellence d'engager temporaire-ment dans une espèce de rêve éveillé tant soit peu comparable àce qu'est le bovarysme au sens strict (les états d'âme d'uneEmma Bovary avide de s'élever au-dessus de la médiocrité de savie provinciale et, telle une possédée incarnant l'un de ses dieuxen une sorte de théâtre vécu, se fabriquant un personnage avectant de bonne foi qu'elle assumera ce rôle jusqu'à en mourir,s'étant « monté la tête » comme d'autres s'abandonnent à un

esprit qui, selon une représentation très répandue, leur montesur la tête). Si la transe et la possession sont des voies parlesquelles on sort expressément de soi, l'une des premièresquestions qu'est amené à se poser celui qui étudie ces phéno-mènes porte sur la nature exacte des relations que chacun deleurs modes très divers peut avoir avec la musique, moyen(comme je l'ai dit en d'autres termes) de substituer au moiordinaire un moi sublimisé et que l'observation montre associétrès fréquemment à l'atteinte de pareils états. Connaissant pourl'avoir vécu ou par de multiples témoignages quelles vivesémotions peut procurer la musique, ne sera-t-il pas porté à

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croire que les sons et les rythmes agissent pour ainsi dire d'eux-mêmes et font en l'occurrence fonction de drogues qui engendre-raient quasi automatiquement leurs effets ? L'importance d'êtrefixé sur ce point ne saurait échapper à ceux qui, sans avoirbesoin pour cela d'être des ethnologues, se dé fient des interpréta-tions hâtives fondées implicitement sur ce postulat la perméa-bilité toute spéciale qu'auraient aux excitations sensoriellesimmédiates des gens appartenant à des sociétés qui, technique-ment moins équipées, nous paraissent plus proches de la natureque ne le sont les nôtres. Or c'est à une telle interrogation entreautres qu'une réponse est fournie en quelque mesure par le longet scrupuleux travail ici présenté.

À quelques conjonctures qu'elle réponde, la transe qui siconstamment, en raison des circonstances dans lesquelles ellesurvient et de la forme qu'elle revêt, s'avère relever du rite malgrél'apparent abandon se présente comme un état plus ou moinsspectaculairement distinct de l'état ordinaire. Comment s'opèrepareil changement et comment se fera, ensuite, le retour à lanorme ? Quelles sont les modalités spécifiques de cet état,modalités qui varient selon les cultures et, au sein d'une mêmeculture, selon les fonctions remplies et selon les puissancessupposées en jeu ? Telles sont les questions qui d'emblée setrouvent soulevées. Et, comme de telles conduites s'organisenten des scénarios parfois des plus complexes, il faut, danschaque cas typique, traiter ces conduites comme éléments d'uneséquence dont on enregistre le développement, de sorte que c'estun point de vue dynamique par définition qu'adopte celui quiveut mener à bien cette étude. Un tel point de vue, Gilbert Rougetl'a fait sien expressément, quand il a recherché quels peuventêtre les rapports entre ces phénomènes et la musique qui en estl'accompagnement dans la plupart des cas mais non toujours(comme en témoignent, par exemple, les accès de possessiondémoniaque qui en Europe donnèrent lieu autre fois à des procèsen sorcellerie et, plus près de nous, la crise hystérique). Est-iltéméraire de dire que c'est parce que, musicien, il était particu-lièrement enclin à observer les choses dans leur mouvance,

comme on suit le déroulement d'une mélodie, que GilbertRouget s'est attaché avec tant de minutie non seulement à

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distinguer les divers moments d'une transe (suivietravers lesattitudes et gestes qui la manifestent), maisà noter les varia-tions qui dépendent des degrés d'expérience auxquels accède lepatient, depuis les transes « sauvages » dont souvent il est laproie tout d'abord jusqu'à des transes nettement ritualisées et,en quelque sorte, plus conformistes, quelle que puisse être leurviolence? Quoi qu'il en soit, l'un de ses grands mérites serad'avoir beaucoup affiné l'analyse de ces phénomènes en lesprenant dans leurs diverses phases et aux divers stades de leurévolution, comme dès le principe l'y invitait d'ailleurs sonpropos déterminer la nature de la corrélation plus ou moinsétroite qu'il est loisible d'observer, assez généralement, entretranse qu'expriment des comportements particuliers et interven-tion musicale, choses qui l'une et l'autre étalent leurs fluctua-tions sur une certaine durée.

Certes, il est impossible de résumer en quelques lignes lesconclusions très nuancées que Gilbert Rouget pose, avec uneprudence extrême, après analyse serrée d'une masse de faitsethnographiques de provenances fort différentes et examen desvues sur l'influence profonde que, du moins pour un temps, lamusique et le chant sont susceptibles d'exercer sur leursauditeurs, vues puisées tant chez Platon et chez Aristote quechez les musicologues arabes et ceux de la Renaissance, ceàquoi s'ajoutent aussi bien les théories avancées par des cher-cheurs modernes que les idées émises par Jean-Jacques Rous-seau. De ces conclusions, que l'auteur se garde de donner pourdéfinitives, il est pourtant permis de retenir ceci assurément, ilsemble que la musique, qui intervientà tout le moins lorsque latranse constitue un moment fort d'une séquence cérémonielle,soit un facteur de poids, encore que non indispensable, pourqu'un homme ou une femme entre en transe; toutefois, mis àpart des cas tels que celui des Bochiman d'Afrique australe chezqui la transe est le plus souvent provoquée par l' « échauffe-ment» progressifdû à des danses auxquelles incitent des chantsqui ne sont guère que de pures émissions vocales et ne sont pasréservésà pareilles fins, cela dans un contexte tant soit peudramatique puisque le but poursuivi est de se protéger contre la

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La musique et la transe

maladie ou de guérir quelqu'un, jamaisà ce qu'il semble etpas même quant à la « transe émotionnelle », étroitementdépendante de la sensibilité esthétique et dont la culture arabeoffre des exemples typiques- la musique en tant que combinai-son sonore agissant par son seul impact sur les nerfs, sans êtreaccompagnée de paroles ou constituer par elle-même unemanière de discours doué d'une signification, n'est en mesured'engendrer la transe. Cette constatation paraît donc réduireànéant l'idée reçue suivant laquelle ce serait un paroxysmemusical (jeu virulent des tambours, par exemple, ou de quelqueinstrument que ce soit) qui, par une sorte de contagion,déclencherait directement età lui seul cet autre paroxysme, latranse. Pour que la musique, si obsédante ou véhémente soit-elle, en vienneà produire de tels effets, tout porte à regardercomme nécessaire qu'elle mette en valeur un texte, fût-ilobjectivement des plus minces, ou que, chargée de sens, elle joueun rôle analogueà celui d'une devise qui interviendrait commeun signal, ou qu'à tout le moins elle entraîne (comme c'estpresque toujours le cas) à l'agitation corporelle de danses dontelle règle plus ou moins le rythme, étant entendu au demeurantque, mise au service d'un rituel visantà la protection du groupeou de l'un de ses membres quand ce n'est à un salut spirituel,elle prend de ce fait même un sens quelque peu pathétique etn'est donc pas le simple appui d'une activité motrice. De sorteque, par-delà sa vertu propre, ce serait comme élément d'unensemble qu'elle agirait en l'occurrence, et cela de surcroît dansune ambiance, par ailleurs variable, de tension affective,autrement dit quand ceux qui entreront dans le scénario certeschangeant mais moins improvisé que stéréotypé de la transesont déjà dans les dispositions voulues pour que leur conduitepublique se dramatise (se théâtralise) en quelque sorte, et nonselon un processus infaillible, indépendant de la situation.

Outre l'intérêt que l'ouvrage ainsi orienté (par son développe-ment même et sans qu'aucune idée préconçue ait été le filconducteur) présente en tant que large recueil de documents etsagace mise en ordre de notions jusqu'à présent insuffisammentpassées au crible, c'est une précieuse valeur de démystificationqu'il faut lui accorder. A la lumière des faits rassemblés par

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Préface

Gilbert Rouget et de son argumentation, l'on est induit, en effet,à estimer non seulement que la musique associéeà la transe amoins pour fonction de la provoquer que de l'organiser, mais,d'un point de vue beaucoup plus large, que partout et en presquetoutes circonstances, jusque dans les milieux qui intellectuelle-ment font figure de parents pauvres aux yeux de la plupart desOccidentaux et lors même que paraît se mani fester cette absencede contrôle dontà première vue la transe offre un exemplefrappant, les comportements des êtres humains sont plussouvent modelés qu'on ne le croit d'ordinaire par les représenta-tions que leur esprit se fabrique et, d'une manière générale, plusétroitement assujettis qu'on ne le pense communément auxartifices de cette culture qui, bien que non innée, mais sociale-ment acquise, tendà constituer en chacun une sorte de secondenature hors de laquelle, même hors de soi, il ne saurait se placer.En d'autres termes, il semble que nous n'ayons guère deconduites qui seraient celles d'êtres d'une ingénuité totale;presque toujours, elles passent par ce que nos rapports avecnotre milieu nous ont appris ou par ce que celui-ci attend plusou moins de nous, de sorte qu'on peut sans abus les regarder,sinon comme contre nature, du moins comme dénaturées au

sens étymologique de cette expression. Bête capable plus quetoute autre (c'est le moins qu'on puisse dire) de se déguiser, des'aliéner, de se projeter ailleurs et de se dépasser pour s'engagerdans de multiples voies, l'homme, à quelque époque et quelquelatitude qu'il appartienne, n'est-il pas parvocation un suppôt del'imaginaire, dans la mesure en tout cas où, qu'il se trouve ounon être le jouet de quelque bovarysme institutionnel ou privé, ilest conditionné, au niveau collectif comme au niveau indivi-duel, par le monde de pure convention que la masse de symboleset de signes qui foisonne dans son cerveau lui crée ?

Michel Leiris.

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INTRODUCTION

à la première édition

PROBLÉMATIQUE ET CHAMPS

Phénomène qui s'observe sous toutes les latitudes, latranse est dans la plupart des cas liée à la musique.Pourquoi ? C'est à cette interrogation que s'efforcera derépondre ce livre.

Pourquoi? dira-t-on sans doute, mais tout simplementparce que c'est la musique qui met les gens en transe Inutilede chercher plus loin. Et si les choses, justement, n'étaientpas aussi simples ? Il suffit de les regarder d'un peu près pours'en convaincre, la musique est avec la transe dans lesrapports les plus mouvants et les plus contradictoires. Ici ellela déclenche, là au contraire elle la calme. Tantôt ce sont destambours tonitruants qui mettent le sujet en transe, tantôtc'est le bruissement très discret d'un hochet. Dans telle

population, c'est l'instrument de musique qui est réputéproduire cet effet; dans telle autre, c'est la voix. Certainsentrent en transe en dansant, d'autres en restant couchés sur

un lit. Dans ces conditions, on s'interroge. Comment agit lamusique? Platon attribuait la transe des Corybantes auxeffets de l'aulos, Aristote à ceux du mode phrygien. Depuistoujours, les faits ont donné lieu aux théories les plusopposées. Pour parler comme Jean-Jacques Rousseau, s'agit-il d'un effet physique ou d'un effet moral ? Au xne siècle, chez

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La musique et la transe

les Arabes, Ghazzâlî tenait pour les deux et avançait pourpreuve de l'action physique de la musique le cas de ceschameaux que le chant de leur chamelier rend fous. À laRenaissance, poètes et musiciens de la Pléiade pensaient quela musique n'était capable de ses plus grands effets que par lejeu de son union avec la poésie. Rousseau, que le problèmeintéressait beaucoup, hésita longtemps avant de se pronon-cer catégoriquement contre la théorie du « pouvoir physiquedes sons ».

Il y a quelques années, un chercheur américain, AndrewNeher, démontrait, ou plutôt croyait démontrer, à l'inverse,que le « mystère » des effets du tambour sur la transe ne tientà rien d'autre qu'à une action purement neurophysiologiquedes sons de cet instrument. Bon nombre d'ethnologues etd'ethnomusicologues tiennent actuellement cette théoriepour acquise. Vingt ans avant, Melville J. Herskovits en avaitproposé une autre, bien différente, expliquant les effets de lamusique par le jeu d'un réflexe conditionné. Roger Bastidedevait reprendre un peu plus tard sa thèse, mais en luiajoutant la notion de situation globale, sans laquelle leréflexe en question ne jouerait pas. Côté chamanisme, main-tenant, et non plus possession (puisque c'est d'elle qu'ils'agissait jusqu'ici), s'il fallait résumer d'un mot la théorie deShirokogoroff nous dirions qu'elle est celle du pouvoirémotionnel de la musique. Pour sa part, un « ethnomusicolo-gue de réputation mondiale », Alain Daniélou, écrivait grave-ment dans un numéro récent du Courrier de l'Unesco que,« dans toutes les régions du monde », pour produire des étatsde transe, « les rythmes utilisés sont toujours impairs à 5, 7ou 11temps », ajoutant, sans crainte d'être démenti parmille exemples « Les rythmes carrés à quatre ou huit tempsn'ont pas d'effet hypnotique. »

Les explications, comme on voit, ne manquent pas. Hormisla dernière citée, qui est pure fantaisie, et celle de Neher, quiest fausse, chacune a quelque chose de vrai, mais aucunen'est pleinement satisfaisante. La vérité est que les faits sontsi variés et si complexes qu'ils échappent à toute explicationunique. D'une manière générale, tous ceux, ou presque, qui

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Introduction à la première édition

se sont occupés de la transe sont convaincus, plus ou moinsinconsciemment, que c'est le secret de la musique que depouvoir la déclencher et que c'est par elle-même, par le jeude sa propre vertu, qu'elle y parvient. On invoque alors soitla puissance du rythme, ce qui est l'argument le plusfréquent, soit l'effet magique du chant, comme le fait parexemple Jeanmaire, savant pourtant admirable, prêtant à lamusique des qualités qui ne sont en l'occurrence nullementles siennes lorsqu'il parle du « possédé jeté en transe parl'appel démoniaque de la mélodie incantatoire ». Idéesreçues qui ne résistent pas à l'examen. Démystifier laconception qu'on se fait trop souvent du rôle de la musiquedans la transe sera l'un des buts de ce livre. L'importance dela musique n'en sera pas minimisée pour autant, bien aucontraire. Celle-ci apparaîtra, en fin de compte, comme leprincipal moyen de manipuler la transe, mais en la sociali-sant beaucoup plus qu'en la déclenchant. Ce processus desocialisation varie nécessairement d'une société à l'autre et

s'effectue de manière très différente suivant les systèmes dereprésentations ou, si l'on préfère, les idéologies où setrouve prise la transe. Dans chaque cas, une logique diffé-rente règle ses rapports avec la musique. C'est cette logiqueque nous essaierons de dégager.

Si, comme il vient d'être dit, la transe est un phénomènequasiment universel, il n'en reste pas moins qu'elle est d'unepratique beaucoup plus répandue chez les peuples dontl'étude constitue l'objet de la recherche ethnologique quechez les autres. Ce livre est donc un livre d'ethnologie, ouplus exactement d'ethnomusicologie. Il n'y sera pratique-ment pas question de la transe telle qu'elle s'observe dans lemonde occidental contemporain, que ce soit chez les secteschrétiennes d'Europe ou d'Amérique, chez les amateurs demusique pop ou chez les pratiquants de la bioénergie. Nonqu'elle soit à nos yeux moins intéressante, mais il fallait selimiter et, pour ce qui est surtout des deux derniers cas, lesinformations sont particulièrement rares.

À l'origine de ce livre se trouve l'intérêt que je porte depuisde nombreuses années à la musique des cultes de possession

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