22
Extrait de la publication

Extrait de la publication… · nait à merveille à ma vanité. On ne s'oc-cupait de moi qu'aumoment de régler ma ... CHAPITRE LA RUE SOUS LA NEIGE Paul Bul, dont le nom prononcé

Embed Size (px)

Citation preview

Extrait de la publication

Extrait de la publication

Extrait de la publication

Extrait de la publication

© Éditions Gallimard, 1951.

Extrait de la publication

Je viens de relire, a fin de le nettoyer, cetessai romancé ainsi que le Manuel du Par-fait .Aventurier. Ce sont, en dépit de leursmélancolies un peu incertaines mais pré-sentes, deux témoignages optimistes c'estde la littérature de « rescapés » comme ondit dans le Nord. S'il me f allait écrire,encore une fois, ce petit manuel, il est pro-bable que j'en changerais les termes, sinonl'essence. L'opinion que l'on garde de cettesorte de métaphysique décorative que l'onappelle l'aventure se transforme avec l'âge.Il y a l'aventure de la première dent, cellede la mâchoire neuve, celle de la mâchoireébréchée, puis en définitive, l'aventure de la.dent de sagesse. L'une vaut l'autre. Ce n'estqu'une question de date sur le calendrier deservice. La lecture de ce calendrier est sug-gestive. On parvient, quelquefois, à un âge,qui n'est pas tendre, où l'almanach révèleautant de complexes qu'il existe de saintssur le calendrier des Postes et Télégraphe.Le complexe de Léon vaut celui d'Œdipe; lecomplexe de Jacqueline devient aussi pres-tigieux que celui de Diane. L'histoire des

PRÉFACE 1951

8 LA CLIQUE DU CAFÉ BREBIS

complexes est amusante elle permet à cer-taines images de prendre place dans unehonorable conversation entre gens sérieuxdes deux sexes.

Ces assemblées de qualité forment la clien-tèle solide du Café Bre bis où les complexessont peu apparents car ils dominent les

spiritueux. Nous sommes là dans un clubde bouchons pas très neufs qui peuventflotter sur tous les liquides. Grâce à ce légerdétail, cet essai romancé et romantique n'estpas encore hors d'usage. Le Café Brebisouvre toujours sa porte à ceux qui se nour-rissent de poussières anciennes. Ces pous-sières, je m'aperçois que j'hésite à les re-muer.Elle me paraissent dangereuses etd'elles, sans doute, naissent les virus de cesmaladies écœurantes et mystérieuses quinous détruisent lâchement.

P. Mc O.

1951-

LA CLIQUE

DU CAFÉ BREBIS

Extrait de la publication

Extrait de la publication

CHAPITRE PREMIER

LA CLIQUE DU CAFÉ BREBIS

Quand François Villon laissa en héri-tage à Jacques Raguyer l'Abreuvoir Po-

pin, il ne pouvait prévoir qu'en zgi8 undescendant de ce Raguyer nommé Brebiscontinuerait les traditions de la famille en

ouvrant,au coin de la rue Berthon et duquai du Métropolitain, une manière depetit café provincial dont l'entrée étaitinterdite aux garçons aventureux.

Vu du dehors, le Café Brebis n'évoquaiten rien la vie tumultueusedes ports. C'étaitune petite maison basse, correcte, bour-geoise, plus gonflée de dignité que declients. A l'intérieur, la salle de consom-mation, où Mme Brebis surveillait les jeuxd'esprit des habitués, se révélait douillettecomme une chaufferette. Mme Brebis, co-lorée à la manière d'un Jacquemart, bril-lait derrière sa caisse ainsi qu'une, braiseoubliée dans un passé déjà riche en cen-dres.

Les sept clients du Café Brebis étaient,

LA CLIQUE DU CAFÉ BREBIS

dans l'ordre mon cousin, le marchandd'épices, appelé Mujina, ou le Fantôme-sans-visage, selon Lafcadio Heam. Il avaitperdu la tête au cinéma et s'occupait dela partie littéraire de nos réunions.

Mon beau-frère, le professeur d'argot,lui donnait la réplique. N'ayant jamais suson nom, nous l'appelions le Beau-frère. Ilapportait avec lui tout le pittoresque qu'ilpouvait emprunter à ses relations exté-rieures. Je me demandais toujours parquel miracle un tel individu avait pu s'in-troduire dans la famille.

Le troisième client's'appelait Paul Bul,mon cousin. C'était un homme ancien

qu'une idée fixe poussait à nier le mouve-ment par principes.

Le quatrième habitué s'intitulait lui-même le compère; il affirmait à l'occa-sionque le Compère Mathieu était un ou-vrage admirable. On y trouvait, disait-il,des camarades émouvants, comme ceuxdes livres de Bret-Harte. Avant l'écrivain

anglais, l'abbé Dulaurens avait exaltél'amitié, ce sentiment le plus pur chez leshommes.

A côté du compère s'asseyait M. Lucien-Antoine-Nicolas Read, descendant directde Marie Read, chevalière de fortune, maî-tresse et camarade de Rackam, gentil-homme de fortune également. Lucien-An-toine-Nicolas Read n'avait jamais navi-gué. Il craignait l'eau, les voyages et la

Extrait de la publication

LA CLIQUE DU CAFÉ BREBIS

mort violente sous ses différents aspects.Mais il se consumait d'amour pour les An-tilles et l'île de la Tortue.

Le sixième de la bande avait nom Cor-

nelobre. Il jouait de la musique, pinçaitles filles, là où il ne craignait pas de secasser les ongles, appréciait Paris et labelle société qui le recevait avec plaisir àcause de son nom peu compromettant.

J'étais leseptième client de ce café oùje tenais le rôle d'auditeur. Ce rôle conve-nait à merveille à ma vanité. On ne s'oc-

cupait de moi qu'au moment de régler maconsommation.

Grâce à ces messieurs et à leurs diffé-

rentes appréciations de l'heure, je pus mefaire une idée du milieu où j'évoluais. J'ap-pris à prendre les tournants de l'histoireà la corde, selon la tactique des coureursdans un virage, et mes yeux éblouis encorepar les paraboles décoratives des fuséeslumineuses se reposèrent petit à petit surl'obscurité qui m'entourait.

Sur le front, nous étions des milliers etdes milliers à communier dans une même

pensée Paris.Les plus riches en imagination et les plus

riches en désirs étaient les plus malheu-reux, car il faut bien que tout se paie.

Je ne connaissais Paris que d'après un

Extrait de la publication

LA CLIQUE DU CAFÉ BREBIS

vieux plan du xvne siècle dont l'angle su-périeur droit s'ornait d'une figure symbo-lique qui représentait une demoiselle courtvêtue, selon l'esthétique de l'Université.Elle soufflait dans une trompette romaine,-que je soupçonnais fort d'être celle de laRenommée.

Avant la guerre,je ne pouvais imaginerParis qu'en suivant les indications de ceplan discrètementjauni.

Aux heures de repos dans les sapes lesplus étroites et les plus profondes, je souf-frais en essayant d'ajouter les lignes duMétropolitain et les quelques monumentsde fabrication récente aux monuments, et

aux voies de communication indiqués surmon document.

Quelques Parisiens d'origine me donnè-rent des renseignements vagues quine servi-rent qu'à tenir mon imagination en travail.

Des circonstances normales sur un

champ de bataille m'ayant ramené à l'ar-rière, je fis mon entrée à Paris par la gareSaint-Lazare, une gare magnifique quisentait le musc et l'eau salée.

Paul Bul, mon cousin, m'accueillit etme donna ses soins. Il m'invita à fréquen-ter le Café Brebis, me présenta à ses amis

qui s'jnclinèrent devant ma capote bleue.Je m'endormis sur cette première jour-née, tout en polissant desphrases pourdéfendre ma personnalité contre l'avenir

Paris est un gâteau que les rats grignotent.

Extrait de la publication

LA CLIQUE DU CAFÉ BREBIS

Paris est une boule noire qu'un rat lu-mineux (le Métropolitain) parcourt en toussens, en utilisant des tunnels pavés commedes crémeries.

Paris est un entonnoir où les bruits les'

plus formidables se confondent assez pourque l'on puisse percevoir, quand on ledésire, le son d'un petit marteau qui frappeune enclume d'argent.

J'ai rencontré un bel enfant, d'ailleurssans grand caractère, un bel enfant nor^mal qui portait dans ses bras une grosseboîte en bois verni. Cette boîte contenait

mille et une petites boîtes en carton ren-fermant des jeux de cartes, des dominos,des dés, des petites boules de vif-argentqu'il faut introduire dans les trous d'unterrain de golf en miniature. Il y avait aussidans cette boîte un chemin de fer méca-

nique, un cochon que l'on gonfle commeune cornemuse et mille petits automatesde différentes sortes que Tort présente enliberté sur l'asphalte des boulevards auxenvirons du jour de Noël.

En montant un escalier, l'enfant glissa,lâcha sa boîte dont le contenu s'éparpillasur les marches. J'eus ainsi une vision suf-fisante de la ville que je désirais connaître.

Maintenant, j'attends de sang-froid lesexplications de Paul Bul, du Compère, deMujina, de Lucien-Antoine-Nicolas Read,du beau-frère, de Cornelobre et de Mme Bre-bis. J'allais oublier Mme Brebis.

CHAPITRE

LA RUE SOUS LA NEIGE

Paul Bul, dont le nom prononcé sansaffectation éclate comme un shrapnel au-dessus d'un avion, ne sait pas encore lavérité sur les intentions de l'Allemagne.

On craint un raid de machines volantes

sur la ville sans lumières. Paul Bul, sou-tenu par la clique du Café Brebis, ricaneet pérore à son aise sur son thème favori.Il nie les progrès de l'aviation, selon sa cou-tume. Il se rappelle parfaitement les pre-miers vols d'Issy-les-Moulineaux et restesur cette impression. Pour lui, les hommesne volerontjamais.

C'est écœurant, en zgi8, de discuteravec un tel personnage. Si Paul Bul n'étaitpas mon cousin, il y a longtemps que j'au-rais rompu avec ce vieillard satisfait etbuté.

As-tu vu réellement voler? me de-

mande Paul Bul devant la clique du CaféBrebis.

Mais voyons, mon cousin, c'est évi-

II

Extrait de la publication

LA RUE SOUS LA NEIGE

dent. J'ai vu voler des avions de chasse,des avions de bombardement. Rendez-

vous compte qu'il est monstrueux, à notreépoque, de nier une telle évidence.

Ces messieurs ont ricané. Rien ne les

tient plus enjoie que la possibilité d'unraid sur Paris.

Tout ça, mon petit bonhomme, c'estécrit dans le but de secouer nos nerfs. On

en dira bien d'autres avant la fin de cetteguerre.

La clique du Café Brebis prononce alorsdes paroles définitives qui se perdent dansun brouhaha comparable à une fin dechansonnette dans un phonographe dontla pointe a 'dérapé. Et nous sortons.

Dehors, dans la rue, le froid nous dé-coupe en petites tranches minces. Auzénith, une étoile anormale brille seulecomme une bougie dans une chambre mor-tuaire.

Sur la neige qui recouvre la chaussée,des ornières déjà profondes révèlent lepassage des voitures et l'activité du jour.

Des espaces vides, peuplés sans doutede phantasme, obligent nos yeux à fairedes concessions, quant à la réalité de cequ'ils devinent.

C'est tout de même moins éclairé quede mon temps, avoue mon cousin.

Depuis que la clique retardataire duCafé Brebis n'est plus là pour exalter sespropos, le vieux Paul Bul perd un peu de

Extrait de la publication

LA CLIQUE DU CAFÉ BREBIS

sa faconde et de son érudition déconcer-

tante. Si j'avais du cœur, je sens très bienque je saisirais l'occasion de me débarras-ser de mon cousin en le poussant dansl'angle noir d'une rue ouverte sur le néant.La terre s'entrouvrirait peut-être pourl'accueillir, et il irait voir, dans les couchesprofondes fréquentées par les quartz et lesfougères minéralisées, si les avions réus-sissent à prendre de la hauteur. Le senti-ment de la famille me retient et puis l'im-

portance de ma situation bref, un certainsens moral.

En cheminant, nos pieds s'embarrassentdans les détails accumulés des poubellesréglementaires renversées sur le trottoir.Le brouillard mange les maisons et nouscommunique le malaise des solitudes bo-.réales.

C'est un arbre! dis-je en me cognantdans un corps dur et cylindrique.

De son côté, le vieux Paul sème la déso-lation dans un tas d'écailles d'huîtres qu'ildisperse avec ses pieds.

Oh! oh! fit le cousin. Tant que nousfoulerons de semblables détritus, nous noussentirons moins seuls. Je ne sais ce qu'iladviendra de nos personnalités si ces ves-tiges de la civilisation latine viennent à sedérober.

Voyons, dis-je à mon tour,je nereconnais plus ma route; d'autant plusqu'en prévision d'un raid d'avions sur la

Extrait de la publication

LA RUE SOUS LA NEIGE

cité, on a maquillé les points de repèrela Tour Eiffel n'estplus la Tour Eiffel,c'est maintenant le Panthéon; la place dela Concorde a changé de nom et s'appellemaintenant le Luxembourg. Le Sacré-Cœur est devenu la gare Saint-Lazare etla gare de l'Est prend le titre de Pont

de l'Alma.

Eh bien, mon petit, nous voilà beaux,fit le cousin Paul.

Nous poursuivîmes notre voyage. -Sou-/dain, de l'origine même des ténèbres, unjet de lumière traversa le ciel. Il noussembla qu'on venait de crever d'un coupd'épingleune vessie pleine d'aveuglanteclarté. Le projecteur avala immédiate-ment sa lumière et tout rentra dans le

chaos. Cependant nous avions pu aperce-voir le Bois de Boulogne et peut-être quel-ques accessoires oubliés par le Grand Pan;avant de mourir.

Le Bois de Boulogne mène à tout, à lacondition d'en sortir. Nous essayâmes denous évader de cet endroit, moins émou-vant toutefois depuis que nous avions pului donner une étiquette.

Le père Paul Bul; très dégonflé par laperversité de la nuit, ratiocinait. en se tor-dant les pieds sur des contenus de pou-belles de moins en moins discrètes.

A notre époque, gémissait-il, il fautavoir un nom, un âge, un sexe. Un indi-vidu qui ne réunirait pas ces trois condi-

Extrait de la publication

LA CLIQUE DU CAFÉ BREBIS

tions administratives ne pourrait faire troispas sans être arrêté.

En devisant, nous nous heurtâmes en-core à un corps dur, soit en zinc, soit enfonte, qui cependant ne résonna pas afind'indiquer sa plénitude. Etait-ce encoreune poubelle géante? En tâtant avec nosmains et en nous aidant d'une petiteéchelle accrochée aux flancs du récipient,nous reconnûmes un gazomètre perducomme un berger sans pipeau dans unelande stérile. Il fallut sortir de cette usine

à gaz. Ce ne fut pas chose aisée, car sile hasard nous avait permis de passer laporte de cette propriété municipale sansla frôler de nos épaules, il ne nous favo-risa pas en nous indiquant la sortie. Nousvécûmes d'affreuses minutes, errant à lamanière de deux cirons égarés sous unentonnoir. La voûte céleste couleur depoix provoquait cette comparaison.

Alors une tranchée s'ouvrit sous nos

pieds; nous y chûmes avec une vitesse enrapport avec nos poids respectifs x.

Sitôt arrivé, mon cousin tâta le sol dela tranchée avec sa main et recueillit

quelques cailloux gluants.Nous sommes dans le No man's land!

gémit-il.Quant à moi, le démon de la perversité

me poussait à étendre les mains comme

i. C'est d'ailleurs discutable, paraît-il.

Extrait de la publication

LA RUE SOUS LA NEIGE

des tentacules et à ramper en avant dansun geste dont je n'avais pas eu le tempsde perdre l'habitude. Je résistai néan-moins à cette auto-suggestion et j'atten-dis dans un calme relatif que la mons-trueuse araignée de minuit eût achevé denous envelopper dans les mailles régulièresde sa toile en fils de fer barbelés.

Quelques heures plus tard, un pauvresoleil de saison nous éclaira dans notre

disgrâce. Nous aperçûmes la rue du Rane-lagh, le pont du chemin de fer, le terraindu quai bouleversé par le manque de soinet il faut être juste par les circons-tances.

Extrait de la publication